• Staatsraison: Dispatch From Germany | Mass Review
    https://massreview.org/node/11675

    For white Germans to stand for the rights of Palestinians to life, health, safety, and freedom, they would need to study our world from outside Germany’s myopic narratives. Without knowledge of imperialism’s grip on the world, and the structural violence of European nation states, we cannot “read” the state of Israel as we know it today. We cannot see the ethical challenge which the ongoing annihilation of Gaza presents to the world.

    Instead, we are witnessing a desperate attempt by white German elites of all political stripes to maintain their collective fantasy of their white goodness in the world, proven by unwavering and unconditional support of the state of Israel. This fantasy is being massively revived and revamped in a slew of Islamophobic, often hysterically absurd campaigns. Examples include the targeting of anti-Zionist Jewish groups and individuals from Israel, the US, or Germany; and activists like Greta Thunberg who dared to connect climate struggle to justice for the oppressed Palestinians.

    Where will this wave of white re-nationalization lead us? Already we face the likelihood of extreme Right victories in the next regional and national elections. “Respectable” politicians of all camps are considering an addendum to German citizenship laws that requires requiring immigrants to unconditionally support the state of Israel.

    German cultural institutions, political circles, media, and academy are currently under massive pressure to denounce as anti-Semitic, wholesale, even the humble and relatively recent gains of postcolonial and decolonial scholarship and activism. Or on a more aggressive note, as pro-Hamas. Merely calling for #CeasefireNOW is deemed to be anti-Semitic incitement. This castigation extends to Jewish intellectuals in Germany, like Deborah Feldman, and to the Berlin art collective OYUN, who have called for an end to the siege of Gaza, and spoken out against settler colonialism.

    #islamophobie #extrême_droite #sionisme #Allemagne

  • Tal Bruttmann, historien : « Le Hamas a conçu, en amont, une politique de terreur visuelle destinée à être diffusée dans le monde entier »

    Le spécialiste de la Shoah estime, dans un entretien au « Monde », que l’attaque perpétrée par le Hamas le 7 octobre contre Israël n’est ni un pogrom ni un génocide mais un massacre de masse, et il met en garde contre les analogies avec le nazisme.

    L’historien Tal Bruttmann, spécialiste de la Shoah et de l’antisémitisme, est notamment l’auteur de La Logique des bourreaux (Hachette, 2003), et, avec Stefan Hördler et Christoph Kreutzmüller, d’Un album d’Auschwitz. Comment les nazis ont photographié leurs crimes (Le Seuil, 304 pages, 49 euros).

    Pour qualifier les attaques du Hamas, les hommes politiques, les historiens et les éditorialistes ont parlé de massacre, d’attentat, de pogrom, voire de génocide. En tant qu’historien, comment qualifieriez-vous cet événement ?

    Le mot qui est revenu le plus souvent est « pogrom », mais les attaques du Hamas ne relèvent pas, à mon sens, d’une telle qualification. Ce terme russe désigne non pas les crimes de masse contre les juifs, mais la destruction des biens qui sont en leur possession, accompagnée de violences contre les personnes. Ce qui caractérise le #pogrom, c’est le fait qu’une majorité, excitée, voire incitée, par le pouvoir en place, s’attaque violemment à une minorité qui vit en son sein.

    Au XIXe et au début du XXe siècle, il y a eu, en Europe, beaucoup de pogroms antijuifs, notamment en Russie ou en Roumanie, mais ce terme ne convient pas aux attaques du Hamas. D’abord, parce qu’elles visaient non pas à détruire les biens des Israéliens, mais à tuer des juifs ; ensuite, parce que les juifs, en Israël, ne forment pas une minorité, mais une majorité ; enfin, parce que le Hamas n’est pas un peuple, mais une organisation terroriste. Pour moi, ces attaques sont des massacres de masse : le but était de tuer le plus de juifs possible.

    Certains ont utilisé le terme de génocide. Est-il, selon vous, pertinent ?

    Dans l’imaginaire occidental, le #génocide est devenu l’alpha et l’oméga du crime, alors qu’il n’est pas plus grave, en droit international, que le #crime_de_guerre ou le #crime_contre_l’humanité. Personnellement, en tant qu’historien, je n’utilise pas cette qualification juridique dont la définition est d’une immense complexité : je la laisse aux magistrats et aux tribunaux. C’est à eux d’établir, au terme d’une enquête, si les #massacres qui leur sont soumis sont, ou non, des génocides.

    L’écrivaine Elfriede Jelinek, Prix Nobel de littérature, a comparé le Hamas aux nazis. Que pensez-vous de cette analogie ?

    Il faut faire attention aux mots : la haine des #juifs ne suffit pas à caractériser le #nazisme. Le régime de Vichy ou le Parti populaire français [PPF, 1936-1945] de Jacques Doriot étaient profondément antisémites, mais ils n’étaient pas nazis pour autant : être nazi, c’est adhérer à l’idéologie politique élaborée par Adolf Hitler après la première guerre mondiale et mise en œuvre par le IIIe Reich à partir de 1933.

    Le #Hamas est évidemment profondément antisémite : sa charte initiale, qui fait explicitement référence aux #Protocoles des sages de Sion_ [un faux qui date du début du XXe siècle], affirme que les juifs sont à l’origine de la Révolution française, de la révolution bolchevique et de la première guerre mondiale. Il faut cependant prendre le Hamas pour ce qu’il est : un mouvement islamiste nationaliste qui n’est pas plus nazi qu’Al-Qaida, l’Iran ou Marine Le Pen.

    La Shoah est incontestablement le pire épisode de l’#histoire de l’antisémitisme, mais cela n’en fait pas la clé à partir de laquelle on peut comprendre toutes les #violences_antijuives. Parfois, elle nous empêche même de saisir la singularité des événements : à force d’associer l’#antisémitisme à la Shoah, on oublie que cette haine a pris, au cours de l’histoire, des formes très différentes.
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/29/tal-bruttmann-historien-le-hamas-a-concu-en-amont-une-politique-de-terreur-v

    avec des extraits de Un album d’Auschwitz :
    https://archive.is/jO7UX

    #histoire #images #photos #films #attentat #attentat_massacre #islamisme #nationalisme #shoah #Extermination_des_juifs_par_les_nazis

    • Il est clair Tal Bruttmann et du coup ça permet de ne pas avoir un sac fourre tout d’où tu tires des mots chargés de sens et inappropriés pour un oui ou un non.

  • Collectif Romain Rolland @RRolland94200
    https://twitter.com/RRolland94200/status/1728481471285830137

    ‼️Parce qu’il a dit Allah Akbar, un élève passe en conseil de discipline pour « apologie du terrorisme ». Il organise sa défense, avec de nombreux soutiens.
    Nous appelons les membres du conseil à réfuter cette accusation hors de propos, et demeurons vigilants jusqu’au délibéré.👇

    #criminalisation #islamohobie #Lycée #élève #conseil_de_discipline #apologie_de_terrorisme

  • En Suède, l’extrême droite a le vent en poupe, un an après l’arrivée de la droite au pouvoir
    https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/26/en-suede-l-extreme-droite-a-le-vent-en-poupe-un-an-apres-l-arrivee-de-la-dro

    En Suède, l’extrême droite a le vent en poupe, un an après l’arrivée de la droite au pouvoir
    Membre de la majorité depuis octobre 2022, les Démocrates de Suède, réunis en congrès ce week-end, veulent accélérer le rythme des réformes en prônant « la politique de l’asile la plus restrictive d’Europe ».
    Par Anne-Françoise Hivert(Västeras (Suède), envoyée spéciale)
    Cheveux longs gris et lunettes cerclées de noir, Asa Wittenfelt, 64 ans, a le sourire aux lèvres. Professeure de mathématiques et de sciences dans un lycée professionnel, elle est venue de Lund, dans le sud du pays, pour participer au congrès des Démocrates de Suède (SD), qui se déroulait du jeudi 23 au dimanche 26 novembre, à Västeras, au nord-ouest de Stockholm. « Pour la première fois depuis longtemps, je ressens de l’espoir. On reconnaît enfin qu’on a été naïfs et on ose parler de tout, sans tabou », dit-elle.Asa a adhéré au parti il y a douze ans, « catastrophée » par la situation dans son école, où « les élèves, appartenant à différents clans, se battaient dans les couloirs ». A l’époque, être membre des SD, une formation nationale conservatrice aux origines néonazies, n’était pas bien vu. Elle a essuyé les critiques de ses collègues. « Aujourd’hui, beaucoup me disent qu’ils sont d’accord avec moi et même des élèves me soutiennent », affirme l’enseignante.
    Dans les couloirs du palais des congrès de Västeras, les 300 délégués, venus de tout le pays, arborent le même air de satisfaction. Ils ont de quoi : depuis octobre 2022, les SD font partie de la majorité, avec les conservateurs, les chrétiens-démocrates et les libéraux. Et, même s’ils ne siègent pas formellement au gouvernement – ils n’ont pas de portefeuilles ministériels, mais disposent d’un bureau de coordination au sein de l’administration gouvernementale et participent à presque toutes les conférences de presse des ministres –, les Suédois estiment que ce sont eux qui ont le plus d’influence sur la politique actuellement menée.
    Samedi, sans surprise, les délégués ont réélu Jimmie Akesson, 44 ans, à la tête du parti qu’il dirige depuis 2005. Paraphrasant l’ancien président américain Donald Trump, le leader de l’extrême droite, très en verve, a assuré que « maintenant que [les SD] participaient à la gouvernance » du pays, ils allaient « rendre sa grandeur à la Suède ». Au terme de la mandature, le royaume aura « la politique de l’asile la plus restrictive d’Europe », a-t-il promis, sous les applaudissements, avant de consacrer une bonne partie de son discours à dénoncer l’emprise des « islamistes » sur la société suédoise, qu’il veut combattre en « confisquant et en détruisant les mosquées » accusées de propager un discours « antidémocratique ».
    Un an après l’arrivée de la droite au pouvoir, les SD ont le vent en poupe. Crédité de 22 % des intentions de vote dans les sondages – ils avaient obtenu 20,5 % aux législatives, le 11 septembre 2022 –, ils pèsent désormais plus lourd que les trois partis du gouvernement réunis. Le contexte n’y est pas étranger : en proie à la criminalité organisée, qui a fait cinquante morts depuis le début de l’année, la Suède est aussi menacée par le terrorisme islamiste – deux supporteurs suédois ont été tués à Bruxelles, le 16 octobre, dans un attentat, commis par un Tunisien.
    Sur tous ces sujets, « nous sommes perçus comme les plus crédibles », assure Mattias Bäckström Johansson, secrétaire du parti depuis décembre 2022. A 38 ans, cet ancien opérateur de l’industrie nucléaire ne boude pas son plaisir : « Bien sûr que nous sommes très contents de ce qui a été accompli en un an, mais nous aimerions que cela aille plus vite. » Car, avant de pouvoir être votée au Parlement, toute réforme doit faire l’objet au préalable d’un examen approfondi. Malgré de nombreuses annonces, très peu de lois ont donc été adoptées.
    (...°Même empressement du côté des Ungsvenskarna SDU, les Jeunes Démocrates de Suède, la section jeunesse du parti, qui compte 2 000 adhérents. Robe vichy et vernis orange, Rebecka Rapp, 23 ans, est souvent interpellée sur TikTok : « On me demande pourquoi ça ne va pas plus vite, j’explique que c’est la politique. » Lors des dernières élections, 22 % des Suédois âgés de 18 à 21 ans ont voté pour le parti (et 26 % pour les conservateurs) : « C’est devenu cool, pour les jeunes, d’être à droite », assure la jeune femme. Etudiante en ingénierie civile à l’Institut royal de technologie royal à Stockholm (...) Le parti est dans une position idéale, observe Ann-Cathrine Jungar, professeur de sciences politiques à l’université de Södertörn : « Il a un pied dans le gouvernement et un autre en dehors, ce qui lui permet d’exercer une influence politique, tout en continuant à critiquer le gouvernement. » Jimmie Akesson ne s’en prive pas, pas plus qu’il ne rate une occasion de faire dans la surenchère, allant jusqu’à plaider pour que la police détienne des personnes sans le moindre soupçon. A Västeras, il s’en est pris à l’ensemble de la classe politique, accusée d’avoir « activement » permis à la criminalité de se développer : « Nous n’oublierons pas et nous ne pardonnerons pas », a-t-il déclaré.
    Face à ses excès ou à ceux de responsables de son parti, propageant par exemple la théorie du « grand remplacement » ou défendant les autodafés du Coran, la droite laisse faire : « Les autres partis sont mal à l’aise, mais ils ont décidé de ne pas critiquer les SD, même quand ils tiennent des propos radicaux, ce qui démontre leur influence », note le politologue Tommy Möller. Avec pour conséquence aussi de normaliser un discours qui aurait été jugé inacceptable il y a quelques années, mais qui se répand désormais dans l’espace public, alors que « l’inhibition pour voter SD ne cesse de baisser », remarque M. Möller.L’un des vétérans de la formation, l’idéologue Mattias Karlsson, y voit l’aboutissement d’un long processus mené « de façon très déterminée » par le parti, qui, « malgré les obstacles », a enfin réussi à se débarrasser de « l’image stigmatisante » qui l’a longtemps pénalisé. « Aujourd’hui, nous sommes tellement normalisés au sein de la société que nous pouvons recruter des personnes compétentes et nous professionnaliser. Nous avons atteint la dernière étape, avant d’entrer au gouvernement », assure-t-il. Jimmie Akesson ne s’en cache pas : en 2026, si la droite l’emporte, il exigera des portefeuilles ministériels, ou bien il siégera dans l’opposition. En attendant, les SD ont les yeux tournés vers les élections européennes de juin 2024. Lors du précédent scrutin, en 2019, ils étaient arrivés en troisième position, avec 15,3 % des voix. Depuis, le parti a renoncé à exiger un « Swexit », même s’il continue de considérer Bruxelles et l’UE comme « une des plus grosses menaces contre la souve#raineté » du pays, avec l’immigration. A Västeras, il n’a pas été question de la victoire du leader d’extrême droite Geert Wilders aux élections néerlandaises, pas plus que du grand rassemblement des populistes du groupe Identité et démocratie (ID) qui s’est tenu au Portugal, vendredi. Les SD font partie du groupe Conservateurs et réformistes européens et continuent de juger « problématiques » les liens de certains partis d’ID avec la Russie, comme le Rassemblement national de Marine Le Pen.

    #Covid-19#migrant#migration#suede#extremedroite#immigration#souverainte#islamisme#terrorisme#asile#politiquemigratoire

  • « En islam, les penseurs d’une nouvelle théologie ont entamé un travail de refondation révolutionnaire », Constance Arminjon Hachem

    Ils se rejoignent dans l’expression d’un questionnement sur le rôle que pourrait assumer la théologie en islam contemporain, ainsi que sur les fondations philosophiques de la théologie musulmane. Plus précisément, ces interrogations s’organisent autour de deux maîtres-mots : la #critique et l’historicité.
    La critique concerne les méthodes et le contenu de la théologie actuelle, en vue de servir une ambition refondatrice inédite.

    Quant à l’#historicité, elle apparaît comme la question cardinale, car elle affecte l’essence même des savoirs religieux et leurs contenus. Ainsi, le dogme de Dieu est réexaminé d’un point de vue qui insiste davantage sur l’humain : le théocentrisme fait place à une perspective mettant en avant l’expérience religieuse de l’individu. Tout en restant de fidèles musulmans, certains de ces penseurs, en particulier les Iraniens chiites, ont aussi renoncé à une vision apologétique de l’islam.

    Les Iraniens sont les plus engagés sur ce chantier, en définissant la foi comme amour. Celle-ci est ainsi distinguée de l’adhésion à une croyance dogmatique, de l’obéissance à la loi et de l’idéologie. De ce fait, Shabestari et Kadivar, qui sont aussi juristes religieux, sont allés jusqu’à reformuler la doctrine du droit en considérant qu’on ne pouvait pas punir un musulman qui renoncerait à l’islam.
    De telles audaces ne sont pas conçues par des théologiens sunnites, même s’il y a de vraies interrogations inédites. L’Egyptien Abou Zayd, par exemple, refuse de réduire la foi à l’obéissance et l’islam à une idéologie. D’autre part, des juristes sunnites tels Yadh Ben Achour et Mohammed Charfi (1936-2008) ont conçu l’islam d’une manière très proche des conceptions de Kadivar et Shabestari. Mais ils sont restés sur le terrain du droit et n’ont pas traité de théologie.

    Abou Zayd, Soroush et Shabestari sont allés au bout d’une historicisation du Coran, alors que la nature divine du texte sacré apparaissait comme l’un des dogmes les plus ancrés. Ils considèrent en effet qu’il s’agit d’un texte historique dont l’auteur est un être humain : une telle affirmation est révolutionnaire.

    Cette conception se fonde sur une justification philosophique selon laquelle un texte dans un langage humain ne peut avoir qu’une nature humaine. Shabestarî se réfère aussi au Coran où le prophète lui-même dit : « Je ne suis rien de plus qu’un être humain comme vous » (sourate 18, verset 110). Selon le théologien iranien, « on ne peut parler de Dieu qu’avec le langage de la métaphore ».

    [...]

    Le « réformisme » comme le « modernisme » ne sont pas des catégories ayant un contenu identifiable. En travaillant sur les doctrines et les institutions de l’#islam_contemporain, j’ai découvert que cette grille n’avait aucune pertinence et créait des amalgames. Elle est même récusée par la plupart des auteurs de la « nouvelle théologie ».
    Par exemple, Shabestani s’est interrogé sur la portée des œuvres de Muhammad Abduh (1849-1905) et Jamal Al-Din Asadabadi dit « Al-Afghani » (1838-1897). Selon lui, contrairement à Luther, qui a opéré une réforme religieuse, Abduh et Jamal Al-Din étaient des réformateurs politiques et sociaux, mais en aucun cas des réformateurs religieux. C’est la remise en cause de ce terme par Shabestari qui m’a fait comprendre qu’il se jouait quelque chose de radicalement nouveau dans les réflexions sur la « nouvelle #théologie ».
    https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2022/11/20/en-islam-les-penseurs-d-une-nouvelle-theologie-ont-entame-un-travail-de-refo

    https://archive.is/799tG

  • « Il est faux et anachronique de considérer le Coran comme antisémite », Meir M. Bar-Asher

    Si le Coran contient des passages polémiques sur les juifs, d’autres donnent une vision plus positive des « enfants d’Israël ». Cette ambivalence rend impossible une lecture univoque du texte sacré de l’islam, explique l’islamologue de confession juive Meir M. Bar-Asher, dans un entretien au « Monde ».
    Propos recueillis par Raphaël Buisson-Rozensztrauch


    A l’intérieur de la mosquée Al-Aqsa, sur le complexe connu par les musulmans comme Al-Haram Al-Sharif et par les juifs comme le mont du Temple, dans la vieille ville de Jérusalem, en 2017. AMMAR AWAD / REUTERS

    « La lutte du Hamas contre Israël a un aspect national et un aspect religieux, ce dernier étant le plus substantiel », assure l’islamologue et philosophe Meir M. Bar-Asher. Le mouvement islamiste palestinien, comme d’autres à travers le monde, puise dans certains textes fondamentaux de l’#islam, à commencer par le #Coran, pour alimenter sa haine anti-Israël, voire antijuifs. Néanmoins, selon ce professeur en études islamiques à l’Université hébraïque de Jérusalem – auteur, entre autres, de Les Juifs dans le Coran (Albin Michel, 2019) –, si le livre sacré de l’islam contient effectivement de nombreux passages ambigus à l’égard des #juifs, il recèle aussi plusieurs clés pour les dépasser.

    Comment avez-vous vécu personnellement les attaques terroristes du Hamas le 7 octobre contre Israël ?

    Le 7 octobre 2023, lorsque les événements se sont produits, j’étais à Paris. J’ai suivi les nouvelles de là-bas, et suis retourné en #Israël quelques jours plus tard. Comme tout le monde dans le pays, j’ai été terriblement choqué par l’atrocité des crimes du Hamas et je dois avouer que, bien que leur idéologie me soit très connue, je n’imaginais pas leurs membres susceptibles de commettre ce genre d’actes.

    On observe, depuis les attentats du 7 octobre et le début de la riposte israélienne à Gaza, une recrudescence des actes antisémites dans le monde entier, en France notamment. Y a-t-il une dimension religieuse à ce conflit ?

    Oui, absolument. La lutte du Hamas contre Israël a un aspect national et un aspect religieux, ce dernier étant le plus substantiel. Le Hamas considère que personne d’autre que les #musulmans n’a le droit de dominer la #Terre_sainte (« al-ard al-muqaddasa »). La terre leur a été donnée à la fois par #Dieu et par l’acte de #conquête sur les chrétiens, c’est-à-dire l’Empire byzantin, au début du VIIe siècle, peu après la mort de Muhammad [Mahomet]. Par le fait même de sa conquête, la terre est devenue un waqf, c’est-à-dire un territoire sacré.

    Les juifs, qui y ont vécu dans un passé très lointain, à l’époque biblique et jusqu’à la destruction du second temple (en l’an 70 de l’ère chrétienne), ont perdu le droit d’y revenir puisqu’ils ont rompu, selon le Coran, l’alliance que Dieu avait conclue avec eux. Ils ne peuvent vivre dans le pays qu’en tant que minorité « protégée » sous la domination de l’islam.

    Que dit le Coran concernant la relation des juifs à la Judée antique ?

    Cette terre a été promise aux juifs, comme précise le Coran : « Ô mon peuple, entrez dans la Terre sainte que Dieu vous assigne » (sourate 5 [La Table], 21). Mais Dieu les a abandonnés à cause de leurs péchés et a élu les #Arabes à leur place : « Vous êtes [les musulmans] la meilleure #communauté qui ait jamais été donnée comme exemple aux hommes » (sourate 3 [la Famille d’Imran], 110).

    Pourquoi la place des juifs dans le Coran constitue-t-elle un sujet toujours brûlant, selon vous ?

    Tout d’abord parce que ce sujet traite de deux #religions, chacune portée par un peuple, qui existent toujours. Ces deux peuples que sont les Arabes et les Juifs se sont combattus à divers niveaux, dans plusieurs moments de leurs histoires respectives. Les problématiques évoquées en 2019 dans mon ouvrage Les Juifs dans le Coran sont, pour certaines, cristallisées dans le #conflit_israélo-palestinien.

    Bien que ce conflit ne soit pas nécessairement d’ordre religieux, dans plusieurs périodes de leur histoire, des penseurs des deux côtés ont tenté de lui donner une dimension essentiellement religieuse ; ces penseurs ont dépeint la situation d’opposition entre Juifs et Arabes en utilisant une terminologie et une conceptualisation religieuses. C’est de cela qu’on hérite aujourd’hui, et qui rend la question si complexe.$

    Comment les juifs sont-ils nommés dans le Coran ?

    Divers termes sont employés, et chacune de ces dénominations se réfère à un aspect particulier des juifs. L’un des termes abondamment utilisé dans le Coran pour nommer les juifs est celui de Banû Israʼîl, que l’on peut traduire par « fils d’Israël » : il désigne les anciens Israélites, cités dans la Bible.

    Lorsque le Coran raconte des événements se rapportant au récit biblique, c’est presque toujours ce terme qui est utilisé pour désigner les ancêtres des juifs. C’est lui que l’on retrouve dans ce verset : « O fils d’Israël, n’oubliez pas la grâce dont je vous ai comblés en vous choisissant parmi toutes les nations. »

    Un autre terme, yahûd, désigne les juifs dans un sens plutôt péjoratif : ce terme est très répandu dans les #sourates_médinoises, donc les plus tardives du Coran, qui sont les plus hostiles aux juifs et aux chrétiens.

    Un troisième terme présent à plusieurs reprises est celui d’ahl-al-Kitâb, « peuple du Livre », qui désigne par moments juifs et chrétiens. Ce terme est tantôt positif, tantôt négatif : il évoque parfois le don de la Torah aux juifs, mais rappelle aussi « l’âne chargé de livres » qu’est le peuple juif ayant reçu le don de la révélation, tout en étant incapable de le porter convenablement.

    Quelles étaient les relations entre Juifs et Arabes dans l’Arabie préislamique ?

    Avant Muhammad [Mahomet], les juifs étaient établis dans la péninsule Arabique, principalement au sud – les juifs yéménites en seraient les descendants –, et dans le Hijaz, c’est-à-dire au nord-ouest de la péninsule où l’islam est né. On peut estimer que les juifs dominaient une grande partie de l’Arabie : ils s’appuyaient sur le royaume juif d’Himyar, établi dans l’actuel Yémen. Les rapports culturels et commerciaux entre Juifs et Arabes étaient intenses jusqu’à l’hégire [l’exil de Mahomet de La Mecque vers #Médine, en 622].

    Ces éléments sont importants, car ils constituent l’arrière-plan culturel auquel Muhammad est confronté en Arabie. Quelques chercheurs diraient même la chose suivante : Muhammad a choisi d’émigrer à Médine, une région fortement peuplée de juifs, car il comptait sur ces derniers pour le rejoindre autour d’une conception nouvelle du #monothéisme. Muhammad a sans doute estimé qu’il serait accepté par les juifs du Hijaz.

    On constate également la pensée politique fine du prophète de l’islam lorsqu’il envoie, vers l’an 616 de notre ère, un groupe de ses adeptes à destination du royaume chrétien d’Ethiopie, pour les mêmes raisons. La forte présence de juifs et de chrétiens en Arabie à l’époque de Muhammad explique l’omniprésence d’éléments bibliques, juifs ou chrétiens, dans plusieurs sourates du Coran.

    L’islam a-t-il hérité de pratiques issues du judaïsme ?

    Du point de vue philologique et historique, c’est certain. Au-delà des éléments bibliques, on peut déjà dire que l’islam, au même titre que le judaïsme, est une religion « légale », centrée sur la #loi et les #commandements, à l’inverse du christianisme. La #jurisprudence, le rôle de la Halakha (la loi et la jurisprudence juives) ou de la charia (la loi islamique) sont fondamentales dans ces deux religions, et des ressemblances s’ensuivent – mais ces dernières ont leur limite.

    Au début de la prédication de Muhammad, on perçoit chez lui un désir de se rapprocher des pratiques juives. Cependant, une fois passé le moment où la majorité des juifs refusent de le suivre, s’exprime un désir d’émancipation de l’islam par rapport au judaïsme et au christianisme. Ce qui est naturel : toute religion doit finir par affirmer son indépendance vis-à-vis des traditions passées dont elle hérite.
    Pour donner un exemple : au départ, la direction de la prière pour les musulmans est Jérusalem ; une fois consommé le divorce entre les juifs et les premiers musulmans, La Mecque devient la nouvelle direction pour la prière. Deux étapes apparaissent clairement : ressemblance, puis différenciation.

    Le Coran est-il « antisémite » ?

    Il est faux et anachronique de considérer le Coran ainsi, et certains le font dans un but de propagande contre l’islam. Tout d’abord, le terme « antisémitisme » fait référence à un phénomène bien ultérieur [le terme est apparu en Allemagne au XIXe siècle, il s’attaque aux juifs en tant que peuple et non en tant que pratiquants d’une religion].
    On peut considérer que, dans le Coran, certains versets peuvent servir à nourrir une pensée antisémite, à l’instar des « versets de la guerre » de la #sourate_9 [incitant au combat à mort contre les juifs, les chrétiens, les polythéistes et tous les « #mécréants » en général]. Mais dire explicitement que le Coran est un texte antisémite, c’est faux.

    Je vis d’ailleurs mal cette conception, même en tant que juif. Je lis le Coran depuis mon adolescence avec beaucoup d’intérêt, je l’ai appris avec des Arabes, je l’enseigne à l’université hébraïque de Jérusalem et dans d’autres endroits du monde depuis plus de trente ans… J’ai beaucoup de respect pour ce texte, qui m’a énormément appris et contient des passages extraordinaires.

    Il y a bien des extraits qui me gênent en tant que juif, mais comme ils gêneraient un chrétien, ou tout simplement un être humain ! On peut toutefois dire exactement la même chose de certains versets bibliques, qui sont violents et inacceptables, sans remettre en cause l’intérêt de ces Ecritures.

    Le Coran semble néanmoins donner une image paradoxale des juifs. Comment en sortir ?

    Lors d’un séminaire sur ce thème, un étudiant musulman chiite m’a dit la chose suivante : « Je pense que cela vaut la peine que les sages musulmans adaptent ou suppriment la sourate 9 du Coran [plus tardive, et donc polémique vis-à-vis des juifs et des chrétiens], pour aider à construire une autre image du judaïsme et faciliter la rencontre. Qu’en pensez-vous ? »

    Je lui ai répondu que je suis opposé à toute altération d’un texte canonisé. Des millions de personnes croient en la sainteté du Coran et en sa nature miraculeuse, on ne doit donc rien y changer. Ce qu’on peut changer, en revanche, c’est notre attitude face au texte.

    Le fait qu’il y ait une ambivalence du texte coranique sur ce sujet est, à mes yeux, une clé vers la solution. Le Coran s’exprime de diverses manières sur les juifs, les #chrétiens, et sur bien d’autres sujets aussi. Pour comprendre ces apparentes contradictions, il faut les ramener à leur contexte initial : les polémiques contre les juifs sont à replacer dans le contexte de la prédication de Muhammad dans une région donnée, durant une époque donnée, et ne doivent pas être considérées comme une généralisation sur les juifs. Le fait que le Coran semble paradoxal et contradictoire constitue, en vérité, un remède au littéralisme.

    Quels arguments peut-on opposer, à partir du Coran, à la haine antijuive et à la justification de violences contre les juifs ?

