#jean-baptiste_fressoz

  • « Les ruines de #Mayotte ont mis en évidence l’importance de la #tôle_ondulée »

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/01/02/les-ruines-de-mayotte-ont-mis-en-evidence-l-importance-de-la-tole-ondulee_64

    « Les ruines de Mayotte ont mis en évidence l’importance de la tôle ondulée »
    CHRONIQUE

    #Jean-Baptiste_Fressoz

    #Historien, chercheur au CNRS

    #prefabriqués

    La reconstruction de l’île dépendra plus des #matériaux disponibles, éprouvés et bon marché, que des solutions toutes faites comme le préfabriqué, constate l’historien Jean-Baptiste Fressoz dans sa chronique.Publié le 02 janvier 2025 à 05h30

    « On a été capables de rebâtir Notre-Dame en cinq ans, ce serait quand même un drame qu’on n’arrive pas à rebâtir Mayotte », lâchait Emmanuel Macron, le 19 décembre 2024, en déplacement sur l’île. Le 30 décembre, François Bayrou proposait un délai plus court encore : « Peut-être deux ans. » Et pour y parvenir, le premier ministre évoquait le recours à des maisons préfabriquées, bon marché, « faciles à monter ».

    Urgence, reconstruction, préfabrication : dans une thèse récemment soutenue à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville, Antoine Perron a raconté l’histoire de cette association qui s’impose comme une évidence après les catastrophes du XXe siècle (« La machine contre le métier. Les architectes et la critique de l’industrialisation du bâtiment [France 1940 à 1980] »).

    Si l’idée de préfabrication apparaît au XIXe siècle, la pratique demeure marginale jusqu’à la première guerre mondiale. En 1918, face au manque de matériaux et de main-d’œuvre, l’espoir d’une reconstruction rapide des régions dévastées par les combats s’évanouit. La préfabrication s’impose pour loger les réfugiés. Le service des travaux de première urgence utilise d’anciennes baraques militaires, puis fait appel à la société Eternit qui commercialise des maisons préfabriquées en plaques d’amiante-ciment.

    Un capital important
    La préfabrication suscite un regain d’intérêt après la seconde guerre mondiale. Le déficit de logements est alors immense. En 1947, la France produisait un logement pour 1 000 habitants par an, cinq fois moins que les pays d’Europe du Nord. Le ministère de la reconstruction lance une série de concours visant à accélérer et à moderniser la construction par la préfabrication. Des subventions sont accordées en échange du respect par les entrepreneurs de plans types et de prix plafonds amputant parfois d’un tiers les devis classiques.

    La préfabrication est employée à grande échelle pour construire des villes entières. Ces concours se soldent le plus souvent par des échecs. La raison est principalement technique : transporter des éléments lourds est coûteux, leur précision dimensionnelle est insuffisante, ils jouent davantage avec les effets de la dilatation, et leur jointage est problématique : souffrant de nombreuses malfaçons, ces logements « modernes » d’après-guerre seront unanimement critiqués et souvent démolis.

    Si la préfabrication lourde fut un échec, l’utilisation d’éléments produits en usine a connu en revanche un succès extraordinaire. Les ruines de Mayotte ont mis en évidence l’importance de la tôle ondulée. Dans Quoi de neuf ? (Seuil, 2013), l’historien britannique David Edgerton soulignait son caractère crucial dans l’histoire des techniques du XXe siècle. Apparu dans le Royaume-Uni en voie d’industrialisation, son usage devient massif lors de l’urbanisation rapide du monde pauvre après 1950.

    Comme il s’agit d’un des rares éléments qui ne peuvent être produits sur place, les tôles ondulées constituent un capital important. Elles sont récupérées, réutilisées et revendues. En 1994, au Rwanda, les Hutu pillèrent systématiquement les tôles ondulées des Tutsi. Et quand les Hutu durent fuir au Congo, ils emportèrent les tôles ondulées ou les enterrèrent dans leurs champs. Si la tôle ondulée est une technique clé du monde pauvre, elle n’est pas antithétique à la construction en dur : en Australie ou en Nouvelle-Zélande, elle est utilisée par les colons depuis le XIXe siècle et a même acquis de nos jours un cachet d’architecture vernaculaire.

    La « reconstruction de Mayotte » est un défi sans commune mesure avec celle de Notre-Dame. Des centaines de milliers de logements ont été détruits ou endommagés. Rappelons que la France entière ne produit qu’environ 400 000 logements par an. Il est aussi probable que la reconstruction de l’île dépende moins de solutions techniques toutes faites comme les « maisons préfabriquées faciles à monter » invoquées par François Bayrou que de la disponibilité de matériaux de construction éprouvés et bon marché (pisé, briques, parpaing, ciment, tôle ondulée…).

    Quant à la construction en dur qui a montré son utilité pendant le cyclone, elle dépend surtout de la sécurisation du statut des populations précaires qui pourront investir à la fois leur temps et leur argent dans l’autoconstruction de leur maison.

    Jean-Baptiste Fressoz (Historien, chercheur au CNRS)

  • Mis en cause par François Bayrou, les agents de l’#Office_français_de_la_biodiversité appelés à faire la grève des contrôles
    https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/01/17/mis-en-cause-par-francois-bayrou-les-agents-de-l-office-francais-de-la-biodi

    Mis en cause par François Bayrou, les agents de l’Office français de la biodiversité appelés à faire la grève des contrôles
    Trois jours après l’attaque frontale du premier ministre contre le travail des agents de l’#OFB, les syndicats de l’établissement public demandent des excuses publiques.

    Par Perrine Mouterde

    Publié le 17 janvier 2025 à 16h39

    Ne plus effectuer aucune mission de police, ne plus réaliser aucune opération en lien avec le monde agricole, ne plus transmettre aucun avis technique… tant que le premier ministre n’aura pas formulé des excuses publiques. Trois jours après que François Bayrou a attaqué frontalement le travail des agents de l’Office français de la biodiversité (OFB), les syndicats de l’établissement public appellent, vendredi 17 janvier, à une grève partielle et à un vaste mouvement de contestation. « En réponse à la remise en cause incessante de nos missions et afin d’éviter de commettre des “fautes”, l’intersyndicale demande à l’ensemble des personnels de rester au bureau », résument dans un communiqué cinq organisations (#Syndicat_national_de_l’environnement, FSU, FO, CGT, Unsa, EFA-CGC).

    Quasiment muet sur les #sujets_climatiques_et_environnementaux lors de sa déclaration de politique générale, mardi 14 janvier, #François_Bayrou a en revanche lancé un acte d’accusation sévère à l’encontre de l’instance chargée de veiller à la préservation de la biodiversité et au respect du droit de l’environnement. « Quand les #inspecteurs de la #biodiversité viennent contrôler le fossé ou le point d’eau avec une arme à la ceinture, dans une ferme déjà mise à cran, c’est une humiliation, et c’est donc une faute », a-t-il affirmé.

    Cette déclaration ne pouvait que remettre de l’huile sur le feu après dix-huit mois de vives tensions entre l’établissement et certains syndicats agricoles. La #FNSEA et la Coordination rurale, notamment, assurent que les agriculteurs sont contrôlés de manière excessive et intimidante par les inspecteurs de l’environnement et réclament leur désarmement. Fin 2023 et début 2024, des personnels et des agences de l’OFB avaient été pris pour cibles lors de manifestations. Fin 2024, lors d’un nouveau mouvement de protestation agricole, une cinquantaine d’agressions et d’attaques ont été recensées.

    « Le premier ministre, qui a outrepassé ses fonctions en se faisant le porte-parole de syndicats agricoles, doit se reprendre et réparer sa faute, affirme aujourd’hui #Sylvain_Michel, représentant #CGT à l’OFB. Il est intolérable que le deuxième plus haut représentant de l’Etat attaque directement un établissement public dont les missions sont dictées par la loi et qui consistent à faire respecter le code de l’environnement. »

    Expression « mal comprise »
    La présidente du conseil d’administration de l’OFB, Sylvie Gustave-dit-Duflo, a également fait part de sa colère après les propos de François Bayrou. « Lorsque le premier ministre prend directement à partie l’OFB sans avoir pris la peine de s’intéresser à nos missions, à ses enjeux, c’est inconcevable, c’est une faute », a déclaré vendredi Me Gustave-dit-Duflo, qui est aussi vice-présidente de la région Guadeloupe. « La probabilité pour qu’une exploitation agricole soit contrôlée par les 1 700 inspecteurs de l’environnement, c’est une fois tous les cent-vingt ans », a-t-elle ajouté.

    Les propos du #premier_ministre avaient déjà fait réagir ces derniers jours. Dès mercredi, un membre du Syndicat national des personnels de l’environnement (SNAPE)-FO, Benoît Pradal, a décrit sur France Inter « l’humiliation » ressentie depuis des mois par les agents de l’OFB et assuré n’avoir aucun problème avec « la majorité » des agriculteurs. « On a le sentiment que ce que veulent [une minorité d’agriculteurs], c’est ne plus nous voir dans leurs exploitations. C’est du même ordre que si les dealers demandaient aux policiers de ne plus venir dans les cités », a-t-il ajouté. La FNSEA et les Jeunes agriculteurs ont aussitôt dénoncé « une comparaison honteuse » et réclamé la suspension des contrôles. Le patron des LR à l’Assemblée, Laurent Wauquiez, a lui réclamé que l’OFB soit « purement et simplement supprimé ».

    L’ancien député Modem Bruno Millienne, conseiller de Matignon, juge que l’expression de François Bayrou a été « mal comprise » et prône « le bon sens et le respect mutuel de part et d’autre ». De son côté, la ministre de la transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, a appelé vendredi à l’apaisement, en rappelant que les agents de l’OFB « font le travail que nous leur demandons ». « Si la loi doit évoluer, c’est aux parlementaires de la faire évoluer. Ce n’est pas aux agents de l’OFB de ne pas respecter la loi », a-t-elle ajouté.

    Etuis de port d’armes discrets
    Outre la suspension d’un certain nombre de missions, l’intersyndicale de l’établissement public invite les quelque 3 000 agents (dont les 1 700 inspecteurs de l’environnement) à cesser toute participation aux réunions organisées en préfecture sur des sujets agricoles ainsi que tout appui technique aux services de l’Etat, aux établissements publics et aux collectivités territoriales. Elle suggère aussi, dans le cadre d’une action symbolique, d’aller remettre en mains propres aux préfets les étuis de port d’armes discrets, censés permettre de dissimuler l’arme sous les vêtements.

    Une circulaire du 3 décembre 2024 prévoit la mise en place immédiate de ce port d’armes discret. Pour Sylvain Michel, cet outil est « de la poudre aux yeux », qui ne réglera en aucun cas les difficultés. « Ceux qui attaquent les armes violemment ne veulent pas de droit de l’environnement, et donc pas de police de l’environnement », a jugé récemment le directeur général de l’établissement, Olivier Thibault. La police de l’environnement est celle qui contrôle le plus de personnes armées chaque année.

    #Perrine_Mouterde

    • « L’Office français de la biodiversité, l’un des principaux remparts contre l’effondrement du vivant, est victime d’attaques intolérables »

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/01/07/l-office-francais-de-la-biodiversite-l-un-des-principaux-remparts-contre-l-e

      TRIBUNE
      Collectif

      Amputer les missions de l’#OFB, en réduire les moyens ou revenir sur ses dotations sacrifierait des ressources indispensables pour sa capacité à protéger la biodiversité et à la défendre face aux pratiques illégales qui la dégradent, explique, dans une tribune au « Monde », un collectif de personnalités d’horizons divers, parmi lesquelles Allain Bougrain-Dubourg, Marylise Léon, Christophe Béchu et Valérie Masson-Delmotte.

      ’Office français de la biodiversité (OFB) a récemment déposé une cinquantaine de plaintes au niveau national pour dégradations et menaces.

      Début octobre, la voiture d’un chef de service du Tarn-et-Garonne a été visée par un acte de sabotage. Le 26 janvier 2024, sur fonds de colère agricole, des manifestants ont tenté de mettre le feu au siège de Trèbes (Aude), tandis que l’enquête ouverte après l’incendie de celui de Brest (Finistère), à l’occasion d’une manifestation de marins pêcheurs mécontents, le 30 mars 2023, vient d’être classée sans suite.

      A Guéret (Creuse), les locaux de l’établissement public ont été saccagés, et des documents volés, pour la première fois ; à Beauvais, un service a été muré, et plusieurs services ont reçu un mail d’insultes et de menaces. D’autres établissements publics – tels que l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement ou l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail – et certains agents ont été victimes d’attaques intolérables.

      3 000 agents répartis à travers la France
      L’OFB incarne pourtant l’un des principaux remparts contre l’érosion de la biodiversité. Cet établissement public, créé par le législateur, en 2019, lors de la fusion de l’Agence française pour la biodiversité et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, rassemble plus de 3 000 agents répartis à travers la France métropolitaine et les outre-mer. Inspecteurs de l’environnement, ingénieurs, experts thématiques, vétérinaires, techniciens, personnel administratif, œuvrent ensemble pour accompagner les collectivités et les divers acteurs économiques vers des pratiques respectueuses de la nature.

      L’OFB réunit des compétences uniques pour mesurer, analyser et anticiper l’effondrement du vivant. Que savons-nous de la fragilité des espèces ou des écosystèmes déjà affectés ? Quel est l’état de santé des zones humides, des milieux forestiers et marins ? Affaiblir l’OFB, c’est saper les fondations mêmes de notre connaissance et de nos capacités d’action. Le défendre, c’est affirmer que la science est un levier crucial de la résilience de nos sociétés.

      Protéger la biodiversité, c’est aussi la défendre face aux pratiques illégales qui la dégradent. L’une des missions centrales de l’OFB vise à assurer l’application des lois environnementales. Avec ses 1 700 inspecteurs, cette police de l’environnement lutte contre le braconnage, les pollutions et autres atteintes aux milieux naturels et aux espèces protégées. Ses équipes aident également les usagers à mieux comprendre et à respecter les réglementations, en proposant des solutions concrètes et constructives.

      L’OFB n’agit pas seul. Il constitue le cœur d’un réseau d’acteurs qui tissent ensemble des initiatives locales et nationales : Etat, collectivités, citoyennes et citoyens engagés, en particulier dans les associations, entreprises, scientifiques. De la ruralité au cœur des villes, cette force agit pour la préservation de la biodiversité et de l’équilibre de nos territoires.

      La base de notre existence
      Loin de faire cavalier seul, comme certains l’affirment, les agents de l’OFB participent à la résilience des activités économiques, établissent des ponts entre des intérêts parfois divergents, en facilitant le dialogue avec les agriculteurs, pêcheurs, chasseurs, pratiquants des sports de nature ou encore les acteurs de l’énergie. Qu’il s’agisse de la restauration d’un marais, de la survie d’une espèce endémique ultramarine ou de l’éducation des plus jeunes, chaque avancée repose sur cette synergie avec la même ambition : léguer un futur viable aux prochaines générations.

