• Les gilets jaunes et les « leçons de l’histoire » – Le populaire dans tous ses états - Gérard Noiriel
    https://noiriel.wordpress.com/2018/11/21/les-gilets-jaunes-et-les-lecons-de-lhistoire

    [...] La première différence avec les « #jacqueries » médiévales tient au fait que la grande majorité des #individus qui ont participé aux blocages de samedi dernier ne font pas partie des milieux les plus défavorisés de la société. Ils sont issus des milieux modestes et de la petite classe moyenne qui possèdent au moins une voiture. Alors que « la grande jacquerie » de 1358 fut un sursaut désespéré des gueux sur le point de mourir de faim, dans un contexte marqué par la guerre de Cent Ans et la peste noire.

    La deuxième différence, et c’est à mes yeux la plus importante, concerne la coordination de l’action. Comment des individus parviennent-ils à se lier entre eux pour participer à une lutte collective ? Voilà une question triviale, sans doute trop banale pour que les commentateurs la prennent au sérieux. Et pourtant elle est fondamentale. A ma connaissance, personne n’a insisté sur ce qui fait réellement la nouveauté des gilets jaunes : à savoir la dimension d’emblée nationale d’un mouvement spontané. Il s’agit en effet d’une protestation qui s’est développée simultanément sur tout le territoire français (y compris les DOM-TOM), mais avec des effectifs localement très faibles. Au total, la journée d’action a réuni moins de 300 000 personnes, ce qui est un score modeste comparé aux grandes manifestations populaires. Mais ce total est la somme des milliers d’actions groupusculaires réparties sur tout le territoire.

    Cette caractéristique du mouvement est étroitement liée aux moyens utilisés pour coordonner l’action des acteurs de la lutte. Ce ne sont pas les organisations politiques et syndicales qui l’ont assurée par leurs moyens propres, mais les « réseaux sociaux ». Les nouvelles technologies permettent ainsi de renouer avec des formes anciennes « d’action directe », mais sur une échelle beaucoup plus vaste, car elles relient des individus qui ne se connaissent pas. Facebook, twitter et les smartphones diffusent des messages immédiats (SMS) en remplaçant ainsi la correspondance écrite, notamment les tracts et la presse militante qui étaient jusqu’ici les principaux moyens dont disposaient les organisations pour coordonner l’action collective ; l’instantanéité des échanges restituant en partie la spontanéité des interactions en face à face d’autrefois.

    Toutefois les réseau sociaux, à eux seuls, n’auraient jamais pu donner une telle ampleur au mouvement des gilets jaunes. Les journalistes mettent constamment en avant ces « réseaux sociaux » pour masquer le rôle qu’ils jouent eux-mêmes dans la construction de l’action publique. Plus précisément, c’est la complémentarité entre les réseaux sociaux et les chaînes d’information continue qui ont donné à ce mouvement sa dimension d’emblée nationale. Sa popularisation résulte en grande partie de l’intense « propagande » orchestrée par les grands médias dans les jours précédents. Parti de la base, diffusé d’abord au sein de petits réseaux via facebook, l’événement a été immédiatement pris en charge par les grands médias qui ont annoncé son importance avant même qu’il ne se produise. La journée d’action du 17 novembre a été suivie par les chaînes d’information continue dès son commencement, minute par minute, « en direct » (terme qui est devenu désormais un équivalent de communication à distance d’événements en train de se produire). Les journalistes qui incarnent aujourd’hui au plus haut point le populisme (au sens vrai du terme) comme Eric Brunet qui sévit à la fois sur BFM-TV et sur RMC, n’ont pas hésité à endosser publiquement un gilet jaune, se transformant ainsi en porte-parole auto-désigné du peuple en lutte. Voilà pourquoi la chaîne a présenté ce conflit social comme un « mouvement inédit de la majorité silencieuse ».

    Une étude qui comparerait la façon dont les #médias ont traité la lutte des cheminots au printemps dernier et celle des gilets jaunes serait très instructive. Aucune des journées d’action des cheminots n’a été suivie de façon continue et les téléspectateurs ont été abreuvés de témoignages d’usagers en colère contre les grévistes, alors qu’on a très peu entendu les automobilistes en colère contre les bloqueurs.

    Je suis convaincu que le traitement médiatique du mouvement des gilets jaunes illustre l’une des facettes de la nouvelle forme de démocratie dans laquelle nous sommes entrés et que Bernard Manin appelle la « démocratie du public » (cf son livre Principe du gouvernement représentatif, 1995). [...]

    C’est toujours la mise en œuvre de cette citoyenneté #populaire qui a permis l’irruption dans l’espace public de #porte-parole[s] qui étai[en]t socialement destinés à rester dans l’ombre. Le mouvement des gilets jaunes a fait émerger un grand nombre de porte-parole de ce type. Ce qui frappe, c’est la diversité de leur profil et notamment le grand nombre de femmes, alors qu’auparavant la fonction de porte-parole était le plus souvent réservée aux hommes. La facilité avec laquelle ces leaders populaires s’expriment aujourd’hui devant les caméras est une conséquence d’une double démocratisation : l’élévation du niveau scolaire et la pénétration des techniques de communication audio-visuelle dans toutes les couches de la société. Cette compétence est complètement niée par les élites aujourd’hui ; ce qui renforce le sentiment de « mépris » au sein du peuple. Alors que les ouvriers représentent encore 20% de la population active, aucun d’entre eux n’est présent aujourd’hui à la Chambre des députés. Il faut avoir en tête cette discrimination massive pour comprendre l’ampleur du rejet populaire de la politique politicienne.