    Tous les stéréotypes et accusations que le Coran adresse aux juifs sont continuellement invoqués pour délégitimer les juifs et leur religion : l’accusation qu’ils ont tué des prophètes, qu’ils ont rompu l’alliance que Dieu avait conclue avec eux, qu’ils ont falsifié les Ecritures divines qui leur ont été révélées, et bien d’autres accusations. Pour autant, dans certains versets du Coran, Dieu répand aussi ses louanges sur les enfants d’Israël.
    Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Meir Bar-Asher : « Quelques versets du Coran peuvent créer une ambiance pacifique et d’autres un climat terrible »

    Ces louanges se répartissent en trois catégories :

    – la vision des enfants d’Israël comme peuple élu ;

    – la sortie d’Egypte et l’arrivée en Terre promise ;

    – l’Alliance et le don de la Torah, vue comme une source qui confirme l’islam.

    L’idée de l’élection d’Israël revient souvent dans le Coran. Tantôt cela concerne le peuple tout entier, tantôt seulement quelques personnalités ou quelques familles comme celle d’Abraham, de ‘Imrân (c’est-à-dire ‘Amram, père d’Aaron, de Moïse et de Myriam dans la Bible) ou encore certains prophètes.

    Dans certains versets coraniques, l’idée d’élection se dégage par elle-même de la grâce de Dieu envers Israël et des nombreux bienfaits que Dieu répand sur eux : « Nous avons donné aux fils d’Israël le Livre (al-kitâb), la Sagesse (al-hukm) et la Prophétie (al-nubuwwa). Nous les avons pourvus d’excellentes nourritures. Nous les avons élevés au-dessus des mondes » (45, 16). Ou encore dans un autre verset : « O mon peuple ! Souvenez-vous de la grâce de Dieu à votre égard, quand il a suscité parmi vous des prophètes ; quand il a suscité pour vous des rois ! Il vous a accordé ce qu’il n’avait donné à nul autre parmi les mondes » (5, 20).

    Aucun texte, a fortiori un texte religieux souvent difficile comme le Coran, ne se donne à lire de manière absolue, et le sens qu’on en retire dépend beaucoup du contexte que l’on prête à ces versets.

    Certaines phrases à fort potentiel polémique lorsqu’elles sont prises isolément se voient ainsi « neutralisées » quand elles sont ramenées à un contexte historique précis ; à l’inverse, des versets dont l’interprétation traditionnelle a toujours cherché à éclaircir le contexte deviennent « explosifs » quand ils sont sciemment décontextualisés pour être brandis contre les juifs et les chrétiens d’aujourd’hui.

    Raphaël Buisson-Rozensztrauch
    https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2023/11/26/pourquoi-il-est-faux-et-anachronique-de-considerer-le-coran-comme-antisemite

  • Conflit israélo-palestinien : une #chape_de_plomb s’est abattue sur l’université française

    Depuis les attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, le milieu de la #recherche, en particulier les spécialistes du Proche-Orient, dénonce un climat de « #chasse_aux_sorcières » entretenu par le gouvernement pour toute parole jugée propalestinienne.

    « #Climat_de_peur », « chasse aux sorcières », « délation » : depuis les attaques du Hamas contre Israël, le 7 octobre dernier, et le déclenchement de l’offensive israélienne sur #Gaza, le malaise est palpable dans une partie de la #communauté_scientifique française, percutée par le conflit israélo-palestinien.

    Un #débat_scientifique serein, à distance des agendas politiques et de la position du gouvernement, est-il encore possible ? Certains chercheurs et chercheuses interrogés ces derniers jours en doutent fortement.

    Dans une tribune publiée sur Mediapart (https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/151123/defendre-les-libertes-dexpression-sur-la-palestine-un-enjeu-academiq), 1 400 universitaires, pour beaucoup « spécialistes des sociétés du Moyen-Orient et des mondes arabes », ont interpellé leurs tutelles et collègues « face aux faits graves de #censure et de #répression […] dans l’#espace_public français depuis les événements dramatiques du 7 octobre ».

    Ils et elles assurent subir au sein de leurs universités « des #intimidations, qui se manifestent par l’annulation d’événements scientifiques, ainsi que des entraves à l’expression d’une pensée académique libre ».

    Deux jours après l’attaque du Hamas, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, #Sylvie_Retailleau, avait adressé un courrier de mise en garde aux présidents d’université et directeurs d’instituts de recherche.

    Elle y expliquait que, dans un contexte où la France avait « exprimé sa très ferme condamnation ainsi que sa pleine solidarité envers Israël et les Israéliens » après les attaques terroristes du 7 octobre, son ministère avait constaté « de la part d’associations, de collectifs, parfois d’acteurs de nos établissements, des actions et des propos d’une particulière indécence ».

    La ministre leur demandait de « prendre toutes les mesures nécessaires afin de veiller au respect de la loi et des principes républicains » et appelait également à signaler aux procureurs « l’#apologie_du_terrorisme, l’#incitation_à_la_haine, à la violence et à la discrimination ».

    Un message relayé en cascade aux différents niveaux hiérarchiques du CNRS, jusqu’aux unités de recherche, qui ont reçu un courrier le 12 octobre leur indiquant que l’« expression politique, la proclamation d’opinion » ne devaient pas « troubler les conditions normales de travail au sein d’un laboratoire ».

    Censure et #autocensure

    Le ton a été jugé menaçant par nombre de chercheurs et chercheuses puisque étaient évoquées, une fois de plus, la possibilité de « #poursuites_disciplinaires » et la demande faite aux agents de « signaler » tout écart.

    Autant de missives que des universitaires ont interprétées comme un appel à la délation et qu’ils jugent aujourd’hui responsables du « #climat_maccarthyste » qui règne depuis plusieurs semaines sur les campus et dans les laboratoires, où censure et autocensure sont de mise.

    Au point que bon nombre se retiennent de partager leurs analyses et d’exprimer publiquement leur point de vue sur la situation au Proche-Orient. Symbole de la chape de plomb qui pèse sur le monde académique, la plupart de celles et ceux qui ont accepté de répondre à nos questions ont requis l’anonymat.

    « Cela fait plus de vingt ans que j’interviens dans le #débat_public sur le sujet et c’est la première fois que je me suis autocensurée par peur d’accusations éventuelles », nous confie notamment une chercheuse familière des colonnes des grands journaux nationaux. Une autre décrit « des échanges hyper violents » dans les boucles de mails entre collègues universitaires, empêchant tout débat apaisé et serein. « Même dans les laboratoires et collectifs de travail, tout le monde évite d’évoquer le sujet », ajoute-t-elle.

    « Toute prise de parole qui ne commencerait pas par une dénonciation du caractère terroriste du Hamas et la condamnation de leurs actes est suspecte », ajoute une chercheuse signataire de la tribune des 1 400.

    Au yeux de certains, la qualité des débats universitaires se serait tellement dégradée que la production de connaissance et la capacité de la recherche à éclairer la situation au Proche-Orient s’en trouvent aujourd’hui menacées.

    « La plupart des médias et des responsables politiques sont pris dans un #hyperprésentisme qui fait commencer l’histoire le 7 octobre 2023 et dans une #émotion qui ne considère légitime que la dénonciation, regrette Didier Fassin, anthropologue, professeur au Collège de France, qui n’accepte de s’exprimer sur le sujet que par écrit. Dans ces conditions, toute perspective réellement historique, d’une part, et tout effort pour faire comprendre, d’autre part, se heurtent à la #suspicion. »

    En s’autocensurant, et en refusant de s’exprimer dans les médias, les spécialistes reconnus du Proche-Orient savent pourtant qu’ils laissent le champ libre à ceux qui ne craignent pas les approximations ou les jugements à l’emporte-pièce.

    « C’est très compliqué, les chercheurs établis sont paralysés et s’interdisent de répondre à la presse par crainte d’être renvoyés à des prises de position politiques. Du coup, on laisse les autres parler, ceux qui ne sont pas spécialistes, rapporte un chercheur lui aussi spécialiste du Proche-Orient, qui compte parmi les initiateurs de la pétition. Quant aux jeunes doctorants, au statut précaire, ils s’empêchent complètement d’évoquer le sujet, même en cours. »

    Stéphanie Latte Abdallah, historienne spécialiste de la Palestine, directrice de recherche au CNRS, a été sollicitée par de nombreux médias ces dernières semaines. Au lendemain des attaques du Hamas, elle fait face sur certains plateaux télé à une ambiance électrique, peu propice à la nuance, comme sur Public Sénat, où elle se trouve sous un feu de questions indignées des journalistes, ne comprenant pas qu’elle fasse une distinction entre l’organisation de Daech et celle du Hamas…

    Mises en cause sur les #réseaux_sociaux

    À l’occasion d’un des passages télé de Stéphanie Latte Abdallah, la chercheuse Florence Bergeaud-Blackler, membre du CNRS comme elle, l’a désignée sur le réseau X, où elle est très active, comme membre d’une école de pensée « antisioniste sous couvert de recherche scientifique », allant jusqu’à dénoncer sa « fausse neutralité, vraie détestation d’Israël et des juifs ».

    S’est ensuivi un déluge de propos haineux à connotation souvent raciste, « des commentaires parfois centrés sur mon nom et les projections biographiques qu’ils pouvaient faire à partir de celui-ci », détaille Stéphanie Latte Abdallah, qui considère avoir été « insultée et mise en danger ».

    « Je travaille au Proche-Orient. Cette accusation qui ne se base sur aucun propos particulier, et pour cause (!), est choquante venant d’une collègue qui n’a de plus aucune expertise sur la question israélo-palestinienne et aucune idée de la situation sur le terrain, comme beaucoup de commentateurs, d’ailleurs », précise-t-elle.

    Selon nos informations, un courrier de rappel à l’ordre a été envoyé par la direction du CNRS à Florence Bergeaud-Blackler, coutumière de ce type d’accusations à l’égard de ses collègues via les réseaux sociaux. La direction du CNRS n’a pas souhaité confirmer.

    Commission disciplinaire

    À l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), après la diffusion le 8 octobre d’un communiqué de la section syndicale Solidaires étudiant·e·s qui se prononçait pour un « soutien indéfectible à la lutte du peuple palestinien dans toutes ses modalités et formes de lutte, y compris la lutte armée », la direction a effectué un signalement à la plateforme Pharos, qui traite les contenus illicites en ligne.

    Selon nos informations, une chercheuse du CNRS qui a relayé ce communiqué sur une liste de discussion interne, en y apportant dans un premier temps son soutien, est aujourd’hui sous le coup d’une procédure disciplinaire. Le fait qu’elle ait condamné les massacres de civils dans deux messages suivants et pris ses distances avec le communiqué de Solidaires étudiant·e·s n’y a rien fait. Une « commission paritaire » – disciplinaire en réalité – sur son cas est d’ores et déjà programmée.

    « Il s’agit d’une liste intitulée “opinions” où l’on débat habituellement de beaucoup de sujets politiques de façon très libre », nous précise un chercheur qui déplore le climat de suspicion généralisée qui s’est installé depuis quelques semaines.

    D’autres rappellent l’importance de la chronologie puisque, le 8 octobre, l’ampleur des crimes contre les civils perpétrés par le Hamas n’était pas connue. Elle le sera dès le lendemain, à mesure que l’armée israélienne reprend le contrôle des localités attaquées.

    Autre cas emblématique du climat inhabituellement agité qui secoue le monde universitaire ces derniers jours, celui d’un enseignant-chercheur spécialiste du Moyen-Orient dénoncé par une collègue pour une publication postée sur sa page Facebook privée. Au matin du 7 octobre, Nourdine* (prénom d’emprunt) poste sur son compte une photo de parapentes de loisir multicolores, assortie de trois drapeaux palestiniens et trois émoticônes de poing levé. Il modifie aussi sa photo de couverture avec une illustration de Handala, personnage fictif et icône de la résistance palestinienne, pilotant un parapente.

    À mesure que la presse internationale se fait l’écho des massacres de civils israéliens auxquels ont servi des ULM, que les combattants du Hamas ont utilisés pour franchir la barrière qui encercle la bande de Gaza et la sépare d’Israël, le chercheur prend conscience que son post Facebook risque de passer pour une célébration sordide des crimes du Hamas. Il le supprime moins de vingt-quatre heures après sa publication. « Au moment où je fais ce post, on n’avait pas encore la connaissance de l’étendue des horreurs commises par le Hamas, se défend-il. Si c’était à refaire, évidemment que je n’aurais pas publié ça, j’ai été pétri de culpabilité. »

    Trop tard pour les regrets. Quatre jours après la suppression de la publication, la direction du CNRS, dont il est membre, est destinataire d’un mail de dénonciation. Rédigé par l’une de ses consœurs, le courrier relate le contenu du post Facebook, joint deux captures d’écran du compte privé de Nourdine et dénonce un « soutien enthousiaste à un massacre de masse de civils ».

    Elle conclut son mail en réclamant « une réaction qui soit à la mesure de ces actes et des conséquences qu’ils emportent », évoquant des faits pouvant relever de « l’apologie du terrorisme » et susceptibles d’entacher la réputation du CNRS.

    On est habitués à passer sur le gril de l’islamo-gauchisme et aux attaques extérieures, mais pas aux dénonciations des collègues.

    Nourdine, chercheur

    Lucide sur la gravité des accusations portées à son égard, Nourdine se dit « démoli ». Son état de santé préoccupe la médecine du travail, qui le met en arrêt et lui prescrit des anxiolytiques. Finalement, la direction de l’université où il enseigne décide de ne prendre aucune sanction contre lui.

    Également directeur adjoint d’un groupe de recherche rattaché au CNRS, il est néanmoins pressé par sa hiérarchie de se mettre en retrait de ses fonctions, ce qu’il accepte. Certaines sources universitaires affirment que le CNRS avait lui-même été mis sous pression par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche pour sanctionner Nourdine.

    Le chercheur regrette des « pratiques vichyssoises » et inédites dans le monde universitaire, habitué aux discussions ouvertes même lorsque les débats sont vifs et les désaccords profonds. « Des collègues interloqués par mon post m’ont écrit pour me demander des explications. On en a discuté et je me suis expliqué. Mais la collègue qui a rédigé la lettre de délation n’a prévenu personne, n’a pas cherché d’explications auprès de moi. Ce qui lui importait, c’était que je sois sanctionné », tranche Nourdine. « On est habitués à passer sur le gril de l’#islamo-gauchisme et aux #attaques extérieures, mais pas aux dénonciations des collègues », finit-il par lâcher, amer.

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    Sciences Po en butte aux tensions

    Ce mardi 21 novembre, une manifestation des étudiants de Sciences Po en soutien à la cause palestinienne a été organisée rue Saint-Guillaume. Il s’agissait aussi de dénoncer la « censure » que subiraient les étudiants ayant trop bruyamment soutenu la cause palestinienne.

    Comme l’a raconté L’Obs, Sciences Po est confronté à de fortes tensions entre étudiants depuis les attaques du Hamas du 7 octobre. Le campus de Menton, spécialisé sur le Proche-Orient, est particulièrement en ébullition.

    Une boucle WhatsApp des « Students for Justice in Palestine », créée par un petit groupe d’étudiants, est notamment en cause. L’offensive du Hamas y a notamment été qualifiée de « résistance justifiée » et certains messages ont été dénoncés comme ayant des relents antisémites. Selon l’hebdomadaire, plusieurs étudiants juifs ont ainsi dit leur malaise à venir sur le campus ces derniers jours, tant le climat y était tendu. La direction a donc convoqué un certain nombre d’étudiants pour les rappeler à l’ordre.

    Lors d’un blocus sur le site de Menton, 66 étudiants ont été verbalisés pour participation à une manifestation interdite.

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    En dehors des cas particuliers précités, nombre d’universitaires interrogés estiment que le climat actuel démontre que le #monde_académique n’a pas su résister aux coups de boutoir politiques.

    « Ce n’est pas la première fois qu’une telle situation se produit », retrace Didier Fassin. « On l’avait vu, sous la présidence actuelle, avec les accusations d’islamo-gauchisme contre les chercheuses et chercheurs travaillant sur les discriminations raciales ou religieuses. On l’avait vu, sous les deux présidences précédentes, avec l’idée qu’expliquer c’est déjà vouloir excuser », rappelle-t-il en référence aux propos de Manuel Valls, premier ministre durant le quinquennat Hollande, qui déclarait au sujet de l’analyse sociale et culturelle de la violence terroriste : « Expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. »

    « Il n’en reste pas moins que pour un certain nombre d’entre nous, nous continuons à essayer de nous exprimer, à la fois parce que nous croyons que la démocratie de la pensée doit être défendue et surtout parce que la situation est aujourd’hui trop grave dans les territoires palestiniens pour que le silence nous semble tolérable », affirme Didier Fassin.

    Contactée, la direction du #CNRS nous a répondu qu’elle ne souhaitait pas s’exprimer sur les cas particuliers. « Il n’y a pas à notre connaissance de climat de délation ou des faits graves de censure. Le CNRS reste très attaché à la liberté académique des scientifiques qu’il défend depuis toujours », nous a-t-elle assuré.

    Une répression qui touche aussi les syndicats

    À la fac, les syndicats sont aussi l’objet du soupçon, au point parfois d’écoper de sanctions. Le 20 octobre, la section CGT de l’université Savoie-Mont-Blanc (USMB) apprend sa suspension à titre conservatoire de la liste de diffusion mail des personnels, par décision du président de l’établissement, Philippe Galez. En cause : l’envoi d’un message relayant un appel à manifester devant la préfecture de Savoie afin de réclamer un cessez-le-feu au Proche-Orient et dénonçant notamment « la dérive ultra-sécuritaire de droite et d’extrême droite en Israël et la politique de nettoyage ethnique menée contre les Palestiniens ».

    La présidence de l’université, justifiant sa décision, estime que le contenu de ce message « dépasse largement le cadre de l’exercice syndical » et brandit un « risque de trouble au bon fonctionnement de l’établissement ». La manifestation concernée avait par ailleurs été interdite par la préfecture, qui invoquait notamment dans son arrêté la présence dans un rassemblement précédent « de nombreux membres issus de la communauté musulmane et d’individus liés à l’extrême gauche et ultragauche ».

    La section CGT de l’USMB n’a pas tardé à répliquer par l’envoi à la ministre Sylvie Retailleau d’un courrier, depuis resté lettre morte, dénonçant « une atteinte aux libertés syndicales ». La lettre invite par ailleurs le président de l’établissement à se plier aux consignes du ministère et à effectuer un signalement au procureur, s’il estimait que « [le] syndicat aurait “troublé le bon fonctionnement de l’établissement” ». Si ce n’est pas le cas, « la répression syndicale qui s’abat sur la CGT doit cesser immédiatement », tranche le courrier.

    « Cette suspension vient frontalement heurter la #liberté_universitaire, s’indigne Guillaume Defrance, secrétaire de la section CGT de l’USMB. C’est la fin d’un fonctionnement, si on ne peut plus discuter de manière apaisée. »

    Le syndicat dénonce également l’attitude de Philippe Galez, qui « veut désormais réguler l’information syndicale à l’USMB à l’aune de son jugement ». Peu de temps après l’annonce de la suspension de la CGT, Philippe Galez a soumis à l’ensemble des organisations syndicales un nouveau règlement relatif à l’utilisation des listes de diffusion mail. Le texte limite l’expression syndicale à la diffusion « d’informations d’origine syndicale ou à des fins de communication électorale ». Contacté par nos soins, le président de l’USMB nous a indiqué réserver dans un premier temps ses « réponses et explications aux organisations syndicales et aux personnels de [son] établissement ».

    Interrogé par Mediapart, le cabinet de Sylvie Retailleau répond que le ministère reste « attaché à la #liberté_d’expression et notamment aux libertés académiques : on ne juge pas des opinions. Il y a simplement des propos qui sont contraires à la loi ».

    Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche fait état de « quelques dizaines de cas remontés au ministère ». Il reconnaît que des événements ont pu être annulés pour ne pas créer de #trouble_à_l’ordre_public dans le climat actuel. « Ils pourront avoir lieu plus tard, quand le climat sera plus serein », assure l’entourage de la ministre.

    https://www.mediapart.fr/journal/france/211123/conflit-israelo-palestinien-une-chape-de-plomb-s-est-abattue-sur-l-univers
    #université #Israël #Palestine #France #7_octobre_2023 #délation #ESR

  • Départs massifs des jeunes : le message poignant de Serigne Djily Abdou Fatah Mbacké
    https://www.dakaractu.com/Departs-massifs-des-jeunes-le-message-poignant-de-Serigne-Djily-Abdou-Fat

    Départs massifs des jeunes : le message poignant de Serigne Djily Abdou Fatah Mbacké
    Dans un contexte marqué par une influence grandissante de départs vers l’extérieur chez les jeunes avec son lot de drames, des personnalités ne cessent d’élever la voix pour les amener à se ressaisir. C’est le cas du religieux Serigne Djily Abdou Fatah Mbacké qui a profité de la journée qu’il a initiée en mémoire de Serigne Fallou Mbacké tenue ce 18 novembre au Cices pour prodiguer des conseils aux jeunes.« Ce que la personne doit avoir dans sa vie, Allah l’a déjà décidé depuis sa naissance que la personne soit dans son pays ou ailleurs. Ce n’est pas le voyage qui permet à la personne de réussir (…) Les jeunes doivent s’assurer eux-mêmes leur avenir et ne pas dépendre de l’État pour le faire à leur place », a déclaré le guide religieux.

    #Covid-19#migrant#migration#senegal#jeunesse#emigration#migrationirreguliere#guidereligieux#islam#sante#reussite

  • L’auteur du listing des 600 islamogauchistes définitivement condamné en appel
    https://academia.hypotheses.org/52886

    Academia salue la première décision définitive condamnant pour diffamation Philippe Boyer, auteur d’un site recensant plus de 1000 universitaires comme “islamogauchistes”.#ResistESR COUR D’APPEL DE PAPEETE CHAMBRE DES APPELS CORRECTIONNELS Prononcé publiquement le jeudi 5 octobre 2023, par la chambre statuant … Continuer la lecture →

    ##ResistESR #Libertés_académiques_:_pour_une_université_émancipatrice #extrême-droite #islamophobie #Université_de_Polynésie_française

  • Un Etat unique israélo-palestinien est-il une solution viable ? Elie Beressi répond à Rima Hassan
    https://www.lexpress.fr/idees-et-debats/un-etat-unique-israelo-palestinien-est-il-une-solution-viable-elie-beressi-
    https://archive.ph/NAgI0

    Selon l’analyste politique franco-israélien, pour préparer « l’après » de la guerre, il faut se garder d’une lecture fallacieuse de l’histoire d’Israël qui y voit un Etat colonial.

    Depuis le 7 octobre 2023, les événements ont remis la confrontation israélo-palestinienne au cœur de l’attention du public international. Rapidement, les prises de position des uns et des autres au cours de la succession des controverses ont permis de distinguer une ligne de démarcation entre d’une part les critiques de la politique israélienne et d’autre part les opposants à l’existence d’une politique israélienne, quelle qu’elle soit.
    Cette opposition se décline selon deux modalités. La première est celle de l’éradication du fait juif en ex-Palestine mandataire. Il n’y a pas lieu d’en discuter ici en détail. L’idée consisterait à refouler la population israélienne vers l’Europe et les États-Unis d’où elle serait au fond originaire, ou, à mi-chemin, de la noyer dans la Méditerranée. La justification – que cette population soit un amas de colons ou simplement des juifs – importe ici assez peu. Le sort fait aux civils israéliens lors de l’opération « Déluge d’el-Aqsa » menée le 7 octobre conjointement par plusieurs factions armées palestiniennes résume assez bien les perspectives attendues de cette modalité.

    La seconde modalité est celle de la réconciliation : un État démocratique laïc, unitaire ou confédéral, où les Israéliens, la population juive installée consécutivement au projet sioniste, bénéficieraient de droits civiques, d’une autonomie communale et de garanties constitutionnelles égales à celle de la population palestinienne. A priori, le refus israélien de la réconciliation sur la base de l’égalité, n’est pas compréhensible autrement que par une méchanceté raciste congénitale que beaucoup n’hésitent pas à postuler.
    Pour comprendre cette perspective, il faut la replacer dans le contexte historique de l’édification d’Israël en tant qu’Etat ethno-confessionnel juif ainsi que dans le contexte régional d’édification des États arabes et de leurs politiques d’homogénéisation ethno-religieuses.
    L’impasse de la solution minoritaire
    Promouvoir une solution qui renverrait le groupe juif à une solution minoritaire ferait fi et de l’histoire juive en diaspora et de l’histoire régionale de l’ancienne aire ottomane (pour ne rien dire de l’Europe centrale et orientale). C’est précisément ce que fait Madame Rima Hassan, franco-palestinienne, présidente et fondatrice de l’ONG « L’observatoire des camps de réfugiés » lorsqu’elle déclare dans un entretien pour le quotidien L’Humanité en date du 6 novembre 2023 : « La seule solution viable est un État binational démocratique et laïc » et dans une publication sur son compte X (anciennement Twitter) : « Quand je dis qu’il y a un Etat d’apartheid, réponse : non il y’a [sic] 20 % de Palestiniens en Israël et ça se passe super bien. Quand je dis dans ce cas Etat binational seul le fait d’avoir des intérêts communs pourra nous unir : non hors de question ça ne peut pas bien se passer. Roh. Les intérêts communs : la sécurité pour tous les Israéliens, la liberté et le droit à l’autodétermination pour tous les Palestiniens. Il faut sortir de la peur d’être minoritaire, la garantie de sécurité n’est pas dans le rapport démographique elle est dans l’égalité de droit. On ne peut pas faire perdurer cette injustice du non-retour des Palestiniens au nom de cette logique démographique ça reste une injustice que vivent dans leur chair tous les réfugiés palestiniens et surtout elle entache le droit à l’autodétermination car elle exclut des millions de Palestiniens. »
    Les arguments de Rima Hassan, s’ils mettent en avant comme de juste les souffrances et les revendications palestiniennes, reposent sur une lecture unilatérale et tronquée de la confrontation arabo-sioniste en ex-Palestine mandataire, qu’elle revendique d’ailleurs de manière péremptoire ("Mon propos n’est pas de m’opposer à l’idée d’un foyer juif au Moyen-Orient mais de critiquer les moyens utilisés par le sionisme et les répercussions qu’elles ont eues sur nous. Je dirais même que les désirs nationaux juifs ne me concernent pas. Je n’ai rien à dire, en soi, à ce sujet. Mon point, ce sont les sacrifices endurés par le peuple palestinien pour que vive la doctrine sioniste."). La comparaison avec la minorité arabe palestinienne qu’elle opère est trompeuse, nous y reviendrons.
    Un « État binational démocratique et laïc » ne serait en réalité pas viable pour les juifs, compte tenu de l’expérience juive en diaspora et des expériences comparables d’autres minorités ethno-confessionnelles dans l’ancienne aire de domination ottomane. Le sionisme, justement, c’est avant tout une réaction politique à la condition juive minoritaire en diaspora et que Vladimir Ze’ev Jabotinsky, représentant de la voie révisionniste du sionisme, qualifiait de « xénophobie de la vie elle-même » dans son audition auprès des autorités britanniques en 1937.
    Un État commun, à majorité arabe car incluant le retour des descendants de réfugiés arabes palestiniens ayant été évincés du territoire israélien lors de la guerre de 1947-1949 en ex-Palestine mandataire, renverrait les juifs à leur situation minoritaire antérieure à celle-ci, ce qui ne saurait garantir ni leur sécurité ni la non-aliénation propre à la condition diasporique. Pire encore, aucune donnée empirique, sur le plan historique et comparatif, ne permet de penser qu’un tel État serait viable.
    En effet, la plupart des États binationaux ou multinationaux en Europe et au Moyen-Orient ont soit maintenu leur intégrité via une gouvernance autoritaire (la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie sous régime communiste à parti unique) et n’ont pas survécu à leur transition démocratique (la Tchécoslovaquie a connu une partition pacifique tandis que la Yougoslavie s’est effondrée dans une succession de guerres ethniques), soit ont bénéficié d’un contexte régional spécifique adossé à un développement institutionnel historiquement non reproductible dans le cas israélo-palestinien. La Suisse et la Belgique représentent des exemples d’États plurinationaux dont la viabilité dépend de l’existence d’États nationaux adjacents et de leur développement démocratique endogène.

    Dans l’aire régionale de l’ancien Empire ottoman, aucun État n’a réussi à conjuguer une gouvernance démocratique, une sécularisation et une population pluri-ethnique : l’issue a toujours été le génocide des minorités ou la guerre civile entre groupes communautaires aux forces comparables. La mémoire historique de l’État d’Israël qui surdétermine sa politique actuelle prend en compte et l’histoire juive en diaspora, et l’histoire régionale et internationale. Les dirigeants sionistes, dans l’orientation de leur politique, ont été contraints à la fois par l’évolution des relations communautaires judéo-arabes en ex-Palestine mandataire et par les développements internationaux contemporains relatifs à des relations entre groupes ethniques et nationaux dans le reste du monde.
    Leur politique prenait en compte la condition juive en Europe et les déplacements forcés de population en Europe, au Moyen-Orient et dans le sous-continent indien entre 1917 et 1947, ainsi que le sort des minorités ethniques et confessionnelles dans les États du Proche-Orient qui pouvait offrir un exemple de ce qui attendait potentiellement les juifs de Palestine dans une situation minoritaire similaire : le génocide de près de deux millions d’Arméniens, Grecs et Assyriens par les régimes ottoman et kémaliste en Turquie entre 1894 et 1924 ; le massacre de la minorité assyrienne par le régime hachémite irakien en 1933 et le farhud (pogrom) contre la minorité juive de Bagdad par des putschistes pro-nazis en 1941 ; plus récemment, le génocide commis par le régime ba’athiste (toujours en Irak) contre sa minorité kurde en 1988, enfin, la situation délicate des maronites libanais mis en minorité qui conduisit à une guerre civile et à une émigration de masse. La solution à de telles violences inter-communautaires et à la vulnérabilité des minorités a presque toujours été le transfert de populations et la partition territoriale par souci « humanitaire ».