      La biodiversité n’est pas un luxe, elle est la base même de notre existence : l’eau que nous buvons, l’air que nous respirons, les sols qui nous nourrissent. Ses interactions et interdépendances ont permis, au cours de l’évolution, de créer les conditions d’émergence de l’ensemble du vivant. Ce fil fragile menace bientôt de rompre. Quand les océans s’élèvent, que les habitats naturels se dégradent, que les cours d’eau s’assèchent ou débordent, que les espèces sauvages disparaissent à un rythme sans précédent, nous devons faire front et nous unir derrière un unique objectif : protéger la vie.

      Dans ce contexte, amputer les missions de l’#OFB, réduire ses moyens budgétaires et humains ou revenir sur les dotations décidées il y a à peine un an pour les politiques publiques de biodiversité, sacrifierait des ressources indispensables pour notre capacité à agir efficacement pour préserver l’#avenir.

      C’est pourquoi, aujourd’hui, nous appelons élus, #associations, #scientifiques, #citoyennes_et_citoyens à faire front pour soutenir cet #opérateur_public, aujourd’hui sous le feu de #critiques_injustifiées. Celles-ci visent en réalité, à travers l’OFB ainsi qu’à travers l’ensemble de ses agents, des politiques publiques et des #réglementations qui ont mis des années à progresser et à commencer à faire leurs preuves.

      Premiers signataires : Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux ; Antoine Gatet, président de France Nature Environnement ; Erwan Balanant, député (#MoDem) du Finistère ; Sandrine Le Feur, députée (Renaissance) du Finistère ; Marie Pochon, députée (#EELV) de la Drôme ; Dominique Potier, député (divers gauche) de Meurthe-et-Moselle ; Loïc Prud’homme, député (LFI) de Gironde ; Richard Ramos, député (MoDem) du Loiret ; Marylise Léon, secrétaire nationale de la CFDT ; Christophe Béchu, maire d’Angers et ancien ministre ; Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, directrice de recherches au CEA ; Claude Roustan, président de la Fédération nationale de la pêche. Liste complète des signataires ici.

      Collectif

    • Jean-Baptiste Fressoz, historien : « Les #polices_environnementales subissent de nombreuses entraves »
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/02/28/jean-baptiste-fressoz-historien-les-polices-environnementales-subissent-de-n

      Jean-Baptiste Fressoz, historien : « Les polices environnementales subissent de nombreuses entraves »
      CHRONIQUE

      Jean-Baptiste Fressoz

      Historien, chercheur au CNRS

      La mise en cause de l’Office français de la biodiversité à l’occasion des manifestations d’agriculteurs s’inscrit dans l’histoire des entraves à la protection de l’environnement, observe l’historien dans sa chronique.Publié le 28 février 2024 à 06h00, modifié le 28 février 2024 à 08h15 Temps deLecture 2 min.

      Les locaux de l’Office français de la biodiversité (OFB) ont été plusieurs fois visés par les manifestations d’agriculteurs, par exemple à Mende, le 2 février, et à Carcassonne, le 27 janvier. Le 26 janvier, le premier ministre, Gabriel Attal, avait annoncé le placement de l’établissement public sous la tutelle des préfets. L’OFB fait partie des « polices environnementales », vocable regroupant différentes institutions qui vont des anciens gardes-chasse, gardes forestiers, gardes-pêche – devenus agents de l’OFB – aux inspecteurs des établissements classés (Polices environnementales sous contraintes, de Léo Magnin, Rémi Rouméas et Robin Basier, Rue d’Ulm, 90 pages, 12 euros).

      Le mot « police » a cela d’intéressant qu’il renvoie à l’origine de ces institutions. Sous l’Ancien Régime, la police méritait en effet pleinement son nom, car elle s’occupait de tout ce qui avait trait à l’espace urbain, à la fois l’ordre public, bien sûr, mais aussi l’ordre environnemental, la propreté des rues, l’organisation des marchés, les fumées des artisans…

      Le succès administratif des termes « environnement », dans les années 1970, puis « biodiversité », dans les années 2000, cache la profonde continuité des pratiques et des institutions qui encadrent les usages de la nature. A l’instar de la police d’Ancien Régime, la police environnementale recourt surtout à la pédagogie et aux rappels aux règlements bien plus qu’aux sanctions. Une police qui repose davantage sur les bonnes pratiques que sur des normes strictes et des instruments de mesure.

      On retrouve aussi une même rivalité entre administration et justice tout au long de son histoire. Au début du XIXe siècle, la mise en place du système administratif (préfets et Conseil d’Etat) avait conduit à marginaliser les cours judiciaires dans la gestion de l’environnement : d’un côté, une administration qui pense « production et compétitivité nationale », de l’autre, des cours qui constatent des dommages, des responsabilités et attribuent des réparations.

      Gestion de contradictions
      Les polices environnementales subissent également de nombreuses entraves. Tout d’abord celle liée au manque de personnel : pour surveiller l’ensemble de ses cours d’eau, la France ne dispose que de 250 agents, soit moins d’un agent pour 1 000 kilomètres de rivière. Quant aux établissements classés, on en compte plus de 500 000 en France, pour 3 100 inspecteurs. On est bien loin des 30 000 gardes champêtres qui quadrillaient les campagnes françaises au XIXe siècle !

      Entraves qui tiennent ensuite à la faible prise en charge judiciaire de ces affaires : les atteintes à l’environnement représentent ainsi une part infime des affaires correctionnelles. Entraves liées enfin à l’état du monde agricole français : moins de 2 % de la population exploite plus de la moitié du territoire métropolitain ; logiquement, les agriculteurs concentrent la majorité des contrôles. Et la peur de la violence d’un monde agricole en détresse économique taraude les inspecteurs : un contrôle de trop peut enclencher la faillite…

      Robert Poujade, tout premier ministre de l’écologie de 1971 à 1974, avait conté son expérience au Ministère de l’impossible (Calmann-Lévy, 1975). La police de l’environnement est une « police de l’impossible », davantage caractérisée par ses contraintes que par ses pouvoirs, une police « d’avant-garde » par certains aspects, mais qui tente de faire respecter des règles souvent anciennes, une police enfin qui n’est soutenue par aucune campagne de sensibilisation massive, contrairement à ce qui a été fait, par exemple, pour la sécurité routière, et qui se trouve devoir gérer les contradictions entre système productif et politique. Selon la formule des auteurs de Polices environnementales sous contraintes, « l’écologisation de nos sociétés n’a rien d’automatique et demeure un processus hautement contingent, sinon un objectif essentiellement discursif ». Les reculades de Gabriel Attal face aux revendications de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles confirment cette sombre appréciation.

      #Jean-Baptiste_Fressoz (Historien, chercheur au #CNRS)

    • « Il appartient aux autorités politiques de #défendre l’#existence de l’Office français de la #biodiversité, chargé d’appliquer les #réglementations_environnementales »
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/02/il-appartient-aux-autorites-politiques-de-defendre-l-existence-de-l-office-f

      « Il appartient aux autorités politiques de défendre l’existence de l’Office français de la biodiversité, chargé d’appliquer les réglementations environnementales »
      TRIBUNE
      Collectif

      L’OFB est devenu le bouc émissaire de la crise agricole, déplorent dans une tribune au « Monde » les représentants des organisations siégeant au conseil d’administration de cet établissement national. Pour eux, la coopération entre agriculture et biodiversité est une évidente nécessité.Publié le 02 mars 2024 à 06h30 Temps deLecture 4 min.

      Le #déclin_de_la_biodiversité à une vitesse et à une intensité jamais égalées est #scientifiquement_établi depuis des années, et particulièrement dans les rapports de la Plate-Forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (#IPBES). Les menaces sur l’eau et la biodiversité sont toutes d’origine humaine et s’exacerbent mutuellement.

      Cet #effondrement_de_la_biodiversité, conjugué au changement climatique, remet en question l’habitabilité de notre planète et interroge l’avenir du vivant, humain et non humain.

      Face à ce constat, l’Etat a créé en 2020 un établissement national spécialisé, l’Office français de la biodiversité (#OFB), consacré à la protection et à la restauration de la biodiversité en métropole et dans les outre-mer. Le législateur et le gouvernement lui ont assigné des missions essentielles, en particulier :

      – la connaissance et l’expertise : mieux connaître les espèces, les milieux naturels, les services rendus par la biodiversité et les menaces qu’elle subit est essentiel pour protéger le vivant ;

      – un appui aux politiques publiques : à tous niveaux, les équipes de l’OFB appuient les politiques publiques pour répondre aux enjeux de préservation de la biodiversité ;

      – la gestion et restauration des espaces protégés : parcs naturels marins, réserves, appui aux parcs nationaux, travail en réseau… ;

      – la contribution à la police de l’environnement, qu’elle soit administrative ou judiciaire, relative à l’eau, aux espaces naturels, à la flore et la faune sauvages, à la chasse et à la pêche ; à la lutte contre le trafic des espèces sauvages menacées d’extinction.

      Manque de moyens
      Quatre ans après sa création, l’OFB continue de consolider son identité et sa place dans le paysage institutionnel. En manque d’un véritable portage politique, ce « fer de lance de la biodiversité » a vu ses missions s’étoffer et se complexifier considérablement, tandis que ses effectifs n’ont augmenté qu’à la marge.

      Le manque de moyens humains reste une entrave à l’action, à tous niveaux.

      Par exemple, sur les seules missions de police judiciaire, à l’échelle du territoire national, l’OFB ne compte que 1 700 inspecteurs pour prévenir et réprimer les atteintes à l’environnement (surveillance du territoire, recherche et constat des infractions, interventions contre le braconnage, …), qui doivent également contribuer à la connaissance, apporter leur expertise technique, sensibiliser les usagers, réaliser des contrôles administratifs sous l’autorité du préfet, etc. Mais d’autres agents et métiers de l’OFB sont également en tension.

      Durant les manifestations de colère agricole, l’OFB se voit conspué, ses implantations locales dégradées, ses agents vilipendés. L’OFB est devenu le bouc émissaire de la crise agricole, en l’absence de réponses concrètes sur le revenu des paysans.

      La santé des agriculteurs en premier lieu
      Ces attaques réitérées contre l’OFB sont inacceptables, car elles visent, au travers de l’établissement et de ses agents, à affaiblir les politiques publiques de protection et de sauvegarde de la nature, de l’eau et de la biodiversité.

      Parce que l’eau et la biodiversité renvoient à la complexité du vivant, le bon sens, qu’il soit populaire ou paysan, ne peut suffire à protéger ou à restaurer un fonctionnement équilibré des milieux naturels. L’OFB est un outil précieux de connaissance et d’expertise pour accompagner et garantir la mise en œuvre des politiques publiques (collectivités, habitants, filières professionnelles, etc.). La remise en cause de certaines de ses missions et de sa capacité d’agir générerait des reculs concrets et dommageables pour l’intérêt général et nos modes de vie.

      Elle ne constituerait aucunement un gain pour le monde agricole, dont une grande partie a déjà intégré les enjeux de préservation des milieux et des cycles naturels. Rappelons que, en faisant appliquer les réglementations environnementales, l’OFB et les autres opérateurs publics de l’environnement protègent aussi la santé de tous les citoyens, celle des agriculteurs en premier lieu.

      A l’inverse de la tendance à opposer agriculture et protection de la nature, la coopération entre agriculture et biodiversité est une nécessité évidente : le système agroalimentaire intensif aujourd’hui dominant constitue l’une des principales pressions sur la biodiversité, dont l’érosion continue provoque, en retour, une fragilisation de tous les modèles agricoles.

      Rappeler les lois, voire sanctionner
      Les politiques publiques, comptables vis-à-vis des générations futures, ne doivent pas renoncer à la transition agroécologique ; elles doivent au contraire l’accompagner, la guider et la soutenir, au bénéfice de la biodiversité, de l’atténuation et de l’adaptation du changement climatique, de la santé des humains (et en premier lieu des producteurs), des autres êtres vivants et de l’agriculture elle-même.

      Nous soutenons sans réserve tous les paysans qui s’engagent dans cette transition agroécologique, dans un modèle à la fois vertueux pour l’environnement et où les femmes et les hommes qui nous nourrissent vivent dignement de leur travail, sans mettre en jeu leur santé et celle des citoyens.

      Lire aussi la tribune : Article réservé à nos abonnés « Face au changement climatique, l’agriculture biologique doit être soutenue »

      L’OFB a sa place au côté d’une agriculture en pleine mutation, pour accompagner les paysans de bonne volonté, engagés dans la transition, mais aussi pour rappeler les lois et règlements en vigueur, voire sanctionner ceux qui ne respectent pas la loi, qu’ils soient des entreprises, des agriculteurs, des collectivités ou des individus.

      L’Etat doit lui en donner véritablement les moyens, avec des effectifs à la hauteur de ces enjeux et des agents reconnus qui vivent, eux aussi, dignement de leur travail. Comme pour d’autres établissements publics pris pour cible par des groupes d’intérêts économiques, il appartient aux autorités politiques de défendre l’existence de cet organisme dont les missions sont définies dans le cadre légitime de l’action publique de l’Etat

      Les signataires de cette tribune proviennent tous d’organisations siégeant au conseil d’administration de l’Office français de la biodiversité : Véronique Caraco-Giordano, secrétaire générale du #SNE-FSU, Syndicat national de l’environnement ; Antoine Gatet, président de France Nature Environnement ; Bernard #Chevassus-au-Louis, président d’Humanité et biodiversité ; Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux ; Claude Roustan, président de la #Fédération_nationale_de_la_pêche en France ; Vincent Vauclin, secrétaire général #CGT_environnement (domaine OFB et #parcs_nationaux).

    • À #Poitiers, l’immense désarroi de la police de l’environnement | Mediapart
      https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/150225/poitiers-limmense-desarroi-de-la-police-de-l-environnement

      À Poitiers, l’immense désarroi de la police de l’environnement
      Harcelés par les syndicats agricoles, les agents de l’Office français de la biodiversité se sentent abandonnés et constatent une perte de sens de leur travail. D’autant que François Bayrou les a jetés en pâture dès son arrivée à Matignon, les accusant d’« humilier les agriculteurs ».

      Lucie Delaporte

      15 février 2025 à 10h28

      PoitiersPoitiers (Vienne).– Sur la porte vitrée du local subsistent encore les traces laissées par la Coordination rurale (CR). Des graines mélangées à une substance visqueuse et, çà et là, quelques autocollants du syndicat : « Stop à l’agricide », « OFB stop contrôle ».

      Dans la nuit du dimanche 2 février, les locaux de l’agence départementale de l’Office français de la biodiversité (#OFB) à Poitiers ont été pris pour cible par des militants du syndicat agricole proche de l’extrême droite. Des #graffitis ont été tracés sur le bâtiment, des sacs de légumes pourris déversés devant les locaux. « Un camion entier », précise Alain*, le premier agent à être arrivé sur les lieux.

      C’est la sixième fois en un an et demi que cette antenne de l’OFB de la Vienne est attaquée. Le procureur de la République a ouvert une enquête en flagrance pour les dégradations matérielles mais aussi pour harcèlement, au regard de la répétition de ces actes de malveillance.

