• http://s3.amazonaws.com/auteurs_production/post_images/16855/2.jpg?1407224199

    Mais quand finira ce mois de janvier, véritable hiver chaud, et qui emporte tout sur son passage, Jacques Rivette vient grossir les rangs de l’hécatombe.

    « l’homme qui décide à ce moment de faire un travelling-avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, en prenant soin d’inscrire exactement la main levée dans un angle de son cadrage final, cet homme n’a droit qu’au plus profond mépris ».

    Jaques Rivette à propos de Kapo de Gilles Pontecorvo

    http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2016/01/29/le-realisateur-jacques-rivette-est-mort_4856051_3382.html#czDqQkllzsWUq0Rr.9

    J’en viens à me demander, si ce n’est pas, aussi, une manifestation de mon âge avancé, plus je viellis et plus les figures tutélaires de la jeunesse, et de l’âge adulte, sont elles-mêmes proches du terme. Sale temps.

    • Gillo Pontecorvo, l’auteur de la très estimable Bataille d’Alger et dont tu notes ici que Rivette lui avait signifié son profond mépris, est mort en 2006. L’hiver de la mort commence à notre naissance.

    • Personnellement tu auras compris que j’ai du mal avec un auteur qui prend des airs supérieurs et parle de son profond mépris (expression on ne peut plus bateau). Mais ça devait être dans ces années où les mao et les situ faisaient office de modérés dans l’espace intellectuel — c’est pardonnable. N’ayant pas vu Kapo je n’ai pas d’avis sur la cause (et ne cherche pas à en avoir).

    • Mais ça devait être dans ces années où les mao et les situ faisaient office de modérés dans l’espace intellectuel

      L’âge d’or.

      Je ne t’encourage pas à télécharger Kapo , c’est plutôt un très mauvais film et on ne peut que trouver fort juste le commentaire de Rivette sur le sujet et lui être reconnaissant (presque) d’avoir douché prospectivement bien des véléités futures de faire de la fiction cinématographique dans les camps. Cette prophylaxie aura duré assez longtemps finalement, et on voit bien, notamment avec le Fils de Saul , qu’une digue est le point de lâcher.

      Pour le ton que tu dénonces, c’est sans doute ce qui m’a longtemps tenu éloigné des Cahiers du cinéma , cycliquement, j’y retourne, puis je m’en détourne, puis j’y retourne, ça fait plus de trente ans que cela dure je crois.

      Et sinon ce que j’aurais voulu mettre pour ce billet (mais je ne peux pas de cet ordinateur), cela aurait été une scène de la Belle Noiseuse ou de Jeanne la Pucelle ou Secret Défense

    • @unagi Le problème, toujours le même, celui de la fiction en camp de concentration.

      Et dans Kapo , effectivement, comme le notait Rivette avec ette attaque très dure à propos d’un certain travelling (au point que ce soit un des travellings les plus célèbres du cinéma), l’esthétisation. Mais c’est dit très vite de ma part et mon souvenir de Kapo doit bien dater d’une vingtaine d’années et je commence sérieusement à me méfier de mes lectures et autres de cette époque tellement lointaine.

    • Merci ! En cherchant je tombe sur une critique qui au contraire de celle de Rivette ne polémique pas sur le travelling mais enterre le scénario, scénario de l’abomination. Entre autres chose.
      http://www.dvdclassik.com/critique/kapo-pontecorvo
      "Car paradoxalement, et Rivette n’en parle pas (Daney encore moins, qui n’a pas vu le film), le film pêche en fait ailleurs, via des procédés bien moins raisonnables que ce simple travelling, faux procès choisi pour l’exemple...

      Après un pré-générique d’une concision glaçante et qui plonge dans l’horreur des camps en cinq minutes terrifiantes, le scénario (pourtant d’une sobriété notable dans son premier tiers) s’enfonce peu à peu dans le mélo bas de gamme, avec l’arrivée dans le camp de prisonniers russes. Les rouages scénaristiques se grippent, et la romance (pas forcément invraisemblable pour autant) édulcore à ses dépends une œuvre jusqu’alors éprouvante et accomplie. Pontecorvo se brouilla un temps avec son scénariste, Franco Solinas, initiateur de ce virage à l’eau de rose qui plût tant aux producteurs italiens qu’ils l’imposèrent au final. Faute de goût majeure, la bluette entame sérieusement le crédit du film.