    L’analogie trompeuse de la colonisation européenne

    Puisque beaucoup a été écrit sur le « contexte » du 7 octobre et la dimension réactive de la violence des factions armées palestiniennes, on ne devrait pas juger inapproprié de penser le « contexte » et la dimension réactive de la violence sioniste, étant entendu que l’analyse ne justifie pas sur le plan moral le choix du recours à la violence collective organisée.
    Le sionisme a été tantôt classé comme un ethno-nationalisme comparable aux séparatismes ethniques est-européens et balkaniques, tantôt comme un colonialisme de peuplement comparable aux colonialismes de peuplements européens aux Amériques, en Océanie et surtout en Afrique (avec une insistance sur les cas algérien et sud-africain). Plusieurs arguments en faveur de cette conception existent : l’imaginaire colonial des fondateurs du sionisme politique, « l’esprit pionnier des immigrants sionistes », la relation de violence aux populations locales, notamment dans le conflit sur les régimes fonciers et salariaux, qui culmine dans la guerre de 1947-1949 et la Nakba ("catastrophe" en arabe), qui voient 750 000 Palestiniens déracinés hors de leurs terres, auquel succède la loi israélienne « des absents » de mars 1950, qui entérine leur exil.
    Néanmoins, si on tient à une analyse comparative du sionisme dans le cadre de l’expansion coloniale européenne, l’analogie entre le projet de colonisation sioniste de la Palestine et les cas algérien, rhodésien et sud-africain semble inopérante : les juifs appartenaient à un groupe racialisé subalterne, ils n’ont pas bénéficié – ni pendant la période ottomane ni pendant la période mandataire – d’un régime de supériorité légale sur les populations préétablies avant l’indépendance. Plus encore, définir une métropole pour les immigrants sionistes est l’objet de débats complexes qu’on ne peut trancher au détour d’une phrase (l’objectif sioniste étant plutôt de « reconstituer » une métropole juive). Dans le cadre de l’analogie coloniale, ce ne sont pas les colonies « blanches » qui offrent les similarités les plus instructives, mais les « colonies de rapatriement » d’affranchis afro-américains dans l’ouest africain.

    Mais cette analyse néglige néanmoins plusieurs éléments. L’histoire des populations de la région ne permet pas de tracer une dichotomie entre colonisateurs et indigènes aussi nette que dans les cas des colonies d’affranchis. S’il y a bien, à partir de l’indépendance israélienne, et surtout à partir de 1967 dans les territoires occupés, un groupe colonisateur et un groupe colonisé, ces deux groupes peuvent être également qualifiés d’autochtones et d’immigrants pour peu que l’on se place dans leur rapport à ce territoire sur le temps long.
    En effet, au cours du long XIXe siècle, l’Empire ottoman a pratiqué une politique de recolonisation de ses marges par des réfugiés musulmans originaires de territoires conquis par les puissances européennes. L’immigration juive proto-sioniste et sioniste s’inscrit dans la phase tardive de ce mouvement de réfugiés vers l’Empire ottoman mais en diverge en ce que là où les réfugiés musulmans viennent renforcer un ordre impérial ottoman fondé sur la suprématie musulmane, les réfugiés juifs viennent subvertir cet ordre en introduisant une question nationale de plus dans un Empire miné par les séparatismes ethno-confessionnels réels ou supposés.

    Nous ne sommes ainsi pas dans une opposition entre colons sans racines qui se seraient greffés ex nihilo sur une terre où ils étaient exogènes et indigènes enracinés de tout temps. Il s’agit en effet plutôt d’un antagonisme entre deux groupes mêlant des arrivées récentes et un lien historique ancien au territoire revendiqué : les groupes juifs et arabes se rattachent tous les deux à un peuplement continu sur ce territoire depuis l’Antiquité, mais nourris de flux de migrations qui ont connu une forte accélération au cours du XIXe siècle, avec une forte vague migratoire musulmane (qui s’assimile à l’arabité locale) au début de ce siècle et une forte vague migratoire juive à la fin de celui-ci et au début du XXe siècle (qui est perçue comme étrangère).
    La différence est ici dans les coordonnées politiques de ces immigrations : l’immigration musulmane n’a pas de projet politique propre (elle repose sur les acquis de la conquête musulmane) et est utilisée par les autorités impériales contemporaines (égyptienne et ottomane) pour maintenir un ordre démo-politique confessionnel préexistant, là où l’immigration juive est motivée idéologiquement à opérer une bascule révolutionnaire de cet ordre démo-politique en faveur des juifs.
    Les termes « colons » et « indigènes » sont des signifiants qui disent aussi le degré d’identification du groupe immigrant à la terre et aux populations locales, autant que le déni appliqué aux juifs quant à leur droit à s’identifier à cette existence régionale, nonobstant le fait que la culture juive est entièrement « située » dans le cadre géographique d’Eretz Israël ("le pays d’Israël"). Pour parler en termes marxisants, les populations juives ont continuellement vécu, durant les dix-huit siècles de diaspora, dans l’infrastructure de leurs sociétés et territoires d’accueil mais avec une superstructure culturelle dont les coordonnées étaient celles de leur ancien territoire des époques bibliques et talmudiques. Ici, le rapport à la littérature biblique doit être envisagé avec précaution par ceux qui ne partagent pas une culture hébraïque : il est fondamentalement différent entre juifs et chrétiens.

    Pour le groupe juif, la bible hébraïque (c’est-à-dire le Tanakh, acronyme de Torah (Pentateuque), Nevi’im (écrits prophétiques) et Ketuvim (autres écrits)) et son commentaire talmudique servent de patrie portative, qui contient la mnesis et le nomos d’un territoire perdu et qui lui sera restitué d’une manière ou d’une autre, tôt ou tard. Pour les chrétiens, la Bible, avec son second testament, est une vague mythologie déterritorialisée ("Mon royaume n’est pas de ce monde", Jean, 18:36) dont la valeur tient à ses vérités théologiques et morales.
    La revendication politique du sionisme comme continuité culturelle
    De fait, appréhender la revendication biblique juive sur Eretz Israël avec les lunettes du christianisme, c’est faire un contresens majeur, car c’est penser que la revendication politique du sionisme repose sur un article de foi, alors qu’elle repose sur une continuité culturelle qui le définit et l’aliène vis-à-vis du monde non-juif et le rattache à un territoire précis qui surdétermine ce territoire en tant que lieu nécessaire de la réalisation de l’auto-émancipation juive. Le refus de l’argument biblique n’est pas qu’un simple refus de l’argument religieux dans un débat politique. C’est, en fait, nier aux juifs le droit de mobiliser leur culture et leur histoire qui les rattachent à ce territoire.
    Pour les juifs, et c’est sur cet affect axiomatique que repose le mouvement sioniste, Eretz Israël est moins la « Terre sainte » (expression d’abord chrétienne que l’on retrouvera beaucoup dans les discours de la puissance coloniale britannique) qu’Eretz Avotenu ("le pays de nos aïeux"). La négation du lien juif à la terre devient alors en grande partie une négation du fait juif lui-même. Ce déni est le pendant de la négation sioniste de l’histoire arabe dans le cadre de ce même territoire sous un autre toponyme, avec un rapport très similaire au territoire national aliéné qui se déploie à la fois sur le registre de la révélation ("terre des prophètes") et de la filiation ("terre des ancêtres").
    Si les dynamiques d’immigration et d’indigénisation, dans le contexte de l’Empire ottoman tardif et du Proche-Orient mandataire, ne suffisent pas à assurer la qualification du sionisme comme colonialisme sans faire perdre à celui-ci une définition propre, il faut également remarquer ici que le paradigme du colonialisme de peuplement sur le modèle européen n’est pas nécessaire pour rendre compte de la violence de l’appropriation des terres sur une base ethnique, ni lors de la période mandataire (1917-1947), ni lors de la période d’indépendance (1947-1967), ni lors de la période qui s’ouvre après la saisie en 1967 des territoires de l’ex-Palestine mandataire qu’Israël n’avait pas conquis lors de la précédente période. Là encore, l’histoire de l’ancien Empire ottoman est suffisamment fournie en exemples de conflits ethno-territoriaux impliquant des rectifications violentes de frontières et d’équilibres démographiques pour qu’on n’ait pas à convoquer le paradigme colonial.
    Avant la guerre de juin 1967, la logique est celle d’un peuple minoritaire et dispersé qui veut se regrouper dans un espace déjà peuplé. Cela représente un cas extrême de nationalisme de diaspora, comparable à celui des Grecs et des Arméniens, mais où l’immigration prend une importance extrême (ce qui permet de faire le lien avec l’exemple du Libéria et de la Sierra Leone). L’auto-émancipation juive passant forcément par une reterritorialisation qui allait mettre les « revenants » aux prises avec une population préétablie, le choix était soit d’y renoncer au risque de la survie du groupe juif, soit d’assumer le conflit. Le choix de la Palestine, plutôt que de l’Argentine ou de l’Ouganda, reposant alors sur le « droit historique » opposable aux Arabes palestiniens, mais ni aux Mapuches ni aux Bantous.

    De tout cela, le paradigme colonial est, ou bien incapable de rendre compte, ou bien n’est pas nécessaire pour qualifier la situation qui peut être tout aussi bien heuristiquement comparée à des conflits non-coloniaux. Ces constats limitent fortement son utilité heuristique dans le cadre d’une analyse historique de la confrontation israélo-arabe. Dès lors, si son utilité heuristique n’est pas établie, à quoi sert le paradigme colonial ? La réponse est à chercher ailleurs que dans un comparatisme historique prudent. Elle se trouve dans le rapport quasi mythologique à l’Etat d’Israël, qui, né dans la faute, devrait expier par son suicide. Ce rapport quasi mythologique au sionisme permet ainsi de réifier l’ennemi israélien sur le mode de la culpabilité impérialiste européenne. C’est, au fond, un levier rhétorique dans une vision passionnée et romantique du politique vécu comme la lutte révolutionnaire des opprimés contre les oppresseurs.
    Une illustration de cette utilité rhétorique se trouve dans le communiqué du syndicat Solidaires étudiant.e.s EHESS du 15 octobre 2023 : « Il n’est pas possible de dire qu’Israël est un État colonial sans en tirer toutes les conséquences. Le système ethno-nationaliste israélien est fondé sur un suprémacisme racial qui institue une séparation systématique avec les Palestinien. ne.s, et qui prend actuellement la forme d’un apartheid. […] L’histoire d’Israël est celle d’un processus colonial d’une violence absolue, au cours duquel meurtres, humiliations et viols sont le lot quotidien des Palestinien. ne.s […] Nous appelons : à ce qu’Israël mette fin à son occupation et à sa colonisation de toutes les terres arabes en démantelant le Mur ; à la reconnaissance des droits fondamentaux des citoyen.ne.s arabo-palestinien.ne.s d’Israël à une complète égalité ; à la mise en application du droit de retour des réfugié.e.s palestinien.ne.s ainsi que leur droit à retrouver leurs maisons et leurs biens comme le stipule la résolution 194 de l’ONU ; et, à terme, l’établissement d’un État unique et laïc, en Palestine historique où tous les habitant.e.s jouiraient des mêmes droits. »
    Semblable aux positions de Rima Hassan, telle lecture du conflit projette sur une situation dont on a rappelé ce qu’elle avait de comparable et d’incomparable avec certaines situations coloniales et certaines situations non-coloniales, tous les crimes du colonialisme européen. Il n’est question ici que d’une assignation d’Israël à une ontologie coloniale irrémissible car récapitulant et supplantant tout ce que la mauvaise conscience occidentale porte de pire en termes de culpabilité. Assigner à l’Israélien ce statut de colon, voire de colon nazi, c’est faire d’une pierre trois coups : libérer l’Européen du poids de la culpabilité du génocide nazi en montrant que la victime est loin d’être innocente, libérer l’Européen du poids de sa culpabilité coloniale propre en l’engageant dans la lutte contre le pire des fantasmes de colonialisme réifié, et dispenser de penser à une solution juste pour les Israéliens puisqu’ils ne sauraient constituer en tant que colons un groupe avec des droits collectifs reconnus.

    Le vingt-troisième Etat de la Ligue arabe

    Si les deux premières exigences du communiqué de Solidaires semblent de bon sens (elles sont d’ailleurs soutenues par la gauche sioniste en Israël), elles ne servent ici que d’introduction aux deux suivantes qui impliquent la mise en minorité démographique des juifs israéliens et la perte de l’indépendance nationale dans le cadre d’un rattachement d’Israël à ce qui sera de facto le vingt-troisième Etat de la Ligue arabe. Or, dans un Orient où les identités ethniques et religieuses jouent encore le rôle politique qu’on leur connaît, on ne peut croire sérieusement que les juifs « jouiraient des mêmes droits » que la majorité.

    Mais cela importe peu dans la mesure où les juifs, si on leur assigne la qualification infamante de « colons », ne sont pas en mesure d’exiger des droits en tant que groupe national, mais ne peuvent que se les faire concéder par le seul demos réellement légitime car autochtone. L’asymétrie justement dénoncée dans les rapports actuels israélo-palestiniens ne serait ici pas abolie mais retournée, assurant un retour à la situation pré-48. Et pour justifier d’un tel retournement qui nie les droits des Israéliens, il faut assurer que les Israéliens sont une nation « artificielle » à laquelle le droit à l’autodétermination ne s’applique pas.
    L’assignation coloniale permet aussi de simplifier la question de l’occupation des territoires occupés par les Israéliens au cours de la guerre de juin 1967 dite « des six jours » ou, en arabe, al-Naksa ("le revers"). Le rôle de l’idéologie, c’est-à-dire de l’irrédentisme biblique propre à la culture juive et qui infuse le projet sioniste lorsqu’il se fait conquérant, n’est pas ici remis en doute, et a abouti à ce qu’il faut qualifier, en Cisjordanie, de situation coloniale et d’apartheid. Situation, par ailleurs, comparable aux politiques sud-africaines dans le territoire du Sud-Ouest africain (mais pas en Afrique du Sud proprement dite).
    En revanche, il faut rappeler qu’ici l’idéologie joue son rôle, mais adossée et articulée à des considérations stratégiques contingentes, motivée par le devoir de l’appareil d’État israélien d’assurer la sécurité, voire simplement la survie, de sa population dans le cadre d’une situation géographique précaire. L’assignation coloniale « oublie » ces considérations en envisageant l’expansionnisme israélien comme le simple fruit d’une logique interne de « prise de terre » propre au colonialisme. Or, la question géostratégique dans la politique de peuplement juif en Cisjordanie précède (hormis chez des marges politiques telle que l’opposition révisionniste du Herut pour qui il s’agit d’ailleurs plus d’une pétition de principe que d’un réel programme) la motivation irrédentiste : il s’agit de se constituer un territoire glacis de 40 km de large entre les puissances arabes et son principal bassin de peuplement, le territoire israélien dans les limites des lignes d’armistice de 1949 ne bénéficiant que de peu ou pas de profondeurs stratégiques alors qu’il se retrouve dans un environnement régional hostile où lui est opposée une rhétorique génocidaire. En cas d’évacuation de la Cisjordanie hors du cadre d’un règlement politique négocié offrant des garanties de sécurité, il n’y a que 18 km de route entre les principaux centres de peuplement israélien et une puissance hostile.

    L’usage de colonies de peuplements pour assurer le contrôle politique et militaire d’un territoire pour des raisons stratégiques est aujourd’hui en contradiction avec les conventions de Genève mais se trouve être une pratique fort banale. Machiavel en expliquait déjà la rationalité dans son Prince. Seulement, dans un cadre démocratique, le transfert de population civile de l’occupant vers le territoire occupé se fait nécessairement sur la base du volontariat des colons, ce qui opère une sélection idéologique avec des populations pionnières motivées par des considérations nationalistes et religieuses ici très actives alors que plus latentes dans le reste de la population. C’est ce qui explique le profil idéologique plus militant, religieusement déterminé, des colons israéliens en Cisjordanie. Le problème étant que leur motivation les met sur une trajectoire de collision avec les intérêts de la population locale (dont le droit propre est perçu comme négligeable) et avec les intérêts de l’Etat israélien si celui-ci souhaitait évacuer ces territoires dans le cadre d’une paix négociée : les colons préfèrent les territoires à la paix. Nous croyons devoir ici rappeler que si les colonies sont souvent présentées comme un obstacle insurmontable à la solution à deux États pour deux peuples, nous ne pensons pas que cet obstacle soit effectivement insurmontable, pourvu qu’il existe, du côté israélien comme du côté palestinien, une réelle volonté politique d’arriver à une partition définitive du territoire de l’ex-Palestine mandataire/Eretz Israël.
    Un autre argument souvent amené dans le débat est l’injustice subie par les Palestiniens qui auraient payé de leur territoire et leur exil les crimes des Européens vis-à-vis des juifs. Le reproche serait fondé si le sionisme et l’indépendance d’Israël étaient exclusivement une réaction à la persécution et l’extermination des juifs d’Europe par le régime nazi et ses vassaux fascistes. Simplement, le sionisme n’est pas une réaction au nazisme, il lui est bien antérieur. Le nazisme est une illustration paroxystique de ce à quoi le sionisme propose une échappatoire : la condition existentiellement défensive du fait minoritaire juif vis-à-vis du monde non juif. En ce sens, les sociétés arabes ne sont pas assimilables au régime nazi, mais entrent dans le cadre de la critique sioniste formulée quant à l’antisémitisme inhérent ("la xénophobie de la vie elle-même") à toutes les sociétés non-juives majoritaires au sein desquelles les juifs ont vécu et auxquelles le sionisme demande des comptes, via la réclamation d’un territoire national aliéné.
    Les sociétés arabes ne peuvent être exclues du champ de cette critique globale de la condition minoritaire juive opérée par le sionisme, car, pour reprendre l’analyse de l’historien Bernard Lewis : « Leur situation ne fut jamais aussi mauvaise ni aussi bonne que dans la chrétienté. En effet, il n’existe pas dans l’histoire de l’Islam d’équivalent de l’Inquisition espagnole, des pogroms russes ou du génocide hitlérien, mais rien non plus qui se compare à l’émancipation et à l’intégration progressive des juifs dans les sociétés démocratiques occidentales au cours des trois derniers siècles. »
    En ce sens, la société palestinienne et les États de la ligue arabe ont payé, à travers la création de l’Etat d’Israël et les défaites militaires successives face à celui-ci, leur incapacité à formuler une solution à la question juive qui soit plus séduisante que le sionisme pour leurs propres populations juives et les réfugiés juifs d’Europe. De même que l’abolition de l’esclavage puis de la ségrégation raciale dans le sud des États-Unis n’a pas éliminé les structures mentales négrophobes dans la société américaine, de même les structures mentales héritées de l’institution de la #dhimma ont survécu parfois deux siècles après son abolition dans le domaine du droit public en pays d’#Islam et rendu les sociétés musulmanes comptables de la question posée aux juifs par leurs sociétés d’accueil au même titre que les sociétés occidentales. C’est, fondamentalement, l’une des promesses non-tenues de la Nahḍa et des Tanzimats, et à laquelle le sionisme répond aussi bien qu’à la situation européenne.
    Pour revenir à la solution proposée aujourd’hui par Rima Hassan, et qui repose sur une lecture de l’histoire des deux derniers siècles qui néglige certains éléments, il faut redire qu’il n’existe à ce jour aucune donnée empirique, historique ou comparative qui permette de fonder en raison la croyance en la viabilité d’un État unique binational démocratique et laïc et donc faire renoncer les juifs israéliens (et ceux parmi les non-juifs israéliens qui s’accommodent de la majorité juive) à leur Etat-ethnique.
    L’argument de la minorité arabe israélienne comme exemple d’une possibilité de coexistence de Rima Hassan ne tient pas : être une minorité arabe dans le seul Etat juif n’offre pas exactement les mêmes garanties qu’être une minorité juive dans un vingt-troisième État arabe, compte tenu de l’histoire des communautés juives des vingt-deux autres. Car l’Etat binational démocratique et laïc serait de facto un Etat à majorité arabe, entouré d’Etats à majorité arabe, avec un appareil d’Etat à majorité arabe, un espace public défini par la culture arabe, et où la population juive se retrouverait ce qu’elle fut durant la diaspora : une minorité tolérée, donc vulnérable. Il ne s’agit pas ici d’un fantasme motivé par une vision raciste et orientaliste de « l’Arabe » comme sauvage sanguinaire, mais du constat d’une récurrence de violence relationnelle entre minorités et majorités ethniques indépendamment des identités culturelles et religieuses mobilisées par les groupes concernés.

    Où que les juifs israéliens regardent, dans le temps et dans l’espace, ils ne peuvent faire qu’un constat : une minorité ethno-confessionnelle sans l’appui extérieur d’un Etat-parent ne vit pas, elle survit. Même si elle peut se trouver relativement prospère, cette prospérité peut toujours susciter une résurgence de « la xénophobie de la vie elle-même », elle est un sursis permanent face à une majorité qui a maintes fois prouvé sa dangerosité. La plus grande part des Israéliens ne se considèrent pas comme des colons justiciables d’une illégitimité fondamentale sur leur territoire et considèrent donc le droit à l’indépendance dans un État avec une majorité ethnique juive comme non négociable. Mais une telle majorité n’est pas atteignable en maintenant un contrôle israélien sur la Cisjordanie et sa population de presque trois millions de Palestiniens. Restent donc les questions que posait déjà Raymond Aron : « Qu’est-ce que chaque Israélien craint le plus ? La corruption spirituelle de la nation par les conquêtes ? L’insécurité militaire par l’évacuation des territoires occupés ? La perte de l’identité juive par le gonflement de la minorité arabe ? »
    Enfin, un dernier point sur la question des droits aux retours juifs et palestiniens. Dans le cadre d’un Etat palestinien indépendant aux côtés d’Israël, il est évident que celui-ci serait souverain dans sa politique migratoire et pourra assumer, s’il s’en sent capable, le droit aux retours des réfugiés palestiniens et de leurs descendants, de la même manière qu’Israël assume un droit au retour pour les personnes juives de par le monde (droit qu’il étend indûment aux territoires occupés sous son contrôle). Un tel droit pourrait être articulé au paiement de compensations par Israël à ces mêmes réfugiés.
    Le retour des réfugiés palestiniens et de leurs descendants en Israël même n’est plus l’exercice d’un droit à un foyer, mais l’instrument d’une mise en minorité du groupe juif sur son territoire, donc, in fine de la disparition du seul Etat juif. Dans un Etat binational démocratique et laïc, la mise en minorité du groupe juif supprime les conditions qui font d’Israël un refuge pour les personnes juives de par le monde ; que leur droit au retour leur soit encore théoriquement reconnu, ou qu’il soit aboli comme certains l’exigent.
    En proposant un Etat binational qui serait de facto un Etat arabe, Rima Hassan propose de supprimer le seul Etat qui, dans sa politique étrangère comme dans sa politique extérieure, assume une perspective juive. Cela revient à faire des Israéliens juifs une minorité de plus et à suspendre le sort des communautés juives en danger au bon vouloir des politiques migratoires états-uniennes ou autres… renouvelant les conditions du drame de juillet 1938.
    Du côté de Rima Hassan, nous pouvons demander ce qu’elle souhaite vraiment : mettre les Israéliens au pied du mur en leur proposant le suicide politique au nom d’un idéal absolutiste et anhistorique de la justice et ainsi prendre le risque de crises toujours plus violentes lors desquelles, le rapport de force étant ce qu’il est, la situation des Palestiniens ne fera qu’empirer ? L’aboutissement sanglant d’une lutte armée à outrance qui élimine Israël et transforme les Palestiniens en tout ce que Rima Hassan prétend détester chez les Israéliens ? Ou aboutir à un compromis réaliste qui ne sera émotionnellement satisfaisant pour personne mais assurera des garanties et un avenir un peu moins dangereux pour toutes les parties du conflit ? Rima Hassan est libre de son choix, mais elle doit « en tirer toutes les conséquences ».
    Ce texte est une version expurgée des notes et références bibliographiques d’un article à paraître dans une revue spécialisée.

    * Elie Beressi est un analyste politique franco-israélien, diplômé de l’IEP de Paris.

    #Israël #Palestiniens

  • De la #presse parisienne à la #fachosphère. #Genèse et #diffusion du terme « #islamo-gauchisme » dans l’#espace_public

    Les « #discours_de ^_haine » trouvent souvent leur origine dans les sphères intellectuelles, politiques et médiatiques avant de se propager en ligne. Un exemple marquant de ce processus est l’utilisation du terme « islamo-gauchisme », qui a émergé au début des années 2000 et a gagné une attention médiatique significative en France en 2020 et 2021. Notre recherche retrace la genèse et la diffusion du terme dans les médias et dans le discours politique, avant d’en analyser l’usage sur les #médias_sociaux. Nous effectuons une analyse diachronique sur une longue période basée sur un protocole robuste d’analyse textométrique et de réseaux sur un corpus d’articles de #presse et de tweets. Nous montrons comment une partie de la presse parisienne, notamment de droite, a contribué à populariser le terme d’abord en ouvrant ses colonnes à des idéologues réactionnaires, puis en relatant des polémiques politiciennes qui ont instrumentalisé le terme afin de disqualifier une partie de la gauche, tandis que les communautés d’#extrême_droite en ligne l’ont transformé en une arme de #propagande haineuse.

    https://www.cairn.info/revue-reseaux-2023-5-page-163.htm
    #islamogauchisme #mots #terminologie #médias #instrumentalisation

    ping @karine4 @isskein @_kg_

  • Pour des rassemblements populaires contre l’antisémitisme et l’islamophobie
    https://www.frustrationmagazine.fr/antisemitisme

    La marche “contre l’antisémitisme”, du dimanche 12 novembre 2023, organisée par les mêmes qui rendent hommage à Pétain et Maurras est un piège tendu à la gauche. Comment l’éviter ? l’antisémitisme : une réalité alarmante Tout d’abord plusieurs constats : Un rassemblement “contre l’antisémitisme” est organisé par les macronistes, la droite et l’extrême droite, auquel […]

    #Décrypter_-_Antiracisme #Édito #Antisémitisme #Islamophobie

  • Le #Conseil_d’État annule la #dissolution des #Soulèvements_de_la_Terre mais en valide trois autres

    Si le mouvement écologiste, dans le viseur du gouvernement, a été sauvé par la justice administrative jeudi 9 novembre, celle-ci a confirmé la dissolution de la #Coordination_contre_le_racisme_et_l’islamophobie, du #Groupe_antifasciste_Lyon_et_environs et de l’#Alvarium.

    « Et« Et paf. » C’est derrière ce slogan, sonnant comme une moquerie enfantine, que les Soulèvements de la Terre et leurs soutiens se sont rassemblés devant le Conseil d’État jeudi 9 novembre, en milieu d’après-midi, après l’annulation de leur dissolution. Pendant une heure, les interventions se sont succédé dans une ambiance à la fois réjouie et grave, en présence d’un groupe de policiers déployés devant l’entrée de l’institution.

    Dans sa décision, le Conseil d’État rappelle que les Soulèvements de la Terre n’ont jamais incité à commettre des violences contre des personnes. En revanche, il estime qu’en appelant à la « désobéissance civile » et au « désarmement » des infrastructures portant atteinte à l’environnement, ils provoquent à la « violence contre les biens », l’un des nouveaux critères de dissolution introduits par la loi « séparatisme ». Le groupe se voit ainsi reprocher de « légitimer publiquement » la destruction d’engins de chantiers, de cultures intensives ou la dégradation de sites industriels polluants, dont il revendique la dimension « symbolique ».

    Pour autant, le Conseil d’État conclut qu’au regard « de la portée de ces provocations, mesurée notamment par les effets réels qu’elles ont pu avoir », la dissolution ne serait pas « une mesure adaptée, nécessaire et proportionnée ». Il annule ainsi le décret pris en Conseil des ministres le 21 juin 2023. Le ministère de l’intérieur, à l’initiative de cette dissolution, n’a pas souhaité réagir.

    Dans un communiqué, les Soulèvements de la Terre se réjouissent de leur « victoire » et d’« un sérieux revers pour le ministère de l’intérieur ». Le mouvement considère que cette décision « est porteuse d’espoirs pour la suite », car « en utilisant l’argument de l’absence de proportionnalité entre les actions du mouvement et la violence d’une dissolution, le Conseil d’État confirme l’idée que face au ravage des acteurs privés, de l’agriculture intensive, de l’accaparement de l’eau, nos modes d’actions puissent être considérés comme légitimes ».

    Aïnoha Pascual, avocate des Soulèvements, dit son « soulagement » pour la défense des libertés publiques, notamment de la liberté d’association, mais aussi sa « prudence ». Son confrère Raphaël Kempf, également défenseur du mouvement écologiste, voit dans la décision du Conseil d’État la reconnaissance de la légitimité « d’une dose d’appel à la désobéissance civile et au désarmement ». Mais s’inquiète, lui aussi : la juridiction accepte l’idée que des agissements violents puissent concerner des biens, alors que le code pénal et la Cour européenne des droits de l’homme la restreignent aux personnes. Autre source d’inquiétude : la notion de « provocation » à commettre ces faits n’est pas clairement limitée, et le juge considère qu’elle peut être constituée même si elle n’est qu’implicite.

