• #Inde : dans les champs du #Pendjab, la colère s’enracine

    Depuis leur soulèvement en 2021, les paysans du sous-continent sont revenus aux champs. Mais dans le grenier à #blé du pays, la révolte gronde toujours et la sortie de la #monoculture_intensive est devenue une priorité des #syndicats_agricoles.

    « Nous sommes rassemblés parce que la situation des agriculteurs est dans l’impasse. Dans le Pendjab, les paysans sont prisonniers de la monoculture du blé et du #riz, qui épuise les #nappes_phréatiques », explique Kanwar Daleep, président du grand syndicat agricole #Kisan_Marzoor. À ses côtés, ils sont une centaine à bloquer la ligne de train qui relie la grande ville d’Amritsar, dans le Pendjab, à New Delhi, la capitale du pays. Au milieu d’immenses champs de blé, beaucoup sont des paysans sikhs, reconnaissables à leur barbe et à leur turban.

    C’est d’ici qu’est parti le plus grand mouvement de contestation de l’Inde contemporaine. Pour s’opposer à la #libéralisation du secteur agricole, des paysans du Pendjab en colère puis des fermiers de toute l’Inde ont encerclé New Delhi pacifiquement mais implacablement en décembre 2020 et en 2021, bravant froids hivernaux, coronavirus et police. En novembre 2021, le premier ministre Narendra Modi a finalement suspendu sa #réforme, dont une des conséquences redoutées aurait été la liquidation des tarifs minimums d’achat garantis par l’État sur certaines récoltes.

    « Depuis cette #révolte historique, les agriculteurs ont compris que le peuple avait le pouvoir, juge #Sangeet_Toor, écrivaine et militante de la condition paysanne, basée à Chandigarh, la capitale du Pendjab. L’occupation est finie, mais les syndicats réclament un nouveau #modèle_agricole. Ils se sont emparés de sujets tels que la #liberté_d’expression et la #démocratie. »

    Pour Kanwar Daleep, le combat entamé en 2020 n’est pas terminé. « Nos demandes n’ont pas été satisfaites. Nous demandons à ce que les #prix_minimums soient pérennisés mais aussi étendus à d’autres cultures que le blé et le riz, pour nous aider à régénérer les sols. »

    C’est sur les terres du Pendjab, très plates et fertiles, arrosées par deux fleuves, que le gouvernement a lancé dans les années 1960 un vaste programme de #plantation de semences modifiées à grand renfort de #fertilisants et de #pesticides. Grâce à cette « #révolution_verte », la production de #céréales a rapidement explosé – l’Inde est aujourd’hui un pays exportateur. Mais ce modèle est à bout de souffle. Le père de la révolution verte en Inde, #Monkombu_Sambasivan_Swaminathan, mort en septembre, alertait lui-même sur les dérives de ce #productivisme_agricole forcené.

    « La saison du blé se finit, je vais planter du riz », raconte Purun Singh, qui cultive 15 hectares près de la frontière du Pakistan. « Pour chaque hectare, il me faut acheter 420 euros de fertilisants et pesticides. J’obtiens 3 000 kilos dont je tire environ 750 euros. Mais il y a beaucoup d’autres dépenses : l’entretien des machines, la location des terrains, l’école pour les enfants… On arrive à se nourrir mais notre compte est vide. » Des récoltes aléatoires vendues à des prix qui stagnent… face à un coût de la vie et des intrants de plus en plus élevé et à un climat imprévisible. Voilà l’équation dont beaucoup de paysans du Pendjab sont prisonniers.

    Cet équilibre financier précaire est rompu au moindre aléa, comme les terribles inondations dues au dérèglement des moussons cet été dans le sud du Pendjab. Pour financer les #graines hybrides et les #produits_chimiques de la saison suivante, les plus petits fermiers en viennent à emprunter, ce qui peut conduire au pire. « Il y a cinq ans, j’ai dû vendre un hectare pour rembourser mon prêt, raconte l’agriculteur Balour Singh. La situation et les récoltes ne se sont pas améliorées. On a dû hypothéquer nos terrains et je crains qu’ils ne soient bientôt saisis. Beaucoup de fermiers sont surendettés comme moi. » Conséquence avérée, le Pendjab détient aujourd’hui le record de #suicides de paysans du pays.

    Champs toxiques

    En roulant à travers les étendues vertes du grenier de l’Inde, on voit parfois d’épaisses fumées s’élever dans les airs. C’est le #brûlage_des_chaumes, pratiqué par les paysans lorsqu’ils passent de la culture du blé à celle du riz, comme en ce mois d’octobre. Cette technique, étroitement associée à la monoculture, est responsable d’une très importante #pollution_de_l’air, qui contamine jusqu’à la capitale, New Delhi. Depuis la route, on aperçoit aussi des fermiers arroser leurs champs de pesticides toxiques sans aucune protection. Là encore, une des conséquences de la révolution verte, qui place le Pendjab en tête des États indiens en nombre de #cancers.

    « Le paradigme que nous suivons depuis les années 1960 est placé sous le signe de la #sécurité_alimentaire de l’Inde. Où faire pousser ? Que faire pousser ? Quelles graines acheter ? Avec quels intrants les arroser ? Tout cela est décidé par le marché, qui en tire les bénéfices », juge Umendra Dutt. Depuis le village de Jaito, cet ancien journaliste a lancé en 2005 la #Kheti_Virasat_Mission, une des plus grandes ONG du Pendjab, qui a aujourd’hui formé des milliers de paysans à l’#agriculture_biologique. « Tout miser sur le blé a été une tragédie, poursuit-il. D’une agriculture centrée sur les semences, il faut passer à une agriculture centrée sur les sols et introduire de nouvelles espèces, comme le #millet. »

    « J’ai décidé de passer à l’agriculture biologique en 2015, parce qu’autour de moi de nombreux fermiers ont développé des maladies, notamment le cancer, à force de baigner dans les produits chimiques », témoigne Amar Singh, formé par la Kheti Virasat Mission. J’ai converti deux des quatre hectares de mon exploitation. Ici, auparavant, c’était du blé. Aujourd’hui j’y plante du curcuma, du sésame, du millet, de la canne à sucre, sans pesticides et avec beaucoup moins d’eau. Cela demande plus de travail car on ne peut pas utiliser les grosses machines. Je gagne un peu en vendant à des particuliers. Mais la #transition serait plus rapide avec l’aide du gouvernement. »

    La petite parcelle bio d’Amar Singh est installée au milieu d’hectares de blé nourris aux produits chimiques. On se demande si sa production sera vraiment « sans pesticides ». Si de plus en plus de paysans sont conscients de la nécessité de cultiver différemment, la plupart peinent à le faire. « On ne peut pas parler d’une tendance de fond, confirme Rajinder Singh, porte-parole du syndicat #Kirti_Kazan_Union, qui veut porter le combat sur le plan politique. Lorsqu’un agriculteur passe au bio, sa production baisse pour quelques années. Or ils sont déjà très endettés… Pour changer de modèle, il faut donc subventionner cette transition. »

    Kanwar Daleep, du Kisan Marzoor, l’affirme : les blocages continueront, jusqu’à obtenir des garanties pour l’avenir des fermiers. Selon lui, son syndicat discute activement avec ceux de l’État voisin du Haryana pour faire front commun dans la lutte. Mais à l’approche des élections générales en Inde en mai 2024, la reprise d’un mouvement de masse est plus une menace brandie qu’une réalité. Faute de vision des pouvoirs publics, les paysans du Pendjab choisissent pour l’instant l’expectative. « Les manifestations peuvent exploser à nouveau, si le gouvernement tente à nouveau d’imposer des réformes néfastes au monde paysan », juge Sangeet Toor.

    https://www.mediapart.fr/journal/international/281223/inde-dans-les-champs-du-pendjab-la-colere-s-enracine
    #agriculture #monoculture #résistance

  • Scholars Who Study the Middle East Are Afraid to Speak Out
    https://www.chronicle.com/article/scholars-who-study-the-middle-east-are-afraid-to-speak-out

    American college campuses have been at the center of charged political disputes in the weeks since Hamas attacked Israel on October 7, and the subsequent attacks by Israel on Gaza. These heated debates have focused on the pressures on university presidents to take a stand, the behavior of student groups, allegations of antisemitism, and the censorship of pro-Palestinian speech. But less attention has been paid to one group directly affected by the controversies: the scholars who work on and teach about the Middle East, who every day concentrate professionally on issues related to the Israeli-Palestinian dispute.

    #états-unis #démocratie #nos_valeurs #censure #liberté_d’expression #criminel

  • Conflit israélo-palestinien : une #chape_de_plomb s’est abattue sur l’université française

    Depuis les attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, le milieu de la #recherche, en particulier les spécialistes du Proche-Orient, dénonce un climat de « #chasse_aux_sorcières » entretenu par le gouvernement pour toute parole jugée propalestinienne.

    « #Climat_de_peur », « chasse aux sorcières », « délation » : depuis les attaques du Hamas contre Israël, le 7 octobre dernier, et le déclenchement de l’offensive israélienne sur #Gaza, le malaise est palpable dans une partie de la #communauté_scientifique française, percutée par le conflit israélo-palestinien.

    Un #débat_scientifique serein, à distance des agendas politiques et de la position du gouvernement, est-il encore possible ? Certains chercheurs et chercheuses interrogés ces derniers jours en doutent fortement.

    Dans une tribune publiée sur Mediapart (https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/151123/defendre-les-libertes-dexpression-sur-la-palestine-un-enjeu-academiq), 1 400 universitaires, pour beaucoup « spécialistes des sociétés du Moyen-Orient et des mondes arabes », ont interpellé leurs tutelles et collègues « face aux faits graves de #censure et de #répression […] dans l’#espace_public français depuis les événements dramatiques du 7 octobre ».

    Ils et elles assurent subir au sein de leurs universités « des #intimidations, qui se manifestent par l’annulation d’événements scientifiques, ainsi que des entraves à l’expression d’une pensée académique libre ».

    Deux jours après l’attaque du Hamas, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, #Sylvie_Retailleau, avait adressé un courrier de mise en garde aux présidents d’université et directeurs d’instituts de recherche.

    Elle y expliquait que, dans un contexte où la France avait « exprimé sa très ferme condamnation ainsi que sa pleine solidarité envers Israël et les Israéliens » après les attaques terroristes du 7 octobre, son ministère avait constaté « de la part d’associations, de collectifs, parfois d’acteurs de nos établissements, des actions et des propos d’une particulière indécence ».

    La ministre leur demandait de « prendre toutes les mesures nécessaires afin de veiller au respect de la loi et des principes républicains » et appelait également à signaler aux procureurs « l’#apologie_du_terrorisme, l’#incitation_à_la_haine, à la violence et à la discrimination ».

    Un message relayé en cascade aux différents niveaux hiérarchiques du CNRS, jusqu’aux unités de recherche, qui ont reçu un courrier le 12 octobre leur indiquant que l’« expression politique, la proclamation d’opinion » ne devaient pas « troubler les conditions normales de travail au sein d’un laboratoire ».

    Censure et #autocensure

    Le ton a été jugé menaçant par nombre de chercheurs et chercheuses puisque étaient évoquées, une fois de plus, la possibilité de « #poursuites_disciplinaires » et la demande faite aux agents de « signaler » tout écart.

    Autant de missives que des universitaires ont interprétées comme un appel à la délation et qu’ils jugent aujourd’hui responsables du « #climat_maccarthyste » qui règne depuis plusieurs semaines sur les campus et dans les laboratoires, où censure et autocensure sont de mise.

    Au point que bon nombre se retiennent de partager leurs analyses et d’exprimer publiquement leur point de vue sur la situation au Proche-Orient. Symbole de la chape de plomb qui pèse sur le monde académique, la plupart de celles et ceux qui ont accepté de répondre à nos questions ont requis l’anonymat.

    « Cela fait plus de vingt ans que j’interviens dans le #débat_public sur le sujet et c’est la première fois que je me suis autocensurée par peur d’accusations éventuelles », nous confie notamment une chercheuse familière des colonnes des grands journaux nationaux. Une autre décrit « des échanges hyper violents » dans les boucles de mails entre collègues universitaires, empêchant tout débat apaisé et serein. « Même dans les laboratoires et collectifs de travail, tout le monde évite d’évoquer le sujet », ajoute-t-elle.

    « Toute prise de parole qui ne commencerait pas par une dénonciation du caractère terroriste du Hamas et la condamnation de leurs actes est suspecte », ajoute une chercheuse signataire de la tribune des 1 400.

    Au yeux de certains, la qualité des débats universitaires se serait tellement dégradée que la production de connaissance et la capacité de la recherche à éclairer la situation au Proche-Orient s’en trouvent aujourd’hui menacées.

    « La plupart des médias et des responsables politiques sont pris dans un #hyperprésentisme qui fait commencer l’histoire le 7 octobre 2023 et dans une #émotion qui ne considère légitime que la dénonciation, regrette Didier Fassin, anthropologue, professeur au Collège de France, qui n’accepte de s’exprimer sur le sujet que par écrit. Dans ces conditions, toute perspective réellement historique, d’une part, et tout effort pour faire comprendre, d’autre part, se heurtent à la #suspicion. »

    En s’autocensurant, et en refusant de s’exprimer dans les médias, les spécialistes reconnus du Proche-Orient savent pourtant qu’ils laissent le champ libre à ceux qui ne craignent pas les approximations ou les jugements à l’emporte-pièce.

    « C’est très compliqué, les chercheurs établis sont paralysés et s’interdisent de répondre à la presse par crainte d’être renvoyés à des prises de position politiques. Du coup, on laisse les autres parler, ceux qui ne sont pas spécialistes, rapporte un chercheur lui aussi spécialiste du Proche-Orient, qui compte parmi les initiateurs de la pétition. Quant aux jeunes doctorants, au statut précaire, ils s’empêchent complètement d’évoquer le sujet, même en cours. »

    Stéphanie Latte Abdallah, historienne spécialiste de la Palestine, directrice de recherche au CNRS, a été sollicitée par de nombreux médias ces dernières semaines. Au lendemain des attaques du Hamas, elle fait face sur certains plateaux télé à une ambiance électrique, peu propice à la nuance, comme sur Public Sénat, où elle se trouve sous un feu de questions indignées des journalistes, ne comprenant pas qu’elle fasse une distinction entre l’organisation de Daech et celle du Hamas…

    Mises en cause sur les #réseaux_sociaux

    À l’occasion d’un des passages télé de Stéphanie Latte Abdallah, la chercheuse Florence Bergeaud-Blackler, membre du CNRS comme elle, l’a désignée sur le réseau X, où elle est très active, comme membre d’une école de pensée « antisioniste sous couvert de recherche scientifique », allant jusqu’à dénoncer sa « fausse neutralité, vraie détestation d’Israël et des juifs ».

    S’est ensuivi un déluge de propos haineux à connotation souvent raciste, « des commentaires parfois centrés sur mon nom et les projections biographiques qu’ils pouvaient faire à partir de celui-ci », détaille Stéphanie Latte Abdallah, qui considère avoir été « insultée et mise en danger ».

    « Je travaille au Proche-Orient. Cette accusation qui ne se base sur aucun propos particulier, et pour cause (!), est choquante venant d’une collègue qui n’a de plus aucune expertise sur la question israélo-palestinienne et aucune idée de la situation sur le terrain, comme beaucoup de commentateurs, d’ailleurs », précise-t-elle.

    Selon nos informations, un courrier de rappel à l’ordre a été envoyé par la direction du CNRS à Florence Bergeaud-Blackler, coutumière de ce type d’accusations à l’égard de ses collègues via les réseaux sociaux. La direction du CNRS n’a pas souhaité confirmer.

    Commission disciplinaire

    À l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), après la diffusion le 8 octobre d’un communiqué de la section syndicale Solidaires étudiant·e·s qui se prononçait pour un « soutien indéfectible à la lutte du peuple palestinien dans toutes ses modalités et formes de lutte, y compris la lutte armée », la direction a effectué un signalement à la plateforme Pharos, qui traite les contenus illicites en ligne.

    Selon nos informations, une chercheuse du CNRS qui a relayé ce communiqué sur une liste de discussion interne, en y apportant dans un premier temps son soutien, est aujourd’hui sous le coup d’une procédure disciplinaire. Le fait qu’elle ait condamné les massacres de civils dans deux messages suivants et pris ses distances avec le communiqué de Solidaires étudiant·e·s n’y a rien fait. Une « commission paritaire » – disciplinaire en réalité – sur son cas est d’ores et déjà programmée.

    « Il s’agit d’une liste intitulée “opinions” où l’on débat habituellement de beaucoup de sujets politiques de façon très libre », nous précise un chercheur qui déplore le climat de suspicion généralisée qui s’est installé depuis quelques semaines.

    D’autres rappellent l’importance de la chronologie puisque, le 8 octobre, l’ampleur des crimes contre les civils perpétrés par le Hamas n’était pas connue. Elle le sera dès le lendemain, à mesure que l’armée israélienne reprend le contrôle des localités attaquées.

    Autre cas emblématique du climat inhabituellement agité qui secoue le monde universitaire ces derniers jours, celui d’un enseignant-chercheur spécialiste du Moyen-Orient dénoncé par une collègue pour une publication postée sur sa page Facebook privée. Au matin du 7 octobre, Nourdine* (prénom d’emprunt) poste sur son compte une photo de parapentes de loisir multicolores, assortie de trois drapeaux palestiniens et trois émoticônes de poing levé. Il modifie aussi sa photo de couverture avec une illustration de Handala, personnage fictif et icône de la résistance palestinienne, pilotant un parapente.

    À mesure que la presse internationale se fait l’écho des massacres de civils israéliens auxquels ont servi des ULM, que les combattants du Hamas ont utilisés pour franchir la barrière qui encercle la bande de Gaza et la sépare d’Israël, le chercheur prend conscience que son post Facebook risque de passer pour une célébration sordide des crimes du Hamas. Il le supprime moins de vingt-quatre heures après sa publication. « Au moment où je fais ce post, on n’avait pas encore la connaissance de l’étendue des horreurs commises par le Hamas, se défend-il. Si c’était à refaire, évidemment que je n’aurais pas publié ça, j’ai été pétri de culpabilité. »

    Trop tard pour les regrets. Quatre jours après la suppression de la publication, la direction du CNRS, dont il est membre, est destinataire d’un mail de dénonciation. Rédigé par l’une de ses consœurs, le courrier relate le contenu du post Facebook, joint deux captures d’écran du compte privé de Nourdine et dénonce un « soutien enthousiaste à un massacre de masse de civils ».

    Elle conclut son mail en réclamant « une réaction qui soit à la mesure de ces actes et des conséquences qu’ils emportent », évoquant des faits pouvant relever de « l’apologie du terrorisme » et susceptibles d’entacher la réputation du CNRS.

    On est habitués à passer sur le gril de l’islamo-gauchisme et aux attaques extérieures, mais pas aux dénonciations des collègues.

    Nourdine, chercheur

    Lucide sur la gravité des accusations portées à son égard, Nourdine se dit « démoli ». Son état de santé préoccupe la médecine du travail, qui le met en arrêt et lui prescrit des anxiolytiques. Finalement, la direction de l’université où il enseigne décide de ne prendre aucune sanction contre lui.

    Également directeur adjoint d’un groupe de recherche rattaché au CNRS, il est néanmoins pressé par sa hiérarchie de se mettre en retrait de ses fonctions, ce qu’il accepte. Certaines sources universitaires affirment que le CNRS avait lui-même été mis sous pression par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche pour sanctionner Nourdine.

    Le chercheur regrette des « pratiques vichyssoises » et inédites dans le monde universitaire, habitué aux discussions ouvertes même lorsque les débats sont vifs et les désaccords profonds. « Des collègues interloqués par mon post m’ont écrit pour me demander des explications. On en a discuté et je me suis expliqué. Mais la collègue qui a rédigé la lettre de délation n’a prévenu personne, n’a pas cherché d’explications auprès de moi. Ce qui lui importait, c’était que je sois sanctionné », tranche Nourdine. « On est habitués à passer sur le gril de l’#islamo-gauchisme et aux #attaques extérieures, mais pas aux dénonciations des collègues », finit-il par lâcher, amer.

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    Sciences Po en butte aux tensions

    Ce mardi 21 novembre, une manifestation des étudiants de Sciences Po en soutien à la cause palestinienne a été organisée rue Saint-Guillaume. Il s’agissait aussi de dénoncer la « censure » que subiraient les étudiants ayant trop bruyamment soutenu la cause palestinienne.

    Comme l’a raconté L’Obs, Sciences Po est confronté à de fortes tensions entre étudiants depuis les attaques du Hamas du 7 octobre. Le campus de Menton, spécialisé sur le Proche-Orient, est particulièrement en ébullition.

    Une boucle WhatsApp des « Students for Justice in Palestine », créée par un petit groupe d’étudiants, est notamment en cause. L’offensive du Hamas y a notamment été qualifiée de « résistance justifiée » et certains messages ont été dénoncés comme ayant des relents antisémites. Selon l’hebdomadaire, plusieurs étudiants juifs ont ainsi dit leur malaise à venir sur le campus ces derniers jours, tant le climat y était tendu. La direction a donc convoqué un certain nombre d’étudiants pour les rappeler à l’ordre.

    Lors d’un blocus sur le site de Menton, 66 étudiants ont été verbalisés pour participation à une manifestation interdite.

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    En dehors des cas particuliers précités, nombre d’universitaires interrogés estiment que le climat actuel démontre que le #monde_académique n’a pas su résister aux coups de boutoir politiques.

    « Ce n’est pas la première fois qu’une telle situation se produit », retrace Didier Fassin. « On l’avait vu, sous la présidence actuelle, avec les accusations d’islamo-gauchisme contre les chercheuses et chercheurs travaillant sur les discriminations raciales ou religieuses. On l’avait vu, sous les deux présidences précédentes, avec l’idée qu’expliquer c’est déjà vouloir excuser », rappelle-t-il en référence aux propos de Manuel Valls, premier ministre durant le quinquennat Hollande, qui déclarait au sujet de l’analyse sociale et culturelle de la violence terroriste : « Expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. »

    « Il n’en reste pas moins que pour un certain nombre d’entre nous, nous continuons à essayer de nous exprimer, à la fois parce que nous croyons que la démocratie de la pensée doit être défendue et surtout parce que la situation est aujourd’hui trop grave dans les territoires palestiniens pour que le silence nous semble tolérable », affirme Didier Fassin.

    Contactée, la direction du #CNRS nous a répondu qu’elle ne souhaitait pas s’exprimer sur les cas particuliers. « Il n’y a pas à notre connaissance de climat de délation ou des faits graves de censure. Le CNRS reste très attaché à la liberté académique des scientifiques qu’il défend depuis toujours », nous a-t-elle assuré.

    Une répression qui touche aussi les syndicats

    À la fac, les syndicats sont aussi l’objet du soupçon, au point parfois d’écoper de sanctions. Le 20 octobre, la section CGT de l’université Savoie-Mont-Blanc (USMB) apprend sa suspension à titre conservatoire de la liste de diffusion mail des personnels, par décision du président de l’établissement, Philippe Galez. En cause : l’envoi d’un message relayant un appel à manifester devant la préfecture de Savoie afin de réclamer un cessez-le-feu au Proche-Orient et dénonçant notamment « la dérive ultra-sécuritaire de droite et d’extrême droite en Israël et la politique de nettoyage ethnique menée contre les Palestiniens ».

    La présidence de l’université, justifiant sa décision, estime que le contenu de ce message « dépasse largement le cadre de l’exercice syndical » et brandit un « risque de trouble au bon fonctionnement de l’établissement ». La manifestation concernée avait par ailleurs été interdite par la préfecture, qui invoquait notamment dans son arrêté la présence dans un rassemblement précédent « de nombreux membres issus de la communauté musulmane et d’individus liés à l’extrême gauche et ultragauche ».

    La section CGT de l’USMB n’a pas tardé à répliquer par l’envoi à la ministre Sylvie Retailleau d’un courrier, depuis resté lettre morte, dénonçant « une atteinte aux libertés syndicales ». La lettre invite par ailleurs le président de l’établissement à se plier aux consignes du ministère et à effectuer un signalement au procureur, s’il estimait que « [le] syndicat aurait “troublé le bon fonctionnement de l’établissement” ». Si ce n’est pas le cas, « la répression syndicale qui s’abat sur la CGT doit cesser immédiatement », tranche le courrier.

    « Cette suspension vient frontalement heurter la #liberté_universitaire, s’indigne Guillaume Defrance, secrétaire de la section CGT de l’USMB. C’est la fin d’un fonctionnement, si on ne peut plus discuter de manière apaisée. »

    Le syndicat dénonce également l’attitude de Philippe Galez, qui « veut désormais réguler l’information syndicale à l’USMB à l’aune de son jugement ». Peu de temps après l’annonce de la suspension de la CGT, Philippe Galez a soumis à l’ensemble des organisations syndicales un nouveau règlement relatif à l’utilisation des listes de diffusion mail. Le texte limite l’expression syndicale à la diffusion « d’informations d’origine syndicale ou à des fins de communication électorale ». Contacté par nos soins, le président de l’USMB nous a indiqué réserver dans un premier temps ses « réponses et explications aux organisations syndicales et aux personnels de [son] établissement ».

    Interrogé par Mediapart, le cabinet de Sylvie Retailleau répond que le ministère reste « attaché à la #liberté_d’expression et notamment aux libertés académiques : on ne juge pas des opinions. Il y a simplement des propos qui sont contraires à la loi ».

    Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche fait état de « quelques dizaines de cas remontés au ministère ». Il reconnaît que des événements ont pu être annulés pour ne pas créer de #trouble_à_l’ordre_public dans le climat actuel. « Ils pourront avoir lieu plus tard, quand le climat sera plus serein », assure l’entourage de la ministre.

    https://www.mediapart.fr/journal/france/211123/conflit-israelo-palestinien-une-chape-de-plomb-s-est-abattue-sur-l-univers
    #université #Israël #Palestine #France #7_octobre_2023 #délation #ESR

  • Craig Murray - sur X :

    Arrêté pour suspicion de terrorisme (écrits en faveur du droit international)

    The police specifically told me I had no right to a lawyer. They released me after 59 minutes when apparently they would have had under the Terrorism act to tell me I had the right to a lawyer after 60.

    https://twitter.com/CraigMurrayOrg/status/1714939981544780223

    #Royaume-uni #intimidation #démocraties #liberté_d’expression

  • Israël-Palestine : le secrétaire de la CGT dans le Nord en garde à vue pour « apologie du terrorisme »
    https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/nord-0/lille/israel-palestine-le-secretaire-de-la-cgt-dans-le-nord-e

    Publié le 20/10/2023 à 09h43 • Mis à jour le 20/10/2023 à 11h17
    Écrit par Martin Vanlaton
    Nord
    Hauts-de-France
    Lille
    Jean-Paul Delescaut, secrétaire de la CGT dans le Nord, a été interpellé à son domicile pour « apologie du terrorisme », affirme le syndicat. En cause selon ses camarades, un tract pro-palestinien édité le 10 octobre dernier. Un rassemblement est en cours devant le commissariat de Lille.

  • Gary Lineker dénonce un projet de loi #immigration en le comparant à « l’Allemagne nazie » - L’Équipe
    https://www.lequipe.fr/Medias/Actualites/Gary-lineker-denonce-un-projet-de-loi-immigration-en-le-comparant-a-l-allemagne-nazie/1384866

    L’ancien joueur des Three Lions, personnalité phare de la BBC, Gary Lineker n’a pas mâché ses mots pour dénoncer le projet de loi sur l’immigration illégale de la ministre de l’Intérieur britannique Stella Bravermann. « C’est juste une politique absolument cruelle dirigée contre les personnes les plus vulnérables dans un langage qui n’est pas différent de celui utilisé par l’Allemagne dans les années 30 », a-t-il écrit sur son compte Twitter mardi 7 mars.

    Le projet de loi contre l’immigration illégale présenté par le gouvernement britannique prévoit d’empêcher les migrants arrivant par la Manche de demander l’asile et de les expulser « en quelques semaines ». Pour promouvoir ce projet, la ministre s’est notamment mise en scène dans une vidéo où elle explique : « L’année dernière, plus de 45 000 personnes ont fait un voyage dangereux, inutile et illégal à travers la Manche. Notre système d’asile a été submergé. Nous dépensons désormais 7 millions de livres par jour en hôtel. » Elle assure que l’arrêt des traversés est l’une de ses priorités.

    Les termes employés par l’ancien attaquant ont offusqué Downing Street, qui les juge « inacceptables. » La BBC, qui a des directives strictes en matière d’impartialité a annoncé qu’une « conversation franche » allait être tenue avec le présentateur de la télévision publique. Lineker ne semble pas vouloir se taire et a fait savoir, mercredi 8 mars, qu’il allait « continuer de s’exprimer pour ces pauvres âmes qui n’ont pas de voix. »

    #Grande_Bretagne

  • Twitter, guerre, Chine : #Elon_Musk, un acteur #Géopolitique majeur
    https://www.blast-info.fr/emissions/2022/twitter-guerre-chine-elon-musk-un-acteur-geopolitique-majeur-rQtjWSvtT_-_

    Le 28 octobre dernier et après plusieurs mois de négociations, le milliardaire américain Elon Musk est devenu officiellement propriétaire du réseau social Twitter.

    En dépensant la modique somme de 44 milliards de dollars, l’homme le plus riche du monde…

    #Liberté_d’expression #Réseau_sociaux
    https://static.blast-info.fr/stories/2022/thumb_story_list-twitter-guerre-chine-elon-musk-un-acteur-geopolit

  • L’Allemagne sévit contre l’emploi de la lettre « Z »
    https://www.lessentiel.lu/fr/story/lallemagne-sevit-contre-lemploi-de-la-lettre-z-683793210962

    Les personnes qui utilisent ce symbole pour exprimer en public leur soutien à l’invasion russe « doivent s’attendre à des poursuites pénales », ont annoncé les autorités de Bavière et de Basse-Saxe.


    Un tee-shirt avec la lettre « Z », dans un magasin de Moscou. AFP

    Deux grandes régions allemandes, la Bavière et la Basse-Saxe, ont indiqué vouloir poursuivre toute personne utilisant en public la lettre « Z », symbole du soutien apporté à la guerre menée par la Russie de Vladimir Poutine contre l’Ukraine.

    Les gens qui « expriment publiquement leur approbation de la guerre d’agression du président russe Poutine contre l’Ukraine en utilisant ce symbole « Z » doivent s’attendre à des conséquences pénales », a déclaré le ministre de l’Intérieur de Basse-Saxe, Boris Pistorius, dans un communiqué.


    Boris Pistorius. - AFP

    Ces sympathisants du Kremlin arborant un « Z » en public « doivent savoir qu’ils peuvent être poursuivis pour avoir toléré des crimes », a prévenu quant à lui le ministre de la Justice du Land de Bavière, Georg Eisenreich, dans un message transmis à l’AFP.

    La Bavière (sud) et la Basse-Saxe (nord) sont les deux plus grands États régionaux du pays en superficie. Depuis le début de la guerre menée contre l’Ukraine, un « Z » blanc est apparu sur les chars et les uniformes des forces d’invasion russes.

    « Absolument incompréhensible »
    Ce signe a été depuis décliné dans l’espace public, en Russie mais aussi en dehors du pays et de la zone de guerre, en étant montré « sur des bâtiments, des voitures ou des vêtements », explique le ministère en Basse-Saxe.

    Que cela soit aussi le cas dans cette région d’Allemagne, lors de manifestations par exemple, est « absolument incompréhensible » et vise à « cautionner ces crimes », a ajouté M. Pistorius.

    « Chacun est autorisé à exprimer son opinion en Allemagne », mais « la liberté d’expression s’arrête là où commence le droit pénal », lui a fait écho le ministre bavarois, dont les services ont donné des instructions aux procureurs publics de Bavière.

    Le code pénal allemand punit de peines allant jusqu’à trois ans d’emprisonnement et d’une amende pécuniaire quiconque manifeste une approbation publique de guerres d’agression, susceptible de troubler l’ordre public.

    #censure #opinion #opinions #guerre #liberté_d’expression #surveillance

    • Dans les 65 pays où McKinsey est intervenu, la gestion de la crise covid a donc été faite de rapports copiés les uns sur les autres et à prix d’or pour imposer le confinement, la vaccination, les masques, interdire les traitements.
      C’est ça la #mondialisation.
      Faut coordonner les décisions.

      J’espère que le 10 avril les Français auront un peu de lucidité.
      #mac_kinsey #McKinsey

    • Un néo-nazi français de retour d’Ukraine mis en examen pour des propos racistes AFP
      https://fr.timesofisrael.com/un-neo-nazi-francais-de-retour-dukraine-mis-en-examen-pour-des-pro

      Mathieu B., un militant néonazi français de retour d’Ukraine, a été mis en examen dimanche à Paris pour des « injures » et des « provocations » à caractère raciste, a appris l’AFP jeudi de source judiciaire, confirmant une information du Monde.

      Le quotidien a raconté le retour de cet homme en France depuis l’Ukraine, en passant par la Hongrie, qui aurait été provoqué par le déclenchement de la guerre meurtrière et dévastatrice lancée par la Russie.


      Selon Le Monde, il avait fait l’objet d’une plainte déposée en octobre 2021 par l’Observatoire juif de France, et était depuis surveillé dans le cadre d’une enquête confiée par le parquet de Paris à l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de guerre.

      Les gendarmes de l’OCLCH disposent d’une unité dédiée à la haine en ligne.

      D’après le quotidien vespéral, Mathieu B., qui se surnommait également « le grand monarque » ou « Saint-Claude 88 », ces deux derniers chiffres étant une référence néo-nazie, a été interpellé à Marseille le 18 mars.

      Dans le cadre d’une information judiciaire ouverte le 20 mars, il a été « mis en examen le même jour des chefs d’injures à caractère racial et provocations à la haine et à la discrimination à caractère raciste par voie électronique », puis placé sous contrôle judiciaire, a indiqué une source judiciaire.

      Le site Conspiracy Watch, qui s’intéresse à cette mouvance, estime que les contenus qu’il publie « se caractérisent par leur racisme et leur antisémitisme outranciers ».

      « Prônant ‘la supériorité de la race aryenne’, il promeut également des thèses complotistes, négationnistes et pseudo-scientifiques (platisme, complot reptilien, énergie libre, etc) », écrit le site.

      #ukraine #racisme #antisémitisme #mercenaire #néo-nazi #Conspiracy_Watch

  • Le silence navrant des gauches françaises sur l’islamophobie
    Olivier Le Cour Grandmaison > 4 novembre 2021
    https://orientxxi.info/magazine/le-silence-navrant-des-gauches-francaises-sur-l-islamophobie,5156

    La dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France a été approuvée par une partie de la gauche parlementaire au nom de la lutte contre « l’islam politique » ; celle de la Coordination contre le racisme et l’islamophobie est passée presque inaperçue. C’est pourtant la liberté d’expression et d’association traditionnellement défendue par les partis de gauche qui est remise en cause.

    #Islamophobie #Liberté_d’expression
    #Interdiction_associations

    • Les réactions suscitées par la loi destinée à lutter contre le « séparatisme » témoignent également d’atermoiements remarquables. Cette nouvelle incrimination, qui se substitue à celle de « communautarisme » en aggravant le poids de l’accusation, puisqu’une menace existentielle est supposée peser sur la République, est au principe de cette législation de circonstance. Rebaptisée loi « confortant le respect des principes républicains », par des communicants et des politiques désireux de se conformer à la doxa du pouvoir et d’élargir ainsi leurs soutiens, elle a donné lieu à des votes surprenants. Si LFI a fermement rejeté ce texte et dénoncé la « stigmatisation des musulmans » comme de nombreuses ONG, on découvre que plusieurs personnalités se sont abstenues. C’est le cas du secrétaire national du Parti communiste Fabien Roussel, et de l’ancienne ministre de la jeunesse et des sports Marie-Georges Buffet, tous deux rejoints par les députés du Parti socialiste.

    • Utiliser le mot « islamophobie » cette horreur créée pour copier le mot « homophobie » et se faire passer pour des martyrs, pour l’islam politique, sexiste, raciste, antisémite et homophobe, utiliser, donc, le mot islamophobie montre un soutien à l’islam politique.
      Mais tous les aveugles, de gauche en particulier, qui pleurnichent sur des agresseurs de la pire espèce, me font bigrement penser à ceux qui soutenaient l’URSS dans les années 1950.

  • #Liberté_académique et #justice_sociale

    On assiste en #Amérique_du_Nord à une recomposition du paysage académique, qui met l’exercice des #libertés_universitaires aux prises avec des questions de justice sociale, liées, mais pas seulement, au militantisme « #woke », souvent mal compris. Publication du premier volet d’un entretien au long cours avec #Isabelle_Arseneau et #Arnaud_Bernadet, professeurs à l’Université McGill de Montréal.

    Alors que se multiplient en France les prises de position sur les #libertés_académiques – voir par exemple cette « défense et illustration » -, un débat à la fois vif et très nourri se développe au #Canada depuis plus d’un an, après que des universitaires ont dû faire face à des plaintes pour #racisme, parfois à des suspensions de leur contrat, en raison de l’utilisation pédagogique qu’ils avaient faite des mots « #nègre » ou « #sauvages ». Significativement, un sondage récent auprès des professeurs d’université du Québec indique qu’une majorité d’entre eux pratiquent diverses formes d’#autocensure. C’est dans ce contexte qu’Isabelle Arseneau et Arnaud Bernadet, professeurs au Département des littératures de langue française, de traduction et de création de l’Université McGill de Montréal, ont été conduits à intervenir activement dans le débat, au sein de leur #université, mais aussi par des prises de position publiques dans la presse et surtout par la rédaction d’un mémoire, solidement argumenté et très remarqué, qui a été soumis et présenté devant la Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique dans le milieu universitaire.

    Initiée en février 2021 par le premier ministre du Québec, François Legault, cette commission a auditionné de nombreux acteurs, dont les contributions sont souvent de grande qualité. On peut télécharger ici le mémoire des deux universitaires et suivre leur audition grâce à ce lien (début à 5 :15 :00). La lecture du présent entretien peut éclairer et compléter aussi bien le mémoire que l’audition. En raison de sa longueur, je publie cet entretien en deux parties. La première partie est consacrée aux exemples concrets de remise en cause de la liberté de citer certains mots en contexte universitaire et traite des conséquences de ces pratiques sur les libertés académiques. Cette première partie intègre aussi une analyse critique de la tribune parue ce jour dans Le Devoir, co-signée par Blanquer et le ministre de l’Education du Québec, lesquels s’attaquent ensemble et de front à la cancel culture. La seconde partie, à paraître le vendredi 29 octobre, portera plus précisément sur le mouvement « woke », ses origines et ses implications politiques, mais aussi sur les rapports entre science et société. Je tiens à remercier chaleureusement Isabelle Arseneau et Arnaud Bernadet d’avoir accepté de répondre à mes questions et d’avoir pris le temps de construire des réponses précises et argumentées, dont la valeur tient tout autant à la prise critique de ces deux universitaires qu’aux disciplines qui sont les leurs et qui informent leur réflexion. Ils coordonnent actuellement un volume collectif interdisciplinaire, Libertés universitaires : un an de débat au Québec (2020-2021), à paraître prochainement.

    Entretien, première partie

    1. Pourriez-vous exposer le plus factuellement possible ce qui s’est passé au mois de septembre 2020 à l’université d’Ottawa et à l’université McGill de Montréal ?