    Mais ce genre d’analyse n’effleure même pas « les professionnels de la parole publique » que sont les journalistes des chaînes d’information continue. En diffusant en boucle les propos des manifestants affirmant leur refus d’être « récupérés » par les syndicats et les partis, ils poursuivent leur propre combat pour écarter les corps intermédiaires et pour s’installer eux-mêmes comme les porte-parole légitimes des mouvements populaires. En ce sens, ils cautionnent la politique libérale d’Emmanuel Macron qui vise elle aussi à discréditer les structures collectives que se sont données les classes populaires au cours du temps.

    https://seenthis.net/messages/736409
    #histoire #luttes_sociales #action_politique #parole

    • La couleur des #gilets_jaunes
      par Aurélien Delpirou , le 23 novembre
      https://laviedesidees.fr/La-couleur-des-gilets-jaunes.html

      Jacquerie, révolte des périphéries, revanche des prolos… Les premières analyses du mouvement des gilets jaunes mobilisent de nombreuses prénotions sociologiques. Ce mouvement cependant ne reflète pas une France coupée en deux, mais une multiplicité d’interdépendances territoriales.
      La mobilisation des gilets jaunes a fait l’objet ces derniers jours d’une couverture médiatique exceptionnelle. Alors que les journalistes étaient à l’affut du moindre débordement, quelques figures médiatiques récurrentes se sont succédé sur les plateaux de télévision et de radio pour apporter des éléments d’analyse et d’interprétation du mouvement. Naturellement, chacun y a vu une validation de sa propre théorie sur l’état de la société française. Certains termes ont fait florès, comme jacquerie — qui désigne les révoltes paysannes dans la France d’Ancien Régime — lancé par Éric Zemmour dès le vendredi 16, puis repris par une partie de la presse régionale [1]. De son côté, Le Figaro prenait la défense de ces nouveaux ploucs-émissaires, tandis que sur Europe 1, Christophe Guilluy se réjouissait presque de la fronde de « sa » France périphérique — appelée plus abruptement cette France-là par Franz-Olivier Giesbert — et Nicolas Baverez dissertait sur la revanche des citoyens de base.

      Au-delà de leur violence symbolique et de leur condescendance, ces propos répétés ad nauseam urbi et orbi disent sans aucun doute moins de choses sur les gilets jaunes que sur les représentations sociales et spatiales de leurs auteurs. Aussi, s’il faudra des enquêtes approfondies et le recul de l’analyse pour comprendre ce qui se joue précisément dans ce mouvement, il semble utile de déconstruire dès maintenant un certain nombre de prénotions qui saturent le débat public. Nous souhaitons ici expliciter quatre d’entre elles, formalisées de manière systématique en termes d’opposition : entre villes et campagnes, entre centres-villes et couronnes périurbaines, entre bobos et classes populaires, entre métropoles privilégiées et territoires oubliés par l’action publique. À défaut de fournir des grilles de lecture stabilisées, la mise à distance de ces caricatures peut constituer un premier pas vers une meilleure compréhension des ressorts et des enjeux de la contestation en cours.

    • Classes d’encadrement et prolétaires dans le « mouvement des gilets jaunes »
      https://agitationautonome.com/2018/11/25/classes-dencadrement-et-proletaires-dans-le-mouvement-des-gilets-

      La mobilisation protéiforme et interclassiste des « gilets jaunes » donne à entendre une colère se cristallisant dans des formes et des discours différents selon les blocages et les espaces, créant une sorte d’atonie critique si ce n’est des appels romantiques à faire peuple, comme nous le montrions ici.
      [Des gilets jaunes à ceux qui voient rouge
      https://agitationautonome.com/2018/11/22/des-gilets-jaunes-a-ceux-qui-voient-rouge/]

      Reste un travail fastidieux : s’intéresser à une semaine de mobilisation à travers les structures spatiales et démographiques qui la traversent et qui nous renseignent sur sa composition sociale.

    • Gérard Noiriel : « Les “gilets jaunes” replacent la question sociale au centre du jeu politique », propos recueillis par Nicolas Truong.

      Dans un entretien au « Monde », l’historien considère que ce #mouvement_populaire tient plus des sans-culottes et des communards que du poujadisme ou des jacqueries.

      Historien et directeur d’études à l’EHESS, Gérard Noiriel a travaillé sur l’histoire de l’immigration en France (Le Creuset français. Histoire de l’immigration, Seuil, 1988), sur le racisme (Le Massacre des Italiens. Aigues-Mortes, 17 août 1893, Fayard, 2010), sur l’histoire de la classe ouvrière (Les Ouvriers dans la société française, Seuil, 1986) et sur les questions interdisciplinaires et épistémologiques en histoire (Sur la « crise » de l’histoire, Belin, 1996). Il vient de publier Une histoire populaire de la France. De la guerre de Cent Ans à nos jours (Agone, 832 p., 28 euros) et propose une analyse socio-historique du mouvement des « gilets jaunes ».

      Qu’est-ce qui fait, selon vous, l’originalité du mouvement des « gilets jaunes », replacé dans l’histoire des luttes populaires que vous avez étudiée dans votre dernier livre ?