    Sollicité par Mediapart, Michel Forst, rapporteur de l’Organisation des nations unies (ONU) sur la protection des défenseurs de l’environnement rappelle que cette dissolution « s’inscrivait dans un contexte où l’on constate dans beaucoup de pays d’Europe une érosion extrêmement inquiétante de l’espace civique ». Il cite notamment le cas de l’Allemagne ou de l’Italie, « où des mouvements écologistes et climatiques, qui ont recours à la désobéissance civile non-violente, sont en train d’être catégorisées comme des organisations criminelles par les autorités ». Et ajoute : « Je crois que ce qui inquiète le gouvernement, ce n’est pas tant les supposées provocations à la violence, mais la portée de la voix des Soulèvements de la Terre. C’est le fait qu’ils soient audibles, entendus, écoutés. »

    Au nom du Syndicat des avocats de France (SAF), Lionel Crusoé a critiqué la recrudescence des dissolutions d’associations, qu’elles soient antiracistes, de soutien au peuple palestinien, ou antifascistes. Il y voit la traduction d’une « situation en demi-teinte » pour les libertés publiques, alors que « dans une société démocratique, il doit y avoir un espace de débats, et qu’il est aussi fait de rapports de force ».
    L’Alvarium, un groupe d’extrême droite dissout pour « provocation à la haine »

    S’il a annulé la dissolution des Soulèvements de la Terre, le Conseil d’État a validé celle de trois autres organisations. En ce qui concerne l’Alvarium, qui avait contesté sa dissolution mais ne s’était pas défendu à l’audience du 27 octobre, le Conseil d’État estime que les messages postés par le groupe d’extrême droite angevin incitaient bel et bien à la discrimination et à la haine « envers les personnes étrangères ou les Français issus de l’immigration par leur assimilation à des délinquants ou des criminels, à des islamistes ou des terroristes », comme le lui reproche le gouvernement dans le décret de dissolution du 17 novembre 2021.

    Compte tenu de la « gravité » et de la « récurrence » de ces agissements, le Conseil d’État juge que la dissolution ne constitue pas une mesure disproportionnée. Il note, par ailleurs, les liens de l’Alvarium et de ses membres dirigeants « avec des groupuscules appelant à la discrimination, à la violence ou à la haine contre les étrangers », les personnes d’origine non européenne ou les musulmans. Mais ne dit pas un mot de la « provocation à commettre des violences » invoquée par le gouvernement dans ses motivations.

    L’Alvarium, qui agrégeait des catholiques identitaires et des nationalistes révolutionnaires autour d’un bar associatif, entre 2018 et 2021, s’est fait connaître à Angers pour plusieurs rixes contre des militants d’extrême gauche, certaines ayant été suivies de condamnations. Après sa dissolution, le groupe s’est plus ou moins reconstitué sous le nom de « RED Angers » (Rassemblement des étudiants de droite, dont le local a été fermé par la mairie, à l’été 2023, après de nouvelles bagarres). D’anciens membres de l’Alvarium ont été jugés en août pour des violences contre des manifestants, et pour l’essentiel relaxés.
    La CRI subit le même sort que le CCIF

    Le Conseil d’État a également validé la dissolution de la Coordination contre le racisme et l’islamophobie (CRI), prononcée le 20 octobre 2021. Le gouvernement reprochait à cette association lyonnaise, fondée en 2008, d’instrumentaliser le concept d’islamophobie pour provoquer à la haine antisémite et à la violence, notamment en s’abstenant de modérer les commentaires d’internautes sur ses réseaux sociaux. Le mémoire du ministère de l’intérieur évoquait « une stratégie de communication comparable à celle du CCIF », dissout en 2020 sans que le Conseil d’État ne trouve rien à redire.

    En préambule, la juridiction administrative écarte la « provocation à la violence » reprochée par le ministère de l’intérieur, estimant que les messages cités relèvent d’une critique « véhémente » de l’action de la police ou de réactions « injurieuses ou menaçantes », mais ne constituent pas des appels à la violence.

    Le Conseil d’État se concentre plutôt sur les appels à la haine ou à la discrimination et estime que la CRI a posté des propos « outranciers sur l’actualité nationale et internationale, tendant, y compris explicitement, à imposer l’idée que les pouvoirs publics, la législation, les différentes institutions et autorités nationales ainsi que de nombreux partis politiques et médias seraient systématiquement hostiles aux croyants de religion musulmane et instrumentaliseraient l’antisémitisme pour nuire aux musulmans ». Elle considère aussi que « ces publications ont suscité de nombreux commentaires haineux, antisémites, injurieux et appelant à la vindicte publique, sans que l’association ne tente de les contredire ou de les effacer ».

    Au Conseil d’État, où elle dénonçait un « pur procès d’intention », démentait tout antisémitisme et revendiquait le droit de critiquer des politiques publiques, la CRI avait reçu le soutien de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et du Gisti, au nom de la liberté d’association, de réunion et d’expression. S’il se réjouit de la décision pour les Soulèvements de la Terre, l’avocat de la CRI, João Viegas, juge celle qui concerne ses clients « extrêmement décevante » et se réserve la possibilité de saisir la Cour européenne des droits de l’homme.

    « C’est une reprise très évasive et insatisfaisante des griefs du ministère, qui ne reposent sur absolument rien, sauf des commentaires non modérés et des propos parfois à l’emporte-pièce. Si le Conseil d’État accepte l’idée qu’en critiquant l’État on devient anti-français, il reprend à son compte la théorie de la cinquième colonne et des ennemis de l’intérieur. Il ne rectifie pas la jurisprudence déjà désastreuse du CCIF, qui peut servir à couvrir des mesures très répressives de critiques politiques jugées inconvenantes. On parle d’associations qui saisissaient les pouvoirs publics et encourageaient les gens à le faire, les aidaient à déposer plainte et les assistaient en justice. »
    Un groupe antifasciste dissout pour la première fois

    Enfin, le Conseil d’État a confirmé la dissolution du Groupe antifasciste Lyon et environs (Gale), prononcée le 30 mars 2022 et suspendue deux mois plus tard. Le Gale devient donc le premier groupe d’extrême gauche dissout depuis Action directe, en 1982, après une campagne d’attentats et de braquages qui avaient fait plusieurs morts. Le collectif lyonnais, créé après la mort de Clément Méric en 2013 , comptait une trentaine de membres actifs.

    Contrairement à l’Alvarium et à la CRI, dont la dissolution a été confirmée sur le fondement des appels à la haine ou à la discrimination, celle du Gale repose seulement sur la « provocation à commettre des violences contre des personnes ou des biens », c’est-à-dire le nouveau motif créé par la loi « séparatisme ». En l’occurrence ici, les personnes et les biens appartiennent aux adversaires privilégiés du Gale, la police et l’extrême droite, et sont quasiment mis sur le même plan.

    La décision du Conseil d’État relève ainsi que certains messages postés par le Gale sur les réseaux sociaux montrent « des policiers ou des véhicules de police incendiés, recevant des projectiles ou faisant l’objet d’autres agressions ou dégradations, en particulier lors de manifestations, assortis de textes haineux et injurieux à l’encontre de la police nationale, justifiant l’usage de la violence envers les représentants des forces de l’ordre, leurs locaux et leurs véhicules, se réjouissant de telles exactions, voire félicitant leurs auteurs ».

    Elle retient aussi des publications « approuvant et justifiant, au nom de “l’antifascisme”, des violences graves commises à l’encontre de militants d’extrême droite et de leurs biens ». Certains commentaires en réponse peuvent être considérés comme « des appels à la violence voire au meurtre » de militants d’ultradroite, sans faire l’objet d’une « quelconque modération ».

    Les avocats du Gale, Agnès Bouquin et Olivier Forray, dénoncent une décision « très inquiétante » et s’apprêtent à saisir la Cour européenne des droits de l’homme, puisque « le Conseil d’État ne joue plus son rôle de garde-fou des libertés publiques ». À leurs yeux, la décision « raye d’un trait de plume la liberté d’association, d’expression et de réunion, parce que ça disconvient au gouvernement » et empêche « la dénonciation politique de l’action policière et de l’extrême droite ». « La lutte antifasciste ne s’arrête pas à l’étiquette “Gale” et va continuer », affirment les avocats du collectif.

    Une clarification toute relative

    Dans le communiqué de presse qui accompagne ses quatre décisions, le Conseil d’État se félicite de « préciser le mode d’emploi » et les « critères » du nouveau motif de dissolution instauré par la loi « séparatisme », autour de la provocation à la violence (contre les personnes ou les biens). Il considère ainsi avoir posé les bornes d’une dissolution acceptable.

    Ce n’est pourtant pas si clair. D’une part, sa décision sur les Soulèvements de la Terre laisse entendre qu’une petite quantité de « violence contre les biens » ne suffit pas à signer l’arrêt de mort d’une organisation, pour des raisons de proportionnalité. Mais elle laisse ouverte la possibilité de dissoudre un groupe - voire les Soulèvements de la Terre eux-mêmes, plus tard - sur la seule base de dégradations matérielles, si elles étaient plus lourdes, ou plus fréquentes, ou plus chères, sans définir de seuil.

    D’autre part, et uniquement pour les Soulèvements de la Terre, le Conseil d’État établit un lien entre la provocation à des agissements violents et ses effets concrets (ici jugés modestes). Pour le #Gale, la provocation est retenue sans considération pour ses conséquences : les appels à commettre telle ou telle action, à s’en prendre à telle ou telle cible, ont-ils entraîné des passages à l’acte ? Peut-on en attribuer la responsabilité au groupe ?

    Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, les dissolutions administratives se sont succédé à un rythme inédit sous la Cinquième République. Sous son premier mandat, 29 associations et groupements de fait, pour l’essentiel soupçonnés de proximité avec l’#islamisme (#Baraka_City, le #CCIF) ou liés à l’#extrême_droite (le #Bastion_social, les #Zouaves) ont disparu. Depuis sa réélection, le 24 avril 2022, le gouvernement a prononcé la dissolution de quatre organisations : le #Bloc_Lorrain, #Bordeaux_nationaliste, #Les_Alerteurs et #Civitas. Sans compter les Soulèvements de la Terre, qui célèbrent leur victoire.

    https://www.mediapart.fr/journal/france/091123/le-conseil-d-etat-annule-la-dissolution-des-soulevements-de-la-terre-mais-
    #justice #antifa #anti-fascisme #SdT

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    voir ce fil de discussion (via @arno) :
    https://seenthis.net/messages/1025608

  • Crise capitaliste au moyen orient | Guillaume Deloison
    https://guillaumedeloison.wordpress.com/2018/10/08/dawla-crise-capitaliste-au-moyen-orient

    ISRAËL ET PALESTINE – CAPITAL, COLONIES ET ÉTAT

    Le conflit comme Histoire

    A la fin des guerres napoléoniennes, certaines parties du Moyen-Orient se retrouvèrent envahies par le nouveau mode de production capitaliste. Dans cette région, l’industrie textile indigène, surtout en Egypte, fut détruite par les textiles anglais bon marché dans les années 1830. Dès les années 1860, les fabricants britanniques avaient commencé à cultiver le coton le long du Nil. En 1869, on ouvrit le canal de Suez dans le but de faciliter le commerce britannique et français. Conformément à cette modernisation, on peut dater les origines de l’accumulation primitive en #Palestine à la loi de l’#Empire_ottoman de 1858 sur la #propriété_terrienne qui remplaçait la propriété collective par la propriété individuelle de la terre. Les chefs de village tribaux se transformèrent en classe de propriétaires terriens qui vendaient leurs titres aux marchands libanais, syriens, égyptiens et iraniens. Pendant toute cette période, le modèle de développement fut surtout celui d’un développement inégal, avec une bourgeoisie étrangère qui prenait des initiatives et une bourgeoisie indigène, si l’on peut dire, qui restait faible et politiquement inefficace.

    Sous le #Mandat_britannique, de nombreux propriétaires absentéistes furent rachetés par l’Association de colonisation juive, entraînant l’expulsion de métayers et de fermiers palestiniens. Étant donné que les dépossédés devaient devenir #ouvriers_agricoles sur leurs propres terres, une transformation décisive des relations de production commençait, conduisant aux premières apparitions d’un #prolétariat_palestinien. Ce processus eut lieu malgré une violente opposition de la part des #Palestiniens. Le grand tournant dans une succession de #révoltes fut le soulèvement de #1936-1939. Son importance réside dans le fait que « la force motrice de ce soulèvement n’était plus la paysannerie ou la bourgeoisie, mais, pour la première fois, un prolétariat agricole privé de moyens de travail et de subsistance, associé à un embryon de classe ouvrière concentrée principalement dans les ports et dans la raffinerie de pétrole de Haïfa ». Ce soulèvement entraîna des attaques contre des propriétaires palestiniens ainsi que contre des colons anglais et sionistes. C’est dans le même temps que se développa le mouvement des #kibboutz, comme expérience de vie communautaire inspiré notamment par des anarchistes comme Kropotkine, s’inscrivant dans le cadre du sionisme mais opposées au projet d’un état.

    La Seconde Guerre mondiale laissa un héritage que nous avons du mal à imaginer. L’implantation des juifs en Palestine, déjà en cours, mais de faible importance entre 1880 et 1929, connaît une augmentation dans les années 1930 et puis un formidable élan dans l’après-guerre ; de ce processus naquit #Israël. Le nouvel Etat utilisa l’appareil légal du Mandat britannique pour poursuivre l’expropriation des Palestiniens. La #prolétarisation de la paysannerie palestinienne s’étendit encore lors de l’occupation de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza en 1967. Cette nouvelle vague d’accumulation primitive ne se fit pas sous la seule forme de l’accaparement des #terres. Elle entraîna aussi le contrôle autoritaire des réserves d’#eau de la Cisjordanie par le capital israélien par exemple.

    Après la guerre de 1967, l’Etat israélien se retrouvait non seulement encore entouré d’Etats arabes hostiles, mais aussi dans l’obligation de contrôler la population palestinienne des territoires occupés. Un tiers de la population contrôlée par l’Etat israélien était alors palestinienne. Face à ces menaces internes et externes, la survie permanente de l’Etat sioniste exigeait l’unité de tous les Juifs israéliens, occidentaux et orientaux. Mais unir tous les Juifs derrière l’Etat israélien supposait l’intégration des #Juifs_orientaux, auparavant exclus, au sein d’une vaste colonie de travail sioniste. La politique consistant à établir des colonies juives dans les territoires occupés est un élément important de l’extension de la #colonisation_travailliste sioniste pour inclure les Juifs orientaux auparavant exclus. Bien entendu, le but immédiat de l’installation des #colonies était de consolider le contrôle d’Israël sur les #territoires_occupés. Cependant, la politique de colonisation offrait aussi aux franges pauvres de la #classe_ouvrière_juive un logement et des emplois qui leur permettaient d’échapper à leur position subordonnée en Israël proprement dit. Ceci ne s’est pas fait sans résistance dans la classe ouvrière Israélienne, certain s’y opposaient comme les #Panthéres_noire_israélienne mais l’#Histadrout,« #syndicat » d’Etat et employeur important s’efforçait d’étouffer les luttes de la classe ouvrière israélienne, comme par exemple les violents piquets de grève des cantonniers.

    En 1987, ce sont les habitants du #camp_de_réfugiés de Jabalya à Gaza qui furent à l’origine de l’#Intifada, et non l’#OLP (Organisation de Libération de la Palestine) composé par la bourgeoisie Palestinienne, basée en Tunisie et complètement surprise. Comme plus tard en 2000 avec la seconde intifada, ce fut une réaction de masse spontanée au meurtre de travailleurs palestiniens. A long terme, l’Intifada a permis de parvenir à la réhabilitation diplomatique de l’OLP. Après tout, l’OLP pourrait bien être un moindre mal comparée à l’activité autonome du prolétariat. Cependant, la force de négociation de l’OLP dépendait de sa capacité, en tant que « seul représentant légitime du peuple palestinien », à contrôler sa circonscription, ce qui ne pouvait jamais être garanti, surtout alors que sa stratégie de lutte armée s’était révélée infructueuse. Il était donc difficile pour l’OLP de récupérer un soulèvement à l’initiative des prolétaires, peu intéressés par le nationalisme, et qui haïssaient cette bourgeoisie palestinienne presque autant que l’Etat israélien.

    Quand certaines personnes essayèrent d’affirmer leur autorité en prétendant être des leaders de l’Intifada, on raconte qu’un garçon de quatorze ans montra la pierre qu’il tenait et dit : « C’est ça, le leader de l’Intifada. » Les tentatives actuelles de l’Autorité palestinienne pour militariser l’Intifada d’aujourd’hui sont une tactique pour éviter que cette « anarchie » ne se reproduise. L’utilisation répandue des pierres comme armes contre l’armée israélienne signifiait qu’on avait compris que les Etats arabes étaient incapables de vaincre Israël au moyen d’une guerre conventionnelle, sans parler de la « lutte armée » de l’OLP. Le désordre civil « désarmé » rejetait obligatoirement « la logique de guerre de l’Etat » (bien qu’on puisse aussi le considérer comme une réaction à une situation désespérée, dans laquelle mourir en « martyr » pouvait sembler préférable à vivre dans l’enfer de la situation présente). Jusqu’à un certain point, le fait de lancer des pierres déjouait la puissance armée de l’Etat d’Israël.

    D’autres participants appartenaient à des groupes relativement nouveaux, le #Hamas et le #Jihad_Islamique. Pour essayer de mettre en place un contrepoids à l’OLP, Israël avait encouragé la croissance de la confrérie musulmane au début des années 1980. La confrérie ayant fait preuve de ses sentiments anti-classe ouvrière en brûlant une bibliothèque qu’elle jugeait être un » foyer communiste « , Israël commença à leur fournir des armes.

    D’abord connus comme les « accords Gaza-Jéricho », les accords d’Oslo fit de l’OLP l’autorité palestinienne. Le Hamas a su exploiter ce mécontentement tout en s’adaptant et en faisant des compromis. Ayant rejeté les accords d’Oslo, il avait boycotté les premières élections palestiniennes issues de ces accords en 1996. Ce n’est plus le cas désormais. Comme tous les partis nationalistes, le Hamas avec son discours religieux n’a nullement l’intention de donner le pouvoir au peuple, avec ou sans les apparences de la démocratie bourgeoise. C’est d’ailleurs ce qu’il y a de profondément commun entre ce mouvement et l’OLP dans toutes ses composantes : la mise en place d’un appareil politico-militaire qui se construit au cours de la lutte, au nom du peuple mais clairement au-dessus de lui dès qu’il s’agit de prendre puis d’exercer le pouvoir. Après plusieurs années au gouvernement, le crédit du Hamas est probablement et selon toute apparence bien entamé, sans que personne non plus n’ait envie de revenir dans les bras du Fatah (branche militaire de l’OLP). C’est semble-t-il le scepticisme, voire tout simplement le désespoir et le repli sur soi, qui semblent l’emporter chaque jour un peu plus au sein de la population.

    Le sionisme, un colonialisme comme les autres ?

    Dans cette situation, la question de déterminer les frontières de ce qui délimiterait un État israélien « légitime » est oiseuse, tant il est simplement impossible : la logique de l’accaparement des territoires apparaît inséparable de son existence en tant qu’État-nation. S’interroger dans quelle mesure l’État israélien est plus ou moins « légitime » par rapport à quelque autre État, signifie simplement ignorer comment se constituent toujours les États-nations en tant qu’espaces homogènes.

    Pour comprendre la situation actuelle il faut appréhender la restructuration générale des rapports de classes à partir des années 1970. Parallèlement aux deux « crises pétrolières » de 1973-74 et 1978-80, à la fin du #nationalisme_arabe et l’ascension de l’#islamisme, la structure économique et sociale de l’État d’Israël change radicalement. Le #sionisme, dans son strict sens, fut la protection et la sauvegarde du « travail juif », soit pour le capital israélien, contre la concurrence internationale, soit pour la classe ouvrière contre les prolétaires palestiniens : ce fut en somme, un « compromis fordiste » post-1945, d’enracinement d’une fraction du capital dans dans un État-nation. Le sionisme impliquait qu’il donne alors à l’État et à la société civile une marque de « gauche » dans ce compromis interclassiste et nationaliste. C’est ce compromis que le Likoud a progressivement liquidé ne pouvant plus garantir le même niveau de vie au plus pauvres. Pourtant la définition d’Israël comme « État sioniste » résiste. Agiter des mots comme « sioniste », « lobby », etc. – consciemment ou pas – sert à charger l’existence d’Israël d’une aire d’intrigue, de mystère, de conspiration, d’exceptionnalité, dont il n’est pas difficile de saisir le message subliminal : les Israéliens, c’est-à-dire les Juifs, ne sont pas comme les autres. Alors que le seul secret qu’il y a dans toute cette histoire, c’est le mouvement du capital que peu regardent en face. La concurrence généralisé, qui oppose entre eux « ceux d’en haut » et aussi « ceux d’en bas ». L’aggravation de la situation du prolétariat israélien et la quart-mondialisation du prolétariat palestinien appartiennent bien aux mêmes mutations du capitalisme israélien, mais cela ne nous donne pour autant les conditions de la moindre « solidarité » entre les deux, bien au contraire. Pour le prolétaire israélien, le Palestinien au bas salaire est un danger social et de plus en plus physique, pour le prolétaire palestinien les avantages que l’Israélien peut conserver reposent sur son exploitation, sa relégation accrue et l’accaparement des territoires ».

    La #solidarité est devenue un acte libéral, de conscience, qui se déroule entièrement dans le for intérieur de l’individu. Nous aurons tout au plus quelques slogans, une manifestation, peut-être un tract, deux insultes à un flic… et puis tout le monde rentre chez soi. Splendeur et misère du militantisme. Entre temps, la guerre – traditionnelle ou asymétrique – se fait avec les armes, et la bonne question à se poser est la suivante : d’où viennent-elles ? Qui les paye ? Il fut un temps, les lance-roquettes Katioucha arrivaient avec le « Vent d’Est ». Aujourd’hui, pour les Qassam, il faut dire merci à la #Syrie et à l’#Iran. Il fut un temps où l’on pouvait croire que la Révolution Palestinienne allait enflammer le Tiers Monde et, de là, le monde entier. En réalité le sort des Palestiniens se décidait ailleurs, et ils servirent de chair à canon à l’intérieur des équilibres de la #Guerre_Froide. Réalité et mythe de la « solidarité internationale ».

    Nous savons trop bien comment la #religion peut être « le soupir de la créature opprimée, le sentiment d’un monde sans cœur » (Karl Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel). Mais cette généralité vaut en Palestine, en Italie comme partout ailleurs. Dans le Proche et Moyen-Orient, comme dans la plupart des pays arabes du bassin méditerranéen, l’islamisme n’est pas une idéologie tombée du ciel, elle correspond à l’évolution des luttes entre les classes dans cette zone, à la fin des nationalisme arabe et la nécessité de l’appareil d’état pour assurer l’accumulation capitaliste. Le minimum, je n’ose même pas dire de solidarité, mais de respect pour les prolétaires palestiniens et israeliens, nous impose tout d’abord d’être lucides et sans illusions sur la situation actuelle ; de ne pas considérer le prolétariat palestinien comme des abrutis qui se feraient embobiner par le Hamas ni comme des saints investi par le Mandat du Ciel Prolétarien ; de ne pas considérer le prolétariat israélien comme des abruti qui serait simplement rempli de haine envers les palestinien ni comme des saint dont la situation ne repose pas sur l’exploitation d’autres. L’#antisionisme est une impasse, tout comme l’#antimondialisme (défense du #capital_national contre le capital mondialisé), ou toutes les propositions de gestion alternative du capital, qui font parties du déroulement ordinaire de la lutte des classe sans jamais abolir les classes. Sans pour autant tomber dans un appel à la révolution globale immédiate pour seule solution, il nous faut partir de la réalité concrètes et des divisions existantes du mode de production, pour s’y attaquer. Le communisme n’est pas le fruit d’un choix, c’est un mouvement historique. C’est avec cette approche que nous cherchons à affronter cette question. Il en reste pas moins que désormais – à force de réfléchir a partir de catégories bourgeoises comme « le droit », « la justice » et « le peuple » – il n’est pas seulement difficile d’imaginer une quelconque solution, mais il est devenu quasi impossible de dire des choses sensées à cet égard.

    (version partiellement corrigée de ses erreurs typo et orthographe par moi)

  • En #Allemagne, l’inquiétant essor de l’#extrême_droite

    Les élections régionales d’octobre en Hesse et en Bavière démontrent que l’#AfD n’est plus cantonné à l’est du pays et aux zones rurales. Une progression préoccupante alors que le scrutin européen de juin 2024 sera doublé d’élections locales dans neuf des seize Länder et que l’aile radicale a pris l’ascendant sur le parti.

    Cela faisait vingt ans que Manfred Gerlach n’avait pas mis les pieds à Mödlareuth. A l’époque, cet assureur bavarois avait voulu montrer à son fils ce village de quarante habitants situé sur l’ex-frontière entre les deux Allemagnes et surnommé « le Petit Berlin » en raison du mur de béton qui le coupait en deux pendant la guerre froide. Mardi 3 octobre, c’est sans son fils mais vêtu d’un tee-shirt aux couleurs du parti Alternative pour l’Allemagne (AfD) qu’il est revenu à Mödlareuth, où la formation d’extrême droite organise depuis 2016 un rassemblement pour le Jour de l’unité allemande. A cinq jours des élections régionales en Bavière et en Hesse, le rendez-vous, cette année, a tout d’une veillée d’armes. Manfred Gerlach ne s’en cache pas : « Les incompétents qui mènent notre pays à sa ruine doivent comprendre que leur temps est compté. Le peuple allemand a trop longtemps été soumis. Aujourd’hui, il relève la tête », s’enthousiasme le sexagénaire, en sortant de son sac à dos une banderole marquée du slogan : « Notre pays d’abord ! »

    « Reprenons notre destin en main ! » , « Brisons nos chaînes ! », « Entrons en résistance ! »… Ce 3 octobre, ces injonctions sont martelées jusqu’à plus soif par les orateurs qui se succèdent à la tribune, opportunément dressée face au mur qui divisait Mödlareuth avant 1989 et dont un pan a été conservé en guise de mémorial dans ce village aujourd’hui à cheval entre les Länder de Bavière et de Thuringe. En ce 33e anniversaire de la réunification, la mise en scène ne doit rien au hasard. Au cœur du discours de l’AfD figure l’idée que l’Allemagne est une « dictature », que ses citoyens sont des « sujets » et qu’une nouvelle « révolution pacifique »est nécessaire, comme celle qui fit tomber le mur de Berlin.

    Pour son dernier grand meeting de campagne, c’est ce message qu’est venue marteler la tête de liste AfD en Bavière, Katrin Ebner-Steiner : « Les gouvernements ont érigé un nouveau mur autour de nos opinions. Ils ont construit un Etat de surveillance d’une perfection insoupçonnée. Ils nous harcèlent sur tous les canaux avec leur “culte de la culpabilité”. Ils nous imposent une invasion de masse venue d’Afrique et d’Asie, une pseudoscience du genre et un socialisme climatique globalo-wokiste qui ne doit s’appliquer qu’à nous et non aux élites internationales qui veulent continuer à faire le tour du monde en jet privé. Partout, ils qualifient d’ennemis de la démocratie les gens qui aiment leur pays, acceptent l’ordre immuable de la nature et ne veulent pas de travestis habillés en cuir dans les écoles maternelles. Or, c’est le contraire qui est vrai. Les vrais démocrates de ce pays, c’est nous ! »

    Ce 3 octobre, Katrin Ebner-Steiner se garde de toute prédiction chiffrée pour les élections à venir. Dans le public, beaucoup estiment que les intentions de vote pour l’AfD – 16 % en Hesse et 14 % en Bavière – ont été gonflées par les instituts de sondage afin d’effrayer les électeurs et de les inciter à voter pour les « vieux partis du système ». Mais, le 8 octobre, les résultats de l’extrême droite dépassent les pronostics. En Hesse, l’AfD arrive deuxième derrière l’Union chrétienne-démocrate (CDU) avec 18,4 % des voix, soit 5,3 points de plus qu’aux régionales de 2018. En Bavière, il obtient 14,6 % (+ 4,4 points), ce qui le place en troisième position derrière l’Union chrétienne-sociale (CSU) et le parti ultraconservateur des Freie Wähler (Electeurs libres).

    « Un parti populaire »

    Si l’AfD a l’habitude de faire des scores plus élevés en ex-Allemagne de l’Est, où il a remporté en juin son premier arrondissement(dans la ville de Sonneberg, en Thuringe) et sa première mairie (Raguhn-Jessnitz, en Saxe-Anhalt), c’est la première fois qu’il atteint de tels niveaux dans des Länder de l’Ouest. « Nous sommes désormais un parti populaire[« Volkspartei »] à l’échelle de toute l’Allemagne » , triomphe Alice Weidel, sa présidente, au lendemain de ce double scrutin.

    Il est difficile de lui donner tort. A l’évidence, les résultats de l’AfD en Bavière et en Hesse ont une portée nationale. D’abord à cause du poids démographique de ces Länder, qui totalisent près de 20 millions d’habitants, soit un quart de la population du pays. Ensuite, parce qu’ils confirment ce que les instituts de sondage mesurent à l’échelle de toute l’Allemagne : une poussée sans précédent de l’extrême droite dans les intentions de vote. Alors qu’il stagnait autour de 10 % depuis le début de la pandémie de Covid-19, l’AfD a vu sa courbe remonter sans discontinuer à partir de l’été 2022. Si des élections législatives avaient lieu aujourd’hui, il recueillerait entre 21 % et 23 % des voix, d’après les dernières enquêtes. Un score sans comparaison avec ceux qu’il a obtenus aux législatives de 2017 (12,6 %) et de 2021 (10,3 %).