      En cause aussi, la psychologie d’Edith/Nicole, pourtant campée par une très convaincante Susan Strasberg - fille du célèbre professeur d’art dramatique Lee Strasberg, remarquée pour sa composition d’Anne Franck sur les planches. Jeune juive qui se fait passer pour une prisonnière de droit commun afin d’échapper à la mort, son accession au rang de Kapo semble par trop mécanique, éludant les implications forcément déstabilisantes de cette « promotion » : jamais Edith ne semble vraiment ébranlée par les conséquences de sa nomination, d’ailleurs habilement dissimulée derrière une ellipse grossière.

      Enfin, acoquinée avec un SS, la jeune femme trouvera une rédemption dans un final trop pompeux pour être honnête : on crie haro sur la mise en scène de Pontecorvo, plutôt retenue, quand c’est le script conformiste et racoleur de Solinas qui gangrène finalement le projet. Mise en scène estimable, scénario regrettable : Kapo est un film bancal, sur un sujet qui ne saurait souffrir aucun égarement
      "
      Pour finir, je suis toujours très mal à l’aise avec Nuit et Brouillard et son absence de représentation des camps, l’absence d’image étant l’absence des juifs au coeur de la solution finale.

    • À vos CB....
      “Out 1”, de Jacques Rivette, en dvd
      http://www.telerama.fr/cinema/out-1-de-jacques-rivette-quand-la-nouvelle-vague-etait-en-roue-libre,134457

      Radical, fou, mais surtout invisible depuis vingt ans, le film-fleuve de Jacques Rivette sort enfin en salles et en coffret DVD-Blu-ray. Avec Michael Lonsdale et Jean-Pierre Léaud exaltés, Bulle Ogier et Bernadette Lafont terrifiées.
      C’est le film monstre de la Nouvelle vague. Par sa durée au-delà de toutes les normes – près de douze heures et quarante minutes, de quoi effrayer le propriétaire de salles le plus téméraire. Et par son principe de réalisation, un recours radical, jusqu’au-boutiste, à l’improvision, qui fait de Out 1 un projet unique, « jamais fait avant, et qui ne sera jamais fait après », selon le chef-opérateur Pierre-William Glenn, l’un des artisans de cette folle aventure. Jamais exploité en salles dans sa version intégrale, projeté à de trop rares occasions dans une poignée de festivals au profit de quelques happy few, invisible depuis vingt-trois ans et sa diffusion en huit parties sur La Sept-Arte, le film le plus secret et le plus légendaire de Jacques Rivette revit aujourd’hui en salles, en VOD et dans un somptueux coffret DVD et Blu-ray grâce à la restauration entreprise par Carlotta Films. Retour sur la genèse d’une œuvre culte, en laquelle Eric Rohmer voyait rien moins qu’« un monument capital de l’histoire du cinéma moderne ».

    • Pornographie du « réalisme », esthétisation sans frein ni scrupule, Rivette disait fort bien les raisons pour lesquelles il n’est même pas souhaitable de voir Kapo.

      « Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est difficile, lorsqu’on entreprend un film sur un tel sujet (les camps de concentration), de ne pas se poser certaines questions préalables ; mais tout se passe comme si, par incohérence, sottises ou lâcheté, Pontecorvo avait résolument négligé de se les poser.

      Par exemple, celle du réalisme : pour de multiples raisons, faciles à comprendre, le réalisme absolu, ou ce qui peut en tenir lieu au cinéma, est ici impossible ; toute tentative dans cette direction est nécessairement inachevée (« donc immorale »), tout essai de reconstitution ou de maquillage dérisoire et grotesque, toute approche traditionnelle du « spectacle » relève du voyeurisme et de la pornographie. Le metteur en scène est tenu d’affadir, pour que ce qu’il ose présenter comme la « réalité » soit physiquement supportable par le spectateur, qui ne peut ensuite que conclure, peut-être inconsciemment, que, bien sûr, c’était pénible, ces Allemands quels sauvages, mais somme toute pas intolérable, et qu’en étant bien sage, avec un peu d’astuce ou de patience, on devait pouvoir s’en tirer. En même temps chacun s’habitue sournoisement à l’horreur, cela rentre peu à peu dans les mœurs, et fera partie bientôt du paysage mental de l’homme moderne ; qui pourra, la prochaine fois, s’étonner ou s’indigner de ce qui aura cessé en effet d’être choquant ?