      Dans cette âpre campagne où le syndicat disputait son leadership à la FNSEA, l’OFB aura été sa cible répétée. « On leur a servi de bouc émissaire idéal », résume un agent que nous rencontrons dans la salle de repos où sont collées des affichettes montrant des agents couverts de déchets avec le slogan « Nous ne sommes pas des punching-balls ».

      Après le témoignage sur France Inter d’un responsable syndical de l’OFB qui avait comparé à des « dealers » les agriculteurs hors la loi, le climat s’est enflammé. « Une voiture de l’OFB qui entre dans une exploitation sera brûlée sur place », a déclaré peu après dans un meeting le secrétaire général de la CR, Christian Convers.

      Grève du zèle
      Né en 2020 de la fusion de l’Agence française pour la biodiversité et de l’Office français de la chasse et de la faune sauvage, l’OFB, qui compte 2 800 agents, est encore mal connu du grand public. Il exerce des missions de police administrative et de police judiciaire relatives à l’eau, aux espaces naturels, aux espèces, à la chasse et à la pêche.

      À Poitiers, quelques jours après cette sixième attaque contre ses locaux, l’antenne tourne au ralenti. « On fait une grève larvée. Globalement, on ne fait pas de police pénale, pas de contrôle administratif. On essaie de solder les procédures en cours et on va surtout voir des espèces sur le terrain », résume un agent qui, comme tous les autres, requiert l’anonymat.

      On se dit qu’un agriculteur va peut-être franchir la ligne rouge, avec le sentiment que, s’il le fait, il sera soutenu par les syndicats agricoles et par le premier ministre.

      Gilles, agent à l’OFB
      Après une manifestation le 31 janvier devant la préfecture, les agents poursuivent le mouvement par cette grève du zèle, en écho à une année étrange où leurs tutelles – le ministère de l’agriculture et celui de la transition écologique – leur ont demandé de lever le pied sur les contrôles face à l’ampleur de la contestation agricole.

      « C’est notre quotidien : se faire insulter ou agresser par des gens qui viennent déverser des détritus juste parce qu’on essaie de faire respecter des lois votées au Parlement », indique Alain, qui fait visiter les lieux.

      Un mètre de lisier dans la voiture
      Le lâchage en règle des agents de l’OFB par deux premiers ministres, sous la pression du mouvement agricole, a été très douloureusement ressenti. Lors de son discours de politique générale, François Bayrou a évoqué l’« humiliation » infligée, à ses yeux, au monde agricole par les agents de l’OFB, qui arborent une arme lors de leurs interventions. 

      « On s’était déjà fait crucifier en janvier sur place par Attal sur sa botte de foin, qui avait repris au mot près le slogan de la FNSEA : “Faut-il être armé pour contrôler une haie ?” », s’étrangle Alain, qui rappelle les agressions continuelles que subissent les agents. 

      Depuis fin 2023, l’OFB a recensé 90 actions contre ses locaux mais aussi des actes malveillants visant directement ses agents. En octobre, le chef de l’OFB du Tarn-et-Garonne, juste après une réunion sur les contrôles à la chambre d’agriculture, a constaté qu’une des roues de son véhicule avait été démontée. « Un collègue s’est retrouvé avec un mètre de lisier dans sa voiture », raconte Max en buvant sa chicorée, parce qu’il s’est rendu compte que le café portait trop sur ses nerfs déjà assez malmenés.

      « Il y a une violence qu’on ressent de plus en plus. Ce climat-là multiplie le risque d’avoir un contrôle qui se passe mal. On se dit qu’un agriculteur va peut-être franchir la ligne rouge, avec finalement le sentiment que, s’il le fait, il sera soutenu par les syndicats agricoles et par le premier ministre », poursuit-il.

      Travailler à l’OFB a un coût, surtout quand on habite dans un village. « Là où j’habite, je suis blacklisté. C’est un village très agricole. Je l’ai senti quand on est arrivés. Ma femme ne comprenait pas. Je lui ai dit : “Cherche pas : tout le monde se connaît, ils savent le métier que je fais” », explique l’agent.

      Un autre raconte avoir fait l’erreur d’aller regarder ce qui se disait sur les réseaux sociaux à propos de l’OFB. Insultes, menaces, dénigrement… « C’est désastreux. On est les emmerdeurs, payés par vos impôts, pour protéger les papillons, les amphibiens. Et à partir du moment où l’État qui m’emploie me désavoue, quelle légitimité j’ai à continuer à faire ce travail-là ? »

      Depuis 2023, du fait des dérogations de la préfecture, l’eau d’une grande partie de la Vienne n’est officiellement plus « potable », à cause de ces pollutions, mais « consommable ».

      L’accusation de « harceler » le monde agricole provoque ici l’agacement. « D’abord, on focalise sur le monde agricole, mais ce n’est qu’une petite partie de notre travail. On contrôle les collectivités, les entreprises, les particuliers aussi », souligne Max, la trentaine. À raison de 3 000 contrôles par an pour 400 000 exploitations, une exploitation a une chance de se faire contrôler tous les cent vingt ans. « Ici, on a verbalisé vingt exploitations sur les phytos [produits phytosanitaires – ndlr] l’an dernier sur les 3 500 du département. La vérité, c’est qu’on devrait faire beaucoup plus de contrôles. On est treize agents, ici, on devrait plutôt être quarante pour bien faire notre métier », assure-t-il.

      Car ce qu’ils racontent sur l’ampleur des atteintes à l’environnement qu’ils constatent au quotidien fait froid dans le dos. « Sur la qualité de l’eau, c’est une catastrophe ! À certains endroits, on en est venus à interconnecter des points de captage pour diluer la pollution », rapporte un policier. Un cache-misère pour rendre moins visibles des niveaux de pollution inédits.

      Julien est ici le spécialiste de l’utilisation des produits phytosanitaires. Il décrit les conséquences désastreuses de ces produits utilisés trop souvent hors des clous et qui restent parfois plusieurs décennies à l’état de métabolites dans les sols et les nappes phréatiques.

      Interdit depuis 2013, le chlorothalonil, un fongicide, continue de faire des ravages. « Il y a certaines zones dans le département où on était à quasiment 70 fois la norme ! » Pour lui, de telles concentrations indiquent que le produit a sans doute été utilisé récemment : « Les agriculteurs peuvent se fournir à l’étranger, sur Internet. »

      Depuis 2023, du fait des dérogations de la préfecture, l’eau du robinet d’une grande partie du département n’est officiellement plus « potable », à cause de ces pollutions, mais « consommable », c’est-à-dire les seuils très précis de pollution qui régissent les normes de potabilité sont dépassés mais dans des proportions qui n’impactent pas immédiatement la santé humaine. Dans ce cas, les préfectures peuvent, temporairement, publier des décrets dérogatoires. Sur le long terme, qui vivra verra… Une situation dénoncée par les associations environnementalistes dans l’indifférence générale. 

      Yves s’agace de l’aveuglement des pouvoirs publics sur le sujet : « La conscience des élus de la gravité de la situation de l’eau, elle est... faible, euphémise-t-il dans un demi-sourire. Ils ne se rendent pas du tout compte ou alors ils disent : “On va trouver des solutions curatives, on va traiter l’eau.” Mais, même dans les récentes usines de filtration à 15 millions d’euros qui ont été construites ici, on continue de trouver ces métabolites. » Il faut des filtres de plus en plus performants, plus chers et finalement payés par les contribuables.

      Moi, je n’ose même plus parler de biodiversité puisqu’on regarde toutes les populations se casser la gueule…

      Un policier de l’environnement
      Faire appliquer la loi serait, au minimum, un bon début. Mais c’est précisément ce qu’on les empêche de faire en leur imposant des procédures longues et complexes, avec très peu de moyens.

      Pour ces agents, observer au quotidien l’effondrement de la biodiversité dans l’indifférence générale est un crève-cœur. « On est un peu comme des urgentistes qui voient passer des cadavres toute la journée. Moi, je n’ose même plus parler de biodiversité puisqu’on regarde toutes les populations se casser la gueule… J’en suis juste à me dire : essayons d’avoir encore de l’eau potable demain », affirme Alain.

      Le droit de l’environnement est-il trop complexe ? Un argument qui est beaucoup revenu pendant le mouvement des agriculteurs. Alain reconnaît que certains aspects sont très techniques, y compris pour lui, mais souligne que cette complexité est souvent le fruit d’un intense travail de lobbying des industriels et des groupes de pression.

      « Le #lobbying a tendance à complexifier encore plus la loi, avec une multitude de sous-amendements parfois difficilement interprétables… On se dit que c’est exprès pour que ce soit inapplicable ! Ce serait bien de simplifier la loi mais que cette simplification ne se fasse pas au détriment de l’environnement, comme c’est la plupart du temps le cas », juge-t-il.

      Agrandir l’image : Illustration 3
      Une saisie d’un bidon de glyphosate. © Lucie Delaporte
      Julien assure que concernant les « phytos », grand sujet de crispation avec les agriculteurs, la « complexité » a bon dos : « Les exploitants ont quand même une formation pour obtenir un certificat individuel d’utilisation des produits phytosanitaires, et sur chaque bidon de phytosanitaire, la règle d’utilisation est écrite : “À ne pas appliquer à moins de 5 mètres ou 20 mètres d’un cours d’eau”, etc. »

      Dans une profession agricole qui a été encouragée à utiliser massivement des pesticides pendant des décennies, engendrant une dépendance de plus en plus grande à la chimie, certains agriculteurs préfèrent simplement ignorer des réglementations qui les contraignent.

      « On a fait des formations justement pour expliquer la réglementation. Comme sur le terrain on entend toujours que c’est très compliqué, on s’attendait à avoir des salles pleines. Sur les 3 500 exploitations dans la Vienne, une cinquantaine d’agriculteurs sont venus », soupire un agent chevronné.

      Avec des formules qu’ils veulent diplomatiques, ils décrivent tous un monde agricole qui s’est globalement affranchi des règles sur le respect de l’environnement, avec la bénédiction des pouvoirs publics qui ont décidé de fermer les yeux. « Il faudrait faire une étude sociologique : pourquoi les exploitants agricoles ne se sentent-ils jamais en infraction ? Ils nous disent : “Mais nous on gère en bons pères de famille, intéressez-vous plutôt aux délinquants, aux dealers dans les cités.” C’est quelque chose qui a été entretenu parce qu’il y a très peu de contrôles en agriculture. Et forcément, dès qu’il y en a un petit peu, tout de suite, la pression monte », analyse Julien.

      Si, de fait, les contrôles sont rares, les sanctions ne sont pas non plus très dissuasives. Dans le département, un agriculteur qui se fait contrôler pour non-respect de la loi sur l’utilisation des pesticides est condamné à faire un stage payant de 300 euros. « Ce n’est pas très cher payé quand on voit les dégâts pour les écosystèmes », soupire Alain.

      La faiblesse des contrôles pourrait d’ailleurs coûter cher à la France concernant les aides de la politique agricole commune (PAC). « Il y aurait 9 milliards d’aides et pas de contrôles ? Ça ne marche pas comme ça », relève un agent. L’Union européenne conditionne en effet ses aides au respect d’un certain nombre de règles environnementales garanties par un bon niveau de contrôle et pourrait condamner la France. 

      Ma hantise, c’est qu’un agriculteur se #suicide.

      Gilles, agent de l’OFB
      Malgré leurs vives critiques, tous les agents rencontrés insistent sur leur attachement à un monde agricole qu’ils connaissent bien et qu’ils savent effectivement en détresse. « Mon père était exploitant agricole. Je viens de ce milieu, prévient d’emblée Julien. Avec le Mercosur, l’année dernière était pourrie par le climat avec une baisse de la production… Ils ont l’impression de perdre sur tout. On est le coupable idéal parce que c’est facile de taper sur nous. »

      Essentielle à leurs yeux, leur mission de police n’est pas toujours facile à endosser. « Ma hantise, c’est qu’un agriculteur se suicide, raconte Gilles. C’est arrivé à un collègue après un contrôle. On prend le maximum de précautions, on appelle la DDT [direction départementale des territoires – ndlr] pour savoir s’il y a des risques psychosociaux avant d’intervenir chez un exploitant par exemple. »

      Faire respecter le droit de l’environnement, notamment sur les « phytos », est aussi dans l’intérêt des agriculteurs, plaident-ils. « Certains agriculteurs sont dans le déni. Moi, j’essaie de leur parler des impacts sur leur santé, celle de leur famille », explique Max. Il se souvient d’un agriculteur qui avait passé quinze jours à l’hôpital après s’être pris des pesticides en retour d’air dans la cabine de son semoir : « Il crachait du sang. Mais de là à changer… Ils sont convaincus qu’il n’y a pas d’autres solutions, alors que rien qu’en modifiant certaines pratiques, ils peuvent baisser drastiquement le recours aux phytos. »

      Il y a aussi désormais des points de non-retour. Yves se souvient de la prise de conscience d’un agriculteur qui a un jour fait venir un pédologue pour comprendre ce qui se passait sur son exploitation : « Il lui a dit que les sols de ses 600 hectares étaient morts ; ça lui a mis une claque. » Beaucoup d’agents interrogés voudraient voir leur travail à l’OFB en partie comme un accompagnement de ces agriculteurs aujourd’hui englués dans la dépendance aux produits chimiques.

      L’éclatante victoire dans le département de la Coordination rurale, qui veut supprimer le maximum de normes environnementales, ne va pas vraiment en ce sens.

      Au sein de l’antenne de Poitiers, le découragement gagne les agents. Beaucoup nous font part de leur envie d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte. « Je regarde les offres d’emploi, c’est vrai », reconnaît l’un d’eux. « Je n’ai pas envie de servir de caution verte au gouvernement. Si on nous dit demain : le monde agricole, vous ne le contrôlez plus, vous faites les particuliers, les entreprises et les collectivités…, là, j’arrêterai. J’aurai l’impression de clairement voler les contribuables en prenant un salaire pour quelque chose de totalement inutile : il faut remettre les enjeux à leur place », poursuit ce jeune agent, que ses collègues décrivent comme un « monstre dans son domaine ».

      Gilles se remet mal d’une discussion récente avec une collègue. « Elle a fait vingt-quatre ans de service. Une fille hyperperformante dans plein de domaines, mais là, elle n’en peut plus. Elle a craqué nerveusement. Elle fait une rupture conventionnelle. Elle ne veut même plus entendre parler d’environnement, c’est devenu insupportable pour elle. »

  • « Nous assistons à une escalade de la #prédation_minière »

    Une nouvelle #ruée_minière a commencé et touche aussi la #France. Au nom de la lutte contre la crise climatique, il faudrait extraire de plus en plus de #métaux. Celia Izoard dénonce l’impasse de cette « #transition » extractiviste. Entretien.

    Basta/Observatoire des multinationales : Il est beaucoup question aujourd’hui de renouveau minier en raison notamment des besoins de la transition énergétique, avec la perspective d’ouvrir de nouvelles mines en Europe et même en France. Vous défendez dans votre #livre qu’il ne s’agit pas du tout d’un renouveau, mais d’une trajectoire de continuité. Pourquoi ?