    Inversement proportionnelle à l’effondrement des partis de la coalition du chancelier Olaf Scholz (sociaux-démocrates du SPD, Verts et libéraux du FDP), qui totalisent à eux trois moins de 40 % des intentions de vote, la montée de l’AfD s’étend sur quasiment tous les territoires, alors même que le parti ne revendique que 34 000 adhérents, soit dix fois moins que le SPD ou la CDU. Certes, l’extrême droite reste très marginale dans les grandes agglomérations, mais, ailleurs, sa progression est spectaculaire.

    En Bavière, par exemple, en 2018, l’AfD avait obtenu plus de 13 % dans une dizaine de circonscriptions sur quatre-vingt-dix. Le 8 octobre, il a dépassé ce seuil dans une soixantaine de circonscriptions. « Il y a cinq ans, il était facile d’identifier sur une carte la zone de force de l’AfD : c’était l’est de la Bavière, du côté de la frontière tchèque, une région de petites villes, à l’écart des grandes voies de circulation et traditionnellement très conservatrice , explique Tassilo Heinrich, chercheur en science politique à l’université de Ratisbonne. Cinq ans plus tard, le vote AfD est beaucoup moins circonscrit géographiquement. Il s’est étendu au nord de la Bavière, dans d’anciens bastions sociaux-démocrates touchés par une certaine désindustrialisation, mais a aussi continué de progresser dans des zones plus dynamiques et a priori peu favorables à ce type de parti, comme autour d’Ingolstadt, ville industrielle et universitaire où il a atteint 17 % des voix. »

    Un électorat plus divers

    Sur le plan sociodémographique, l’électorat de l’AfD est également plus divers qu’il ne l’était. Il y a quelques années, le parti d’extrême droite séduisait très majoritairement des hommes peu diplômés âgés de 35 à 60 ans. Aujourd’hui, les femmes restent sous-représentées parmi ses électeurs, mais le parti a fortement progressé auprès de catégories qu’il avait du mal à toucher jusque-là, comme les retraités et les jeunes. En Hesse, le 8 octobre, 18 % des 18-24 ans ont ainsi voté pour l’AfD, soit près de deux fois plus qu’en 2018, le hissant en deuxième position derrière la CDU, mais devant les Verts qui, il y a cinq ans, avaient fait des scores bien supérieurs à ceux de l’extrême droite dans cette tranche de l’électorat.

    Politiquement, enfin, le champ magnétique de l’AfD s’est élargi. Dans les années 2015-2020, le parti d’extrême droite attirait principalement des abstentionnistes et d’anciens électeurs de la CDU-CSU qui ne se reconnaissaient pas dans la politique d’Angela Merkel (2005-2021), jugée trop centriste. Désormais, les choses sont moins claires : en Hesse, sur les 140 000 électeurs que l’AfD a gagnés entre 2018 et 2023, 52 000 avaient voté pour la gauche ou les écologistes, 46 000 s’étaient abstenus et 17 000 avaient voté pour la CDU il y a cinq ans. « Les dernières élections montrent que le portrait-robot de l’électeur AfD typique – un homme en colère, autour de la cinquantaine, qui a fait peu ou pas d’études et vit dans une région reculée d’ex-Allemagne de l’Est – ressemble moins à ça aujourd’hui. L’AfD est en train de devenir un parti attrape-tout, capable de parler aux jeunes, aux ouvriers, aux employés, aux artisans, aux petits chefs d’entreprise et à des électeurs qui viennent de tous les bords du paysage politique » , résume Tassilo Heinrich.

    Si l’électorat de l’AfD s’est diversifié, c’est parce que le parti lui-même a élargi le spectre de ses thématiques. Lors de sa fondation, en 2013, sa principale revendication était la sortie de l’euro et le retour du deutschemark. Deux ans plus tard, l’arrivée en Allemagne d’un million de demandeurs d’asile venus du Moyen-Orient a mis la lutte contre l’immigration en tête de ses priorités. Aujourd’hui, ses chevaux de bataille sont beaucoup plus nombreux. En témoigne la variété des slogans que l’AfD a inscrits sur ses affiches électorales, en juin, dans l’arrondissement de Sonneberg : « Abolir l’euro » , « Fermer les frontières », « Protéger les femmes contre l’islam » , « Supprimer la redevance », « Contre les éoliennes mais pour le diesel », « Contre les sanctions mais pour du gaz russe bon marché ».

    Quel est le point commun de toutes ces revendications ? « Si je devais résumer ce que nous voulons, je dirais : tout simplement retrouver notre vie d’avant », explique Falko Graf, président de la section AfD de Sonneberg, avant de décrire cet « avant » tant regretté : « Avant l’ouverture des frontières par Mme Merkel, quand nous pouvions choisir qui entrait chez nous ; avant la guerre en Ukraine, quand nous étions en paix avec la Russie, qu’il n’y avait pas d’inflation et qu’il n’était pas nécessaire de gagner des mille et des cents pour vivre décemment ; avant l’arrivée des Verts au gouvernement, quand on n’était pas pointé du doigt si on roulait en voiture et qu’on aimait la viande ; avant la pandémie, quand on pouvait circuler où on voulait et qu’on était libre de se faire vacciner ou pas. »

    Domination de l’aile radicale

    Le soir où nous le rencontrons, début octobre, Falko Graf porte un tee-shirt où l’on peut lire « Sonneberg zeigt Gesicht » (« Sonneberg montre son visage »), un collectif de « citoyens avertis », fondé en 2020 pour protester contre les restrictions anti-Covid-19 et qui a repris du service, il y a quelques mois, pour protester contre la flambée des prix de l’énergie, contre le projet de loi du gouvernement sur la rénovation des systèmes de chauffage et contre l’augmentation du nombre de demandeurs d’asile (+ 77 % entre janvier et août par rapport à la même période en 2022).

    Ce soir-là, à la nuit tombée, ce sont plusieurs dizaines de personnes qui répondront à l’appel du collectif, défilant sifflets en bouche dans les rues désertes de la petite ville de Sonneberg (23 000 habitants), avant de rejoindre la place de la mairie. Là, devant une foule encore plus importante – près de 400 personnes au total –, quelques orateurs se succéderont au micro pour réclamer l’instauration d’un « tribunal pénal international » destiné à « juger pour crimes contre l’humanité les responsables de la politique de vaccination » , demander le départ d’un gouvernement qui préfère « dépenser de l’argent pour aider l’Ukraine à faire la guerre plutôt que pour lutter contre l’inflation ici en Allemagne » , et fulminer contre « la Banque centrale européenne qui appauvrit les Allemands ».Point notable : ce sont les ministres écologistes – Annalena Baerbock avec sa « politique étrangère féministe » et Robert Habeck avec sa « politique économique absurde » –qui sont le plus hués, davantage qu’Olaf Scholz, dont le nom est à peine prononcé, une grande différence avec les années Merkel où c’était elle, la chancelière, qui était la cible de l’AfD. On s’en étonne auprès d’un jeune homme venu avec une banderole à l’effigie de M. Habeck grimé en « clown vert ». Explication : « Scholz est le chancelier le plus faible que l’Allemagne a connu. Mais c’est difficile de taper sur lui, car on ne sait pas ce qu’il pense ni ce qu’il fait. »

    En Thuringe, où se trouve l’arrondissement de Sonneberg conquis en juin par le parti d’extrême droite, celui-ci pourrait arriver en tête aux prochaines élections, prévues le 1er septembre 2024 : dans les derniers sondages, l’AfD est crédité de 32 % des voix, 10 points de plus que Die Linke (« La Gauche », qui dirige l’exécutif régional) et que la CDU, dans l’opposition. Cette progression est d’autant plus remarquable que, depuis le dernier scrutin, en 2019, où l’AfD a obtenu 23 %, sa fédération thuringeoise a été mise sous surveillance par l’Office de protection de la Constitution (Verfassungsschutz) pour « atteintes aux principes de l’Etat de droit », « violations des règles de la démocratie » et « révisionnisme historique ».

    Chef de l’AfD dans ce Land d’ex-Allemagne de l’Est, Björn Höcke est le représentant de l’aile la plus radicale du parti à l’échelle nationale. Agé de 51 ans, cet ancien professeur d’histoire doit comparaître devant un tribunal pour avoir lancé, lors d’un meeting, la formule « Alles für Deutschland » (« tout pour l’Allemagne »), qui était le slogan des SA, l’organisation paramilitaire nazie. L’homme est un habitué de ce genre de références. Dans une enquête publiée le 20 septembre, l’hebdomadaire Die Zeit rappelait que ses discours puisaient volontiers dans le vocabulaire du IIIe Reich, que ce soit pour ironiser sur le besoin d’ « espace vital »(« Lebensraum ») de la population, pour dénoncer les partis politiques « dégénérés »(« entartet ») ou pour qualifier un ministre de « corrupteur du peuple » (« Volksverderber »), expression utilisée par Hitler dans Mein Kampf à propos des juifs…

    Au fil des années, les représentants de l’aile radicale de l’AfD ont étendu leur domination sur le parti, au détriment des plus « modérés » dont plusieurs figures importantes ont claqué la porte au gré des purges et des révolutions de palais qui ont secoué le mouvement depuis sa fondation en 2013. Le congrès organisé à Magdebourg, cet été, en vue des élections européennes du 9 juin 2024 en a été l’illustration.

    Eurodéputé sortant, le candidat qui a été investi comme tête de liste, Maximilian Krah, a été suspendu du groupe Identité et Démocratie au Parlement européen, dans lequel l’AfD siège avec le Rassemblement national, pour avoir soutenu Eric Zemmour face à Marine Le Pen lors de la présidentielle française de 2022. Parmi ses colistiers, l’un s’est inquiété des « gangs musulmans » qui contribuent à la « décadence de l’Europe » , un autre a qualifié les homosexuels et les personnes transgenres de « baiseurs d’enfants tolérés par l’Etat » , et une troisième a prôné la « remigration » des étrangers, concept cher à l’extrême droite identitaire, affirmant que les « changements de population sont plus importants que le changement climatique » . Comme invité d’honneur de son congrès, l’AfD avait convié le député bulgare Kostadin Kostadinov, président du parti ultranationaliste Revival (Renaissance), proche du Kremlin, viscéralement anti-OTAN et connu pour avoir qualifié les Roms de « parasites »et de « vermines inhumaines »…

    « Le discours de l’AfD n’a cessé de se durcir année après année, ses positions n’ont jamais été aussi radicales, mais cela ne l’empêche pas de progresser, bien au contraire » , observe Axel Salheiser, professeur de sociologie politique à l’université d’Iena et directeur scientifique de l’Institut pour la démocratie et la société civile (IDZ), spécialisé dans la lutte contre l’extrême droite. A la différence du RN qui, en France, a fait de la « dédiabolisation » la condition de sa notabilisation dans l’espoir de conquérir le pouvoir, l’AfD gagne du terrain en se radicalisant.

    Une poussée irrésistible ?

    En Bavière et en Hesse, plus de 80 % des électeurs ayant voté pour l’AfD disent qu’il leur est égal que ce parti soit d’extrême droite. Et dans ces deux Länder, la part des électeurs ayant voté pour l’AfD par adhésion à ses idées, et non en signe de protestation contre les autres partis, a progressé d’environ 10 points en cinq ans. « Ces chiffres doivent nous alerter. Une part de plus importante de la population allemande vote en pleine connaissance de cause pour un parti qui profère des contrevérités, propage des idées complotistes et rêve de remplacer la démocratie pluraliste par un pouvoir autoritaire et nationaliste » , poursuit Axel Salheiser.

    La poussée de l’AfD est-elle pour autant irrésistible ? Les dernières élections en Bavière et en Hesse ont montré que le parti d’extrême droite a fait des scores particulièrement élevés dans des zones où les partis traditionnels ont été affaiblis par des querelles internes ou des affaires judiciaires, ou dans des localités qui se sont vu imposer l’installation de foyers de réfugiés contre l’avis de leurs habitants. A l’inverse, l’AfD a perdu ces dernières semaines deux élections municipales partielles – à Nordhausen (Thuringe) et Bitterfeld-Wolfen (Saxe-Anhalt) – qui lui semblaient acquises. Dans les deux cas, les maires sortants ont été réélus au second tour alors qu’ils étaient largement devancés par l’AfD au premier. « Ce qui s’est passé dans ces deux villes moyennes est intéressant : même là où l’extrême droite fait 35 %-40 % des voix, les électeurs préfèrent in fine reconduire des sortants qu’ils connaissent plutôt que des candidats qui, certes, expriment leurs colères mais n’ont pas démontré leur capacité à gérer une collectivité locale » , explique Axel Salheiser.

    Intéressant mais pas forcément rassurant : le 9 juin 2024, jour des élections européennes, les Allemands voteront également pour leurs maires et leurs conseillers d’arrondissement dans neuf des seize Länder du pays, dont ceux d’ex-Allemagne de l’Est. Or, le nombre d’élus qui ne se représenteront pas pourrait atteindre un niveau record, souligne le chercheur, qui prévient : « Dans des tas de communes et d’arrondissements, la prime au sortant, cette fois, ne jouera pas. A un an des élections législatives, cela risque d’offrir un vrai boulevard à l’AfD. »

    https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/05/en-allemagne-l-inquietante-progression-de-l-extreme-droite-a-sept-mois-des-e

    Et ce terme, le « #socialisme_climatique_globalo-wokiste » qui semble bien être le pendant en Allemagne de l’#islamogauchisme français

  • Les récits politiques de la radicalité
    https://laviedesidees.fr/Les-recits-politiques-de-la-radicalite

    La notion de radicalisation a fait couler beaucoup d’encre des dernières années, mais reste relativement confuse. Les États qui cherchent à y faire face ont mis en place des dispositifs variés dont l’efficacité réelle reste difficile à évaluer, et qui produisent bien souvent des effets inattendus. À propos de : Juliette Galonnier, Stéphane Lacroix, Nadia Marzouki, dir., Politiques de lutte contre la radicalisation, Presses de Sciences-po

    #Société #terrorisme #islamisme
    https://laviedesidees.fr/IMG/docx/202310_radicalite_-1.docx
    https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20231101_radicalite.pdf
    https://laviedesidees.fr/IMG/docx/20231101_radicalite.docx

  • Un cas d’école de génocide | Raz Segal
    https://cabrioles.substack.com/p/un-cas-decole-de-genocide-raz-segal

    · Note de Cabrioles : Nous aurions aimé ces denières semaines trouver les forces nécessaires pour visibiliser la situation palestinienne tout en réalisant un dossier sur la pandémie dans le contexte colonial palestinien.

    Nous aurions sûrement traduit des articles de The Pandemic and #Palestine_, le numéro du _Journal of Palestine Studies de 2020 dédié à la #pandémie. Peut-être des extraits de l’interview que sa coordinatrice Danya Qato avait donné à nos camarades de Death Panel. Fouiller dans les articles de Nadia Naser-Najjab qui a donné une conférence The Darkest Side of #Covid-19 in Palestine et publiera en 2024 un livre intitulé Covid-19 in Palestine, The Settler Colonial Context. Enfin nous vous aurions invité à relire l’interview de Danya Cato traduite en 2020 dans À l’encontre et cet article d’ACTA paru en avril 2020 : Le peuple palestinien entre pandémie, harcèlement colonial et autodéfense sanitaire.

    Mais ces forces nous font pour le moment défaut. Pour autant nous ne pouvons nous taire sur ce qui se passe au Moyen Orient ces dernières semaines. Notre voix est faible, mais dans ces moments d’effondrement général il semblerait que chaque voix compte. La pandémie de Covid-19 nous a mis face à deux phénomènes majeurs : la production industrielle de l’insensibilisation à la mort de masse et la complaisance abyssale de la #gauche avec l’#antisémitisme.

    Le premier a de multiples racines dont les principales sont le #colonialisme et le #racisme meurtrier qui structurent le #capitalisme_racial et ses ressorts eugénistes. Racisme, #validisme et #eugénisme sont historiquement inextricables. Les plus de 300 morts par jour de novembre 2020 à avril 2021, et les dizaines de milliers qui ont précédées et suivies, ont pu être d’autant plus facilement acceptées et oubliées qu’elles touchaient d’abord les #classes_populaires racisées, et que depuis des années nous avions été habitué·es au décompte des morts dans la #méditerranée de personnes en exil. En les déshumanisant, en en faisant un rebut.

    Le second phénomène, l’antisémitisme au sein de la gauche, nourrit les rapprochements et dangers les plus corrosifs à force d’être nié par celle-ci. Nous avons vu de larges pans de la gauche et des mouvements #révolutionnaires défilés aux côté d’antisémites assumés, prendre leur défense, relativiser le génocide des Juifves d’Europe. Nous avons vu nombres de camarades se rapprocher de formations fascisantes en suivant cette voie. À travers l’antisémitisme la #déshumanisation des Juifves opère en en faisant non un rebut mais un groupe prétendument homogène qui détiendrait le pouvoir, suscitant des affects de haine d’autant plus féroces.

    Ces deux phénomènes ont explosé ces dernières semaines. À l’#animalisation des palestinien·nes en vue de leur #nettoyage_ethnique est venue répondre la culpabisation par association de toute la #population_israélienne, si ce n’est de tous les Juifves de la terre, aux massacres perpétués par le gouvernement d’#extrême-droite de l’État d’#Israël et les forces capitaliste occidentales.

    La projet de #colonisation de la Palestine est né des menées impérialistes de l’#occident capitaliste et de l’antisémitisme meurtrier de l’#Europe. Ils ne pourront être affrontés séparément. Les forces fascisantes internationales qui prétendent désormais sauver le capitalisme des désastres qu’il a produit par un #nationalisme et un #suprémacisme débridé, se nourrissent de l’intensification de tous les racismes - #islamophobie, antisémitisme, #négrophobie, #antitsiganisme, #sinophobie…- en vue de capturer les colères et de désigner comme surplus sacrifiables des parts de plus en plus larges de la population.

    En #France l’extrême-droite joue habilement de l’islamophobie et de l’antisémitisme structurels, présents jusque dans les rangs de la gauche radical, en potentialisant leurs effets par un jeu de miroirs explosif.

    Face à cela il nous faut un front uni qui refuse la déshumanisations des morts et des #otages israelien·nes tout en attaquant le #système_colonial qui domine et massacrent les palestinien·nes. Il nous faudra également comprendre l’instrumentalisation historique des Juifves et de l’antisémitisme par l’#impérialisme_occidental dans la mise en place de ce système.

    Nous n’avons pas trouvé les forces pour faire ce dossier. Nous republions donc ce texte important de l’historien israélien Raz Segal paru il y a maintenant deux semaines dans la revue Jewish Current. Deux semaines qui semblent aujourd’hui une éternité. Il nous faut nous organiser pour combattre de front la montée incendiaire de l’antisémitisme et de l’islamophobie. Et faire entendre haut et fort :

    Un #génocide est en cours en Palestine.
    Tout doit être fait pour y mettre un terme.

  • Lettre ouverte au président de la République française - L’Orient-Le Jour
    https://www.lorientlejour.com/article/1354010/lettre-ouverte-au-president-de-la-republique-francaise.html

    Lettre ouverte au président de la République française
    OLJ / Par Dominique EDDÉ, le 20 octobre 2023 à 10h30

    Monsieur le Président,

    C’est d’un lieu ruiné, abusé, manipulé de toutes parts, que je vous adresse cette lettre. Il se pourrait qu’à l’heure actuelle, notre expérience de l’impuissance et de la défaite ne soit pas inutile à ceux qui, comme vous, affrontent des équations explosives et les limites de leur toute puissance.

    Je vous écris parce que la France est membre du Conseil de sécurité de l’ONU et que la sécurité du monde est en danger. Je vous écris au nom de la paix.

    L’horreur qu’endurent en ce moment les Gazaouis, avec l’aval d’une grande partie du monde, est une abomination. Elle résume la défaite sans nom de notre histoire moderne. La vôtre et la nôtre. Le Liban, l’Irak, la Syrie sont sous terre. La Palestine est déchirée, trouée, déchiquetée selon un plan parfaitement clair : son annexion. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les cartes.

    Le massacre par le Hamas de centaines de civils israéliens, le 7 octobre dernier, n’est pas un acte de guerre. C’est une ignominie. Il n’est pas de mots pour en dire l’étendue. Si les arabes ou les musulmans tardent, pour nombre d’entre eux, à en dénoncer la barbarie, c’est que leur histoire récente est jonchée de carnages, toutes confessions confondues, et que leur trop plein d’humiliation et d’impotence a fini par épuiser leur réserve d’indignation ; par les enfermer dans le ressentiment. Leur mémoire est hantée par les massacres, longtemps ignorés, commis par des Israéliens sur des civils palestiniens pour s’emparer de leurs terres. Je pense à Deir Yassin en 1948, à Kfar Qassem en 1956. Ils ont par ailleurs la conviction – je la partage – que l’implantation d’Israël dans la région et la brutalité des moyens employés pour assurer sa domination et sa sécurité ont très largement contribué au démembrement, à l’effondrement général. Le colonialisme, la politique de répression violente et le régime d’apartheid de ce pays sont des faits indéniables. S’entêter dans le déni, c’est entretenir le feu dans les cerveaux des uns et le leurre dans les cerveaux des autres. Nous savons tous par ailleurs que l’islamisme incendiaire s’est largement nourri de cette plaie ouverte qui ne s’appelle pas pour rien « la Terre sainte ». Je vous rappelle au passage que le Hezbollah est né au Liban au lendemain de l’occupation israélienne, en 1982, et que les désastreuses guerres du Golfe ont donné un coup d’accélérateur fatal au fanatisme religieux dans la région.

    Qu’une bonne partie des Israéliens reste traumatisée par l’abomination de la Shoah et qu’il faille en tenir compte, cela va de soi. Que vous soyez occupé à prévenir les actes antisémites en France, cela aussi est une évidence. Mais que vous en arriviez au point de ne plus rien entendre de ce qui se vit ailleurs et autrement, de nier une souffrance au prétexte d’en soigner une autre, cela ne contribue pas à pacifier. Cela revient à censurer, diviser, boucher l’horizon. Combien de temps encore allez-vous, ainsi que les autorités allemandes, continuer à puiser dans la peur du peuple juif un remède à votre culpabilité ? Elle n’est plus tolérable cette logique qui consiste à s’acquitter d’un passé odieux en en faisant porter le poids à ceux qui n’y sont pour rien. Écoutez plutôt les dissidents israéliens qui, eux, entretiennent l’honneur. Ils sont nombreux à vous alerter, depuis Israël et les États-Unis.

    Commencez, vous les Européens, par exiger l’arrêt immédiat des bombardements de Gaza. Vous n’affaiblirez pas le Hamas ni ne protégerez les Israéliens en laissant la guerre se poursuivre. Usez de votre voix non pas seulement pour un aménagement de corridors humanitaires dans le sillage de la politique américaine, mais pour un appel à la paix ! La souffrance endurée, une décennie après l’autre, par les Palestiniens n’est plus soutenable. Cessez d’accorder votre blanc-seing à la politique israélienne qui emmène tout le monde dans le mur, ses citoyens inclus. La reconnaissance, par les États-Unis, en 2018, de Jérusalem capitale d’Israël ne vous a pas fait broncher. Ce n’était pas qu’une insulte à l’histoire, c’était une bombe. Votre mission était de défendre le bon sens que prônait Germaine Tillion « Une Jérusalem internationale, ouverte aux trois monothéismes. » Vous avez avalisé, cette même année, l’adoption par la Knesset de la loi fondamentale définissant Israël comme « l’État-Nation du peuple juif ». Avez-vous songé un instant, en vous taisant, aux vingt et un pour cent d’Israéliens non juifs ? L’année suivante, vous avez pour votre part, Monsieur le Président, annoncé que « l’antisionisme est une des formes modernes de l’antisémitisme. » La boucle était bouclée. D’une formule, vous avez mis une croix sur toutes les nuances. Vous avez feint d’ignorer que, d’Isaac Breuer à Martin Buber, un grand nombre de penseurs juifs étaient antisionistes. Vous avez nié tous ceux d’entre nous qui se battent pour faire reculer l’antisémitisme sans laisser tomber les Palestiniens. Vous passez outre le long chemin que nous avons fait, du côté dit « antisioniste », pour changer de vocabulaire, pour reconnaître Israël, pour vouloir un avenir qui reprenne en compte les belles heures d’un passé partagé. Les flots de haine qui circulent sur les réseaux sociaux, à l’égard des uns comme des autres, n’exigent-ils pas du responsable que vous êtes un surcroît de vigilance dans l’emploi des mots, la construction des phrases ? À propos de paix, Monsieur le Président, l’absence de ce mot dans votre bouche, au lendemain du 7 octobre, nous a sidérés. Que cherchons-nous d’autre qu’elle au moment où la planète flirte avec le vide ?

    Les accords d’Abraham ont porté le mépris, l’arrogance capitaliste et la mauvaise foi politique à leur comble. Est-il acceptable de réduire la culture arabe et islamique à des contrats juteux assortis – avec le concours passif de la France – d’accords de paix gérés comme des affaires immobilières ? Le projet sioniste est dans une impasse. Aider les Israéliens à en sortir demande un immense effort d’imagination et d’empathie qui est le contraire de la complaisance aveuglée. Assurer la sécurité du peuple israélien c’est l’aider à penser l’avenir, à l’anticiper, et non pas le fixer une fois pour toutes à l’endroit de votre bonne conscience, l’œil collé au rétroviseur. Ici, au Liban, nous avons échoué à faire en sorte que vivre et vivre ensemble ne soient qu’une et même chose. Par notre faute ? En partie, oui. Mais pas seulement. Loin de là. Ce projet était l’inverse du projet israélien qui n’a cessé de manœuvrer pour le rendre impossible, pour prouver la faillite de la coexistence, pour encourager la fragmentation communautaire, les ghettos. À présent que toute cette partie du monde est au fond du trou, n’est-il pas temps de décider de tout faire autrement ? Seule une réinvention radicale de son histoire peut rétablir de l’horizon.

    En attendant, la situation dégénère de jour en jour : il n’y a plus de place pour les postures indignées et les déclarations humanitaires. Nous voulons des actes. Revenez aux règles élémentaires du droit international. Demandez l’application, pour commencer, des résolutions de l’ONU. La mise en demeure des islamistes passe par celle des autorités israéliennes. Cessez de soutenir le nationalisme religieux d’un côté et de le fustiger de l’autre. Combattez les deux. Rompez cette atmosphère malsaine qui donne aux Français de religion musulmane le sentiment d’être en trop s’ils ne sont pas muets.

    Écoutez Nelson Mandela, admiré de tous à bon compte : « Nous savons parfaitement que notre liberté est incomplète sans celle des Palestiniens, » disait-il sans détour. Il savait, lui, qu’on ne fabrique que de la haine sur les bases de l’humiliation. On traitait d’animaux les noirs d’Afrique du Sud. Les juifs aussi étaient traités d’animaux par les nazis. Est-il pensable que personne, parmi vous, n’ait publiquement dénoncé l’emploi de ce mot par un ministre israélien au sujet du peuple palestinien ? N’est-il pas temps d’aider les mémoires à communiquer, de les entendre, de chercher à comprendre là où ça coince, là où ça fait mal, plutôt que de céder aux affects primaires et de renforcer les verrous ? Et si la douleur immense qu’éprouve chaque habitant de cette région pouvait être le déclic d’un début de volonté commune de tout faire autrement ? Et si l’on comprenait soudain, à force d’épuisement, qu’il suffit d’un rien pour faire la paix, tout comme il suffit d’un rien pour déclencher la guerre ? Ce « rien » nécessaire à la paix, êtes-vous sûrs d’en avoir fait le tour ? Je connais beaucoup d’Israéliens qui rêvent, comme moi, d’un mouvement de reconnaissance, d’un retour à la raison, d’une vie commune. Nous ne sommes qu’une minorité ? Quelle était la proportion des résistants français lors de l’occupation ? N’enterrez pas ce mouvement. Encouragez-le. Ne cédez pas à la fusion morbide de la phobie et de la peur. Ce n’est plus seulement de la liberté de tous qu’il s’agit désormais. C’est d’un minimum d’équilibre et de clarté politique en dehors desquels c’est la sécurité mondiale qui risque d’être dynamitée.

    Par Dominique EDDÉ. Écrivaine.

  • La #révolution et le #djihad. #Syrie, #France, #Belgique

    Après le soulèvement de la population syrienne contre la dictature de #Bachar_al-Assad en 2011, sa répression sanglante a conduit nombre de révolutionnaires à s’engager dans la #lutte_armée. L’intervention de groupes se réclamant de l’#islam_politique et les ingérences étrangères ont ensuite rendu le #conflit singulièrement opaque. Jusqu’à l’émergence en 2014 de l’#État_islamique, qui a fait de la #religion le noyau d’une #politique_de_la_terreur. Ce qui a conduit une petite minorité dévoyée des jeunes Européens ayant rejoint la révolution à perpétrer, en France et en Belgique, de terribles #attentats-suicides en 2015 et 2016.
    Pour tenter d’éclairer ces enchaînements tragiques, les interprétations idéologiques centrées sur la « #radicalisation » de l’islam politique ont trop souvent prévalu. D’où l’importance de ce livre, qui s’appuie à l’inverse sur les #témoignages des acteurs – ; révolutionnaires syriens et « #migrants_du_djihad » – ; recueillis par l’auteur entre 2015 et 2023 au Moyen-Orient et en Europe. On y découvrira comment des gens ordinaires ont vécu leurs #engagements, marqués par le dépassement des organisations partisanes et le rapprochement improbable entre islamistes et gauches. Ces témoignages mettent en récit le sens de leurs actions, de la mobilisation pacifique initiale à la guerre révolutionnaire. Ils éclairent le rôle du #symbolisme_religieux dans la #révolution_syrienne et dans les motivations des quelque 2 500 jeunes Français et Belges issus de l’#immigration_postcoloniale, nouveaux « internationalistes » l’ayant rejointe à la faveur des #printemps_arabes. Au total, un regard sans équivalent sur la confrontation singulière, dans la lutte contre la #dictature, de deux forces utopiques antagoniques, celle positive de soutien à la cause révolutionnaire, et celle négative animant le #fascisme d’un #Etat_théocratique.

    https://www.editionsladecouverte.fr/la_revolution_et_le_djihad-9782348078316
    #livre #internationnalisme

    • La mosaïque éclatée ; une histoire du mouvement national palestinien (coédition Institut des Etudes Palestiniennes), Nicolas Dot-Pouillard, Actes Sud, 256pp, 2016.


      https://www.actes-sud.fr/node/56808

      Les accords d’Oslo signés par Arafat et Rabin en septembre 1993 constituent un tournant décisif dans l’histoire du mouvement national palestinien : l’OLP s’installe en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Or ces accords laissent en suspens toutes les questions de fond (l’avenir de Jérusalem, le droit au retour des réfugiés, les frontières du futur État palestinien, etc.), et les gouvernements israéliens successifs ne vont pas manquer d’en tirer profit pour accélérer la judaïsation de Jérusalem et la colonisation de la Cisjordanie.

