Une guerre sans tirs avec un seul mort
Une guerre sans tirs qui a opposé l’#Islande au #Royaume-Uni entre les années cinquante et soixante-dix autour de la délimitation des zones de #pêche exclusives de l’Islande, qui était inquiète de voir les chalutiers anglais pêcher trop près de ses côtes. En vingt ans, ce conflit larvé permettra à la petite île, qui fait jouer la menace de se retirer de l’Otan pendant que l’Angleterre, de son côté, introduit un embargo sur le #poisson islandais, de repousser sa zone de pêche exclusive de 3 milles à 200 milles de ses côtes. De 1958 à 1961, de 1972 à 1973 puis de 1975 à 1976, des vaisseaux de guerre doivent protéger les navires de pêche britanniques qui s’aventurent dans les eaux islandaises, sans empêcher le petit pays de finir par imposer sa volonté sur la scène internationale.
L’Islande sortira victorieuse d’un conflit à étapes qui fera un seul mort, un de ses ingénieurs, électrocuté lors d’une collision entre deux bâtiments ennemis en août 1973. « Avant de nous montrer trop présomptueux envers l’Islande, souvenons-nous qu’elle a pris le meilleur sur nous lors des #Guerres_de_la_morue, qui se sont terminées en 1976 sur un rude coup pour la pêche anglaise », tweetait, cinq jours avant le match, le chercheur en stratégie militaire Lawrence Freedman.
« Qu’est-ce que cela a à voir avec le football ? Comme durant les Guerres de la morue, les joueurs islandais devront faire preuve d’un plus grand engagement que les joueurs anglais pour avoir la moindre chance de l’emporter », écrivait de son côté avant la rencontre le chercheur Sverrir Steinsson, auteur plus tôt dans l’année d’une étude sur ce conflit. Il y citait notamment des propos du secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger qui prennent une nouvelle résonance au vu de ce match :
« Voici une île avec une population de 200.000 habitants menaçant de se lancer dans une guerre avec une puissance mondiale de 50 millions à propos de la morue, et une superpuissance qui considère nécessaire (a) de faire part de son opinion (b) de freiner non le plus puissant mais le plus faible [les États-Unis avaient massivement acheté du poisson islandais pour contrecarrer l’influence de l’URSS, qui faisait la même chose, ndlr] . [...] Les ministres islandais ont insisté de manière implacable sur ce qui, à n’importe quelle autre période, aurait fait figure de suicide. [...] Le minuscule et turbulent pays menaçant de faire la guerre à une nation 250 fois plus grande qu’elle et de quitter l’Otan (sans laquelle il serait sans défense) nous en dit beaucoup sur le monde contemporain et sur la tyrannie que les faibles peuvent imposer. »
« The Hand of Cod »
Cette tyrannie du faible envers le fort, cette façon dont une nation qui ne s’était jamais qualifiée pour l’Euro peut faire chuter le pays du plus riche championnat au monde, trouve encore un écho dans le monde de 2016. Élu il y a deux jours, le nouveau président islandais, l’historien Guðni Johannesson, est d’ailleurs un spécialiste de la période, et a été accusé d’entretenir des vues antipatriotiques sur le sujet par son adversaire Davíð Oddsson durant la campagne électorale. Ironiquement, les guerres de la morue sont aussi citées comme un facteur d’affaiblissement de la pêche anglaise, dont les bastions ont très fortement voté en faveur du Brexit.
Plusieurs Islandais avaient revendiqué le parallèle avant même le match. « Pouvons-nous battre l’Angleterre ? Rappelez-vous les Guerres de la morue, n’importe quoi peut se produire », lançait avec défi au Daily Mail Einar Örn Benediktsson, un ancien membre des Sugarcubes, le premier groupe de Björk. Interrogé par un journaliste suédois en conférence de presse, le co-sélectionneur Heimir Hallgrimsson avait lui aussi consenti à la comparaison :
« C’était la seule fois où l’Islande a fait la guerre. Nous sommes trop petits pour avoir une armée et nous manquons de troupes, donc nous serions battus plutôt rapidement. Mais ces types, nos footballeurs, forment l’armée islandaise. C’est pourquoi tout le monde les soutient. »
Les Anglais n’ont jamais renâclé aux métaphores guerrières en matière de football : un chant de supporters très populaire s’y intitule « Two World Wars and One World Cup » (« Deux guerres mondiales et une Coupe du monde »), en référence au seul trophée remporté par la sélection, en 1966 contre l’Allemagne de l’Ouest. Pour ce duel face à l’Islande, la métaphore était toute trouvée, avant même le match : les Anglais expliquaient craindre « the Hand of Cod », en référence à « the Hand of God », « la main de Dieu », le but scandaleux que leur avait inscrit de la main Diego Maradona il y a trente ans presque jour pour jour, vengeant son pays de sa défaite aux Malouines. Une défaite glorieuse, contrairement à celle contre l’Islande, dont on doute fort qu’elle sera encore célébrée outre-Manche dans trente ans.