    #Celia_Izoard : Les volumes de #métaux extraits dans le monde aujourd’hui augmentent massivement, et n’ont jamais cessé d’augmenter. Ce qui est parfaitement logique puisqu’on ne cesse de produire de nouveaux objets et de nouveaux équipements dans nos pays riches, notamment avec la #numérisation et aujourd’hui l’#intelligence_artificielle, et qu’en plus de cela le reste du monde s’industrialise.

    En conséquence, on consomme de plus en plus de métaux, et des métaux de plus en plus variés – aussi bien des métaux de base comme le #cuivre et l’#aluminium que des métaux de spécialité comme les #terres_rares. Ces derniers sont utilisés en très petite quantité mais dans des objets qui sont partout, comme les #smartphones, et de façon trop dispersive pour permettre le #recyclage.

    Et la production de tous ces métaux devrait continuer à augmenter ?

    Oui, car rien ne freine cette production, d’autant plus qu’on y ajoute aujourd’hui une nouvelle demande qui est un véritable gouffre : celle de métaux pour le projet très technocratique de la transition. « Transition », dans l’esprit de nos élites, cela signifie le remplacement des #énergies_fossiles par l’#énergie_électrique – donc avec des #énergies_renouvelables et des #batteries – avec un modèle de société inchangé. Mais, par exemple, la batterie d’une #voiture_électrique représente souvent à elle seule 500 kg de métaux (contre moins de 3 kg pour un #vélo_électrique).

    Simon Michaux, professeur à l’Institut géologique de Finlande, a essayé d’évaluer le volume total de métaux à extraire si on voulait vraiment électrifier ne serait-ce que la #mobilité. Pour le #lithium ou le #cobalt, cela représenterait plusieurs décennies de la production métallique actuelle. On est dans un scénario complètement absurde où même pour électrifier la flotte automobile d’un seul pays, par exemple l’Angleterre ou la France, il faut déjà plus que la totalité de la production mondiale. Ce projet n’a aucun sens, même pour lutter contre le #réchauffement_climatique.

    Vous soulignez dans votre livre que l’#industrie_minière devient de plus en plus extrême à la fois dans ses techniques de plus en plus destructrices, et dans les #nouvelles_frontières qu’elle cherche à ouvrir, jusqu’au fond des #océans et dans l’#espace

    Oui, c’est le grand paradoxe. Les élites politiques et industrielles répètent que la mine n’a jamais été aussi propre, qu’elle a surmonté les problèmes qu’elle créait auparavant. Mais si l’on regarde comment fonctionne réellement le #secteur_minier, c’est exactement l’inverse que l’on constate. La mine n’a jamais été aussi énergivore, aussi polluante et aussi radicale dans ses pratiques, qui peuvent consister à décapiter des #montagnes ou à faire disparaître des #vallées sous des #déchets_toxiques.

    C’est lié au fait que les teneurs auxquelles on va chercher les métaux sont de plus en plus basses. Si on doit exploiter du cuivre avec un #filon à 0,4%, cela signifie que 99,6% de la matière extraite est du #déchet. Qui plus est, ce sont des #déchets_dangereux, qui vont le rester pour des siècles : des déchets qui peuvent acidifier les eaux, charrier des contaminants un peu partout.

    Les #résidus_miniers vont s’entasser derrière des #barrages qui peuvent provoquer de très graves #accidents, qui sont sources de #pollution, et qui sont difficilement contrôlables sur le long terme. Nous assistons aujourd’hui à une véritable #escalade_technologique qui est aussi une escalade de la #prédation_minière. La mine est aujourd’hui une des pointes avancées de ce qu’on a pu appeler le #capitalisme_par_dépossession.

    Comment expliquer, au regard de cette puissance destructrice, que les populations occidentales aient presque totalement oublié ce qu’est la mine ?

    Il y a un #déni spectaculaire, qui repose sur deux facteurs. Le premier est la religion de la #technologie, l’une des #idéologies dominantes du monde capitaliste. Nos dirigeants et certains intellectuels ont entretenu l’idée qu’on avait, à partir des années 1970, dépassé le #capitalisme_industriel, qui avait été tellement contesté pendant la décennie précédente, et qu’on était entré dans une nouvelle ère grâce à la technologie. Le #capitalisme_post-industriel était désormais avant tout une affaire de brevets, d’idées, d’innovations et de services.

    Les mines, comme le reste de la production d’ailleurs, avaient disparu de ce paysage idéologique. Le #mythe de l’#économie_immatérielle a permis de réenchanter le #capitalisme après l’ébranlement des mouvements de 1968. Le second facteur est #géopolitique. Aux grandes heures du #néo-libéralisme, le déni de la mine était un pur produit de notre mode de vie impérial. Les puissances occidentales avaient la possibilité de s’approvisionner à bas coût, que ce soit par l’#ingérence_politique, en soutenant des dictatures, ou par le chantage à la dette et les politiques d’#ajustement_structurel. Ce sont ces politiques qui ont permis d’avoir par exemple du cuivre du #Chili, de #Zambie ou d’#Indonésie si bon marché.

    Les besoins en métaux pour la #transition_climatique, si souvent invoqués aujourd’hui, ne sont-ils donc qu’une excuse commode ?

    Invoquer la nécessité de créer des mines « pour la transition » est en effet hypocrite : c’est l’ensemble des industries européennes qui a besoin de sécuriser ses approvisionnements en métaux. La récente loi européenne sur les métaux critiques répond aux besoins des grosses entreprises européennes, que ce soit pour l’#automobile, l’#aéronautique, l’#aérospatiale, les #drones, des #data_centers.

    L’argument d’une ruée minière pour produire des énergies renouvelables permet de verdir instantanément toute mine de cuivre, de cobalt, de lithium, de #nickel ou de terres rares. Il permet de justifier les #coûts_politiques de la #diplomatie des #matières_premières : c’est-à-dire les #conflits liés aux rivalités entre grandes puissances pour accéder aux #gisements. Mais par ailleurs, cette transition fondée sur la technologie et le maintien de la #croissance est bel et bien un gouffre pour la #production_minière.

    Ce discours de réenchantement et de relégitimation de la mine auprès des populations européennes vous semble-t-il efficace ?

    On est en train de créer un #régime_d’exception minier, avec un abaissement des garde-fous réglementaires et des formes d’extractivisme de plus en plus désinhibées, et en parallèle on culpabilise les gens. La #culpabilisation est un ressort psychologique très puissant, on l’a vu durant le Covid. On dit aux gens : « Si vous n’acceptez pas des mines sur notre territoire, alors on va les faire ailleurs, aux dépens d’autres populations, dans des conditions bien pires. » Or c’est faux. D’abord, la #mine_propre n’existe pas.

    Ensuite, la #loi européenne sur les #métaux_critiques elle prévoit qu’au mieux 10% de la production minière soit relocalisée en Europe. Aujourd’hui, on en est à 3%. Ce n’est rien du tout. On va de toute façon continuer à ouvrir des mines ailleurs, dans les pays pauvres, pour répondre aux besoins des industriels européens. Si l’on voulait vraiment relocaliser la production minière en Europe, il faudrait réduire drastiquement nos besoins et prioriser les usages les plus importants des métaux.

    Peut-on imaginer qu’un jour il existe une mine propre ?

    Si l’on considère la réalité des mines aujourd’hui, les procédés utilisés, leur gigantisme, leur pouvoir de destruction, on voit bien qu’une mine est intrinsèquement problématique, intrinsèquement prédatrice : ce n’est pas qu’une question de décisions politiques ou d’#investissements. L’idée de « #mine_responsable » n’est autre qu’une tentative de faire accepter l’industrie minière à des populations en prétendant que « tout a changé.

    Ce qui m’a frappé dans les enquêtes que j’ai menées, c’est que les industriels et parfois les dirigeants politiques ne cessent d’invoquer certains concepts, par exemple la #mine_décarbonée ou le réemploi des #déchets_miniers pour produire du #ciment, comme de choses qui existent et qui sont déjà mises en pratique. À chaque fois que j’ai regardé de plus près, le constat était le même : cela n’existe pas encore. Ce ne sont que des #promesses.

    Sur le site de la nouvelle mine d’#Atalaya à #Rio_Tinto en #Espagne, on voir des panneaux publicitaires alignant des #panneaux_photovoltaïques avec des slogans du type « Rio Tinto, la première mine d’autoconsommation solaire ». Cela donne à penser que la mine est autonome énergétiquement, mais pas du tout. Il y a seulement une centrale photovoltaïque qui alimentera une fraction de ses besoins. Tout est comme ça.

    Le constat n’est-il pas le même en ce qui concerne le recyclage des métaux ?

    Il y a un effet purement incantatoire, qui consiste à se rassurer en se disant qu’un jour tout ira bien parce que l’on pourra simplement recycler les métaux dont on aura besoin. Déjà, il n’en est rien parce que les quantités colossales de métaux dont l’utilisation est planifiée pour les années à venir, ne serait-ce que pour produire des #batteries pour #véhicules_électriques, n’ont même pas encore été extraites.

    On ne peut donc pas les recycler. Il faut d’abord les produire, avec pour conséquence la #destruction de #nouveaux_territoires un peu partout sur la planète. Ensuite, le recyclage des métaux n’est pas une opération du saint-Esprit ; il repose sur la #métallurgie, il implique des usines, des besoins en énergie, et des pollutions assez semblables à celles des mines elles-mêmes.

    L’accent mis sur le besoin de métaux pour la transition ne reflète-t-il pas le fait que les #multinationales ont réussi à s’approprier ce terme même de « transition », pour lui faire signifier en réalité la poursuite du modèle actuel ?

    Le concept de transition n’a rien de nouveau, il était déjà employé au XIXe siècle. À cette époque, la transition sert à freiner les ardeurs révolutionnaires : on accepte qu’il faut des changements, mais on ajoute qu’il ne faut pas aller trop vite. Il y a donc une dimension un peu réactionnaire dans l’idée même de transition.

    Dans son dernier livre, l’historien des sciences #Jean-Baptiste_Fressoz [Sans transition - Une nouvelle histoire de l’énergie, Seuil, 2024] montre que la #transition_énergétique tel qu’on l’entend aujourd’hui est une invention des #pro-nucléaires des États-Unis dans les années 1950 pour justifier des #investissements publics colossaux dans l’#atome. Ils ont tracé des belles courbes qui montraient qu’après l’épuisement des énergies fossiles, il y aurait besoin d’une #solution_énergétique comme le #nucléaire, et qu’il fallait donc investir maintenant pour rendre le passage des unes à l’autre moins brutal.

    La transition aujourd’hui, c’est avant tout du temps gagné pour le capital et pour les grandes entreprises. Les rendez-vous qu’ils nous promettent pour 2050 et leurs promesses de #zéro_carbone sont évidemment intenables. Les technologies et l’#approvisionnement nécessaire en métaux n’existent pas, et s’ils existaient, cela nous maintiendrait sur la même trajectoire de réchauffement climatique.

    Ces promesses ne tiennent pas debout, mais elles permettent de repousser à 2050 l’heure de rendre des comptes. Ce sont plusieurs décennies de gagnées. Par ailleurs, le terme de transition est de plus en plus utilisé comme étendard pour justifier une #croisade, une politique de plus en plus agressive pour avoir accès aux gisements. Les pays européens et nord-américains ont signé un partenariat en ce sens en 2022, en prétendant que certes ils veulent des métaux, mais pour des raisons louables. La transition sert de figure de proue à ces politiques impériales.

    Vous avez mentionné que l’une des industries les plus intéressées par la sécurisation de l’#accès aux métaux est celle de l’#armement. Vous semblez suggérer que c’est l’une des dimensions négligées de la guerre en Ukraine…

    Peu de gens savent qu’en 2021, la Commission européenne a signé avec l’#Ukraine un accord de partenariat visant à faire de ce pays une sorte de paradis minier pour l’Europe. L’Ukraine possède de fait énormément de ressources convoitées par les industriels, qu’ils soient russes, européens et américains. Cela a joué un rôle dans le déclenchement de la #guerre. On voit bien que pour, pour accéder aux gisements, on va engendrer des conflits, militariser encore plus les #relations_internationales, ce qui va nécessiter de produire des #armes de plus en plus sophistiquées, et donc d’extraire de plus en plus de métaux, et donc sécuriser l’accès aux gisements, et ainsi de suite.

    C’est un #cercle_vicieux que l’on peut résumer ainsi : la ruée sur les métaux militarise les rapports entre les nations, alimentant la ruée sur les métaux pour produire des armes afin de disposer des moyens de s’emparer des métaux. Il y a un risque d’escalade dans les années à venir. On évoque trop peu la dimension matérialiste des conflits armés souvent dissimulés derrière des enjeux « ethniques ».

    Faut-il sortir des métaux tout comme il faut sortir des énergies fossiles ?

    On a besoin de sortir de l’extractivisme au sens large. Extraire du pétrole, du charbon, du gaz ou des métaux, c’est le même modèle. D’ailleurs, d’un point de vue administratif, tout ceci correspond strictement à de l’activité minière, encadrée par des #permis_miniers. Il faut cesser de traiter le #sous-sol comme un magasin, de faire primer l’exploitation du sous-sol sur tout le reste, et en particulier sur les territoires et le vivant.

    Concrètement, qu’est ce qu’on peut faire ? Pour commencer, les deux tiers des mines sur la planète devraient fermer – les #mines_métalliques comme les #mines_de_charbon. Ça paraît utopique de dire cela, mais cela répond à un problème urgent et vital : deux tiers des mines sont situées dans des zones menacées de #sécheresse, et on n’aura pas assez d’#eau pour les faire fonctionner à moins d’assoiffer les populations. En plus de cela, elles émettent du #CO2, elles détruisent des territoires, elles déplacent des populations, elles nuisent à la #démocratie. Il faut donc faire avec une quantité de métaux restreinte, et recycler ce que l’on peut recycler.

    Vous soulignez pourtant que nous n’avons pas cessé, ces dernières années, d’ajouter de nouvelles technologies et de nouveaux objets dans notre quotidien, notamment du fait de l’envahissement du numérique. Réduire notre consommation de métaux implique-t-il de renoncer à ces équipements ?

    Oui, mais au préalable, quand on dit que « nous n’avons pas cessé d’ajouter des nouvelles technologies polluantes », il faut analyser un peu ce « nous ». « Nous » n’avons pas choisi de déployer des #caméras_de_vidéosurveillance et des #écrans_publicitaires partout. Nous n’avons pas choisi le déploiement de la #5G, qui a été au contraire contesté à cause de sa consommation d’énergie.

    La plupart d’entre nous subit plutôt qu’elle ne choisit la #numérisation des #services_publics, instrument privilégié de leur démantèlement et de leur privatisation : l’usage de #Pronote à l’école, #Doctissimo et la télémédecine dont la popularité est due à l’absence de médecins, etc. Dans le secteur automobile, la responsabilité des industriels est écrasante. Depuis des décennies, ils ne cessent de bourrer les véhicules d’électronique pour augmenter leur valeur ajoutée.