      Dès lors, le mouvement national palestinien se divise sur la faisabilité de l’option dite des deux États, mais aussi sur le bilan de l’Autorité nationale, la restructuration de l’OLP, les formes de résistance, armée ou non violente, et les alliances régionales à établir, avec l’Iran ou avec les pays du Golfe. Il connaît en conséquence bien des recompositions idéologiques, entre nationalisme et islamisme.

      Nicolas Dot-Pouillard insiste dans ce livre solidement documenté sur les principaux débats stratégiques et tactiques qui agitent la scène politique palestinienne dans sa diversité géographique, éclairant les positions des différentes forces en présence, du Fatah au Hamas, en passant par le Jihad islamique et la gauche.

    • #Droit_d’asile : le #juge qui penche à l’#extrême_droite

      Chargé de statuer sur les demandes d’asile, #Jean-Marie_Argoud affiche ses opinions islamophobes, antisémites et homophobes sur les réseaux.

      Sur Facebook, le juge « like » des pages au contenu antiréfugiés, anti-islam ou homophobe. Parfois, Jean-Marie Argoud prend lui-même la plume

      Mais dès le 10 octobre, sept nouvelles demandes de récusation ont été déposées pour les mêmes motifs par trois autres avocats, très remontés de voir Jean-Marie Argoud siéger malgré les soupçons pesant sur lui. Ce mercredi 18 octobre, au moins deux demandes supplémentaires ont été déposées pour les mêmes raisons lors d’une audience qu’il présidait. Pas moins de douze demandes de récusation visent désormais ce juge, déposées par une dizaine d’avocats. Du jamais vu à la CNDA.

      En parallèle, nous avons découvert d’autres prises de position de celui qui, magistrat depuis 2008, exerce également au tribunal administratif de Marseille où il est rapporteur public, en plus de la CNDA où il siège depuis 2021. Les Jours révèlent ainsi la face pas si cachée de ce juge du droit d’asile qui semble barboter dans un marigot d’extrême droite, au milieu de catholiques intégristes, de royalistes contre-révolutionnaires et de nostalgiques de l’Algérie française.

      Commençons par son compte Facebook : parmi les mentions « j’aime » accordées à une dizaine de pages par Jean-Marie Argoud, et toujours publiques à ce jour, les avocats de l’association Elena relèvent les très complotistes Avenir de la culture, Dextra Nicolas et Nouvelles de France. Selon les avocats qui s’appuient sur une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et sur la charte de déontologie de la juridiction administrative, « “liker” une page constitue un geste de soutien actif et public à son contenu ». Et irait ainsi à l’encontre du devoir de réserve qui échoit à tout magistrat. A fortiori lorsque les pages en question relaient de façon frénétique des publications antiréfugiés, anti-islam ou homophobes.

      Jean-Marie Argoud ne se contente pas de « liker ». Parfois, il prend lui même la plume sur Facebook, comme ce 20 juin 2013, peu après l’adoption de la loi sur le mariage homosexuel, lorsqu’il brocarde une « classe politique corrompue » et s’insurge contre le traitement réservé aux militants de la Manif pour tous, avant de demander l’intervention des Casques bleus pour « organiser la transition de la France vers la démocratie ». Un premier « ami » Facebook lui répond : « Ne demandons rien à personne et changeons nous-mêmes ce système républicain qui nous mène à la ruine. Vive le Roy ! »

      Un second « ami » commente à son tour. Il s’agit de Ghislain Dubois, un avocat belge qui, d’après Le Monde, a trempé dans l’affaire des détournements de fonds européens qui vise le Rassemblement national. Manifestement, les deux hommes se connaissent bien : « Mon cher Jean-Marie, ne devrais-tu pas faire attention vu tes fonctions ?, s’inquiète Ghislain Dubois. Sinon, ne devrais-tu pas te proposer à Marseille comme candidat du Front ou du Rassemblement bleu Marine, […] seul parti qui abrogera cette loi abominable ? » Réponse d’Argoud : « J’ai assez peu confiance dans le Front sur ce terrain. […] Marine a estimé que ce sujet n’était pas prioritaire. Alors qu’au contraire, en face, ils savent bien ce qui est pour eux une priorité. »

      Le goût pour l’Algérie française du juge Argoud lui vient de son père, qui a été l’un des chefs de l’OAS et a avoué sans remords avoir torturé des Algériens

      Dans leurs conclusions, les avocats préviennent : « Il n’est pas ici question du positionnement politique de monsieur le président Argoud au moment du vote de la loi sur le mariage pour tous, mais bien de l’utilisation d’une rhétorique homophobe […], son abstention à modérer des commentaires particulièrement virulents, la critique très virulente et polémique [du] fonctionnement des institutions. »

      Ces derniers pointent aussi ses publications anti-islam, comme en septembre 2014, lorsque que le juge partage la vidéo du reportage d’une chaîne russe affiliée au Kremlin qui traite d’un supposé « grand remplacement » en France et à l’intitulé explicite : « Est-ce que les rois de France qui sont enterrés dans la basilique Saint-Denis […] auraient pu savoir dans quel entourage ils allaient reposer ? » Ou en 2015 quand, sous un article traitant des francs-maçons, Jean-Marie Argoud écrit que « sans doute les intéressés préfèrent-ils rester à couvert du voile à l’expansion duquel ils contribuent ».

      Plus récemment, en octobre 2020, le magistrat partage la vidéo d’un rassemblement organisé par l’Association pour la défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus de l’Algérie française (Adimad), repaire de nostalgiques de l’Algérie française et d’anciens de l’Organisation de l’armée secrète (OAS). Un orateur y tient des propos présentant « un implicite antisémite évident » selon les avocats d’Elena, pour qui le fonctionnaire, en les relayant, endosserait des positions qui « viennent ici banaliser, voire minorer, la Shoah […] et pourraient faire encourir à son auteur et à ceux qui le diffusent une condamnation pénale ». Sur Facebook, Jean-Marie Argoud commente la vidéo d’une simple phrase : « Un bel hommage, particulièrement courageux en ces temps où la liberté d’expression n’est plus ou presque. »

      De par son histoire personnelle – dont Elena n’a pas fait état, privilégiant « un raisonnement juridique », nous dit l’une de ses membres –, Jean-Marie Argoud entretient une relation intime avec l’Adimad et plus encore avec l’OAS. Son père, le colonel Antoine Argoud, était un fervent partisan de l’Algérie française. Impliqué dans le putsch d’Alger en 1961, il deviendra l’un des chefs de l’OAS, organisation terroriste auteure de nombreux attentats. Condamné à la perpétuité en 1963, il est amnistié cinq ans plus tard. En 1974, dans La Décadence, l’imposture et la tragédie (Fayard), Antoine Argoud affirme sans trop de remords avoir torturé des Algériens pendant la guerre. Il ordonnait aussi des exécutions extrajudiciaires avant d’exposer publiquement les cadavres pour terroriser les populations.

      Pas de quoi effaroucher ses vieux copains : en 2011, un rassemblement est organisé dans les Vosges par l’Adimad afin de déposer une plaque commémorative sur la tombe d’Antoine Argoud, mort en 2004. Frappée d’une interdiction préfectorale, la manifestation se tient finalement grâce à un référé déposé par Jean-Marie Argoud, alors tout juste magistrat. L’année suivante, il fonde l’Association pour l’honneur du colonel Argoud, visant à réhabiliter sa mémoire et son honneur, et dont il file assurer la promotion sur les ondes de Radio Courtoisie, station d’extrême droite elle-même fondée par un ancien de l’OAS.

      Il a un mérite immense : celui de s’être battu, en première ligne en essayant en plus de penser. Les gens d’armes combattront et Dieu donnera la victoire. Il a combattu.
      En 2013, Jean-Marie Argoud écrit un hommage à l’antisémite notoire Jean Madiran

      Né en 1974, Jean-Marie Argoud a donc grandi dans ce milieu pro-Algérie française. En 1995, il intègre Saint-Cyr et sert pendant près de dix ans dans la Légion étrangère puis chez les parachutistes. De ses années en treillis, il semble avoir gardé quelques contacts, comme Christian Piquemal, général radié de l’armée en 2016 pour avoir participé à un rassemblement contre la politique migratoire de la France et qu’il compte parmi ses « amis » Facebook. Jean-Marie Argoud, lui, deviendra magistrat administratif en 2008. À partir de 2013, il siège au tribunal administratif de Marseille. En octobre 2021, le quadragénaire est nommé à sa demande à la CNDA en tant que président de chambre vacataire. Là-bas, il commence à faire parler de lui fin janvier 2023.

      Lors d’une audience à juge unique à la CNDA, Jean-Marie Argoud aurait ainsi laissé entendre qu’un demandeur d’asile devait prouver son homosexualité. « Le Conseil d’État est pourtant clair sur la question, fustige auprès des Jours son avocate. Ce qui importe est que la personne ait été persécutée parce que ses persécuteurs pensaient, à tort ou à raison, qu’elle était homosexuelle. » La même journée, d’après une autre avocate, il se serait montré « désinvolte, condescendant et agressif » envers une femme violée et mariée de force dans son pays d’origine. Plus tard, alors qu’un séisme vient de ravager une partie de la Turquie, il aurait refusé le renvoi du dossier d’un requérant dont une partie de la famille se trouvait sous les décombres. D’une façon plus générale, d’après nombre d’avocats contactés par Les Jours, le juge Argoud aurait la main leste sur les rejets des demandes d’asile. « Comme beaucoup d’autres », soupire l’un d’entre eux.

      Sauf que cet été, un avocat tombe sur les publications de son compte Facebook, alors entièrement publiques, et effectue des captures d’écran. Le 25 août, une avocate mise au parfum dépose une demande de récusation lors d’une audience présidée par le juge Argoud, qu’elle retirera finalement en raison du renvoi de son dossier. Dans les heures qui suivent, le compte du juge passe en privé, à l’exception des pages « likées ». Deux semaines plus tard, les demandes de récusation pleuvent, conduisant à l’audience du 3 octobre. Contactée, la CNDA assure n’avoir pas été au courant des prises de position du magistrat avant la procédure en cours, qu’elle refuse de commenter mais, nous dit-on, traite « avec rigueur » : « Il faudra évaluer les propos, leur date et leur contexte. » Sollicité, Jean-Marie Argoud n’a pas répondu à nos questions.

      Dommage, on en avait plein. Car le magistrat ne s’est pas cantonné à partager ses idées sur Facebook. En août 2013, sur un blog catholique d’extrême droite – étrangement supprimé en fin de semaine dernière mais toujours accessible ici –, il écrit un texte laudateur à l’endroit de Jean Madiran, tout juste décédé. Ce disciple de Charles Maurras fut le cofondateur du journal d’extrême droite Présent, pétainiste patenté et proche de Jean-Marie Le Pen : « Il a un mérite immense : celui de s’être battu, en première ligne en essayant en plus de penser, s’enflamme Jean-Marie Argoud. Les gens d’armes combattront et Dieu donnera la victoire. Il a combattu. » De quelles pensées parle-t-il ? Et de quels combats ? Parce qu’à Vichy, cet antisémite notoire, figure du national-catholicisme, avait surtout combattu « la nation juive », comme il disait. En 1943, il avait été décoré de la Francisque des mains de Pétain. En 1996, il était condamné pour diffamation à caractère racial.

      Le magistrat est ou a été actif dans la chaîne Telegram du Cercle des légitimistes français, qui mêle royalisme, intégrisme catholique et antisémitisme

      Dans les méandres d’internet, Jean-Marie Argoud s’illustre aussi par un ressentiment prononcé contre Charles de Gaulle. Le 11 septembre 2022, il s’indigne ainsi qu’on évoque les « mânes du général de Gaulle » dans un message posté sur un canal Telegram du « Cercle des légitimistes français », organisation d’obédience royaliste contre-révolutionnaire. Cette chaîne est à accès restreint mais bien publique. L’administrateur partage alors le courroux du magistrat : « Merci à JMA pour son questionnement : en effet, il est entièrement inutile d’invoquer Charles le félon connétable du déclin qui a aligné les défaites, bradé l’empire et l’Algérie, [et] persécut[é] le colonel Argoud comme bien d’autres hommes d’honneur de l’OAS. » Ce nostalgique de l’Ancien Régime propose par ailleurs des formations politiques. L’objectif de la première d’entre elles, à laquelle nous avons eu accès, est assez clair : « Détruire la République, remettre la France à sa place de royaume du fils aîné de l’Église avec le roi légitime sur le trône ». Les moyens pour y parvenir, eux, sont plus flous.

      Pour poster des messages sur ce canal, il faut préalablement avoir montré patte blanche à cet administrateur. « Une équipe participe à l’animation et au contenu du canal, elle est constituée de légitimistes expérimentés », explique-t-il dans un message privé que nous avons pu consulter. Sur les près de 200 membres de la chaîne Telegram, une dizaine seulement semblent avoir été « habilités » à participer à ce gloubi-boulga complotiste, raciste et antisémite. A priori, Jean-Marie Argoud en fait ou en a fait partie puisqu’il y a posté au moins une fois l’an passé. Pour quelles raisons un magistrat de la République s’est-il retrouvé parmi ces illuminés qui prient pour le retour du duc d’Anjou sur le trône d’une France éternelle et catholique ?

      Quoi qu’il en soit, Jean-Marie Argoud semble, lui aussi, apprécier l’Église. Et il l’aime dans sa version la plus traditionaliste, celle de la très intégriste Fraternité sacerdotale Saint-Pie X. En 2019, il y était investi en tant que chef de chapitres des pèlerinages traditionnels pour la région Provence-Alpes-Côtes d’Azur, sous la houlette de Xavier Beauvais, comme le prouve un document obtenu par Les Jours. En 2016, cet abbé rigoriste a été condamné en appel pour des injures racistes contre Christiane Taubira. Xavier Beauvais est aussi l’un des théoriciens du mouvement catholique intégriste Civitas, dont le gouvernement a récemment acté la dissolution.

      Ce n’est pas la seule fois que Jean-Marie Argoud paraît trouver à son goût les positions de groupuscules radicaux. Sur Facebook en 2020, il partage un communiqué du syndicat d’extrême droite « France police - Policiers en colère » qui dénonce les « dealers détruisant du mobilier urbain » pendant que leurs collègues sont envoyés « faire du maintien de l’ordre pour déloger des migrants ». Au lendemain de la mort de Nahel M., le « syndicat » avait félicité l’auteur du tir. Le ministère de l’Intérieur avait répondu par une procédure de dissolution.

      ​Si, le 24 octobre, il était fait droit aux demandes de récusation, celles-ci ne concerneraient que les dossiers des demandeurs d’asile sur lesquels Jean-Marie Argoud devait se prononcer, lesquels verraient alors leur situation examinée par un autre juge. Dans un courrier daté du 4 octobre, l’association Elena a sollicité le président de la CNDA pour l’inviter à « saisir le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel » en vue d’engager des poursuites disciplinaires. Sans plus de réponse à ce jour qu’un accusé de bonne réception.

      https://lesjours.fr/obsessions/immigration-mineurs/ep12-juge-argoud-cnda

      #asile #migrations #réfugiés #France #CNDA #islamophobie #antisémitisme #homophobie #réseaux_sociaux

  • Eva Illouz, sociologue : « Je crois qu’après les attaques terroristes, pour la société israélienne, le Hamas est devenu le nazi »

    L’universitaire franco-israélienne explique, dans un entretien au « Monde » que l’attaque terroriste du 7 octobre engage les deux camps dans une « guerre totale » et va changer irrémédiablement la perception des Palestiniens par les Israéliens.

    Eva Illouz, sociologue, est directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales à Paris. Elle a enseigné à l’université hébraïque de Jérusalem, à Princeton et à Zurich. Elle a notamment écrit Les Emotions contre la démocratie° (Premier Parallèle, 2022). Elle a pris position contre le gouvernement de Benyamin Nétanyahou et avait signé, en août, une pétition dénonçant « un régime d’apartheid »_ pour les Palestiniens. https://sites.google.com/view/israel-elephant-in-the-room/home

    [Luc Bronner...] Comment qualifier ce qui arrive à la société israélienne après l’attaque du Hamas, les 1 400 morts, les milliers de blessés et les otages ?

    On a du mal à trouver les catégories pour qualifier cet événement inédit. Des attaques terroristes de cette ampleur, il n’y en a jamais eu, dans aucun pays. Il y a des massacres, bien sûr, mais pas un attentat terroriste dont le nombre de victimes est, proportionnellement à la population, beaucoup plus grand que celui du 11-Septembre, ou qui serait l’équivalent de 10 000 personnes en France massacrées en quelques heures.

    J’oserais ajouter qu’il y a eu là des déclinaisons inédites de l’horreur : se réveiller un jour de fête au bruit de mitraillettes avec un ennemi infiltré chez soi, le faible devient le fort, le fort devient le faible, l’armée qu’on attend et qui ne vient pas, les terroristes qui tuent des bébés, décapitent, tuent les enfants en face de leurs parents, et les parents en face des enfants, kidnappent vieillards, enfants, hommes, femmes, l’enregistrement et la diffusion des massacres sur les réseaux sociaux, tout cela n’a aucun précédent. Il y a eu là une démultiplication des techniques de l’horreur.

    Cela va rester le plus grand choc de l’histoire juive post-Shoah. C’est toute la réalité ontologique d’Israël qui a été remise en question. Les nazis essayaient de cacher les atrocités, pas de les diffuser. La mort elle-même est devenue un motif de propagande. Il y a là un changement de régime de l’atrocité.

    C’est la raison pour laquelle la guerre est devenue totale et existentielle. Israël apparaît comme fort, mais cette force est sous-tendue par une peur existentielle qui s’est radicalisée. Pour un Israélien, la possibilité du génocide ne semble jamais très loin. Il y a aussi une confusion terminologique inédite, puisque les « indigénistes décoloniaux » en France et sur les campus américains ont emprunté le vocabulaire de la résistance pour qualifier un crime contre l’humanité.

    La société israélienne est une société fracturée, comme l’avaient montré les manifestations massives de ces derniers mois contre les réformes du gouvernement Nétanyahou. Quelles peuvent être les répercussions sur le plan politique ?

    L’horreur et la peur sont d’une telle ampleur que la société entière est soudée autour d’un objectif : redonner un sentiment de sécurité aux citoyens. En 1973, la guerre du Kippour avait aussi été vécue comme un choc, mais il y avait eu 2 800 morts, et parmi eux 0 civil tué. Dans la situation présente, la division entre civils et militaires s’est effacée ; c’est non seulement ce qui caractérise le terrorisme mais aussi parce que des Etats, comme l’Iran, agissent comme des organisations terroristes.

    Cela veut dire aussi que les civils israéliens qui n’ont jamais porté d’arme sont en train de s’armer parce que la #guerre peut surgir à tout moment dans leur cuisine. Il y a une forte militarisation de la société civile. Quand la sécurité sera retrouvée, il va y avoir des règlements de comptes avec le gouvernement d’extrême droite, qui, par sa négligence de tous les avertissements sécuritaires qu’on lui a donnés, a agi de façon criminelle.

    Mais je crois aussi que toutes les positions politiques vont subir des révisions dramatiques. C’est vrai pour la gauche et c’est vrai pour la droite. Le fait que la gauche postcolonialiste mondiale a refusé de condamner les massacres aura des répercussions sur la gauche israélienne. Après l’Intifada de l’an 2000, qui avait fait 1 000 morts israéliens, la gauche s’était effondrée parce qu’un grand nombre de gens étaient arrivés à la conclusion que les Palestiniens ne voulaient pas la paix. Cela va être plus dramatique aujourd’hui. Ce qui va disparaître notamment, c’est l’idée d’un Etat binational pour les deux populations qui était devenue en vogue cette dernière décennie.

    C’est vrai aussi pour la droite, qui nous a menés dans ce désastre à cause de la doctrine sécuritaire qu’elle a défendue : l’idée qu’on pouvait gérer, de façon indéfinie, les relations avec les Palestiniens comme un conflit militaire de basse intensité est un échec.

    Benyamin Nétanyahou et ses alliés ont voulu utiliser le #Hamas contre l’Autorité palestinienne pour rendre impossible la création de deux Etats ; ils n’ont pas voulu voir que le blocus de #Gaza allait créer une situation explosive et ont laissé penser que le Hamas était des gens minables qu’on contrôlait facilement par l’argent du Qatar. Mais la plus grande erreur a été de ne pas avoir vu que le Hamas est un mouvement idéologique, millénariste et génocidaire et qu’on n’achète pas le calme avec un tel mouvement dont l’objectif est de vous éliminer.

    La mise en place d’un cabinet d’union nationale peut-elle avoir des effets durables ?

    Les Israéliens ont eu le sentiment d’avoir été abandonnés par l’Etat, qui a été spectaculairement dysfonctionnel. On savait que le gouvernement était composé de gens cyniques, calculateurs, fanatiques et incompétents, on en a la preuve éclatante.

    La fonction essentielle d’un gouvernement d’union est de calmer les Israéliens sur le fait qu’on n’a pas donné la boîte d’allumettes à des pyromanes. Mais quand le retour à la sécurité va se faire, il est possible que le pays se divise encore plus profondément qu’avant la guerre. La droite accuse déjà les protestataires d’avoir été des traîtres et d’avoir permis ce désastre alors que le camp démocratique a, bien évidemment, tous les droits de penser que ce sont les réformes judiciaires et la négligence du gouvernement qui sont responsables de la situation.

    Israël est traumatisé par les otages enlevés par le Hamas et retenus à Gaza. Des voix peuvent-elles s’élever en Israël pour s’alarmer d’un usage disproportionné de la force à Gaza ?

    L’opération « Bordure protectrice », à Gaza en 2014, n’avait pas été conduite dans une situation aussi dramatique et répondait principalement à l’enlèvement et au meurtre de trois jeunes Israéliens et à de nombreux tirs de roquettes. Il avait pourtant été fait un usage excessif de la force. La plupart des Israéliens ne l’avait pas remis en question, seule une petite minorité, moins de 20 %, s’y était opposée. Moi-même je m’y étais opposée publiquement.

    Dans les circonstances actuelles, la proportion sera beaucoup plus faible. Mais il faut comprendre deux choses. La première, c’est que le Hamas se sert de sa population civile comme bouclier. Lorsque Tsahal a fait l’annonce que les #Palestiniens devaient évacuer le Nord pour aller dans le Sud, le Hamas a fait une contre-déclaration en disant qu’il s’agissait d’une « fake news »[?]. Tout le monde s’est concentré sur le désastre que l’annonce israélienne représentait pour les civils palestiniens – à juste titre, car il s’agit d’un désastre humanitaire à grande échelle –, mais presque personne n’a trouvé monstrueux que le Hamas puisse mentir à sa population pour la garder près de lui comme bouclier. On ne s’est pas non plus beaucoup ému du refus total de l’Egypte d’accueillir les Palestiniens.

    Deuxièmement, beaucoup d’Israéliens pensent que les civils palestiniens et leurs dirigeants ont en commun leur haine radicale des juifs. D’autant plus que les #images de corps ensanglantés de jeunes filles israéliennes exhibés dans les rues de Gaza au milieu d’une foule excitée apparaissent incriminantes pour les civils. Face à ces images, il devient difficile de faire la distinction entre le peuple de Gaza et ses leaders. On voit une population faire bloc avec le Hamas dans la haine des Israéliens et des juifs. La perception que les Israéliens ont des Palestiniens de Gaza est très différente de celle qu’ils ont des Iraniens, là il est beaucoup plus facile de distinguer entre le régime des ayatollahs et une population civile en insurrection. Avec le Hamas, la distinction s’estompe.

    Mais je voudrais aussi ajouter que cette notion de proportionnalité quand il s’agit d’un événement humain aussi violent que la guerre me laisse perplexe. Qu’est-ce que c’est la proportionnalité ? Décapiter, violer, torturer 1 500 Palestiniens contre les 1 500 juifs qui sont morts dans des conditions similaires ? Comment créer une commensurabilité des massacres ? Parce que #Israël vit constamment dans un état de guerre et de conflit, il a développé une doctrine militaire exigeant que l’ennemi paye un prix plus fort, pour le dissuader de recommencer.

    Cette guerre est différente : il s’agit d’un ennemi qui veut oblitérer Israël et sa population. Il s’agit d’une #guerre_totale. Les Israéliens pensent à cette guerre dans les termes suivants : ce sera nous ou eux. Lorsqu’un camp déclare officiellement que son but est de vous effacer de la surface de la Terre, il devient difficile de penser à la proportionnalité.

    J’ajouterais cependant que le but de Tsahal est d’éradiquer le Hamas et le Hamas seulement. Est-ce qu’ils y parviendront sans toucher massivement les civils ? Sans doute pas, et je le regrette profondément.

    La nature de la guerre va-t-elle évoluer ?

    Ce qui était perçu comme un conflit militaire ou colonial vieux de plus d’un siècle est désormais interprété à travers la grille de l’antisémitisme . Il y a un basculement du politique au racial et au religieux. Pour la société israélienne, l’antisémitisme génocidaire qui habitait sur les terres de l’Europe a migré vers l’#islamisme. Jusqu’à présent, les Palestiniens, aux yeux des Israéliens, n’étaient pas les nazis. Je crois qu’après les attaques terroristes cela a changé : le Hamas est devenu le nazi. Il y a un risque que, par effet de contamination, les Israéliens voient l’ensemble des Palestiniens de Gaza de la même façon. Est-ce que l’Europe aurait fait un compromis avec les nazis ? Churchill a décidé de bombarder Dresde, alors que l’Allemagne avait déjà perdu. Je ne dis pas que le Hamas est nazi. J’ai conscience des différences historiques et idéologiques. Mais c’est comme cela que, désormais, il est vu.

    Ce qui complique considérablement ces questions, c’est que ce sont les mêmes Palestiniens qui ont aussi été victimes d’un déplacement de population, du blocus, de la misère, qui est le résultat de l’asphyxie israélienne et de la corruption du Hamas.

    Nous avons un objet conceptuel et moral à deux faces : d’un côté il y a une victime, mais de l’autre cette victime s’identifie à un groupe à visée génocidaire. Il faut développer un regard humain et fraternel qui puisse voir toutes ces tragédies en même temps. Mais, aujourd’hui, il faut choisir son camp.

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/17/eva-illouz-sociologue-je-crois-qu-apres-les-attaques-terroristes-pour-la-soc

    • Des attaques terroristes de cette ampleur, il n’y en a jamais eu, dans aucun pays.

      Il y a eu là une démultiplication des techniques de l’horreur.

      Que fait-on de Sabra et Chatila sous la surveillance des criminels de l’état sioniste ?

    • #damage_control #justification_de_génocide

      Ça fait tellement penser aux blancs justifiant les représailles contre les indiens, en Amérique du nord. Ça fait penser aux mauvais westerns, où les gentils blancs sont horrifiés par les scalpages commis par les indiens, parce qu’un convoi de colons s’est installé sur les terres des indiens, non sans avoir tué un ou deux membres de la tribu qui s’approchaient trop.

      « Vous comprenez, nous, on veut juste vivre paisiblement. Ok, parfois, il y a un accident malheureux. Mais bon, tout de même, là, ils nous en veulent en tant que blanc, c’est grave. C’est eux ou nous. Force doit rester à la loi (des blancs) ».

    • Réponse à Éva Illouz à propos d’une interview donnée dans le journal Le Monde, Ron Naiweld
      https://lundi.am/Reponse-a-Eva-Illouz

      Je suis né en Israël et y ai grandi, et je travaille comme historien du Judaïsme au CNRS et à l’EHESS, où Eva Ilouz est directrice d’études. Une réponse est nécessaire non seulement pour corriger des erreurs factuelles, mais aussi pour proposer quelque chose qu’elle ne propose pas – une vision de la réalité d’où pourrait surgir l’espérance face au conflit mortifère.