      Dans cet ouvrage, j’ai tenté de montrer qu’on ne pouvait pas comprendre l’histoire des #luttes_populaires si l’on se contentait d’observer ceux qui y participent directement. Un mouvement populaire est une relation sociale qui implique toujours un grand nombre d’acteurs. Il faut prendre en compte ceux qui sont à l’initiative du mouvement, ceux qui coordonnent l’action, ceux qui émergent en tant que porte-parole de leurs camarades, et aussi les commentateurs qui tirent les « enseignements du conflit ». Autrement dit, pour vraiment comprendre ce qui est en train de se passer avec le mouvement des « gilets jaunes », il faut tenir tous les bouts de la chaîne.

      Je commencerais par la fin, en disant un mot sur les commentateurs. Etant donné que ce conflit social est parti de la base, échappant aux organisations qui prennent en charge d’habitude les revendications des citoyens, ceux que j’appelle les « professionnels de la parole publique » ont été particulièrement nombreux à s’exprimer sur le sujet. La nouveauté de cette lutte collective les a incités à rattacher l’inconnu au connu ; d’où les nombreuses comparaisons historiques auxquelles nous avons eu droit. Les conservateurs, comme Eric Zemmour, ont vu dans le mouvement des « gilets jaunes » une nouvelle jacquerie. Les retraités de la contestation, comme Daniel Cohn-Bendit, ont dénoncé une forme de poujadisme. De l’autre côté du spectre, ceux qui mettent en avant leurs origines populaires pour se présenter comme des porte-parole légitimes des mouvements sociaux, à l’instar des philosophes Michel Onfray ou Jean-Claude Michéa, se sont emparés des « gilets jaunes » pour alimenter leurs polémiques récurrentes contre les élites de Sciences Po ou de Normale Sup. Les « gilets jaunes » sont ainsi devenus les dignes successeurs des sans-culottes et des communards, luttant héroïquement contre les oppresseurs de tout poil.

      La comparaison du mouvement des « gilets jaunes » avec les jacqueries ou le poujadisme est-elle justifiée ?

      En réalité, aucune de ces références historiques ne tient vraiment la route. Parler, par exemple, de jacquerie à propos des « gilets jaunes » est à la fois un anachronisme et une insulte. Le premier grand mouvement social qualifié de jacquerie a eu lieu au milieu du XIVe siècle, lorsque les paysans d’Ile-de-France se sont révoltés contre leurs seigneurs. La source principale qui a alimenté pendant des siècles le regard péjoratif porté sur ces soulèvements populaires, c’est le récit de Jean Froissart, l’historien des puissants de son temps, rédigé au cours des années 1360 et publié dans ses fameuses Chroniques. « Ces méchants gens assemblés sans chef et sans armures volaient et brûlaient tout, et tuaient sans pitié et sans merci, ainsi comme chiens enragés. » Le mot « jacquerie » désignait alors les résistances des paysans que les élites surnommaient « les Jacques », terme méprisant que l’on retrouve dans l’expression « faire le Jacques » (se comporter comme un paysan lourd et stupide).
      Mais la grande jacquerie de 1358 n’avait rien à voir avec les contestations sociales actuelles. Ce fut un sursaut désespéré des gueux sur le point de mourir de faim, dans un contexte marqué par la guerre de Cent Ans et la peste noire. A l’époque, les mouvements sociaux étaient localisés et ne pouvaient pas s’étendre dans tout le pays, car le seul moyen de communication dont disposaient les émeutiers était le bouche-à-oreille.

      Ce qui a fait la vraie nouveauté des « gilets jaunes », c’est la dimension d’emblée nationale d’une mobilisation qui a été présentée comme spontanée. Il s’agit en effet d’une protestation qui s’est développée simultanément sur tout le territoire français (y compris les DOM-TOM), mais avec des effectifs localement très faibles. Au total, la journée d’action du 17 novembre a réuni moins de 300 000 personnes, ce qui est un score modeste comparé à d’autres manifestations populaires. Mais ce total est la somme des milliers d’#actions_groupusculaires réparties sur tout le #territoire.

      « La dénonciation du mépris des puissants revient presque toujours dans les grandes luttes populaires »

      Comment peut-on expliquer qu’un mouvement spontané, parti de la base, sans soutien des partis et des syndicats, ait pu se développer ainsi sur tout le territoire national ?

      On a beaucoup insisté sur le rôle des réseaux sociaux. Il est indéniable que ceux-ci ont été importants pour lancer le mouvement. Facebook, Twitter et les smartphones diffusent des messages immédiats qui tendent à remplacer la correspondance écrite, notamment les tracts et la presse d’opinion, qui étaient jusqu’ici les principaux moyens dont disposaient les organisations militantes pour coordonner l’#action_collective ; l’instantanéité des échanges restituant en partie la spontanéité des interactions en face à face d’autrefois.

      Néanmoins, les #réseaux_sociaux, à eux seuls, n’auraient jamais pu donner une telle ampleur au mouvement des « gilets jaunes ». Les journées d’action du 17 et du 24 novembre ont été suivies par les chaînes d’#information_en_continu dès leur commencement, minute par minute, en direct. Le samedi 24 novembre au matin, les journalistes étaient plus nombreux que les « gilets jaunes » aux Champs-Elysées. Si l’on compare avec les journées d’action des cheminots du printemps dernier, on voit immédiatement la différence. Aucune d’entre elles n’a été suivie de façon continue, et les téléspectateurs ont été abreuvés de témoignages d’usagers en colère contre les grévistes. Cet automne, on a très peu entendu les automobilistes en colère contre les bloqueurs.