    Ces dernières années, ils ont massivement vendu d’énormes voitures électriques parce qu’ils savaient que le premier marché de la voiture électrique, c’était d’abord la bourgeoisie, et que les bourgeois achèteraient des #SUV et des grosses berlines. Donc quand je dis que nous devons réduire notre #consommation de métaux, j’entends surtout par-là dénoncer les industries qui inondent le marché de produits insoutenables sur le plan des métaux (entre autres).

    Mais il est vrai que nous – et là c’est un vrai « nous » - devons réfléchir ensemble aux moyens de sortir de l’#emprise_numérique. Du point de vue des métaux, le #smartphone n’est pas viable : sa sophistication et son caractère ultra-mondialisé en font un concentré d’#exploitation et d’#intoxication, des mines aux usines d’assemblage chinoises ou indiennes.

    Et bien sûr il a des impacts socialement désastreux, des addictions à la #surveillance, en passant par la « #surmarchandisation » du quotidien qu’il induit, à chaque instant de la vie. Là-dessus, il faut agir rapidement, collectivement, ne serait-ce que pour se protéger.

    https://basta.media/nous-assistons-a-une-escalade-de-la-predation-miniere
    #extractivisme #minières #électrification #acidification #contamination #hypocrisie #relocalisation #prédation #guerre_en_Ukraine #militarisation #déplacement_de_populations #dématérialisation #industrie_automobile

  • Les #sciences_humaines et sociales face aux #verrous de la #transition | Institut de la transition environnementale de l’Alliance Sorbonne Université
    https://ite.sorbonne-universite.fr/actualites-ite/les-sciences-humaines-et-sociales-face-aux-verrous-de-la-tra

    #videos

    Mercredi 15 novembre
    Introduction
    09 :15 – 09 :45 > Introduction au #colloque
    Organisateur.e.s et Anouk Barberousse, directrice de l’ITE

    Session 1 : La transition : un verrou ?
    Modérateurs : Nelo Magalhães et Luc Elie
    09:45 - 10:15 › S1-1 : Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie
    #Jean-Baptiste_Fressoz (historien, CNRS)
    10:15 - 10:45 › S1-2 : Retour sur une longue série de sémantiques socio-politiques : Forces et faiblesses de la transition écologique
    Florence Rudolf (sociologue, INSA Strasbourg)
    10:45 - 11:15 › S1-3 : La transition, une métaphore adaptée pour aller vers une société climatiquement neutre
    #Philippe_Quirion (économiste, #CNRS)
    11:15 – 12 :00 › S1-4 : Débat de la session 1

    https://vimeo.com/902875269

  • « Affirmer que la #transition_énergétique est impossible, c’est le meilleur moyen de ne jamais l’engager »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/22/affirmer-que-la-transition-energetique-est-impossible-c-est-le-meilleur-moye

    Partant du double constat selon lequel il n’y a jamais eu, par le passé, de remplacement d’une source d’énergie par une autre ; et que les transformations énergétiques se sont toujours faites de manière additive (les énergies s’ajoutant les unes aux autres), certains historiens en déduisent, à tort selon nous, qu’il n’y aurait aucun horizon pour une sortie des fossiles. Cette sortie des fossiles (le « transitioning away from fossil fuels », dans le langage forgé à la COP28) serait donc condamnée par avance.

    Tel est le message récurrent de Jean-Baptiste Fressoz [chroniqueur au Monde] notamment, dans ses ouvrages ou tribunes, qui visent toutes à réfuter ce qu’il considère comme « la fausse promesse de la transition ».

    Or, ce déclinisme écologique est non seulement grandement infondé, mais également de nature à plomber les ambitions dans la lutte contre le changement climatique. Affirmer que la transition est impossible, c’est le meilleur moyen de ne jamais l’engager. A rebours de ce défaitisme, nous voulons ici affirmer, avec force, qu’il est possible de réussir cette transition.

    Certes, à l’exception des années de crise – financière en 2008-2009, sanitaire en 2020-2021 –, les émissions de CO2 n’ont jamais cessé d’augmenter, bien que sur un rythme ralenti, d’environ + 1 % annuel au cours des années 2010, contre + 3 % annuels dans les années 2000. Car, dans le même temps, la population mondiale continuait à augmenter, tout comme la satisfaction des besoins énergétiques d’une part croissante de cette population.

    Pourtant le désempilement des énergies a déjà lieu dans certaines régions du monde : c’est le cas en Europe, par exemple, qui a engagé sa transition énergétique. Parallèlement, des acteurs de plus en plus nombreux – Etats, entreprises, chercheurs, citoyens – intègrent aujourd’hui la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans leurs stratégies et comportements. L’ambition n’est pas encore assez affirmée, la mise en œuvre des transformations pas assez rapide et efficace, mais le mouvement est enclenché. Comment l’ignorer ?

    Sobriété, efficacité et investissements
    Le 11 janvier, Fatih Birol, directeur de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), indiquait que les capacités installées dans l’année en énergies renouvelables avaient augmenté de 50 % entre 2022 et 2023. Pour la part des renouvelables dans la production d’électricité, l’AIE attend le passage de 29 % à 42 % en 2028 (de 12 % à 25 % pour les seules énergies éolienne et solaire). Depuis 1975, le prix des panneaux photovoltaïques est passé de 100 dollars par watt à moins de 0,5 dollar par watt aujourd’hui, soit une réduction de 20 % du coût pour chaque doublement des capacités installées ; c’est la mesure du taux d’apprentissage de la technologie. Et alors que la question du stockage de l’électricité devient de plus en plus cruciale, on constate le même taux d’apprentissage pour les batteries : depuis 1992, chaque fois que double le nombre de batteries produites, leur coût diminue de 18 %.

    Il est clair que ces progrès spectaculaires ne contredisent pas la thèse de l’additivité des énergies : si depuis 2016 les investissements dans les énergies décarbonées dépassent largement les investissements dans les énergies fossiles, ces derniers ont à nouveau augmenté après la baisse de 2020. Et la sortie des fossiles ne se vérifiera vraiment que le jour où l’augmentation de la production d’énergie décarbonée sera supérieure en volume à celle de la consommation totale d’énergie.

    Pour atteindre cet objectif, sobriété et efficacité énergétique sont indispensables afin de maîtriser la croissance de la demande. Mais il est également évident que sobriété et efficacité ne suffiront pas. Pour atteindre le plafonnement des émissions avant 2030, il faudra décupler les investissements dans ces énergies décarbonées, et notamment dans les pays du Sud, afin de faire baisser le volume des énergies fossiles : c’est la condition sine qua non pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris. Nous sommes conscients qu’il s’agit d’un processus long et difficile, mais osons le dire : il n’y a pas d’autre solution, et nous pouvons y arriver.

    De nouvelles alliances s’imposent
    Serions-nous condamnés par l’histoire ? Faut-il prendre acte de notre impuissance supposée, ou poser un renversement complet du système comme condition préalable à la transition ? Dans les deux cas, cela serait très risqué, et franchement irresponsable.

    Car il n’y a pas de fatalité ! On trouve sur le site du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) une citation d’Albert Camus : « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prédire, mais de le faire. » C’est dans cette perspective que s’inscrivent tous les acteurs des COP et des négociations internationales – que certains stigmatisent comme un « grand cirque » –, pour qui « dire, c’est faire ».

    Evidemment, dire ne suffit pas, et il faut aussi mobiliser des moyens puissants, politiques et financiers. Il faut également affronter ceux – lobbys industriels et politiques – qui, par fatalisme ou par intérêt, freinent cette transformation. Enfin, comme le suggère le philosophe Pierre Charbonnier, la création de nouvelles alliances s’impose entre ceux qui ont compris que la transition servait leurs intérêts, et surtout ceux de leurs enfants.

    La démarche des sciences de la nature et de la physique consiste à s’appuyer sur des constats d’observation pour en tirer des lois immuables. Elle s’applique mal cependant aux sciences sociales. Mais ces obstacles ne doivent pas empêcher de penser l’avenir, à la manière de Gaston Berger, le père de la prospective, qui ne cessait de rappeler : « Demain ne sera pas comme hier. Il sera nouveau et il dépendra de nous. Il est moins à découvrir qu’à inventer. »

    Signataires : Anna Creti, économiste, chaire Economie du climat, université Paris-Dauphine ; Patrick Criqui, économiste, CNRS, université Grenoble-Alpes ; Michel Derdevet, président de Confrontations Europe, Sciences Po ; François Gemenne, politiste, HEC Paris ; Emmanuel Hache, économiste, IFP énergies nouvelles et Institut de relations internationales et stratégiques ; Carine Sebi, économiste, chaire Energy for Society, Grenoble Ecole de Management.

  • Sans #transition. Une nouvelle #histoire de l’#énergie

    Voici une histoire radicalement nouvelle de l’énergie qui montre l’étrangeté fondamentale de la notion de transition. Elle explique comment matières et énergies sont reliées entre elles, croissent ensemble, s’accumulent et s’empilent les unes sur les autres.
    Pourquoi la notion de transition énergétique s’est-elle alors imposée ? Comment ce futur sans passé est-il devenu, à partir des années 1970, celui des gouvernements, des entreprises et des experts, bref, le futur des gens raisonnables ?
    L’enjeu est fondamental car les liens entre énergies expliquent à la fois leur permanence sur le très long terme, ainsi que les obstacles titanesques qui se dressent sur le chemin de la #décarbonation.

    https://www.seuil.com/ouvrage/sans-transition-jean-baptiste-fressoz/9782021538557
    #livre #Jean-Baptiste_Fressoz

    • « #Transition_énergétique » : un #mythe qui nous mène dans le mur

      Transition énergétique, ce mot est partout aujourd’hui. Dans les discours du gouvernement, la communication des entreprises fossiles, des multinationales, dans les rapports scientifiques.. Le message est clair, face à l’urgence climatique, il nous faut opérer une transition énergétique pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre et décarboner les économies d’ici à 2050. La notion de de #transition part de l’idée que nous devrions répéter les transition du passé, du bois au charbon puis du charbon au pétrole pour désormais aller vers le nucléaire et les renouvelables et ainsi échapper au chaos climatique. Pour Jean-Baptiste Fressoz, chercheur au CNRS, la transition énergétique n’est qu’une #fable créée de toute pièce par le capital et que toute l’histoire déconstruit. Dans son livre “ Sans transition” il écrit “Rien de plus consensuelle que la transition énergétique, rien de plus urgent que de ne pas y croire” L’historien des sciences le rappelle “après deux siècles de “transitions énergétiques”, l’humanité n’a jamais brûlé autant de pétrole et de gaz, autant de charbon et même de bois”. À l’échelle mondiale, il faut dire que la transition énergétique est invisible. Depuis le début du XXème siècle, les énergies et les ressources que l’on utilise se sont accumulées sans se remplacer. L’histoire de l’énergie est donc une histoire d’accumulation et de symbiose. Même la consommation de charbon, considéré comme l’énergie de la révolution industrielle, a battu un nouveau record en 2023. Les énergies renouvelables ne remplacent pas les fossiles, elles s’ y additionnent. Et les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter Alors la transition énergétique n’est-elle qu’une illusion ? Pour Jean Baptiste Fressoz, en se basant sur une lecture fausse du passé selon laquelle chaque énergie serait venue en remplacer une autre, nous nous empêchons de construire une politique climatique rigoureuse. Pourquoi la transition énergétique nous empêche de penser convenablement le défi climatique ? Comment cette notion s’est-elle imposée ? Et en quoi est-il urgent de ne pas y croire et de penser autrement nos réponses au plus grand défi du siècle ? Réponses dans cet entretien de Paloma Moritz avec Jean Baptiste Fressoz.

      https://www.blast-info.fr/emissions/2024/transition-energetique-un-mythe-qui-nous-mene-dans-le-mur-Inu5q1eWT0WwT7X

      #audio #podcast

  • Le climat, la gauche et l’histoire | #Jean-Baptiste_Fressoz
    https://legrandcontinent.eu/fr/2023/11/03/le-climat-la-gauche-et-lhistoire

    Plusieurs auteurs, cités par Paul Magnette ont cru discerner dans l’histoire de l’énergie le capitalisme dans ses basses œuvres : la machine à vapeur aurait simplement servi à échapper à la contrainte de localisation et à exploiter une main d’oeuvre urbaine et abondante (Andreas Malm) ; le pétrole aurait eu pour effet, voire fonction, de contourner les mineurs et leurs syndicats grâce à sa fluidité (Timothy Mitchell). Ces récits séduisants ne résistent pas à l’analyse : le charbon sert surtout à produire de la chaleur. En Angleterre son extraction commence quand le prix du bois de feu augmente, tirée par la croissance urbaine — la machine à vapeur est davantage un symbole que la cause de l’Anthropocène. Quant au pétrole, il ne contourne pas les mineurs, tout simplement parce qu’il ne remplace pas le charbon ; il sert avant tout à faire avancer des voitures qui pour leur fabrication consomment énormément de charbon ; en outre, la baisse du nombre des mineurs n’est pas causée par le pétrole mais par le progrès technologique dans les mines. L’attrait de l’histoire « politique » de l’énergie qui est aussi son défaut, est qu’elle tend à présenter le changement climatique comme l’effet secondaire d’une entreprise de domination capitaliste. Cette historiographie, apparemment radicale mais rassurante pour la gauche anti-capitaliste, sous-estime l’énormité du défi climatique : sortir du carbone sera autrement plus difficile que sortir du capitalisme, une condition tout aussi nécessaire qu’insuffisante.

    [...]

    Le réchauffement est un phénomène historique, mais comme il fait la somme de l’ensemble de l’agir humain sur la planète il échappe largement à l’histoire. S’il est assez facile pour un historien d’expliquer le réchauffement, identifier ce qui pourrait l’arrêter dépasse l’imagination historique.

    Face au titan climatique, les sciences sociales proposent souvent des « solutions » sans avoir jaugé la profondeur du problème. Les verrous techniques sont écartés, laissés à l’expertise du groupe III du GIEC. On fait comme si la décarbonation était un simple problème d’investissements, un problème d’ingénierie sociale, un problème de volonté politique. [...]

    Dans les années 1990-2000, beaucoup d’énergie a été dépensée pour débattre des avantages respectifs de la taxe carbone ou des droits à polluer, alors qu’il aurait fallu expliquer qu’on ne saurait décarboner l’acier, le ciment, l’aviation etc. et donc convenir des moyens démocratiques et équitables d’en réduire drastiquement la consommation. Il en découlerait une redéfinition du débat climatique centré sur la répartition juste et efficace des biens matériels à l’échelle mondiale : la grande question de la gauche depuis son origine et le trait d’union qui relie le socialisme à l’éco-socialisme.

    • Contrairement à l’expression de « crise environnementale » qui sous-entendait une épreuve brève dont l’issue serait imminente, l’Anthropocène désigne un point de non-retour. Ce que nous vivons n’est pas une simple crise mais une bifurcation à l’échelle de l’histoire géologique de la Terre. Le développement économique des derniers siècles modifiera l’environnement de ceux à avenir. Nous ne nous sortirons pas de l’Anthropocène et nous ne connaîtrons plus les climats de l’Holocène. Ce qui a été moins compris — et la faute en revient à une vision aberrante de l’histoire matérielle — est que cette irréversibilité s’appliquait presque autant à l’anthropos qu’à la planète. L’Anthropocène désigne une double irréversibilité, une double accumulation, un cumul de cumuls : non seulement les flux de matière s’empilent dans les différents compartiments du système-terre, mais les flux matériels anthropogéniques suivent eux-aussi une logique additive.