      [...]
      En fait, la nazification symbolique des Palestiniens est à la base de leur déshumanisation par beaucoup d’Israéliens.
      En faisant preuve de leur déshumanisation, les terroristes du 7 octobre sont tombés dans une place qui leur était déjà prête. Ce n’est pas pour relativiser leurs actes que je rappelle que des atrocités ont été commis aussi par des Israéliens pendant et après la Nakba – des massacres, des viols, des expulsions, des vols de terre, qui sont aujourd’hui documentés grâce à l’effort de chercheurs courageux en Israël. Ces violences sont inscrites dans des corps des humains qu’Eva Ilouz est prête à sacrifier pour la « sécurité » d’Israël et des Israéliens, comme l’indique ce passage dans lequel on croit entendre une porte-parole de l’armée israélienne – « J’ajouterais cependant que le but de Tsahal est d’éradiquer le Hamas et le Hamas seulement. Est-ce qu’ils y parviendront sans toucher massivement les civils ? Sans doute pas, et je le regrette profondément. »

    • D’une prédilection dune partie de la gauche française pour l’abjection - Digression à partir du texte de Judith Butler « Condamner la violence »
      https://lundi.am/D-une-predilection-d-une-partie-de-la-gauche-francaise-pour-l-abjection

      Il me revient ainsi que Sartre a pu, par exemple, justifier la prise d’otage du commando de Munich, ou encore, que Foucault a soutenu la révolution islamiste iranienne au moment même où celle-ci jetait en prison et torturait les révolutionnaires communistes. À ce goût pour l’abject, s’ajoute le fait que, manifestement, sur les sujets qui touchent au conflit israélo-palestinien, le #tiers-mondisme des années 70, et son antisémitisme plus ou moins larvé, n’a pas été assez critiqué.

      Le texte de Butler a donc l’immense mérite d’avoir une position morale très claire et très saine. Car, en effet, d’un point de vue moral, il n’y a aucune raison de discriminer entre les morts, les torturés, et les mutilés de l’un ou l’autre camp. Il est, en effet, totalement sophistique, et du plus pur cynisme, de lier et de réviser ceux-ci à la lumière d’une lecture purement politique – ou plutôt purement idéologique - , laquelle justifierait de juger qu’il y a des bonnes et des mauvaises victimes. Pour le dire autrement, les actes commis par le Hamas contre des civils, parfois des enfants, n’ont rien d’actes de #résistance, ce que l’histoire des résistances – parmi lesquelles celles de la résistance française - montre suffisamment bien. De même, la #guerre que mène Israël contre des civils, parfois des enfants, n’a rien de représailles justifiées.

      Toutefois, je pense qu’il y a une limite à la position de Butler et que celle-ci est politique. Tout d’abord, Butler semble conditionner la légitimité d’un #État au fait que celui-ci ne se serait pas fondé sur la violence. Cette prémisse sous-jacente me convient assez bien, car elle implique, en toute rigueur, que l’on s’oppose à tous les États, car je n’en connais aucun qui ne se soit pas fondé sur la violence . Il faudrait donc s’opposer à la fois à l’État israélien et au projet d’État palestinien et à tous les autres. Ce que ne fait pas, me semble-t-il, Butler.

      On peut penser que cela s’explique notamment parce que cette prémisse est, en fait, solidaire d’une autre, que je conteste : que l’État d’Israël serait fondamentalement le résultat d’un projet colonialiste. À nouveau, soit on le dit de tous les autres États, soit il faut repenser l’histoire politique du peuple juif et celle de la région où il a fondé son État. Je ne vois pas comment la première perspective pourrait ignorer que ce peuple, comme beaucoup d’autres, notamment les palestiniens, a droit à un État. Et je ne vois pas comment ne pas considérer, au regard de l’histoire de la région, que cet État puisse être ailleurs – et non dans quelques chimériques autant que bureaucratiques Birobidian... - parce qu’il y a toujours eu une présence juive dans cette région. Ce qu’on ne peut pas dire des français en Algérie ou en Indochine avant qu’ils ne s’accaparent ces territoires par exemple, ou des européens sur le continent américain. Dire de l’État d’Israël qu’il est intrinsèquement colonisateur et raciste, voilà l’erreur héritée du tiers-mondisme, qui biaise à mon avis les jugements que l’on peut porter sur cette situation. Car, une fois que l’on a dit cela, la seule perspective cohérente, est celle de la destruction de cet État. Mais alors, pourquoi pas de tous les autres États ?

      [...]

      Beaucoup de choses dépendent de ce raisonnement puisque, tant que cet État ne sera pas reconnu comme légitime par ses voisins immédiats et par les organisations telles que le Hamas, il n’aura aucune raison de cesser de faire la guerre. Et, pour ainsi dire, mécaniquement, il tendra infinitésimalement à faire de la rationalité guerrière, sa rationalité. Ce que personne de bon sens ne peut souhaiter, quelque soit l’État dont il est question. Je dis infinitésimalement parce que, tant que cet État est bien celui de tous les israéliens, dont les arabes israéliens, il ne pourra qu’approcher infinitésimalement d’une telle extrémité, c’est-à-dire qu’il s’en rapprochera très nettement comme cela est actuellement le cas, mais qu’il rencontrera, malgré cela, des #oppositions_internes – une résistance au sens exact du terme -, ce qui, encore une fois, est effectivement et actuellement le cas en Israël. Lorsque cette tendance ne sera plus infinitésimale, mais tout simplement totale, alors j’accepterai d’envisager la destruction de l’État d’Israël, et de tous les autres États et organisations – comme le Hamas - qui ne tolèrent aucune forme de résistance.

  • Le Moyen-Orient crie justice – La chronique de #Joseph_Andras

    Nous accueillons régulièrement l’écrivain Joseph Andras pour une chronique d’actualité qui affûte nos armes et donne du style à nos frustrations.

    Deux États bombardent deux peuples en cet instant. Au #Kurdistan syrien et en #Palestine. Chaque heure qui passe nous mine. Mais nos mots n’ont pas le moindre sens là-bas. S’ils en ont un, ça n’est qu’ici. Ceci oblige à parler droit, c’est-à-dire à parler juste. Tout intellectuel, disait Edward W. Saïd, a pour fonction de refuser « les formules faciles ». La rigueur est la seule chose qui reste quand le sang coule au loin.

    Deux populations colonisées

    Le Kurdistan est historiquement colonisé par les États turc, iranien, irakien et syrien. Le Kurdistan irakien, dirigé par un pouvoir corrompu et autoritaire, a gagné son autonomie et mène de nos jours une politique de collaboration zélée avec Ankara. Le Kurdistan syrien a conquis, par la voie révolutionnaire, une autonomie précaire et conduit, laborieusement, une politique inspirée par les principes post-marxistes du KCK, plateforme des forces révolutionnaires kurdes au Moyen-Orient. Le Kurdistan turc vit sous occupation et a vu ses résistants brutalement écrasés dans les années 2015 et 2016. Le Kurdistan iranien, acteur majeur du dernier soulèvement en date contre la dictature théocratique iranienne, vit lui aussi sous occupation. L’État turc, bâti sur la négation du génocide arménien, a longtemps nié l’existence même des Kurdes : leur langue était proscrite, leurs porte-paroles abattus ou incarcérés, leur culture traquée. Dans les années 1990, ce sont environ 4 000 villages et hameaux kurdes qui ont été rasés. « Nous avons opté pour la règle de la terreur et de l’anéantissement », a ainsi déclaré Hanefi Avci, un temps chef-adjoint du Bureau du renseignement de la Direction générale de la sûreté.

    La Palestine est, aux côtés, notamment, du Kurdistan et du #Sahara_occidental, l’une des dernières colonies de par le monde. Elle végète aujourd’hui, de l’aveu même de Tamir Pardo, ancien chef du Mossad, en situation d’apartheid. L’État israélien, officialisé après le génocide des Juifs d’Europe, s’est construit sur le nettoyage ethnique de la Palestine : s’il était besoin, nombre d’historiens israéliens l’ont confirmé. « Nous devons expulser les Arabes et prendre leur place… », a confié Ben Gourion dans sa correspondance, le 5 octobre 1937. Ce nettoyage ethnique reposait sur une idéologie coloniale, autrement dit raciste, arguant qu’il n’existait aucun peuple sur cette terre. Or un peuple existait et, depuis 1948, celui-ci est déplacé, spolié, massacré, assassiné, parqué, détenu en masse. La Cisjordanie et la bande de Gaza sont emmurées avec la collaboration des « démocraties » occidentales, étasunienne au premier chef. Les colonies dévorent chaque année toujours plus de terres. L’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas – qui, selon Amnesty International, relève de l’« État policier » – n’a plus aucune légitimité aux yeux de la population palestinienne : elle n’est, pour reprendre les mots du militant socialiste israélien Michel Warschawski, qu’un « instrument au service de l’occupation ». L’actuel gouvernement de Netanyahu, ouvertement fasciste et raciste, a accompli l’exploit de jeter dans la rue des centaines de milliers d’opposants israéliens.
    Deux puissances coloniales alliées

    Trois jours après l’opération Déluge al-Aqsa co-orchestrée par le Hamas le 7 octobre, Erdoğan a dénoncé le siège de la bande de Gaza : « Où sont donc passés les droits de l’Homme ? » Et, de fait : l’ONU vient de rappeler que le droit international l’interdit en ce qu’il constitue une « punition collective » attentatoire aux civils. Gaza agonise sous le phosphore blanc en l’attente d’une possible invasion terrestre. Sauf que : Erdoğan est bien le dernier à pouvoir parler. La Turquie est « la plus grande prison au monde pour les journalistes » (Amnesty) et son gouvernement bombarde actuellement le Kurdistan syrien. Des infrastructures civiles sont à terre : hôpitaux, écoles, stations électriques, stations de pompage d’eau, barrages, silos à grain, fermes, stations services, installations pétrolières, usines… Deux millions de personnes sont privées d’eau et d’électricité. Les hôpitaux sont saturés ; on compte pour l’heure près de 50 morts, dont une dizaine de civils.

    Le prétendu soutien de l’État turc à la Palestine est une farce, grossière avec ça. La Turquie est le quatrième partenaire commercial d’Israël, avec un commerce bilatéral en hausse de 30 % en 2021. La ministre israélienne de l’Économie et de l’Industrie du gouvernement Bennett-Lapid a fait état, l’an dernier, de « l’engagement d’Israël à approfondir les liens économiques avec la Turquie ». L’État turc, membre clé de l’OTAN, a acheté des drones israéliens pour lutter contre le PKK, chef de file de la résistance socialiste kurde. En 2018, il a envahi le Kurdistan syrien fort d’une centaine de chars M60-A1 modernisés par l’industrie israélienne (et du concours d’anciens combattants de Daech) : le canton nord-syrien d’Afrîn, majoritairement kurde, vit depuis sous occupation militaire. Abdullah Öcalan, leader du PKK incarcéré depuis deux décennies, disait déjà en mars 1998 : « Les Turcs ont conclu un accord avec Israël pour tuer les Kurdes. »

    « Les Turcs ont conclu un accord avec Israël pour tuer les Kurdes.”
    Abdullah Öcalan, leader du PKK

    Au lendemain de l’opération ordonnée par le Hamas, Yeşil Sol Parti, le Parti de la gauche verte implanté en Turquie, a publié un communiqué titré : « La paix ne viendra pas au Moyen-Orient tant que les problèmes palestinien et kurde ne seront pas résolus ». Tout en réprouvant « le meurtre de civils » et « la torture de cadavres », l’organisation kurde a apporté son soutien à « la lutte du peuple palestinien pour la liberté » et condamné « l’occupation de la Palestine par Israël ». Quelle issue au carnage ? Une « solution démocratique et juste ». C’est que les résistances kurde et palestinienne sont liées par le sang versé depuis les années 1980 : le PKK et l’OLP ont combattu cote à cote contre l’occupation israélienne. Can Polat, cadre kurde de la révolution nord-syrienne, avait ainsi déclaré à l’écrivain palestinien Mazen Safi : « Le point important, mon frère et camarade, est que les facteurs qui nous lient sont mille fois plus importants que les facteurs qui nous divisent, en dépit des tyrans, des agents et des racistes. Victoire sur Jérusalem occupée. »
    Résister

    Résister à l’oppression est légitime. Y résister par les armes l’est aussi. Le droit international ne dit rien d’autre : la résolution 37/43 de l’Assemblée générale des Nations Unies a, le 3 décembre 1982, réaffirmé « la légitimité de la lutte des peuples pour l’indépendance, l’intégrité territoriale, l’unité nationale et la libération de la domination coloniale et étrangère, de l’occupation étrangère, par tous les moyens disponibles, y compris la lutte armée ».

    Les populations kurdes et palestiniennes ont déployé un nombre incalculable de modalités de lutte, non violentes et violentes : grèves de la faim, marches, recours juridiques et institutionnels, guérilla, attentats. L’ennemi, comme l’a indiqué Nelson Mandela dans Un long chemin vers la liberté, détermine toujours le cadre du combat. « Nous avons utilisé toutes les armes non violentes de notre arsenal – discours, délégations, menaces, arrêts de travail, grèves à domicile, emprisonnement volontaire –, tout cela en vain, car quoi que nous fassions, une main de fer s’abattait sur nous. Un combattant de la liberté apprend de façon brutale que c’est l’oppresseur qui définit la nature de la lutte, et il ne reste souvent à l’opprimé d’autres recours que d’utiliser les méthodes qui reflètent celles de l’oppresseur. » Le « pacifisme » de Mandela, longtemps présenté comme « terroriste » par les puissances capitalistes, est un mythe. Les États coloniaux turc et israélien qualifient à leur tour la résistance de « terrorisme ».
    La fin et les moyens

    Résister est légitime. Mais il est des moyens de résistance qui le sont moins. Le PKK s’engage de longue date à ne frapper que les cibles militaires et policières. Quand, par malheur, un civil perd la vie au cours d’une opération, sa direction présente sans délai ses excuses aux familles. Öcalan a reconnu que des femmes et des enfants étaient tombés sous les coups de son mouvement et promis en avoir « souffert », assurant que leur mort avait eu lieu lors d’échanges de tirs : « ce n’était pas intentionnel ». Georges Habbache, fondateur socialiste du FPLP palestinien, a quant lui confié dans les années 2000 : « Nous sommes opposés à tout acte terroriste gratuit qui frappe les civils innocents. […] [L]a vie humaine a une trop grande valeur pour que j’approuve ces attentats-kamikazes [palestiniens]. »

    Le 7 octobre, des soldats et des policiers israéliens ont été pris pour cible par les combattants du Hamas, du Jihad islamique, du DFLP et du FPLP. Nul ne saurait le dénoncer, sauf à ratifier l’apartheid et la colonisation militaires. Mais le Hamas a également fait le choix de frapper des civils. On dénombre à l’heure qu’il est la mort de 1 300 Israéliens. Parmi eux, 260 festivaliers et nombre de civils : le kibboutz Be’eri comptait des enfants, celui de Kfar Aza aussi. Un massacre qui tord le cœur. Il s’agit donc de parler droit, à l’instar de Rima Hassan, fondatrice franco-palestinienne de l’Observatoire des camps de réfugiés : « Que ça soit clair, il est moralement inacceptable de se réjouir de la mort de civils ». Et de préciser : « Le faire c’est oublier les principes qui nous engagent dans la perspective d’une paix qui doit nous sauver ». Frapper les civils, c’est affaiblir la résistance. Dans ses mémoires Récits de la longue patience, Daniel Timsit, militant communiste du FLN algérien, a raconté avoir confectionné des engins explosifs pour le compte du mouvement indépendantiste. Les bombes visaient l’armée française occupante. « Mais quand ont eu lieu les premiers attentats terroristes dans la ville, ça a été atroce ! » Plus loin il ajoutait : « La fin ne justifie pas les moyens. L’utilisation consciente de moyens immoraux pourrit l’âme, et le cycle infernal se constitue. »

    « La fin ne justifie pas les moyens. L’utilisation consciente de moyens immoraux pourrit l’âme, et le cycle infernal se constitue.”
    Daniel timsit, militant communiste du fln algérien

    La morale n’est pas un à-côté de la lutte : elle a toujours été son cœur battant. « Si nous voulons changer le monde, c’est aussi, et peut-être d’abord, par souci de moralité », avançait un texte collectif initié, en 1973, par le militant anticolonialiste et trotskyste Laurent Schwartz. De fait : les révolutionnaires livrent partout bataille pour la dignité, la liberté, la justice et l’égalité. En un mot pour l’émancipation. L’amoralisme n’est que la grammaire de l’ordre en place. Aucune guerre n’est « propre » et toutes les causes justes, on le sait, on ne le sait même que trop, ont pu à l’occasion se faire injustes : des communards ont exécuté dix hommes de foi, rue d’Haxo, en dépit des protestations de Vallès ; l’IRA provisoire a tué 12 civils en frappant l’établissement La Mon House Hostel (puis s’en est excusée) ; la branche armée de l’ANC sud-africain a posé une bombe à quelques pas de Church Square, tuant et blessant des civils (puis s’en est excusée) ; etc. L’injustice occasionnelle n’invalide en rien la cause juste ; elle l’amoindrit. Car ce qu’il reste à l’occupé qu’on écrase, disait Edward W. Saïd, c’est justement « la lutte morale ». Le PKK s’y évertue et, au Kurdistan syrien, les prisonniers de Daech sont maintenus en vie. Il ne saurait être question d’idéalisme abstrait mais de morale concrète – révolutionnaire, aurait dit Hô Chi Minh. Elle engage les militants, non sans d’immenses difficultés, et, peut-être plus encore, ceux qui, sans craindre pour leur vie, prennent par internationalisme position sur ces questions. Saïd poursuivait : il est du ressort des intellectuels « de soulever des questions d’ordre moral ». C’est en toute cohérence que le penseur palestinien, pourfendeur de l’occupation israélienne et de la collaboration palestinienne, s’est continûment levé contre la mise à mort des civils. « Je me suis toujours opposé au recours de la terreur », rappelait-il en 1995. Les attentats sont « moralement ignobles » et « stratégiquement nuls ». Toucher des enfants est « une abomination qui doit être condamnée sans conditions ».
    Le Hamas

    Il se trouve que le Hamas se réclame de l’idée révolutionnaire. Or révolutionnaire il ne l’est pas. Car l’idée révolutionnaire n’est rien d’autre que l’idée démocratique enfin réalisée. Le Hamas, dont les menées antidémocratiques ne sont plus à démontrer, ne constitue pas une force d’émancipation. « On sait même que les Israéliens ont soutenu Hamas au début pour affaiblir les courants laïcs et démocratiques de la résistance palestinienne. Bref, l’islam politique a été construit par l’action systématique de l’impérialisme soutenu bien entendu par les forces réactionnaires locales obscurantistes », a rappelé en 2006 l’économiste socialiste Samir Amin, contempteur résolu de l’islamisme en ce qu’il ne « peut être un adversaire authentique de la mondialisation capitaliste-impérialiste ». Enfant des Frères musulmans né au lendemain de la première Intifada, le Hamas s’est d’abord montré favorable à la fondation d’un État islamique. En 1993, il appelait dans un mémorandum à la « Guerre sainte » contre l’occupant et se dressait, dans sa charte fondatrice (amendée depuis), contre « l’idée laïque » telle que portée par l’OLP. Son ancrage contre-révolutionnaire était ouvertement revendiqué dans la charte en question : les Juifs, lisait-on, étaient à l’œuvre derrière la Révolution française et le communisme… L’antisémitisme est une triple trahison : de la cause humaine, palestinienne et révolutionnaire. Humaine, voilà qui se passe de commentaire ; palestinienne, car la guerre en cours n’oppose pas des Arabes et des Juifs mais une population colonisée, à la fois musulmane et chrétienne, et un régime d’apartheid ; révolutionnaire, car que serait cette tradition sans l’inestimable contribution juive ? À un projet raciste – « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre » –, l’antiracisme fournit l’unique réponse.

    En toute logique, le Hamas témoigne son admiration pour Erdoğan et a encouragé, par la voix de Khaled Mechaal, l’opération de nettoyage ethnique kurde entreprise à Afrîn. Aucun partisan de l’égalité ne peut se montrer solidaire d’un ennemi de l’égalité. Il en va d’une élémentaire cohérence politique. Bien des Palestiniens ont mis en évidence le problème que pose le Hamas au sein du mouvement de libération. Lisons Edward W. Saïd, en 1995 : « Le Hamas et le Jihad islamique ne sauraient constituer une alternative : leur pensée réductrice, leur vision réactionnaire et leurs méthodes irrationnelles ne peuvent en aucun cas servir l’avènement d’un ordre social acceptable. » Lisons Mustapha Barghouti, fondateur de Palestinian National Initiative, dénonçant en 2004 « le fondamentalisme du Hamas ». Lisons Mahmoud Darwich, évoquant deux ans plus tard les succès électoraux de l’organisation islamiste : « Quand on défend une Palestine plurielle et laïque, on ne peut que craindre pour les droits des femmes, pour les jeunes et pour les libertés individuelles. » Lisons Georges Habbache, à la même époque : « Le modèle islamiste comporte beaucoup de points négatifs ; en termes de choix de société, notre vision est différente, notamment sur la question de la femme. Aujourd’hui, à Gaza, certains aspects sociaux de la vie quotidienne sont inquiétants. » Lisons enfin Leïla Khaled, figure socialiste de la lutte armée, en 2014 : « Le Hamas estime que la Palestine est un endroit sacré qui appartient aux musulmans, ce qui va à l’encontre de nos opinions ».

    “L’antisémitisme est une triple trahison : de la cause humaine, palestinienne et révolutionnaire.’‘
    joseph andras

    On ne saurait, tant s’en faut, réduire la question palestinienne à celle du Hamas. La Palestine était assujettie avant sa création ; elle continuera de l’être quand bien même celui-ci disparaîtrait. Le point central, c’est l’occupation. C’est l’apartheid. C’est, depuis 1948, la spoliation sans fin. Le Hamas n’en est pas moins une force palestinienne incontournable. Il est un acteur de la guerre et, à ce titre, quantité de ses opposants palestiniens savent qu’il faudra bien compter avec lui pour entrevoir quelque issue. Le Hamas est une maladie de l’occupation. Sa funeste résultante. Enfermez une population, privez-la de tout espoir, déchiquetez-la : les démocrates, mécaniquement, s’épuisent. « On a rendu Gaza monstrueux », vient de déclarer le cinéaste israélien Nadav Lapid. Bombarder la bande de Gaza, comme l’État israélien n’a de cesse de le faire, ajoute seulement à l’horreur. Ces bombardements pointent « officiellement » le Hamas ; ce dernier, supposément affaibli, vient pourtant de diligenter une opération militaire d’une envergure inégalée. Depuis 2008, quatre guerres ont été menées contre ce minuscule ghetto asphyxié. Une cinquième est en cours. L’opération Plomb durci a tué 1 315 Palestiniens – 65 % de civils, dont plus de 400 enfants. L’opération Pilier de défense a tué plus de 100 Palestiniens – dont 66 civils. L’opération Bordure protectrice a tué au moins 245 enfants. Au 12 octobre 2023, on compte plus de 1 400 morts, dont 447 enfants. Autant de crimes sans noms. Une vie, pourtant, ne paraît pas valoir une vie en Occident « démocratique ». Personne n’a allumé la tour Eiffel pour eux. Personne ne leur a apporté un « soutien inconditionnel ». Personne n’a organisé de minutes de silence en leur mémoire. Car, comme vient de l’admettre le « philosophe » Raphaël Enthoven : « Je pense qu’il faut marquer cette différence, que c’est même très important de la faire. Là encore, ça n’est pas commensurable. » Une franchise emblématique : l’esprit colonial au grand jour.
    Deux solutions politiques

    Un jour, comme toujours, les armes seront rangées. Ce jour n’est pas venu. Les forces d’émancipation kurdes ne se lassent pas de le scander, jusqu’en France : « Solution politique pour le Kurdistan ! » Le PKK a de longue date proposé un plan de paix et, par suite, le désarmement complet de ses unités. Tout est prêt sur le papier ; l’État turc s’y refuse et Erdoğan a mis un terme aux derniers pourparlers. Le PKK – et avec lui le parti de gauche HDP, quoique sous des modalités différentes, réformistes et légalistes – réclame l’autonomie des territoires kurdes au sein des frontières constituées. Non un État-nation indépendant, comme il le souhaitait originellement, mais le respect démocratique de la vie culturelle, linguistique et politique kurde dans les quatre portions du Kurdistan historique. « On ne peut concevoir de solution plus humaine et modeste », note Öcalan du fond de sa prison. La réélection d’Erdoğan au mois de mai repousse à nouveau l’espoir de la paix. Mais une solution, qui passera par la libération du leader du PKK, existe bel et bien sur la table – aux internationalistes de l’appuyer à leur façon.

    En Palestine, la fameuse « solution à deux États » est caduque de l’aveu de tous les analystes informés : une fable pour plateaux de télévision et discutailleries diplomatiques. Expansion coloniale oblige, un État palestinien – auquel le Hamas a finalement consenti – n’est plus à même de voir le jour. La Cisjordanie est totalement disloquée et aucune continuité territoriale n’est assurée avec Gaza. Le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrits, a lui-même reconnu en juillet 2023 que « le rêve arabe d’un État en Cisjordanie n’est plus viable ». Il ne reste aux Palestiniens que deux alternatives : « renoncer à leurs aspirations nationales » (et vivre en Israël en tant qu’individus) ou « émigrer » dans un pays arabe. Pourtant, parmi les ruines, demeure une solution : un État « commun » ou « binational ». Perspective incommode, à l’évidence. Certainement pas réalisable dans l’immédiat. Mais des gens de justice s’y rallient de part et d’autre. En 2001, Michel Warschawski a publié l’ouvrage Israël-Palestine le défi binational : il invitait, sur le modèle sud-africain, à tourner la page de l’apartheid par « un État unitaire ». La décennie suivante, l’historien israélien Ilan Pappé y appelait à son tour : « décolonisation, changement de régime et solution à un État ». De leur vivant, Georges Habbache et Edward W. Saïd sont allés dans le même sens : le premier a loué « un État démocratique et laïc » comme « seule solution » ; le second indiqué que les Israéliens et les Palestiniens vivaient dans une promiscuité quotidienne telle qu’une séparation étatique n’avait aucun sens. Pour que le sang ne coule plus, reste à bâtir un espace de « citoyens égaux en paix sur une même terre ».

    “Un jour, comme toujours, les armes seront rangées“
    joseph andras

    Ici, oui, nous ne pouvons rien. Tout juste nous faire l’écho malaisé des voix démocratiques en lutte. C’est peu. Mais ce peu-là, entre les cris et l’hystérie médiatique française, vaut peut-être un petit quelque chose si l’on aspire à la libération des peuples.

    https://www.frustrationmagazine.fr/moyen-orient

    #colonisation #Hamas #nettoyage_ethnique #colonisation #résistance #oppression #lutte #7_octobre_2023 #droit #civils #paix #morale #guerre #révolution #idée_révolutionnaire #démocratie #émancipation #islam_politique #impérialisme #islamisme #Frères_musulmans #Intifada #antisémitisme #Palestine #Israël #apartheid #occupation #Gaza #bombardements #opération_Plomb_durci #opération_Pilier #opération_Bordure_protectrice #solution_à_deux_États #Etat_binational

    #à_lire

  • Aux #origines de l’#histoire complexe du #Hamas

    Le Hamas replace violemment la question palestinienne sur le devant de la scène géopolitique. Retour aux origines du mouvement islamiste palestinien, fondé lors de la première Intifada et classé organisation terroriste par les États-Unis et l’Union européenne.

    L’arméeL’armée israélienne a indiqué, samedi 14 octobre, avoir tué deux figures du Hamas qui auraient joué un rôle majeur dans l’attaque terroriste qui a plongé il y a une semaine le peuple israélien dans « les jours les plus traumatiques jamais connus depuis la Shoah », pour reprendre l’expression de la sociologue franco-israélienne Eva Illouz (plus de 1 300 morts, 3 200 blessés ainsi qu’au moins 120 otages, parmi lesquels de nombreux civils).

    Le responsable des Nukhba, les unités d’élite du Hamas, Ali Qadi, aurait été tué, de même que Merad Abou Merad, chef des opérations aériennes dans la ville de Gaza. Dimanche, c’est la mort d’un commandant des Nukhba, Bilal el-Kadra, présenté par l’armée israélienne comme le responsable des massacres du 7 octobre dans les kibboutz de Nirim et de Nir Oz, qui a été annoncée.

    Depuis l’offensive surprise du Hamas, Israël assiège et pilonne en représailles la bande de Gaza. Ses bombardements ont fait en l’espace de quelques jours 2 750 morts, dont plus de 700 enfants, et 9 700 blessés, selon un bilan du ministère palestinien de la santé du Hamas établi lundi matin. « Ce n’est que le début », a prévenu le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, qui a déclaré : « Le Hamas, c’est Daech et nous allons les écraser et les détruire comme le monde a détruit Daech. »

    S’il est difficile de ne pas convoquer la barbarie de Daech en Syrie, en Irak ou sur le sol européen devant les massacres commis le 7 octobre par le mouvement islamiste palestinien dans la rue, des maisons ou en pleine rave party, la comparaison entre les deux organisations a ses limites.

    « Oui, le Hamas a commis des crimes odieux, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, mais c’est un mouvement nationaliste qui n’a rien à voir avec Daech ou Al-Qaïda, nuance Jean-Paul Chagnollaud, professeur des universités, directeur de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée/Moyen-Orient (iReMMO). Il représente ou représentait largement un bon tiers du peuple palestinien. Si Mahmoud Abbas [chef de l’Autorité palestinienne – ndlr] a annulé les élections il y a deux ans, c’est parce que le Hamas avait des chances d’emporter les législatives. »

    « La comparaison avec Daech a une visée politique qui consiste à enfermer le Hamas dans un rôle de groupe djihadiste, abonde le chercheur Xavier Guignard, spécialiste de la Palestine au sein du centre de recherche indépendant Noria. Je comprends le besoin de caractériser ce qu’il s’est produit, mais cette comparaison nous prive de voir tout ce qu’est aussi le Hamas », un mouvement islamiste de libération nationale, protéiforme, politique et militaire, qui est l’acronyme de « Harakat al-muqawama al-islamiya », qui signifie « Mouvement de la résistance islamique ».