    Isabelle Arseneau. À l’automne 2020 éclatait à l’Université d’Ottawa une affaire qui a passionné le Québec et a connu d’importantes suites politiques : à l’occasion d’une séance d’enseignement virtuel sur la représentation des identités en art, une chargée de cours, #Verushka_Lieutenant-Duval, expliquait à ses étudiants comment l’injure « #nigger » a été réutilisée par les communautés afro-américaines comme marqueur subversif dans les années 1960. Parce qu’elle a mentionné le mot lui-même en classe, l’enseignante est devenue aussitôt la cible de #plaintes pour racisme et, au terme d’une cabale dans les #réseaux_sociaux, elle a été suspendue temporairement par son administration. Au même moment, des incidents à peu près analogues se produisaient au Département des littératures de langue française, de traduction et de création de l’Université McGill, où nous sommes tous les deux professeurs. Dans un cours d’introduction à la littérature québécoise, une chargée de cours a mis à l’étude Forestiers et voyageurs de #Joseph-Charles_Taché, un recueil de contes folkloriques paru en 1863 et qui relate les aventures d’un « Père Michel » qui arpente le pays et documente ses « mœurs et légendes ». Des étudiants interrompent la séance d’enseignement virtuel et reprochent à l’enseignante de leur avoir fait lire sans avertissement préalable une œuvre contenant les mots « Nègres » et « Sauvages ». Quelques jours plus tard, des plaintes pour racisme sont déposées contre elle. Le dossier est alors immédiatement pris en charge par la Faculté des Arts, qui lui suggère de s’excuser auprès de sa classe et d’adapter son enseignement aux étudiants que pourrait offenser la lecture des six autres classiques de la littérature québécoise prévus au syllabus (dont L’Hiver de force de Réjean Ducharme et Les Fous de Bassan d’Anne Hébert). Parmi les mesures d’accommodement, on lui conseille de fournir des « avertissements de contenu » (« #trigger_warnings ») pour chacune des œuvres à l’étude ; de se garder de prononcer à voix haute les mots jugés sensibles et de leur préférer des expressions ou des lettres de remplacement (« n », « s », « mot en n » « mot en s »). Trois mois plus tard, nous apprendrons grâce au travail d’enquête de la journaliste Isabelle Hachey (1) que les plaignants ont pu obtenir, après la date limite d’abandon, un remboursement de leurs frais de scolarité et les trois crédits associés à ce cours qu’ils n’ont cependant jamais suivi et pour lequel ils n’ont validé qu’une partie du travail.

    Lorsque j’ai imaginé notre doctorante en train de caviarder ses notes de cours et ses présentations Powerpoint, ça a fait tilt. Un an plus tôt, je travaillais à la Public Library de New York sur un manuscrit du XIIIe siècle dont la première image avait été grattée par un lecteur ou un possesseur offensé par le couple enlacé qu’elle donnait jusque-là à voir. La superposition de ces gestes de censure posés à plusieurs siècles d’intervalle témoignait d’un recul de la liberté universitaire que j’associais alors plus spontanément aux campus américains, sans pour autant nous imaginer à l’abri de cette vague venue du sud (2). Devant de tels dérapages, mon collègue Arnaud Bernadet et moi avons communiqué avec tous les étages de la hiérarchie mcgilloise. Las de nous heurter à des fins de non-recevoir, nous avons cosigné une série de trois lettres dans lesquelles nous avons dénoncé la gestion clientéliste de notre université (3). Malgré nos sorties répétées dans les médias traditionnels, McGill est demeurée silencieuse et elle l’est encore à ce jour.

    2. Pour être concret, qu’est-ce qui fait que l’emploi du mot « nègre » ou « sauvages » dans un cours est légitime ?

    Isabelle Arseneau. Vous évoquez l’emploi d’un mot dans un cadre pédagogique et il me semble que toute la question est là, dans le terme « emploi ». À première vue, le contexte de l’énonciation didactique ne se distingue pas des autres interactions sociales et ne justifie pas qu’on puisse déroger aux tabous linguistiques. Or il se joue dans la salle de classe autre chose que dans la conversation ordinaire : lorsque nous enseignons, nous n’employons pas les mots tabous, nous les citons, un peu comme s’il y avait entre nous et les textes lus ou la matière enseignée des guillemets. C’est de cette distinction capitale qu’ont voulu rendre compte les sciences du langage en opposant le signe en usage et le signe en mention. Citer le titre Nègres blancs d’Amérique ou le terme « Sauvages » dans Forestiers et Voyageurs ne revient pas à utiliser ces mêmes termes. De la même façon, il y a une différence entre traiter quelqu’un de « nègre » dans un bus et relever les occurrences du terme dans une archive, une traite commerciale de l’Ancien Régime ou un texte littéraire, même contemporain. Dans le premier cas, il s’agit d’un mot en usage, qui relève, à n’en pas douter, d’un discours violemment haineux et raciste ; dans l’autre, on n’emploie pas mais on mentionne des emplois, ce qui est différent. Bien plus, le mot indexe ici des représentations socialement et historiquement situées, que le professeur a la tâche de restituer (pour peu qu’on lui fournisse les conditions pour le faire). Si cette distinction entre l’usage et la mention s’applique à n’importe quel contexte d’énonciation, il va de soi qu’elle est très fréquente et pleinement justifiée — « légitime », oui — en contexte pédagogique. Il ne s’agit donc bien évidemment pas de remettre en circulation — en usage — des mots chargés de haine mais de pouvoir continuer à mentionner tous les mots, même les plus délicats, dans le contexte d’un exercice bien balisé, l’enseignement, dont on semble oublier qu’il suppose d’emblée un certain registre de langue.

    3. Ce qui étonne à partir de ces exemples – et il y en a d’autres du même type -, c’est que l’administration et la direction des universités soutiennent les demandes des étudiants, condamnent les enseignants et vont selon vous jusqu’à enfreindre des règles élémentaires de déontologie et d’éthique. Comment l’expliquez-vous ? L’institution universitaire a-t-elle renoncé à défendre ses personnels ?

    Arnaud Bernadet. Il faut naturellement conserver à l’esprit ici ce qui sépare les universités nord-américaines des institutions françaises. On soulignera deux différences majeures. D’une part, elles sont acquises depuis longtemps au principe d’autonomie. Elles se gèrent elles-mêmes, tout en restant imputables devant l’État, notamment au plan financier. Soulignons par ailleurs qu’au Canada les questions éducatives relèvent avant tout des compétences des provinces et non du pouvoir fédéral. D’autre part, ces universités obéissent à un modèle entrepreneurial. Encore convient-il là encore d’introduire des nuances assez fortes, notamment en ce qui concerne le réseau québécois, très hétérogène. Pour simplifier à l’extrême, les universités francophones sont plus proches du modèle européen, tandis que les universités anglophones, répliques immédiates de leurs voisines états-uniennes, semblent davantage inféodées aux pratiques néo-libérales.

    Quoi qu’il en soit, la situation décrite n’a rien d’inédit. Ce qui s’est passé à l’Université d’Ottawa ou à l’Université McGill s’observe depuis une dizaine d’années aux États-Unis. La question a été très bien documentée, au tournant de l’année 2014 sous la forme d’articles puis de livres, par deux sociologues, Bradley Campbell et Jason Manning (The Rise of Victimhood Culture) et deux psychologues, Jonathan Haidt et Greg Lukianoff (The Coddling of the American Mind). Au reste, on ne compte plus sur les campus, et parmi les plus progressistes, ceux de l’Ouest (Oregon, État de Washington, Californie) ou de la Nouvelle-Angleterre en particulier, les demandes de censure, les techniques de deplatforming ou de “désinvitation”, les calomnies sur les médias sociaux, les démissions du personnel - des phénomènes qu’on observe également dans d’autres milieux (culture, médias, politique). En mai dernier, Rima Azar, professeure en psychologie de la santé, a été suspendue par l’Université Mount Allison du Nouveau-Brunswick, pour avoir qualifié sur son blog Black Lives Matter d’organisation radicale…

    Il y a sans doute plusieurs raisons à l’attitude des administrateurs. En tout premier lieu : un modèle néo-libéral très avancé de l’enseignement et de la recherche, et ce qui lui est corrélé, une philosophie managériale orientée vers un consumérisme éducatif. Une autre explication serait la manière dont ces mêmes universités réagissent à la mouvance appelée “woke”. Le terme est sujet à de nombreux malentendus. Il fait désormais partie de l’arsenal polémique au même titre que “réac” ou “facho”. Intégré en 2017 dans l’Oxford English Dictionary, il a été à la même date récupéré et instrumentalisé par les droites conservatrices ou identitaires. Mais pas seulement : il a pu être ciblé par les gauches traditionnelles (marxistes, libertaires, sociales-démocrates) qui perçoivent dans l’émergence de ce nouveau courant un risque de déclassement. Pour ce qui regarde notre propos, l’illusion qu’il importe de dissiper, ce serait de ne le comprendre qu’à l’aune du militantisme et des associations, sur une base strictement horizontale. Ce qui n’enlève rien à la nécessité de leurs combats, et des causes qu’ils embrassent. Loin s’en faut. Mais justement, il s’agit avec le “wokism” et la “wokeness” d’un phénomène nettement plus composite qui, à ce titre, déborde ses origines liées aux luttes des communautés noires contre l’oppression qu’elles subissaient ou subissent encore. Ce phénomène, plus large mais absolument cohérent, n’est pas étranger à la sociologie élitaire des universités nord-américaines, on y reviendra dans la deuxième partie de cet entretien. Car ni l’un ni l’autre ne se sont si simplement inventés dans la rue. Leur univers est aussi la salle de classe.

    4. Au regard des événements dans ces deux universités, quelle analyse faites-vous de l’évolution des libertés académiques au Québec ?

    Arnaud Bernadet. Au moment où éclatait ce qu’il est convenu d’appeler désormais “l’affaire Verushka Lieutenant-Duval”, le Québec cultivait cette douce illusion de se croire à l’abri de ce genre d’événements. Mais les idées et les pratiques ne s’arrêtent pas à la frontière avec le Canada anglais ou avec les États-Unis. Le cas de censure survenu à McGill (et des incidents d’autre nature se sont produits dans cet établissement) a relocalisé la question en plein cœur de Montréal, et a montré combien les cultures et les sociétés sont poreuses les unes vis-à-vis des autres. Comme dans nombre de démocraties, on assiste au Québec à un recul des libertés publiques, la liberté académique étant l’une d’entre elles au même titre que la liberté d’expression. Encore faut-il nuancer, car le ministère de l’enseignement supérieur a su anticiper les problèmes. En septembre 2020, le scientifique en chef Rémi Quirion a remis un rapport qui portait plus largement sur L’université québécoise du futur, son évolution, les défis auxquels elle fait face, etc. Or en plus de formuler des recommandations, il y observe une “précarisation significative” de la liberté académique, un “accroissement de la rectitude politique”, imputée aux attentes ou aux convictions de “groupes particuliers”, agissant au nom de “valeurs extra-universitaires”, et pour finir, l’absence de “protection législative à large portée” entourant la liberté académique au Québec, une carence qui remonte à la Révolution tranquille. En février 2021, le premier ministre François Legault annonçait la création d’une Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique en contexte universitaire. Cette commission qui n’a pas fini de siéger a rendu une partie de ses résultats, notamment des sondages effectués auprès du corps professoral (ce qui inclut les chargés de cours) : 60 % d’entre eux affirment avoir évité d’utiliser certains mots, 35 % disent avoir même recouru à l’autocensure en sabrant certains sujets de cours. La recherche est également affectée. Ce tableau n’est guère rassurant, mais il répond à celles et ceux qui, depuis des mois, à commencer dans le milieu enseignant lui-même, doublent la censure par le déni et préfèrent ignorer les faits. À l’évidence, des mesures s’imposent aujourd’hui, proportionnées au diagnostic rendu.

    5. La liberté académique est habituellement conçue comme celle des universitaires, des enseignants-chercheurs, pour reprendre la catégorie administrative en usage en France. Vous l’étendez dans votre mémoire à l’ensemble de la communauté universitaire, en particulier aux jeunes chercheurs, mais aussi aux personnels administratifs et aux étudiants ? Pourriez-vous éclairer ce point ?

    Arnaud Bernadet. Ce qui est en jeu ici n’est autre que l’extension et les applications du concept de liberté académique. Bien sûr, un étudiant ne jouit pas des mêmes dispositions qu’un professeur, par exemple le droit à exercer l’évaluation de ses propres camarades de classe. Mais a priori nous considérons que n’importe quel membre de la communauté universitaire est titulaire de la liberté académique. Celle-ci n’a pas été inventée pour donner aux enseignants et chercheurs quelque “pouvoir” irréaliste et exorbitant, mais pour satisfaire aux deux missions fondamentales que leur a confiées la société : assurer la formation des esprits par l’avancement des connaissances. En ce domaine, l’écart est-il significatif entre le choix d’un thème ou d’un corpus par un professeur, et un exposé oral préparé par un étudiant ? Dans chaque cas, on présumera que l’accès aux sources, la production des connaissances, le recours à l’argumentation y poursuivent les mêmes objectifs de vérité. De même, les administrateurs, et notamment les plus haut placés, doivent pouvoir bénéficier de la liberté académique, dans l’éventualité où elle entrerait en conflit avec des objectifs de gouvernance, qui se révéleraient contraires à ce qu’ils estimeraient être les valeurs universitaires fondamentales.

    6. Entre ce que certains considèrent comme des recherches “militantes” et les orientations néolibérales et managériales du gouvernement des universités, qu’est-ce qui vous semble être le plus grand danger pour les libertés académiques ?

    Arnaud Bernadet. Ce sont des préoccupations d’ordre différent à première vue. Les unes semblent opérer à l’interne, en raison de l’évolution des disciplines. Les autres paraissent être plutôt impulsées à l’externe, en vertu d’une approche productiviste des universités. Toutes montrent que le monde de l’enseignement et de la recherche est soumis à de multiples pressions. Aussi surprenant que cela paraisse, il n’est pas exclu que ces deux aspects se rejoignent et se complètent. Dans un article récent de The Chronicle of Higher Education (03.10.2021), Justin Sider (professeur de littérature anglaise à l’Université d’Oklahoma) a bien montré que les préoccupations en matière de justice sociale sont en train de changer la nature même des enseignements. Loin de la vision désintéressée des savoirs, ceux-ci serviraient dorénavant les étudiants à leur entrée dans la vie active, pour changer l’ordre des choses, combattre les inégalités, etc. C’est une réponse à la conception utilitariste de l’université, imposée depuis plusieurs décennies par le modèle néolibéral. Et c’est ce qu’ont fort bien compris certains administrateurs qui, une main sur le cœur, l’autre près du portefeuille, aimeraient donc vendre désormais à leurs “clients” des programmes ou de nouveaux curricula portant sur la justice sociale.

    7. La défense des libertés académiques, en l’occurrence la liberté pédagogique et la liberté de recherche d’utiliser tous les mots comme objet de savoir, est-elle absolue, inconditionnelle ? Ne risque-t-elle pas de renforcer un effet d’exclusion pour les minorités ?

    Isabelle Arseneau. Elle est plutôt à notre avis non-négociable (aucun principe n’est absolu). Mais pour cela, il est impératif de désamalgamer des dossiers bien distincts : d’une part, le travail de terrain qu’il faut encore mener en matière d’équité, de diversité et d’inclusion (qu’il est désormais commun de désigner par l’acronyme « ÉDI ») ; d’autre part, les fondements de la mission universitaire, c’est-à-dire créer et transmettre des savoirs. Les faux parallèles que l’on trace entre la liberté académique et les « ÉDI » desservent autant la première que les secondes et on remarque une nette tendance chez certaines universités plus clairement néolibérales à utiliser la liberté académique comme un vulgaire pansement pour régler des dossiers sur lesquels elles accusent parfois de regrettables retards. Bien ironiquement, ce militantisme d’apparat ne fait nullement progresser les différentes causes auxquelles il s’associe et a parfois l’effet inverse. Revenons à l’exemple concret qui s’est produit chez nous : recommander à une enseignante de s’excuser pour avoir prononcé et fait lire un mot jugé sensible et aller jusqu’à rembourser leurs frais de scolarité à des étudiants heurtés, voilà des gestes « spectaculaires » qui fleurent bon le langage de l’inclusion mais qui transpirent le clientélisme (« Satisfaction garantie ou argent remis ! »). Car une fois que l’on a censuré un mot, caviardé un passage, proscrit l’étude d’une œuvre, qu’a-t-on fait, vraiment, pour l’équité salariale hommes-femmes ; pour l’inclusion des minorités toujours aussi invisibles sur notre campus ; pour la diversification (culturelle, certes, mais également économique) des corps enseignant et étudiant, etc. ? Rien. Les accommodements offerts aux plaignants sont d’ailleurs loin d’avoir créé plus d’équité ; ils ont au contraire engendré une série d’inégalités : entre les étudiants d’abord, qui n’ont pas eu droit au même traitement dans le contexte difficile de la pandémie et de l’enseignement à distance ; entre les chargés de cours ensuite, qui n’ont pas eu à faire une même quantité de travail pour un même salaire ; et, enfin, entre les universités, toutes soumises au même système de financement public, dont le calcul repose en bonne partie sur l’unité-crédit. Les salles de classe ont bon dos : elles sont devenues les voies de sortie faciles pour des institutions qui s’achètent grâce à elles un vernis de justice sociale qui tarde à se traduire par des avancées concrètes sur les campus. Confondre les dossiers ne servira personne.

    8. Reste que ce qui est perçu par des acteurs de la défense de droits des minorités comme l’exercice d’une liberté d’expression est vécu et analysé par d’autres acteurs comme une atteinte à la liberté académique, en particulier la liberté pédagogique. La situation n’est-elle pas une impasse propre à aviver les tensions et créer une polémique permanente ? Comment sortir de cette impasse ?

    Isabelle Arseneau. En effet, on peut vite avoir l’impression d’un cul-de-sac ou d’un cercle vicieux difficile à briser, surtout au vu de la polarisation actuelle des discours, qu’aggravent les médias sociaux. Dans ce brouhaha de paroles et de réactions à vif, je ne sais pas si on s’entend et encore moins si on s’écoute. Chose certaine, il faudra dans un premier temps tenter de régler les problèmes qui atteignent aujourd’hui les établissements postsecondaires depuis l’intérieur de leurs murs. En effet, la responsabilité me semble revenir d’abord aux dirigeants de nos institutions, à la condition de réorienter les efforts vers les bonnes cibles et, comme je le disais à l’instant, de distinguer les dossiers. À partir du moment où l’on cessera de confondre les dossiers et où l’on résistera aux raccourcis faciles et tendancieux, des chantiers distincts s’ouvriront naturellement.

    Du côté des dossiers liés à l’équité et à la diversité, il me semble nécessaire de mener de vrais travaux d’enquête et d’analyse de terrain et de formuler des propositions concrètes qui s’appuient sur des données plutôt que des mesures cosmétiques qui suivent l’air du temps (il ne suffit pas, comme on a pu le faire chez nous, de recommander la censure d’un mot, de retirer une statue ou de renommer une équipe de football). Plus on tardera à s’y mettre vraiment et à joindre le geste à la parole, plus longtemps on échouera à réunir les conditions nécessaires au dialogue serein et décomplexé. Il nous reste d’ailleurs à débusquer les taches aveugles, par exemple celles liées à la diversité économique de nos campus (ou son absence), une donnée trop souvent exclue de la réflexion, qui préfère se fixer sur la seule dimension identitaire. Du côté de la liberté universitaire, il est nécessaire de la réaffirmer d’abord et de la protéger ensuite, en reprenant le travail depuis le début s’il le faut. C’est ce qu’a fait à date récente la Mission nommée par le recteur de l’Université de Montréal, Daniel Jutras. Les travaux de ce comité ont abouti à l’élaboration d’un énoncé de principes fort habile. Ce dernier, qui a été adopté à l’unanimité par l’assemblée universitaire, distingue très nettement les dossiers et les contextes : en même temps qu’il déclare qu’« aucun mot, aucun concept, aucune image, aucune œuvre ne sauraient être exclus a priori du débat et de l’examen critique dans le cadre de l’enseignement et de la recherche universitaires », le libellé rappelle que l’université « condamne les propos haineux et qu’en aucun cas, une personne tenant de tels propos ne peut se retrancher derrière ses libertés universitaires ou, de façon générale, sa liberté d’expression » (4). Il est également urgent de mettre en œuvre une pédagogie ciblant expressément les libertés publiques, la liberté académique et la liberté d’expression. C’est d’ailleurs une carence mise au jour par l’enquête de la Commission, qui révèle que 58% des professeurs interrogés « affirment ne pas savoir si leur établissement possède des documents officiels assurant la protection de la liberté universitaire » et que 85% des répondants étudiants « considèrent que les universités devraient déployer plus d’efforts pour faire connaître les dispositions sur la protection de la liberté universitaire ». Il reste donc beaucoup de travail à faire sur le plan de la diffusion de l’information intra muros. Heureusement, nos établissements ont déjà en leur possession les outils nécessaires à l’implantation de ce type d’apprentissage pratique (au moment de leur admission, nos étudiants doivent déjà compléter des tutoriels de sensibilisation au plagiat et aux violences sexuelles, par exemple).

    Enfin, il revient aux dirigeants de nos universités de s’assurer de mettre en place un climat propice à la réflexion et au dialogue sur des sujets parfois délicats, par exemple en se gardant d’insinuer que ceux qui défendent la liberté universitaire seraient de facto hostiles à la diversité et à l’équité, comme a pu le faire notre vice-recteur dans une lettre publiée dans La Presse en février dernier. Ça, déjà, ce serait un geste à la hauteur de la fonction.

    9. Quelle perception avez-vous de la forme qu’a pris la remise en cause des libertés académiques en France avec la polémique sur l’islamo-gauchisme initiée par deux membres du gouvernement – Blanquer et Vidal – et poursuivi avec le Manifeste des 100 ?

    Arnaud Bernadet. Un sentiment de profonde perplexité. La comparaison entre “l’islamo-gauchisme”, qui nous semble en grande partie un épouvantail agité par le pouvoir macroniste, et le “wokism” états-unien ou canadien - qui est une réalité complexe mais mesurable, dont on précisera les contours la semaine prochaine - se révèle aussi artificielle qu’infondée. Un tel rapprochement est même en soi très dangereux, et peut servir de nouveaux amalgames comme il apparaît nettement dans la lettre publiée hier par Jean-Michel Blanquer et Jean-François Roberge : “L’école pour la liberté, contre l’obscurantisme”. Déplions-la un instant. Les deux ministres de l’Éducation, de France et du Québec, ne sont pas officiellement en charge des dossiers universitaires (assurés par Frédérique Vidal et Danielle McCann). D’une même voix, Blanquer et Roberge condamnent - à juste titre - l’autodafé commis en 2019 dans plusieurs écoles du sud-ouest de l’Ontario sur des encyclopédies, des bandes-dessinées et des ouvrages de jeunesse qui portaient atteinte à l’image des premières nations. Or on a appris par la suite que l’instigatrice de cette purge littéraire, Suzie Kies, œuvrait comme conseillère au sein du Parti Libéral du Canada sur les questions autochtones. Elle révélait ainsi une évidente collusion avec le pouvoir fédéral. Inutile de dire par conséquent que l’intervention de nos deux ministres ressortit à une stratégie d’abord politique. En position fragile face à Ottawa, dont les mesures interventionnistes ne sont pas toujours compatibles avec son esprit d’indépendance, le Québec se cherche des appuis du côté de la France. Au nom de la “liberté d’expression”, la France tacle également Justin Trudeau, dont les positions modérées au moment de l’assassinat de Samuel Paty ont fortement déplu. Ce faisant, le Québec et la France se donnent aussi comme des sociétés alternatives, le Canada étant implicitement associé aux États-Unis dont il ne serait plus que la copie : un lieu où prospéreraient une “idéologie” et des “méthodes” - bannissement, censure, effacement de l’histoire - qui menaceraient le “respect” et l’esprit de “tolérance” auxquels s’adossent “nos démocraties”. Au lieu de quoi, non seulement “l’égalité” mais aussi la “laïcité” seraient garantes au Québec comme en France d’un “pacte” capable d’unir la “communauté” sur la base “de connaissances, de compétences et de principes fondés sur des valeurs universelles”, sans que celles-ci soient d’ailleurs clairement précisées. On ne peut s’empêcher toutefois de penser que les deux auteurs prennent le risque par ce biais de légitimer les guerres culturelles, issues au départ des universités états-uniennes, en les étendant aux rapports entre anglophones et francophones. Au reste, la cible déclarée du texte, qui privilégie plutôt l’allusion et se garde habilement de nommer, reste la “cancel culture” aux mains des “assassins de la mémoire”. On observera qu’il n’est nulle part question de “wokes”, de décolonialisme ou d’antiracisme par exemple. D’un “militantisme délétère” (mais lequel, exactement ?) on passe enfin aux dangers de la “radicalisation”, dans laquelle chacun mettra ce qu’il veut bien y entendre, des extrémismes politiques (national-populisme, alt-right, néo-nazisme, etc.) et des fondamentalismes religieux. Pour finir, la résistance aux formes actuelles de “l’obscurantisme” est l’occasion de revaloriser le rôle de l’éducation au sein des démocraties. Elle est aussi un moyen de renouer avec l’héritage rationaliste des Lumières. Mais les deux ministres retombent dans le piège civilisationniste, qui consiste à arrimer - sans sourciller devant la contradiction - les “valeurs universelles” à “nos sociétés occidentales”. Le marqueur identitaire “nos” est capital dans le texte. Il efface d’un même geste les peuples autochtones qui étaient mentionnés au début de l’article, comme s’ils ne faisaient pas partie, notamment pour le Québec, de cette “mémoire” que les deux auteurs appellent justement à défendre, ou comme s’ils étaient d’emblée assimilés et assimilables à cette vision occidentale ? De lui-même, l’article s’expose ici à la critique décoloniale, particulièrement répandue sur les campus nord-américains, celle-là même qu’il voudrait récuser. Qu’on en accepte ou non les prémisses, cette critique ne peut pas être non plus passée sous silence. Il faut s’y confronter. Car elle a au moins cette vertu de rappeler que l’héritage des Lumières ne va pas sans failles. On a le droit d’en rejeter les diverses formulations, mais il convient dans ce cas de les discuter. Car elles nous obligent à penser ensemble - et autrement - les termes du problème ici posé : universalité, communauté et diversité.

    10. La forme d’un « énoncé » encadrant la liberté académique et adopté par le parlement québécois vous semble-t-elle un bon compromis politique ? Pourquoi le soutenir plutôt qu’une loi ? Un énoncé national de référence, laissant chaque établissement en disposer librement, aura-t-il une véritable efficacité ?

    Isabelle Arseneau. Au moment de la rédaction de notre mémoire, les choses nous semblaient sans doute un peu moins urgentes que depuis la publication des résultats de la collecte d’informations réalisée par la Commission indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique en contexte universitaire. Les chiffres publiés en septembre dernier confirment ce que nous avons remarqué sur le terrain et ce que suggéraient déjà les mémoires, les témoignages et les avis d’experts récoltés dans le cadre des travaux des commissaires : nous avons affaire à un problème significatif plutôt qu’à un épiphénomène surmédiatisé (comme on a pu l’entendre dire). Les résultats colligés reflètent cependant un phénomène encore plus généralisé que ce que l’on imaginait et d’une ampleur que, pour ma part, je sous-estimais.

    Dans le contexte d’une situation sérieuse mais non encore critique, l’idée d’un énoncé m’a donc toujours semblé plus séduisante (et modérée !) que celle d’une politique nationale, qui ouvrirait la porte à l’ingérence de l’État dans les affaires universitaires. Or que faire des universités qui ne font plus leurs devoirs ? L’« énoncé sur la liberté universitaire » de l’Université McGill, qui protège les chercheurs des « contraintes de la rectitude politique », ne nous a été d’aucune utilité à l’automne 2020. Comment contraindre notre institution à respecter les règles du jeu dont elle s’est elle-même dotée ? Nous osons croire qu’un énoncé national, le plus ouvert et le plus généreux possible, pourrait aider les établissements comme le nôtre à surmonter certaines difficultés internes. Mais nous sommes de plus en plus conscients qu’il faudra sans doute se doter un jour de mécanismes plus concrets qu’un énoncé non contraignant.

    Arnaud Bernadet. Nous avons eu de longues discussions à ce sujet, et elles ne sont probablement pas terminées. C’est un point de divergence entre nous. Bien entendu, on peut se ranger derrière la solution modérée comme on l’a d’abord fait. Malgré tout, je persiste à croire qu’une loi aurait plus de poids et d’efficience qu’un énoncé. L’intervention de l’État est nécessaire dans le cas présent, et me semble ici le contraire même de l’ingérence. Une démocratie digne de ce nom doit veiller à garantir les libertés publiques qui en sont au fondement. Or, en ce domaine, la liberté académique est précieuse. Ce qui a lieu sur les campus est exceptionnel, cela ne se passe nulle part ailleurs dans la société : la quête de la vérité, la dynamique contradictoire des points de vue, l’expression critique et l’émancipation des esprits. Je rappellerai qu’inscrire le principe de la liberté académique dans la loi est aussi le vœu exprimé par la Fédération Québécoise des Professeures et Professeurs d’Université. Actuellement, un tel principe figure plutôt au titre du droit contractuel, c’est-à-dire dans les conventions collectives des établissements québécois (quand celles-ci existent !) Une loi remettrait donc à niveau les universités de la province, elle préviendrait toute espèce d’inégalité de traitement d’une institution à l’autre. Elle comblerait la carence dont on parlait tout à l’heure, qui remonte à la Révolution tranquille. Elle renforcerait finalement l’autonomie des universités au lieu de la fragiliser. Ce serait aussi l’occasion pour le Québec de réaffirmer clairement ses prérogatives en matière éducative contre les ingérences - bien réelles celles-là - du pouvoir fédéral qui tend de plus en plus à imposer sa vision pancanadienne au mépris des particularités francophones. Enfin, ne nous leurrons pas : il n’y a aucune raison objective pour que les incidents qui se sont multipliés en Amérique du Nord depuis une dizaine d’années, et qui nourrissent de tous bords - on vient de le voir - de nombreux combats voire dérives idéologiques, cessent tout à coup. La loi doit pouvoir protéger les fonctions et les missions des universités québécoises, à ce jour de plus en plus perturbées.

    Entretien réalisé par écrit au mois d’octobre 2021

    Notes :

    1. Isabelle Hachey, « Le clientélisme, c’est ça » (La Presse, 22.02.2021)

    2. Jean-François Nadeau, « La censure contamine les milieux universitaires » (Le Devoir, 01.04.2017)

    3. Isabelle Arseneau et Arnaud Bernadet, « Universités : censure et liberté » (La Presse, 15.12.2020) ; « Les dérives éthiques de l’esprit gestionnaire » (La Presse, 29.02.2021) ; « Université McGill : une politique du déni » (La Presse, 26.02.2021).

    4. « Rapport de la Mission du recteur sur la liberté d’expression en contexte universitaire », juin 2021 : https://www.umontreal.ca/public/www/images/missiondurecteur/Rapport-Mission-juin2021.pdf

    https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/211021/liberte-academique-et-justice-sociale

    #ESR

    ping @karine4 @_kg_ @isskein

    –-

    ajouté à la métaliste autour du terme l’#islamo-gauchisme... mais aussi du #woke et du #wokisme, #cancel_culture, etc.
    https://seenthis.net/messages/943271

    • La liberté académique aux prises avec de nouvelles #menaces

      Colloques, séminaires, publications (Duclos et Fjeld, Frangville et alii) : depuis quelques années, et avec une accélération notoire ces derniers mois, le thème de la liberté académique est de plus en plus exploré comme objet scientifique. La liberté académique suscite d’autant plus l’intérêt des chercheurs qu’elle est aujourd’hui, en de nombreux endroits du monde, fragilisée.

      La création en 2021 par l’#Open_Society_University_Network (un partenariat entre la Central European University et le Bard College à New York) d’un #Observatoire_mondial_des_libertés_académiques atteste d’une inquiétante réalité. C’est en effet au moment où des libertés sont fragilisées qu’advient le besoin d’en analyser les fondements, d’en explorer les définitions, de les ériger en objets de recherche, mais aussi de mettre en œuvre un système de veille pour les protéger.

      S’il est évident que les #régimes_autoritaires sont par définition des ennemis des libertés académiques, ce qui arrive aujourd’hui dans des #pays_démocratiques témoigne de pratiques qui transcendent les frontières entre #régime_autoritaire et #régime_démocratique, frontières qui elles-mêmes tendent à se brouiller.

      La liberté académique menacée dans les pays autoritaires…

      S’appuyant sur une régulation par les pairs (la « communauté des compétents ») et une indépendance structurelle par rapport aux pouvoirs, la liberté de recherche, d’enseignement et d’opinion favorise la critique autant qu’elle en est l’expression et l’émanation. Elle est la condition d’une pensée féconde qui progresse par le débat, la confrontation d’idées, de paradigmes, d’axiomes, d’expériences.

      Cette liberté dérange en contextes autoritaires, où tout un répertoire d’actions s’offre aux gouvernements pour museler les académiques : outre l’emprisonnement pur et simple, dont sont victimes des collègues – on pense notamment à #Fariba_Adelkhah, prisonnière scientifique en #Iran ; à #Ahmadreza_Djalali, condamné à mort en Iran ; à #Ilham_Tohti, dont on est sans nouvelles depuis sa condamnation à perpétuité en# Chine, et à des dizaines d’autres académiques ouïghours disparus ou emprisonnés sans procès ; à #Iouri_Dmitriev, condamné à treize ans de détention en #Russie –, les régimes autoritaires mettent en œuvre #poursuites_judiciaires et #criminalisation, #licenciements_abusifs, #harcèlement, #surveillance et #intimidation.


      https://twitter.com/AnkyraWitch/status/1359630006993977348

      L’historien turc Candan Badem parlait en 2017 d’#académicide pour qualifier la vague de #répression qui s’abattait dans son pays sur les « universitaires pour la paix », criminalisés pour avoir signé une pétition pour la paix dans les régions kurdes. La notion de « #crime_contre_l’histoire », forgée par l’historien Antoon de Baets, a été reprise en 2021 par la FIDH et l’historien Grigori Vaïpan) pour qualifier les atteintes portées à l’histoire et aux historiens en Russie. Ce crime contre l’histoire en Russie s’amplifie avec les attaques récentes contre l’ONG #Memorial menacée de dissolution.

      En effet, loin d’être l’apanage des institutions académiques officielles, la liberté académique et de recherche, d’une grande rigueur, se déploie parfois de façon plus inventive et courageuse dans des structures de la #société_civile. En #Biélorussie, le sort de #Tatiana_Kuzina, comme celui d’#Artiom_Boyarski, jeune chimiste talentueux emprisonné pour avoir refusé publiquement une bourse du nom du président Loukachenko, ne sont que deux exemples parmi des dizaines et des dizaines de chercheurs menacés, dont une grande partie a déjà pris le chemin de l’exil depuis l’intensification des répressions après les élections d’août 2020 et la mobilisation qui s’en est suivie.

      La liste ci-dessus n’est bien sûr pas exhaustive, les cas étant nombreux dans bien des pays – on pense, par exemple, à celui de #Saïd_Djabelkhir en #Algérie.

      … mais aussi dans les #démocraties

      Les #régressions que l’on observe au sein même de l’Union européenne – le cas du déménagement forcé de la #Central_European_University de Budapest vers Vienne, sous la pression du gouvernement de Viktor Orban, en est un exemple criant – montrent que les dérives anti-démocratiques se déclinent dans le champ académique, après que d’autres libertés – liberté de la presse, autonomie de la société civile – ont été atteintes.

      Les pays considérés comme démocratiques ne sont pas épargnés non plus par les tentatives des autorités politiques de peser sur les recherches académiques. Récemment, en #France, les ministres de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur ont affirmé que le monde académique serait « ravagé par l’#islamo-gauchisme » et irrespectueux des « #valeurs_de_la_République » – des attaques qui ont provoqué un concert de protestations au sein de la communauté des chercheurs. En France toujours, de nombreux historiens se sont mobilisés en 2020 contre les modalités d’application d’une instruction interministérielle restreignant l’accès à des fonds d’#archives sur l’#histoire_coloniale, en contradiction avec une loi de 2008.


      https://twitter.com/VivementLundi/status/1355564397314387972

      Au #Danemark, en juin 2021, plus de 260 universitaires spécialistes des questions migratoires et de genre rapportaient quant à eux dans un communiqué public les intimidations croissantes subies pour leurs recherches qualifiées de « #gauchisme_identitaire » et de « #pseudo-science » par des députés les accusant de « déguiser la politique en science ».

      D’autres offensives peuvent être menées de façon plus sournoise, à la faveur de #politiques_néolibérales assumées et de mise en #concurrence des universités et donc du champ du savoir et de la pensée. La conjonction de #logiques_libérales sur le plan économique et autoritaires sur le plan politique conduit à la multiplication de politiques souvent largement assumées par les États eux-mêmes : accréditations sélectives, retrait de #financements à des universités ou à certains programmes – les objets plus récents et fragiles comme les #études_de_genre ou études sur les #migrations se trouvant souvent en première ligne.

      Ce brouillage entre régimes politiques, conjugué à la #marchandisation_du_savoir, trouve également à s’incarner dans la façon dont des acteurs issus de régimes autoritaires viennent s’installer au sein du monde démocratique : c’est le cas notamment de la Chine avec l’implantation d’#Instituts_Confucius au cœur même des universités, qui conduisent, dans certains cas, à des logiques d’#autocensure ; ou de l’afflux d’étudiants fortunés en provenance de pays autoritaires, qui par leurs frais d’inscriptions très élevés renflouent les caisses d’universités désargentées, comme en Australie.

      Ces logiques de #dépendance_financière obèrent l’essence et la condition même de la #recherche_académique : son #indépendance. Plus généralement, la #marchandisation de l’#enseignement_supérieur, conséquence de son #sous-financement public, menace l’#intégrité_scientifique de chercheurs et d’universités de plus en plus poussées à se tourner vers des fonds privés.

      La mobilisation de la communauté universitaire

      Il y a donc là une combinaison d’attaques protéiformes, à l’aune des changements politiques, technologiques, économiques et financiers qui modifient en profondeur les modalités du travail. La mise en place de programmes de solidarité à destination de chercheurs en danger (#PAUSE, #bourses_Philipp_Schwartz en Allemagne, #bourses de solidarité à l’Université libre de Bruxelles), l’existence d’organisations visant à documenter les attaques exercées sur des chercheurs #Scholars_at_Risk, #International_Rescue_Fund, #CARA et la création de ce tout nouvel observatoire mondial des libertés académiques évoqué plus haut montrent que la communauté académique a pris conscience du danger. Puissent du fond de sa prison résonner les mots de l’historien Iouri Dmitriev : « Les libertés académiques, jamais, ne deviendront une notion abstraite. »

      https://theconversation.com/la-liberte-academique-aux-prises-avec-de-nouvelles-menaces-171682

    • « #Wokisme » : un « #front_républicain » contre l’éveil aux #injustices

      CHRONIQUE DE LA #BATAILLE_CULTURELLE. L’usage du mot « wokisme » vise à disqualifier son adversaire, mais aussi à entretenir un #déni : l’absence de volonté politique à prendre au sérieux les demandes d’#égalité, de #justice, de respect des #droits_humains.

      Invoqué ad nauseam, le « wokisme » a fait irruption dans un débat public déjà singulièrement dégradé. Il a fait florès à l’ère du buzz et des clashs, rejoignant l’« #islamogauchisme » au registre de ces fameux mots fourre-tout dont la principale fonction est de dénigrer et disqualifier son adversaire, tout en réduisant les maux de la société à quelques syllabes magiques. Sur la scène politique et intellectuelle, le « wokisme » a même réussi là où la menace de l’#extrême_droite a échoué : la formation d’un « front républicain ». Mais pas n’importe quel front républicain…

      Formellement, les racines du « wokisme » renvoient à l’idée d’« #éveil » aux #injustices, aux #inégalités et autres #discriminations subies par les minorités, qu’elles soient sexuelles, ethniques ou religieuses. Comment cet « éveil » a-t-il mué en une sorte d’#injure_publique constitutive d’une #menace existentielle pour la République ?

      Si le terme « woke » est historiquement lié à la lutte des #Afro-Américains pour les #droits_civiques, il se trouve désormais au cœur de mobilisations d’une jeunesse militante animée par les causes féministes et antiracistes. Ces mobilisations traduisent en acte l’#intersectionnalité théorisée par #Kimberlé_Williams_Crenshaw*, mais le recours à certains procédés ou techniques est perçu comme une atteinte à la #liberté_d’expression (avec les appels à la #censure d’une œuvre, à l’annulation d’une exposition ou d’une représentation, au déboulonnage d’une statue, etc.) ou à l’égalité (avec les « réunions non mixtes choisies et temporaires » restreignant l’accès à celles-ci à certaines catégories de personnes partageant un même problème, une même discrimination). Le débat autour de ces pratiques est complexe et légitime. Mais parler en France du développement d’une « cancel culture » qu’elles sont censées symboliser est abusif, tant elles demeurent extrêmement marginales dans les sphères universitaires et artistiques. Leur nombre comme leur diffusion sont inversement proportionnels à leur écho politico-médiatique. D’où provient ce contraste ou décalage ?