      Toute discussion sérieuse sur les questions environnementales devrait partir du constat historique quelque peu inquiétant que les innovations technologiques n’ont, jusqu’à présent, jamais fait disparaître un flux de consommation matérielle. Au cours du XXe siècle, dans le monde, l’éventail des matières premières s’est élargi et chacune a été consommée en quantité croissante [3]. Les processus de substitution technologiques ont donc pour l’instant toujours été compensés par l’élargissement des marchés, par les effets rebonds et par les réorientations d’usage.

      [3] Sur les soixante-dix matières premières principales, Christopher L. Magee et Tessaleno C. Devezas ne recensent que six qui ont décru depuis 1960 : l’amiante, le mercure, le beryllium, le tellurium, le thallium et la laine de mouton, auxquels on pourrait ajouter l’huile de baleine.

  • « Les pays industriels ont “choisi” la croissance et le réchauffement climatique, et s’en sont remis à l’adaptation »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/07/les-pays-industriels-ont-choisi-la-croissance-et-le-rechauffement-climatique

    Dès la fin des années 1970, les gouvernements des pays industriels, constatant l’inéluctabilité du réchauffement, ont délibérément poursuivi leurs activités polluantes quitte à s’adapter à leurs effets sur le climat, rappelle Jean-Baptiste Fressoz dans sa chronique.

    L’émoi provoqué par la sortie du ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, qui a annoncé « commencer à construire une trajectoire [de réchauffement] à 4°C » en vue de la fin du siècle, est assez hypocrite. Que l’objectif des 2°C, et a fortiori celui de 1,5°C, soit pour ainsi dire inatteignable est un secret de polichinelle. Il suffit de considérer les diminutions extraordinairement rapides des émissions qu’il faudrait obtenir pendant les années 2020 pour comprendre le problème.
    Mais feindre la surprise donne l’impression d’avoir essayé : l’adaptation serait donc le résultat d’un échec, celui de nos efforts de transition. Or, ce récit moralement réconfortant est une fable. En réalité, l’adaptation a été très tôt choisie comme la stratégie optimale.
    Dès novembre 1976, la Mitre Corporation, un groupe de réflexion d’origine militaire proche de la Maison Blanche, organisait un congrès intitulé « Living with Climate Change : Phase II ». Dans son préambule, le rapport passait rapidement sur le réchauffement, considéré comme inexorable. Restait à en évaluer les conséquences sur l’économie américaine. Mitre souhaitait ouvrir « un dialogue avec les leaders de l’industrie, de la science et du gouvernement ». Le résultat est impressionnant de prescience, et de désinvolture.

    Prescience quand il aborde par exemple le problème de la contraction des sols argileux et de ses effets sur la solidité des bâtiments, une conséquence effectivement coûteuse du réchauffement ; désinvolture, quand rien n’est dit de l’assèchement du Colorado, des incendies de forêt ou des tempêtes en Louisiane. L’agriculture était bien identifiée comme vulnérable mais, à l’échelle des Etats-Unis, ce secteur aurait toujours le moyen de déplacer les zones de production.

    Une bataille perdue d’avance
    En 1983, le rapport « Changing Climate » de l’Académie des sciences américaine – le titre est révélateur – reprenait cette vision rassurante. Le dernier chapitre reconnaissait l’impact du réchauffement sur l’agriculture, mais comme son poids dans l’économie nationale était faible, cela n’avait pas grande importance. Concernant les « zones affectées de manière catastrophique », leur sacrifice était nécessaire pour ne pas entraver la croissance du reste du pays, même s’il faudra probablement les dédommager.

    Au Royaume-Uni, un séminaire gouvernemental d’avril 1989 exprimait également bien ce point de vue. La première ministre Margaret Thatcher (1979-1990) avait demandé à son gouvernement d’identifier les moyens de réduire les émissions. Les réponses vont toutes dans le même sens : inutile de se lancer dans une bataille perdue d’avance. On pourrait certes améliorer l’efficacité des véhicules, mais les gains seraient probablement annihilés par ce que les économistes définissent comme les « effets rebonds ». Selon le ministre de l’agriculture, « pour avoir un effet, les mesures à prendre devraient être si sévères qu’elles auraient des conséquences catastrophiques sur notre compétitivité ».
    Le ministre de l’énergie rappelait que le Royaume-Uni ne représentait que 3 % des émissions et que cette part allait rapidement diminuer avec l’émergence de la Chine et de l’Inde. Des efforts, même héroïques, n’auraient aucun effet perceptible sur le climat. La conclusion s’imposait : « On ne peut pas faire grand-chose à l’échelle nationale, et même internationale, pour empêcher le réchauffement global. On peut seulement espérer en atténuer les effets et nous y adapter. »

    C’est à cette époque que le Royaume-Uni se prononce contre le projet d’écotaxe européenne. La France, sous l’égide de Michel Rocard, avait d’abord promu ce dispositif – qui avantageait son industrie alimentée au nucléaire – avant de faire volte-face juste avant la conférence sur l’environnement de Rio de 1992. C’est aussi à cette époque que l’économiste William Nordhaus démontrait « mathématiquement » le caractère optimal d’un réchauffement de 3,5°C en 2100… Il obtiendra le « prix Nobel d’économie » en 2018 pour ces travaux.
    Sans le dire, sans en débattre, les pays industriels ont « choisi » la croissance et le réchauffement, et s’en sont remis à l’adaptation. Cette résignation n’a jamais été explicitée, les populations n’ont pas été consultées, surtout celles qui en seront et en sont déjà les victimes.

  • « Consensuel, le GIEC intègre toutes les “parties prenantes”, y compris celles qui sont à la racine du problème » | #Jean-Baptiste_Fressoz
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/29/consensuel-le-giec-integre-toutes-les-parties-prenantes-y-compris-celles-qui

    Aujourd’hui considéré comme la pointe avancée de l’alerte climatique, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du #climat (#GIEC) avait un objectif inverse lors de sa création, en 1988 : soustraire à l’Organisation des Nations unies (#ONU) l’alerte climatique pour la remettre à une instance dont les nominations et les travaux seraient soumis à l’approbation des gouvernements.

    Durant les décennies précédentes, l’ONU avait en effet pris des initiatives radicales – la création de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (1964), en particulier –, et l’influence des pays pauvres en son sein était jugée trop importante. Le président du Programme des Nations unies pour l’environnement, le biologiste égyptien Mostafa Tolba, commençait à faire des déclarations inquiétantes, appelant par exemple à réduire de 60 % les émissions de CO2. Pour les Etats-Unis, alors les premiers émetteurs de la planète, il semblait inopportun de laisser l’ONU gérer une question qui touchait au cœur des inégalités économiques mondiales.

    Comme il était difficile de remettre en cause les travaux du groupe I du GIEC sur le constat climatologique, tout l’enjeu était de cadrer les « stratégies de réponse », dont était chargé le groupe III. Ce groupe a une histoire très étrange.

  • Le vaccin et ses simulacres : instaurer un être pour gérer une population, 1800-1865 | #Jean-Baptiste_Fressoz (2011)
    https://journals.openedition.org/traces/5368

    L’article montre comment le #vaccin contre la #variole a été construit comme un objet parfaitement bénin et efficace, notamment à partir des expérimentations humaines.

    A partir de 1800 on commence à vacciner contre la variole en inoculant la vaccine (aka cowpox, ou variole de la vache), une maladie bénigne qui protège contre la (vraie) variole (aka petite vérole).
    Cette vaccine c’est du pus de pustule de cowpox de personne vaccinée précédemment. On peut donc dire littéralement que le vaccin « se transmet de bras à bras » (et que c’est assez dégueu).
    Plusieurs problèmes et questions se posent alors. D’abord, pour ne pas perdre le vaccin, il faut ne pas cesser de vacciner. On va pour ça utiliser des enfants trouvés et en faire des « dépôts de vaccin ». Ils serviront aussi à plusieurs expériences plus ou moins dangereuses pour définir les compétences du vaccin (notamment pour savoir s’il transmet les maladies dont serait porteur le vaccinifère).

    En 1800, le vaccin est un être nouveau. On ne sait ni ce qu’il est, ni ce qu’il peut. Nombreuses sont les vaccinations malheureuses. C’est aussi un être rare et transitoire : son existence dépend de sa transmission. Si les médecins n’ont plus de sujets à vacciner, il disparaît. Les tentatives de conserver le pus ex vivo, dans des plaques en verre, des tubes capillaires, des fioles vidées d’air ou remplies d’azote, ne sont pas concluantes et les vaccines réussissent bien mieux lorsqu’elles se font avec de la matière fraîche, de bras à bras. Aussi, pour conserver et transporter ce virus protecteur, les médecins doivent organiser des chaînes vaccinales. Tout au long du XIXe siècle, les enfants trouvés en constitueront les maillons indispensables.

    [...] L’instrumentalisation biologique de la misère n’effarouchait pas les parents. Ils suspectent la santé des enfants abandonnés ; fruits des turpitudes, ils craignent qu’ils ne transmettent la syphilis, ils demandent à inspecter leurs corps et préfèrent le pus des enfants légitimes. Ils reprochent au système d’être dangereux, jamais d’être inhumain.

    Les enfants des hospices servirent également de terrain d’essai : les vaccinateurs acquirent sur eux les savoir-faire et l’expérience nécessaire pour juger des bonnes et des mauvaises vaccines. Comme sur ces enfants les accidents pouvaient être passés sous silence, les vaccinateurs ne risquaient pas de subir les récriminations des parents et d’alimenter les traités anti-vaccinistes.

    Au départ, les médecins qui ignorent tout de la vaccine ont besoin d’identifier ses phénomènes et d’apprendre à les reproduire avec régularité. Le Comité [de vaccine] établit, par exemple, le laps de temps nécessaire à la vaccination pour donner une protection efficace en organisant des contre-épreuves varioliques sur 40 enfants : on commence par insérer vaccin et variole en même temps avant de retarder jour après jour la seconde inoculation. Autre problème : à quel âge peut-on vacciner ? Le Comité opère sur des enfants de plus en plus jeunes, jusqu’à vacciner des prématurés. Aucun âge ne lui paraît défavorable. Il se pourrait aussi que la préservation de la vaccine ne soit que locale. On inocule donc la petite vérole aux extrémités opposées aux points de vaccination. Les vaccinateurs essaient aussi de reproduire des accidents : ils déposent du pus dans la gorge ou sur les muqueuses nasales afin d’étudier les complications respiratoires liées à la vaccine. De même, pour comprendre les éruptions vaccinales, ils mettent la peau à vif et déposent quelques gouttes de vaccin. Le sujet écope d’une plaie gangréneuse. À l’intérieur des hospices, l’expérimentation humaine se banalise. Les enfants trouvés servent ainsi de corps-tests : si après une vaccine, une maladie éruptive se déclare, on leur inocule le pus incriminé pour vérifier qu’il ne s’agit pas d’une petite vérole.

    Des essais furent aussi menés dans le but de réfuter le risque de contamination par la vaccine : Alibert vaccine des dartreux, des scrofuleux et des teigneux en faisant passer le pus des uns aux autres, sans constater de contaminations croisées. Cullerier et Richerand reportent du vaccin pris d’enfants syphilitiques sur des enfants sains sans les infecter. Ces expériences dangereuses et très critiquées furent réalisées sur quelques enfants seulement. Elles eurent pourtant des conséquences considérables : durant tout le siècle, après des cas hypothétiques de contamination syphilitique, les médecins invoquent, pour dédouaner la vaccine, les grandes expériences qu’aurait réalisées le Comité au début des années 1800. En somme, grâce à l’expérimentation sur les enfants trouvés, le Comité explore et définit les compétences du vaccin. Le programme philanthropique d’un virus absolument bénin qui peut être inoculé à tous commence à prendre consistance.

  • « La #forêt des #Landes a joué le rôle exactement inverse d’un #puits_de_carbone »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/08/31/la-foret-des-landes-a-joue-le-role-exactement-inverse-d-un-puits-de-carbone_

    « La forêt des Landes a joué le rôle exactement inverse d’un #puits de #carbone »
    L’historien Jean-Baptiste Fressoz s’interroge, dans sa chronique, sur la croyance dans une forêt forcément vertueuse parce que « verte ».

    Les statistiques ont un effet réducteur. Elles aplatissent une réalité complexe sur un chiffre, une courbe, une dimension. Les incendies de forêt de cet été en fournissent un bon exemple. Jour après jour, les médias ont fait l’angoissant décompte des milliers d’hectares de forêt partis en fumée à travers la France. Mais de quelle forêt parle-t-on ? Qu’ont en commun la forêt de Brocéliande, en Bretagne, berceau de la légende arthurienne, et la « forêt » des Landes, une plantation industrielle remontant au Second Empire ? La première abrite des milieux humides et une riche biodiversité, la seconde n’a de forêt que le nom.

    Dans la seconde moitié du XIXe siècle, après une loi privatisant des terres communales, l’immense zone humide située entre la Gironde et l’Adour se transforme en une plantation de pins maritimes. Certains font fortune dans les pignadas (« pinèdes ») ; les bergers doivent se reconvertir au gemmage des arbres exploités pour leur résine. En 1911, l’écrivain Joseph-Honoré Ricard, pourtant admiratif du succès commercial, reconnaissait, dans son livre Au pays landais, que les Landes n’avaient rien à voir avec une forêt : « L’oreille ne perçoit aucun son, nul chant d’oiseau, nul frémissement d’allégresse, le vent ne soulève qu’un long vagissement plaintif et lugubre. Parfois, une lande rase : le vestige d’un incendie. »

    Maintenant victimes du #changement_climatique, les Landes ont aussi joué un rôle important et méconnu dans l’histoire de ce dernier. Au début du XXe siècle, c’est grâce à leur #bois que l’Angleterre a pu extraire des quantités record de #charbon. Les mines, comptant des centaines de kilomètres de galerie, étaient en effet d’énormes consommatrices de bois. Soumis à la pression des roches environnantes, les étais devaient être régulièrement remplacés. La Grande-Bretagne, presque dépourvue de forêt, importait la quasi-totalité de son #bois_d’œuvre. Les navires britanniques déchargeaient le charbon à Bordeaux et repartaient de Bayonne les cales remplies d’étais. Ce commerce était suffisamment stratégique pour que le Royaume-Uni cherche à le sécuriser en signant un accord de troc « poteaux contre charbon » avec la France en 1934.

    Du bois au charbon
    Cet exemple historique illustre deux points importants. Premièrement, le passage à une « nouvelle » énergie, dans le cas d’espèce le charbon, a nécessité d’énormes quantités d’une #matière_première, le bois, qui était censée être substituée. Paradoxalement, au début du XXe siècle, les mines britanniques engloutissaient davantage de bois que l’Angleterre n’en brûlait cent cinquante ans auparavant, et il faudra attendre les années 1960 pour que les #mines de charbon s’affranchissent de cette dépendance complète vis-à-vis du bois. Il nous reste à espérer que les #énergies #renouvelables s’autonomiseront bien plus vite de l’#économie_fossile qui les a vu naître.

