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  • Ce que le confinement nous apprend de l’économie - Page 1 | Mediapart
    https://www.mediapart.fr/journal/france/110420/ce-que-le-confinement-nous-apprend-de-l-economie

    La démarche est remarquable par ce qu’elle dit de ce qu’est l’économie capitaliste. Elle s’appuie sur un des éléments les plus puissants de ce système, mais aussi, lorsqu’il est mis à nu, un des plus fragiles : l’abstraction. Car dans cette macabre comptabilité, deux réalités distinctes sont mises à égalité. D’un côté celle d’un phénomène qui s’impose à l’homme, un virus contre lequel nous n’avons pas d’armes, du moins pour l’heure, et qui tue directement des hommes et des femmes. Et de l’autre, une création de l’humanité, l’économie de la marchandise, qui imposerait sa loi à sa créatrice au point de lui enlever également des vies.

    Il n’est pas question de nier que les crises économiques ne sont pas coûteuses en vie humaine. Les exemples du passé le montrent assez. Mais ce que ces doctes penseurs oublient, c’est que ces crises ne sont pas des phénomènes qui échappent aux hommes. Elles sont le produit de leur organisation sociale, de leur activité et de leurs choix. Et il ne dépend que d’eux de trouver d’autres formes d’organisation qui sauvent des vies et empêchent que les crises ne tuent autant.

    On comprend leur colère : soudain, en quelques semaines, on se rend compte que l’on peut stopper la fuite en avant de l’économie marchande, que l’on peut se concentrer sur l’essentiel : nourrir, soigner, prendre soin. Et que, étrangeté suprême, la Terre ne cesse pas de tourner, ni l’humanité d’exister. Le capitalisme est suspendu dans son fonctionnement le plus primaire : il génère une plus-value minimale, insuffisante à alimenter la circulation du capital. Et l’homme existe encore.

    Alors, pour continuer à maintenir en vie le mythe du caractère capitaliste intrinsèque de l’humanité, on a recours à des menaces : tout cela se paiera, et au centuple. Et par des morts. On ne réduit pas impunément le PIB de 30 %. Sauf que, précisément, l’époque montre le contraire et invite à construire une organisation où, justement, la vie humaine, et non la production de marchandises, sera au centre.

    Et là encore, l’époque est bavarde. Ces gens qui pensent que seul le marché produit de la valeur se retrouvent, eux-mêmes, à pouvoir manger à leur faim dans une ville propre, alors même que le marché ne fonctionne plus de façon autonome. Ils ne le peuvent que grâce au travail quotidien de salariés, des éboueurs aux caissières, des chauffeurs de bus aux soignants, des livreurs aux routiers qui, tout en s’exposant au virus, exposent au grand jour la preuve de l’écart béant entre la valorisation par le marché de leur travail abstrait et la valeur sociale de leur labeur concret. La valeur produite par le marché qui donne à un consultant un poids monétaire dix fois supérieur à celui d’une caissière ou d’un éboueur apparaît alors pour ce qu’elle est : une abstraction vide de sens. Ou plutôt une abstraction destinée à servir ce pourquoi elle est créée : le profit.

    Mais qu’on ne s’y trompe pas : ce n’est que partie remise. Plus cette crise « politiquement fabriquée » sera sévère, plus, là aussi, on la fera payer à la population. Pour « reconstruire », assurer les « emplois », attirer les investisseurs, bref, faire repartir la machine, on demandera, comme a commencé à le faire Bruno Le Maire, des « efforts » à la population. On fera donc tout pour que le confinement produise une violente crise économique qui, effectivement, sera cruelle et coûteuse en vies humaines. On le fera simplement : en se contentant de « geler » le système économique et en se gardant de profiter de cette suspension pour le modifier. Une fois décongelé, l’économie marchande donnera le pire d’elle-même. Ses mécanismes propres se déchaîneront. Mais on devra l’accepter comme une loi divine.

    Pour faire tenir le peuple, on lui envoie soit des messages et des chansons de stars bien à l’aise dans leurs douillettes résidences, soit le bâton du gendarme et du juge, qui s’en donnent à cœur joie pour « faire des exemples ». On demande au peuple de continuer à regarder le spectacle passivement, sans bouger, sans penser. Mais n’est-ce pas l’inverse même de la vie humaine ?

    Cette réponse moralisatrice est hautement problématique. Dans le silence du confinement, elle aggrave les tensions sociales et les dissensions au sein de la société. Chacun blâme son voisin pour ses actes, les délations se multiplient, les jugements sont légion. Les bases de la société démocratique sont remises en cause par un climat de suspicion, d’angoisse et de peur. La culpabilisation est la première étape vers cette exigence de discipline que l’on affirmera pendant la crise économique. Et c’est bien de cela qu’il faut parler.

    #Coronavirus #Jour_après

    • Waouh Les temps changent comme dirait Robert Z.

      Les propos sont en effet explicites :

      les victimes de la crise [...] seront les victimes de l’organisation économique fondée sur le fétichisme de la marchandise

      Bon, ce fétichisme est encore interprété comme un manque de volonté par lequel nous laissons l’abstrait s’imposer face au concret. Dans la marchandise, pourtant, ces deux pôles sont constitutifs l’un de l’autre, et c’est toujours le même fétichisme que de vouloir brandir l’un de manière positive (le soi-disant « concret ») face à l’autre qu’on a vite fait de personnifier (l’abstraction propre au capitaliste). Le fétichisme de la marchandise peut aussi se présenter comme un fétichisme de la valeur d’usage : https://seenthis.net/messages/840924

      Encore un effort, camarade Romaric, et tu constateras qu’il ne s’agit pas de remettre l’économie à sa place, mais bien d’en sortir, seul terrain à partir duquel nous pourrons enfin produire des « richesses » et non plus des marchandises.

      Un marqueur de cette critique totale de la marchandise sera le fait de parler non plus de profit (du capitaliste) mais de survaleur (à la fois produit et moteur du travail producteur de marchandises, et donc du capital)

    • On comprend leur colère : soudain, en quelques semaines, on se rend compte que l’on peut stopper la fuite en avant de l’économie marchande, que l’on peut se concentrer sur l’essentiel : nourrir, soigner, prendre soin. Et que, étrangeté suprême, la Terre ne cesse pas de tourner, ni l’humanité d’exister. Le capitalisme est suspendu dans son fonctionnement le plus primaire : il génère une plus-value minimale, insuffisante à alimenter la circulation du capital. Et l’homme existe encore.

      Oui et non : d’un côté les milliardaires sont décimés (moins il y en a et moins ils ont de fric globalement, mieux nous nous portons) mais beaucoup d’activités inutiles continuent et dans le Sud global les populations pauvres ont le choix entre se confiner et mourir de faim aujourd’hui et sortir chercher leur croûte pour mourir du virus plus tard. Aucun effet L’An 01, on réfléchit et plus tard on rallume les industries qui nous semblent nécessaires à la vie humaine avec les densités et les mauvaises habitudes qui sont les nôtres.