      Je pense que le mouvement des « gilets jaunes » peut être rapproché de la manière dont Emmanuel Macron a été élu président de la République, lui aussi par surprise et sans parti politique. Ce sont deux illustrations du nouvel âge de la démocratie dans lequel nous sommes entrés, et que Bernard Manin appelle la « démocratie du public » dans son livre Principe du gouvernement représentatif, Calmann-Lévy, 1995). De même que les électeurs se prononcent en fonction de l’offre politique du moment – et de moins en moins par fidélité à un parti politique –, les mouvements sociaux éclatent aujourd’hui en fonction d’une conjoncture et d’une actualité précises. Avec le recul du temps, on s’apercevra peut-être que l’ère des partis et des syndicats a correspondu à une période limitée de notre histoire, l’époque où les liens à distance étaient matérialisés par la #communication_écrite.

      La France des années 1930 était infiniment plus violente que celle d’aujourd’hui

      La journée du 24 novembre a mobilisé moins de monde que celle du 17, mais on a senti une radicalisation du mouvement, illustrée par la volonté des « gilets jaunes » de se rendre à l’Elysée. Certains observateurs ont fait le rapprochement avec les manifestants du 6 février 1934, qui avaient fait trembler la République en tentant eux aussi de marcher sur l’Elysée. L’analogie est-elle légitime ?

      Cette comparaison n’est pas crédible non plus sur le plan historique. La France des années 1930 était infiniment plus violente que celle d’aujourd’hui. Les manifestants du 6 février 1934 étaient très organisés, soutenus par les partis de droite, encadrés par des associations d’anciens combattants et par des ligues d’extrême droite, notamment les Croix de feu, qui fonctionnaient comme des groupes paramilitaires. Leur objectif explicite était d’abattre la République. La répression de cette manifestation a fait 16 morts et quelque 1 000 blessés. Le 9 février, la répression de la contre-manifestation de la gauche a fait 9 morts. Les journées d’action des « gilets jaunes » ont fait, certes, plusieurs victimes, mais celles-ci n’ont pas été fusillées par les forces de l’ordre. C’est le résultat des accidents causés par les conflits qui ont opposé le peuple bloqueur et le peuple bloqué.

      Pourtant, ne retrouve-t-on pas aujourd’hui le rejet de la politique parlementaire qui caractérisait déjà les années 1930 ?

      La défiance populaire à l’égard de la #politique_parlementaire a été une constante dans notre histoire contemporaine. La volonté des « gilets jaunes » d’éviter toute récupération politique de leur mouvement s’inscrit dans le prolongement d’une critique récurrente de la conception dominante de la citoyenneté. La bourgeoisie a toujours privilégié la délégation de pouvoir : « Votez pour nous et on s’occupe de tout ».

      Néanmoins, dès le début de la Révolution française, les sans-culottes ont rejeté cette dépossession du peuple, en prônant une conception populaire de la #citoyenneté fondée sur l’#action_directe. L’une des conséquences positives des nouvelles technologies impulsées par Internet, c’est qu’elles permettent de réactiver cette pratique de la citoyenneté, en facilitant l’action directe des citoyens. Les « gilets jaunes » qui bloquent les routes en refusant toute forme de récupération politique s’inscrivent confusément dans le prolongement du combat des sans-culottes en 1792-1794, des citoyens-combattants de février 1848, des communards de 1870-1871 et des anarcho-syndicalistes de la Belle Epoque.

      Lorsque cette pratique populaire de la citoyenneté parvient à se développer, on voit toujours émerger dans l’espace public des #porte-parole qui étaient socialement destinés à rester dans l’ombre. Ce qui frappe, dans le mouvement des « gilets jaunes », c’est la diversité de leurs profils, et notamment le grand nombre de femmes, alors qu’auparavant la fonction de porte-parole était le plus souvent réservée aux hommes. La facilité avec laquelle ces leaders populaires s’expriment aujourd’hui devant les caméras est une conséquence d’une double démocratisation : l’élévation du niveau scolaire et la pénétration des techniques de communication audiovisuelle dans toutes les couches de la société. Cette compétence est complètement niée par les élites aujourd’hui ; ce qui renforce le sentiment de mépris au sein du peuple. Alors que les ouvriers représentent encore 20 % de la population active, aucun d’entre eux n’est présent aujourd’hui à l’Assemblée. Il faut avoir en tête cette discrimination massive pour comprendre l’ampleur du rejet populaire de la politique politicienne.

      Si les chaînes d’information en continu ont joué un tel rôle dans le développement du mouvement, comment expliquer que des « gilets jaunes » s’en soient pris physiquement à des journalistes ?

      Je pense que nous assistons aujourd’hui à un nouvel épisode dans la lutte, déjà ancienne, que se livrent les #politiciens et les #journalistes pour apparaître comme les véritables représentants du peuple. En diffusant en boucle les propos des manifestants affirmant leur refus d’être récupérés par les syndicats et les partis, les médias poursuivent leur propre combat pour écarter les corps intermédiaires et pour s’installer eux-mêmes comme les porte-parole légitimes des mouvements populaires. Le fait que des journalistes aient endossé publiquement un gilet jaune avant la manifestation du 17 novembre illustre bien cette stratégie ; laquelle a été confirmée par les propos entendus sur les chaînes d’information en continu présentant ce conflit social comme un « mouvement inédit de la majorité silencieuse ».

