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  • Sevran : la légitime défense du policier mise à mal
    Mediapart - 7 juin 2022

    https://www.mediapart.fr/journal/france/070622/sevran-la-legitime-defense-du-policier-mise-mal

    Le 26 mars, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), un policier a tué le conducteur d’une camionnette, Jean-Paul Benjamin, 33 ans et habitant de Sevran. Les éléments de l’enquête que Mediapart a pu consulter contredisent la thèse de la légitime défense de cet agent qui a fait feu alors que ni sa vie ni aucune autre n’étaient en danger au moment du tir.

    Après Jean-Paul Benjamin (33 ans), tué le 26 mars à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), après Boubacar (31 ans) et son frère Fadjigui (25 ans), tués à Paris le 24 avril, une jeune femme, âgée de 21 ans, est décédée, le 6 juin, à la suite d’un contrôle de police. C’est la quatrième victime en moins de trois mois. Chaque fois, la police se réfugie derrière la mise en danger des fonctionnaires ou celle de passants.

    Il semblerait que les choses ne soient pas toujours aussi simples, comme Mediapart a pu le constater en accédant aux premiers éléments de l’enquête sur le décès de Jean-Paul Benjamin, habitant de Sevran, qui ont conduit à la mise en examen du policier de la Brigade anti-criminalité (BAC), Emmanuel N., pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, par personne dépositaire de l’autorité publique et avec arme ».

    #violences_policières #police #BAC #Sevran #Jean-Paul_Benjamin

    • À la suite d’un différend financier avec une antenne d’Amazon, pour laquelle il travaille en tant que livreur sous-traitant, Jean-Paul subtilise une des camionnettes du groupe. Avant de partir avec le véhicule, il dit aux occupants qu’il « n’a rien contre eux mais qu’il en voulait au patron […] et qu’il voulait garder le camion et la cargaison » ainsi qu’il est précisé auprès des policiers lors du signalement du vol de la camionnette.

      À 12 h 18, un appel est lancé sur les ondes radio de la police d’Aulnay-sous-Bois. Plusieurs équipages de police sont informés dont celui du commandant Z. accompagné de son chauffeur. « On a croisé le véhicule ciblé en sens inverse. On a fait demi-tour rapidement et on s’est mis derrière le véhicule tranquillement sans gyrophare. Le camion roulait normalement et il avait à son bord un seul individu de type africain, le chauffeur », Jean-Paul Benjamin.

      Au moment du tir, « aucun danger apparent n’est visible sur la vidéo à ce moment précis », notent les enquêteurs.

      Vers 12 h 22, sur les ondes, deux policiers de la BAC annoncent avoir également repéré la camionnette et la suivre. Alors qu’un autre équipage est attendu pour procéder au contrôle du véhicule, le commandant Z., toujours à proximité de la camionnette, entend « un gyrophare au loin » et constate que le véhicule des policiers « de la BAC arrive à vive allure et se stoppe sur un terre-plein central étant donné qu’il y a des voitures dans les deux sens de circulation. Le trafic était un peu saturé ».

      Il voit alors un agent de la BAC, Emmanuel N. « arriver en courant » et se diriger vers la camionnette. « Il était seul, explique-t-il aux enquêteurs. Sans être sûr que le policier ait annoncé son identité (n’étant pas porteur du brassard police) auprès du conducteur, le commandant le suit avec son collègue pour lui prêter assistance. Mais « là, l’action est très rapide. Il se rapproche l’arme à la main et la vitre conducteur se brise ».

      Le conducteur de la camionnette « avait une conduite normale, précise-t-il. Ce n’est qu’après le tir qu’il a eu une conduite dangereuse ». Effectivement, mortellement touché dans le thorax, au niveau du cœur, Jean-Paul a fait plusieurs mètres avant de s’encastrer dans d’autres véhicules. Au moment du tir, ainsi que le commandant le précise, aucun policier ne se trouvait devant le véhicule de Jean-Paul.

      Auditionné, le binôme d’Emmanuel N. décrit la même scène. « Bloqué par la circulation » et à une vingtaine de mètres de la camionnette recherchée, il voit soudainement son collègue sortir du véhicule et partir « en courant » sans annoncer son intervention, sur les ondes. Il le suit du regard et « constate qu’il se porte à hauteur de la portière du conducteur du camion. Il est de dos. Donc je pense qu’il a son arme en main ». Alors que le véhicule « part en trombe », son collègue « fait un mouvement de recul. Il est déstabilisé et c’est dans ce laps de temps que j’entends la détonation ».