      Une rupture du contrat social

      En réalité, au-delà de la critique/condamnation du phénomène « woke », la crispation radicale qu’il suscite dans l’hexagone puise ses racines dans une absence de volonté politique à prendre au sérieux les demandes d’égalité, de justice, de respect des droits humains. Un défaut d’écoute et de volonté qui se nourrit lui-même d’un mécanisme de déni, à savoir un mécanisme de défense face à une réalité insupportable, difficile à assumer intellectuellement et politiquement.

      D’un côté, une série de rapports publics et d’études universitaires** pointent la prégnance des inégalités et des discriminations à l’embauche, au logement, au contrôle policier ou même à l’école. Non seulement les discriminations sapent le sentiment d’appartenance à la communauté nationale, mais la reproduction des inégalités est en partie liée à la reproduction des discriminations.

      De l’autre, le déni et l’#inaction perdurent face à ces problèmes systémiques. Il n’existe pas de véritable politique publique de lutte contre les discriminations à l’échelle nationale. L’État n’a pas engagé de programme spécifique qui ciblerait des axes prioritaires et se déclinerait aux différents niveaux de l’action publique.

      L’appel à l’« éveil » est un appel à la prise de conscience d’une rupture consommée de notre contrat social. La réalité implacable d’inégalités et de discriminations criantes nourrit en effet une #citoyenneté à plusieurs vitesses qui contredit les termes du récit/#pacte_républicain, celui d’une promesse d’égalité et d’#émancipation.

      Que l’objet si mal identifié que représente le « wokisme » soit fustigé par la droite et l’extrême-droite n’a rien de surprenant : la lutte contre les #logiques_de_domination ne fait partie ni de leur corpus idéologique ni de leur agenda programmatique. En revanche, il est plus significatif qu’une large partie de la gauche se détourne des questions de l’égalité et de la #lutte_contre_les_discriminations, pour mieux se mobiliser contre tout ce qui peut apparaître comme une menace contre un « #universalisme_républicain » aussi abstrait que déconnecté des réalités vécues par cette jeunesse française engagée en faveur de ces causes.

      Les polémiques autour du « wokisme » contribuent ainsi à forger cet arc politique et intellectuel qui atteste la convergence, voire la jonction de deux blocs conservateurs, « de droite » et « de gauche », unis dans un même « front républicain », dans un même déni des maux d’une société d’inégaux.

      https://www.nouvelobs.com/idees/20210928.OBS49202/wokisme-un-front-republicain-contre-l-eveil-aux-injustices.html

      #récit_républicain

    • « Le mot “#woke” a été transformé en instrument d’occultation des discriminations raciales »

      Pour le sociologue #Alain_Policar, le « wokisme » désigne désormais péjorativement ceux qui sont engagés dans des courants politiques qui se réclament pourtant de l’approfondissement des principes démocratiques.

      Faut-il rompre avec le principe de « #color_blindness » (« indifférence à la couleur ») au fondement de l’#égalitarisme_libéral ? Ce principe, rappelons-le, accompagne la philosophie individualiste et contractualiste à laquelle adhèrent les #démocraties. Or, en prenant en considération des pratiques par lesquelles des catégories fondées sur des étiquettes « raciales » subsistent dans les sociétés postcolonialistes, on affirme l’existence d’un ordre politico-juridique au sein duquel la « #race » reste un principe de vision et de division du monde social.

      Comme l’écrit #Stéphane_Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, « la République a un problème avec le #corps des individus, elle ne sait que faire de ces #différences_physiques, de ces couleurs multiples, de ces #orientations diverses, parce qu’elle a affirmé que pour traiter chacun et chacune également elle devait être #aveugle » ( Le Monde du 7 avril).

      Dès lors, ignorer cette #réalité, rester indifférent à la #couleur, n’est-ce pas consentir à la perpétuation des injustices ? C’est ce consentement qui s’exprime dans l’opération idéologique d’appropriation d’un mot, « woke », pour le transformer en instrument d’occultation de la réalité des discriminations fondées sur la couleur de peau. Désormais le wokisme désigne péjorativement ceux qui sont engagés dans les luttes antiracistes, féministes, LGBT ou même écologistes. Il ne se caractérise pas par son contenu, mais par sa fonction, à savoir, selon un article récent de l’agrégé de philosophie Valentin Denis sur le site AOC , « stigmatiser des courants politiques souvent incommensurables tout en évitant de se demander ce qu’ils ont à dire . Ces courants politiques, pourtant, ne réclament-ils pas en définitive l’approfondissement des #principes_démocratiques ?

      Une #justice_corrective

      Parmi les moyens de cet approfondissement, l’ affirmative action (« #action_compensatoire »), en tant qu’expression d’une justice corrective fondée sur la #reconnaissance des #torts subis par le passé et, bien souvent, qui restent encore vifs dans le présent, est suspectée de substituer le #multiculturalisme_normatif au #modèle_républicain d’#intégration. Ces mesures correctives seraient, lit-on souvent, une remise en cause radicale du #mérite_individuel. Mais cet argument est extrêmement faible : est-il cohérent d’invoquer la #justice_sociale (dont les antiwokedisent se préoccuper) et, en même temps, de valoriser le #mérite ? L’appréciation de celui-ci n’est-elle pas liée à l’#utilité_sociale accordée à un ensemble de #performances dont la réalisation dépend d’#atouts (en particulier, un milieu familial favorable) distribués de façon moralement arbitraire ? La justice sociale exige, en réalité, que ce qui dépend des circonstances, et non des choix, soit compensé.

      Percevoir et dénoncer les mécanismes qui maintiennent les hiérarchies héritées de l’#ordre_colonial constitue l’étape nécessaire à la reconnaissance du lien entre cet ordre et la persistance d’un #racisme_quotidien. Il est important (même si le concept de « #racisme_systémique », appliqué à nos sociétés contemporaines, est décrit comme une « fable » par certains auteurs, égarés par les passions idéologiques qu’ils dénoncent chez leurs adversaires) d’admettre l’idée que, même si les agents sont dépourvus de #préjugés_racistes, la discrimination fonctionne. En quelque sorte, on peut avoir du #racisme_sans_racistes, comme l’a montré Eduardo Bonilla-Silva dans son livre de 2003, Racism without Racists [Rowman & Littlefield Publishers, non traduit] . Cet auteur avait, en 1997, publié un article canonique sur le #racisme_institutionnel dans lequel il rejetait, en se réclamant du psychiatre et essayiste Frantz Fanon [1925-1961], les approches du racisme « comme une #bizarrerie_mentale, comme une #faille_psychologique » .

      Le reflet de pratiques structurelles

      En fait, les institutions peuvent être racialement oppressives, même sans qu’aucun individu ou aucun groupe ne puisse être tenu pour responsable du tort subi. Cette importante idée avait déjà été exprimée par William E. B. Du Bois dans Pénombre de l’aube. Essai d’autobiographie d’un concept de race (1940, traduit chez Vendémiaire, 2020), ouvrage dans lequel il décrivait le racisme comme un #ordre_structurel, intériorisé par les individus et ne dépendant pas seulement de la mauvaise volonté de quelques-uns. On a pu reprocher à ces analyses d’essentialiser les Blancs, de leur attribuer une sorte de #racisme_ontologique, alors qu’elles mettent au jour les #préjugés produits par l’ignorance ou le déni historique.

      On comprend, par conséquent, qu’il est essentiel de ne pas confondre, d’une part, l’expression des #émotions, de la #colère, du #ressentiment, et, d’autre part, les discriminations, par exemple à l’embauche ou au logement, lesquelles sont le reflet de #pratiques_structurelles concrètes. Le racisme est avant tout un rapport social, un #système_de_domination qui s’exerce sur des groupes racisés par le groupe racisant. Il doit être appréhendé du point de vue de ses effets sur l’ensemble de la société, et non seulement à travers ses expressions les plus violentes.

      #Alexis_de_Tocqueville avait parfaitement décrit cette réalité [dans De la démocratie en Amérique, 1835 et 1840] en évoquant la nécessaire destruction, une fois l’esclavage aboli, de trois préjugés, qu’il disait être « bien plus insaisissables et plus tenaces que lui : le préjugé du maître, le préjugé de race, et enfin le préjugé du Blanc . Et il ajoutait : « J’aperçois l’#esclavage qui recule ; le préjugé qu’il a fait naître est immobile. » Ce #préjugé_de_race était, écrivait-il encore, « plus fort dans les Etats qui ont aboli l’esclavage que dans ceux où il existe encore, et nulle part il ne se montre aussi intolérant que dans les Etats où la servitude a toujours été inconnue . Tocqueville serait-il un militant woke ?

      Note(s) :

      Alain Policar est sociologue au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). Dernier livre paru : « L’Universalisme en procès » (Le Bord de l’eau, 160p., 16 euros)

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/28/alain-policar-le-mot-woke-a-ete-transforme-en-instrument-d-occultation-des-d

      #WEB_Du_Bois

      signalé par @colporteur ici :
      https://seenthis.net/messages/941602

    • L’agitation de la chimère « wokisme » ou l’empêchement du débat

      Wokisme est un néologisme malin : employé comme nom, il suggère l’existence d’un mouvement homogène et cohérent, constitué autour d’une prétendue « idéologie woke ». Ou comment stigmatiser des courants politiques progressistes pour mieux détourner le regard des discriminations que ceux-ci dénoncent. D’un point de vue rhétorique, le terme produit une version totalement caricaturée d’un adversaire fantasmé.

      (#paywall)
      https://aoc.media/opinion/2021/11/25/lagitation-de-la-chimere-wokisme-ou-lempechement-du-debat

    • Europe’s War on Woke

      Why elites across the Atlantic are freaking out about the concept of structural racism.

      On my 32nd birthday, I agreed to appear on Répliques, a popular show on the France Culture radio channel hosted by the illustrious Alain Finkielkraut. Now 72 and a household name in France, Finkielkraut is a public intellectual of the variety that exists only on the Left Bank: a child of 1968 who now wears Loro Piana blazers and rails against “la cancel culture.” The other guest that day—January 9, less than 72 hours after the US Capitol insurrection—was Pascal Bruckner, 72, another well-known French writer who’d just published “The Almost Perfect Culprit: The Construction of the White Scapegoat,” his latest of many essays on this theme. Happy birthday to me.

      The topic of our discussion was the only one that interested the French elite in January 2021: not the raging pandemic but “the Franco-American divide,” the Huntington-esque clash of two apparently great civilizations and their respective social models—one “universalist,” one “communitarian”—on the question of race and identity politics. To Finkielkraut, Bruckner, and the establishment they still represent, American writers like me seek to impose a “woke” agenda on an otherwise harmonious, egalitarian society. Americans who argue for social justice are guilty of “cultural imperialism,” of ideological projection—even of bad faith.

      This has become a refrain not merely in France but across Europe. To be sure, the terms of this social-media-fueled debate are unmistakably American; “woke” and “cancel culture” could emerge from no other context. But in the United States, these terms have a particular valence that mostly has to do with the push for racial equality and against systemic racism. In Europe, what is labeled “woke” is often whatever social movement a particular country’s establishment fears the most. This turns out to be an ideal way of discrediting those movements: To call them “woke” is to call them American, and to call them American is to say they don’t apply to Europe.

      In France, “wokeism” came to the fore in response to a recent slew of terror attacks, most notably the gruesome beheading in October 2020 of the schoolteacher Samuel Paty. After years of similar Islamist attacks—notably the massacre at the offices of the newspaper Charlie Hebdo in January 2015 and the ISIS-inspired assaults on the Hypercacher kosher supermarket and the Bataclan concert hall in November 2015—the reaction in France reached a tipping point. Emmanuel Macron’s government had already launched a campaign against what it calls “Islamist separatism,” but Paty’s killing saw a conversation about understandable trauma degenerate into public hysteria. The government launched a full-scale culture war, fomenting its own American-style psychodrama while purporting to do the opposite. Soon its ministers began railing against “islamo-gauchisme” (Islamo-leftism) in universities, Muslim mothers in hijabs chaperoning school field trips, and halal meats in supermarkets.

      But most of all, they began railing against the ideas that, in their view, somehow augmented and abetted these divisions: American-inspired anti-racism and “wokeness.” Macron said it himself in a speech that was widely praised by the French establishment for its alleged nuance: “We have left the intellectual debate to others, to those outside of the Republic, by ideologizing it, sometimes yielding to other academic traditions…. I see certain social science theories entirely imported from the United States.” In October, the French government inaugurated a think tank, the Laboratoire de la République, designed to combat these “woke” theories, which, according to the think tank’s founder, Jean-Michel Blanquer, Macron’s education minister, “led to the rise of Donald Trump.”

      As the apparent emissaries of this pernicious “Anglo-Saxon” identitarian agenda, US journalists covering this moment in France have come under the spotlight, especially when we ask, for instance, what islamo-gauchisme actually means—if indeed it means anything at all. Macron himself has lashed out at foreign journalists, even sending a letter to the editor of the Financial Times rebutting what he saw as an error-ridden op-ed that took a stance he could not bear. “I will not allow anybody to claim that France, or its government, is fostering racism against Muslims,” he wrote. Hence my own invitation to appear on France Culture, a kind of voir dire before the entire nation.

      Finkielkraut began the segment with a tirade against The New York Times and then began discussing US “campus culture,” mentioning Yale’s Tim Barringer and an art history syllabus that no longer includes as many “dead white males.” Eventually I asked how, three days after January 6, we could discuss the United States without mentioning the violent insurrection that had just taken place at the seat of American democracy. Finkielkraut became agitated. “And for you also, [what about] the fact that in the American Congress, Emanuel Cleaver, representative of Missouri, presiding over a new inauguration ceremony, finished by saying the words ‘amen and a-women’?” he asked. “Ça vous dérangez pas?” I said it didn’t bother me in the least, and he got even more agitated. “I don’t understand what you say, James McAuley, because cancel culture exists! It exists!”

      The man knew what he was talking about: Three days after our conversation, Finkielkraut was dropped from a regular gig at France’s LCI television for defending his old pal Olivier Duhamel of Sciences Po, who was embroiled in a pedophilia scandal that had taken France by storm. Duhamel was accused by his stepdaughter, Camille Kouchener, of raping her twin brother when the two were in their early teens. Finkielkraut speculated that there may have been consent between the two parties, and, in any case, a 14-year-old was “not the same thing” as a child.

      I tell this story because it is a useful encapsulation of France’s—and Europe’s—war on woke, a conflict that has assumed various forms in different national contexts but that still grips the continent. On one level, there is a certain comedy to it: The self-professed classical liberal turns out to be an apologist for child molestation. In fact, the anti-woke comedy is now quite literally being written and directed by actual comedians who, on this one issue, seem incapable of anything but earnestness. John Cleese, 81, the face of Monty Python and a public supporter of Brexit, has announced that he will be directing a forthcoming documentary series on Britain’s Channel 4 titled Cancel Me, which will feature extensive interviews with people who have been “canceled”—although no one connected with the show has specified what exactly the word means.

      Indeed, the terms of this debate are an insult to collective intelligence. But if we must use them, we need to understand an important distinction between what is called “cancel culture” and what is called “woke.” The former has been around much longer and refers to tactics that are used across the political spectrum, but historically by those on the right. “Cancel culture” is not the result of an increased awareness of racial disparities or a greater commitment to social justice broadly conceived—both of which are more urgent than ever—but rather a terrible and inevitable consequence of life with the Internet. Hardly anyone can support “cancel culture” in good faith, and yet it is never sufficiently condemned, because people call out such tactics only when their political opponents use them, never when their allies do. “Woke,” on the other hand, does not necessarily imply public shaming; it merely signifies a shift in perspective and perhaps a change in behavior. Carelessly equating the two is a convenient way to brand social justice activism as inherently illiberal—and to silence long-overdue conversations about race and inequality that far too many otherwise reasonable people find personally threatening.

      But Europe is not America, and in Europe there have been far fewer incidents that could be construed as “cancellations”—again, I feel stupid even using the word—than in the United States. “Wokeism” is really a phenomenon of the Anglosphere, and with the exception of the United Kingdom, the social justice movement has gained far less traction in Europe than it has in US cultural institutions—newspapers, universities, museums, and foundations. In terms of race and identity, many European cultural institutions would have been seen as woefully behind the times by their US counterparts even before the so-called “great awokening.” Yet Europe has gone fully anti-woke, even without much wokeness to fight.

      So much of Europe’s anti-woke movement has focused on opposing and attempting to refute allegations of “institutional” or “structural” racism. Yet despite the 20th-century continental origins of structuralism (especially in France) as a mode of social analysis—not to mention the Francophone writers who have shaped the way American thinkers conceive of race—many European elites dismiss these critiques as unwelcome intrusions into the public discourse that project the preoccupations of a nation built on slavery (and thus understandably obsessed with race) onto societies that are vastly different. Europe, they insist, has a different history, one in which race—especially in the form of the simple binary opposition of Black and white—plays a less central role. There is, of course, some truth to this rejoinder: Different countries do indeed have different histories and different debates. But when Europeans accuse their American critics of projection, they do so not to point out the very real divergences in the US and European discussions and even conceptions of race and racism. Rather, the charge is typically meant to stifle the discussion altogether—even when that discussion is being led by European citizens describing their own lived experiences.

      France, where I reside, proudly sees itself as a “universalist” republic of equal citizens that officially recognizes no differences among them. Indeed, since 1978, it has been illegal to collect statistics on race, ethnicity, or religion—a policy that is largely a response to what happened during the Second World War, when authorities singled out Jewish citizens to be deported to Nazi concentration camps. The French view is that such categories should play no role in public life, that the only community that counts is the national community. To be anti-woke, then, is to be seen as a discerning thinker, one who can rise above crude, reductive identity categories.

      The reality of daily life in France is anything but universalist. The French state does indeed make racial distinctions among citizens, particularly in the realm of policing. The prevalence of police identity checks in France, which stem from a 1993 law intended to curb illegal immigration, is a perennial source of controversy. They disproportionately target Black and Arab men, which is one reason the killing of George Floyd resonated so strongly here. Last summer I spoke to Jacques Toubon, a former conservative politician who was then serving as the French government’s civil liberties ombudsman (he is now retired). Toubon was honest in his assessment: “Our thesis, our values, our rules—constitutional, etc.—they are universalist,” he said. “They do not recognize difference. But there is a tension between this and the reality.”

      One of the most jarring examples of this tension came in November 2020, when Sarah El Haïry, Macron’s youth minister, traveled to Poitiers to discuss the question of religion in society at a local high school. By and large, the students—many of whom were people of color—asked very thoughtful questions. One of them, Emilie, 16, said that she didn’t see the recognition of religious or ethnic differences as divisive. “Just because you are a Christian or a Muslim does not represent a threat to society,” she said. “For me, diversity is an opportunity.” These and similar remarks did not sit well with El Haïry, who nonetheless kept her cool until another student asked about police brutality. At that point, El Haïry got up from her chair and interrupted the student. “You have to love the police, because they are there to protect us on a daily basis,” she said. “They cannot be racist because they are republican!”

      For El Haïry, to question such assumptions would be to question something foundational and profound about the way France understands itself. The problem is that more and more French citizens are doing just that, especially young people like the students in Poitiers, and the government seems utterly incapable of responding.

      Although there is no official data to this effect—again, because of universalist ideology—France is estimated to be the most ethnically diverse society in Western Europe. It is home to large North African, West African, Southeast Asian, and Caribbean populations, and it has the largest Muslim and Jewish communities on the continent. By any objective measure, that makes France a multicultural society—but this reality apparently cannot be admitted or understood.

      Macron, who has done far more than any previous French president to recognize the lived experiences and historical traumas of various minority groups, seems to be aware of this blind spot, but he stops short of acknowledging it. Earlier this year, I attended a roundtable discussion with Macron and a small group of other Anglophone correspondents. One thing he said during that interview has stuck with me: “Universalism is not, in my eyes, a doctrine of assimilation—not at all. It is not the negation of differences…. I believe in plurality in universalism, but that is to say, whatever our differences, our citizenship makes us build a universal together.” This is simply the definition of a multicultural society, an outline of the Anglo-Saxon social model otherwise so despised in France.

      Europe’s reaction to the brutal killing of George Floyd in may 2020 was fascinating to observe. The initial shock at the terrifyingly mundane horrors of US life quickly gave way to protest movements that decried police brutality and the unaddressed legacy of Europe’s colonial past. This was when the question of structural racism entered the conversation. In Britain, Prime Minister Boris Johnson responded to the massive protests throughout the country by establishing the Commission on Race and Ethnic Disparities, an independent group charged with investigating the reality of discrimination and coming up with proposals for rectifying racial disparities in public institutions. The commission’s report, published in April 2021, heralded Britain as “a model for other White-majority countries” on racial issues and devoted three pages to the problems with the language of “structural racism.”

      One big problem with this language, the report implied, is that “structural racism” is a feeling, and feelings are not facts. “References to ‘systemic’, ‘institutional’ or ‘structural racism’ may relate to specific processes which can be identified, but they can also relate to the feeling described by many ethnic minorities of ‘not belonging,’” the report said. “There is certainly a class of actions, behaviours and incidents at the organisational level which cause ethnic minorities to lack a sense of belonging. This is often informally expressed as feeling ‘othered.’” But even that modest concession was immediately qualified. “However, as with hate incidents, this can have a highly subjective dimension for those tasked with investigating the claim.” Finally, the report concluded, the terms in question were inherently extreme. “Terms like ‘structural racism’ have roots in a critique of capitalism, which states that racism is inextricably linked to capitalism. So by that definition, until that system is abolished racism will flourish.”

      The effect of these language games is simply to limit the terms available to describe a phenomenon that indeed exists. Because structural racism is not some progressive shibboleth: It kills people, which need not be controversial or even political to admit. For one recent example in the UK, look no further than Covid-19 deaths. The nation’s Office for National Statistics concluded that Black citizens were more than four times as likely to die of Covid as white citizens, while British citizens of Bangladeshi and Pakistani heritage were more than three times as likely to die. These disparities were present even among health workers directly employed by the state: Of the National Health Service clinical staff who succumbed to the virus, a staggering 60 percent were “BAME”—Black, Asian, or minority ethnic, a term that the government’s report deemed “no longer helpful” and “demeaning.” Beyond Covid-19, reports show that Black British women are more than four times as likely to die in pregnancy or childbirth as their white counterparts; British women of an Asian ethnic background die at twice the rate of white women.

      In the countries of Europe as in the United States, the battle over “woke” ideas is also a battle over each nation’s history—how it is written, how it is taught, how it is understood.

      Perhaps nowhere is this more acutely felt than in Britain, where the inescapable legacy of empire has become the center of an increasingly acrimonious public debate. Of particular note has been the furor over how to think about Winston Churchill, who remains something of a national avatar. In September, the Winston Churchill Memorial Trust renamed itself the Churchill Fellowship, removed certain pictures of the former prime minister from its website, and seemed to distance itself from its namesake. “Many of his views on race are widely seen as unacceptable today, a view that we share,” the Churchill Fellowship declared. This followed the November 2020 decision by Britain’s beloved National Trust, which operates an extensive network of stately homes throughout the country, to demarcate about 100 properties with explicit ties to slavery and colonialism.

      These moves elicited the ire of many conservatives, including the prime minister. “We need to focus on addressing the present and not attempt to rewrite the past and get sucked into the never-ending debate about which well-known historical figures are sufficiently pure or politically correct to remain in public view,” Johnson’s spokesman said in response to the Churchill brouhaha. But for Hilary McGrady, the head of the National Trust, “the genie is out of the bottle in terms of people wanting to understand where wealth came from,” she told London’s Evening Standard. McGrady justified the trust’s decision by saying that as public sensibilities change, so too must institutions. “One thing that possibly has changed is there may be things people find offensive, and we have to be sensitive about that.”

      A fierce countermovement to these institutional changes has already emerged. In the words of David Abulafia, 71, an acclaimed historian of the Mediterranean at Cambridge University and one of the principal architects of this countermovement, “We can never surrender to the woke witch hunt against our island story.”

      This was the actual title of an op-ed by Abulafia that the Daily Mail published in early September, which attacked “today’s woke zealots” who “exploit history as an instrument of propaganda—and as a means of bullying the rest of us.” The piece also announced the History Reclaimed initiative, of which Abulafia is a cofounder: a new online platform run by a board of frustrated British historians who seek to “provide context, explanation and balance in a debate in which condemnation is too often preferred to understanding.” As a historian myself, I should say that I greatly admire Abulafia’s work, particularly its wide-ranging synthesis and its literary quality, neither of which is easy to achieve and both of which have been models for me in my own work. Which is why I was surprised to find a piece by him in the Daily Mail, a right-wing tabloid not exactly known for academic rigor. When I spoke with Abulafia about it, he seemed a little embarrassed. “It’s basically an interview that they turn into text and then send back to you,” he told me. “Some of the sentences have been generated by the Daily Mail.”

      As in the United States, the UK’s Black Lives Matter protests led to the toppling of statues, including the one in downtown Bristol of Edward Colston, a 17th-century merchant whose wealth derived in part from his active involvement in the slave trade. Abulafia told me he prefers a “retain and explain” approach, which means keeping such statues in place but adding context to them when necessary. I asked him about the public presentation of statues and whether by their very prominence they command an implicit honor and respect. He seemed unconvinced. “You look at statues and you’re not particularly aware of what they show,” he said.

      “What do you do about Simon de Montfort?” Abulafia continued. “He is commemorated at Parliament, and he did manage to rein in the power of monarchy. But he was also responsible for some horrific pogroms against the Jews. Everyone has a different perspective on these people. It seems to me that what we have to say is that human beings are complex; we often have contradictory ideas, mishmash that goes in any number of different directions. Churchill defeated the Nazis, but lower down the page one might mention that he held views on race that are not our own. Maintaining that sense of proportion is important.”

      All of these are reasonable points, but what I still don’t understand is why history as it was understood by a previous generation must be the history understood by future generations. Statues are not history; they are interpretations of history created at a certain moment in time. Historians rebuke previous interpretations of the past on the page all the time; we rewrite accounts of well-known events according to our own contemporary perspectives and biases. What is so sacred about a statue?

      I asked Abulafia why all of this felt so personal to him, because it doesn’t feel that way to me. He replied, “I think there’s an element of this: There is a feeling that younger scholars might be disadvantaged if they don’t support particular views of the past. I can think of examples of younger scholars who’ve been very careful on this issue, who are not really taking sides on that issue.” But I am exactly such a younger scholar, and no one has ever forced me to uphold a certain opinion, either at Harvard or at Oxford. For Abulafia, however, this is a terrifying moment. “One of the things that really worries me about this whole business is the lack of opportunities for debate.”

      Whatever one thinks of “woke” purity tests, it cannot be argued in good faith that the loudest European voices on the anti-woke side of the argument are really interested in “debate.” In France especially, the anti-woke moment has become particularly toxic because its culture warriors—on both the right and the left—have succeeded in associating “le wokeisme” with defenses of Islamist terrorism. Without question, France has faced the brunt of terrorist violence in Europe in recent years: Since 2015, more than 260 people have been killed in a series of attacks, shaking the confidence of all of us who live here. The worst year was 2015, flanked as it was by the Charlie Hebdo and Bataclan concert hall attacks. But something changed after Paty’s brutal murder in 2020. After a long, miserable year of Covid lockdowns, the French elite—politicians and press alike—began looking for something to blame. And so “wokeness” was denounced as an apology for terrorist violence; in the view of the French establishment, to emphasize identity politics was to sow the social fractures that led to Paty’s beheading. “Wokeness” became complicit in the crime, while freedom of expression was reserved for supporters of the French establishment.

      The irony is fairly clear: Those who purported to detest American psychodramas about race and social justice had to rely on—and, in fact, to import—the tools of an American culture war to battle what they felt threatened by in their own country. In the case of Paty’s murder and its aftermath, there was another glaring irony, this time about the values so allegedly dear to the anti-woke contingent. The middle school teacher, who was targeted by a Chechen asylum seeker because he had shown cartoons of the prophet Muhammad as part of a civics lesson about free speech, was immediately lionized as an avatar for the freedom of expression, which the French government quite rightly championed as a value it would always protect. “I will always defend in my country the freedom to speak, to write, to think, to draw,” Macron told Al Jazeera shortly after Paty’s killing. This would have been reassuring had it not been completely disingenuous: Shortly thereafter, Macron presided over a crackdown on “islamo-gauchisme” in French universities, a term his ministers used with an entirely straight face. If there is a single paradox that describes French cultural life in 2021, it is this: “Islamophobia” is a word one is supposed to avoid, but “Islamo-leftism” is a phenomenon one is expected to condemn.

      Hundreds of academics—including at the Centre National de la Recherche Scientifique, France’s most prestigious research body—attacked the government’s crusade against an undefined set of ideas that were somehow complicit in the Islamist terror attacks that had rocked the country. Newspapers like Le Monde came out against the targeting of “islamo-gauchisme,” and there were weeks of tedious newspaper polemics about whether the term harks back to the “Judeo-Bolshevism” of the 1930s (of course it does) or whether it describes a real phenomenon. In any case, the Macron government backtracked in the face of prolonged ridicule. But the trauma of the terror attacks and the emotional hysteria they unleashed will linger: France has also reconfigured its commitment to laïcité, the secularism that the French treat as an unknowable philosophical ideal but that is actually just the freedom to believe or not to believe as each citizen sees fit. Laïcité has become a weapon in the culture war, instrumentalized in the fight against an enemy that the French government assures its critics is radical Islamism but increasingly looks like ordinary Islam.

      The issue of the veil is infamously one of the most polarizing and violent in French public debate. The dominant French view is a function of universalist ideology, which holds that the veil is a symbol of religious oppression; it cannot be worn by choice. A law passed in 2004 prohibits the veil from being worn in high schools, and a separate 2010 law bans the face-covering niqab from being worn anywhere in public, on the grounds that “in free and democratic societies…o exchange between people, no social life is possible, in public space, without reciprocity of look and visibility: people meet and establish relationships with their faces uncovered.” (Needless to say, this republican value was more than slightly complicated by the imposition of a mask mandate during the 2020 pandemic.)

      In any case, when Muslim women wear the veil in public, which is their legal right and in no way a violation of laïcité, they come under attack. In 2019, for instance, then–Health Minister Agnès Buzyn—who is now being investigated for mismanaging the early days of the pandemic—decried the marketing of a runner’s hijab by the French sportswear brand Decathlon, because of the “communitarian” threat it apparently posed to universalism. “I would have preferred a French brand not to promote the veil,” Buzyn said. Likewise, Jean-Michel Blanquer, France’s education minister, conceded that although it was technically legal for mothers to wear head scarves, he wanted to avoid allowing them to chaperone school trips “as much as possible.”

      Nicolas Cadène, the former head of France’s national Observatory of Secularism—a laïcité watchdog, in other words—was constantly criticized by members of the French government for being too “soft” on Muslim communal organizations, with whose leaders he regularly met. Earlier this year, the observatory that Cadène ran was overhauled and replaced with a new commission that took a harder line. He remarked to me, “You have political elites and intellectuals who belong to a closed society—it’s very homogeneous—and who are not well-informed about the reality of society. These are people who in their daily lives are not in contact with those who come from diverse backgrounds. There is a lack of diversity in that elite. France is not the white man—there is a false vision [among] our elites about what France is—but they are afraid of this diversity. They see it as a threat to their reality.”

      As in the United States, there is a certain pathos in the European war on woke, especially in the battalion of crusaders who belong to Cleese and Finkielkraut’s generation. For them, “wokeism” —a term that has no clear meaning and that each would probably define differently—is a personal affront. They see the debate as being somehow about them. The British politician Enoch Powell famously said that all political lives end in failure. A corollary might be that all cultural careers end in irrelevance, a reality that so many of these characters refuse to accept, but that eventually comes for us all—if we are lucky. For many on both sides of the Atlantic, being aggressively anti-woke is a last-ditch attempt at mattering, which is the genuinely pathetic part. But it is difficult to feel pity for those in that camp, because their reflex is, inescapably, an outgrowth of entitlement: To resent new voices taking over is to believe that you always deserve a microphone. The truth is that no one does.

      https://www.thenation.com/article/world/woke-europe-structural-racism

  • Projet de #loi sur les #principes_républicains : le niveau des eaux continue de monter

    Il se passe quelque chose d’assez étrange en ce moment : si de nombreux·ses collègues et de nombreuses institutions se sont résolument élevé·es contre les attaques en « #islamo-gauchisme » et autres « #militantismes » lancées de toutes parts dans le sillage de #Frédérique_Vidal, les dispositions concernant les #universités qui ont été introduites dans le projet de loi confortant le respect des principes de la République ne semblent, en revanche, pas émouvoir grand monde.

    Pourtant, nous avons désormais dépassé le seul stade des paroles odieuses sur les plateaux de télévision : le parlement travaille en ce moment à les transformer en #obligations et #interdictions concrètes.

    Peut-être cet intérêt tout relatif de la communauté universitaire s’explique-t-il par le fait que ce sont les étudiant·es qui se trouvent le plus frontalement visé·es. Peut-être est-ce aussi l’effet d’une grande fatigue : le caractère ininterrompu des #attaques contre l’ESR fait qu’il est de moins en moins pertinent de parler de « vagues » réactionnaires, alors qu’il s’agit, en réalité, d’une implacable et continue montée des eaux aux émanations pestilentielles.

    Double discours de la #CPU

    Rien, pas une réaction de la #conférence_des_présidents_d’université (CPU), par exemple, à la suite des deux nouveaux articles introduits le 18 mars 2021 dans le projet de loi confortant le respect des principes de la République, alors que c’est le versant étudiant des #franchises_universitaires qui se trouve remis en question par le parlement, comme nous l’avons déjà expliqué.

    Pire même, le président de la CPU, #Manuel_Tunon_de_Lara a fait le choix de mettre encore un peu d’huile sur le feu : le 16 mars dernier, il a écrit à tou·tes les membres de la commission des lois et membres de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat – dans une lettre qu’Academia s’est procurée, mais que la CPU s’est bien gardée de rendre publique – pour alimenter la grande peur panique en cours :

    « La vraie #menace [écrit Manuel Tunon de Lara] réside dans le risque d’#intrusion des #religions et d’#idéologies diverses dans la #science, le contenu des #enseignements ou des champs de #recherche, au mépris de la #liberté de chaque enseignant d’exprimer sa pensée et de la #liberté des étudiantes et étudiants inscrits d’assister aux enseignements dispensés, et en violation des franchises universitaires ».

    Il apparaît que c’est un véritable double discours que tient la CPU, quand on sait que deux jours plus tard, elle twittait publiquement toute autre chose de sa rencontre avec le président du Sénat, #Gérard_Larcher :

    https://twitter.com/CPUniversite/status/1372593687000125440

    https://twitter.com/mtunondelara/status/1374734620533608452

    Très introduit, le président Tunon de Lara n’hésite jamais à utiliser ses rencontres parlementaires pour sa communication personnelle1. Au vu des éléments dont nous disposons et du ciblage dont les étudiant·es font l’objet, tant d’un point de vue social que politique, on peu s’intérroger sur ce que prépare réellement la CPU à leur endroit.

    Que le nouvel #article_24 sexies du projet de loi confortant le respect des principes de la République subordonne la mise à disposition de locaux aux étudiant·es à la signature d’un « #contrat_d’engagement_républicain » – dont, pourtant, la Commission nationale consultative des droits de l’homme vient solennellement de demander l’abandon – cela ne pose aucun problème à la CPU. Faire des communiqués grandiloquents contre la ministre, elle sait faire. Défendre concrètement les libertés étudiantes – l’un des grands acquis de la #loi_Faure de 1968 – en revanche, elle s’en garde bien. Peut-être même est-elle directement à l’origine de l’autre article du projet de loi qui concerne les étudiant·es, l’#article_24_septies qui, lui, élargit de manière considérable les possibilités, pour les présidences d’établissement, de limiter la #liberté_de_réunion et la #liberté_d’expression des étudiant·es chaque fois qu’elles estiment être en présence d’ « actions de #propagande » et de « #troubles » au « bon fonctionnement du #service_public », comme Academia l’a déjà expliqué.

    Nouvelle vague d’#amendements au Sénat

    Il est désormais presque certain que ces deux articles seront adoptés lors de l’examen en hémicycle du projet de loi par le Sénat, qui commence demain, mardi 30 mars 2021, à 14h30 au Sénat et durera jusqu’au 8 avril.

    Pour cet examen en hémicycle, d’autres amendements ont en outre été déposés ces tout derniers jours. Ces amendements ont une chance moindre d’être adoptés, mais il nous paraît important de les signaler pour rappeler à quel point, au Parlement, les universités sont désormais visées de manière quasi ininterrompue.

    1° Bien sûr, comme plusieurs fois déjà ces trois derniers mois, des élus Républicains sont remontés au front pour faire interdire le port du #voile dans les établissements d’enseignement supérieur. C’est le cas de l’amendement n° 379 du sénateur #Henri_Leroy ou de l’amendement n° 35 du sénateur #Bascher – qui entend d’ailleurs interdire tous

    signes, tenues ou actes qui constitueraient des actes de pression, de provocation, de #prosélytisme ou de propagande, perturberaient le déroulement des activités d’enseignement de recherche ou troubleraient le fonctionnement normal du service public ».

    On signalera tout particulièrement l’amendement n° 487 du sénateur des Bouches-du-Rhône #Stéphane_Ravier, qui recourt allègrement au vocabulaire de l’#extrême_droite pour parler des « #racistes_anti-blancs de l’UNEF«  :

    À l’Université, des professeurs sont empêchés de citer des auteurs ou d’aborder certains thèmes sous la pression de groupes d’élèves. Le rôle des syndicats d’étudiants, les racistes anti-blancs de l’UNEF en tête, qui organisent ou participent à des évènements de ségrégation et de division, n’y est pas pour rien. Il convient donc de rétablir l’enseignement public dans sa vocation de #neutralité, de #laïcité et d’#universalité en interdisant les avancées communautaires, via le port de tenues ou de #signes_religieux ostensibles, au premier rang desquels le #voile_islamique est le plus conquérant.

    2° À côté de ces amendements sur les signes religieux, on trouve plusieurs offensives directement dirigées contre les associations étudiantes que le code de l’éducation désignent comme représentatives et qui, à ce titre, siègent au CNESER. Par un amendement n° 81, vingt-cinq sénateurs et sénatrices de droite se sont en particulier allié·s pour proposer que l’on inscrive dans la loi que ces associations « sont soumises au respect strict de l’ensemble des #valeurs de la République et de la laïcité ». Le retour, donc, des fameuses « valeurs de la République« , dans lesquelles on pourra tout mettre à l’avenir et qui avaient tant agité les #facs en novembre dernier lorsqu’elles avaient surgi dans la loi de programmation de la recherche…

    Le sénateur #Max_Brisson, par ailleurs inspecteur général de l’éducation nationale et plutôt mesuré jusqu’ici dès qu’il s’agissait d’ESR, fait mieux encore : dans un amendement n° 235, il propose rien moins que :

    « Ne peuvent participer aux élections d’associations représentatives d’étudiants les listes dont un ou plusieurs candidats ont tenu dans des lieux publics, par quelque moyen que ce soit, y compris écrit, des propos contraires aux principes de la #souveraineté_nationale, de la #démocratie ou de la laïcité afin de soutenir les revendications d’une section du peuple fondées sur l’#origine_ethnique ou l’#appartenance_religieuse. »

    3° Quant aux sénateurs et sénatrices socialistes, ils et elles ne veulent visiblement pas être en reste, proposant de subordonner le droit à la mise à disposition de locaux dont disposent les étudiant·es au titre des franchises universitaires depuis 1968 à la signature non d’un « #contrat_d’engagement_républicain » comme le prévoit le nouveau #article_24_sexies, mais, grande différence, à une « #charte_d’engagements_réciproques » par laquelle ces étudiant·es s’engageraient à « promouvoir et à faire respecter toutes les valeurs de la République » (amendement n° 109). « Contrat d’engagement républicain » ou « charte d’engagements réciproques », il existe sans doute des différences, mais le problème de principe demeure : voilà donc que l’exercice même d’une liberté – la liberté de réunion des étudiant·es qui est particulièrement protégée sur les campus grâce au versant étudiant des franchises universitaires – se trouvera subordonné à la signature d’un contrat imposant des obligations dont le contenu est, n’en doutons pas, appelé à augmenter tendanciellement.

    C’est bien le niveau des eaux pestilentielles qui monte.