      Pourtant, la journée du 24 novembre a mis à nu la contradiction dans laquelle sont pris les nouveaux médias. Pour ceux qui les dirigent, le mot « populaire » est un synonyme d’#audience. Le soutien qu’ils ont apporté aux « gilets jaunes » leur a permis de faire exploser l’Audimat. Mais pour garder leur public en haleine, les chaînes d’information en continu sont dans l’obligation de présenter constamment un spectacle, ce qui incite les journalistes à privilégier les incidents et la violence. Il existe aujourd’hui une sorte d’alliance objective entre les casseurs, les médias et le gouvernement, lequel peut discréditer le mouvement en mettant en exergue les comportements « honteux » des manifestants (comme l’a affirmé le président de la République après la manifestation du 24 novembre). C’est pourquoi, même s’ils ne sont qu’une centaine, les casseurs sont toujours les principaux personnages des reportages télévisés. Du coup, les « gilets jaunes » se sont sentis trahis par les médias, qui les avaient soutenus au départ. Telle est la raison profonde des agressions inadmissibles dont ont été victimes certains journalistes couvrant les événements. Comme on le voit, la défiance que le peuple exprime à l’égard des politiciens touche également les journalistes.

      Ceux qui ont qualifié de « poujadiste » le mouvement des « gilets jaunes » mettent en avant leur revendication centrale : le refus des nouvelles taxes sur le carburant. Cette dimension antifiscale était en effet déjà très présente dans le mouvement animé par Pierre Poujade au cours des années 1950.

      Là encore, je pense qu’il faut replacer le mouvement des « gilets jaunes » dans la longue durée pour le comprendre. Les luttes antifiscales ont toujours joué un rôle extrêmement important dans l’histoire populaire de la France. L’Etat français s’est définitivement consolidé au début du XVe siècle, quand Charles VII a instauré l’impôt royal permanent sur l’ensemble du royaume. Dès cette époque, le rejet de l’#impôt a été une dimension essentielle des luttes populaires. Mais il faut préciser que ce rejet de l’impôt était fortement motivé par le sentiment d’injustice qui animait les classes populaires, étant donné qu’avant la Révolution française, les « privilégiés » (noblesse et clergé), qui étaient aussi les plus riches, en étaient dispensés. Ce refus des injustices fiscales est à nouveau très puissant aujourd’hui, car une majorité de Français sont convaincus qu’ils payent des impôts pour enrichir encore un peu plus la petite caste des ultra-riches, qui échappent à l’impôt en plaçant leurs capitaux dans les paradis fiscaux.

      On a souligné, à juste titre, que le mouvement des « gilets jaunes » était une conséquence de l’appauvrissement des classes populaires et de la disparition des services publics dans un grand nombre de zones dites « périphériques ». Néanmoins, il faut éviter de réduire les aspirations du peuple à des revendications uniquement matérielles. L’une des inégalités les plus massives qui pénalisent les classes populaires concerne leur rapport au langage public. Dans les années 1970, Pierre Bourdieu avait expliqué pourquoi les syndicats de cette époque privilégiaient les revendications salariales en disant qu’il fallait trouver des mots communs pour nommer les multiples aspects de la souffrance populaire. C’est pourquoi les porte-parole disaient « j’ai mal au salaire » au lieu de dire « j’ai mal partout ». Aujourd’hui, les « gilets jaunes » crient « j’ai mal à la taxe » au lieu de dire « j’ai mal partout ». Il suffit d’écouter leurs témoignages pour constater la fréquence des propos exprimant un malaise général. Dans l’un des reportages diffusés par BFM-TV, le 17 novembre, le journaliste voulait absolument faire dire à la personne interrogée qu’elle se battait contre les taxes, mais cette militante répétait sans cesse : « On en a ras le cul », « On en a marre de tout », « Ras-le-bol généralisé ».
      « Avoir mal partout » signifie aussi souffrir dans sa dignité. C’est pourquoi la dénonciation du #mépris des puissants revient presque toujours dans les grandes luttes populaires et celle des « gilets jaunes » n’a fait que confirmer la règle. On a entendu un grand nombre de propos exprimant un #sentiment d’humiliation, lequel nourrit le fort ressentiment populaire à l’égard d’Emmanuel Macron. « L’autre fois, il a dit qu’on était des poujadistes. J’ai été voir dans le dico, mais c’est qui ce blaireau pour nous insulter comme ça ? » Ce témoignage d’un chauffeur de bus, publié par Mediapart le 17 novembre, illustre bien ce rejet populaire.

      Comment expliquer cette focalisation du mécontentement sur Emmanuel Macron ?

      J’ai analysé, dans la conclusion de mon livre, l’usage que le candidat Macron avait fait de l’histoire dans son programme présidentiel. Il est frappant de constater que les classes populaires en sont totalement absentes. Dans le panthéon des grands hommes à la suite desquels il affirme se situer, on trouve Napoléon, Clémenceau, de Gaulle, mais pas Jean Jaurès ni Léon Blum. Certes, la plupart de nos dirigeants sont issus des classes supérieures, mais jusque-là, ils avaient tous accumulé une longue expérience politique avant d’accéder aux plus hautes charges de l’Etat ; ce qui leur avait permis de se frotter aux réalités populaires. M. Macron est devenu président sans aucune expérience politique. La vision du monde exprimée dans son programme illustre un ethnocentrisme de classe moyenne supérieure qui frise parfois la naïveté. S’il concentre aujourd’hui le rejet des classes populaires, c’est en raison du sentiment profond d’injustice qu’ont suscité des mesures qui baissent les impôts des super-riches tout en aggravant la taxation des plus modestes.

