• Confessions d’un puriste de la tek :

    « Laurent Garnier : "La musique est devenue un produit jetable" » (entretien, L’Express, 15-04-14)

    http://www.lexpress.fr/culture/musique/laurent-garnier-la-musique-est-devenue-un-produit-jetable_1507100.html?xtmc

    Comment la techno est-elle perçue aujourd’hui ?

    Même si elle est devenue une institution comme le rock ou le hip-hop, les a priori et les méconnaissances sont encore nombreux. Une partie de la population considère toujours la techno comme une musique de drogués et d’idiots. Le terme « musique électronique » est plus employé. Il fait moins peur. Il est moins radical, politiquement correct. La scène techno a un problème : elle ne compte pas beaucoup d’acteurs connus du grand public. David Guetta représente-t-il le monde de la techno ? Non, il produit de l’electronic dance music, un style pop et commercial pour les enfants. Mon fils de 10 ans en écoute avec ses copains. Pour eux, le plus grand DJ du monde, c’est Martin Garrix. Le garçon a 17 ans, et ce sont ses parents qui l’emmènent à ses concerts.

    Pour sortir la techno des préjugés que vous évoquez, pouvez-vous nous en donner une définition ?

    Il est très compliqué de donner une définition. Le mot « techno » est un sac qui englobe trop de sonorités. Il faut rester prudent pour ne pas être réducteur. A ses origines, à Detroit, dans les années 1980, la techno était une musique synthétique créée avec des machines dans le but de faire danser. Le concept est plutôt basique et hédoniste. Instrumentale, elle n’a pas vocation comme le rap, par exemple, à traiter des problèmes des quartiers. Si les machines sont privilégiées, elles ne sont pas exclusives. Par exemple, le saxophone est au coeur de mon tube The Man with the Red Face.

    La techno est une suite logique du jazz. Comme lui, elle est une forme de liberté, d’expression et d’expérimentation, éloignée des formatages radiophoniques. Quant aux amalgames sur les drogues, j’ai renoncé à m’énerver contre ces raccourcis ridicules. La drogue a toujours été liée au monde de la nuit et de la fête. Pourquoi stigmatiser la techno ? Est-ce que, pendant le Festival de Cannes, on parle de la consommation de cocaïne ? Non, on parle de cinéma.

    (...)

    Dans le livret qui accompagnait son dernier album, I’m New Here, le chanteur américain Gil Scott-Heron donnait quelques instructions pour en profiter pleinement : couper son téléphone portable, passer le disque d’une traite... Est-ce qu’on écoute bien la musique aujourd’hui ?

    La façon de consommer la musique a été bouleversée. Sur les plateformes de streaming comme Spotify et Deezer, les gens se branchent sur des radios thématiques ou des playlists. Ils n’écoutent plus d’albums. Les jeunes téléchargent la piste 10 et la piste 12 d’un disque. Comme si, dans un film, on disait : « J’aime uniquement la scène où le héros plonge dans la Seine et celle quand il court tout nu dans les rues de Paris. Le reste ne m’intéresse pas. » Un album raconte une histoire. Il est le fruit d’un travail personnel, d’une réflexion. Malheureusement, la musique est devenue un produit jetable. Un consommable.

    Les DJ stars de l’electronic dance music, comme Calvin Harris, Tiësto, Guetta, Swedish House Mafia, Avicii, génèrent des dizaines de millions d’euros de recettes. A Las Vegas, par exemple, les casinos commencent à réaliser plus de bénéfices avec des soirées dans leurs clubs qu’avec leurs salles de jeu.

    Le fait de ne plus générer d’argent avec la vente des disques a poussé certains DJ à devenir de véritables businessmans. Ils font appel à des agents peu scrupuleux qui demandent des sommes indécentes. Dans le monde de l’electronic dance music, mais aussi dans celui de la techno, des DJ prennent 50000 à 60000 euros pour jouer lors d’un festival, au prétexte qu’ils revendiquent 2 millions de fans sur Facebook. C’est de la folie. Comme dans le rock ou dans le hip-hop, on assiste à des dérives.

    Vous a-t-on déjà proposé d’assurer certaines dates dans le genre de celles de Las Vegas ?

    J’ai fait certaines dates importantes, mais ce ne sont pas les concerts les plus intéressants. On demande aux artistes de mixer seulement une heure. Je refuse généralement. J’aime jouer longtemps. Je suis toujours le vilain petit canard. L’argent ne m’a jamais excité. Je n’ai pas besoin de m’acheter un yacht. Je préfère collaborer avec des petites structures qui placent la musique au centre des discussions. C’est ma façon de faire depuis vingt-cinq ans.

    #Laurent_Garnier #tek #zique