    Encore et encore.

    https://academia.hypotheses.org/32007

  • L’instrumentalisation de ce professeur par la droite extrémiste est inquiétante

    Le but : Dire que l’islamophobie n’existe pas

    C’est ce que pense ce professeur qui refusait le mot « islamophobie » dans un groupe de travail et qui a harcelé une collègue pour l’enlever.

    https://twitter.com/CNEWS/status/1369201573595844611

    Dans un premier mail au ton assez hallucinant, il refuse le mot dans « Racisme, islamophobie, antisémitisme »

    Il se demande même si le mot à un sens, et s’il n’est pas "l’arme de propagande d’extrêmistes plus intelligents que nous".

    L’argument est plutôt complotiste d’ailleurs.

    Une collègue lui répond simplement que si l’islamophobie est actuellement contesté dans le champ politique, il ne l’est pas dans le champ scientifique, et qu’il n’y a aucune raison de ne pas employer ce terme.

    Kinzler répond avec un long mail très agressif, et conclut que les persécutions des musulmans sont imaginaires, que l’islamophobie n’a rien à faire aux côté de « l’antisémitisme millénaire », que le nom du groupe est une « réécriture de l’histoire qui fait honte à l’établissement »

    On voit déjà le profil de Kinzler. La violence des tournures de phrase, l’insistance, les formes de langages et la longueur des mails montrent l’agressivité des échanges.

    Il fait ensuite une confidence : Il déteste l’islam et préfère le Christ « Qui pardonne la femme adultère »

    Puis on retrouve les arguments de l’extrême droite « pourquoi n’y a-t-il pas des millions de musulmans dans les rues après chaque attentat ? »
    Il avoue que l’islam « lui fait franchement peur » mais il « en connaît de nombreux » donc il n’est pas islamophobe.

    L’échange de mail termine par un mail d’excuse de Kinzler envers sa collègue, qui reconnaît son agressivité, et se justifie en disant avoir été énervé par « l’arrogance d’une jeune enseignante-chercheuse »

    On peut donc rajouter la misogynie au tableau de chasse.

    Vous remarquerez aussi dans ce mail qu’il menace de "quitter le groupe" si le nom n’est pas changé.

    Il prétendra dans d’autres écrits avoir été "exclu du groupe".

    https://twitter.com/Babar_le_Rhino/status/1369277304740982784

    #Klaus_Kinzler #Kinzler #islamophobie

    • Chronologie des faits, rétablis par la directrice du labo PACTE :

      En préambule il semble essentiel d’affirmer que Pacte, comme les trois tutelles dont le laboratoire dépend (Science Po, Univ Grenoble Alpes, CNRS), dénonce absolument les collages sur les murs de l’IEP qui mettent en cause deux collègues -dont un membre du laboratoire, et demande que l’enquête puisse éclaircir toutes les responsabilités en la matière.
      Mais il faut ensuite comprendre que la mise en cause médiatique du laboratoire repose sur une confusion entre deux communiqués.
      – Nous avons bien, en date du 7/12/2020, établi un communiqué interne, envoyé à l’ensemble des membres du groupe de travail alors appelé « Racisme, antisémitisme, islamophobie » - dont 4 étudiants de l’IEP, et à la directrice de l’IEP. Celui-ci ne dénonçait personne à titre nominatif. La notion de harcèlement qui y était mentionnée portait sur le dysfonctionnement des échanges ayant eu lieu par mail, dans leur tonalité notamment. Il disait : « Nier, au nom d’une opinion personnelle, la validité des résultats scientifiques d’une collègue et de tout le champ auquel elle appartient, constitue une forme de harcèlement et une atteinte morale violente ». Des excuses ont par la suite été rédigées par la personne mise en cause. Une autre phrase importante de ce texte était : « L’instrumentalisation politique de l’Islam et la progression des opinions racistes dans notre société légitiment la mobilisation du terme "islamophobie" dans le débat scientifique et public ». Le terme a par ailleurs été retiré du titre du débat qui a eu lieu en janvier. La justification de ce communiqué est un débat dans lequel on me demande de ne pas entrer ici.
      – À la suite de cela, notre collègue attaquée a saisi le Défenseur des Droits qui a confirmé notre interprétation des faits par un courrier officiel envoyé à l’IEP en janvier 2021.
      Puis le laboratoire n’a plus jamais entendu parler de cette affaire jusqu’aux collages du 6 mars 2021.
      – Notre deuxième communiqué a été rédigé le 3 mars 2021 par le conseil d’unité et le directoire. Il était lui tout à fait public, publié sur le site web du labo, traduit en anglais, etc.. Suite aux déclarations de la ministre Mme Vidal, la direction du laboratoire et le conseil d’unité ont en effet pris une position contre la façon dont la croisade contre l’islamo-gauchisme permettait de nier la scientificité des SHS dans leur ensemble, voire de tout le champ scientifique. C’est le seul communiqué visible à ce jour sur notre site. Il n’avait rien à voir avec la situation inter-personnelle qui avait justifié le premier
      Nous n’avons donc jamais traité quiconque d’islamophobe.
      La gravité des faits entraîne une double enquête, à la fois de l’Inspection Générale du Ministère et du Parquet.
      Les deux collègues dont les noms ont été affichés sur les murs de l’IEP, mais aussi celle dont le nom a été exposé contre sa volonté dans la presse, les étudiants concernés et moi-même sommes actuellement sous protection judiciaire.

      https://www.facebook.com/annelaure.amilhatszary/posts/3702745506474976

    • Mediapart : Accusations d’islamophobie : la direction de Sciences Po Grenoble a laissé le conflit s’envenimer

      Une violente polémique agite Sciences Po Grenoble depuis que l’Unef a relayé des affiches accusant de manière nominative deux professeurs d’« islamophobie ». Des enseignants et étudiants dénoncent pourtant l’« instrumentalisation de cette affaire » et un « traitement médiatique biaisé ». Depuis décembre, d’après nos informations, de nombreuses instances avaient été alertées sans entraîner de réaction de la direction.

    • Accusations d’islamophobie : la direction de Sciences Po Grenoble a laissé le conflit s’envenimer

      Une violente polémique agite #Sciences_Po_Grenoble depuis que l’Unef a relayé des affiches accusant de manière nominative deux professeurs d’« islamophobie ». Des enseignants et étudiants dénoncent pourtant l’« instrumentalisation de cette affaire » et un « traitement médiatique biaisé ». Depuis décembre, d’après nos informations, de nombreuses instances avaient été alertées sans entraîner de réaction de la direction.

      Il est midi mardi 9 mars lorsqu’une vingtaine d’étudiants de l’#Institut_d’études_politiques (#IEP) de Grenoble déploient une banderole au pied de l’#université. « Islam ≠ Terrorisme », peut-on lire en plus de deux autres inscriptions affichées sur des cartons pour rappeler que le « racisme est un délit » et pour dire « stop à l’islamophobie ». En face, quelques journalistes attendent de pouvoir interroger les étudiants. Le climat est tendu. Les jeunes se méfient de la presse accusée de « manquer de rigueur » depuis le début de cette polémique. Un étudiant prend la parole.

      La presse s’attend à des excuses publiques. Les étudiants en réalité reviennent à la charge et accusent de nouveau deux professeurs « d’islamophobie », témoignages à l’appui. « Vous vous rendez compte que vous assassinez entre guillemets votre prof ? », lâche un confrère, qui n’a plus envie de cacher sa colère. « Je n’aurais pas dû prendre la parole. Je ne me suis pas fait comprendre », regrette plus tard l’étudiant pris à partie.

      Quelques jours avant, ce sont d’autres affiches qui avaient été placardées sur ces mêmes murs de l’IEP avec les noms de deux enseignants de l’IEP. « Des fascistes dans nos amphis Vincent T. [...] et Klaus K. démission. L’islamophobie tue. » Si ces pancartes ont rapidement été retirées, l’Unef les avait relayées sur les réseaux sociaux avant de se raviser. Marianne et Le Figaro ont ensuite embrayé avant qu’une enquête pour « injures publiques » et « dégradation » ne soit ouverte par le parquet de Grenoble.

      De manière unanime, la classe politique a dénoncé cette action, représentant selon elle une véritable mise en danger pour les deux enseignants. « Je condamne fermement que six mois après l’assassinat, même pas, de Samuel Paty, des noms soient ainsi jetés en pâture. La liberté d’opinion est constitutionnelle pour les enseignants chercheurs… », a déclaré le maire EELV de Grenoble Éric Piolle. Même condamnation pour la ministre de l’enseignement supérieur Frédérique Vidal, qui a diligenté une enquête administrative et rappelé que « les tentatives de pression » et « l’instauration d’une pensée unique » n’avaient « pas leur place à l’université ».

      Sur le parvis de Sciences Po mardi, les étudiants sont aussi unanimes : « Ces collages, c’était une vraie connerie et une mise en danger pour ces deux profs. L’Unef n’aurait jamais dû les relayer non plus », explique un étudiant en troisième année. « Notre communication était clairement maladroite », reconnaît Emma, la présidente de l’Unef Grenoble. « On ne tolère pas que des affiches puissent mettre la vie de profs en danger », renchérit Maxime Jacquier de l’Union syndicale de l’IEP. Tous en revanche disent ne pas savoir qui a collé ces pancartes.

      « Depuis que tout ça a éclaté, les médias comparent cette affaire à ce qui est arrivé à Samuel Paty. On parle de terrorisme intellectuel, d’entrisme islamo-gauchiste ou de fatwa. Mais il y a un décalage magistral entre la réalité de ce qui se passe à l’IEP et la récupération qu’en font les politiques », regrette Thibault, étudiant en master : « C’est une affaire bien plus complexe qui a démarré bien avant. »

      Visé par ces collages, #Klaus_Kinzler, professeur d’allemand, enchaîne les médias depuis, pour témoigner et livrer sa version de la genèse de l’affaire. Cette « cabale » serait née simplement parce qu’il contestait le choix d’utiliser le terme « islamophobie » lors d’une semaine de l’égalité. D’après lui, « la liberté d’expression n’existe plus à Sciences Po ». « Ils voulaient nous faire la peau à moi et mon collègue », dit-il aussi dans Le Point en évoquant une partie des étudiants de l’institution.

      Auprès de Mediapart, ce prof de 61 ans, « 35 ans d’enseignement », introduit la conversation en se félicitant que les médias soient « si nombreux à en parler ». « C’est un vrai marathon, mais le plus intéressant était CNews. Il y a des extraits de l’émission qui sont vus plus de 100 000 fois sur les réseaux », se réjouit l’enseignant qui dit vouloir désormais se concentrer sur le volet judiciaire. « Grâce à l’essayiste Caroline Fourest, j’ai pris l’avocat Patrick Klugman pour préparer ma riposte », explique le prof qui accuse ses collègues de l’avoir complètement lâché.

      Il explique avoir été exclu d’un groupe de travail pour avoir voulu débattre de l’utilisation du terme « islamophobie ». Il dit avoir été accusé de harcèlement pour avoir simplement remis en cause les arguments de Claire M., sa collègue également membre de ce groupe. Il accuse même sa directrice de lui avoir fait fermer une page de son site internet pour le punir d’avoir été se répandre médiatiquement. Il dénonce enfin la pression constante des étudiants qui n’hésiteraient plus à entraver la « liberté d’expression » et la « liberté académique » des enseignants.

      « Le problème, c’est qu’il y a beaucoup d’erreurs et de mensonges dans son récit », regrette l’un de ses collègues de l’IEP qui rappelle qu’il a été immédiatement soutenu par ses pairs. « On est scandalisé par les propos qu’il a tenus sur CNews. Il regrette ne pas avoir de soutien alors qu’il y a eu une boucle de mails dans la foulée des collages. Notre soutien a été unanime et immédiat et la condamnation de ces affiches a été très ferme », rectifie Florent Gougou, maître de conférences à l’IEP. Une motion, votée mardi par le conseil d’administration de Sciences Po, condamne d’ailleurs « fermement cet affichage qui relève de l’injure et de l’intimidation ».

      Mais ce texte rappelle aussi l’importance « du devoir de réserve » et du respect des « règles établies et légitimes de l’échange académique ». Un élément clé de toute cette affaire que ni les enseignants visés, ni Marianne et Le Figaro n’ont évoqué jusqu’à présent. Sur la base de nombreux témoignages d’étudiants, de professeurs et de la direction mais aussi en s’appuyant sur l’intégralité des mails et échanges en cause, Mediapart a tenté de retracer les raisons de cette affaire débutée fin novembre. Et qui, de l’aveu de tous, « n’aurait jamais dû prendre cette tournure nationale ».

      Fin novembre donc, sept étudiants et une autre enseignante, Claire M., planchent ensemble dans un groupe de travail pour préparer la « semaine de l’égalité et contre les discriminations » qui se tient annuellement depuis 2017. Ce groupe a pour intitulé « Racisme, islamophobie, antisémitisme ». Klaus Kinzler le rejoint alors qu’il est déjà constitué et remet immédiatement en cause l’intitulé.

      « Bonsoir à tout le monde, concernant notre groupe thématique “Racisme, islamophobie, antisémitisme”, je suis assez intrigué par l’alignement révélateur de ces trois concepts dont l’un ne devrait certainement pas y figurer (on peut même discuter si ce terme a un vrai sens ou s’il n’est pas simplement l’arme de propagande d’extrémistes plus intelligents que nous) », écrit d’emblée le professeur d’allemand qui livre la véritable raison de sa présence dans ce groupe : « Je ne vous cache pas que c’est en vertu de ce contresens évident dans le nom de notre groupe thématique que je l’ai choisi. »

      Claire M., l’enseignante en question, répond le lendemain pour défendre le choix de l’intitulé qui n’est d’ailleurs pas de son fait. Ce dernier a été décidé après un sondage en ligne lancé par l’administration et a été validé par un comité de pilotage. « La notion d’islamophobie est effectivement contestée et prise à partie dans le champ politique et partisan. Ce n’est pas le cas dans le champ scientifique », défend la maîtresse de conférences qui cite des arguments scientifiques pour se justifier. Elle précise aussi « qu’utiliser un concept ne dispense pas d’en questionner la pertinence, de se demander s’il est opérant ».

      Quelques heures plus tard, Klaus Kinzler répond de manière plus virulente. Les étudiants du groupe de travail, eux, sont toujours en copie. « Affirmer péremptoirement, comme le fait Claire, que la notion d’islamophobie ne serait “pas contestée dans le champ académique” me paraît une imposture », estime l’enseignant qui conteste les références utilisées par Claire qui mettait en avant « le champ académique ». « Ou alors soyons francs et reconnaissons tout de suite ceci : ce “champ académique” dont (Claire) parle et dont elle est un exemple parfait, est lui-même, du moins dans certaines sciences sociales (qu’à l’INP on appelle “sciences molles”), devenu partisan et militant depuis longtemps », poursuit-il.

      Il ajoute : « Contrairement à ce que Claire affirme ex cathedra, le débat académique sur la notion hautement problématique de l’“islamophobie” n’est absolument pas clos… » Il enchaîne pour évoquer une notion « fourre-tout », « inventée de toutes pièces comme arme idéologique dans une guerre mondiale menée par des “Fous de Dieu” (au sens littéral) contre les peuples “impies”, notion qui semble avoir envahi de nombreux cerveaux, y compris dans notre vénérable institut ». « C’est pour cela que je refuse catégoriquement de laisser suggérer que la persécution (imaginaire) des extrémistes musulmans (et autres musulmans égarés) d’aujourd’hui ait vraiment sa place à côté de l’antisémitisme millénaire et quasi universel ou du racisme dont notre propre civilisation occidentale (tout comme la civilisation musulmane d’ailleurs) est passée championne du monde au fil des siècles... »

      Il dénonce ensuite « le véritable scandale » que représente selon lui le nom de ce groupe de travail, « une réécriture de l’histoire » qui ferait « honte » à l’IEP de Grenoble. « J’ai décidé que, au cas où le groupe déciderait de maintenir ce nom absurde et insultant pour les victimes du racisme et de l’antisémitisme, je le quitterai immédiatement (c’est déjà presque fait, d’ailleurs) », annonce-t-il en guise de conclusion.

      Juste après ce mail, Vincent T., maître de conférences en sciences politiques – que Klaus Kinzler avait laissé en copie caché dans l’échange – intervient alors qu’il ne fait pas partie du groupe de travail. Il défend son collègue et cible directement Claire M. en disant découvrir « avec effarement à quel point des universitaires sont enfoncés dans le militantisme et l’idéologie ». « Associer l’IEP de Grenoble au combat mené par des islamistes, en France et dans le monde, et de surcroît au moment où le gouvernement vient de dissoudre le CCIF, mais vous devenez fous ou quoi ? », interroge Vincent T.

      Claire M. répond et poursuit son argumentation en produisant plusieurs publications scientifiques pour expliquer pourquoi l’usage du terme « islamophobie » n’est pas problématique selon elle. Les choses s’enveniment lorsque Vincent T. rétorque en mettant cette fois-ci la direction de l’IEP en copie. Il évoque Charlie Hebdo « accusé d’islamophobie », « Samuel Paty accusé d’être islamophobe » et dit ne pas pouvoir imaginer « un instant que l’IEP de Grenoble se retrouve dans ce camp » et invite la direction à réagir.

      En réponse, Klaus Kinzler poursuit sa dénonciation dans un mail fleuve, notamment d’une « partie grandissante des chercheurs en sciences sociales ». « Tous les jours, les départements en “gender studies”, “race studies” et autres “études postcoloniales” (liste loin d’être exhaustive !) des universités les plus prestigieuses du monde sortent leur production de nouveaux livres et articles “scientifiques” dont les conclusions sont strictement hallucinantes (pour des personnes normalement constituées) », poursuit le professeur d’allemand avant de déplorer « la cancel culture » qui serait à l’œuvre. Il continue de dénigrer les sciences sociales qui produiraient « un tas de choses invraisemblables » et qui seraient bien moins légitimes que « les sciences dures ». Il se fait ensuite plus intransigeant : « Je vais être clair : je refuse absolument d’accepter qu’on puisse continuer, comme Claire le propose au groupe, de conserver l’intitulé de la journée prévue. »

      Le prof d’allemand qui revendique auprès de Mediapart son côté « provoc’ » a en tout cas une réputation « sulfureuse » au sein de l’IEP. « Lui et Vincent sont les deux profs réputés à droite quoi et parfois très militants », contextualise un enseignant. L’argumentation de Klaus Kinzler déployée dans ses mails le prouve.

      « Les musulmans ont-ils été des esclaves et vendus comme tels pendant des siècles, comme l’ont été les Noirs (qui aujourd’hui encore sont nombreux à souffrir d’un racisme réel) ? Non, historiquement, les musulmans ont été longtemps de grands esclavagistes eux-mêmes ! Et il y a parmi eux, encore aujourd’hui, au moins autant de racisme contre les Noirs que parmi les Blancs », peut-on lire. Il poursuit sa mise en cause des musulmans en expliquant qu’ils n’ont pas jamais été « persécutés », « tués » ou « exterminés » comme l’ont été les juifs et qu’au contraire, on compterait parmi eux « un très grand nombre d’antisémites virulents ».

      Il en profite pour expliquer qu’il n’a « aucune sympathie » pour l’islam « en tant que religion » et préfère même « largement le Christ qui, lui, pardonne fameusement à la femme adultère ». Il précise toutefois n’avoir aucune « antipathie » à l’égard des musulmans, mais reprend à son compte la théorie qui veut que ces derniers soient a priori solidaires des terroristes : « Pourquoi n’y a-t-il pas des millions de musulmans dans la rue pour le crier haut et fort, immédiatement, après chaque attentat, pourquoi ? » Il termine enfin son mail en proposant un nouvel intitulé qui serait « Racisme, antisémitisme et discrimination contemporaine » pour englober « l’homophobie, l’islamophobie et la misogynie ».
      Le Défenseur des droits défend l’enseignante

      « Après ces échanges, Claire M. a considéré être victime d’une agression et même d’un harcèlement », explique l’un de ses collègues. Elle aurait reproché à Klaus Kinzler de se contenter de livrer ses opinions personnelles face à des arguments scientifiques. Mais aussi de la dénigrer, la qualifiant d’« extrémiste ». Il aurait ainsi clairement dépassé son devoir de réserve et bafoué le principe de laïcité en faisant l’éloge du Christ. L’enseignante sollicite l’intervention de la direction qui refuse de rappeler à l’ordre Klaus Kinzler mettant en avant la liberté d’expression. « Nous l’avons accompagnée dans ces démarches car nous avons considéré que la direction se devait de réagir. On a remarqué au passage qu’aucun registre de santé et de sécurité ni de CHST n’existait », explique un membre de la CGT de l’université de Grenoble. « On a même fait une alerte pour danger grave et imminent », ajoute-t-il.

      De son côté pourtant, Klaus Kinzler affirme qu’il a été lâché par sa direction. « J’ai même été exclu du groupe de travail », assure l’enseignant qui estime « ne pas avoir dépassé le cadre de la politesse » dans ses mails. « En réalité, Klaus n’a jamais été exclu. C’est lui-même qui a annoncé son départ », nuance une étudiante membre du groupe de travail et elle aussi destinataire des courriers. « On ne comprenait pas pourquoi il prenait à partie notre enseignante alors que l’intitulé du groupe avait été voté et validé en amont. Il y avait un tel manque de professionnalisme de sa part qu’on a choisi de ne pas répondre », explique-t-elle.

      Contrairement à ce que le prof répète dans les médias, les étudiants à ce moment-là de l’affaire ne réagissent pas. « On a demandé à sortir de cette boucle de mails, on a sollicité la direction qui n’a pas souhaité réagir. Du coup, on a fait remonter que dans ces conditions, on ne voulait plus travailler avec lui. Son agressivité et ses propos anti-islam nous ont mis mal à l’aise mais il n’y a pas eu de volonté de le faire taire ou de l’exclure », poursuit-elle : « Ses mails s’en prenant de cette manière à l’islam ou aux musulmans étaient difficiles à vivre pour certains étudiants. »

      En révélant cette affaire, Le Figaro affirme que les échanges en question ne contenaient aucune « trace d’invectives personnelles ». Dans des échanges consultés par Mediapart pourtant, Klaus Kinzler reconnaît lui-même sa violence. « Je viens de relire notre échange. De ton côté, un ton parfaitement modéré et poli ; de mon côté, je l’admets, je n’ai pas eu la même maîtrise du langage et, dans le feu de l’action, je me suis par moments laissé emporter. Je le regrette », écrit-il le 4 décembre tout en précisant que sur le fond, il « maintient tout à 100 % ». « Je me suis excusé pour calmer les choses, c’était diplomatique, mais je maintiens qu’il n’y avait pas de problème dans mes mails », corrige-t-il finalement à Mediapart.

      D’après son entourage, Claire M. vit mal « l’inertie de la direction » et est même mise en arrêt maladie du 7 au 11 décembre. Juste avant, elle alerte Pacte, le labo de recherches de l’université dont elle dépend. Ce labo rattaché au CNRS publie dans la foulée un communiqué interne pour affirmer « son plein soutien » à l’enseignante « attaquée personnellement ». Sans jamais nommer Klaus Kinzler, il lui reproche de nier ses résultats scientifiques (elle travaille depuis de longues années sur les questions autour de l’islam et des musulmans et est largement reconnue alors que lui n’est pas chercheur) et dénonce une forme de « harcèlement ». Il rappelle enfin que le débat scientifique nécessite « liberté, sérénité et respect ».

      « On ne voulait pas attaquer la direction », explique un membre de ce labo, « mais on ne pouvait pas laisser un prof dénigrer les SHS de cette manière, mettre en copie un prof qui n’a rien à voir avec ce groupe de travail, et les laisser s’en prendre à une collègue aussi violemment par mail devant ses étudiants. C’était un rappel à l’ordre sur la forme puisque la direction refusait d’intervenir ».

      D’après l’étudiante du groupe de travail, l’affaire aurait dû s’arrêter là. D’autant que Klaus Kinzler oublie de dire qu’il a obtenu gain de cause puisque la semaine de l’égalité a été rebaptisée. « Féminismes et antiracisme » a remplacé l’autre intitulé d’après les documents obtenus par Mediapart. « On a d’ailleurs pris le soin de ne pas évoquer ses mails publiquement. C’est Klaus en réalité qui en fait le premier la publicité », explique-t-elle. Un point aussi crucial que le prof d’allemand n’évoquera jamais lors de ses différentes sorties médiatiques.

      En effet, l’enseignant est furieux, voit dans la réaction de Pacte « une punition » et envoie de nombreux mails à la communauté éducative pour exposer ce litige et se plaindre de Claire M. Il va jusqu’à publier sur son site internet les échanges sans l’accord de l’enseignante. « Il a même utilisé les échanges de mails et la réponse du labo comme matériel pédagogique pour évoquer avec ses étudiants “la cancel culture” dont il se dit victime », témoigne l’une de ses collègues : « Claire M. n’avait rien demandé et c’est d’abord son nom qui a été jeté en pâture. Il se garde bien de dire qu’il est allé aussi loin. » Comme l’a constaté Mediapart, Klaus Kinzler a en effet utilisé cet incident lors de conférences de méthode de langue allemande de 3e année consacrés à la « cancel culture ».

      Interrogé, Klaus Kinzler confirme avoir été le premier à publier tous ces échanges sur son site internet mais assure que s’il l’a fait, c’est parce que le labo Pacte avait « rendu public son communiqué ». En réalité, le courrier de Pacte a seulement été envoyé par mail aux personnes concernées et à la direction. « Jamais il n’a été rendu public sur notre site », précise l’un de ses membres qui admet toutefois qu’il n’aurait pas dû intituler ce courrier « communiqué ».

      Reprenant les arguments de Klaus Kinzler, Marianne indique ainsi que le collectif Sciences Po Grenoble, relayé par l’Union syndicale, a donc publié le 7 janvier des extraits des courriels pour dénoncer son discours « ancré à l’extrême droite ». C’est exact. Mais les mails repris par les étudiants, qui ne nomment jamais le professeur, ont été piochés sur le site de l’enseignant qui les avait lui seul rendus publics.

      « Je ne regrette pas de les avoir fait circuler car c’était mon seul moyen pour me défendre », justifie aujourd’hui Klaus Kinzler. Rétrospectivement, il reconnaît une erreur, celle d’avoir rendu public le nom de Claire M. « J’aurais dû retirer son nom mais j’avais d’autres colères à gérer », rétorque l’enseignant qui explique l’avoir finalement fait il y a quelques jours, lorsque la polémique a éclaté médiatiquement. « Mais je ne comprends pas trop qu’on fasse tout un fromage du risque de sécurité pour ma collègue », nuance-t-il. Comme lui et Vincent T. pourtant, Claire M. bénéficie d’une protection policière depuis samedi 6 mars. « Elle a d’ailleurs reçu un mail haineux en début de semaine », ajoute la CGT.

      Face à l’inaction de la direction, Claire M. avait également saisi le Défenseur des droits en décembre. D’après nos informations, l’institution via sa cellule grenobloise a envoyé un courrier le 11 janvier à Sabine Saurugger, la directrice de l’IEP. Dans cette lettre, le Défenseur des droits précise qu’il n’a pas à se positionner sur le fond du débat mais rappelle que le respect entre collègues est un élément fondamental. Surtout, il estime que Vincent T. et Klaus Kinzler ont bafoué le droit au respect de Claire M. et que cette dernière n’a pas bénéficié du soutien de la direction.

      Sollicitée par Mediapart, la directrice, qui n’avait pas répondu au Défenseur des droits à l’époque, conteste toute inertie. « Ces événements avaient donné lieu à une action très ferme de la direction qui a d’ailleurs mené à la rédaction d’excuses de Klaus Kinzler », explique-t-elle. Le 16 décembre en effet, l’enseignant s’était une nouvelle fois excusé. Mais au même moment, il exposait sur son site les échanges mails avec l’enseignante et revendiquait sa démarche dans un courrier adressé au labo Pacte en réponse à leur communiqué.

      Malgré le constat du Défenseur des droits, la direction l’assure : « Il est incorrect de dire que nous n’avons pas réagi, mais on a tenté d’avoir un dialogue constructif », explique Sabine Saurugger.

      Étudiants et syndicats avaient aussi alerté la direction

      Contrairement à ce qui a pu être dit jusqu’à présent, la plupart des instances internes ont donc été sollicitées avant que les fameuses affiches soient collées sur les murs de l’IEP. L’Union syndicale, par exemple, avait aussi dénoncé l’inaction de la direction et demandé par courrier qu’elle condamne les propos tenus par le professeur. « L’islamophobie n’a pas sa place dans notre institut tout comme les autres discriminations que peuvent être le racisme et l’antisémitisme », peut-on lire dans un échange daté du 9 janvier. Le syndicat en profitait pour apporter son soutien à l’enseignante et demander la suppression du cours sur l’islam de Vincent T. qu’ils accusent d’islamophobie.

      En réponse, la directrice temporise. Sabine Saurugger rappelle l’importance de la liberté d’expression des enseignants mais aussi des principes de « tolérance et d’objectivité » exigés par les « traditions universitaires et le code de l’éducation ». Le 13 janvier, les étudiants insistent et demandent que l’IEP « ne se cache pas derrière la liberté pédagogique pour défendre l’islamophobie ». Ils veulent aussi que soit mise à l’ordre du jour du prochain conseil d’administration la suppression du cours de Vincent T. baptisé « Islam et musulmans dans la France contemporaine ». Le 22 février enfin, l’Union syndicale lance un appel à témoignage sur Facebook et demande aux étudiants de faire remonter d’éventuels propos islamophobes tenus par Vincent T. dans ses cours.

      « On avait eu plusieurs remontées problématiques », justifie un membre de ce syndicat. Les étudiants évoquent notamment les prises de position de ce maître de conférences, par ailleurs membre de l’Observatoire du décolonialisme (il a signé une tribune en janvier dans Le Point « contre le “décolonialisme” et les obsessions identitaires »). Il est aussi un contributeur régulier du site Atlantico. « Ses tribunes sont d’ailleurs toutes reprises par la revue de presse officielle de l’IEP », remarque l’un de ses collègues pour démontrer qu’on est loin d’une « université minée par l’islamo-gauchisme ».

      « Les idéologies islamo-gauchistes et décoloniales sont devenues tellement puissantes que les instances officielles cherchent à les protéger », écrivait Vincent T. par exemple en septembre. « Nos meilleurs étudiants sont aujourd’hui conditionnés pour réagir de manière stéréotypée aux grands problèmes de société. Ils sont par exemple persuadés que la société française est raciste, sexiste et discriminatoire, que les immigrés ont été amenés de force en France pour être exploités et parqués dans des ghettos, que Napoléon était une sorte de fasciste ou que la colonisation était synonyme de génocide », fustigeait-il en février.

      « Vincent est connu pour être à droite de la sociologie. Après, il n’y a aucun élément aujourd’hui permettant de prouver qu’il a tenu des propos islamophobes dans ses cours », nuance toutefois un professeur de l’IEP. « Ce qui est certain, c’est qu’il en fait une obsession. Mais il y a aussi une grande frayeur chez lui », ajoute son collègue.

      Après la mort de Samuel Paty par exemple, Vincent T. avait vivement réagi dans un mail envoyé à la présidence de l’université en octobre. « Les caricatures publiées par Charlie Hebdo sont devenues la ligne de démarcation entre la civilisation et la barbarie, entre nous et nos ennemis. Soit nous acceptons ces caricatures, soit nous les refusons : à chacun de choisir son camp », écrivait-il avant de demander à l’université de placarder les caricatures.

      « Dans le cadre de mes enseignements, il m’arrive, comme sûrement à d’autres collègues, de présenter ces dessins lorsque j’aborde l’affaire des caricatures. Pour cette raison, ma vie est donc potentiellement en danger. Elle cessera de l’être si toute l’université assume sa solidarité en placardant ces caricatures partout où elle le peut », ajoutait-il avant de conclure : « En l’absence d’une telle mesure élémentaire de solidarité et de courage, vous mettrez ma vie en danger. » La direction avait alors évoqué la possibilité de signaler des éléments à la police s’il en ressentait le besoin.

      Pour cette raison, certains professeurs et étudiants jugent le post Facebook de l’Union syndicale maladroit : « Cet appel à témoignage, même s’il ne mentionnait pas son nom, aurait dû rester sur des boucles internes et ne pas être affiché sur le réseau social. Vincent était trop identifiable. » Après avoir découvert ce post, l’enseignant envoie un mail aux étudiants : « Pour des raisons que je ne peux expliquer par mail, je demande à tous les étudiants qui appartiennent au syndicat dit “Union syndicale” de quitter immédiatement mes cours et de ne jamais y remettre les pieds. » « Je suis Charlie et je le resterai », conclut-il avant de revenir sur ses propos quelques jours plus tard.

      Le même jour, Klaus Kinzler envoie un autre mail présenté comme étant humoristique aux étudiants, mais aussi à la direction. « Bonjour surtout à nos petit.e.s Ayatollahs en germe (c’est quoi déjà l’écriture inclusive d’Ayatollah ?) ! », entame-t-il : « Je vois que ça commence à être une habitude chez vous, de lancer des fatwas contre vos profs. » En cause, une réunion assez houleuse entre ces profs, Kinzler et d’autres professeurs. L’enseignant d’allemand s’était permis de boire de l’alcool « pour supporter cette réunion » où il était de nouveau question de débattre de « l’islamophobie ».

      « Cela vous choque donc tellement, vous les “Gardien.n.e.s des bonnes mœurs” auto-proclamé.e.s, que, après quatre heures interminables passés avec vous, […] j’aie eu besoin de me verser quelques canons derrière la cravate pour ne pas péter un plomb ? », interroge Klaus Kinzler avant de réitérer son soutien à son collègue Vincent T. « Un enseignant “en lutte”, nazi de par ses gènes, islamophobe multirécidiviste », écrit-il en guise de signature.

      « C’est une succession de fautes, il est allé trop loin », estime l’un de ses collègues. Encore une fois, les étudiants avertissent immédiatement la direction qui ne réagit pas. L’Union syndicale se tourne aussi vers la justice et porte plainte (elle sera finalement classée), pour « diffamation et discrimination à raison des activités syndicales ». Quatre jours plus tard, les noms des deux enseignants étaient placardés sur les murs de l’IEP.

      Si, depuis, tout le personnel enseignant condamne sans réserve ce collage, certains reçoivent difficilement le discours que Klaus Kinzler va défendre à la télévision. Et ses accusations contre ses collègues, la direction, les étudiants et le labo de recherches Pacte. « Je condamne très fermement ces affichages mais conteste toute responsabilité du labo dans les accusations faites à l’encontre de ces deux professeurs dont l’un est aussi membre de Pacte », soutient Anne-Laure Amilhat-Szary, directrice du laboratoire.

      Tous les enseignants, Klaus Kinzler compris, tombent d’accord sur un point. La situation épidémique qui a donné lieu à ces innombrables échanges de courriels a clairement pu aggraver la situation. « Les réactions timides de la direction aussi », regrette un enseignant. Simon Persico, professeur à l’IEP, résume : « On a soutenu ces deux enseignants, condamné ces collages, mais l’affaire qui est relatée dans les médias prend une tournure présentant la communauté pédagogique comme des islamo-gauchistes inconséquents. C’est faux. Il faut apaiser ce débat qui a pris une ampleur inédite, aggravé par une situation de confinement très lourde pour les étudiants et qui empêche toute discussion sereine et respectueuse. »

      Pendant que deux inspecteurs généraux missionnés par Frédérique Vidal auditionnent les différents acteurs de cette affaire, Klaus Kinzler, lui, poursuivait son marathon médiatique. Il s’interroge aussi sur la suite. « Juste après l’émission que j’ai faite sur CNews, j’ai discuté vingt minutes avec Serge Nedjar, le patron de la chaîne, qui voulait que je vienne plus régulièrement. Ça m’a flatté », révèle-t-il avant de conclure : « Je vais y réfléchir. »

      https://www.mediapart.fr/journal/france/110321/accusations-d-islamophobie-la-direction-de-sciences-po-grenoble-laisse-le-

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      Traduction de l’article en anglais :
      How ‘Islamophobia’ row erupted at French political sciences school
      https://www.mediapart.fr/en/journal/france/220321/how-islamophobia-row-erupted-french-political-sciences-school?_locale=en&o

      L’article complet :
      https://seenthis.net/messages/907329#message907675

      #affaire_de_Grenoble

    • Islamophobie à Sciences Po Grenoble : les faits alternatifs de Frédérique Vidal

      En pleine polémique après que les noms de deux professeurs accusés d’islamophobie aient été placardés sur les murs de l’IEP, la ministre de l’Enseignement supérieur y a vu une aubaine pour poursuivre sa croisade contre l’« islamo-gauchiste ». Quitte à, une fois de plus, mutiler les faits.

      Frédérique Vidal a donc récidivé en affairisme islamo-gauchiste. C’est en effet, comme aurait pu le dire Emmanuel Macron lui même (https://www.lesinrocks.com/2020/06/11/actualite/societe/macron-juge-le-monde-universitaire-coupable-davoir-casse-la-republique-e), un « bon filon » politique.

      Le 4 mars 2021, deux collages nominatifs, dénonçant l’islamophobie de deux enseignants, sont placardés sur les murs de l’Institut d’Etudes Politique de Grenoble (plus familièrement, Sciences Po Grenoble). Dans un contexte tendu, qui fait suite à l’assassinat de Samuel Paty le 16 octobre 2020, la direction de Sciences Po Grenoble signale ces faits à la justice le 5 mars. Enfin le 6 mars, le parquet de Grenoble ouvre une enquête pour « injure » et « dégradation publique ».

      L’affaire aurait pu en rester là si, le 8 mars, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal, ne s’était aussitôt saisie de cette affaire. Et n’avait diligenté une mission de l’#inspection_générale_de_l’éducation (https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid157360/i.e.p.-grenoble-frederique-vidal-condamne-fermement-l), chargée d’évaluer dans quelle mesure il aurait, au sein de Science-Po Grenoble, été porté atteinte aux « libertés académiques » et au « pluralisme de la recherche ». Frédérique Vidal entendait sans doute ainsi poursuivre sa croisade contre la présence supposée d’un courant « islamo-gauchiste » dans l’enceinte de l’université française. Et ce, en dépit des réserves (https://www.uvsq.fr/communique-de-la-conference-des-presidents-duniversite) et protestations (https://www.cnrs.fr/fr/l-islamogauchisme-nest-pas-une-realite-scientifique) déjà pourtant exprimées, cet hiver, par la Conférence des présidents d’Université et le CNRS ; des inquiétudes (https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/04/islamo-gauchisme-nous-ne-pouvons-manquer-de-souligner-la-resonance-avec-les-) manifestées par de prestigieux chercheurs internationaux ; enfin, d’une pétition (https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/02/20/islamo-gauchisme-nous-universitaires-et-chercheurs-demandons-avec-force-la-d) d’universitaires français emmenée par Thomas Piketty, et appelant la ministre à démissionner.

      Las, la ministre avait, une fois de plus, mutilé les faits. Il est en effet apparu, après quelques jours de bruit médiatico-politique, que l’affaire était plus complexe qu’il n’y paraissait. Interrogée mercredi soir sur BFM (https://www.bfmtv.com/replay-emissions/120-pourcent-news/frederique-vidal-les-methodes-d-intimidation-n-ont-pas-leur-place-dans-les-un), Frédérique Vidal, semblait en effet découvrir, avec stupeur, le communiqué (https://www.europe1.fr/societe/sciences-po-grenoble-les-propos-dun-professeur-etaient-extremement-problemat) de la directrice de Science Po Grenoble, Sabine Saurugger. Celle-ci s’inquiétait, bien sûr, des répercussions des collages nominatifs, notamment pour la sécurité des deux enseignants mis en cause. Mais Sabine Saurugger rappelait, également, qu’un des deux enseignants en question avait auparavant fait l’objet d’un « rappel à l’ordre », dans le cadre d’une controverse interne à l’institut d’études politiques.

      Il semble donc qu’il faille, dans la compréhension de ce qui s’est passé à Sciences Po Grenoble — et avant de se précipiter pour intenter des procès en islamo-gauchisme, comme l’ont à nouveau fait la ministre, des éditorialistes et les réseaux sociaux — faire preuve de patience dans l’établissement des faits. Et surtout, d’un peu de probité dans la compréhension de ce qui s’est réellement joué. Aussi faut-il d’abord, selon les mots d’une enseignante de Grenoble, également mise en cause dans cette affaire, « rétablir l’ordre des choses ».
      L’ordre et la connexion des faits

      En décembre 2020, ces deux enseignants s’en étaient en effet vivement pris, par mails interposés, à une enseignante de Pacte, l’un des laboratoires de sciences sociales rattaché à l’IEP de Grenoble. Dans ces mails que nous avons pu consulter, l’un des enseignants écrit en effet, sans détour, qu’il « n’aime pas beaucoup cette religion [l’islam, ndlr] », qu’elle lui fait parfois « franchement peur », « comme elle fait peur à beaucoup de Français ». C’est dans ce contexte que cet enseignant et son collègue se sentent alors autorisés à contester l’existence d’un atelier d’un groupe de travail intitulé « Racisme, islamophobie, antisémitisme ». À contester de manière très véhémente, ensuite, les droits d’une enseignante à animer ce groupe de travail, en mélangeant à peu près tout : « Associer l’IEP de Grenoble au combat mené par des islamistes, en France et dans le monde, et de surcroît au moment où le gouvernement vient de dissoudre le CCIF, mais vous devenez fous ou quoi ? » Enfin, autorisés à remettre en question les titres et travaux de la directrice du laboratoire Pacte elle-même.