      C’est ici que l’on comprend que la force de Nuit et Brouillard venait moins des documents que du #montage, de la science avec laquelle les faits bruts, réels, hélas ! étaient offerts au regard, dans un mouvement qui est justement celui de la conscience lucide, et quasi impersonnelle, qui ne peut accepter de comprendre et d’admettre le phénomène. On a pu voir ailleurs des documents plus atroces que ceux retenus par Resnais ; mais à quoi l’homme ne peut-il s’habituer ? Or on ne s’habitue pas à Nuit et Brouillard ; c’est que le cinéaste juge ce qu’il montre, et il est jugé par la façon dont il le montre.

      Autre chose : on a beaucoup cité, à gauche et à droite, et le plus souvent assez sottement, une phrase de Moullet : la morale est affaire de travellings (ou la version de Godard : les travellings sont affaire de morale) ; on a voulu y voir le comble du formalisme, alors qu’on en pourrait plutôt critiquer l’excès « terroriste », pour reprendre la terminologie paulhanienne. Voyez cependant, dans Kapo, le plan où Riva se suicide, en se jetant sur les barbelés électrifiés ; l’homme qui décide, à ce moment, de faire un travelling-avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, en prenant soin d’inscrire exactement la main levée dans un angle de son cadrage final, cet homme n’a droit qu’au plus profond mépris. On nous les casse depuis quelques mois avec les faux problèmes de la forme et du fond, du réalisme et de la féerie, du scénario et de la « misenscène », de l’acteur libre ou dominé et autres balançoires ; disons qu’il se pourrait que tous les sujets naissent libres et égaux en droit ; ce qui compte, c’est le ton, ou l’accent, la nuance, comme on voudra l’appeler – c’est-à-dire le point de vue d’un homme, l’auteur, mal nécessaire, et l’attitude que prend cet homme par rapport à ce qu’il filme, et donc par rapport au monde et à toutes choses : ce qui peut s’exprimer par le choix des situations, la construction de l’intrigue, les dialogues, le jeu des acteurs, ou la pure et simple technique, « indifféremment mais autant ». Il est des choses qui ne doivent être abordées que dans la crainte et le tremblement, la mort en est une, sans doute ; et comment, au moment de filmer une chose aussi mystérieuse ne pas se sentir un imposteur ? Mieux vaudrait en tout cas se poser la question, et inclure cette interrogation, de quelque façon, dans ce que l’on filme ; mais le doute est bien ce dont Pontecorvo et ses pareils sont le plus dépourvus.

      #impersonnel

    • Mon cher @fil Et donc hier soir au ciné-club du Kosmos à Fontenay, j’ai pu voir au cinéma donc la Bataille d’Alger (dont j’avais un souvenir particulièrement flou, le confondant notamment avec d’autres films sur le même sujet). Ben de mon point de vue c’est la même abomination.

      Dramatisation à outrance de certaines scènes avec la musique insupportable d’Enio Moricone, simplifications scénaristiques coupables et le truc assez malhonnête de filmer certaines scènes dans un style documentaire qui plusieurs fois dans le film pourrait laisser à penser (différence de grain, d’éclairage ou encore de développement du film etc...) que des scènes tournées sont des scènes documentaires.

      De mon point de vue, je ne pense pas que la Bataille d’Alger soit si estimable. Ayant revu récemenment Kapo pour me faire une idée plus précise que celle de mon souvenir du fameux travelling , qui n’est, en fait, pas grand chose, mais qui est effectivement abominable, je continue d’être frappé par la vigilance intellectuelle et formelle de Rivette, de son avertissement et finalement, de sa justesse, surtout quand on voit la Bataille d’Alger qui recoure à d’autres procédés mais qui n’en sont pas moins détestables.

      Et une fois de plus se pose la question de la fiction de l’histoire au cinéma. Pour moi il est frappant, par exemple, de constater que Patrick Rotman a réalisé un vrai chef d’oeuvre de documentaire sur le sujet de la guerre d’Algérie, l’Ennnemi intime et qu’il s’est fourvoyé entièrement en écrivant le scénario d’une fiction qui porte le même titre et qui est, elle aussi, une abomination.