    Deuxièmement, dans la crise climatique, les forêts ont en général le beau rôle en tant que puits de carbone. Pourtant, celle des Landes a joué un rôle exactement inverse : chaque tonne de bois permettait en effet d’extraire de vingt à trente fois son poids de charbon. De même, actuellement, la moitié du bois des Landes est destinée à être transformée en #cartons_d’emballage dans des papeteries polluantes, cartons dont la production accompagne celle de marchandises transportées par des énergies fossiles. Grâce aux Landes et à d’autres plantations industrielles du même type, le #carton règne en maître sur nos poubelles et Amazon sur les chaînes de distribution.

    Après les incendies, Emmanuel Macron a immédiatement lancé l’idée d’un « grand plan de reboisement national ». Si l’argent public devait subventionner des forêts privées – 90 % des Landes sont privées –, il faudra s’interroger au préalable sur la valeur écologique des forêts et sur les usages réels du bois dans la « transition écologique ».

  • Deux démontages en règle du concept de "transition" extrêmement sourcés et chiffrés, comme toujours avec Jean-Baptiste Fressoz.

    Jean-Baptiste Fressoz, Pour une histoire des symbioses énergétiques et matérielles, 2021
    https://sniadecki.wordpress.com/2022/08/11/fressoz-symbioses

    Ces dernières années ont vu paraître de nombreux ouvrages portant sur l’histoire de l’énergie. On peut se réjouir de ce renouveau d’intérêt, on peut aussi regretter que ces ouvrages se soient placés sous la bannière de la « transition ». Avec l’urgence climatique, ce mot a acquis un tel prestige, une telle centralité, que les historiens en sont venus à l’employer pour décrire toutes sortes de processus, y compris ceux qui furent, à rigoureusement parler, des additions énergétiques

    Jean-Baptiste Fressoz, La « transition énergétique », de l’utopie atomique au déni climatique, 2022
    https://sniadecki.wordpress.com/2022/08/12/fressoz-utopie-atomique

    Cet article propose une généalogie de la « transition énergétique » aux États-Unis, après la seconde guerre mondiale. Comme s’est construite cette vision particulière du passé et du futur de l’énergie ? Quels experts l’ont portée ? Dans quel contexte politique, scientifique et industriel a-t-elle émergé ? Et quel rapport entretient-elle avec l’histoire de l’énergie ? En répondant à ces questions, cet article contribue à trois historiographies. La première est celle de la fabrique de l’ignorance ou « agnotologie ». Les campagnes climatosceptiques des compagnies pétrolières ont déjà été bien étudiées par les historiens des sciences [3] et je voudrais contribuer à cette question en décalant le regard. Je m’intéresse moins au climatoscepticisme stricto-sensu qu’à une forme plus subtile, plus acceptable et donc beaucoup plus générale de désinhibition face à la crise climatique : la futurologie de « la transition énergétique ». Or au sein de cette dernière, l’histoire, un certain type d’histoire de l’énergie, a joué et continue de jouer un rôle crucial.

    […]

    Cet article montre que si la notion de transition n’est pas un bon descripteur des transformations passées c’est tout simplement parce que ce n’était pas son but : l’idée ne vient pas d’une observation du passé, mais de l’anticipation du futur ; elle ne vient pas des historiens, mais du milieu de la prospective énergétique.

    Enfin, cet article propose une histoire – partielle car centrée sur la généalogie de la transition – d’un domaine encore peu exploré par les historiens : celui de la futurologie énergétique [10]. Il se base sur l’étude de rapports d’experts, de discours et de visualisations qui traitent à la fois du passé et du futur de l’énergie.

    #Jean-Baptiste_Fressoz #transition #énergie #Histoire #climat #écologie #nucléaire #accumulation #capitalisme

  • Crise climatique et énergétique : regarder la vérité en face - Jean-Baptiste Fressoz
    https://www.youtube.com/watch?v=mMQwdUxF_bQ

    Jean-Baptiste FRESSOZ est historien des sciences, des techniques et de l’environnement, ainsi que chercheur au CNRS. Il s’intéresse particulièrement à la question de la transition énergétique, qui selon lui est largement mystifiée, et empêche de comprendre le bourbier dans lequel nous sommes plongés avec la crise environnementale.

    Malgré le titre sensationnaliste, l’entretien me semble de bonne tenue, avec pas mal d’informations et de considérations intéressantes (toutes plus déprimantes les unes que les autres).

    • Titre similaire récemment chez Palim Psao :

      Il n’y a aucune solution à la crise énergétique, par Sandrine Aumercier
      http://www.palim-psao.fr/2022/06/il-n-y-a-aucune-solution-a-la-crise-energetique-par-sandrine-aumercier.ht

      Je commence par la fin et je donne déjà la conclusion en disant qu’il n’y a aucune solution à la crise énergétique, même pas une « toute petite solution ». Si une société post-capitaliste émancipée advenait, alors elle cesserait de se préoccuper du problème énergétique ; elle n’irait pas le résoudre en étant « plus rationnelle » et « plus efficiente » avec l’énergie. Une société qui met la rareté à son principe — comme le fait le mode de production capitaliste — s’accule elle-même à devoir toujours plus rationner sa consommation d’énergie, parce qu’elle se rapproche d’une limite absolue. Elle se condamne à s’enfoncer dans une gestion totalitaire des ressources, dans des guerres de sécurisation, dans des crises socio-économiques d’impact croissant… Mais c’est une limite qui fait partie des principes fondateurs de cette société et non de la nature.

      […]

      Ce texte constitue la version écrite de la présentation du livre Le mur énergétique du capital (éditions Crise & Critique) qui a été faîte à Mille bâbords (61, rue Consolat, 13001 Marseille) le 5 juin 2022.

      #énergie #transition #climat #Jean-Baptiste_Fressoz #Histoire

    • Ça fait un moment que je connais/suis le travail historique de Fressoz, souvent relayé dans les contenus critique techno, anti-indus, cf le tag existant ici par exemple, mais c’est pas souvent que je l’ai entendu discourir à l’oral, et vraiment il est tout aussi excellent : super simple, pédagogue, en plus de sa mémoire de ses sujets (toutes ces dates et décrets sortis de tête sans latence). Vraiment très bonne interview qui passe vite malgré 1h30. Fressoz c’est bon, mangez-en !

    • je viens d’écouter le début, un passage me fait sourire et me rappelle de vieux souvenirs… dans mon école d’ingé, j’avais fait le choix de faire un vrai stage ouvrier : j’ai donc passé un mois dans une mine de charbon en Lorraine, j’ai longtemps raconté que l’exploitation était « renouvelable » (bon, le terme n’existait pas encore) étant donné la quantité de bois qu’on enfouissait pour étayer les galeries (celle qu’on mettait au toit s’appelait la bille ; dans une taille manuelle, quand on en posait une deuxième dans le poste, on avait droit à la prime de rendement), au bout du temps suffisant, ça finirait bien par redonner du combustible.

      Mais, en vrai, la veine de charbon était surtout remplacée par du sable qui venait combler le vide lorsqu’on ripait le convoyeur en progressant dans le pendage.

      Tiens, un p’tit regard en arrière : taille manuelle en semi-dressants (la première photo, c’est exactement le souvenir que j’en ai)…
      https://mineurdefond.fr/articles.php?lng=fr&pg=299&mnuid=439&tconfig=0

      (en plus, c’était justement au puits site dans la Réaction n°1, et dire qu’en surface, j’ai certainement eu l’occasion de croiser la jeune Patricia Kaas)
      https://fr.wikipedia.org/wiki/Siège_Simon

  • Six siècles de débats sur le climat
    https://laviedesidees.fr/Fressoz-Locher-Les-Revoltes-du-ciel.html

    À propos de : Jean-Baptiste Fressoz & Fabien Locher, Les Révoltes du ciel. Une #Histoire du #changement_climatique XVe-XXe siècle, Seuil. Dès les débuts de l’époque moderne, les sociétés occidentales débattent et s’inquiètent du climat, de son évolution et de la responsabilité des humains. Sur cette question comme sur bien d’autres, l’idée qu’un grand partage aurait longtemps prévalu entre #nature et #culture s’en trouve fragilisée.

    https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20210930_climat.pdf
    https://laviedesidees.fr/IMG/docx/20210930_climat.docx

  • J.B. Fressoz et D. Pestre, Risque et société du risque depuis deux siècles, 2011
    https://sniadecki.wordpress.com/2021/09/03/fressoz-pestre-risque

    Le but de cet article n’est pas de nier tout changement, de dire que les continuités sont plus fortes que les ruptures, mais de questionner le hiatus trop hâtivement établi entre ce passé aveugle et nous. Les sociétés européennes du XIXe siècle ont certes largement pollué et enclenché la carbonification de notre économie et de notre atmosphère et, en cela, elles ne semblent pas « réflexives ». Mais cela n’implique pas qu’elles ne se sont jamais posées de questions – ni que notre prise de conscience actuelle nous mène vers un développement qualitativement différent. Notre but est donc double. Il est de pointer les faiblesses historiques d’une thèse qui a construit un passé imaginaire fait d’insouciance et de risques ignorés, mais aussi de revenir sur cette « réflexivité » qui, symétriquement, nous définirait comme tout différents. Notre souci, en remplaçant l’opposition binaire entre « eux » et « nous » par un récit historique plus complexe est donc de donner à « la société du risque » la généalogie qui lui manque, une généalogie qui peut seule permettre de dire comment nous en sommes arrivés à cette évidence que nous sommes aujourd’hui dans des sociétés autres, de miner l’illusion réconfortante de notre exceptionnelle conscience des choses – et d’ainsi mieux se préparer aux défis réels auxquels nous faisons face.

    #Histoire #modernité #pollution #risque #société_du_risque #Ulrich_Beck #Jean-Baptiste_Fressoz #Dominique_Pestre

  • (1) « Le #changement_climatique est lié à des enjeux de #pouvoir, de #dette, de #conquête » - Libération
    https://www.liberation.fr/debats/2020/10/07/le-changement-climatique-est-lie-a-des-enjeux-de-pouvoir-de-dette-de-conq

    #interview
    #climat

    C’est un fait : dans le Connecticut comme dans de nombreuses contrées du globe, la #température augmente. Ce constat, cité dans les Révoltes du ciel. Une histoire du changement climatique XVe-XXe siècle par #Jean-Baptiste_Fressoz et #Fabien_Locher, remonte à… 1662. Winthrop, gouverneur de la province du Nouveau Monde, espère convaincre Charles II que la colonisation a adouci le climat grâce aux défrichements. Les deux #historiens de l’#environnement et chercheurs au #CNRS retracent dans cet essai l’intérêt ancien et constant pour le changement climatique et le rôle qu’y jouent les humains, de la découverte de l’Amérique à l’ère industrielle, en passant par la #Révolution française. Seul un « interlude », quelque part entre le XIXe siècle et la fin du XXe, fait exception : le progrès technique permet à l’#humanité d’oublier le climat pendant quelques décennies. Autrement dit, alors que l’ampleur des bouleversements actuels est immense, le regard que nous portons aux #changements_climatiques n’est pas si inédit, ce qui influence la façon dont nous nous attaquons au problème.

  • « Entre lampe à huile et chemins de fer, une histoire des techniques falsifiée a la cote au gouvernement » - Jean-Baptiste Fressoz
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/09/23/entre-lampe-a-huile-et-chemins-de-fer-une-histoire-des-techniques-falsifiee-

    La peur que le train aurait suscitée à ses débuts, argument utilisé pour dénigrer les craintes actuelles sur la 5G, est un mythe entretenu depuis un siècle et demi, rapporte dans sa chronique l’historien Jean-Baptiste Fressoz.

    Chronique. On pourrait croire que la sortie d’Emmanuel Macron sur la 5G, les amish et la lampe à huile n’était qu’un propos en l’air, une bêtise prononcée sans trop y penser. Il faut voir le discours en entier pour se convaincre du contraire : il s’agit en fait de sa « punchline » , inscrite dans ses notes et destinée à provoquer des applaudissements que le président prend le temps de savourer. C’est le seul élément que la presse a retenu de cette longue autocongratulation sur l’innovation, la French Tech, et « l’écosystème régulatoire ».

    Au sein du gouvernement, des ministres partagent cette pensée peu complexe. Ainsi, le secrétaire d’Etat aux transports, Jean-Baptiste Djebbari – un ancien pilote de jet privé qui promouvait, il y a peu, le développement des lignes interrégionales – attribue le refus de l’innovation à une sorte d’atavisme. Au début des chemins de fer, expliquait-il à la télévision, les Français auraient été effrayés que le train ne rende « sourd et aveugle » .

    Bêtisier médical

    Cette histoire est un mythe. On trouve certes dans les manuels d’obstétrique de brefs passages sur les dangers des longs voyages (en voiture comme en train) et des trépidations pour les femmes proches du terme de leur grossesse. De même, des médecins conseillaient aux lecteurs de reposer leur vue, mais cela n’avait rien de spécifique aux chemins de fer.

    En 1863, Louis Figuier (1819-1894), le grand vulgarisateur des sciences du XIXe siècle, en profite pour composer un petit bêtisier médical. Il mentionne, sans donner de référence, des accusations proférées par de doctes médecins : les chemins de fer causeraient des avortements et des troubles nerveux. La construction du mythe se poursuit en Allemagne.

    En 1889, l’historien allemand Heinrich von Treitschke (1834-1896) mentionne, sans plus de références, un rapport de 1835 du collège médical de Bavière qui conseillerait d’interdire les chemins de fer car leur vitesse faramineuse pourrait causer un « delirium furiosum » aux passagers. Cette anecdote connaît un succès extraordinaire. On la retrouve, par exemple, reprise par Hitler dans Mein Kampf ainsi que dans différents travaux historiques sur la révolution industrielle, à chaque fois mentionnée à propos des « résistances au progrès ».

    En France, elle est colportée par le comte de Villedeuil (1831-1906) dans sa monumentale Bibliographie des chemins de fer (1906), où il ajoute, parmi les conséquences du voyage en train, « la danse de Saint-Guy » produite par les trépidations. Il évoque aussi la cécité – les chemins de fer « enflammeraient la rétine » –, toujours sans donner de référence… malgré les 826 pages que compte ce recueil bibliographique.

    Ridiculiser tout débat

    En 1957, un article de L’Express , à l’occasion des cent vingt ans de l’inauguration de la ligne Paris-Saint-Germain, expliquait que, dans les années 1840, des « pythies sinistres » annonçaient que les chemins de fer « provoqueraient des maladies nerveuses, voire l’épilepsie et la danse de Saint-Guy » , qu’ils « enflammeraient la rétine et feraient avorter les femmes enceintes » . L’auteur ajoute : « Ce ne sont pas là les marmonnements de rebouteux, mais des prophéties communiquées publiquement à l’Académie de médecine. » Les historiens n’ont évidemment trouvé aucun rapport dans les archives, ni en Bavière ni à l’Académie de médecine…

    Notons pour conclure qu’en 1860, alors que naissait la rumeur d’une crainte liant folie et chemins de fer, les tribunaux commençaient à indemniser les traumatismes nerveux causés par les accidents ferroviaires, ce qui n’avait rien à voir avec la danse de Saint-Guy. En fait, les innombrables plaintes, procès et pétitions ne s’opposaient pas aux chemins de fer mais aux accidents qu’ils provoquaient et aux compagnies soupçonnées de faire des économies au détriment de la sécurité des voyageurs. La sécurité actuelle des systèmes ferroviaires est l’heureuse héritière de ces contestations.