      Un communiqué du laboratoire Pacte, daté du 7 décembre 2020 et adressé à la direction et quatre étudiants, s’inquiète de ces mails et de leur véhémence et, sans nommer leurs auteurs, manifeste une inquiétude au regard du respect des libertés académiques : « Nier, au nom d’une opinion personnelle, la validité des résultats scientifiques d’une collègue et de tout le champ auquel elle appartient, constitue une forme de harcèlement et une atteinte morale violente ». Suite à quoi l’enseignante incriminée saisira le Défenseur des Droits, qui confirmera l’interprétation des faits, par un courrier officiel envoyé à l’IEP de Grenoble en janvier 2021.

      S’il s’est certes depuis excusé auprès de ses paires grenobloises, l’un des enseignants n’en est, à vrai dire, pas à son coup d’essai en matière de provocation intellectuelle et politique. Sur la foi d’autres mails, non moins embarrassants et diffusés dans le cadre d’une liste de diffusion de sciences politiques réputée, certains politistes et sociologues considèrent désormais que l’enseignant ne « respecte pas la déontologie minimale qu’on peut attendre d’un universitaire, en diffusant régulièrement des messages électroniques à connotation xénophobe et islamophobe sous des formes pseudo-humoristiques ».

      D’autres indiquent encore que certains de ses articles sur la socialisation politique des jeunes musulmans, sans doute publiés dans des revues de référence, se fondent sur des données et des échantillons trop étroits pour être tout à fait fiables. Ces sociologues et politistes reconnus, tout comme des enseignants grenoblois, nous ont dit préférer rester anonymes. En effet, depuis la médiatisation (https://www.lci.fr/societe/video-le-parti-pris-de-caroline-fourest-grenoble-aux-origines-de-l-intolerance-2) à grand bruit de cette affaire intra-universitaire par des éditorialistes coutumiers de ce genre de coup d’éclat, les deux enseignants qui courent à leur tour les plateaux de télévision pour crier au loup islamo-gauchiste et l’intervention de la ministre, le contexte s’est très fortement tendu. Non seulement, le nom et la photographie de la directrice du laboratoire Pacte sont jetés en pâture à la fachosphère sur Twitter. Mais celle-ci, tenue au silence par un droit de réserve suite à l’enquête judiciaire et l’enquête diligentée par la ministre, fait également, avec d’autres enseignants et étudiants, l’objet d’une protection judiciaire.

      Si la pratique des collages nominatifs est condamnable (et les communiqués (http://www.sciencespo-grenoble.fr/accusations-dislamophobie-aupres-de-deux-enseignants-de-sciences) de la direction de Sciences Po Grenoble, mais aussi du laboratoire (https://www.pacte-grenoble.fr/actualites/accusations-d-islamophobie-aupres-de-deux-enseignants-de-sciences-po- de sciences sociales, l’affirment nettement, sans équivoque aucune), il faut donc non moins rappeler, au nom du même principe — celui du respect inconditionnel de la liberté académique dont se réclame Frédérique Vidal —, l’ordre et la connexion des faits. Et qui a fait, en première instance, l’objet d’une forme d’intimidation intellectuelle et politique.

      L’affaire est grave. Elle n’est, en effet, pas réductible à un ou des conflits inter-personnels, ou même intérieurs au monde universitaire. Elle est politique, et met directement en cause le climat inflammable, et la stratégie de tension qu’ont, depuis des mois, et dans ce domaine comme dans d’autres, instauré le président de la République (https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/02/22/emmanuel-macron-empetre-dans-le-debat-sur-l-islamo-gauchisme_6070756_823448.), ses ministres (https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/10/23/polemique-apres-les-propos-de-jean-michel-blanquer-sur-l-islamo-gauchisme-a-), sa majorité (https://www.mediapart.fr/journal/france/230221/le-rappeur-medine-porte-plainte-contre-la-deputee-lrem-aurore-berge?onglet) et leurs relais (https://twitter.com/WeillClaude/status/1369975398919004163) médiatiques. Il serait évidement inconsidéré de comparer Emmanuel Macron à Donald Trump (http://www.regards.fr/politique/article/2022-pourquoi-macron-ferait-mieux-de-ne-pas-la-jouer-comme-clinton). Mais il faut bien admettre que les méthodes de communication employées par la macronie, ainsi que celles de certains médias, s’apparentent de plus en plus à celles du trumpisme et de Fox News.

      http://www.regards.fr/politique/societe/article/islamophobie-a-sciences-po-grenoble-les-faits-alternatifs-de-frederique-vida

    • Sciences-Po Grenoble : une semaine de tempête médiatique sur fond d’« islamo-gauchisme »

      L’#institut_d’études_politiques peine à émerger des polémiques alimentées par deux de ses professeurs sur fond de débat national sur la prétendue incursion d’« islamo-gauchisme » dans l’enseignement supérieur et la recherche.

      Sciences-Po Grenoble pensait avoir touché le fond après l’affichage non revendiqué, le 4 mars sur ses murs, des noms de deux de ses enseignants accusés d’être des « fascistes » aux penchants islamophobes. Si les auteurs de l’affiche restent inconnus jusqu’ici, la situation a tourné cette semaine au lynchage médiatique pour cet institut d’études politiques (IEP). Sans que sa communauté étudiante et enseignante, tétanisée, ne soit en mesure de calmer la tempête.

      L’affiche accusatrice a suscité un tollé national, d’autant que des syndicats étudiants locaux ont relayé momentanément et très « maladroitement » comme l’a reconnu l’Unef, une photo du collage. En plein week-end, le 6 mars, la justice lance une enquête pour « #injure_publique » et « #dégradation » ; des élus de tous bords et des membres du gouvernement s’émeuvent ; les directions de l’IEP et de l’Université Grenoble-Alpes (UGA) condamnent l’affichage tandis que le ministre de l’Intérieur place sous #protection_policière les enseignants visés.

      L’un d’eux, #Klaus_Kinzler, agrégé d’allemand, s’indigne à visage découvert : la #liberté_d’expression, en particulier au sujet de l’islam, est selon lui menacée au sein de l’IEP, explique-t-il dans plusieurs interviews aux médias nationaux durant le week-end. Rares sont les professeurs à répondre, et ils le font anonymement : la direction les a exhortés à la plus grande retenue. Lundi, après une AG, ils publient tout de même un communiqué prudent : s’ils condamnent « fortement et fermement » le collage, ils rappellent que les débats « doivent se tenir dans le respect des principes de modération, de respect mutuel, de tolérance et de laïcité ».

      « Grandes gueules »

      Cette réponse voilée à Klaus Kinzler fait référence à son rejet virulent, en décembre, du concept d’islamophobie au sein d’un groupe de travail réunissant des étudiants et l’une de ses collègues, maîtresse de conférences spécialiste du Maghreb colonial et membre du prestigieux Institut Universitaire de France. Lors de cette querelle et de ses suites, le prof d’allemand a franchi plusieurs lignes blanches, sur le fond comme sur la forme, et a été notamment recadré par la direction de Pacte, le labo de recherche en sciences sociales CNRS /Sciences-Po Grenoble /UGA.

      Klaus Kinzler intensifie encore sa campagne, enchaînant les interviews « en guerrier », non sans gourmandise. Sur CNews mardi, il dénonce les enseignants-chercheurs incapables de le soutenir alors qu’il « risque sa peau », « des grandes gueules enfermées dans leur tour d’ivoire, qui ne comprennent rien ». Le même jour, un collectif de syndicats grenoblois, dont la CGT Université, Solidaires étudiant·e·s, SUD éducation ou l’Unef, prend position contre ce « recours irraisonné aux médias » et demande à Sciences-Po « de condamner les propos » de l’enseignant.

      Le conseil d’administration de l’IEP franchit le pas dans la journée, enjoignant Klaus Kinzler à respecter « son devoir de réserve ». Le CA estime qu’il a « transgressé […] les règles établies et légitimes de l’échange académique » et tacle aussi le second enseignant visé par le collage, au nom de la « #liberté_syndicale ». Ce maître de conférences en science politique, T., soutien de Klaus Kinzler, engagé dans l’#Observatoire_du_décolonialisme et chroniqueur à #Atlantico, a tenté d’exclure de ses enseignements les syndicalistes étudiants qui cherchaient à vérifier s’il ne développait pas d’idées islamophobes dans l’un de ses cours, afin d’en demander la suppression le cas échéant. La directrice de l’IEP, #Sabine_Saurugger, professeure de sciences politiques, précise ce « rappel à l’ordre » à l’issue du CA : elle mentionne, sans détailler, « le ton extrêmement problématique » de Klaus Kinzler et la décision « clairement discriminatoire » de T..

      Inquiétude des étudiants

      Tout cela reste trop sibyllin face au germaniste survolté. Sur France 5 mercredi, il fustige « une nouvelle génération de maîtres de conférences et de professeurs bourrés d’#idéologie » qui « mélangent #militantisme et #science ». « Il est en roue libre, lâche Simon Persico, professeur de sciences politiques à l’IEP, le premier à s’exprimer publiquement. Il ment sans vergogne car il a d’abord reçu notre soutien, massif, face à cet affichage odieux. Sa stratégie de communication hyperviolente offre une vision mensongère de notre institut où l’on respecte le pluralisme. C’est gravissime. » Et de tenter d’expliquer la paralysie de l’institution : « Il est difficile de contrer ce récit journalistique dominant et consensuel, dans lequel notre collègue est présenté comme une victime de “l’islamo-gauchisme”… »

      Gilles Bastin, professeur de sociologie de l’IEP, complète : « Beaucoup parmi nous sont soucieux de ne pas souffler sur les braises : il y a une peur évidente que tout cela finisse mal. » Il a pourtant lui aussi décidé de rompre le silence : « Klaus Kinzler n’a jamais été censuré : c’est au contraire lui qui a imposé le retrait du terme “islamophobie” de la conférence du 26 janvier [celle qui était préparée par le groupe de travail de décembre au centre du conflit, ndlr], pour des raisons idéologiques et au moyen de pressions inacceptables. » Pour l’enseignant-chercheur, son collègue « s’inscrit dans la stratégie du gouvernement qui martèle que les sciences sociales sont “gangrénées” par un prétendu “islamo-gauchisme” ». Il dénonce « la gravité de cette attaque » qui vise « à en finir avec la liberté de la recherche ».

      Certains étudiants se disent, eux, « effarés » : « On voudrait tous que ça se calme et que cela soit réglé en interne », résume Chloé, en troisième année. Dans un texte publié par Mediapart, sept étudiants, après avoir disqualifié Klaus Kinzler pour ses propos « indignes » et T. pour son action « intolérable », dénoncent « l’absence de discussion » au sein de l’Institut et « une récupération du débat par des politiques et des médias ». Ces étudiants, engagés dans le combat contre les violences sexistes et sexuelles à Sciences-Po, exigent « d’être entendus et pris au sérieux », insiste Chloé. « Les promos sont de plus en plus résolues, poursuit Alex, lui aussi en troisième année. Les propos misogynes ou discriminatoires ne sont plus tolérés. Face à cette exigence, Kinzler et T. tombent de haut, tandis que la direction et l’administration sont à la rue. »

      Deux inspecteurs généraux, dépêchés par la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, sont au travail à Grenoble depuis mercredi pour tenter d’établir les responsabilités des uns et des autres. Réunis en AG ce vendredi, les enseignants et personnels de l’IEP ont voté à l’unanimité une motion de soutien à leur directrice et son équipe.

      https://www.liberation.fr/societe/sciences-po-grenoble-une-semaine-de-tempete-mediatique-sur-fond-dislamo-g
      #IEP

    • A propos de l’affaire de Grenoble : la science soumise aux passions ?

      Depuis le meurtre de Samuel Paty victime d’une campagne de délation, les tensions se multiplient dans l’enseignement et la recherche. À Grenoble, ce sont des étudiants de Sciences Po qui ont récemment dénoncé publiquement deux de leurs professeurs comme « fascistes » et « islamophobes ».

      Après Stéphane Dorin à Limoges, après Kevin Bossuet à Saint-Denis, après Didier Lemaire à Trappes, voici donc Klaus Kintzler à Grenoble. Klaus Kintzler est ce professeur d’allemand de l’université de Grenoble qui, après un différent avec l’une de ses collègues sur la scientificité du terme islamophobie, a vu son nom outé, avec celui de l’un de ses collègues, par un tag anonyme sur un mur de l’université de Grenoble, les accusant l’un et l’autre de fascisme et d’islamophobie.

      Depuis, les deux professeurs sont placés sous surveillance policière, l’enseignante qui avait échangé avec Kintzler s’est dite victime de harcèlement de sa part et a du être mise en maladie, et le laboratoire de recherche qui la soutient croule sous les injures voire les menaces.

      Dans le contexte de l’après Paty, et en plein débat autour de l’islamogauchsime, cette nouvelle affaire se révèle particulièrement complexe, et peut-être justement pour cela particulièrement révélatrice. Les tensions y sont à leur comble, y compris d’ailleurs lors de la préparation de cette émission. En jeu pourtant au départ, un simple intitulé scientifique pour une journée autour de l’égalité. Mais la Raison a besoin de la raison pour penser, c’est là sa limite. Quand les passions l’emportent, la science est-elle seulement possible ?

      https://www.franceculture.fr/emissions/signes-des-temps/nous-sommes-embarques

    • #Blanquer dans Le Parisien : le #maccarthysme_inversé

      Des professeurs sont accusés d’islamophobie, par exemple à l’IEP de Grenoble... Quel regard portez-vous sur cette affaire ?

      J’ai condamné avec fermeté ces logiques de fatwa. Toutes les idéologies, qui définissent des personnes par rapport à leurs appartenances, qu’elles soient raciales ou religieuses, avant de considérer leur appartenance à la République, mènent à des logiques de fragmentation. Ce n’est pas la société dont on a envie.

      Vous faites notamment référence à l’islamo-gauchisme, que vous avez récemment dénoncé ?

      Oui, mais pas seulement. J’ai dénoncé cela l’an dernier.Il y a aussi d’autres courants dans les sciences sociales qui ont beaucoup de mal à laisser vivre tous les courants de pensée. J’appelle cela du « #maccarthysme_inversé », qui consiste à exclure celui qui ne pense pas comme vous.

      https://www.leparisien.fr/politique/jean-michel-blanquer-on-ne-peut-fermer-l-ecole-que-lorsque-l-on-a-tout-es

      #Jean-Michel_Blanquer

    • "L’accusation d’islamophobie tue"

      Tweet officiel du Secrétariat général du #Comité_interministériel_de_prévention_de_la_délinquance_et_de_la_radicalisation (#SG-CIPDR) :

      Dans cette affaire, le terroriste est passé à l’acte pour tuer un enseignant après que ce dernier a été traité d’« islamophobe » par des militants islamistes.C’est l’accusation d’#islamophobie qui a poussé ce terroriste à assassiner #Samuel_Paty : l’accusation d’islamophobie tue.

      https://twitter.com/SG_CIPDR/status/1371504152308760582

      signalé ici sur seenthis :
      https://seenthis.net/messages/906546

    • merci pour la recension. cette histoire est tellement révélatrice des mécanismes en place, mais aussi, et ça c’est beaucoup trop gommé, de la retenue et tolérance des gens de « gauche » vis-à-vis des types comme lui...
      20 ans qu’il a semé sa petite terreur sans que rien ne bouge avant, c’est incroyable. J’avais relayé ce témoignage de Nicolas Haeringer qui l’avait comme prof y’a 20 ans et déjà... https://twitter.com/nicohaeringer/status/1368518279015370754
      Deux jours plus tard le témoignage de La Nébuleuse https://twitter.com/i_nebuleuse/status/1369204681742950406 venait enfoncer le clou...

    • Merci @val_k, je vais reprendre leurs témoignages ici, pour ne pas les perdre au cas où ils seraient supprimés.

      Témoignage 1 de @nicohaeringer, 07.03.2021 :

      Il y a 20 ans, j’ai eu (pendant trois ans) l’un des profs au cœur de la polémique sur l’islamophobie à l’IEP de Grenoble.
      Polémique dans laquelle certains s’engouffrent pour demander la #dissolutionUnef.
      Cet enseignant était assez unique. J’adorais l’allemand, et ses cours étaient géniaux : rigueur bien sûr, mais grande liberté de parole et de discussion.

      Il m’a souvent dit que s’il notait mes idées, il me mettrait 0, mais qu’il n’était là que pour noter mon allemand.
      On discutait, on s’engueulait en classe. Ça passait avec certains élèves, qui parlaient bien l’allemand et pouvaient prendre part aux discussions.
      Ça passait mal avec d’autres, qui ne pouvaient pas répondre à ses outrances verbales et ne savaient du coup pas comment se situer.
      Eux se faisaient rembarrer tant pour leurs idées que pour leur allemand et le prof ne voyait pas le malaise que ça créait.
      Il était sans filtre, jamais avare d’une exagération ou d’une provocation, parfois franchement borderline.
      Mais en même temps très proche des étudiant.e.s : on dînait chez lui, chaque année pour clore les cours, et les échanges se poursuivaient jusqu’au petit matin. Mais c’était pareil : tout le monde n’était de fait pas à l’aise.
      Par ailleurs quand on cherche à abolir la distance entre enseignant et étudiant.e.s, on n’abolit en fait pas la relation de subordination. D’ailleurs, certain.e.s le craignaient vraiment.
      En outre, même dans un cadre censément informel, il y a des choses qu’on ne peut pas dire sans y mettre les... formes, justement, puisqu’on est enseignant face à des étudiant.e.s.
      Il s’en fichait, jouait même de son côté provoc, mais nous étions nombreuses et nombreux à penser que ses outrances finiraient par le dépasser.

      20 ans après, ça semble être le cas.
      Est-ce une raison pour le jeter en pâture ? Assurément pas.
      Mais on ne peut pas non plus faire de cette histoire un avatar de la ’cancel culture’, d’autant qu’il tenait souvent des propos démesurés, pas moins outranciers que ceux qui sont utilisés aujourd’hui contre lui.
      Le problème est là. Il aurait dû être rappelé à l’ordre avant par sa hiérarchie, pour lui signifier qu’un enseignant, aussi brillant soit-il ne peut pas tout dire & ne peut pas publiquement dénigrer sans argument les travaux de ses collègues.
      Qu’il n’est pas possible de provoquer autant ses propres étudiants, sans tenir compte de ce que ça... provoque chez elles et eux. Pour moi, le vrai problème est là.
      Et parmi ses provocations régulières, il s’en prenait effectivement vertement à l’islam, en particulier après le 11 septembre 2001 (je l’ai eu en 98, 99 et 2001).
      Ça n’a pas eu de conséquences à l’époque, ça ne passe plus aujourd’hui - tant mieux.
      Il ne s’en est pas rendu compte, et personne visiblement dans la hiérarchie de l’IEP ne lui a jamais rien dit.
      L’UNEF n’y est pour rien, strictement rien et appeler à sa dissolution (a fortiori dans le contexte actuel pour les étudiant.e.s) est totalement à côté de la plaque.
      Mais c’est ce à quoi le gouvernement a ouvert la porte, en mettant sur un même plan le CCIF et génération identitaire et en fantasmant sur l’islamogauchisme à l’université.
      Dans l’affaire de Grenoble, on a un prof qui provoque, franchit les lignes rouges.
      Cette affaire devrait se régler en interne, et la direction aurait dû réagir bien avant.
      Evidemment, ça ne signifie pas qu’il soit acceptable de s’en prendre à lui & de le jeter ainsi en pâture. Mais là encore : la responsabilité n’est pas celle pointée par Marianne et cie.
      Bon et moi ça me tiraille, évidemment : j’avais beaucoup d’affection pour ce prof, malgré tout.
      Sans doute car à l’époque, je n’avais pas conscience que derrière les outrances et la provoc il n’y a pas que des idées sans conséquences mais des formes d’oppression et de domination.
      Je doute que s’il était mon prof aujourd’hui, j’aurais pu ressentir la même affection pour lui. Et oui, les temps changent et certains choses qui pouvaient « passer » il y a 20 ans ne « passent » plus aujourd’hui.
      Ça n’est pas la « cancel culture ».
      C’est simplement que certains mécanismes par lesquels s’exercent cette domination et cette oppression sont remis en cause. Tant mieux.
      La question, c’est : que fait-on de celles et ceux qui ne savent pas, ne veulent pas, ne peuvent pas en tenir compte ?
      Et la réponse ne peut pas être et ne pourra plus jamais être « on se tait, on les laisse dire et faire » - même s’il faut, évidemment, que chacun.e puisse continuer à exprimer ses opinions.

      https://twitter.com/nicohaeringer/status/1368518279015370754

      –---

      Témoignage 2 de @i_nebuleuse, 09.03.2021

      Des étudiant·es d’il y a 20 ans témoignent, moi j’aurais pu écrire plus ou moins la même chose pour des cours et propos tenus il y a un peu moins de 10 ans... et surtout j’ai même pas eu besoin de vérifier les noms des profs accusés, je savais très bien qui c’était.
      Difficile de croire que les directions successives l’ignorait, alors que les étudiant-es de toutes les promo en discutaient régulièrement. C’est la conscience et la volonté de se mobiliser qui a changé côté étudiant·es (pour ça comme pour les violences sexuelles)
      Et à un moment on ne peut pas demander de dénoncer mais pas trop fort, de se mobiliser mais surtout sans donner de noms, et d’agir « en interne » quand les directions savent très bien nous entourlouper (on est à sciences po hein) et n’agissent pas depuis 20 ans.
      Bref soutien à l ’@unefgrenoble et aux étudiant·es mobilisées dans les IEP et dans toutes les Universités. On a l’impression que ça bouge bien trop lentement et c’est vrai, mais un énorme pas a été franchi en 10 ans.
      Ah et évidemment des gens se demandent si on peut accuser à base de propos isolés ou je ne sais quoi. Non hein on parle de 20 ans de propos islamophobes tenus pas seulement en situation de débat mais dans une salle de cours devant des étudiant·es.
      Avec cette idée que la salle de classe est, justement, un espace de débat etc (comme si y’avait pas d’ascendant dans ce contexte...). Je comprends le thread que j’ai partagé, c’était aussi un prof apprécié, évidemment davantage par des personnes blanches pas visées par les propos.
      Mais bref le rapport de force s’est un peu inversé, ce qui prend de cours l’IEP c’est que dans le fond tout le monde devait être convaincu que ça resterait au chaud entre les murs de l’établissement. Hé non, c’est fini.

      https://twitter.com/i_nebuleuse/status/1369204681742950406

    • Impostures médiatiques ou postures politiques ? À propos de l’affaire Sciences Po Grenoble, d’un article de Mediapart et du Sénat

      Mediapart publie un article retraçant et analysant les événements qui ont eu lieu, à partir de novembre 2020, à Sciences Po Grenoble, quand un groupe de travail intitulé « Racisme, islamophobie, antisémitisme » a été mis au programme de la semaine de l’égalité et très durement critiqué par un enseignant du même institut. Le Défenseur des droits, interpellé, a estimé que le droit au respect de l’enseignante, membre du groupe de travail et attaquée par son collègue, a été bafoué. Le 6 mars 2021, des collages, nominatifs, sont affichés sur les murs de Sciences Po, et la nouvelle s’invite dans les médias nationaux. « Un traitement médiatique biaisé » dénoncent des enseignant·es et étudiant·es. Médiapart fait le point sur la suite des événements, à plusieurs voix.

      Pour Academia, cette relation, importante, illustre de façon exemplaire la #cancelculture — mieux dénommée « harcèlement » — que subissent les personnes minoritaires dans l’institution universitaire : les femmes, en particulier les maîtresses de conférences, et les étudiant·es. Cette culture du harcèlement repose à la fois sur le dénigrement public des personnes, mais aussi sur l’absence de réactions des institutions responsables de la protection des étudiant·es et des agent·es. On a eu tout récemment l’exemple avec l’ENS de Lyon, en dépit d’une couverture médiatique accablante, établissant comme l’établissement participe pleinement de la culture du viol dénoncée par le mouvement #MeToo. Les universités doivent cesser d’ignorer leur participation à la maltraitance active, par défaut d’action et l’omerta qu’elles organisent, de leurs personnels et des étudiant·es.

      L’ « affaire » de Sciences po est particulièrement grave, car la version des harceleurs a immédiatement été instrumentalisée par les médias qui montent la sauce « islamo-gauchiste » depuis janvier. « Il est logique de voir CNews, liée aux opérations africaines de Bolloré, militer contre l’étude des séquelles du colonialisme », écrivait Philippe Bernard dans Le Monde du 6 mars 2021. La chaîne a renchéri hier, avec l’intervention de son présentateur-vedette, qui a donné le nom d’une directrice de laboratoire, engageant aussitôt une campagne d’injures et de diffamation par les activistes d’extrême droite sur les réseaux sociaux1. L’inaction — par paresse ou par déni — des institutions explique pour l’essentiel la persistance de pratiques qui mettent en danger la santé et la sécurité des personnes victimes. Mais l’absence de lutte contre les pratiques anti-démocratiques au sein des universités met en danger les institutions elles-mêmes désormais.

      La médiatisation à outrance de l’affaire Sciences Po Grenoble a lieu dans un moment politique particulier, sur lequel Academia est déjà longuement intervenu : l’examen de la loi « confortant le respect des principes de la République » par la Commission de la Culture du Sénat, qui doit donner son « avis » sur le texte pour les sujets qui la concernent : la culture, l’éducation, l’enseignement supérieur et la recherche2.

      Or, depuis mercredi 10 mars 2020, en raison du traitement médiatique organisé par les grands groupes de presse aux puissants intérêts industriels dans l’extraction néo-coloniale et dans la vente d’armes, les attaques parlementaires se multiplient à toute vitesse, et même les organisations syndicales sont désormais visées. Ainsi, à l’Assemblée, alors que les étudiant·es connaissent la plus grave crise sociale et sanitaire depuis des dizaines d’années, une députée — Virginie Duby-Muller, première vice-présidente du parti Les Républicains, formant avec les députés Damien Abad et Julien Aubert, ainsi qu’avec le Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, les « cadets Bourbons » de la précédente mandature — a ainsi été jusqu’à demander la dissolution de l’UNEF. Du côté du Sénat qu’Academia craint comme la peste brune, Nathalie Delattre, apparentée à gauche, co-secrétaire du Mouvement radical et sénatrice de la Gironde, vient de reprendre à son compte la demande des députés Damien Abbad et de Julien Aubert du 25 novembre dernier et exige « une commission d’enquête sur la laïcité à l’université ». Pire, sur la base des fausses informations et d’une méconnaissance ignominieuse de l’affaire de Grenoble, des amendements attaquant directement les franchises universitaires des étudiant·es – car les étudiants sont aussi protégés par les franchises, ce que certain·es semblent avoir oublié – viennent d’être déposés par le sénateur Piednoir, d’après nos informations (ces amendements ne sont pas encore publiés).

      Et pourtant, la grande orchestratrice de l’attaque contre les universitaires et les étudiant·es, Frédérique Vidal, est encore en poste.

      Cibler les universitaires dans leur ensemble : tel est l’objet de cette puissante attaque médiatique commencée il y a plus de deux mois. L’affaire Sciences Po Grenoble se trouve ainsi fallacieusement médiatisée à outrance, dans un contexte où tout est bon pour cibler individuellement ou collectivement les universitaires qui contestent la politique du gouvernement, ou mettent en cause, par leurs travaux, l’ordre patriarcal et capitaliste. C’est le cas de l’extrême droite qui recourt à ses méthodes habituelles pour stigmatiser des personnes, à l’instar de la récente « liste des 600 gauchistes complices de l’islam radicale [sic] qui pourrissent l’université et la France » par laquelle Philippe Boyer, un jardinier de Nancy aux opinions très droitières, a lié les noms de centaines de collègues ayant demandé la démission de Frédérique Vidal à leurs pages professionnelles.

      Mais qui est responsable de tout cela ? Après ce qui vient de se passer concernant les deux enseignants de Sciences Po Grenoble, le rôle des grands groupes médiatiques est évident, mais aussi celui de la ministre elle-même. Philippe Boyer lui-même ne s’y est d’ailleurs pas trompé — du moins quand les instances universitaires ont entrepris de défendre leurs agents. S’il doit être poursuivi pour diffamation ou injure, il faut également porter plainte contre la Ministre, a-t-il rétorqué.

      Toujours soutenue par Jean Castex et Emmanuel Macron, « la ministre Frédérique Vidal est entièrement responsable de la situation« . Pour la CGT FercSup, la ministre

      a créé les conditions pour que le travail, la recherche universitaires soient stigmatisés, pour que des personnels de son ministère soient montrés du doigt, dénoncés et leurs noms jetés en pâture sur la place publique. Par ses propos et déclarations, par ses attaques publiques, elle a mis en danger des personnels de son ministère, malgré les alertes et les courriers.

      « Elle a ainsi engagé sa responsabilité pénale. Elle pourra ensuite démissionner. »

      –-----

      Note 3 du billet :

      NDLR. Vincent T. est un actif contributeur à la liste Vigilance Universités qu’Academia a évoquée à plusieurs reprises. Voici les propositions qu’il fait pour l’avenir des SHS dans un courriel du 7 février 2021, à 21h43, dans un fil de discussions intitulé « Note sur la pénétration des idéologies identitaristes dans l’ESR – Re : questions en vue de l’audition » : « Le texte de présentation me paraît très bien, mais il manque un aspect essentiel : que propose Vigilance universités ? C’est très bien d’alerter, mais il faut aussi faire avancer le schmilblick.
      Pour aller droit au but, je suggère quatre pistes dont voici leurs grandes lignes :
      1/ interdire toutes les manifestations religieuses dans les locaux des universités, ce qui inclut évidemment les signes d’appartenance, mais aussi le prosélytisme direct ou indirect.
      2/ renforcer l’apprentissage de l’esprit rationnel dans les programmes des universités, ce qui inclut le développement d’une approche critique des religions, des fausses croyances et autres fadaises qui ont abouti à faire croire que le voile ou le mariage précoce sont des instruments de l’émancipation féminine
      3/ arrêter le financement des projets qui sont portés par les nouvelles idéologies décoloniales, indigénistes, néoféministes et tutti quanti
      4/ empêcher les recrutements correspondant aux sus-dites idéologies.
      Il s’agit certes d’un programme ambitieux, et sans doute un peu brutal, je le conçois, mais je pense qu’il faut désormais taper du poing sur la table. Et puis vous savez bien que dans une négociation, il faut demander beaucoup pour obtenir peu. L’interdiction de l’écriture inclusive et des signes religieux, ce serait déjà top. »

      https://academia.hypotheses.org/31564

      #Vincent_T

    • C’était en 2014, un collègue de Vicent T, Pierre Mercklé, lui répond :

      Les chiffres de l’islamophobie

      Vincent Tournier, un « collègue » grenoblois, a posté aujourd’hui un message assez déconcertant sur la liste de diffusion des sociologues de l’enseignement supérieur. En réaction à l’annonce de la conférence-débat que nous organisons le 11 avril prochain à l’occasion de la parution du prochain numéro de Sociologie, consacré à la « sociologie de l’islamophobie », voici ce que Vincent Tournier a écrit, et que je reproduis ici dans son intégralité :

      Voilà qui nous change un peu des journées d’études sur le genre. Cela dit, pour information, voici les statistiques sur les atteintes aux lieux de culte en France (source : CNCDH, rapport 2013), en prévision du numéro que vous ne manquerez pas de consacrer, j’imagine, à la sociologie de la christianophobie.

      Cordialement,

      Vincent Tournier

      –---

      Evidemment, quand il y a des chiffres, à l’appui d’un argument, je suis peut-être un peu plus attentif… Ce qu’on remarque d’abord, c’est qu’il y a des chiffres, mais qu’il manque l’argument. C’est probablement que les chiffres sont censés parler d’eux-mêmes : « voici les chiffres »… Alors qu’est-ce que Vincent Tournier veut leur faire dire ? Vue l’allusion à la « christianophobie » juste avant le tableau, j’imagine que le tableau est censé montrer une augmentation des atteintes aux lieux de culte chrétiens, qui sont bien plus nombreuses que les atteintes aux liens de culte musulmans et israélistes, ce qu’occulterait la focalisation sur une prétendue montée de « l’islamophobie ». Et de fait, le nombre d’atteintes semble bien avoir doublé entre 2008 et 2012…

      Sauf que… mon « collègue » (j’insiste sur les guillemets) lit très mal ces chiffres. Il y a au moins deux choses à en dire, qu’auraient sans doute immédiatement remarquées n’importe lequel de mes étudiants de Master…

      Premièrement, si le nombre d’atteintes aux lieux de culte chrétiens a été multiplié par 2 entre 2008 et 2012, pour les lieux de culte musulmans il a dans le même temps été multiplié… par 7 (84 divisé par 14, au cas où mon « collègue » ne saurait plus comment calculer un rapport) !

      Et deuxièmement, même pour une seule année donnée, par exemple pour 2012, la comparaison du nombre d’atteintes aux différents lieux de culte n’a aucun sens si elle n’est pas rapportée au nombre total de lieux de culte de chaque obédience, pour mesurer ce qu’on appelle une « prévalence ». En 2011, selon Wikipedia, il y avait en France 280 lieux de prière israélites, 2400 lieux de prière musulmans et 48000 lieux de prière chrétiens (catholiques et protestants). Autrement dit, le taux d’atteintes est de 143 pour 1000 pour les lieux de prière israélites, de 35 pour 1000 pour les lieux de prière musulmans, et de 11 pour 1000 pour les lieux de prière chrétiens. On pourrait même être encore plus rigoureux, en rapportant au nombre de lieux de prière non pas la totalité des atteintes, mais seulement les atteintes aux lieux de prière. Cela revient à retirer du calcul les atteintes aux cimetières, ce qui se justifie par le fait d’une part que 99,6% des atteintes aux cimetières chrétiens ne sont pas identifiées comme des atteintes racistes (les 0,4% restants sont associés à des inscriptions satanistes ou néo-nazies, selon le rapport 2012 de la CNCDH, pp. 132-133 : www.cncdh.fr/sites/default/files/cncdh_racisme_2012_basse_def.pdf), et d’autre part que l’islamophobie n’y trouve pas non plus une voix d’expression, puisqu’il n’y a qu’un seul cimetière musulman en France (à Bobigny). Il reste alors, en 2012, 100 atteintes pour 1000 lieux de prière israélites, 35 atteintes pour 1000 lieux de prière musulmans, et 7 atteintes pour 1000 lieux de prière chrétiens. Autrement dit, un lieu de prière musulman a 5 fois plus de risques d’être atteint qu’un lieu de prière chrétien… On se fera une idée plus complète de la réalité statistique de l’islamophobie, cela dit, en se reportant justement aux chapitres « Chiffrer l’islamophobie » et « Des opinions négatives aux actes discriminatoire » du récent livre d’Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed (Islamophobie, La Découverte, 2013, voir le compte rendu de Damien Simonin dans Lectures : https://journals.openedition.org/lectures/12827), justement invités de notre débat du 11 avril : https://journals.openedition.org/sociologie/2121.

      La question est du coup la suivante : mon « collègue » est-il nul en statistiques, ou bien est-il de mauvaise foi ? Dans cet article de la Revue française de sociologie paru 2011 (https://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=RFS_522_0311), il utilisait également des données quantitatives pour démontrer que « les conditions actuelles de la socialisation des jeunes musulmans favorisent un ensemble de valeurs et de représentations spécifiques susceptibles de provoquer des tensions avec les institutions tout en donnant un certain sens à la violence ». La manipulation y était plus habile : je penche donc pour la seconde hypothèse. Mais dans un cas comme dans l’autre, il est permis de s’interroger sur la porosité persistante des critères de la science dans notre discipline.

      https://pierremerckle.fr/2014/03/les-chiffres-de-lislamophobie

    • Professeurs accusés d’islamophobie : « Cette affaire est une illustration des pressions politiques et économiques qui s’exercent sur l’université »

      Un collectif d’enseignants de l’Institut d’études politiques de Grenoble s’alarme, dans une tribune au « Monde », de l’#instrumentalisation après le collage sauvage d’affiches mettant en cause deux enseignants.

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      Depuis plusieurs jours, l’Institut d’études politiques de Grenoble et le laboratoire Pacte sont au centre de l’attention médiatique et de campagnes haineuses et calomnieuses sur les réseaux sociaux à la suite du collage sauvage d’affiches mettant en cause très violemment deux enseignants accusés d’islamophobie et de fascisme.

      Les enseignants, chercheurs, étudiants, personnels et responsables de ces deux institutions ont apporté aux deux enseignants attaqués un soutien très clair en condamnant fermement l’injure et l’intimidation dont ils ont été victimes dans un contexte particulièrement inquiétant. Ce collage, qui a fait l’objet d’une saisine du procureur de la République par la directrice de l’Institut d’études politiques, est odieux. Il met en danger non seulement les deux enseignants cités mais aussi l’ensemble des personnels et des étudiants qui forment notre communauté et sur lesquels pèse aujourd’hui un poids trop lourd à porter.

      Incendie médiatique hors de contrôle

      En dépit de ce soutien, nous assistons à la propagation d’un incendie médiatique apparemment hors de contrôle dans lequel se sont associées des forces qui dépassent largement le cadre auquel aurait dû se limiter ce collage, y compris pour assurer la sécurité des personnes citées. Cet incendie est attisé depuis plus d’une semaine par les commentaires de ceux qui, tout en ignorant généralement les circonstances de cette affaire, s’en emparent pour stigmatiser la prétendue faillite de l’université et la conversion supposée de ses enseignants, particulièrement dans les sciences sociales, à l’« islamo-gauchisme ».

      Les circonstances qui ont conduit aux collages commencent à être connues. Parmi elles, les pressions inacceptables exercées en novembre et décembre 2020 pour faire supprimer le mot « islamophobie » d’une conférence organisée par l’Institut ont joué un rôle déterminant. Il appartient désormais aux différentes instances qui sont saisies des faits de rétablir la vérité qui a été tordue et abîmée sur les plateaux de télévision et les réseaux sociaux.

      Il nous revient en revanche, comme enseignants et comme chercheurs, d’alerter sur la gravité de ce qui est en train de se passer depuis ces collages. Nous assistons en effet à la mise en branle dans les médias d’un programme de remise en cause inédite des libertés académiques – en matière de recherche comme d’enseignement – ainsi que des valeurs du débat intellectuel à l’université.

      Les principes du débat d’idées

      La première liberté qui a été bafouée dans cette affaire n’est pas, en effet, la #liberté_d'expression ou d’opinion, comme le prétendent de nombreux commentateurs mal informés brandissant à contresens l’argument de la #cancel_culture. Les deux enseignants visés par les collages ont en effet eu tout loisir de s’exprimer pendant cette affaire.

      Ce qui est en jeu, et qu’ils ont délibérément refusé de respecter, ce sont les principes du #débat_d'idées dans le cadre régi par l’université. Au premier rang de ces principes figure la nécessité de faire reposer son enseignement et ses recherches sur l’analyse des faits et de les séparer clairement de l’expression de valeurs, de la manifestation de préjugés et de l’invective.

      Cette affaire est une illustration des pressions politiques et économiques qui s’exercent aujourd’hui sur l’université dans son ensemble en France. Comment ne pas voir dans les tensions qu’a connues notre établissement ces derniers mois, un des effets de la misère psychique et matérielle imposée à toute la communauté académique – particulièrement aux étudiants – par la pandémie et la fermeture des campus.

      Dans ce contexte, où chacun frôle et certains dépassent l’épuisement, invoquer seulement la « radicalisation gauchiste » des syndicats étudiants, c’est alimenter une polémique dont l’agenda politique est assez évident au vu des acteurs qui ont porté cet argument.

      Parole violemment hostile aux sciences sociales

      Comment ne pas voir non plus derrière la libération généralisée d’une parole violemment hostile aux sciences sociales sur les plateaux de télévision l’effet d’une stratégie politique navrante du gouvernement depuis des mois.

