• Genève : Un mois de prison pour un café Le Courrier - Rachad Armanios - Vendredi 21 avril 2017

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    Un Roumain est interdit d’entrée à l’Hôpital, car il y profitait du wifi gratuit et du café bon marché. L’institution porte plainte. La justice le condamne à de la prison ferme

    A.V., Roumain né en 1969, a écopé le 10 mars dernier par ordonnance pénale du Ministère public de trente jours de prison ferme, dont deux déjà effectués en préventive. Son crime ? « Je voulais boire un café à la cafétéria de l’Hôpital cantonal pour y profiter du wifi gratuit », explique-t-il, par l’intermédiaire d’un ami interprète, dans le bureau de Camille Maulini, avocate du « Collectif de défense ».

    Mais l’homme fait l’objet depuis 2014 d’une interdiction d’entrée, renouvelée en 2016, pour une « durée indéterminée ». « Quand je serai convoqué pour aller en prison, je me plierai à la décision de la justice même si elle est injuste. » Me Maulini, elle, dénonce une « totale disproportion » de la peine.

    « Le café est moins cher qu’ailleurs »

    Le 26 janvier, comme deux à trois fois par semaine depuis au moins un an, A. V. se rend avec son ordinateur aux HUG pour y boire un café – « il est moins cher qu’ailleurs » – et relever ses mails en profitant de la connexion gratuite. Dans le hall d’entrée, il prend, comme à chaque fois selon ses dires, la précaution de demander à un agent de sécurité s’il peut venir. Il faut dire qu’il fait l’objet d’une interdiction d’entrée notifiée par le service de sécurité des HUG le 2 janvier 2016. Le document stipule : « Lors d’une patrouille, nous interpellons pour la énième fois M. V. Nous lui expliquons à nouveau les règles de l’institution.

    Bien que notifié en date du 1 juin 2014 d’une interdiction d’entrée, nous lui signalons verbalement ainsi qu’avec le document présent qu’en cas de récidive, une plainte pénale sera déposée auprès de la police. » « On m’a expliqué que ce document permettrait de me mettre dehors facilement si j’abusais. Il n’y avait pas de traducteur et je n’étais pas conscient que je risquais la prison. Je suis ensuite souvent revenu. Parfois un agent de sécurité me permettait d’entrer, parfois pas. »

    Détention préventive

    Fin janvier, il a affaire à toute une patrouille, raconte-t-il. Un premier agent lui donne son feu vert, un second dit le contraire. Puis la police est appelée. Il passe alors deux jours en détention préventive. A sa sortie, une première ordonnance pénale lui est remise en mains propres. Elle est signée par le procureur Marco Rossier, qui condamne le prévenu à 30 jours de prison ferme pour violation de domicile.

    Pour fixer la peine, le procureur retient qu’A. V. a déjà été condamné deux fois. Ayant commis un délit durant le délai d’épreuve, les sursis qui lui ont été accordés sont révoqués. Les délits sont mineurs. En novembre 2015, le Ministère public de Genève le punit pour entrée illégale en Suisse. Et en juillet 2016, celui de Vevey le condamne pour vol d’importance mineure et, déjà, violation de domicile. « Il avait volé une bouteille de vin à 4 francs à Manor. Ce n’est pas bien, mais A. V. n’est pas un délinquant ! », commente Me Maulini.

    Cambrioleur ?

    Le Ministère public genevois semble pourtant l’avoir considéré comme un cambrioleur. Dans sa première ordonnance, il a ordonné le séquestre des objets que le prévenu avait sur lui au moment de son interpellation, du fait de leur « origine douteuse ». La liste ne plaide pas en faveur d’A. V. : deux téléphones portables, un ordinateur, lampe de poche, clé à molette, tournevis, cutter, gants, pinces à épiler, bagues, bijoux, iPod et des sommes d’argent en plusieurs devises. « J’achète des voitures d’occasion que je revends à l’étranger », explique A. V. Me Maulini relève qu’il s’est opposé au séquestre en fournissant les preuves qu’il était le propriétaire des objets. La seconde ordonnance précise qu’il peut les récupérer. « Je suis choquée que la présomption d’innocence n’ait pas prévalu. »

    Impossible, toutefois, de s’opposer à la peine de prison. Car A. V. n’a pas d’adresse fixe en Suisse et l’ordonnance du 10 mars lui a été notifiée au « Pôle solidarité » de l’Eglise catholique qu’il a fréquenté. « Il y a beaucoup de gens de passage, le recommandé est bien arrivé mais s’est perdu. Le délai de recours était échu », se désole Me Maulini. A. V. se rend par ailleurs régulièrement à l’Oasis, un lieu d’accueil œcuménique au temple de la Servette qui offre des repas aux nécessiteux.

    Des coûts exorbitants

    La juriste demandera aux HUG qu’ils lèvent l’interdiction d’entrée. « Il est choquant que des gens avec peu de moyens ne puissent prendre un café bon marché, en particulier dans une institution publique », pointe cette avocate, qui s’est occupée de cas similaires mais concernant des entreprises privées comme la Migros, la Coop ou encore Balexert. « Quelle sera la prochaine institution publique à renoncer à être un lieu ouvert pour tous ? L’université ? »

    A. V., lui, craint pour le manque à gagner durant son mois de prison. Me Maulini juge la peine totalement disproportionnée pour le prévenu, mais pas seulement : « Champ-Dollon est surpeuplée et un jour de prison coûte 485 francs à la collectivité. » Près de 15 000 francs, sans compter les frais du Ministère public et de la police. « Tout ça pour un café aux HUG… »

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