    Entre la lampe à huile et les chemins de fer, l’histoire des techniques a décidément la cote au gouvernement, mais c’est une histoire falsifiée servant à ridiculiser tout débat. Car peu importe si les applications de la 5G sont encore floues, si les émissions de CO2 liées au numérique (déjà 4 % du total mondial) pourraient doubler d’ici à 2025, ou si les seuils de pollution électromagnétique sont définis par des experts financés par l’industrie des télécoms.

    La 5G doit se faire car, comme le dit notre président, « c’est le tournant de l’innovation » . Et puisqu’il appelle à un débat de « citoyens éclairés » sur la 5G, peut-être pourrait-il commencer par éviter les clichés technophiles les plus éculés.

  • [vidéo] L’homme a mangé la Terre | de Jean-Robert Viallet
    https://www.youtube.com/watch?v=Udwm_YQGV7Y

    De la révolution industrielle à aujourd’hui, un décryptage minutieux de la course au développement qui a marqué le point de départ de l’ère de l’anthropocène (ou l’ère de l’Homme) et de la déterioration continue de la planète. Un film de Jean-Robert Viallet (France, 2019, 1h38), a vec la collaboration à l’écriture de Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz. D’après « L’événement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous », Éditions du Seuil. Source : Relevé sur le Net...

  • Technocritiques

    Antidote à la furia collapsologia, dans le prolongement de
    Charbonneau, Ellul, Gorz, Dupuy…

    Technocritiques (1/2) : comment prioriser la critique ?

    http://www.internetactu.net/2019/06/06/technocritiques-12-comment-prioriser-la-critique

    Technocritiques (2/2) : a-t-on besoin d’une communauté technocritique ou d’un essor des luttes technologiques ?

    www.internetactu.net/.../technocritiques-22-a-t-on-besoin-dune-communaute-
    technocritique-ou-dun-essor-des-luttes-technologiques/

    Mais peut-être quelqu’un aura-t-il déjà référencé ces débats ?

  • La collapsologie : un discours réactionnaire ? | #Jean-Baptiste_Fressoz
    https://www.liberation.fr/debats/2018/11/07/la-collapsologie-un-discours-reactionnaire_1690596

    Le thème de l’#effondrement de la civilisation industrielle, très présent dans les années 70, revient actuellement en force. Depuis la parution du best-seller Collapse de Jared Diamond en 2006 (Effondrement, Gallimard), il ne se passe guère un mois sans qu’un nouvel essai, un article ou une tribune, nous prédise un « effondrement » à court terme des grandes structures productives et politiques du monde industriel. Cette vogue de l’effondrement - à laquelle ne se réduit pas la pensée écologique contemporaine - est bien entendu liée à la crise environnementale : la sixième extinction des espèces, le réchauffement prévisible de 3 °C en 2100, et, plus généralement, la perturbation des cycles biogéochimiques, bref, ce que les scientifiques du système Terre appellent « l’#anthropocène ». Mais « effondrement » est-il le bon mot ? Est-ce la bonne manière de désigner et donc de penser ce qui nous arrive ? Sans avoir une opinion tranchée, j’y vois au moins quatre problèmes.

    Premièrement, le terme d’effondrement est beaucoup trop anthropocentrique. Car de quel effondrement parle-t-on ? Celui de la nature est déjà largement consommé : les humains et leurs bestiaux représentent 97 % de la biomasse des vertébrés terrestres ; il ne reste que de 10 % des poissons de grande taille par rapport à l’entre-deux-guerres ; en Allemagne, les insectes ont diminué de trois quarts en trente ans. En se focalisant sur l’effondrement à venir de la civilisation industrielle, le risque est de se rendre aveugle à tous les effondrements de la nature qui sont en cours et même déjà très avancés.

    Deuxièmement, le discours de l’effondrement est très « occidentalocentré ». Dit plus simplement : c’est une #écologie de riches. Ce que nous vivons est infiniment plus pervers : le changement climatique accentue les autres formes de violence et d’inégalités. Suprême injustice, il est causé par les riches et persécute surtout les pauvres des pays pauvres. Et c’est d’ailleurs cette caractéristique qui explique l’apathie générale. Quand on voit l’océan d’indifférence dans lequel se noient des dizaines de milliers de réfugiés en Méditerranée, comment espérer mobiliser en invoquant le paysan du Bangladesh chassé de chez lui par la montée des eaux ? La « pédagogie de la catastrophe » est une illusion démentie par l’histoire : qui, à part dans les pays concernés, se souvient du cyclone Bhola (au moins 300 000 morts au Bangladesh en 1970), du typhon Nina (170 000 morts en Chine en 1975) ou du cyclone Nargis (130 000 morts en Birmanie en 2008) ? Et en Europe, qu’est-ce qu’ont changé les 70 000 morts de la canicule de 2003 ? Il faut reconnaître au capitalisme sa résilience extraordinaire face aux désastres de tout ordre.

    Troisièmement, le discours actuel de l’effondrement mélange deux choses : la perturbation du système Terre et la sixième extinction, qui sont avérées, et l’épuisement des ressources fossiles qui est sans cesse repoussé à plus tard. Le problème est que ces deux phénomènes jouent à des échelles temporelles très différentes : selon les climatologues, pour ne pas dépasser + 2 °C en 2100, il faudrait laisser sous le sol les deux tiers des réserves de pétrole, de gaz et de charbon économiquement exploitables (1). Dit autrement, le capitalisme fossile se porte à merveille, il est dans la force de l’âge, son effondrement est peu probable, et c’est bien là le tragique de la situation.

    Quatrièmement, le discours de l’effondrement dépolitise la question écologique. Un peu comme les intellectuels marxistes des années 70 attendaient l’effondrement du capitalisme sous le poids de ses contradictions internes (la fameuse baisse tendancielle du taux de profit), il ne faudrait surtout pas attendre l’effondrement du capitalisme fossile parce que « la nature » le décidera. La lutte écologique ne doit pas mobiliser contre, mais pour l’effondrement, du moins celui du capitalisme fossile.

    Tous ces problèmes, l’effondrement les doit à ses origines intellectuelles et politiques. Au début du XIXe siècle, les élites libérales issues de la Révolution française utilisent déjà ce discours pour réprimer les usages de la nature - les communs forestiers en particulier - des masses paysannes libérées des obligations féodales. Au même moment, en Angleterre, Malthus expliquait qu’il fallait couper les aides aux pauvres pour éviter qu’ils ne prolifèrent dangereusement. Tout au long des XIXe et XXe siècles, l’effondrement est avant tout porté par les chantres de l’industrie et de l’Empire : c’est l’économiste Stanley Jevons qui s’inquiète pour la domination de la Grande-Bretagne à court de charbon ; c’est Paul Leroy-Beaulieu qui justifie le pillage des ressources coloniales au nom de l’effondrement prévisible de l’Europe ; c’est la commission Paley établie par Truman qui organise le drainage des matières premières du tiers-monde ; et c’est encore le Club de Rome, un assemblage d’industriels et de savants de la guerre froide qui a curieusement séduit la contre-culture (2), et dont les travaux ont joué un rôle certain dans l’élaboration du programme chinois de l’enfant unique (3). Remarquons pour finir que dans les années 90, quand la question climatique émerge dans l’espace public, le discours de l’effondrement a d’abord fait turbiner une clique de consultants travaillant pour le Pentagone, des néomalthusiens affolés par leurs fantasmes racistes - des hordes brunes de réfugiés climatiques - et voulant aussi prévoir les nouveaux terrains de déploiement de l’armée américaine dans un Global South en proie au collapse généralisé. Si en France on connaît surtout la « #collapsologie » de gauche, celle d’Yves Cochet, de Pablo Servigne et de Raphaël Stevens qui tentent de construire une politique post-apocalyptique émancipatrice, il ne faut pas oublier que l’effondrement a, au cours de sa longue histoire, nourri les passions politiques les plus nauséabondes.

    « Mal nommer un objet, disait Camus, c’est ajouter au malheur de ce monde. » En étant optimiste, on pourrait dire de l’effondrement que sa fonction politique est encore indécise. Il pourrait devenir le clairon d’une mobilisation générale pour le climat, mais il pourrait aussi renforcer l’option nucléaire et demain, qui sait, la géoingénierie. L’effondrement disparaît et réapparaît, recule ou revient en force en s’ajustant aux futurs successifs. En attendant, les catastrophes se multiplient partout, et surtout en dehors d’une civilisation occidentale qui depuis deux siècles n’a cessé d’admirer sa puissance au prisme de son effondrement.

    (1) « Unburnable Fossil-Fuel Reserves », de Michael Jakob et Jérôme Hilaire, Nature, vol. 517, 2015, p. 150-152.
    (2) Le Club de Rome est financé par la famille Agnelli (la Fiat), piloté par l’industriel Aurelio Peccei et Jay Forrester, l’inventeur de l’ordinateur numérique pour les besoins du programme nucléaire américain, y joue un rôle central.
    (3) Fatal Misconception : The Struggle to Control World Population, de Matthew Connelly, Heron and Crane, 2008.

  • Jean-Baptiste Fressoz : « Désintellectualiser la critique est fondamental pour avancer »
    https://www.revue-ballast.fr/jean-baptiste-fressoz-desintellectualiser-la-critique-est-fondamental-

    Le livre de Bihouix — et l’idée de low-tech — est très intéressant car il nous sort du discours convenu de l’innovation verte. Le problème est qu’il développe son argumentation dans la perspective du pic. Il transpose la perspective du pic du pétrole au pic des métaux rares et des terres rares (nécessaires à la production d’énergies renouvelables). Le problème est qu’il est probable qu’on ait le même phénomène sur les terres rares que sur le pétrole. À partir du moment où ça se mettra à coûter cher, on rouvrira des mines, on prospectera, on creusera plus profond, on investira, etc. La question du manque d’énergie a pris une place démesurée alors que celle du changement climatique va se poser bien avant. Il faut laisser les trois quarts des réserves de charbon, de pétrole et de gaz économiquement exploitable pour ne pas dépasser +2°C en 2100. Dire que c’est la nature qui se mettrait à nous imposer des limites, c’est risquer de dépolitiser la question. Il faut qu’on arrive à s’imposer nous même des limites. Le plus déprimant est que le capitalisme extractiviste se porte bien, il peut continuer encore longtemps comme ça, il peut bousiller la planète bien avant de manquer de carburant. La question des limites c’est plutôt des frontières molles qu’on enfonce largement, sans se rendre compte que sur plein de domaines on a déjà passé « des limites » et qu’on continue sur notre lancée, en recevant les effets retours bien plus tard, et de manière différenciée. C’est aussi tout le thème de la collapsologie et d’une certaine décroissance, héritée du choc du pic du pétrole et du Club de Rome. C’est un peu une écologie de « riches », pas forcément au sens négatif du terme ; ce sont les pays riches qui angoissent à l’idée de leur effondrement énergétique. Le pic de certains métaux rares qui empêchera les voitures électriques de rouler, pour un paysan du Bengladesh menacé par la montée des eaux, ce n’est pas très grave.

    #Jean-Baptiste_Fressoz #critique_techno #histoire #énergie #écologie #politique

  • ARCADIA 1.2 | TRANSITION, PIÈGE À CONS ? - JEAN-BAPTISTE FRESSOZ - YouTube
    https://www.youtube.com/watch?v=Etgb4fM6HfI

    En matière d’écologie, la transition énergétique est l’un des grands sujets abordé à longueurs de COPs. Nos sociétés seront-elles capable de basculer d’un régime d’énergies fossiles à un nouveau modèle basé sur les énergies renouvelables ? La question est discutée depuis des décennies, les rapports et les expérimentations concrètes se succèdent mais pour Arcadia, nous avons choisi d’aborder la question autrement. De revenir aux bases. Qu’est-ce qu’une réelle transition énergétique ? Une telle bascule a-t-elle déjà eu lieu dans l’histoire de l’humanité ? Que peut nous raconter l’histoire des énergies face à cet enjeu climatique ? Pour creuser cet angle, nous avons accueilli Jean-Baptiste Fressoz, historien des sciences des technologies et de l’environnement et chercheur au CNRS.

    #arcadia #lemedia #energie #transition

    Merci Lemédia pour ces émissions Arcadia d’« éducation populaire ». Cette deuxième est tout autant intéressante que la précédente.

  • #Jean-Baptiste_Fressoz : « Désintellectualiser la critique est fondamental pour avancer »
    https://www.revue-ballast.fr/jean-baptiste-fressoz-desintellectualiser-la-critique-est-fondamental-

    En un sens, l’#environnement était beaucoup plus important au tournant des XVIIIe et XIXe siècles que pour nous maintenant. Pourtant, malgré ces théories médicales qui faisaient de l’environnement quelque chose de très important, l’industrialisation, avec son cortège inouï de pollution, a bien eu lieu. L’#histoire est plutôt celle d’une désinhibition que d’une prise de conscience. Ce constat s’applique à bien d’autres dimensions, y compris globale. Avec mon collègue Fabien Locher, on achève une enquête au long cours qui retrace tous les savoirs qui ont existé sur le changement climatique depuis le XVIe siècle. Ça peut paraître étrange ou anachronique, mais le #climat a été un lieu central pour penser les conséquences de l’agir humain sur l’environnement, et en retour ce que l’environnement fait sur les humains. C’est un lieu crucial de la réflexivité environnementale des sociétés passées. Depuis le XVIIe siècle et surtout à la fin du XVIIIe, on estime que le déboisement menace le cycle de l’eau, un cycle global reliant les océans à l’atmosphère et au sol, un cycle providentiel, aussi, qui assure la fertilité des régions tempérées. À travers la question du déboisement, celle du changement climatique s’insinue au cœur des préoccupations politiques de l’époque, pour une raison très simple : toute l’énergie ou presque provient justement du bois. Dans les économies que les historiens qualifient « d’organiques », il y a en effet un arbitrage constant à faire entre la forêt et les champs, entre l’énergie pour produire des choses et le grain pour nourrir la population.

  • #Chlordécone : « Les #Antilles françaises comme l’Ukraine et la Biélorussie d’après Tchernobyl »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/06/19/les-antilles-francaises-comme-l-ukraine-et-la-bielorussie-d-apres-tchernobyl

    S’étonner rétrospectivement des conséquences sanitaires d’une molécule bloquant les influx nerveux et issue de la recherche militaire paraît quelque peu hypocrite, explique dans sa chronique l’historien #Jean-Baptiste_Fressoz.

    #paywall #pesticides #agriculture #bananes