      Celle-ci a culminé, il y a quelques semaines, avec le projet d’une enquête sur la prétendue « #gangrène » de l’« islamo-gauchisme » dans nos disciplines. Il est difficile de trouver des raisons autres que purement électorales aux chimères « islamo-gauchistes » du gouvernement, lesquelles ont soulevé de très vives protestations dans toutes les parties de l’espace académique. Il nous paraît aussi évident qu’en soufflant sur les braises depuis des mois le gouvernement a inspiré l’offensive contre les sciences sociales à laquelle nous assistons aujourd’hui.

      Le sentiment qui nous envahit est un mélange de #colère et de #tristesse. La tristesse de voir triompher ceux qui pratiquent la #censure et piétinent la tradition d’#ouverture et d’#argumentation_rationnelle du #débat_intellectuel, préférant manier l’#outrance, le #mépris et l’#ironie. La tristesse de les voir préférer le soutien des défenseurs les plus extrêmes de la pensée réactionnaire à la critique de leurs pairs. La colère de constater les ravages causés par leurs propos sur tous nos étudiants et sur notre communauté.

      La colère encore de voir le nom de Samuel Paty [professeur d’histoire-géographie assassiné, à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), le 16 octobre 2020] entraîné dans une polémique idéologique à laquelle il est étranger et instrumentalisé pour organiser des campagnes haineuses à l’encontre d’enseignants, de chercheurs en sciences sociales, d’étudiants et de membres du personnel administratif des universités.

      Il nous reste heureusement la possibilité de retourner à notre travail. Celui que nous faisons toutes et tous depuis des années en délivrant des cours et en animant des débats argumentés sur des enjeux non moins sensibles que l’islam, comme la colonisation, les génocides et les crimes contre l’humanité, le terrorisme, la place de la science dans la société, les pratiques policières, les politiques migratoires, le populisme, le racisme, la domination masculine, le genre et la sexualité, les crises écologiques ou encore les inégalités. Pour combien de temps encore ?

      Liste complète des signataires (tous enseignent à Sciences Po Grenoble) :

      Stéphanie Abrial, ingénieure de recherche en science politique

      Marie-Charlotte Allam, enseignante-chercheure en science politique

      Chloë Alexandre, enseignante-chercheure en science politique

      Amélie Artis, m aîtresse de conférences en économie

      Gilles Bastin, professeur de sociologie

      Renaud Bécot, m aître de conférences en histoire

      Céline Belot, chargée de recherches en science politique

      Marine Bourgeois, m aîtresse de conférences en science politique

      Arnaud Buchs, maître de conférences en économie

      Hélène Caune, maîtresse de conférences en science politique

      Laura Chazel, enseignante-chercheure en science politique

      Camille Duthy, enseignante-chercheure en sociologie

      Frédéric Gonthier, professeur de science politique

      Florent Gougou, maître de conférences en science politique

      Martine Kaluszynski, directrice de recherche en science politique

      Séverine Louvel, maîtresse de conférences en sociologie

      Antoine Machut, enseignant-chercheur en sociologie

      Raul Magni-Berton, professeur de science politique

      Sophie Panel, maîtresse de conférences en économie

      Franck Petiteville, professeur de science politique

      Simon Persico, professeur de science politique

      Catherine Puig, professeure agrégée d’espagnol

      Sébastian Roché, directeur de recherches en science politique

      Guilaume Roux, chargé de recherches en science politique

      Simon Varaine, enseignant-chercheur en science politique

      Robin Waddle, professeur agrégé d’anglais

      Sonja Zmerli, professeure de science politique

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/17/professeurs-accuses-d-islamophobie-cette-affaire-est-une-illustration-des-pr

    • Zwei Professoren müssen um ihr Leben fürchten

      Wegen angeblicher Islamophobie haben Studenten in Grenoble zwei Hochschullehrer angeprangert. Die Politik verurteilt den „Versuch der Einschüchterung“. Der Fall weckt Erinnerungen an den enthaupteten Lehrer Samuel Paty.

      Zwei Universitätsprofessoren in Grenoble müssen um ihr Leben fürchten, weil Studenten ihre Namen in großen Lettern an das Unigebäude plakatiert und sie der Islamophobie bezichtigt haben. „Faschisten in unseren Hörsälen! Professor K. Entlassung! Die Islamophobie tötet!“, stand an der Fassade. Auch in den sozialen Netzwerken hielten die von der Studentengewerkschaft Unef unterstützten Aktivisten den beiden Professoren islamfeindliche Haltungen vor. Knapp fünf Monate nach der Ermordung des Geschichtslehrers Samuel Paty durch einen Islamisten hat die neue Affäre Frankreich aufgeschreckt.

      (paywall)

      https://www.faz.net/aktuell/politik/ausland/islamophobie-in-grenoble-professoren-muessen-um-ihr-leben-fuerchten-17233557.ht

      –-> ce qui se dit en Allemagne : 2 profs ont peur pour leur vie...

    • Hochschullehrer in Gefahr wegen angeblicher „islamophober“ Einstellungen

      An der Universität von Grenoble lehnte ein Professor die Gleichsetzung von Antisemitismus mit „Islamophobie“ ab. Damit trat er eine gewaltige Welle der Entrüstung los. Aktivistische Studentengruppen brandmarkten ihn und seine Unterstützer als „Faschisten“ und warfen ihnen vor, selbst „islamophob“ zu sein. Die beigeordnete Innenministerin Marlène Schiappa kritisiert die Vorwürfe der Aktivisten scharf und sieht deutliche Parallelen zum Fall Samuel Paty.

      Professor Klaus Kinzler von der Universität in Grenoble steht neuerdings im Licht der Öffentlichkeit, seit er von einer Kampagne der Studentengewerkschaft UNEF (Union nationale des étudiants de France) medial als Rechtsextremer und Islamhasser diffamiert wird. Studenten hatten zusätzlich zu ihrer Rufmordkampagne in großen Lettern an das Universitätsgebäude „Faschisten in unseren Hörsälen! Professor Kinzler Entlassung! Die Islamophobie tötet!“ plakatiert, wie die FAZ berichtete.
      Was war geschehen?

      Kinzler, der als Professor für deutsche Sprache und Kultur am Institut des Sciences Po bereits seit 25 Jahren angestellt ist, äußerte in einem Mailverlauf mit einer Kollegin Ende 2020 Kritik an den Inhalten und dem Titel eines Universitätsseminars, welches Antisemitismus, Rassismus und Islamophobie gleichwertig nebeneinander behandeln sollte: „Ich habe mich beispielsweise dagegen gewehrt, dass Rassismus, Antisemitismus und Islamophobie in einem Atemzug genannt werden“, erklärte Kinzler. „Die Diskriminierung von Arabern fällt in meinen Augen unter die Kategorie Rassismus und hat nichts mit Islamophobie zu tun. Die ersten beiden sind im Übrigen Straftatbestände, die Islamophobie ist es nicht. Der Begriff ist einfach zu schwammig“, rechtfertigte der Professor sich für seine Kritik. Für ihn seien Rassismus, welcher der Sklaverei zugrunde liege, oder Antisemitismus für etliche Tote verantwortlich, während es keine bekannten Todesopfer von Islamophobie gebe. Er zweifle nicht daran, dass es auch Anfeindungen gegen Muslime gebe, jedoch sei es nicht rechtfertigbar, diese auf die gleiche Stufe wie Antisemitismus und Rassismus zu stellen.

      Er selbst zeigte sich offen für eine Diskussion über den Begriff der Islamophobie, welcher durchaus begründbar auch als „Propagandawaffe von Extremisten“ bezeichnet werden kann. Daraufhin wurde Klaus Kinzler jedoch aus der Arbeitsgruppe zum Seminarinhalt ausgeschlossen. Vincent T., ebenfalls Politikprofessor, sprang seinem Kollegen in Folge zur Seite und geriet auf Facebook ebenfalls ins Visier der Studentengewerkschaft UNEF. Eine Kollegin aus Kinzlers Institut zeigte sich über dessen Aussagen so empört, dass sie sich kurzerhand eine Woche krankschreiben ließ. Die Affäre zog laut Kinzler im Anschluss ohne sein weiteres Zutun immer weitere Kreise und erreichte nun sogar die politische Bühne.

      So verteidigte die beigeordnete Innenministerin Marlène Schiappa das Recht des Professors, seine Einschätzung zu dem Begriff der Islamophobie kundzutun und kritisierte die Kampagne der studentischen Aktivisten scharf: „Nach der Enthauptung Samuel Patys ist das eine besonders widerliche Tat, denn er war genauso den sozialen Netzwerken zum Fraß vorgeworfen worden“, erklärte Schiappa im Fernsehsender BFM-TV. „UNEF hat in Kauf genommen, die beiden Professoren in Lebensgefahr zu bringen“, zeigte sich die Politikerin empört und bezeichnete es als verstörend, dass die Studentengewerkschaft in den sozialen Netzwerken zu einer beleidigenden Hasskampagne gegen die Professoren mobil gemacht habe. Der lokale Verantwortliche der Gewerkschaft Thomas M. weigerte sich, ebenfalls auf BFM-TV, die Aktion zu verurteilen und sprach sich für das Recht der Studierenden aus, die „islamophobe Haltung“ ihrer Professoren zu kritisieren.

      Auch Marine Le Pen griff die Debatte dankend auf und sah sich darin bestätigt, dass es an Universitäten eine „abstoßende, sektiererische Islamo-Linke gibt, die keine Grenzen kennt“. Das Verhalten der Aktivisten spielt somit auch der rechtspopulistischen Partei Frankreichs Rassemblement National in die Hände, der Marine Le Pen vorsteht.
      „Intellektueller Terrorismus“

      Mittlerweile hat sich auch die Staatsanwaltschaft in Grenoble wegen öffentlicher Beleidigung und Sachbeschädigung eingeschaltet. Die Hochschulministerin Frédérique Vidal verurteilte den „Versuch der Einschüchterung“ von Universitätsprofessoren, der nicht toleriert werden könne. Sie ordnete eine interne Untersuchung am Institut d’études politiques von Grenoble zu dem Fall an. Eine ihrer Vorgängerinnen im Hochschulministerium, die Regionalratspräsidentin der Hauptstadtregion Valérie Pécresse, nannte die Vorkommnisse an der Universität sogar „intellektuellen Terrorismus“.

      Beinahe ironisch mutet die Diffamierungskampagne gegen Kinzler an, wenn man die Tatsache berücksichtigt, dass der gebürtige Schwabe mit einer Muslimin verheiratet ist. „Ich habe wirklich keinen Kreuzzug gegen den Islam geplant. Ich wollte nur das Konzept der Islamophobie kritisch hinterfragen“, rechtfertigte sich der Professor und kündigte an, sich nach der unfreiwilligen Öffentlichkeit, die ihm zuteil wurde, nun eine Auszeit zu gönnen.

      Als Märtyrer will Klaus Kinzler sich nicht bezeichnen, auch will er sich nicht mit dem ermordeten Samuel Paty gleichsetzen, jedoch sieht er eine Gefahr in der Dynamik der Debattenkultur: „Wenn es so weitergeht, dann können wir unsere Uni eigentlich zusperren, das Gebäude verkaufen und einen Supermarkt daraus machen. Wozu dann noch ein Institut d’études politiques, wenn man jeden schützen müsse vor Argumenten, die ihm nicht gefallen würden?“, warnt der Professor vor einer im eigenen „Safe Space“ dauerempörten Studentenschaft.

      Solche Fälle, in denen an Universitäten Dozenten für meist vernünftig begründbare Meinungen und Aussagen von aktivistischen Gruppen heftiger, diffamierender Kritik ausgesetzt sind, stellen leider mittlerweile keine Einzelfälle mehr dar. In Deutschland wurde etwa Susanne Schröter für ihre Kritik am Politischen Islam zur Zielscheibe von empörten Studenten und Aktivisten. Für die USA lässt sich der Biologieprofessor Bret Weinstein beispielhaft erwähnen, der für seine Kritik an der universitären Praxis des „Day of Absence“, bei dem keine weißen Personen an der Universität erscheinen sollten, schlussendlich als Rassist dargestellt wurde und seine universitäre Laufbahn beenden musste.

      Die Universitäten und ihre Vertreter knicken nur allzu oft vor lautstark empörten Aktivisten ein. Auch die Ausladung von Rednern oder das Niederbrüllen von Diskutanten reihen sich in derartige Fälle ein. Ein solches Klima an Hochschulen lässt sich an vielen Orten feststellen und könnte zur ernsthaften Gefahr für die Meinungsfreiheit und die Debattenkultur werden.

      https://hpd.de/artikel/hochschullehrer-gefahr-wegen-angeblicher-islamophober-einstellungen-19081

    • Wegen Kritik an Islamophobie-Begriff: Hochschullehrer in Frankreich als Faschist beschimpft

      Der deutsche Hochschullehrer in Frankreich Klaus Kinzler hat den Begriff „Islamophobie“ kritisiert und wird seitdem von Kollegen und Studenten als „Faschist“ angefeindet. In einem Interview mit der „Welt“ erklärte er, was es damit auf sich hat und wie es in Frankreich um die Debattenkultur bestellt ist.
      In den sozialen Medien sei er im Rahmen einer Kampagne der Studentengewerkschaft durch den Schmutz gezogen worden. Dort habe man ihn als Rechtsextremisten und Islamophoben dargestellt, erzählt der 61-Jährige. Später hätten Studenten seinen Namen mit dem Slogan „Islamophobie tötet“ an den Wänden plakatiert. Nach seiner Ansicht rührt diese Feindseligkeit von einer mangelnden Diskussionsbereitschaft.

      „Debattiert oder gestritten wird nicht mehr, weil sich Leute verletzt fühlen könnten. Das ist es, was sich in den letzten Jahren verändert hat: Es gibt einen politischen Aktivismus, der sich als Wissenschaft verkleidet. Es gibt eine Sensibilität und Verletzlichkeit, das, was Caroline Fourest die ‚Generation Beleidigt‘ nennt“, eklärt er gegenüber der Welt.

      Klaus Kinzler unterrichtet seit 25 Jahren deutsche Sprache und Kultur an dem Institut des Sciences Po, einer privaten Elitehochschule in Grenoble. Seitdem er in einem E-Mailaustausch mit einer Kollegin den Begriff „Islamophobie“ kritisiert hat, ist er mit Anfeindungen konfrontiert. Nach seinen Worten wurde er sogar zusammen mit einem anderen Kollegen als „Faschist“ gebrandmarkt. Das will er sich nicht gefallen lassen und setzt sich mit Argumenten zur Wehr.

      An Begriff „Islamophobie“ Streit entfacht
      Von Frankreich hätten viele das Bild, dass es ein laizistisches Land sei, in dem die Religion kritisiert werden dürfe. Aber es gebe Tabus, an die man nicht rühren dürfe, so der Hochschullehrer weiter.

      „Ich habe mich beispielsweise dagegen gewehrt, dass Rassismus, Antisemitismus und Islamophobie in einem Atemzug genannt werden“, erklärte Kinzler. „Die Diskriminierung von Arabern fällt in meinen Augen unter die Kategorie Rassismus und hat nichts mit Islamophobie zu tun. Die ersten beiden sind im Übrigen Straftatbestände, die Islamophobie ist es nicht. Der Begriff ist einfach zu schwammig.“

      Eine Gleichsetzung des Begriffs mit Antisemitismus lehnt der Hochschullehrer ebenfalls ab. Letzterer habe Millionen Tote zur Folge gehabt, Genozide ohne Ende. Dann gebe es Rassismus, Sklaverei. Auch das habe in der Geschichte zu zig Millionen Toten geführt. „Aber wo seien die Millionen Toten der Islamophobie?“

      „Ich bestreite nicht, dass Menschen muslimischen Glaubens diskriminiert werden. Ich weigere mich nur, das auf die gleiche Stufe zu stellen. Ich halte das für ein absurdes Täuschungsmanöver.“
      Angst vor Auseinandersetzungen an Unis
      Dass ihn die Studenten zur Zielscheibe von Anfeindungen gemacht hätten, findet Kinzler mit Blick auf die Debatte um die Islamophobie sogar nützlich, „sonst wäre das ja wieder unter den Teppich gekehrt worden“. Er stellt auch nicht in Abrede, dass sie mit Sicherheit nichts vortäuschten und sich wirklich verletzt fühlten. In Bezug auf Studenten wiederum, welche auf umstrittene Themen sensibel reagieren würden, meint der Hochschullehrer:

      „Wer böse ist, könnte sagen: Sein Platz ist nicht an der Uni, wenn er sich durch Argumente verletzt fühlt. Aber bei uns tut man alles, damit sie nicht verletzt werden. Man erspart ihnen jede Form von Auseinandersetzung. Das ist ja das Skandalöse.“
      Wenn es so weitergehe, dann können „wir unsere Uni eigentlich zusperren“, das Gebäude verkaufen und einen Supermarkt daraus machen, kritisiert er. Wozu dann noch ein „Institut d’études politiques“, wenn man jeden schützen müsse vor Argumenten, die ihm nicht gefallen würden?
      In dem Zusammenhang spricht er von „safes spaces“, Sicherheitsblasen. Diese würden dafür geschaffen, damit die jungen Menschen nicht behelligt würden mit Dingen, mit denen man sich früher selbstverständlich auseinandergesetzt habe.
      „Wir haben hier an unserem Institut viele Lehrkräfte, die den Studenten nach dem Mund reden und die Vorurteile, die sie schon haben, bekräftigen. Einer wie ich stört. Für viele bin ich hier: ‚Klaus, der Extremist‘. 25 Jahre lang war das schlimmste Schimpfwort Liberaler oder Neo-Liberaler. Jetzt bin ich Rechtsradikaler, ein Islamophober und ein Faschist“, beklagt Kinzler.
      „Ich bin kein Märtyrer“
      Laut Kinzler schlägt ihm eine offene Feindseligkeit entgegen. Von den 50 Kollegen seien 35 gegen ihn, „sie hassen mich inzwischen“. Nur 15 stünden auf der Seite der Freiheit. Auch seine Direktorin habe sich nicht hingestellt und gesagt: „Der Kinzler ist ein Demokrat und kein Faschist.“
      Vor dem Hintergrund der islamistisch motivierten Enthauptung des Schullehrers Samuel Paty geht Kinzler auch auf die Frage ein, ob er nun Angst habe. Seine Antwort: Nein. Die Aktion der Studenten gegen ihn zeige aber, dass sie keine erwachsenen, verantwortlichen Personen seien. Er will aber auch nicht mit dem ermordeten Lehrer verglichen werden.
      „Ich fühle mich aber auch nicht als Samuel Paty. Ich bin kein Märtyrer. Ich stehe nur zu meinen Überzeugungen. Ich bin auch nicht der Opfertyp, sondern war immer ein Kämpfer. Wenn mich jemand angreift, dann wehre ich mich. Den Vergleich mit Samuel Paty finde ich eher unpassend und vielleicht sogar gefährlich.“
      Der 47-jährige Geschichtslehrer Samuel Paty war Mitte Oktober 2020 von einem 18 Jahre alten Angreifer nahe Paris ermordet worden. Das von Ermittlern als islamistisch motivierter Terrorakt eingestufte Verbrechen löste im ganzen Land Entsetzen aus. Paty hatte das Thema Meinungsfreiheit gelehrt und dabei Karikaturen des Propheten Mohammed gezeigt. Der 18-Jährige, der von der Polizei getötet wurde, hatte dies zuvor in sozialen Netzwerken als sein Tatmotiv angegeben.
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      https://snanews.de/20210309/islamophobie-hochschullehrer-beschimpft-1208300.html

    • Die Sozialstruktur der Infektionen

      Im Interview mit der SZ beklagt Soziologe Oliver Nachtwey, dass es in Deutschland keine Statistiken zu sozialen Aspekten der Coronakrise gibt. Und er hat eine Vermutung, warum das so ist. In der NZZ kritisiert die Kunstsoziologin Nathalie Heinich die „Vermischung zwischen Aktivismus und Forschung“ in den Geisteswissenschaften, ebenso der Altphilologe Jonas Grethlein in der FAZ. In Grenoble solidarisieren sich Professoren mit zwei als „Islamophobe“ attackierten Kollegen... äh, nicht so wirklich.

      Wissenschaft
      In Grenoble sind zwei Professoren in sozialen Medien und über Graffiti an Uni-Gebäuden als „Islamophobe“ und Faschisten an den Pranger gestellt worden (unser Resümee). In Frankreich hat die Affäre nach dem Mord an Samuel Paty, der mit einer ähnlichen Kampagne anfing, Aufsehen erregt. Hadrien Brachet berichtet für die Zeitschrift Marianne über die Atmopshäre an der Uni Grenoble, wo sich Professoren in einem Papier äußerten: „Merklich hin- und hergerissen zwischen der Verurteilung der Graffiti und Sympathie für andere Kollegen beklagen sie in dem Kommuniqué ’gefährliche Handlungen’ und rufen zur ’Befriedung’ auf, ohne jedoch eine Unterstützung der Angegriffenen zu formulieren. Der Repräsentant des wichtigsten Studentenverbands prangert seinerseits eine ’instrumentalisierte Polemik’ an und fordert sogar Sanktionen gegen die beiden der ’Islamophobie’ bezichtigen Professoren an.“ In der Welt wird Klaus Kinzler, einer der beiden attackierten Professoren, interviewt, das Interview steht leider nicht online.

      Der „Islamogauchismus“, die Allianz zwischen linken Intellektuellen und reaktionären Islamisten, ist nicht das Hauptproblem an den französischen Universitäten, meint die Kunstsoziologin Nathalie Heinich im Interview mit der NZZ, sondern „die Vermischung zwischen Aktivismus und Forschung. ... Wenn wir so weitermachen, entwickelt sich die Uni zu dem Ort, an dem in Dauerschleife rein ideologische Arbeiten über Diskriminierung entstehen. Damit man mich richtig versteht: Gegen Diskriminierung zu kämpfen, ist absolut richtig und legitim - in der Arena der Politik. Es gibt Parteien und Assoziationen dafür. An der Uni dagegen sind wir angestellt, um Wissen zu schaffen und weiterzugeben, und nicht, um die Welt zu verändern.“

      Der klassische Philologe Jonas Grethlein erzählt auf der Geisteswissenschaften-Seite der FAZ aus Cambridge und Oxford, wo Altphilologen Sensibilisierungskurse über ihren „strukturellen Rassismus“ belegen sollen und kritisiert Bestrebungen, sein Fach nach den Kriterien der „Critical Race Theory“ um den amerikanischen Althistoriker Dan-el Peralta neu zu orientieren: „Dan-el Peralta, Professor für römische Geschichte in Princeton, hat wiederholt festgestellt, als Schwarzer und Immigrant könne er Unterdrückung und andere Phänomene in der Antike anders und besser erschließen als seine weißen Kollegen. Hier wird die Identität des Wissenschaftlers zum Grund für neue Erkenntnisse, die Identitätslogik ist mit der Erkenntnislogik verbunden. ... Altertumswissenschaftler betrachten vergangene Kulturen wie die Antike im Horizont ihrer eigenen Zeit. Aber wenn dieser Horizont so übermächtig wird, dass sie die antiken Werte und Praktiken primär als Bestätigung oder Widerspruch zu ihren eigenen Vorstellungen sehen, dann verspielen sie die Möglichkeit, neue Perspektiven auf die Gegenwart zu gewinnen.“

      https://www.perlentaucher.de/9punkt/2021-03-10.html

    • Faut écouter cette séquence avec les deux avocates de Vincent T. pour y croire :

      Prof accusé d’islamophobie : son avocate dénonce des « accusations déshonorantes qui mettent sa vie en danger »

      Début mars, des collages anonymes ont imputé à deux professeurs de Sciences Po Grenoble des propos islamophobes. L’un d’entre eux va porter plainte « contre tous ceux qui l’ont calomnié », ont affirmé ses avocates sur BFMTV.

      « On le diabolise, on le stigmatise, on le traite d’islamophobe et on le tétanise. » Depuis plusieurs jour, Vincent Tournier est au coeur d’une polémique à l’Institut d’études politiques de Grenoble. Lui et un autre professeur ont été nommément visés par des affichettes sur les murs de l’école les accusant d’islamophobie.

      « Il n’a pas compris la brutalité et l’étendue de l’agression intellectuelle dont il a fait l’objet (...) Le contenu de son enseignement est totalement détourné », le défend l’une de ses avocates, Me #Aude_Weill-Raynal, sur BFMTV ce vendredi.

      A l’origine de ces tensions, l’appel lancé par l’Union Syndicale de Sciences Po Grenoble sur Facebook demandant aux étudiants de témoigner sur d’éventuels « propos problématiques » qui auraient été tenus lors du cours de Vincent Tournier de « Méthodes des sciences sociales ». Ce dernier a alors exigé par mail que les étudiants appartenant au syndicat « quittent immédiatement (ses) cours et n’y remettent jamais les pieds ».

      Le professeur s’apprête à déposer plainte

      Dans cette escalade, le syndicat a déposé plainte pour « discrimination syndicale », finalement classée sans suite depuis. « Vincent Tournier a un cours sur l’islam. Il y a tenu des propos qui ne sont peut-être pas dans la ligne de ce que certains attendaient pour le disqualifier », commente son avocate.

      Et Me #Caroline_Valentin, son autre conseil, d’ajouter : « Cette accusation est déshonorante et met sa vie en danger, il a eu peur, il s’est senti outragé. »

      L’avocate affirme que son client - qui bénéficie désormais d’une protection mise en place par le ministère de l’Intérieur - va porter plainte « contre tous ceux qui l’ont calomnié ».

      –---

      Sur les syndicats étudiants, Me Caroline Valentin affirme que l’islamophobie est le « délit de #blasphème. L’islam c’est le blasphème musulman. » (minute 3’40)

      https://www.bfmtv.com/police-justice/prof-accuse-d-islamophobie-son-avocate-denonce-des-accusations-deshonorantes-

      –---

      Sur l’islamophobie comme « délit de blasphème », voir aussi #Zineb_El_Rhazoui, à partir de la minute 1’12 :

      "Pour moi l’accusation d’islamophobie n’est que le terme occidental pour dire blasphème. (...) Dans le monde musulman, là où l’islam a le pouvoir coercitif, on n’a pas accusé les gens d’islamophobie, on les a tout bonnement accusées de blasphème. Cette accusation n’étant pas possible ici en occident, on invente cette accusation d’islamophobie qui est un mot-valise absurde, on psychiatrise l’autre, on l’accuse d’être phobique, donc c’est quelque chose qui relève de la psychiatrie. Et naturellement doit-on blâmer les gens d’avoir peur. Doit-on blâmer les gens d’avoir peur ? Quand un enfant à peur, la réaction naturelle, c’est de le consoler, de le rassurer et non pas de le blâmer à cause de ça.


      https://twitter.com/lci/status/1371161097747726340

    • Sur la page wikipedia du laboratoire pacte, le 21.03.2021 :

      En 2021, la presse évoque le cas de deux professeurs accusés d’« islamophobie » dont les noms ont été placardés sur les murs de l’IEP suscitant des craintes pour leur sécurité. Fin 2020, l’un des enseignants avait exprimé ses doutes quant à la pertinence du concept d’islamophobie utilisé pour désigner des discriminations dont feraient l’objet des musulmans en raison de leur religion. Il refuse notamment que ce terme soit accolé à celui d’antisémitisme. Une chercheuse en désaccord après un échange de courriels se plaint alors de « harcèlement ». En décembre, dans un communiqué officiel signé par Anne-Laure Amilhat Szary, directrice du laboratoire, le PACTE avait apporté son soutien à Claire M., l’enseignante, qui s’était plainte de harcèlement6. Pour Klaus Kinzler, le professeur incriminé, c’est d’abord le laboratoire Pacte qui a publié un communiqué officiel l’accusant sans « aucun fondement de harcèlement et de violence, d’atteinte morale violente » contre sa collègue7.


      https://fr.wikipedia.org/wiki/Laboratoire_Pacte

    • De quoi la campagne contre l’«islamo-gauchisme» est-elle le nom?

      La campagne idéologique réactionnaire lancée par le gouvernement a le mérite de poser clairement les lignes de démarcation : un #fascisme rampant qui organise la chasse à courre contre les intellectuels idéologiques de l’égalité, de l’#internationalisme et de l’#émancipation. Annihiler les « islamogauchistes » c’est vouloir supprimer la #subversion de la #pensée_engagée.

      L’enquête

      Les derniers événements de l’IEP de Grenoble ont été l’objet d’une minutieuse et précise enquête de 15 pages, publiée dans Mediapart par le journaliste David Perrotin, enquête référentielle qui permet d’appréhender les différentes étapes de l’affaire. Cette enquête incarne une idée simple mais peu appliquée dans le métier journalistique et médiatique - qui n’a pas fait d’enquête n’a pas droit à la parole, une logique requise pour se forger un point de vue, au-delà des faits.

      SURTOUT se rappeler que le point de départ de cette affaire et son point central, ce sont les charges répétées, et réussies par ailleurs, d’un professeur de l’IEP pour supprimer le mot « islamophobie » lors d’une préparation à une conférence organisée par l’IEP dans la cadre de la semaine pour l’égalité intitulée « racisme, antisémitisme, islamophobie ».

      Pour l’enseignant, le mot islamophobie ne pouvait se trouver accolé au mot antisémitisme parce que cela représentait « une insulte aux victimes réelles (et non imaginaires) du racisme et de l’antisémitisme ».

      Le raisonnement

      Légitimer le statut de #victime comme seul référent catégoriel pour situer la place des musulmans des arabes et des juifs dans l’histoire réduit considérablement la visibilité du pourquoi ils sont, ou pas, désignées « #victimes ».

      Pour le professeur, en effet, les agressions et les propos anti-musulmans, les discriminations contre les populations arabes, tout cela regroupé sous le nom contemporain d’islamophobie n’existeraient pas, sinon de l’ordre de l’affabulation.

      Il s’agit selon ses mots d’effacer toute trace d’une réalité réelle en France, les faits connus, relatés par les tribunaux ou par les médias des agressions physiques et des propos antimusulmans.

      Dire que tout cela n’existe pas puisque c’est #imaginaire, c’est vouloir effacer un réel discriminatoire pour se dispenser d’en regarder les effets dévastateurs, sinon s’en dédouaner.

      À la lecture de ces propos, on peut se poser légitimement la question de savoir qui sont les affabulateurs. Ceux qui sont désignés, ou celui qui les désigne.

      Ou bien le professeur ne lit pas les journaux et ne regarde pas les médias qui relatent les incidents islamophobes, ou bien il s’agit de quelque chose de plus grave dont ses propos seraient le nom.

      Le professeur dit « ne pas avoir de sympathie pour l’islam ». C’est son droit.

      Mais si les musulmans inventent et imaginent être des victimes,

      Si, selon lui, ils n’ont pas le droit d’être positionnés à côté des victimes juives, si seuls les #juifs peuvent bénéficier du statut de victimes, ces propos installent une obscène #hiérarchie_victimaire,

      Si les victimes musulmanes sont imaginaires, il s’agit rien moins que d’invalider l’#histoire_coloniale française, celle de la #guerre_d'Algérie, entre autres, où, si on suit le raisonnement du professeur, il n’y aurait eu aucune victime. La guerre coloniale française étant sans doute, dans l’esprit des musulmans, une #affabulation.

      Enfin, il n’est pas interdit de penser, toujours selon le raisonnement du professeur, que si les musulmans sont affabulateurs de leur victimisation, ils le sont encore plus de leur propre histoire, de leur révolte anti-coloniale.

      La guerre de libération nationale algérienne contre l’empire colonial français doit être un pur fantasme musulman.

      Nous sommes bien au-delà de propos « hautement problématiques » comme le faisait remarquer la directrice de l’IEP.

      Ces propos hallucinants sont à recadrer dans un contexte plus large, celui de la campagne lancée par le gouvernement et relayée par la Ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et l’innovation, Frédérique Vidal.

      La ministre a annoncé vouloir demander une enquête au CNRS sur « l’islamogauchisme » qui, selon elle, « gangrène la société dans son ensemble et l’université en particulier ». Retenons l’ordre, société d’abord, université ensuite.

      Sur ce terme valise et attrape-tout, la ministre, interviewée par Jean Pierre Elkabach sur CNEWS a repris à son compte l’expression proposée par le journaliste « il y a une sorte d’alliance entre Mao Tsé-toung et l’ayatollah Khomeini ».Alain Finkelkraut en 2010 dénonçait déjà l’islamogauchisme comme « l’union des gens de l’immigration et d’intellectuels progressistes ».

      Ne rions pas, la chose est dite.

      De quoi cela est-il le nom ?

      Qu’est ce qui est visé par l’expression « #gangrène_islamogauchiste » ?

      Est ciblée une idéologie progressiste, l’union possible de ceux qu’on appelle aujourd’hui les prolétaires nomades et des intellectuels, des prises de position sur l’égalité et l’internationalisme, un corpus de travaux, de publications sur l’héritage colonial dans les sociétés des anciennes puissances coloniales.

      Ces études examinent, mettent en perspective l’héritage colonial toujours actif qui se manifeste, entre autres, par un #racisme_culturel levant haut le drapeau de la « supériorité » de la chère civilisation occidentale, par une succession de lois discriminatoires et par des actes de racisme

      Travailler à démonter cet #héritage_colonial dans le contemporain est une réponse, parmi d’autres, pour contrer l’hydre identitaire qui revient en force dans le monde actuel.

      Résumons l’idéologie de la campagne.

      Islamo, signifierait altérité, autre, islamistes, ex colonisés, musulmans, bref une multitude de sens exprimant les variations contemporaines d’un racisme anti musulman et arabe ,

      gauchiste, ce qui reste- ou plutôt revient en première ligne, comme arme de pensée et de réflexion sous le substrat générique de marxisme, à savoir l’anti identitaire, l’internationalisme, l’égalité, l’émancipation.

      La #subjectivité

      C’est donc une bataille contre tous les intellectuels, penseurs et acteurs engagés de l’émancipation.

      Il y a aussi dans cet acharnement réactionnaire, une bataille contre la « subjectivité » de l’engagement, c’est-à-dire contre « le #parti_pris » d’un individu qui le transforme en sujet pensant. Les « islamo gauchistes » sont des gens qui pensent, qui ont des idées, des batailles, qui écrivent et qui s’engagent pour elles. Annihiler les « islamogauchistes » c’est vouloir supprimer la subversion de la #pensée_engagée.

      Penser, c’est violent, me disait déjà une élève.

      Penser c’est prendre parti, s’engager pour une idée et c’est bien cet #engagement_subjectif qui est visé frontalement.

      C’est donc une #bataille_idéologique et politique de grande envergure que le gouvernement a décidé de lancer. Et pour ce faire, parce qu’il la prend très au sérieux et nous aussi, il lance ses chiens, ses meutes intellectuelles, ses piqueurs de tout bord dont l’extrême droite, entre autres, pour, rien moins qu’éradiquer, supprimer cet espace subjectif et politique

      L’imposture

      L’#imposture est cependant complète. Pour expliquer sa campagne dans l’opinion, il désigne comme seuls idéologues, porteurs de « fatwah », censeurs de la liberté d’opinion et de la liberté académique, les professeurs, les enseignants chercheurs, les étudiants mobilisés, les agents administratifs,

      les désignant comme « gangrène, ceux qui se situent« entre Mao Tsé-toung et l’ayatollah Komeini » (si ce n’est pas idéologique ça), comme identitaires et communautaristes…

      S’intéresser à l’histoire coloniale de son pays équivaudrait donc à être identitaire.

      Il laisse se déchainer les réseaux sociaux qui organisent contre ces enseignants, un harcèlement mortifère.

      La directrice du Laboratoire Pacte reçoit tous les jours des menaces de mort et voit sa photo publiée sur les réseaux sociaux avec notamment pour légende « Être nostalgique des années 40 ».

      Pour ceux qui n’auraient pas encore compris ou qui feignent ne pas comprendre, ceux qui hurlent contre les islamo-gauchistes hurlent aussi contre ceux, appelés dans les années 40, « les judéo-bolchéviques ». Le même procédé est à l’œuvre : islamo versus judéo, bolchéviques versus gauchistes Mao, même gangrène. On connait la suite.

      Ceux qui organisent la campagne violente contre l’émancipation traitent leurs cibles de sectaires, de censeurs et d’idéologues. Vieux procédé de retournement que nous retournons contre eux.

      Cette #campagne_idéologique réactionnaire lancée par le gouvernement a le mérite de poser clairement les lignes de démarcation : un fascisme rampant qui organise la #chasse_à_courre contre les intellectuels idéologiques de l’égalité, de l’internationalisme et de l’émancipation.

      Propositions

      La riposte ne peut être qu’internationale.

      Renforçons les liens de solidarité avec ceux qui ont pris position dans les journaux contre cette campagne,

      échangeons par le biais d’une feuille de journal,

      une sorte de « lettre internationale » qui formerait réseau, récolterait les informations sur les différentes situations, les articles, les prises de position, les propositions à venir.

      Sol. V. Steiner

      https://blogs.mediapart.fr/sol-v-steiner/blog/190321/de-quoi-la-campagne-contre-l-islamo-gauchisme-est-elle-le-nom

    • Et cette Une de Valeurs actuelles...


      Censure, sectarisme… L’université française, le laboratoire des fous

      L’affaire de Sciences Po Grenoble révèle un enseignement supérieur soumis à la censure, au sectarisme et aux délires progressistes. Récit d’une dérive.

      Trente-cinq ans d’enseignement paisible, puis la bascule. Klaus Kinzler a eu le malheur de récuser la pertinence scientifique du terme d’"islamophobie", le voilà accusé d’islamophobie. Et, bien sûr, de fascisme. Avant lui, Sylviane Agacinski, Alain Finkielkraut, François Hollande (!) s’étaient vu refuser l’accès à l’université par des étudiants peu soucieux de se frotter à la contradiction. Pièces de théâtre annulées, conférences empêchées, professeurs placardisés... La censure n’est pas nouvelle. La décapitation de Samuel Paty aura quand même réveillé des consciences assoupies : cette fois-ci, le professeur peut compter sur quelques soutiens publics. D’autres persistent à nier.

      Jean Sévillia, lui, n’est pas franchement étonné, qui signait un livre intitulé le Terrorisme intellectuel il y a vingt et un ans... Aujourd’hui très éloigné du monde universitaire, il convoque pourtant le souvenir de ses propres années de fac : « Le variant est l’idéologie dominante, l’invariant réside dans les méthodes employées pour la défendre. » À l’époque, les affrontements physiques sont quasiment quotidiens dans le Quartier latin, et les tentatives d’ostracisme omniprésentes. « On retrouve les vieilles méthodes efficaces de l’antifascisme : mensonge, amalgame, diabolisation et stigmatisation », développe le journaliste. Stalinisme, tiers-mondisme, marxisme, antiracisme, européisme... Les sujets changent mais quiconque s’interpose est déclaré fasciste. Sévillia concède cependant une différence de taille : « À l’époque, le professeur pouvait demander à l’élève estampillé fasciste de dérouler ses arguments dans l’amphithéâtre. » Les élèves lisent alors, le débat est encore possible.

      Les nouveaux révolutionnaires ne font même plus semblant de débattre ; débattre, c’est déjà accorder le point à son adversaire.

      Un bond dans le temps et l’on se retrouve dans la très progressiste université d’Evergreen, aux États-Unis. Entre-temps, la French theory s’est exportée outre-Atlantique. C’est sur ce campus que le professeur Bret Weinstein a tenté de s’opposer à la tenue d’une journée interdite aux élèves blancs. Suffisant pour que les étudiants le poussent vers la sortie, sans autre forme de procès. L’enseignant a bien tenté de rappeler qu’il avait « toujours voulu parler du racisme, l’étudier... », les étudiants n’ont pas attendu la fin de sa phrase pour clore le débat : « On n’a pas besoin de l’étudier, on le vit. »

      Les nouveaux révolutionnaires ne font même plus semblant de débattre, ils se drapent dans une victimisation très largement fantasmée pour consacrer l’inutilité de la connaissance. Débattre, c’est déjà accorder le point à son adversaire. On pourrait se rassurer en accablant les États-Unis... puis on entend Geoffroy de Lagasnerie. Philosophe et sociologue, l’autoproclamé héritier — bien français —de Bourdieu, Deleuze et Derrida est au micro de France Inter le mercredi 30 septembre dernier, lorsqu’il expose très sereinement sa pensée : « Le but de la gauche, c’est de produire des fractures, des gens intolérables et des débats intolérables dans le monde social. [...] je suis contre le paradigme du débat », entame-t-il. Le jeune professeur insiste : « J’assume totalement le fait qu’il faille reproduire un certain nombre de censures dans l’espace public, pour rétablir un espace où les opinions justes prennent le pouvoir sur les opinions injustes. » Qui serait alors chargé de discriminer le juste et l’injuste ? Lagasnerie refuse que ce soit la loi, il préfère que ce soit « l’analyse sociologique ». De telles déclarations ne provoquent pas l’indignation des étudiants, encore moins des professeurs.