      On a entendu aussi au cours de ces journées d’action des slogans racistes, homophobes et sexistes. Ce qui a conduit certains observateurs à conclure que le mouvement des « gilets jaunes » était manipulé par l’#extrême_droite. Qu’en pensez-vous ?

      N’en déplaise aux historiens ou aux sociologues qui idéalisent les résistances populaires, le peuple est toujours traversé par des tendances contradictoires et des jeux internes de domination. Les propos et les comportements que vous évoquez sont fréquents dans les mouvements qui ne sont pas encadrés par des militants capables de définir une stratégie collective et de nommer le mécontentement populaire dans le langage de la #lutte_des_classes. J’ai publié un livre sur le massacre des Italiens à Aigues-Mortes, en 1893, qui montre comment le mouvement spontané des ouvriers français sans travail (qu’on appelait les « trimards ») a dégénéré au point de se transformer en pogrom contre les saisonniers piémontais qui étaient embauchés dans les salins. Je suis convaincu que si les chaînes d’information en continu et les smartphones avaient existé en 1936, les journalistes auraient pu aussi enregistrer des propos xénophobes ou racistes pendant les grèves. Il ne faut pas oublier qu’une partie importante des ouvriers qui avaient voté pour le Front populaire en mai-juin 1936 ont soutenu ensuite le Parti populaire français de Jacques Doriot, qui était une formation d’extrême droite.

      Comment ce mouvement peut-il évoluer, selon vous ?

      L’un des côtés très positifs de ce mouvement tient au fait qu’il replace la question sociale au centre du jeu politique. Des hommes et des femmes de toutes origines et d’opinions diverses se retrouvent ainsi dans un combat commun. La symbolique du gilet jaune est intéressante. Elle donne une identité commune à des gens très différents, identité qui évoque le peuple en détresse, en panne sur le bord de la route. Néanmoins, il est certain que si le mouvement se pérennise, les points de vue différents, voire opposés, qui coexistent aujourd’hui en son sein vont devenir de plus en plus visibles. On peut, en effet, interpréter le combat antifiscal des « gilets jaunes » de deux façons très différentes. La première est libérale : les « gilets jaunes » rejetteraient l’impôt et les taxes au nom de la liberté d’entreprendre. Selon la seconde interprétation, au contraire, est qu’ils combattent les inégalités face à l’impôt, en prônant une redistribution des finances publiques au profit des laissés-pour-compte.

      L’autre grand problème auquel va se heurter le mouvement concerne la question de ses représentants. Les nombreux « gilets jaunes » qui ont été interviewés dans les médias se sont définis comme les porte-parole de la France profonde, celle qu’on n’entend jamais. Issus des milieux populaires, ils sont brutalement sortis de l’ombre. Leur vie a été bouleversée et ils ont été valorisés par les nombreux journalistes qui les ont interviewés ou filmés. Beaucoup d’entre eux vont retomber dans l’anonymat si le mouvement se donne des porte-parole permanents. Ce qui risque d’affaiblir la dimension populaire de la lutte, car il y a de grandes chances que ces représentants soient issus de la classe moyenne, c’est-à-dire des milieux sociaux ayant plus de facilité pour s’exprimer en public, pour structurer des actions collectives.

    • « Gilets jaunes », les habits neufs de la révolte fiscale, entretien avec l’historien Nicolas Delalande, par Anne Chemin

      Selon l’historien Nicolas Delalande, le mouvement actuel s’inscrit dans une longue tradition de contestation, qui conspue l’Etat tout en réclamant sa protection.

      Chercheur au Centre d’histoire de Sciences Po, ­Nicolas Delalande, spécialiste de l’histoire de l’Etat, des solidarités et des inégalités, est l’un des maîtres d’œuvre de l’Histoire mondiale de la France (Seuil, 2017). Il a publié Les Batailles de l’impôt. Consentement et résistances de 1789 à nos jours (Seuil, 2011). Il publie en février 2019 un livre sur l’internationalisme ouvrier de 1864 à 1914, La Lutte et l’Entraide (Seuil, 368 pages, 24 euros).

      Pouvez-vous situer le mouvement des « gilets jaunes » par rapport aux « révoltes fiscales » apparues depuis les années 1970 en France et aux Etats-Unis ?

      La révolte fiscale a souvent été présentée comme un archaïsme, une forme de mobilisation « pré-moderne » que la démocratie libérale et le progrès économique devaient rendre résiduelle. Le mouvement poujadiste des années 1950 fut ainsi interprété comme l’ultime résistance d’un monde de petits artisans et de commerçants voué à disparaître. Ce qui était censé appartenir au monde d’avant est pourtant toujours d’actualité…

      Le mouvement des « gilets jaunes » s’inscrit dans une vague de regain des contestations fiscales. C’est dans les années 1970, aux Etats-Unis, que le thème de la « révolte fiscale » fait son retour. Disparate et composite, cette mobilisation contre le poids des taxes sur la propriété débouche sur l’ultralibéralisme des années Reagan (1981-1989). Le mouvement du Tea Party, lancé en 2008, radicalise plus encore cette attitude de rejet viscéral de l’impôt. Il n’est pas sans lien avec la désignation de Donald Trump comme candidat républicain en 2016.

