TRIBUNE. Un collectif de 70 personnalités du monde académique appelle la direction du CNRS de corriger les « dérives militantes » de son équipe chargée de la communication.
Chercheurs et enseignants-chercheurs, nous sommes très attachés au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et à la haute qualité des recherches qui y sont globalement menées en sciences humaines comme en sciences dures. Nous regrettons, du reste, le dénigrement trop fréquent dont cette institution fait l’objet de la part de personnes qui ne la connaissent pas.
C’est la raison pour laquelle nous nous inquiétons que sa réputation soit ternie par le comportement militant de certains de ses représentants et sa communication. L’article publié dans le Journal du CNRS sous le titre « L’écriture inclusive par-delà le point médian » en est le dernier témoignage. Écrit par une journaliste qui a recueilli l’avis d’enseignants-chercheurs et de chercheurs favorables à l’usage de l’écriture et de la « langue » dites « inclusives », il y est donc entièrement favorable alors que cette forme est fortement controversée, y compris par des linguistes du CNRS.
Hors cadre scientifique
Certes, que trouver à redire à ce qu’un journaliste exprime un point de vue ? Rien, à condition du moins que celui-ci soit présenté comme tel et non comme un fait objectif. Mais dans le cas présent, cet article se trouve publié sur l’une des vitrines du CNRS, lui conférant un statut particulier : celui d’un fait scientifique avéré et estampillé par l’institution.
D’ordinaire, Le Journal du CNRS fait part de découvertes scientifiques solidement étayées, que ce soit en sciences dures ou en sciences humaines. Mais c’est loin d’être le cas ici : l’écriture dite inclusive est un phénomène créé de toutes pièces par des militants, souvent liés au monde universitaire. Y a-t-il un sens à recueillir le point de vue exclusif des tenants de cette innovation militante pour présenter sur un site scientifique une conclusion qui lui est favorable ? La circularité de la démarche fait sortir du cadre scientifique qu’on est en droit d’attendre sur une vitrine de l’institution.
Enfin, outre qu’il est partisan, l’article est malhonnête dans son propos comme dans ses illustrations. Ainsi, à aucun moment ne sont mentionnés les arguments émanant de chercheurs reconnus contre les prémisses qui ont conduit à l’élaboration de ce langage. L’article présente comme seuls opposants des politiciens et des syndicats de droite.
Des débats politiques, pas scientifiques
La communication du CNRS n’en est pas à son coup d’essai en la matière. Faut-il rappeler les déclarations de certaines des plus hautes instances affirmant en 2021 que l’islamo-gauchisme n’existe pas (seraient-elles aujourd’hui aussi péremptoires ?) ou cautionnant l’usage du concept d’« islamophobie » ? Vu l’absence de tout consensus scientifique sur ces deux sujets, ils relèvent d’un débat politique que l’administration du CNRS n’a pas vocation à trancher.
Le CNRS est un haut lieu de la recherche publique : son journal et son site ne peuvent devenir l’instrument d’une faction militante, sous peine de se discréditer et, avec lui, les chercheurs qui ont à cœur de remplir leur mission scientifique. En conséquence, nous demandons à sa direction de prendre toutes les mesures nécessaires pour corriger ces dérives en exerçant un droit de regard sans complaisance sur le fonctionnement de sa communication. Il y va de la réputation de l’institution.
*Cette tribune, signée par un collectif de 70 personnalités du monde académique, est portée par : Michel Botbol (professeur de psychiatrie, université de Bretagne occidentale) ; Bernard Devauchelle (professeur de chirurgie, université de Picardie Jules Verne) ; Dany-Robert Dufour (professeur de philosophie, université Paris-8) ; Nathalie Heinich (sociologue, DRCE CNRS, Paris) ; Catherine Kintzler (professeur de philosophie, université de Lille) ; Israël Nisand (professeur de médecine, université de Strasbourg) ; Pascal Perrineau (politologue, professeur des universités à Sciences Po) ; Denis Peschanski (historien, directeur de recherche au CNRS, Paris) ; François Rastier (directeur de recherche en linguistique, CNRS, Paris) ; Philippe Raynaud (professeur de science politique, université Panthéon-Assas) ; Pierre Schapira (professeur de mathématiques, Sorbonne université) ; Didier Sicard (professeur de médecine, université Paris-Cité) ; Perrine Simon-Nahum (directrice de recherche en philosophie, CNRS) ; Jean Szlamowicz (professeur en linguistique, université de Dijon) et Pierre-André Taguieff (philosophe et politiste, directeur de recherche au CNRS).