      Et pourtant, c’est bien cette "analyse sociologique" qui inquiète par son sectarisme inversement proportionnel à son exigence académique. Lorsque la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, ose évoquer la pénétration de « l’islamo-gauchisme » à l’Université, la réaction est immédiate : tribune des présidents d’université, appels à la démission, indignation du CNRS... Pourquoi ? Le manque d’assise scientifique du terme. Silence, en revanche, lorsque des chercheurs abusent des concepts d’islamophobie, de privilège blanc ou de violences de genre. Et pour cause : certains travaux universitaires s’appliquent désormais à légitimer les concepts générés par les cultural studies américaines, plus militantes qu’académiques.

      Les études scientifiques en question

      En 2017, une journaliste et deux universitaires anglo-saxons ont tenté de dénoncer le phénomène. « Soyons clairs, nous ne pensons pas que les sujets comme le genre, la race ou la sexualité ne méritent pas d’être étudiés », expliquait alors l’un des universitaires avant de poursuivre : « Le vrai problème, c’est la façon dont ces sujets sont actuellement étudiés. Une culture émerge dans laquelle seules certaines conclusions sont autorisées : comme celles qui désignent systématiquement la blancheur de peau ou la masculinité comme la cause du problème. » Ils ont donc rédigé une vingtaine d’études bidon qu’ils ont ensuite proposées à des revues universitaires dotées d’un comité de relecture par des pairs. Résultat ? Sept papiers ont été acceptés, quatre publiés.

      Il faut se pencher sur ces études pour saisir l’ampleur du malaise : l’une d’elles s’intitule "Réactions humaines face à la culture du viol et performativité queer dans les parcs à chiens urbains de Portland, Oregon", une autre affirme que les hommes peuvent combattre leur « homohystérie » par l’usage d’un sextoy, une autre encore — qui avait reçu des retours plutôt enthousiastes — préconisait de faire porter des chaînes fictives aux élèves blancs pour les confronter à la « fragilité de leurs privilèges ».

      L’expérience n’a pas été réalisée en France, mais les universitaires les plus militants abusent déjà du vocabulaire légitimé par de semblables "études". En face, des conférences sont annulées, des thèses refusées, des professeurs virés... Et la contestation s’affaiblit. C’est cet état des lieux qui poussait récemment la sociologue et philosophe Renée Fregosi à déclarer sur FigaroVox qu’« il serait plus important de garantir le pluralisme des approches théoriques et des méthodes d’analyse ». L’enjeu ? Non plus seulement protéger, mais rétablir la liberté académique. Faute de quoi seront dégainées à l’infini les accusations d’homophobie, de xénophobie, de transphobie, de racisme, de fascisme pour empêcher tout débat... et triompherait vraiment le totalitarisme de la bêtise.

      https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/societe/censure-sectarisme-luniversite-francaise-le-laboratoire-des-fous-1

    • #Gilles_Bastin (sociologue du laboratoire pacte) sur twitter, 14.03.2021 :

      #IEPGrenoble Comme promis quelques remarques sur un point très important de ce qui est en train de se passer dans l’espace public autour de l’idée selon laquelle la « #liberté_d'expression » n’est plus garantie l’Université.
      C’est un thème que l’on retrouve répété à l’envi par la personne qui se présente depuis des jours sur les plateaux télé comme une victime de la censure de ses collègues. Beaucoup d’articles de presse ont commencé à parler de l’affaire sous cet angle.
      Et malheureusement j’ai entendu au cours de la semaine qui vient de s’écouler de nombreuses personnes sensées parler aussi de « liberté d’expression », de la nécessité de la garantir à toutes et tous, etc.
      Un des premiers problèmes qui se pose si l’on accepte cette lecture de l’affaire c’est qu’il se trouvera toujours un juriste pour dire que l’islamophobie n’est pas punie en tant que telle par la loi en France…
      … et que la seule limite à son expression est la #diffamation. Cela me semble problématique et complètement non pertinent ici pour trois raisons :
      1. Dans l’affaire qui a commencé avec les échanges d’e-mails mis sur la place publique, la ligne de défense de la personne qui se plaint aujourd’hui d’avoir été empêché de s’exprimer consiste à dire qu’il n’a jamais diffamé notre collègue organisatrice de la conférence.
      Mais ce n’est pas ce qui lui est reproché ! Le @Defenseurdroits qui est saisi de l’affaire le dit d’ailleurs très bien en pointant le non respect du devoir de réserve d’une part et du principe de laïcité d’autre part.
      Pour le dire autrement, la liberté d’expression est une chose, la préservation d’un espace public pacifié par le #devoir_de_réserve et la laïcité en est une autre.
      La stratégie des « guerriers » (sic) de la liberté d’expression (une version actualisée de la stratégie de la terre brulée) conduit à la disparition de tout espace possible pour que s’exerce cette liberté pour celles et ceux qui se refusent à user des mêmes armes qu’eux.
      Mais ça, le juge pénal ne peut pas s’en saisir, semble-t-il…
      2. Quelles sont les conséquences de l’incendie ? L’institution a essayé de l’éteindre sans abandonner le cadre d’analyse légal en termes de liberté d’expression. Ceci a conduit la collègue organisatrice à accepter de retirer le projet de conférence.
      La leçon : les guerriers (re-sic) de la liberté d’expression ont réussi à faire retirer un mot qui ne leur plaisait pas d’une manifestation organisée dans une Université. Cela s’appelle de la #censure ! Au nom de la liberté d’expression si l’on veut mais de la censure !
      Cela s’appelle aussi, pour utiliser un terme dont se sont délectés les plateaux télé sans comprendre qu’ironiquement il fallait l’appliquer à leur invité et pas à ses collègues « islamo-gauchistes », de la #cancel_culture (faire supprimer un mot dans une conférence…).
      3. j’ajoute un point vraiment important et qui n’a pas été soulevé jusque là : le cadre « liberté d’expression » autorise aussi dans cette affaire deux hommes blancs non musulmans à dire dans l’espace public, sans que rien ne les arrête, que l’islamophobie n’existe pas.
      Il n’est pas nécessaire d’avoir lu Goffman ou Fanon (mais ça aide) pour comprendre qu’il y a là une façon choquante de nier l’#expérience_vécue de celles et ceux qui, musulmans ou présumés tels, ont une autre perception des choses sans avoir les moyens ou l’envie de l’exprimer
      Bref, il me semble nécessaire d’abandonner la référence à la question de la liberté d’expression dans l’analyse des faits qui ont conduit à l’incendie #IEPGrenoble et de poser d’autres questions qui sont au moins aussi importantes pour l’avenir du #débat_public.

      https://twitter.com/gillesbastin/status/1371105738202959873

    • Tribune : « Oui, il y a une haine ou une peur irrationnelle des musulmans en France »

      Deux Insoumis de la région grenobloise ont réagi à la tribune de la députée de l’Isère #Emilie_Chalas consacrée aux termes “islamo-gauchisme” et “islamophobie” (https://www.placegrenet.fr/2021/03/13/tribune-emilie-chalas-islamo-gauchisme-islamophobie/457979). Julien Ailloud, co-animateur d’Eaux-Claires Mistral Insoumis Grenoble, et Amin Ben Ali, co-animateur de Tullins insoumise, tous deux signataires de l’appel du Printemps Isérois (https://www.placegrenet.fr/2021/01/07/elections-departementales-la-gauche-essaie-de-sunir-au-sein-du-printemps-iserois/425133), livrent une réplique au vitriol au point de vue de la parlementaire LREM. En novembre 2019, ils avaient déjà signé une tribune pour exprimer leur fierté concernant l’appel de la France insoumise de participer à la #marche_contre_l’islamophobie.

      Nombreux sont les intellectuels qui ont, depuis les élections présidentielles et législatives de 2017, analysé le discours des “marcheurs”. Au-delà des anglicismes, du vocabulaire type « start-up » et de la traditionnelle langue de bois, les macronistes ont une spécificité commune : celle de déstructurer la langue et le langage. La récente tribune d’Émilie Chalas ne déroge pas à cette mauvaise habitude, à la fois médiocre et cynique.

      Prenant pour prétexte l’actualité à l’IEP de Grenoble, Émilie Chalas n’analyse en rien ces évènements. Elle s’appuie sur ce fait divers pour faire le procès des tenants de l’« islamo-gauchisme », qu’elle dit minoritaires, alors que la ministre Frédérique Vidal nous parlait « d’une société gangrenée » par ce mal. La réalité, c’est que la distance entre l’extrême droite et la majorité parlementaire s’est encore réduite, cette analyse de la ministre intervenant quelques jours après que Gérald Darmanin ait trouvé Marine Le Pen insuffisamment préoccupée par l’islam, trop « molle » selon lui.

      Alors, dans le débat public, nous avons d’abord eu droit à l’utilisation du mot « #islamisme » dans son utilisation politique, mais sans savoir qui la ministre visait. En effet, à entendre les débats parlementaires sur la loi contre les séparatismes, une femme voilée est une islamiste en puissance mais, « en même temps », d’après le président de la République lui-même, manifester contre les violences policières comme en juin 2020 est une manifestation du séparatisme… De là à penser que, dans la tête de la majorité, tous les islamistes sont séparatistes et tous les séparatistes sont islamistes, il n’y a qu’un pas.

      « Un flagrant délit de contradiction » concernant le terme islamophobie

      Nous avons ici un flagrant délit de contradiction : alors que LREM et ses alliés passent leur temps à se dire « pragmatiques », ils ont en réalité les deux pieds dans l’idéologie, faute de prendre en compte le travail sérieux des chercheurs et enquêteurs, repoussant (ou ne s’intéressant pas) aux travaux universitaires et aux rapports ministériels. Ces derniers démontrent pourtant que le processus de radicalisation n’est que très peu influencé par « l’#islamisme_politique ». Il ne s’agit pas d’un déni que de le dire.

      Les recherches d’#Olivier_Roy, spécialiste renommé de l’islam, et les rapports de #Dounia_Bouzar, responsable de la déradicalisation sous le mandat de François Hollande, expliquent très clairement qu’il n’existe pas de continuum entre « islamisme » et « terrorisme ». Le terrorisme se nourrit de paramètres variés et complexes : penser que combattre l’islamisme politique suffirait à combattre le terrorisme relève soit de la naïveté, soit de l’incompétence.

      Concernant plus précisément la tribune de Mme Chalas, il est terrible d’observer qu’une députée soit aussi légère dans l’utilisation des mots et dans le maniement des concepts. Nous expliquant sans sourciller que le terme islamophobie vient de l’islam radical, elle change de version dans le même texte en disant que ce terme « a été créé en 1910 par des administrateurs-ethnologues français pour désigner “un #préjugé contre l’islam” »… mais qu’il serait instrumentalisé pas les islamistes ; et notamment « les frères musulmans » qui sont, comme tout le monde sait, si influents en France.

      Il convient ici de noter que de toute sa tribune, Mme la députée ne mentionnera pas les nombreuses organisations nationales et internationales qui prennent au sérieux le terme et le concept d’islamophobie : Commission nationale consultative des droits de l’Homme en France, Conseil de l’Europe, Conseil des droits de Homme de l’Onu, etc.

      « Face aux dominants, soutien aux dominés »

      Dans le même temps, Mme Chalas nous explique que le terme d’« islamo-gauchiste » ne souffre d’aucune #récupération_politique de l’extrême droite, en justifiant qu’il fut créé par un chercheur du CNRS au début des années 2000 pour désigner le soutien des organisations de gauche à la lutte palestinienne. À cet instant, la rigueur de notre députée ne l’interroge pas sur le fait qu’un terme inventé pour une définition précise soit utilisée pour dénoncer tout autre chose, ou encore que cette expression ait été en sommeil pendant des années, absente du débat public jusqu’à ce que les politiciens et médias d’extrême droite ne la remettent en circulation. C’est au mieux un manque de précision et, au pire, une #manipulation_politique grossière…

      Bien entendu, il ne sera fait aucune mention du fait que la Conférence des présidents d’université (CPU) a refusé l’emploi de ce terme, tout comme le CNRS lui-même dans un communiqué intitulé « L”“islamo-gauchisme”n’est pas une réalité scientifique ».

      Il n’est pas nécessaire d’être députée pour saisir que la prise de position d’une institution pèse plus lourd qu’un seul de ses chercheurs dont le terme a été galvaudé depuis sa création.

      Cette tribune d’Émilie Chalas aura au moins permis quelques avancées. Nous savons maintenant qu’en plus de pervertir les mots, les macronistes souffrent d’un défaut conséquent de rigueur scientifique et méthodologique, dévoilant au grand jour leur absence de colonne vertébrale intellectuelle. Et alors que le monde entier commémore les deux ans de l’attentat de Christchurch contre deux mosquées, Mme Chalas choisit cette séquence pour nier l’islamophobie, malgré 51 victimes causées par Brenton Tarrant, par ailleurs donateur et « membre bienfaiteur » de l’association récemment dissoute Génération identitaire.

      En ce qui nous concerne, une chose est certaine : oui, il y a une #haine et/ou une #peur_irrationnelle des musulmans et des musulmanes en France, quel que soit le terme pour l’exprimer. Le fait que plusieurs médias et membres du personnel politique les pointent régulièrement pour cible n’y est pas étranger. Il ne s’agit pas d’« islamo-gauchisme » que de le dire, mais simplement de rendre compte des tensions qui traversent notre société, comme l’a récemment rappelé un sondage dont 43 % des répondants trouvent qu’il y a trop de musulmans en France. Et face à ce constat, nous nous tenons à la ligne que notre famille politique à toujours tenue : face aux dominants, soutien aux dominés !

      Julien Ailloud & Amin Ben Ali

      https://www.placegrenet.fr/2021/03/20/tribune-oui-il-y-a-une-haine-ou-une-peur-irrationnelle-des-musulmans-en-france/464663

      signalé par @cede ici :
      https://seenthis.net/messages/907660

      Tribune d’Emilie Chalas ci-dessous dans le fil de discussion.

    • Émilie Chalas : « Islamo-gauchisme, islamophobie, de quoi parle-t-on à travers ces mots ? »

      Suite à l’affaire des collages nominatifs contre deux professeurs de Sciences Po Grenoble accusés d’islamophobie, Émilie Chalas, députée LREM de l’Isère et conseillère municipale d’opposition de Grenoble a tenu à réagir. Elle appelle ainsi à « la nécessaire clarification des lignes des uns et des autres » sur les termes “laïcité”, “islam politique”, et “islamo-gauchisme”.

      Les récentes actualités obligent à ce que les lignes des uns et des autres soient clarifiées.

      A Trappes, nous avons eu affaire au témoignage d’un professeur qui en dit long sur la #radicalisation_islamiste d’une minorité en France qui exerce une pression agressive et grandissante. Cette pression, construite autour d’arguments qui esquivent les vraies questions, est un réel danger pour la laïcité, pour l’égalité entre les femmes et les hommes, pour la République.

      A Sciences Po Grenoble, on accuse et on jette en pâture des professeurs au nom d’une « islamophobie » présumée. Ces enseignants témoignent ouvertement d’un climat hostile, qui devient parfois insoutenable dans nos universités. Ce qui se passe tragiquement à Grenoble est l’exemple de faits qui s’enchaînent, et qui provoque la surenchère et l’exacerbation de ceux qui font de la propagande politique avec un outil à la mode : le mot « islamophobie ».

      Déni et surenchère

      Dès qu’il est question de radicalisation islamiste, quelle que soit la ville et quel que soit l’événement, surgissent deux postures anti-républicaines et déconnectées de la réalité. Le déni d’un côté, et la surenchère de l’autre.

      La France subit une montée en puissance de l’islamisme politique, portée par une minorité anti-républicaine qui n’a d’autre objectif que de détruire nos valeurs de liberté, d’égalité, et de fraternité. C’est un fait. Une autre minorité estime que ces faits sont faux et que tout cela n’est pas si grave, que ces sujets seraient « montés en épingle » par les médias et les politiques, ces derniers qu’elle qualifie bien sûr d’extrême-droite, quelle que soit leur sensibilité.

      On arrive même à entendre des discours de #victimisation qui renverse la responsabilité victime/bourreau. C’est le #déni.

      De l’autre côté, il y a la surenchère d’une troisième minorité, celle-ci d’extrême droite, qui porte des discours racistes et anti-musulmans et affirme que tous les musulmans sont radicalisés.
      Sortir de ce clivage des extrêmes et prendre de la hauteur permet de poser quelques réalités et quelques bases d’un débat un peu plus sain pour répondre aux questionnements qui sont aujourd’hui présents en France.

      Le problème de l’islamisme existe bel et bien en France

      Contre le déni et la surenchère, il faut l’affirmer et le réaffirmer haut et fort : oui, le problème de l’islamisme existe bel et bien en France. Et non, ce problème d’islamisme n’est pas insurmontable. Non, la bataille n’est pas perdue. Non, la situation n’est pas irréversible. C’est justement notre cause.

      Dans certaines villes, comme à Grenoble, certains élus surfent sans sourciller dans le déni en affirmant qu’il n’y a aucun véritable problème et que tous ceux qui en perçoivent sont des fascistes ou, à minima, des anti-musulmans. Ce qui est faux bien évidement.

      Certains jouent d’ambiguïté avec l’islamo-gauchisme.

      De quoi parle-t-on alors à travers ce mot ?

      La définition pourrait être la suivante : l’islamo-gauchisme est l’idéologie gauchiste de l’indulgence et de l’excuse à l’égard de l’islamisme radical pouvant aller jusqu’à la minimisation, voire la dénégation de sa dangerosité, car l’#idéologie_gauchiste voit dans l’islamisme radical un allié dans sa lutte contre le capitalisme et dans sa stratégie de convergence des luttes de tous les opprimés.

      « Islamo-gauchisme », un terme qui émane du CNRS…

      Selon l’islamo-gauchisme, c’est parce les musulmans sont aujourd’hui les nouvelles classes populaires et qu’elles sont par conséquent les nouvelles victimes du capitalisme, par l’exploitation, la domination, la discrimination et la ghettoïsation, que l’islamisme radical est né et s’est développé pour précisément défendre ces nouvelles classes populaires musulmanes et mener une lutte révolutionnaire contre le capitalisme.

      Et c’est là, selon l’islamo-gauchisme, la raison politiquement nécessaire et donc suffisante pour laquelle il faudrait faire preuve d’une certaine indulgence et d’une bonne dose d’excuses à l’égard de l’islamisme radical, et en faire un allié.

      Par ailleurs, soyons bien vigilants : le terme “islamo-gauchisme” n’est pas un terme d’extrême droite, ni un terme inventé par l’extrême droite. C’est un terme relatif à des travaux de recherche sur des faits politiques concrets, travaux de recherche qui émanent du CNRS. En effet, c’est #Pierre-André_Taguieff, politologue, sociologue, historien des idées et directeur de recherche au CNRS, qui a forgé le terme d’islamo-gauchisme en 2002 en observant l’alliance idéologique et politique entre la gauche révolutionnaire et l’islamisme radical qui défilait dans les rues lors des manifestations pro-palestiniennes au début des années 2000 suite à la deuxième Intifada.

      « Islamophobie », un terme issu de l’idéologie islamiste radicale

      Alors que le terme d’islamo-gauchisme émane de recherches menées au CNRS sur la base d’observations factuelles, le terme d’islamophobie émane, lui, de l’idéologie islamiste radicale. C’est en effet un terme vieux de plus d’un siècle (il a été créé en 1910 par des administrateurs-ethnologues français pour désigner « un préjugé contre l’islam » répandu dans les populations chrétiennes) qui a été récupéré par les Frères musulmans et certains salafistes. Et ce pour condamner, non pas les préjugés chrétiens contre l’islam, mais toute critique contre l’islamisme radical, en prétendant que critiquer l’islamisme radical, c’est critiquer l’islam, et critiquer l’islam c’est se rendre coupable de racisme anti-musulman.

      L’islamo-gauchisme est par ailleurs une réalité pour bon nombre de nos concitoyens. Selon un #sondage en date du 19 février 2021, effectué par Ifop-Fliducial, 58 % des Français considèrent que « l’islamo-gauchisme est une réalité ». Un autre sondage du 23 février 2021, réalisé par Odoxa-Blackbone consulting, obtient les chiffres de 69 % des Français qui affirment qu’il y a en France « un problème avec l’islamo-gauchisme ». Selon ce même sondage Odoxa-Blackbone consulting, 66 % des Français sont « d’accord avec les propos de Frédérique Vidal sur l’islamo-gauchisme à l’université ».

      Voilà des résultats de sondages qui, pour le moins, interpellent.

      Sans aucun doute, il y a matière à débattre sans honte, sans crainte, sans reproche, et à vérifier ce qu’il se passe dans nos associations et dans nos universités pour reprendre l’actualité. Ni raciste, ni anti-musulman, ce débat doit avoir lieu sans tomber dans la surenchère, qui ferait là le lit de l’extrême droite et de l’islamisme politique.

      Ne nous laissons pas piéger : les valeurs et les principes de la République française sont notre cause.

      Émilie Chalas

      https://www.placegrenet.fr/2021/03/13/tribune-emilie-chalas-islamo-gauchisme-islamophobie/457979

    • Le modèle #Sciences_Po dans la tourmente avec les #polémiques sur la « #culture_du_viol » et l’« #islamophobie »

      Ces épisodes font suite à deux autres événements à très haute tension : la vague #sciencesporcs, lancée le 7 février par une ancienne élève de l’IEP de Toulouse, la blogueuse féministe #Anna_Toumazoff, pour dénoncer « la culture du viol » dont se rendraient « complices » les directions des IEP en ne sanctionnant pas systématiquement les auteurs de #violences_sexistes et sexuelles. Enfin, le 4 mars, le placardage des noms de deux professeurs d’allemand et de science politique sur les murs de l’IEP de Grenoble, accusés de « fascisme » et d’ « islamophobie », après avoir signifié, avec véhémence parfois, leur opposition à une collègue sociologue sur la notion d’islamophobie. Le syndicat étudiant US a appelé à suspendre un cours d’un de ces enseignants dans le cas où son appel à témoignages lancé sur Facebook permettrait d’établir le caractère islamophobe de certains contenus.

      https://seenthis.net/messages/909152

    • Sciences Po Grenoble, un repaire d’« islamogauchistes » ?

      La découverte de collages accusant deux professeurs d’être des fascistes relance l’emballement médiatique contre l’"islamogauchisme" à l’université. La gravité de l’affaire tient bien sûr à l’injure dont ces enseignants sont victimes. Elle tient aussi à la polémique que les médias fabriquent, exposant deux chercheuses à la vindicte publique et appelant à la censure des savoirs critiques. (Mars 2021)

      L’#emballement_médiatique autour de l’affaire de l’IEP de Grenoble dévoile les méthodes d’une agressive campagne de #disqualification des #savoirs_critiques à l’université. L’affaire commence le 4 mars par la découverte d’un acte aussi choquant que dangereux : juste en dessous de l’inscription « Sciences Po Grenoble », gravée au-dessus du porche d’entrée, des collages s’étalent : « Des fascistes dans nos amphis. X et Y démission. L’islamophobie tue ». Deux enseignants de l’établissement, un professeur d’allemand et un maître de conférences en science politique, sont attaqués nommément et publiquement. Les affiches sont immédiatement retirées, mais l’UNEF de Grenoble en relaie les photographies sur les réseaux sociaux, avant, deux jours plus tard et alors que la polémique enfle déjà, de les supprimer (https://twitter.com/unefgrenoble/status/1368523235101380609), de s’excuser et de condamner l’affichage.

      Le ministère de l’Enseignement et de la recherche (MRSEI) diligente une mission de l’Inspection générale de l’Éducation, le ministère public ouvre une enquête pour #injure_publique et dégradation de biens et les enseignants sont mis sous protection policière. Un mois plus tard, le déroulement des faits n’est toujours pas établi officiellement et les coupables restent inidentifiés. La gravité de l’affaire tient bien sûr à l’injure dont ces enseignants sont victimes ainsi qu’à leur exposition à de potentielles vengeances terroristes : le traumatisme né de l’assassinat de Samuel Paty continue de nous bouleverser. Mais elle tient également à la manière dont l’un d’eux a utilisé sa mise en lumière médiatique pour sacrifier d’autres collègues à la #vindicte_publique, en exploitant la fable dangereuse d’un supposé « islamogauchisme » à l’université.

      Dans les médias vrombissants, ce dont l’ « islamogauchisme » est le nom

      Dans un contexte post-traumatique, on aurait pu s’attendre à ce que les médias protègent l’identité des deux victimes et, en l’absence de coupables identifiés, soient prudents avant d’accuser. Pourtant, des chaînes de télévision, de radio, des journaux surexposent immédiatement le professeur d’allemand. Celui-ci peut dénoncer en boucle, dans un tourbillon de paroles, les résultats d’une « campagne de haine » de la part de ses collègues qu’il qualifie à l’occasion de « grandes gueules » (https://www.cnews.fr/videos/france/2021-03-09/il-y-une-majorite-de-mes-collegues-qui-me-hait-maintenant-le-temoignage-de) ou de « têtes de béton » (https://www.cnews.fr/videos/france/2021-03-09/il-y-une-majorite-de-mes-collegues-qui-me-hait-maintenant-le-temoignage-de). Sans précaution, sans enquête, sans donner la parole à d’éventuel·les contradicteur·rices, des journalistes, des éditorialistes, des chroniqueur·euses, des essayistes extrapolent à partir d’un récit qu’ils et elles ne vérifient pas.

      Alors que résonnent encore les paroles de Frédérique Vidal à l’Assemblée nationale (https://www.soundofscience.fr/2671) qui déclarait vouloir lancer une enquête contre les sciences sociales, l’affaire de l’IEP de Grenoble autorise le #procès_médiatique du concept d’islamophobie dans le champ académique. L’enjeu n’est plus même d’établir si l’université serait « gangrénée » : ce qui est asséné, c’est l’urgence de la surveiller … pour sauver la liberté de pensée.

      Tout est allé très vite, puis il y eut ce moment vertigineux où, sur le plateau de Cnews (https://www.valeursactuelles.com/societe/video-il-y-a-une-pression-a-vouloir-interdire-lislamophobie-eric-z), un éditorialiste connu pour ses idées d’extrême droite et récemment condamné pour injure et provocation à la haine contre l’islam et l’immigration a recollé les morceaux d’un discours que tant de médias essaimaient. Selon lui, l’« islamogauchisme », c’est critiquer l’islamophobie à l’œuvre dans la société française : les universitaires qui documentent et analysent les discriminations spécifiques vécues par les personnes perçues comme musulmanes expriment en réalité des opinions complices avec l’islam politique. C’est bien les maillons de cette #rhétorique qui, dès le 4 mars, capturent l’espace médiatique. Entre autres innombrables exemples, sur BFM (https://www.bfmtv.com/societe/grenoble-une-enquete-ouverte-apres-des-accusations-d-islamophobie-contre-deux), un journaliste de Marianne affirme que, à l’université, « le mot islamophobie a été imposé par des activistes » ; par trois fois, un journaliste de France culture qualifie d’« opinion » (https://www.franceculture.fr/emissions/linvitee-des-matins/liberte-dexpression-liberte-denseigner-le-casse-tete-des-professeurs-a

      ) les travaux sur les discriminations liées à l’islamophobie cités par un professeur du Collège de France qui par trois fois dément ; ou encore, sur Public Sénat (https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/laicite-a-l-universite-bientot-une-commission-d-enquete-au-senat-188006), une sénatrice du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE), déclare que « les idéologies ne doivent plus pouvoir s’imposer comme elles le font au cœur de notre université » et elle dénonce à la fois la « pression de l’islamisme » et le « militantisme d’extrême gauche ».

      Plus que toute autre, cette séquence médiatique a confondu les discours et les faits, a vidé les mots de leur substance dans une cacophonie bloquant toute possibilité d’analyse. La confusion intellectuelle profitant rarement à l’information, il semble important de reprendre le chemin des faits pour comprendre leur torsion. Finalement, qui a été victime de censure à l’IEP de Grenoble ? Qui a été jeté en pâture sur les réseaux sociaux ? Qui pourrait être censuré à l’université ? Et si intention de censure il y a, quels sont les savoirs particulièrement visés ?

      Islamophobie : le mot qui censure

      Chaque année, à l’IEP de Grenoble, les étudiant·es et les enseignant·es organisent une « Semaine pour l’égalité et contre les discriminations ». À l’automne, dans le cadre de leur préparation et après un sondage en ligne, le comité de pilotage a validé un atelier intitulé « Racisme, islamophobie, antisémitisme ». Le professeur d’allemand victime des collages a reconnu s’être inscrit à cet atelier pour en contester le titre : selon lui, le terme « islamophobie » ne devait pas y figurer, car il est « l’arme de propagande d’extrémistes plus intelligents que nous ». Pandémie oblige, la préparation se déroule à distance et, dans un échange de mails, une enseignante-chercheuse en histoire rattachée au laboratoire du CNRS Pacte défend la pertinence intellectuelle de l’atelier.

      Dans les médias, le professeur d’allemand réduit l’affaire des collages à l’« islamogauchisme » de ses collègues. L’affichage serait l’ultime étape d’une « campagne de diffamation et finalement de haine de plus en plus violente » (https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/03/07/enquete-pour-injure-publique-apres-des-accusations-d-islamophobie-a-sciences) qui aurait fait suite au conflit l’ayant opposé à sa collègue historienne autour du mot « islamophobie ». Sur BFM (https://www.bfmtv.com/societe/grenoble-une-enquete-ouverte-apres-des-accusations-d-islamophobie-contre-deux), il regrette d’ailleurs amèrement n’être soutenu par aucun·e collègue de son établissement, ce que ceux et celles-ci démentiront dans une tribune du Monde (https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/17/professeurs-accuses-d-islamophobie-cette-affaire-est-une-illustration-des-pr). Sur Europe 1 (https://www.europe1.fr/societe/grenoble-un-professeur-accuse-dislamophobie-regrette-le-manque-de-soutien-de), il affirme que les vrais responsables ne sont pas les étudiant·es, mais ses collègues « loin à gauche et (qui) ont plutôt des sympathies pour ceux qui défendent le terme islamophobie ». Dans Le Monde (https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/03/08/sciences-po-grenoble-enquete-ouverte-apres-les-accusations-d-islamophobie-co), il confirme que ces mêmes collègues auraient voulu le « punir (…) pour avoir exprimé un avis différent de la doxa d’extrême gauche ». Sur France 5 (https://www.youtube.com/watch?v=UU2oFWzDm3s

      ), il prétend avoir été « annulé » et « exclu du groupe de travail parce que les étudiants se disaient blessés par (ses) paroles ».

      Les médias font #caisse_de_résonance. France bleu (https://www.francebleu.fr/infos/education/le-nom-de-deux-professeurs-accuses-d-islamophobie-placardes-a-l-entree-de) précise que l’enseignante-chercheuse mise en cause était rattachée au laboratoire Pacte, justement « opposé à la volonté de la ministre de l’Enseignement supérieur d’enquêter sur l’islamogauchisme ». Pour la République des Pyrénées (https://www.larepubliquedespyrenees.fr/2021/03/08/islamo-gauchisme-l-illustration-grenobloise,2796550.php), l’enseignant a fait l’objet de « harcèlement interne ». Sur le plateau de LCI (https://www.lci.fr/societe/video-le-parti-pris-de-caroline-fourest-grenoble-aux-origines-de-l-intolerance-2), un journaliste influent se demande « comment une telle volonté de faire taire est possible » et une journaliste de L’Opinion, visant les collègues du professeur, se scandalise de « ce que ces gens foutent à Sciences Po ». Dans Marianne (https://www.marianne.net/agora/les-signatures-de-marianne/iep-de-grenoble-ou-sont-les-fascistes), une journaliste titre sur les « fascistes » de l’IEP de Grenoble.

      Pourtant … Selon les dires du professeur d’allemand lui-même, il avait participé sans retenue aux discussions de préparation de l’atelier. Entre les lignes mêmes de son discours émerge un récit différent dont le murmure reste couvert par le vacarme de la polémique : « chasse à l’homme » (https://www.francebleu.fr/infos/education/le-nom-de-deux-professeurs-accuses-d-islamophobie-placardes-a-l-entree-de) selon ses propres mots, « campagne de haine », « terrorisme intellectuel » (https://www.lefigaro.fr/flash-actu/sciences-po-grenoble-pecresse-denonce-un-terrorisme-intellectuel-20210307), « chasse aux sorcières », « police de la pensée », « cancel culture », « virus mortifère » … « Affaire sordide démontrant toute la réalité d’un islamo-gauchisme répugnant » tranche Marine Le Pen (https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/laicite-a-l-universite-bientot-une-commission-d-enquete-au-senat-188006). Tout de même, on apprend dans Le Monde (https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/03/08/sciences-po-grenoble-enquete-ouverte-apres-les-accusations-d-islamophobie-co) que le professeur d’allemand avait en réalité gagné la partie puisque l’institution avait fini par retirer le mot « islamophobie » du titre de l’atelier sans que sa collègue ne s’oppose d’aucune manière à cette décision. Et une semaine après le début de l’affaire, le 12 mars, une enquête détaillée de David Perrotin dans Mediapart (https://www.mediapart.fr/journal/france/110321/accusations-d-islamophobie-la-direction-de-sciences-po-grenoble-laisse-le-) en délivrait finalement une toute autre version.

      Dans l’échange initial de mails qui semble avoir tout déclenché, et dont un groupe d’étudiant·es étaient en copie, l’historienne reconnaissait le droit de questionner le terme « islamophobie », mais affirmait – références bibliographiques à l’appui – la validité scientifique du concept. En réponse, le professeur d’allemand se moquait des sciences sociales qu’il qualifiait de « molles », dénonçant la position de sa collègue comme une « imposture » et accusant un champ académique « devenu partisan et militant ». On apprend également deux choses importantes : contrairement à ses affirmations, d’une part le professeur n’a jamais été exclu d’un groupe de travail qu’il a en fait quitté après avoir obtenu gain de cause ; d’autre part il n’a jamais été dénoncé par un communiqué public.

      Les révélations de Mediapart sont troublantes. Les extraits des courriels font clairement apparaître que le professeur d’allemand n’a pas été censuré et que ses propos outrepassaient les limites : saisi, le Défenseur des droits a d’ailleurs estimé qu’il avait bafoué les droits de sa collègue au titre des textes de loi encadrant l’Éducation. Pourtant, plusieurs journalistes avaient affirmé avoir lu ces échanges : par exemple, sur LCI (https://www.lci.fr/societe/video-le-parti-pris-de-caroline-fourest-grenoble-aux-origines-de-l-intolerance-2), l’une avait loué le « répondant » du professeur d’allemand, raillant l’historienne qui, selon elle, « n’avait rien à dire ». Ainsi, alors même qu’ils et elles disposaient de nombreux éléments matériels, des journalistes ont considéré que celui qui avait agressé une collègue et obtenu la suppression du mot « islamophobie » avait été victime de censure. Plus inquiétant encore que cette inversion dans les ternes du jugement, l’article de David Perrotin n’a pas suffi à fixer les faits : deux jours après sa parution, Le Point (https://www.lepoint.fr/debats/klaus-kinzler-a-l-universite-le-gauchisme-culturel-est-une-realite-10-03-202), dans une nième interview du professeur d’allemand, republiait les contrevérités que Mediapart venait de démasquer. Tout se passe donc comme si, le simple usage du mot « islamophobie » autorisait toutes les violences et les accusations en retour : paradoxalement, ceux et celles qui l’interdisent s’estiment à bon droit censuré·es.

      Accusations, dénigrement, menaces sur les réseaux sociaux : les victimes qui ne comptent pas

      Dès leur découverte, les collages nominatifs sont dénoncés par l’ensemble de la classe politique et les deux principaux syndicats étudiants locaux nient être à l’origine du délit. Pourtant, alors que les coupables ne sont pas identifiés, des journalistes (https://www.cnews.fr/france/2021-03-07/grenoble-enquete-ouverte-apres-des-accusations-dislamophobie-sciences-po-10553) et des politiques les accusent. Valérie Pécresse n’hésite pas : dans Le Figaro (https://www.lefigaro.fr/flash-actu/sciences-po-grenoble-pecresse-denonce-un-terrorisme-intellectuel-20210307), elle leur reproche « d’avoir mis une cible dans le dos des enseignants » et estime qu’« il faut que l’université porte plainte contre ces étudiants ». L’ancienne ministre qui naguère, au sujet des affaires liées à Nicolas Sarkozy (https://www.radioclassique.fr/magazine/videos/sarkozy-jai-de-la-peine-a-croire-a-cette-affaire-je-respecte-la-preso), expliquait que la présomption d’innocence l’emportait sur tout autre principe va cette fois beaucoup plus vite en besogne.

      Si « les étudiant·es » sont collectivement dénoncé·es, la presse livre le nom de l’historienne et aussi de la directrice du Pacte. Car le professeur d’allemand cible d’emblée ce laboratoire lui reprochant de l’avoir « harcelé » suite à un « entretien tout à fait anodin entre deux professeurs » puis de l’avoir « jeté en pâture » aux étudiants.

      On sait pourtant, grâce à Mediapart, que non seulement l’entretien n’était pas « anodin », mais agressif, mais plus encore que le laboratoire Pacte n’a rien diffusé : sans citer le nom du professeur, il s’est contenté d’adresser aux personnes concernées un communiqué de soutien à l’enseignante-chercheuse. Et c’est en fait le professeur lui-même qui a publié sur son blog les échanges de mails et le communiqué de Pacte, non sans l’avoir falsifié en créant un biais cognitif pour s’ériger en victime.

      Pourtant, le 9 mars, sur Cnews, un chroniqueur n’hésite pas à qualifier la directrice du Pacte, de « militante ». Or, cette professeure des universités, membre honoraire de l’Institut universitaire de France, docteure, agrégée et ancienne élève de l’ENS Fontenay n’a pas seulement réussi des concours parmi les plus difficiles de la République, mais est aussi une géographe dont les travaux sont reconnus internationalement. Sur les réseaux sociaux, son nom et sa photographie circulent. Entre deux messages antisémites, des personnes se présentant comme « patriotes », proches de « Générations identitaires » ou de « Marine » l’accusent d’avoir lancé une « fatwa » contre deux professeurs, l’insultent, l’intimident et vont jusqu’à la menacer de mort. Aucun·e des journalistes, chroniqueur·euse, éditorialiste, animateur·rice ne regrettera d’avoir jeté son nom en pâture, comme si la violence de l’extrême droite ne comptait pas.

      L’indifférence des médias à l’intégrité morale et physique d’universitaires accusés d’ « islamogauchisme » s’était déjà manifestée lorsqu’en octobre, sur les réseaux sociaux, le sociologue Éric Fassin avait été menacé de « décapitation » par un néonazi. Au moment même de l’affaire de l’IEP de Grenoble, un homme proche de l’extrême droite diffusait, sur ces mêmes réseaux sociaux, un lien vers son blog où il publiait une liste d’universitaires ciblant les « 600 gauchistes complices de l’Islam radicale [sic] qui pourrissent l’université et la France ». Aucun journaliste ne s’en est ému et deux journaux, classés à gauche, ont refusé la tribune de ces universitaires qui s’alarmaient d’être ainsi lâchés à la haine publique.

      Tout aussi grave, le silence institutionnel assourdissant. L’IEP de Grenoble soutient certes les deux collègues de Pacte mises en cause, en leur assurant la protection fonctionnelle, mais n’a pas pris publiquement leur défense. Un mois après les faits, la mission pourtant « flash » de l’inspection générale du MRSEI a peut-être rendu ses conclusions, mais rien n’en a filtré. Le ministère a laissé attaquer un laboratoire que ses propres instances d’évaluation ont pourtant considéré comme « produisant une recherche de qualité exceptionnelle » (https://www.hceres.fr/sites/default/files/media/downloads/a2021-ev-0380134p-der-pur210020925-032594-rf.pdf) sans juger utile de se manifester dans les médias. Il a laissé prendre à partie, sans aucune forme de contre-communication, sa directrice dont le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) louait pourtant le « pilotage fondé sur la transparence et la confiance » (https://www.hceres.fr/sites/default/files/media/downloads/a2021-ev-0380134p-der-pur210020925-032594-rf.pdf).