    Considéré comme terroriste par l’Union européenne, les États-Unis ainsi que de nombreux pays occidentaux, le Hamas, dont la branche politique dans la bande de Gaza est dirigée par Yahya Sinouar (qui fut libéré en 2011 après vingt-deux ans dans les geôles israéliennes lors de l’échange de 1 027 prisonniers palestiniens contre le soldat franco-israélien Gilad Shalit), est arrivé au pouvoir lors d’une élection démocratique. Il a remporté les législatives de 2006. L’année suivante, il prend par la force le contrôle de la bande de Gaza au terme d’affrontements sanglants et aux dépens de l’Autorité palestinienne (AP), reconnue par la communauté internationale et dominée par le Fatah (Mouvement national palestinien de libération, non religieux) de Mahmoud Abbas, qui contrôle la Cisjordanie.
    Guerre fratricide

    Cette prise de pouvoir constitue un moment charnière. Elle provoque une guerre fratricide entre les formations palestiniennes et offre à l’État hébreu une occasion de durcir encore, en riposte, le blocus dans la bande de Gaza, en limitant la circulation des personnes et des biens, avec le soutien de l’Égypte. Un blocus dévastateur par terre, air et mer qui asphyxie l’économie et la population depuis plus d’une décennie et a été aggravé par les guerres successives et les destructions sous l’effet des bombardements israéliens.

    Officiellement, pour Israël, qui a décolonisé le territoire en 2005, le blocus vise à empêcher que le Hamas, qui se caractérise par une lutte armée contre l’État hébreu, se fournisse en armes. Créé en décembre 1987 par les Frères musulmans palestiniens (dont la branche a été fondée à Jérusalem en 1946, deux ans avant la proclamation de l’État d’Israël), lors de la première intifada (soit le soulèvement palestinien contre l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de la bande de Gaza), alors massive et populaire, le mouvement a épousé la lutte armée contre Israël à cette époque.

    « Un profond débat interne » avait alors agité ses fondateurs, comme le raconte sur la plateforme Cairn l’universitaire palestinien Khaled Hroub : « Deux points de vue s’opposent. Les uns poussent à un tournant politique dans le sens d’une résistance à l’occupation, contournant par là les idées anciennes et traditionnelles en fonction desquelles il convient de penser avant tout à l’islamisation de la société. Les autres relèvent de l’école classique des Frères musulmans : “préparer les générations” à une bataille dont la date précise n’est toutefois pas fixée. Avec l’éruption de l’intifada, les tenants de la ligne dure gagnent du terrain, arguant des répercussions très négatives sur le mouvement si les islamistes ne participent pas clairement au soulèvement, sur un même plan que les autres organisations palestiniennes qui y prennent part. »

    Acculé par son « rival plus petit et plus actif », le Jihad islamique, « une organisation de même type – et non pas nationaliste ou de gauche », poursuit Khaled Hroub, le Hamas a fini par accélérer sa transformation interne.

    La transformation de la branche palestinienne des Frères musulmans en Mouvement de la résistance islamique n’est pas allée de soi, et les discussions ont été vives avant que le sheikh Yassin, tout frêle qu’il soit dans son fauteuil roulant de paralytique, ne l’emporte. Une partie des membres tenaient en effet à rester sur la ligne frériste : transformer la société par le prêche, l’éducation et le social. Le nationalisme n’a pas droit de cité dans cette conception, c’est la communauté des croyants qui compte. Le Hamas, lui, rajoute à l’islam politique une dimension nationaliste.

    Sa charte, 36 articles en cinq chapitres, rédigée en 1988, violemment antisémite, est sans équivoque : le Hamas appelle au djihad (guerre sainte) contre les juifs, à la destruction d’Israël et à l’instauration d’un État islamique palestinien. Vingt-neuf ans plus tard, en 2017, une nouvelle charte est publiée sans annuler celle de 1988. Le Hamas accepte l’idée d’un État palestinien limité aux frontières de 1967, avec Jérusalem pour capitale et le droit au retour des réfugié·es, et dit mener un combat contre « les agresseurs sionistes occupants » et non contre les juifs.

    En 1991, la branche du Hamas consacrée au renseignement devient une branche armée, celle des Brigades Izz al-Din al-Qassam. À partir d’avril 1993, l’année des accords d’Oslo signés entre l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) de Yasser Arafat et l’État hébreu, que le Hamas a rejetés estimant qu’il s’agissait d’une capitulation, les Brigades Izz al-Din al-Qassam mènent régulièrement des attaques terroristes contre les soldats et les civils israéliens pour faire échouer le processus de paix. Pendant des années, elles privilégient les attentats-suicides, avant d’opter à partir de 2006 pour les tirs de roquettes et de mortiers depuis Gaza.

    Ces dernières années, le Hamas, critiqué pour sa gestion autoritaire de la bande de Gaza, sa corruption, ses multiples violations des droits humains (il a réprimé en 2019 la colère de la population exténuée par le blocus israélien), était réputé en perte de vitesse, mis face à l’usure du pouvoir.
    Prise de pouvoir de la branche militaire

    Son offensive meurtrière par la terre, les airs et la mer du samedi 7 octobre – cinquante ans, quasiment jour pour jour, après le déclenchement de la guerre de Kippour et à l’heure des accords d’Abraham visant à normaliser les relations entre Israël et plusieurs pays arabes sur le dos des Palestiniens et sous pression des États-Unis – le replace en première ligne. Elle révèle sa nouvelle puissance ainsi qu’un savoir-faire jusque-là inédit dans sa capacité de terrasser l’une des armées les plus puissantes de la région et d’humilier le Mossad et le Shin Bet, les tout-puissants organes du renseignement extérieur et intérieur israélien.

    Elle révèle aussi le pouvoir pris par la branche militaire sur la branche politique d’un mouvement sunnite qui serait fort d’une mini-armée, dotée d’environ 40 000 combattants et de multiples spécialistes, notamment en cybersécurité, selon Reuters. Un mouvement qui peut compter sur ses alliés du « Front de la résistance » pour l’équiper : l’Iran, la Syrie et le groupe islamiste chiite Hezbollah au Liban, avec lesquels il partage le rejet d’Israël.

    Sur les plans militaire, diplomatique et financier, l’Iran chiite est l’un de ses principaux soutiens. Selon un rapport du Département d’État américain de 2020, cité par Reuters, l’Iran fournit environ 100 millions de dollars par an à des groupes palestiniens, notamment au Hamas. Cette aide aurait considérablement augmenté au cours de l’année écoulée, passant à environ 350 millions de dollars, selon Reuters.

    Le Hamas n’est pas seulement un mouvement politique et une organisation combattante, c’est aussi une administration. À ce titre, il lève des impôts et met en place des taxes sur tout ce qui rentre dans la bande de Gaza, soit légalement, par les points de passage avec Israël et avec l’Égypte, soit illégalement. Les revenus qu’il perçoit ainsi sont estimés à près de 12 millions d’euros par mois. Ce qui est peu, finalement, car cette administration doit payer ses fonctionnaires et assurer un minimum de protection sociale, sous forme d’écoles, d’institutions de santé, d’aides aux plus défavorisés. Il est en cela aidé par le Qatar sunnite, avec l’aval du gouvernement israélien. L’émirat a ainsi versé 228 millions d’euros en 2021 et cette somme devait être portée à 342 millions en 2021.

    Le Hamas figurant sur les listes américaine et européenne des mouvements soutenant le terrorisme, le système bancaire international lui est fermé. Aussi, quand cette aide est mise en place, en 2018, ce sont des valises de billets qui arrivent, en provenance du Qatar, à l’aéroport de Tel Aviv et prennent ensuite la route de Gaza où elles pénètrent le plus officiellement du monde. Par la suite, les opérations seront plus discrètes.

    Plus discrets, aussi, d’autres transferts à des fins moins avouables que le paiement du fuel pour la centrale électrique ou des médicaments pour les hôpitaux. Ceux-là arrivent jusqu’au Hamas par des cryptomonnaies. Même si les relations avec l’Iran sont moins bonnes depuis que le Hamas a soutenu la révolution syrienne de 2011, la république islamique reste encore le principal financier de son arsenal, de l’aveu même d’Ismail Hanniyeh. Le chef du bureau politique du Hamas, basé à Doha, a affirmé en mars 2023 que Téhéran avait versé 66 millions d’euros pour l’aider à développer son armement.

    Le Qatar accueille également plusieurs des dirigeants du Hamas. Quand ils ne s’abritent pas au Liban ou dans « le métro » de Gaza, ce dédale de tunnels creusés sous terre depuis l’aube des années 2000, qui servent tout à la fois de planques et d’usines où l’on fabrique ou importe des armes, bombes, mortiers, roquettes, missiles antichar et antiaériens, etc.

    Pour les uns, le Hamas a enterré la cause palestinienne à jamais le 7 octobre 2023 et est le meilleur ennemi des Palestinien·nes. Pour les autres, il a réalisé un acte de résistance, de libération nationale face à la permanence de l’occupation, la mise en danger des lieux saints à Jérusalem, l’occupation en Cisjordanie. « Quand il s’agit de la cause palestinienne, tout mouvement se dressant contre Israël est considéré comme un héraut, quelle que soit son idéologie », constate Mohamed al-Masri, chercheur au Centre arabe de recherches et d’études politiques de Doha, au Qatar, dans un entretien à Mediapart.

    Samedi 7 octobre, c’est Mohammed Deif qui a annoncé le lancement de l’opération « Déluge d’al-Aqsa » contre Israël pour « mettre fin à tous les crimes de l’occupation ». Le nom n’est pas choisi au hasard. Il fait référence à l’emblématique mosquée dans la vieille ville de Jérusalem, symbole de la résistance palestinienne et troisième lieu saint de l’islam après La Mecque et Médine, d’où le prophète Mahomet s’est élevé dans le ciel pour rencontrer les anciens prophètes, dont Moïse, et se rapprocher de Dieu.

    Mohammed Deif est l’ennemi numéro un de l’État hébreu, le cerveau de ce qui est devenu « le 11-Septembre israélien » : il est le commandant de la branche armée du Hamas. Surnommé le « chat à neuf vies » pour avoir survécu à de multiples tentatives d’assassinat, Mohammed Diab Ibrahim al-Masri, de son vrai nom, serait né en 1965 dans le camp de réfugié·es de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza. Il doit son surnom de « Deif » – « invité » en arabe – au fait qu’il ne dort jamais au même endroit.

    Il a rejoint le Hamas dans les années 1990, connu la prison israélienne pour cela, avant d’aider ensuite à fonder la branche armée du Hamas dans les pas de son mentor qui lui a appris les rudiments des explosifs, Yahya Ayyash. Après l’assassinat de ce dernier, il a pris les rênes des Brigades Al-Qassam. Israël peut détruire l’appareil du Hamas, avec des assassinats ciblés. D’autres se tiennent prêts à prendre la relève dans l’ombre des maîtres. Deif en est un exemple emblématique.

    « Le Hamas a été promu en sous-main par Nétanyahou, rappelle dans un entretien à Mediapart l’écrivain palestinien et ancien ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco, Elias Sanbar. J’ai le souvenir, tandis qu’Israël organisait un blocus financier à l’encontre du Fatah et de l’Autorité palestinienne, que les transferts d’argent au Hamas passaient alors par des banques israéliennes ! La créature d’Israël s’est retournée contre lui. Entre-temps, elle s’est nourrie des échecs de l’Autorité palestinienne, dont les représentants sont accusés d’être des naïfs, sinon des traîtres, partant depuis 1993 dans des négociations avec Israël pour en revenir toujours bredouilles. »

    –—

    Sur la charte de 1988 et le document de 2017

    La charte du Hamas, publiée en 1988 (il existe une traduction du texte intégral réalisée par le chercheur Jean-François Legrain, spécialiste du Hamas), reprend les antiennes antisémites européennes. Elle définit le Hamas comme « un des épisodes du djihad mené contre l’invasion sioniste » et affirme notamment que le mouvement « considère que la terre de Palestine [dans cette acceptation Israël, Cisjordanie et bande de Gaza – ndlr] est une terre islamique de waqf [mot arabe signifiant legs pieux et désignant des biens inaliénables dont l’usufruit est consacré à une institution religieuse ou d’utilité publique – ndlr] pour toutes les générations de musulmans jusqu’au jour de la résurrection. Il est illicite d’y renoncer tout ou en partie, de s’en séparer tout ou en partie ».

    Dans son livre Le Grand aveuglement, sur les relations parfois en forme de pas-de-deux, entre les dirigeants israéliens successifs et le Hamas, Charles Enderlin cite de nombreux rapports du Shabak, service de renseignement intérieur de l’État hébreu. Dont celui-ci, dans la foulée de la diffusion de la charte de 1988 : « Le Hamas présente la libération de la Palestine comme liée à trois cercles : palestinien, arabe et islamique. Cela signifie le rejet absolu de toute initiative en faveur d’un accord de paix, car : “Renoncer à une partie de la Palestine équivaut à renoncer à une partie de la religion. La seule solution au problème palestinien c’est le djihad”. »

    Dans la lignée de ce texte, le Hamas, qui n’appartient pas à l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), dont fait partie le Fatah, parti de Yasser Arafat, rejette évidemment les Accords d’Oslo et toutes les phases de négociations.

    Au fil des années cependant se feront jour des déclarations plus pragmatiques. Le sheikh Yassin lui-même a, avant son assassinat par Israël en 2004, affirmé à plusieurs reprises que le Hamas était près à une hudna (trêve) avec l’État hébreu, laissant aux générations futures le soin de reprendre, ou non, le combat.

    La participation du Hamas aux élections législatives de 2006 est considérée comme une reconnaissance informelle et non dite de l’État d’Israël. Le Hamas accepte en effet un scrutin qui se déroule sur une partie, et une partie seulement, de la Palestine historique, celle des frontières de 1967, ceci en contradiction avec la charte de 1988.

    Dans une longue et savante analyse, l’historien Jean-François Legrain, reconnu comme un des meilleurs spécialistes français du Hamas, explique que la charte de 1988, écrit par un individu anonyme, n’a pas fait consensus dans les instances dirigeantes du Hamas. Elle était très peu citée par ses cadres. Ce qui ne signifie pas que des responsables du Hamas ne tenaient pas des discours antisémites. Lors d’une interview en 2009, Mahmoud al-Zahar, alors important responsable du Hamas dans la bande de Gaza, défendait la véracité du Protocole des sages de Sion, cité dans la charte de 1988.

    Au cours de la décennie qui suit sa victoire aux élections législatives puis sa guerre fratricide avec le Fatah, le Hamas, maître désormais de la bande de Gaza, montrera qu’il ne renonce pas à la lutte armée : s’il semble avoir renoncé aux attentats-suicides, si nombreux de 1993 à 1996 puis entre 2001 et 2005, il lance régulièrement des roquettes Qassam, du nom de sa branche militaire, en direction du territoire israélien.

    Ce sont les civils qui en paient le prix, avec des guerres lancées contre la bande de Gaza en 2008, 2012, 2014 et 2021. Le Hamas, sans abandonner la lutte armée, adopte en 2017 un Document de principes et de politique généraux qui semble aller contre les principes de la charte de 1988. Il ne s’agit plus de lutter contre les Juifs, mais contre les sionistes : « Le Hamas affirme que son conflit porte sur le projet sioniste et non sur les Juifs en raison de leur religion. Le Hamas ne mène pas une lutte contre les Juifs parce qu’ils sont juifs, mais contre les sionistes qui occupent la Palestine » (article 16). Plus remarqué encore, l’acceptation des frontières de 1967 : « Le Hamas rejette toute alternative à la libération pleine et entière de la Palestine, du fleuve à la mer. Cependant, sans compromettre son rejet de l’entité sioniste et sans renoncer à aucun droit palestinien, le Hamas considère que la création d’un État palestinien pleinement souverain et indépendant, avec Jérusalem comme capitale, selon les lignes du 4 juin 1967, avec le retour des réfugiés et des personnes déplacées dans leurs foyers d’où ils ont été expulsés, est une formule qui fait l’objet d’un consensus national » (article 20).

    La charte de 1988 n’est pour autant pas caduque, explique à la chercheuse Leila Seurat Khaled Mechaal, un des membres fondateurs du Hamas : « Le Hamas refuse de se soumettre aux désidératas des autres États. Sa pensée politique n’est jamais le résultat de pressions émanant de l’extérieur. Notre principe c’est : pas de changement de document. Le Hamas n’oublie pas son passé. Néanmoins la charte illustre la période des années 1980 et le document illustre notre politique en 2017. À chaque époque ses textes. Cette évolution ne doit pas être entendue comme un éloignement des principes originels, mais plutôt comme une dérivation (ichtiqaq) de la pensée et des outils pour servir au mieux la cause dans son étape actuelle. »

    Le nouveau document maintient, de toute façon, la lutte armée comme moyen de parvenir à ses fins.

    https://www.mediapart.fr/journal/international/161023/aux-origines-de-l-histoire-complexe-du-hamas
    #à_lire
    #complexité #Palestine #Israël #Intifada #Gaza #bande_de_Gaza #Daech #Fatah #blocus #lutte_armée #frères_musulmans #nationalisme #islam_politique #djihad #Brigades_Izz al-Din_al-Qassam #terrorisme #corruption #droits_humains #droits_fondamentaux #Iran #Qatar #armes #armement #tunnels #occupation #résistance #libération_nationale #Déluge_d’al-Aqsa #7_octobre_2023 #Mohammed_Deif #Yahya_Ayyash #Brigades_Al-Qassam #Autorité_palestinienne

  • Le sionisme, l’antisémitisme et la gauche, par Moishe Postone
    http://www.palim-psao.fr/2019/02/le-sionisme-l-antisemitisme-et-la-gauche-par-moishe-postone.html


    Graffiti antisémite en Belgique en 2013

    Moishe Postone : Il est exact que le gouvernement israélien se sert de l’accusation d’#antisémitisme comme d’un bouclier pour se protéger des critiques. Mais ça ne veut pas dire que l’antisémitisme lui-même ne représente pas un problème grave.

    Ce qui distingue ou devrait distinguer l’antisémitisme du #racisme a à voir avec l’espèce d’imaginaire du pouvoir attribué aux #Juifs, au sionisme et à #Israël, imaginaire qui constitue le noyau de l’antisémitisme. Les Juifs sont perçus comme constituant une sorte de pouvoir universel immensément puissant, abstrait et insaisissable qui domine le monde. On ne trouve rien d’équivalent à la base d’aucune autre forme de racisme. Le racisme, pour autant que je sache, constitue rarement un système complet cherchant à expliquer le monde. L’antisémitisme est une critique primitive du monde, de la modernité capitaliste. Si je le considère comme particulièrement dangereux pour la gauche, c’est précisément parce que l’antisémitisme possède une dimension pseudo-émancipatrice que les autres formes de racisme n’ont que rarement.

    MT : Dans quelle mesure pensez-vous que l’antisémitisme aujourd’hui soit lié aux attitudes vis-à-vis d’Israël ? On a l’impression que certaines des attitudes de la #gauche à l’égard d’Israël ont des sous-entendus antisémites, notamment celles qui ne souhaitent pas seulement critiquer et obtenir un changement dans la politique du gouvernement israélien à l’égard des Palestiniens, mais réclament l’abolition d’Israël en tant que tel, et un monde où toutes les nations existeraient sauf Israël. Dans une telle perspective, être juif, sentir qu’on partage quelque chose comme une identité commune avec les autres Juifs et donc en général avec les Juifs israéliens, équivaut à être « sioniste » et est considéré comme aussi abominable qu’être raciste.

    MP : Il y a beaucoup de nuances et de distinctions à faire ici. Dans la forme que prend de nos jours l’#antisionisme, on voit converger de façon extrêmement dommageable toutes sortes de courants historiques.

    L’un d’eux, dont les origines ne sont pas nécessairement antisémites, plonge ses racines dans les affrontements entre membres de l’intelligentsia juive d’Europe orientale au début du XXesiècle. La plupart des intellectuels juifs – intellectuels laïques inclus ? – sentaient qu’une certaine forme d’#identité_collective faisait partie intégrante de l’expérience juive. Cette identité a pris de plus en plus un caractère national étant donné la faillite des formes antérieures, impériales, de collectivité – c’est-à-dire à mesure que les vieux empires, ceux des Habsbourg, des Romanov, de la Prusse, se désagrégeaient. Les Juifs d’Europe orientale, contrairement à ceux d’Europe occidentale, se voyaient avant tout comme une collectivité, pas simplement comme une religion.

    Ce sentiment national juif s’exprima sous diverses formes. Le sionisme en est une. Il y en eut d’autres, représentées notamment par les partisans d’une #autonomie_culturelle juive, ou encore par le #Bund, ce mouvement socialiste indépendant formé d’ouvriers Juifs, qui comptait plus de membres qu’aucun autre mouvement juif et s’était séparé du parti social-démocrate russe dans les premières années du XXe siècle.

    D’un autre côté, il y avait des Juifs, dont un grand nombre d’adhérents aux différents partis communistes, pour qui toute expression identitaire juive constituait une insulte à leur vision de l’humanité, vision issue des Lumières et que je qualifierais d’abstraite. Trotski, par exemple, dans sa jeunesse, qualifiait les membres du Bund de « sionistes qui ont le mal de mer ». Notez que la critique du #sionisme n’avait ici rien à voir avec la Palestine ou la situation des Palestiniens, puisque le Bund s’intéressait exclusivement à la question de l’autonomie au sein l’empire russe et rejetait le sionisme. En assimilant le Bund et le sionisme, Trotski fait plutôt montre d’un rejet de toute espèce d’identité communautaire juive. Trotski, je crois, a changé d’opinion par la suite, mais cette attitude était tout à fait typique. Les organisations communistes avaient tendance à s’opposer vivement à toute espèce de #nationalisme_juif : nationalisme culturel, nationalisme politique ou sionisme. C’est là un des courants de l’antisionisme. Il n’est pas nécessairement antisémite mais rejette, au nom d’un #universalisme_abstrait, toute identité collective juive. Encore que cette forme d’antisionisme soit souvent incohérente : elle est prêt à accorder l’autodétermination nationale à la plupart des peuples, mais pas aux Juifs. C’est à ce stade que ce qui s’affiche comme abstraitement universaliste devient idéologique. De surcroît, la signification même d’un tel universalisme abstrait varie en fonction du contexte historique. Après l’Holocauste et la fondation de l’État d’Israël, cet universalisme abstrait sert à passer à la trappe l’#histoire des Juifs en Europe, ce qui remplit une double fonction très opportune de « nettoyage » historique : la violence perpétrée historiquement par les Européens à l’encontre des Juifs est effacée, et, dans le même temps, on se met à attribuer aux Juifs les horreurs du colonialisme européen. En l’occurrence, l’universalisme abstrait dont se revendiquent nombre d’antisionistes aujourd’hui devient une idéologie de légitimation qui permet de mettre en place une forme d’#amnésie concernant la longue histoire des actes, des politiques et des idéologies européennes à l’égard des Juifs, tout en continuant essentiellement dans la même direction. Les Juifs sont redevenus une fois de plus l’objet d’une indignation spéciale de la part de l’Europe. La solidarité que la plupart des Juifs éprouvent envers d’autres Juifs, y compris en Israël – pour compréhensible qu’elle soit après l’Holocauste – est désormais décriée. Cette forme d’antisionisme est devenue maintenant l’une des bases d’un programme visant à éradiquer l’autodétermination juive réellement existante. Elle rejoint certaines formes de nationalisme arabe – désormais considérées comme remarquablement progressistes.

    Un autre courant d’antisionisme de gauche – profondément antisémite celui-là – a été introduit par l’Union Soviétique, notamment à travers les procès-spectacles en Europe de l’Est après la Seconde Guerre mondiale. C’est particulièrement impressionnant dans le cas du #procès_Slánský, où la plupart des membres du comité central du parti communiste tchécoslovaque ont été jugés puis exécutés. Toutes les accusations formulées à leur encontre étaient des accusations typiquement antisémites : ils étaient sans attaches, cosmopolites, et faisaient partie d’une vaste conspiration mondiale. Dans la mesure où les Soviétiques ne pouvaient pas utiliser officiellement le discours de l’antisémitisme, ils ont employé le mot « sionisme » pour signifier exactement ce que les antisémites veulent dire lorsqu’ils parlent des Juifs. Ces dirigeants du PC tchécoslovaque, qui n’avaient aucun lien avec le sionisme – la plupart étaient des vétérans de la guerre civile espagnole – ont été exécutés en tant que sionistes.

    Cette variété d’antisionisme antisémite est arrivée au Moyen-Orient durant la #guerre_froide, importée notamment par les services secrets de pays comme l’#Allemagne_de_l’Est. On introduisait au Moyen-Orient une forme d’antisémitisme que la gauche considérait comme « légitime » et qu’elle appelait antisionisme. Ses origines n’avaient rien à voir avec le mouvement contre l’installation israélienne. Bien entendu, la population arabe de Palestine réagissait négativement à l’immigration juive et s’y opposait. C’est tout à fait compréhensible. En soi, ça n’a certes rien d’antisémite. Mais ces deux courants de l’antisionisme se sont rejoints historiquement.

    Pour ce qui concerne le troisième courant, il s’est produit, au cours des dix dernières années environ, un changement vis-à-vis de l’existence d’Israël, en premier lieu au sein du mouvement palestinien lui-même. Pendant des années, la plupart des organisations palestiniennes ont refusé d’accepter l’existence d’Israël. Cependant, en 1988, l’OLP a décidé qu’elle accepterait cette existence. La seconde Intifada, qui a débuté en 2000, était politiquement très différente de la première et marquait un revirement par rapport à cette décision. C’était, à mon avis, une faute politique fondamentale, et je trouve surprenant et regrettable que la gauche s’y soit laissée prendre au point de réclamer elle aussi, de plus en plus, l’abolition d’Israël. Dans tous les cas, il y a aujourd’hui au Moyen-Orient à peu près autant de Juifs que de #Palestiniens. Toute stratégie fondée sur des analogies avec la situation algérienne ou sud-africaine est tout simplement vouée à l’échec, et ce pour des raisons aussi bien démographiques que politico-historiques.

    Moishe Postone est notamment l’auteur de Critique du fétiche-capital. Le capitalisme, l’antisémitisme et la gauche (PUF, 2013)

    #Moishe_Postone #URSS #nationalités #autodétermination_nationale #anti-impérialisme #campisme #islam_politique

    • Il y a un siècle, la droite allemande considérait la domination mondiale du capital comme celle des Juifs et de la Grande Bretagne. À présent, la gauche la voit comme la domination d’Israël et des États-Unis. Le schéma de pensée est le même. Nous avons maintenant une forme d’antisémitisme qui semble être progressiste et « anti-impérialiste » ; là est le vrai danger pour la gauche. Le #racisme en tant que tel représente rarement un danger pour la gauche. Elle doit certes prendre garde à ne pas être raciste mais ça n’est pas un danger permanent, car le racisme n’a pas la dimension apparemment émancipatrice qu’affiche l’antisémitisme.

    • Israël, ce ne sont pas les juifs ; heureusement. Le pouvoir d’extrême droite israélien aimerait bien que tout le monde raisonne comme cela. Afin de perpétuer cet amalgame confus, qui permet de dire « t’es anti-impérialiste ? t’es antisémite ! ». on le voit arriver, le glissement dans cette dernière citation. Cet instrumentalisation l’air de rien. On passe de Juif+Grande-Bretagne à Israël+Usa, comme par magie. Et on nie tous les faits politiques qui objectivement démontrent que les Us et Israël sont à la manœuvre conjointement, géopolitiquement, au Moyen Orient, depuis plusieurs dizaines d’années.

      Le pouvoir israélien est un pouvoir fasciste et colonialiste. Cela dure depuis plusieurs dizaines d’années. Le pouvoir américain est un pouvoir impérialiste. Et cela dure depuis plusieurs dizaines d’années. Ce sont des faits objectifs.

      Renvoyer tous leurs adversaires plus ou moins progressistes dans la cuvette de l’antisémitisme, c’est confus, pour rester courtois.

    • La partie sur l’antisionisme et la Palestine repose sur un tour de passe-passe sémantique très classique : la création d’Israël est sobrement qualifiée d’« autodétermination nationale », et sa critique est systématiquement accolée à l’accusation d’être favorable à l’autodétermination des peuples, « sauf des juifs » ; tout en minimisant (voire en niant carrément) le fait que cette « autodétermination » a nécessité – et nécessite toujours – le nettoyage ethnique à grande échelle de la population indigène.

      Encore que cette forme d’antisionisme soit souvent incohérente : elle est prêt à accorder l’autodétermination nationale à la plupart des peuples, mais pas aux Juifs.

      […]

      Cette forme d’antisionisme est devenue maintenant l’une des bases d’un programme visant à éradiquer l’autodétermination juive réellement existante.

      […]

      Cette idée que toute nation aurait droit à l’autodétermination à l’exception des Juifs est bel et bien un héritage de l’Union Soviétique.

      À l’inverse, le termine « colonisation » n’est ici utilisé que pour être nié.

      la violence perpétrée historiquement par les Européens à l’encontre des Juifs est effacée, et, dans le même temps, on se met à attribuer aux Juifs les horreurs du colonialisme européen.

      […]

      Subsumer le conflit sous l’étiquette du colonialisme, c’est mésinterpréter la situation.

      Évidemment : l’euphémisation « immigration juive », alors qu’on parle de la période de la guerre froide (la Nakba : 1948) :

      Bien entendu, la population arabe de Palestine réagissait négativement à l’immigration juive et s’y opposait.