      En France, c’est dans les années 1980 que l’antifiscalisme refait surface comme langage politique. Après la crise de 2008, les protestations se multiplient, dans un contexte d’augmentation des impôts et de réduction des dépenses. La nouveauté des « gilets jaunes », par rapport aux « pigeons » ou aux « bonnets rouges », tient à l’absence de toute organisation patronale ou syndicale parmi leurs initiateurs.

      Ces mouvements rejettent en général les étiquettes politiques ou syndicales. Comment définiriez-vous leur rapport au politique ?

      Au-delà des militants d’extrême droite qui cherchent sûrement à en tirer profit, la mobilisation touche des catégories populaires et des classes moyennes qui entretiennent un rapport distant avec la politique au sens électoral du terme : beaucoup déclarent ne plus voter depuis longtemps. Cela ne veut pas dire que les messages portés ne sont pas de nature politique. Le rejet des élites, du centralisme parisien et des taxes en tout genre appartient à un répertoire politique, celui des « petits contre les gros », dont l’origine, en France, remonte à la fin du XIXe siècle. Aux Etats-Unis, c’est aussi dans les années 1890 que naît le « populisme », un courant de défense des petits fermiers contre les trusts et l’oligarchie. Son originalité est d’être favorable à la régulation, plutôt qu’hostile à toute forme d’intervention publique.

      Au XXe siècle, les mouvements antifiscaux penchaient plutôt à droite. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?

      Parler au nom des contribuables, dans les années 1930, est très situé politiquement. En 1933, la « Journée nationale des contribuables » rassemble des adversaires convaincus de la gauche qui sont hostiles à la « spoliation fiscale et étatiste ». Les commerçants ferment leurs boutiques, les manifestants défilent en voiture et en camion, et on appelle à monter à Paris pour défier le pouvoir. La coagulation des mécontentements prend alors une connotation antirépublicaine qui culmine lors de la journée du 6 février 1934.

      Mais la gauche n’est pas complètement absente de ces mouvements. Au XIXe siècle, les républicains et les socialistes furent souvent les premiers à critiquer le poids des taxes sur la consommation. Dans les années 1930 et au début du mouvement Poujade (1953-1958), les communistes ont soutenu des actions locales de protestation au nom de la dénonciation de l’injustice fiscale. Reste que la critique de l’injustice fiscale peut prendre des directions très différentes : certains appellent à faire payer les riches quand d’autres attaquent le principe même de l’impôt. En France, ces mouvements ont presque toujours été marqués par cette ambiguïté : on conspue l’Etat tout en réclamant sa protection.

      On a longtemps pensé que les révoltes fiscales disparaîtraient avec les régimes démocratiques, l’impôt devenant le fruit d’une délibération collective. Comment expliquer cette renaissance de la contestation fiscale ?

      La contestation antifiscale est toujours le symptôme d’un dysfonctionnement plus profond des institutions. La dévitalisation du pouvoir parlementaire, sous la Ve République, est à l’évidence une des causes profondes du phénomène. A l’origine, le Parlement devait assurer la représentation des citoyens, qui sont à la fois des contribuables et des usagers des services publics. La délibération devait produire le consentement, tout comme la capacité du pouvoir législatif à contrôler les dépenses de l’Etat. Dès lors que le pouvoir théorise sa verticalité et dénie la légitimité des corps intermédiaires, ne reste plus que le face-à-face surjoué entre le contribuable en colère et le dirigeant désemparé. L’émergence de ces formes nouvelles de protestation est la conséquence logique de cette incapacité du pouvoir à trouver des relais dans la société.

      Ce « ras-le-bol fiscal » ne s’accompagne pas d’un mouvement de refus de paiement de l’impôt. Est-ce le signe que malgré tout, le compromis fiscal est encore solide ?

      C’est une des constantes de la protestation fiscale en France : la rhétorique anti-impôts y est d’autant plus forte qu’elle ne remet pas en cause l’architecture globale des prélèvements. A ce titre, les formes discrètes d’évitement et de contournement de l’impôt auxquelles se livrent les plus favorisés sont bien plus insidieuses. Leur langage est certes plus policé, mais leurs effets sur les inégalités et l’affaissement des solidarités sont plus profonds.

      Les « gilets jaunes » protestent contre l’instauration d’une taxe destinée à décourager l’usage du diesel en augmentant son prix. Comment ces politiques de #gouvernement_des_conduites sont-elles nées ?

      Les projets de transformation des conduites par la fiscalité remontent au XIXe siècle. Des réformateurs imaginent très tôt que l’#Etat puisse, à travers la modulation de l’impôt, encourager ou sanctionner certains comportements. Cette fiscalité porte sur des sujets aussi divers que la natalité, le luxe ou la consommation d’alcool et de tabac. Mais on perçoit très vite que l’Etat pourrait trouver un intérêt financier à la perpétuation des conduites qu’il est censé combattre par l’impôt.

      Dire que la justice consisterait, au XXIe siècle, à transférer la charge de l’impôt du travail vers les activités polluantes est à cet égard un contresens lourd de malentendus. Une taxe sur le diesel, aussi vertueuse et nécessaire soit-elle, reste une taxe sur la consommation qui frappe un bien de première nécessité. La transition écologique a peu de chances d’aboutir si elle ne s’articule pas à une recherche de justice fiscale et sociale.

    • « Les “gilets jaunes” sont aussi le produit d’une succession d’échecs du mouvement social »

      Pour un collectif de membres d’Attac et de la fondation Copernic, le mouvement de revendications fera date en dépit de certains dérapages, car il peut permettre de dépasser une crise généralisée, qui touche également la #gauche.