      Mais là encore, la vie de son collègue n’est pas menacée puisque, ainsi qu’il le précise, Emmanuel N. « se trouve alors sur la gauche » du camion, « au niveau de la portière du conducteur », ainsi que le confirme les analyses balistiques. Comme nous l’avions révélé, le policier tire sur Jean-Paul Benjamin alors qu’il ne lui fait pas face mais se trouve sur sa droite. Ainsi que le signale le rapport de balistique, la balle traverse « la cloison séparant l’habitacle de la partie fourgon, puis le dossier du siège conducteur, d’arrière en avant ».

      Les retranscriptions par les enquêteurs des images des caméras de vidéosurveillance viennent confirmer que le policier de la BAC intervient seul, en courant et « pas de brassard visible ». À hauteur du conducteur, le policier a alors une partie de ses membres supérieurs dans l’habitacle et aurait pour cela brisé la vitre du conducteur. Puis, alors que le policier fait un mouvement de recul, le camion démarre en sens opposé. Alors qu’il est à une distance de 2 à 2,5 mètres, « arme au poing » et « bras tendus », le policier tire.

      Au moment du tir, à 12 h 23, « aucun danger apparent n’est visible sur la vidéo à ce moment précis », notent les enquêteurs.

      Auditionné, l’auteur du tir livre une tout autre version, difficilement crédible au regard des enregistrements vidéo. Omettant de dire qu’il a plongé les bras à l’intérieur du véhicule, en brisant ainsi la vitre, il prétexte tout d’abord un tir accidentel, déséquilibré par le démarrage du camion. « Tout en basculant de côté, j’entends le coup de feu que je provoque », affirme-t-il. Or les images révèlent qu’il se tient alors à plus de deux mètres du véhicule.

      Lors de sa deuxième audition, il passe finalement d’un tir accidentel à un tir pour sauver sa propre vie, mise en danger par la conduite de Jean-Paul : « Je me sens partir avec le véhicule. Je comprends que je suis en danger et qu’il y a un risque pour moi d’être projeté contre les véhicules qui sont derrière moi. Sentant cette menace, en basculant j’ai fait feu. » Il répète qu’il « s’est senti une atteinte à ma vie ».

      Le policier peine à étayer le danger face à un « conducteur qui n’était pas armé » et « ne proférait pas de menace ». Il reconnaît que « c’était une sensation très bizarre, une sensation particulière dans le corps inexplicable ». L’inexplicable, c’est ce qui ressort du tir de ce policier qui a coûté la vie d’un homme.

      Plus inquiétant, il déclare à la fois que « ce n’était pas un tir visé » mais « un tir de riposte ». Tout en ayant « mis son arme à hauteur de l’individu » et donc sachant que son tir « serait susceptible de le toucher ». Après le tir, il a d’ailleurs « le sentiment d’avoir impacté l’individu. »
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      En ouvrant le feu, ce policier est certain d’avoir vu dans le regard de Jean-Paul Benjamin, une « détermination », celle de ne pas se laisser interpeller. Pour autant, il ne sait plus s’il a voulu « neutraliser le conducteur » ou « simplement stopper le véhicule ».

      Dans le dossier judiciaire, figure une carte d’adhérent au syndicat Alliance, un brassard siglé Police et un témoin de chambre vide pour pistolet automatique.

      Parmi les questions auxquelles Emmanuel N. n’a pas su répondre, reste celle du nombre de tirs effectués, n’étant ni capable d’expliquer pourquoi une cartouche manque dans son chargeur ni en mesure de préciser la nature de l’objet qu’il a ramassé au sol après le tir. Pourtant, les échanges radio parlent de plusieurs coups tirés, contredisant encore la thèse de l’accident et expliquant la cartouche manquant dans le chargeur, dont la douille aurait été ramassée par le policier.

      Contacté, l’un des avocats de la famille de Jean-Paul, Arié Alimi, n’a pas souhaité apporter, à ce stade, de commentaire.