Autres signataires :
Joubine Aghili, maître de conférences en mathématiques, université de Strasbourg
Michel Albouy, professeur de sciences de gestion, université de Grenoble
Martine Benoît, professeur d’histoire des idées, université de Lille
Sami Biasoni, docteur en philosophie
Thierry Blin, maître de conférences (HDR) en sociologie, université de Montpellier-3
Claude Cazalé Bérard, professeur de littérature italienne, université Paris-Nanterre
Guylain Chevrier, formateur et chargé d’enseignement à l’université
Jean-Louis Chiss, professeur en sciences du langage, université Sorbonne nouvelle
Chantal Delsol, philosophe, membre de l’Académie des sciences morales et politiques
Gilles Denis, maître de conférences HDR HC en histoire des sciences du vivant, université de Lille
Albert Doja, professeur d’anthropologie, université de Lille
Jean Dhombres, EHESS, histoire des sciences
Laurent Fedi, MCF hors classe, faculté de philosophie de Strasbourg
Jean Ferrette, docteur en sociologie
Michel Fichant, professeur de philosophie, faculté des lettres, Sorbonne université
Renée Fregosi, philosophe et politologue, professeur de l’enseignement supérieur
Luc Fraisse, professeur de littérature française à l’université de Strasbourg, membre de l’Institut universitaire de France
Marc Fryd, linguistique anglaise, maître de conférences HDR, université de Poitiers
Jean Giot, linguiste, professeur de l’université, université de Namur, Belgique
Geneviève Gobillot, professeur d’arabe et d’islamologie, université de Lyon-3
Christian Godin, professeur de philosophie, université d’Auvergne
Yana Grinshpun, maître de conférences en linguistique française, université Sorbonne nouvelle, Paris
Claude Habib, professeur de littérature, université Sorbonne nouvelle, Paris
Hubert Heckmann, maître de conférences en littérature et langue françaises
Emmanuelle Hénin, professeur de littérature comparée à Sorbonne université
Patrick Henriet, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, Paris
Mustapha Krazem, professeur des universités en sciences du langage, université de Lorraine-Metz
Philippe de Lara, maître de conférences en philosophie et sciences politiques, université Paris-2
Marie Leca-Tsiomis, professeur de philosophie, université Paris-Nanterre
Dominique Legallois, professeur de linguistique française Sorbonne nouvelle
Michel Messu, professeur des universités en sociologie
Martin Motte, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, Paris
Robert Naeije, professeur de médecine, université libre de Bruxelles
Franck Neveu, professeur des universités de linguistique française, Sorbonne université
Françoise Nore, linguiste
Laetitia Petit, maître de conférences, Aix-Marseille université
Brigitte Poitrenaud-Lamesi, professeur d’italien, université de Caen
Denis Poizat, professeur en sciences de l’éducation, université Lyon-2
Florent Poupart, professeur de psychologie clinique et psychopathologie, université Toulouse-2
André Quaderi, professeur de psychologie, université Côte d’Azur
Gérard Rabinovitch, chercheur CNRS en sociologie, Paris
François Richard, professeur de psychopathologie, université Paris-Cité
Jacques Robert, professeur de médecine, université de Bordeaux
François Roudaut, professeur de langue et littérature françaises (UMR IRCL, Montpellier)
Claudio Rubiliani, maître de conférences en biologie, université Aix-Marseille et CNRS UA Paris-6.
Xavier-Laurent Salvador, maître de conférences en langue et littérature médiévales, président du LAÏC
Jean-Paul Sermain, professeur de littérature française, université de la Sorbonne nouvelle
Daniel Sibony, philosophe, mathématicien, professeur des universités
Éric Suire, professeur d’histoire moderne, Université Bordeaux-Montaigne
Pierre-Henri Tavoillot, maître de conférences en philosophie, Sorbonne université
Michel Tibayrenc, professeur de génétique, directeur de recherche IRD, Paris
Vincent Tournier, maître de conférences à l’IEP de Grenoble, chercheur à Pacte-CNRS
Dominique Triaire, professeur des universités de littérature française
François Vazeille, directeur de recherche au Cern, physicien des particules
Nicolas Weill-Parot, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, Paris
Yves Charles Zarka, professeur à l’université Paris-Cité, et ex-directeur de recherche au CNRS