      Tribune. La colère sociale a trouvé avec le mouvement des « gilets jaunes » une expression inédite. Le caractère néopoujadiste et antifiscaliste qui semblait dominer il y a encore quelques semaines et les tentatives d’instrumentalisation de l’extrême droite et de la droite extrême ont été relativisés par la dynamique propre du mouvement, qui s’est considérablement élargi, et la conscience que les taxes sur l’essence étaient « la goutte d’eau qui fait déborder le vase ».

      Quelques dérapages homophobes ou racistes, certes marginaux mais néanmoins détestables, et des incidents quelquefois graves n’en ternissent pas le sens. Ce mouvement d’auto-organisation populaire fera date et c’est une bonne nouvelle.

      Le mouvement des « gilets jaunes » est d’abord le symptôme d’une crise généralisée, celle de la représentation politique et sociale des classes populaires. Le mouvement ouvrier organisé a longtemps été la force qui cristallisait les mécontentements sociaux et leur donnait un sens, un imaginaire d’émancipation. La puissance du néolibéralisme a progressivement affaibli son influence dans la société en ne lui laissant qu’une fonction d’accompagnement des régressions sociales.

      Situation mouvante
      Plus récemment, le développement des réseaux sociaux a appuyé cette transformation profonde en permettant une coordination informelle sans passer par les organisations. L’arrogance du gouvernement Macron a fait le reste avec le cynisme des dominants qui n’en finit pas de valoriser « les premiers de cordée », contre « ceux qui fument des clopes et roulent au diesel ».

      Le mouvement se caractérise par une défiance généralisée vis-à-vis du système politique
      Les « gilets jaunes » sont aussi le produit d’une succession d’échecs du mouvement social. Ces échecs se sont accentués depuis la bataille de 2010 sur les retraites jusqu’à celle sur les lois Travail ou la SNCF, et ont des raisons stratégiques toutes liées à l’incapacité de se refonder sur les plans politique, organisationnel, idéologique, après la guerre froide, la mondialisation financière et le refus de tout compromis social par les classes dirigeantes. Nous sommes tous comptables, militants et responsables de la gauche politique, syndicale et associative, de ces échecs.

      Dans cette situation mouvante, la réponse de la gauche d’émancipation doit être la #politisation populaire. C’est sur ce terreau qu’il nous faut travailler à la refondation d’une force ancrée sur des valeurs qui continuent à être les nôtres : égalité, justice fiscale, sociale et environnementale, libertés démocratiques, lutte contre les discriminations.

      Ancrer une gauche émancipatrice dans les classes populaires

      On ne combattra pas cette défiance, ni l’instrumentalisation par l’extrême droite, ni le risque d’antifiscalisme, en pratiquant la politique de la chaise vide ou en culpabilisant les manifestants. Il s’agit bien au contraire de se donner les moyens de peser en son sein et de gagner la #bataille_culturelle et politique de l’intérieur de ce mouvement contre l’extrême droite et les forces patronales qui veulent l’assujettir.

      Deux questions sont posées par ce mouvement : celui de la misère sociale grandissante notamment dans les quartiers populaires des métropoles et les déserts ruraux ou ultrapériphériques ; celui de la montée d’une crise écologique et climatique qui menace les conditions d’existence même d’une grande partie de l’humanité et en premier lieu des plus pauvres.

      Il faut répondre à ces deux questions par la conjonction entre un projet, des pratiques sociales et une perspective politique liant indissolublement la question sociale et la question écologique, la redistribution des richesses et la lutte contre le réchauffement climatique. L’ancrage d’une gauche émancipatrice dans les classes populaires est la condition première pour favoriser une coalition majoritaire pour la justice sociale et environnementale.

      Annick Coupé, Patrick Farbiaz, Pierre Khalfa, Aurélie Trouvé, membres d’Attac et de la Fondation Copernic.

  • Les leçons des jacqueries fiscales des agriculteurs d’Ile de France | Chez Jean Matouk | Rue89 Les blogs
    http://blogs.rue89.com/matouk/2013/11/23/les-lecons-des-jacqueries-fiscales-des-agriculteurs-dile-de-france-2317

    A leur tour, les agriculteurs d’Ile de France se sont joints jeudi au concert des « jacqueries » fiscales.


    Le revenu moyen de ces agriculteurs a été en 2012 de 97 800€. Comme le signale le Figaro lui-même, le revenu moyen a été de 73 000€ en Picardie et 67 100€ en Champagne-Ardennes.

    Ces régions sont des régions de grandes cultures, céréales et oléagineux. Les hausses de 20% du prix des céréales ( 58% des agriculteurs d’Ile de France sont des céréaliers) et de 15-20% des prix des oléagineux, expliquent ces revenus. D’ailleurs, dans la France entière les revenus des céréaliers ont été de 72 000€.

    A l’inverse les revenus des éleveurs et des viticulteurs ont diminué. Les premiers en raison :

    de la hausse du prix des céréales et oléagineux pour l’alimentation animale,
    des prix d’achat trop bas des grandes surfaces, pour les filières bovines,
    d’une concurrence allemande salariale insupportable pour la filière porcine,
    des intempéries pour les viticulteurs.
    Dans ces conditions, la participation des agriculteurs d’Ile de France à la fronde fiscale plurielle, a, comme d’autres, un relent politicien évident.

    #économie
    #jacqueries-fiscales
    #agriculteurs

    #Ile-de-France