      Quand l’opinion censure le travail scientifique

      L’affaire de l’IEP de Grenoble éclaire la #double_censure qui, selon de nombreux médias, menace aujourd’hui l’université. Pour ces journalistes, le simple fait qu’un atelier soit intitulé « Racisme, islamophobie, antisémitisme » censurerait les adversaires de l’islamophobie. De plus, lorsque l’historienne maintient que l’islamophobie est un concept reconnu dans le champ académique, elle censurerait le professeur d’allemand intuitu personae. Ainsi, lorsque sur France infos (https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/je-pense-a-ce-qui-est-arrive-a-samuel-paty-le-nom-de-deux-professeurs-a) celui-ci affirme que « la liberté d’expression n’existe plus à Sciences Po » parce que « débattre de l’Islam (y) est devenu impossible », ses propos expriment la conviction déjà consolidée de bien des journalistes.

      Ceux et celles-là analysent l’échange de mails comme un débat d’opinion où toutes les opinions ne se vaudraient pas, et en même temps, comme une controverse scientifique tronquée puisque l’une des parties « se drape(rait) dans les atours de la science » pour porter des idées militantes. Confondant tout, ils et elles défendent la liberté de quiconque de contester des recherches dont la scientificité ne résisterait pas à la simple opinion du professeur d’allemand.

      Sur BFM (https://www.dailymotion.com/video/x7zt61o

      ), une essayiste affirme que « l’islamophobie est une idéologie pure ». Pour elle, c’est « l’opinion qui prévaut dans les sciences sociales. Ils sont en train de dire l’islamophobie ça existe parce que ce labo nous l’a dit ». Certes, le professeur d’allemand exprime également son opinion, mais elle aurait plus de valeur que celle du « laboratoire » parce qu’elle est « divergente ». La polémiste-essayiste conclut en remerciant « Frédérique Vidal qui bien fait de mettre les pieds dans le plat : les sciences sociales fabriquent de la censure ».

      Pour une journaliste de Marianne (https://www.marianne.net/agora/les-signatures-de-marianne/iep-de-grenoble-ou-sont-les-fascistes), il s’agit d’une controverse scientifique entre pair·es : en écho à l’argument du professeur d’allemand sur BFM, selon lequel « si critiquer les résultats d’une collègue est un harcèlement, c’est la fin de la science », elle interroge : « comment une enseignante peut-elle se plaindre officiellement de harcèlement parce qu’un de ses collègues, dans des courriels longs et argumentés (…) récuse une part de (ses) travaux ? ».

      Or, la discussion entre les deux collègues est très éloignée de la fameuse disputatio universitaire, car les deux collègues n’y sont pas exactement à égalité : l’historienne des sociétés colonisées du Maghreb parle depuis son champ de recherche, tandis que le professeur d’allemand polémique avec fureur. L’argumentation du professeur d’allemand entrelace ses goûts, ses dégoûts, ses opinions, l’invective ainsi qu’une série de banalités qui infusent aujourd’hui le débat et dont on oublie qu’elles sont nées à l’extrême droite : il a peu de sympathie pour l’Islam, préfère le Christ qui pardonne à la femme adultère, rappelle que les musulmans ont été de « grands esclavagistes », que beaucoup d’entre eux sont des « antisémites virulents », s’étonne de ne pas les voir par millions dans la rue se désolidariser des terroristes et tient à affirmer que le racisme vise aussi les blancs. Lorsqu’il argue que les trois concepts du titre ne devraient pas être alignés, sa collègue historienne répond qu’« utiliser un concept ne dispense pas d’en questionner la pertinence ». Le titre aurait pu être interrogé lors de l’atelier et la juxtaposition de termes peut valoir autant alignement que désalignement, engager à confronter les unes aux autres des notions qui apparemment se font écho : tout est affaire de problématisation. Certes, la « Semaine pour l’égalité et contre les discriminations » est une activité extracurriculaire proposée par Science Po Grenoble : ce n’est ni un cours ni un colloque scientifique. Cela ne veut pas dire que les professeurs volontaires pour y participer le fassent hors de leur cadre professionnel : ils interviennent là dans leur environnement de travail et doivent se conformer aux règles qui le régissent, notamment celles de « bienveillance », « objectivité » et « laïcité », trois piliers du Code de l’Éducation.

      La polémique telle que les médias la fabrique retourne donc tous les principes de la #déontologie professionnelle et de l’#éthique scientifique : l’agressivité, l’absence de collégialité, l’opinion partisane et le mépris des savoirs deviennent, par exemple sur LCI, « l’esprit critique et la raison » (https://www.lci.fr/societe/video-le-parti-pris-de-caroline-fourest-grenoble-aux-origines-de-l-intolerance-2).

      Limiter la liberté académique au nom de la liberté

      Écrits à l’automne, les mails du professeur d’allemand annoncent les propos de Frédérique Vidal cet hiver. Le premier dénonçait « les conclusions strictement hallucinantes » des « ”gender studies”, ”race studies” et autres ”études postcoloniales” (liste loin d’être exhaustive !) ». Sur Cnews et à l’Assemblée nationale, la seconde cible en février les mêmes champs d’études auxquels elle ajoute les études décoloniales et l’intersectionnalité. Et l’un comme l’autre fourrent ces différents champs d’études dans le grand sac de l’ « islamogauchisme ».

      En pleine polémique, dans un éditorial de La République des Pyrénées (https://www.larepubliquedespyrenees.fr/2021/03/08/islamo-gauchisme-l-illustration-grenobloise,2796550.php), un écrivain et journaliste note que « si ce qui s’est passé à Grenoble n’est pas la manifestation de l’islamogauchisme, cela y ressemble beaucoup ». En cohérence avec l’imaginaire de la pandémie, il fustige le « virus mortifère (…) qui se propage (…) à l’université où des minorités agissantes mènent des campagnes contre des enseignants qui ne s’inscrivent pas dans leur doxa racialiste, décoloniale, intersectionnelle et autres ».

      Sur BFM (https://atlantico.fr/article/video/le-debat-sur-l-islamo-gauchisme-est-il-possible-iep-grenoble-islamophobie-), un journaliste d’Atlantico, invité régulier de France Info, prétend que cela le « fait rire » quand il entend que « l’islamogauchisme n’existe pas (…) La complaisance d’une certaine gauche avec les arguments de l’Islam politique, ça a été étudié dans le monde entier ». Et de poursuivre, comme si le lien logique s’imposait : « c’est la même chose avec les études de genre (…) Ce qui est très grave dans une démocratie, c’est la prétention scientifique des études de genre. C’est complètement contraire à la liberté académique et c’est contraire à la liberté d’expression et cela ne correspond pas à ce que l’on peut attendre dans une démocratie ».

      Principe fondamental reconnu par les lois de la République et consacré par la décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier 1984, la liberté académique est celle que le droit garantit aux universitaires de mener les recherches et les enseignements qu’ils et elles veulent, sans subir de pressions économiques ou politiques. Ce jour-là sur BFM, avec brutalité et sans limites, un journaliste a déclaré que des pans entiers des sciences sociales –auxquels lui-même ne connaît rien– mettent en péril la démocratie : en quelque sorte, l’usage de la liberté académique dans le champ des études de genre menace la liberté académique ; la seule solution semble alors bien de supprimer la liberté académique … pour les chercheur·es en études de genre.

      Pour certain·es journalistes, les sciences sociales usurpent donc le nom de science dès lors qu’elles troublent le sens commun : les savoirs critiques sont dangereux pour la société. Il reste un point, vérifiable, sur lequel on ne saurait leur donner raison : loin d’avoir été étudié dans « le monde entier », l’islamogauchisme semble être une obsession française. Pour objectiver sa fragilité empirique, on pourra, par exemple, consulter dans la revue Mouvements (https://mouvements.info/trois-mythes-sur-l-islamo-gauchisme-et-laltermondialisme) un récent article de Timothy Peace. La bibliothèque numérique Jstor qui archive douze millions d’articles de revues scientifiques de 160 pays dans 75 disciplines, signale trois références pour « islamo-gauchisme » et 17 pour « #islamo-leftism » ; seules quatre se réapproprient la notion tandis que les autres la déconstruisent. À titre de comparaison, le mot-clé « islamophobia » propose 5388 références : pas de doute, la « notion fourre-tout inventée de toute pièce » (https://www.europe1.fr/societe/grenoble-un-professeur-accuse-dislamophobie-regrette-le-manque-de-soutien-de) que le professeur d’allemand a dénoncée lors de sa semaine de célébrité médiatique nomme un champ de recherche. Comme tous les autres, il est traversé par la construction de controverses : celles-ci se déploient selon des méthodologies éprouvées et dont les chercheur.es doivent pouvoir rendre compte. L’opinion libre peut bien sûr questionner ces résultats à tout moment, mais ne peut les nier sans se soumettre à son tour à la rigueur qui fait la science. Le nier c’est sombrer dans un monde de post-vérité que d’aucuns appellent de leurs vœux du fait de son potentiel électoral. Le débat ouvert autour des sciences humaines et sociales doit en effet interpeler les mondes scientifiques dans toute leur diversité, c’est la seule échelle possible de riposte à la violence de l’offensive idéologique en cours.

      https://blogs.mediapart.fr/edition/fac-checking/article/140421/sciences-po-grenoble-un-repaire-d-islamogauchistes

    • Sciences Po Grenoble : « Un crash-test du débat public pour 2022 »

      En mars, la mise en cause de deux profs avait suscité un large emballement médiatique et politique. En première ligne dans cette affaire, ciblée et harcelée, la chercheuse Anne-Laure Amilhat-Szary contre-attaque. Elle s’exprime pour la première fois dans « À l’air libre ».

      https://www.youtube.com/watch?v=3S91o5G6wvk

    • #CNews, première chaîne d’#intox de France… avec le soutien de l’Élysée

      Une autre affaire montre que ce goût pour la #délation peut avoir de graves conséquences sur les personnes désignées à la furie de la fachosphère.. Jeudi soir, l’émission À l’air libre, réalisée par Mediapart, reçoit #Anne-Laure_Amilhat_Szary, directrice à Grenoble du laboratoire Pacte du CNRS. Je conseille vivement de regarder son témoignage (en accès libre) pour prendre la mesure de la gravité des agissements de M. Pascal Praud. Ce dernier a mis en cause l’universitaire lors de l’affichage des noms de deux professeurs de Sciences Po Grenoble accusés d’islamophobie. Affichage que l’intéressée a toujours vigoureusement condamné. Affichage consécutif à une controverse entre un prof militant et une chercheuse de son laboratoire qu’Anne-Laure Amilhat-Szary a défendue dans un communiqué ensuite falsifié par #Klaus_Kinzler, le prof en question.

      Pascal Praud s’est empressé d’inviter ce professeur, qui déclare alors : « Un grand chercheur directeur de laboratoire de recherche se met en dehors de la science. Il ne comprend même pas, c’est une femme d’ailleurs, elle ne comprend même pas ce que c’est, la science. — Ce laboratoire, Pacte, avec cette dame…, rebondit Pascal Praud. Je vais citer son nom, Anne-Laure Amilhat-Sza… Szaa… Szary. » La délation est un métier. « Cette dame-là, c’est la directrice du laboratoire mais cette dame, c’est une militante. — C’est une militante. C’est des gens qui ne réfléchissent même pas. — Oui mais qui se croient tout permis et qui avancent avec le sentiment d’impunité. C’est très révélateur, on voit le #terrorisme_intellectuel qui existe dans l’université à travers leur exemple. »

      https://www.telerama.fr/sites/tr_master/files/styles/simplecrop1000/public/assets/images/capture_decran_2021-05-07_a_14.02.17.png?itok=DB-qutXJ

      Sur le plateau de Mediapart, Anne-Laure Amilhat-Szary raconte la suite. « La ministre de l’Enseignement supérieur dit que c’est insensé de livrer des noms d’enseignants-chercheurs à la vindicte des réseaux sociaux, or ça a été mon cas. J’ai fait l’objet d’une campagne diffamatoire avec menaces de mort nombreuses et répétées. » Au point de devoir porter plainte pour « #cyber-harcèlement et menaces de mort ». « Comment vous avez vécu tout ça ?, demande Mathieu Magnaudeix. — Mal. Et comme la preuve que l’intersectionnalité est une bonne grille d’analyse puisque j’ai fait l’objet d’insultes islamophobes, antisémites, sexistes, avec une critique de mon physique avec mon portrait transformé… Je vous laisse imaginer le pire. » Le pire sciemment provoqué par Pascal Praud.

      https://www.telerama.fr/sites/tr_master/files/styles/simplecrop1000/public/assets/images/capture_decran_2021-05-07_a_13.42.37_0.png?itok=No7NkS6H

      « Je n’ai pas de protection judiciaire, regrette Anne-Laure Amilhat-Szary. Elle a été demandée et on n’en a plus jamais entendu parler. La ministre a défendu des personnes qui ont effectivement été mises en danger par des affichages criminels et moi, je me débrouille toute seule. » Comme se débrouillent toutes seules les journalistes #Morgan_Large et #Nadiya_Lazzouni, respectivement victimes d’#intimidations (dont un sabotage de voiture) et de menaces de mort, sans qu’elles obtiennent la #protection_policière demandée — et soutenues par de nombreuses organisations de journalistes.

      https://seenthis.net/messages/915846

    • Retour à Sciences Po Grenoble, où l’ambiance reste très dégradée trois mois après l’affaire des affiches dénonçant des professeurs

      Au cœur de vives polémiques à Grenoble et à Paris au mois de mars 2021, l’Unef a retrouvé une relative sérénité. L’affaire des réunions non mixtes a poussé le Sénat à adopter un amendement qui ne s’appliquera probablement pas au syndicat.

      « Des fascistes dans nos amphis », « L’islamophobie tue ». Le 4 mars 2021, la branche de l’Unef Grenoble relaie sur son compte Twitter des collages situés sur la façade de Sciences Po, avec le nom de deux professeurs, accusés d’islamophobie. Le syndicat retire son tweet mais la polémique prend une ampleur nationale. Quelques jours plus tard, le syndicat étudiant au niveau national est accusé de discriminations à la suite de la mise en place de réunions non-mixtes. La cellule investigation de Radio France a voulu savoir, deux mois après, ce qu’il reste de ces évènements.
      Des accusations d’islamophobie

      À Grenoble, la situation est encore tendue, et l’incompréhension demeure. Fin novembre 2020, dans le cadre de la préparation de l’édition 2021 de la Semaine de l’égalité, deux professeurs de Sciences Po Grenoble (IEPG, Institut d’études politiques de Grenoble) s’opposent à une enseignante-chercheuse membre du laboratoire de sciences sociales Pacte à propos des termes d’une table ronde intitulée « Racisme, antisémitisme et islamophobie ». Les deux professeurs, dont fait partie Klaus Kinzler, qui enseigne l’allemand au sein de l’IEPG, demandent à ce que soit retiré le mot islamophobie, considérant que ce terme ne vise pas des personnes en raison de leur race ou de leur origine, mais juste une religion.

      Le débat s’enflamme. La querelle est mise sur la place publique. Les deux professeurs deviennent des cibles sur les réseaux sociaux. « Le 22 février 2021, des étudiants de l’Union syndicale Sciences Po Grenoble [une scission de l’Unef], le syndicat majoritaire à l’IEPG, lancent sur Facebook un appel à témoignages sur d’éventuels propos problématiques qui auraient pu être tenus dans un cours qui s’appelle ’Islam et musulmans en France’, raconte Simon Persico, professeur à Sciences Po Grenoble. Cet appel à témoignages contient des accusations, même si le nom de l’enseignant n’apparaît pas. »

      Appel à témoignage lancé sur Facebook par l’Union syndicale Sciences Po Grenoble.

      Sous la pression, l’enseignante retire l’islamophobie de l’intitulé du débat. La rupture est consommée entre le laboratoire Pacte et les deux opposants. Le climat se dégrade. L’enseignante se voit prescrire un arrêt maladie, et les deux professeurs opposés au débat se disent harcelés. « Il y a eu deux étapes, explique Klaus Kinzler. L’une vient de collègues, des chercheurs qui m’accusent en public de harcèlement. Il y a ensuite une deuxième tentative par des étudiants extrémistes, qui disent que je suis un extrémiste de droite et islamophobe. »
      "Bonjour à nos ayatollahs en germe"

      Fin février, Klaus Kinzler, qui se voit reprocher d’avoir bu une bière devant son écran lors d’un conseil de vie étudiante, écrit un mail « humoristique » aux étudiants syndiqués qui commence par « Bonjour tout le monde ! Bonjour surtout à nos petit.e.s Ayatollahs en germe » (sic). Un mail qu’il conclut en signant par : « Un enseignant ’en lutte’, nazi de par ses gènes, islamophobe multirécidiviste (…) recherché intensément par la branche islamo-gauchiste d’Interpol Grenoble. » Des propos qui ne vont pas apaiser les choses.

      « J’étais extrêmement déprimé, se justifie aujourd’hui le professeur, les premiers étudiants commençaient à me dire en cours : ’Pourquoi vous n’aimez pas les musulmans ?’ Je sentais que je ne pouvais plus enseigner dans ces conditions, je me suis mis en congé maladie. »

      Cinq jours plus tard, le 4 mars, ces collages avec les noms de deux professeurs apparaissent sur la façade de Sciences Po Grenoble. Ils sont tweetés par une responsable de l’Unef Grenoble dans la foulée. « La condamnation de ces affiches a été extrêmement rapide et ferme par la direction et toutes les instances de Sciences Po, puis par tous les collègues, se souvient Simon Persico. L’Unef Grenoble va alors très vite faire marche arrière. »

      Les instances parisiennes de l’Unef interviennent en effet pour faire retirer le tweet. « Ça ne correspondait pas du tout à notre mode d’action, confirme Mélanie Luce, la présidente de l’Unef. Pour nous, quels que soient les propos tenus, ce n’est pas avec ce qu’on appelle le ’name and shame’ [nommer pour faire honte] qu’on va régler nos problèmes. Les dénonciations publiques ne sont en aucun cas une solution. »
      "Ils resteront des cibles"

      Malgré la suppression du tweet, les noms des deux professeurs se répandent, une enquête est ouverte par le parquet de Grenoble, car l’incident se produit après l’assassinat de Samuel Paty. Beaucoup redoutent les conséquences de cette exposition publique. « Ce collage ne partira jamais d’Internet, redoute Amaury Pelloux-Gervais, étudiant en droit et président de l’Uni Grenoble. Des gens penseront toujours que ces professeurs sont islamophobes. Ils resteront des cibles. »

      Le ministère de l’Intérieur envoie alors des policiers pour surveiller le domicile de cinq personnes, dont celui des professeurs concernés et du leader de l’Union syndicale de Sciences Po. « Très vite, le nom de ce dernier circule, mis en pâture sur les réseaux sociaux, critiqué comme s’il était complice de ces actes-là, se souvient encore l’universitaire Simon Persico. La collègue qui organisait la conférence sur l’islamophobie est, elle aussi, mise sous protection, ainsi que la directrice du laboratoire Pacte. »

      Tous sont devenus des cibles d’anonymes qui se déchaînent sur les réseaux sociaux. Les deux enseignants opposés au débat sur l’islamophobie, classés plutôt à droite, sont visés par une sphère de gauche, tandis qu’Anne-Laure Amilhat-Szary, directrice du labo Pacte auquel appartient l’enseignante qui voulait organiser le débat sur l’islamophobie, se sent, elle, menacée par l’extrême droite : « Je suis mise en cause par des propos diffamatoires qui ont un caractère sexiste. On me dit que je n’ai pas les capacités pour diriger un laboratoire, on s’attaque à mon apparence, on se demande si je suis ’baisable’ ou pas... On s’attache à détruire mon être intime de femme. »

      Une ambiance détestable qui ne date pas d’hier

      Plus de deux mois après ces évènements, les tensions entre certains étudiants et certains professeurs, mais aussi entre les enseignants eux-mêmes, n’est toujours pas retombée. Klaus Kinzler n’a toujours pas réintégré sa classe à Sciences Po. « On m’a déconseillé dans la situation actuelle d’être en contact avec les étudiants, déplore-t-il. L’atmosphère est encore très pourrie à l’IEPG. Des mails circulent où on nous reproche tous les maux. On est persona non grata, comme des pestiférés. »

      Un rapport du ministère de l’Enseignement supérieur indique que « le collage du 4 mars est l’aboutissement d’une crise qui naît d’une controverse entre deux enseignants, et tourne au règlement de comptes orchestré par une organisation étudiante ». Mais cette crise ne date pas d’hier. Selon Amaury Pelloux-Gervais, de l’Uni, « une capture d’écran de 2017 montrait déjà que sur un groupe Facebook d’étudiants de Sciences Po, un message de l’Unef Grenoble, aujourd’hui l’Union syndicale, demandait des témoignages d’islamophobie, de sexisme, de racisme de la part des mêmes professeurs ».
      « Ils ont fait de la surenchère »

      Outre leurs divergences politiques et idéologiques sur l’islam, il y aurait aussi une fracture générationnelle entre enseignants, selon Klaus Kinzler, qui estime que les jeunes professeurs seraient plus radicaux qu’avant : « On a assisté à un changement générationnel. Des professeurs de la vieille école, non politisés, érudits, d’une très grande culture et très respectés, ont cédé leur place à une nouvelle génération de jeunes maîtres de conférences et professeurs dans les 35 ans, qui sont extrêmement militants et politisés. »

      Les professeurs de sciences sociales, notamment ceux du laboratoire Pacte, réfutent cette analyse. Eux ont le sentiment que leurs deux collègues ont fait de la surenchère. « La campagne médiatique dans laquelle ils se sont engagés nous a blessés, regrette Simon Persico, également membre de Pacte. Cela a contribué à rendre public des noms de collègues, qui se sont fait menacer, insulter. Et cela a dressé un tableau de Sciences Po Grenoble très caricatural, comme si on était un lieu dans lequel on ne pouvait pas avoir de discussion sereine, dans lequel la liberté d’expression était bafouée alors que ce n’est pas du tout le cas. On est habitués au débat pluraliste, respectueux des opinions diverses. » Simon Persico leur reproche aussi de remettre en cause l’intérêt des sciences sociales. « En disant qu’elles ne servaient à rien, voire qu’elles n’étaient pas des sciences, cela nous a beaucoup blessés puisque c’est le cœur de notre métier, notre conviction profonde. »

      Le 4 mai 2021, le procureur de Grenoble a ouvert une enquête pour « injure, diffamation, harcèlement et cyberharcèlement ». Elle cible surtout les étudiants qui ont placardé les affiches. Le rapport de l’inspection générale de l’éducation, quant à lui, met en cause le comportement de l’Union syndicale Sciences Po Grenoble. Mais il pointe aussi des erreurs et des manquements de tous les acteurs de cette affaire, qui ont créé un climat de tension.
      Autre polémique : les réunions non-mixtes

      L’Unef a par ailleurs été dans le viseur de nombreuses personnalités politiques, pour avoir organisé des réunions non-mixtes. Le 19 mars 2021, le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer réagit sur RMC : « C’est profondément scandaleux, des gens qui se prétendent progressistes et qui distinguent les gens en fonction de la couleur de leur peau, nous mènent vers des choses qui ressemblent au fascisme. »

      L’idée de mettre en place des réunions non-mixtes n’est pas récente. En 2013, l’Unef constate que la culture dominante en son sein est très machiste. Le syndicat décide de lancer des groupes de parole réservés aux femmes. « Elles voulaient se réunir pour parler des violences qu’elles ont pu subir, et ne pas se retrouver face à quelqu’un qui aurait pu commettre ces violences, explique Mélanie Luce, l’actuelle présidente de l’Unef. Le sexisme intériorisé fait qu’une femme a beaucoup plus de difficulté à prendre la parole dans un cadre collectif qu’un homme. »

      « C’est le principe de fonctionnement des Alcooliques Anonymes, abonde Anne-Laure Amilhat-Szary, directrice du laboratoire Pacte à Grenoble. Des gens osent parler de leurs défauts, de leurs problèmes, parce qu’ils sont entre eux et qu’ils sentent que la règle est la bienveillance. Des réunions non-mixtes, il y en a à tous les étages. Les francs-maçons en sont un exemple privilégié, à l’autre extrémité du champ social. »
      Abolir la culture du sexisme

      Au sein de l’Unef, ces réunions appelée non-mixtes, mais dont la participation est libre, ont lieu une à deux fois par an. Elles réunissent des membres du bureau national et des militants des sections locales. « On ne cite pas de nom, tout est anonyme. L’objectif n’est pas la délation, assure Mélanie Luce. Il est d’identifier les problématiques globales qui émergent. Ensuite, un compte rendu est fait, dans un cadre mixte. »

      À la suite de ces réunions, le bureau national de l’Unef a lancé des procédures d’exclusion contre des cadres du syndicat. Depuis 2018, il a ainsi exclu quatre personnes, et quatre autres ont démissionné d’eux-mêmes. Le syndicat fait aussi remonter des signalements aux autorités universitaires. C’est notamment le cas à Paris-Dauphine, où un premier dossier est instruit par l’administration.
      Prise en compte de toutes les discriminations

      Le modèle de ces réunions non-mixtes contre le sexisme, a ensuite été reproduit pour les personnes LGBT+, puis aux personnes racisées, c’est-à-dire qui subissent des discriminations liées à leur apparence, leur accent, leur nom ou encore leur origine. « Les femmes ont ouvert le champ », affirme Tidian Bah, étudiante d’origine guinéenne, en première année à Sciences Po.

      Farah, qui a participé en avril 2021 à une réunion de ce type, raconte : « C’est la première fois que j’ai parlé concrètement du racisme et du sexisme que je pouvais subir dans la société. On vide son sac, et on vide aussi les émotions que l’on peut vivre au quotidien. »

      Cette récente prise en compte des discriminations raciales dans les préoccupations de l’Unef s’explique notamment par l’augmentation de la diversité au sein des universités et des instances dirigeantes. « Il y a encore dix ou vingt ans, les congrès universitaires étaient extrêmement blancs, alors que l’université été déjà investie par les enfants et les petits enfants issus de l’immigration », analyse Robi Morder, spécialiste des mouvements étudiants. La disparition progressive des associations communautaires liées au pays d’origine a aussi « forcé » les syndicats étudiant à s’approprier ces préoccupations.
      « L’Unef a perdu sa grille d’analyse des rapports sociaux traditionnels »

      Au printemps 2021, la polémique autour des réunions non-mixtes s’est focalisée sur le fait d’exclure les participants en fonction de critères raciaux. L’Unef soutient que personne n’est officiellement exclu. « Tout le monde est au courant de ces réunions. C’est à chacun de savoir où est sa place, se défend Mélanie Luce. Il n’y a pas de vigile à l’entrée pour dire à telle personne de couleur : ’Tu ne vas pas rentrer.’ Par contre, lors du compte rendu, chacun va pouvoir attentivement écouter ce qui va être dit par ces personnes sur ce qu’elles peuvent vivre au quotidien et dans l’organisation. »

      « Personne n’est en capacité d’exclure une quelconque personne à partir du moment où la militante ou le militant vient et décide de venir en réunion », confirme Maha Rejouani, ancienne vice-présidente étudiante pour l’Unef à Paris-Dauphine. Cette approche risque de rendre inopérant l’amendement « Unef » voté récemment par le Sénat, qui interdit d’exclure quiconque en fonction de sa race ou de son origine.

      Pour Theo Florens, un ancien membre du bureau national de l’Unef, ces réunions sont symptomatiques d’une évolution du positionnement politique du syndicat. La lutte contre le sexisme et les discriminations sur les campus a supplanté, selon lui, la grille historique de la « lutte des classes ». « Aujourd’hui, l’Unef trouve bien souvent plus pertinent d’analyser les conflits interpersonnels via le prisme des discriminations, des dominés/dominants, explique-t-il, ce qui n’est pas le prisme des gens qui sont moyennement ou pauvrement dotés en capital et des autres qui le sont. Quand on est pauvre, qu’on soit blanc ou racisé, on a toujours moins de chances de réussir sa vie que quand on est passé par Henri IV ou Sciences Po. » Ce faisant, le syndicat accompagne une tendance qui traverse aujourd’hui d’autres sphères de la société. Y compris des sphères officielles.

      https://www.francetvinfo.fr/societe/religion/religion-laicite/retour-a-sciences-po-grenoble-ou-lambiance-reste-tres-degradee-trois-mo

    • A Sciences Po Grenoble, « Mme D. » contre-attaque après le rapport de l’inspection générale

      Accusée par l’inspection générale d’avoir « dramatisé la polémique » entre deux professeurs, Anne-Laure Amilhat Szary s’étonne de ne bénéficier d’aucun soutien après avoir reçu des menaces de mort.

      L’apaisement est encore loin, à Sciences Po Grenoble, deux mois après la publication du rapport de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (Igésr), commandé par la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal. Après la découverte, le 4 mars, sur les murs de l’Institut d’études politiques (IEP) d’affiches accusant de « fascisme » et d’« islamophobie » deux enseignants – diffusées sur les réseaux sociaux par des étudiants –, les inspecteurs généraux ont conduit une enquête, dont les conclusions, rendues le 8 mai, ont étonné Anne-Laure Amilhat Szary, l’une des protagonistes de l’affaire, appelée « Mme D. » dans le rapport.

      Il faut revenir quelques mois en arrière pour comprendre comment on en est arrivé là. Le 7 décembre 2020, cette professeure de géographie, directrice de Pacte, un laboratoire du CNRS en sciences sociales rattaché à l’IEP et à l’université Grenoble-Alpes, publie un communiqué, tamponné du logo de l’université, pour prendre la défense d’une collègue historienne, membre de Pacte, qui est impliquée dans un violent échange de courriels avec un professeur d’allemand – dont le nom, Klaus Kinzler, sera placardé le 4 mars sur les murs de Sciences Po. En cause : le recours à la notion d’« islamophobie ». Alors que la chercheuse de Pacte justifie l’usage d’un « concept heuristique utilisé dans les sciences sociales », M. Kinzler récuse avec véhémence l’apposition du terme auprès des mots « racisme » et « antisémitisme » dans l’intitulé d’un débat prévu à l’IEP à l’occasion de la Semaine de l’égalité et de la lutte contre les discriminations.

      Dans ce communiqué, la direction du laboratoire de recherche incrimine le professeur d’allemand et estime que « nier, au nom d’une opinion personnelle, la validité des résultats scientifiques d’une collègue et de tout le champ auquel elle appartient, constitue une forme de harcèlement et une atteinte morale violente ».

      « Terrorisme intellectuel »

      L’inspection générale reproche à « Mme D. » d’avoir « dramatisé la polémique en se plaçant sur le terrain d’une mise en cause de la recherche en sciences sociales » et d’avoir mis « l’ensemble des enseignants de l’IEP en situation de devoir choisir leur camp ». Elle préconise à son encontre une convocation disciplinaire à un entretien avec ses supérieurs (le président de l’université et le président du CNRS), en présence de la directrice de l’IEP, « pour lui rappeler solennellement le rôle qui est le sien en qualité de directrice de laboratoire, lequel ne l’autorise ni à signer un communiqué par délégation du président de l’université ni à s’immiscer dans la gestion des ressources humaines de l’IEP ». En guise de sanction, une « notification écrite à l’intéressée des fautes qu’elle a commises dans cette lamentable affaire sera versée à son dossier administratif », tacle le rapport.

      Les inspecteurs ajoutent que ce « communiqué » de Pacte « a donné une dimension inespérée » à l’organisation étudiante de l’IEP, l’Union syndicale, en lui permettant « d’utiliser la renommée de ce laboratoire réputé pour développer, à partir du 9 janvier 2021, une campagne d’accusations d’islamophobie sur les réseaux sociaux » à l’encontre de Klaus Kinzler et d’un autre enseignant, Vincent Tournier, chargé d’un cours sur l’islam.

      Sur les réseaux sociaux, Anne-Laure Amilhat Szary fait face à un déferlement de haine lorsque certains médias relatent « l’affaire », voyant dans Sciences Po Grenoble une incarnation de « l’islamo-gauchisme » sur lequel Frédérique Vidal veut lancer une « enquête ». Le paroxysme est atteint sur CNews, le 9 mars, lorsque l’animateur Pascal Praud déclare voir en la chercheuse « le terrorisme intellectuel qui existe dans l’université ».

      A ses côtés en plateau, Klaus Kinzler est venu témoigner de sa vision des faits. A l’évocation d’Anne-Laure Amilhat Szary, il décrit « un grand chercheur directeur de laboratoire de recherche [qui] se met en dehors de la science ». « Il ne comprend même pas, c’est une femme d’ailleurs, elle ne comprend même pas ce que c’est, la science », lâche le professeur d’allemand. Le lendemain de l’émission, la directrice de Pacte demande à bénéficier d’une protection fonctionnelle qui lui sera aussitôt accordée par sa tutelle, le président de l’université Grenoble-Alpes.

      Le 15 avril, elle porte plainte pour « diffamation », « diffamation à caractère sexiste » contre Pascal Praud et Klaus Kinzler, « cyberharcèlement » et « menace de mort », devant le parquet de Paris. « D’aucuns n’ont pas craint de la dénoncer comme ayant été à l’origine de cette affaire. Cela est évidemment faux », affirme dans un communiqué son avocat, Me Raphaël Kempf.

      La mission d’inspection recommande aussi un rappel à leurs obligations de fonctionnaires à la professeure d’histoire et à Klaus Kinzler, tout nouveau manquement de la part de ce dernier engageant des poursuites disciplinaires. « On se retrouve avec des agressés et des agresseurs renvoyés aux mêmes types de sanctions, c’est très problématique », commente aujourd’hui Anne-Laure Amilhat Szary, qui se demande pourquoi « le rapport ne couvre aucun des faits postérieurs au 4 mars, malgré leur gravité ». Elle regrette l’absence de prise de position publique des trois tutelles responsables du laboratoire – l’université, le CNRS et l’IEP. « La ministre a publiquement manifesté son indignation et son soutien quand le nom de mes collègues a été affiché, mais n’a pas réagi quand j’ai été à mon tour dangereusement menacée », constate la chercheuse.
      « Grand silence » du CNRS

      A l’issue d’un « entretien solennel » qui a eu lieu vendredi 18 juin, le président de l’université Grenoble-Alpes, Yassine Lakhnech, n’aurait pas prévu – comme souhaité par l’Igésr – d’inscrire au dossier administratif de Mme Amilhat Szary la notification écrite qui lui a été remise. « Le président de l’université s’est engagé à ne pas verser cette lettre à son dossier administratif », précise un des délégués de la CGT de l’université ayant accompagné la directrice de Pacte. Pour le syndicaliste, le rapport d’inspection est lacunaire en ne faisant pas mention des menaces de mort et insultes qu’a subies Mme Amilhat Szary. « Je suis moi-même témoin de cette parole décomplexée, raciste, y compris dans le milieu de la recherche. Ces propos n’auraient jamais été tenus il y a deux ou trois ans », complète Pierre Giroux, secrétaire régional du syndicat CGT du CNRS. Il regrette que Mme Vidal ait pu « encourager ce mouvement en affichant une volonté autre que celle de l’apaisement ».

      Afin de clore l’affaire, plusieurs dizaines de directeurs de laboratoire ont appelé le président du CNRS à prendre publiquement position, au-delà du soutien individuel qu’il a témoigné au cours des derniers mois à Mme Amilhat Szary. « Nous sommes profondément choqués de l’absence de soutien institutionnel public, quand une directrice est menacée de mort et cible d’attaques racistes et antisémites dans l’exercice de ses fonctions », ont-ils écrit dans un communiqué lu à la tribune, le 22 juin, interpellant Antoine Petit, le président du CNRS, lors d’une réunion de l’Institut des sciences humaines et sociales du CNRS.

      « Ce grand silence est problématique, car l’institution a l’air de renvoyer dos à dos les protagonistes, s’alarme une participante. Résumer la situation à une opposition entre deux points de vue serait très grave. Il s’agit de rappeler qu’une simple opinion ne vaut pas les résultats d’une recherche. Et ça, il faut que le président du CNRS aille le dire sur les plateaux TV ! »

      Signe du caractère extrêmement sensible du sujet, ni Yassine Lakhnech, ni la directrice de l’IEP, Sabine Saurugger, ni Antoine Petit n’ont donné suite à nos sollicitations d’entretien.

      https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/07/02/a-sciences-po-grenoble-mme-d-contre-attaque-apres-le-rapport-de-l-inspection

  • Éducation. #Samuel_Paty : le #rapport qui accuse la victime

    L’#enquête demandée par Jean-Michel Blanquer à l’inspection de l’Éducation nationale ne répond pas aux questions posées. Elle apporte un récit minutieux, mais biaisé, des faits. Le seul à avoir commis des #erreurs serait… Samuel Paty.

    « La #reconstitution du déroulement des #faits tend à montrer que, tant au niveau de l’établissement qu’aux niveaux départemental et académique, les dispositions ont été prises avec réactivité pour gérer le trouble initialement suscité par le cours sur la #liberté_d’expression de Samuel Paty. »

    La phrase figure en toutes lettres dans le rapport de l’#IGESR (Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche) sur les événements ayant abouti à l’#assassinat, le 16 novembre, du professeur d’histoire-géographie, rendu public le 3 décembre. Comme on ne peut pas soupçonner a priori les inspecteurs du ministère de l’Éducation nationale d’un défaut de maîtrise de la langue, il faut prendre soin d’en bien saisir le sens.

    Dédouaner l’institution

    Ce rapport affirme donc qu’il s’agissait, non de protéger un enseignant contre une cabale venue de l’extérieur et qui a abouti à son meurtre, mais de « gérer un #trouble ». Et qu’est-ce qui a « suscité » ce trouble, selon les auteurs ? Non pas les agissements d’un père d’élève qui a publié des vidéos dénonçant le comportement du professeur et appelant à se rassembler devant l’établissement, ni ce que cet appel a entraîné, mais bien… « le #cours sur la liberté d’expression de Samuel Paty. »

    Le texte a beau nier, par ailleurs, que le professeur ait été à aucun moment mis en cause, notamment par l’inspecteur « référent laïcité » qui l’a rencontré le 9 octobre : la formulation choisie trahit l’intention véritable de ce travail. Il s’agit non de faire la lumière sur les #responsabilités et les éventuelles #erreurs des uns et des autres dans cette affaire, mais avant tout de dédouaner l’institution de toute responsabilité éventuelle. Comme l’affirmait Jean-Michel Blanquer, le 21 octobre devant le Sénat : « La logique du “#pas_de_vague” n’est plus la logique de l’#Éducation_nationale. » Vraiment ?

    Fragiliser, plutôt que soutenir

    Le rapport reconstitue de manière assez complète et jour par jour le déroulé des faits, depuis le 5 octobre et ce fameux cours d’#EMC (#éducation_morale_et_civique), jusqu’au terrible soir du 16 octobre. Il en ressort que dès le départ, l’affaire a été prise au sérieux par la hiérarchie directe de l’enseignant (et par la plupart de ses collègues) comme par les autorités académiques, ainsi que par les services du ministère de l’Intérieur – #Renseignement_territoriaux et commissariat de Conflans-Sainte-Honorine. Ainsi lundi 12 octobre – donc dès le lendemain de la publication de la vidéo du père d’élève incriminant Samuel Paty – la conseillère sécurité du #rectorat de Versailles signale les faits au Renseignement territorial, qui alerte le #commissariat de #Conflans, lequel met en place rapidement des patrouilles de police devant le collège…

    Un point particulier sur lequel le rapport ne convainc pas, c’est quand il évoque les « #malentendus » auxquels a pu donner lieu l’action « d’accompagnement du professeur et de l’équipe pédagogique » par le #référent_laïcité. Dans une formulation alambiquée, il explique que ce n’est pas son action, mais son statut d’#IA-PR (Inspecteur d’académie-inspecteur pédagogique régional) qui « a pu le cas échéant donner lieu à des malentendus sur le sens et la portée de sa démarche ». En clair : Samuel Paty a cru qu’on venait évaluer et juger son action, et non l’aider à faire face aux attaques dont il était l’objet. Rappelons à ce sujet que l’hebdomadaire Le Point a publié le 20 novembre un courriel envoyé par cet inspecteur, où il indiquait que Samuel Paty ne maîtrisait pas « les règles de la #laïcité ». Le rapport lui-même ne cache d’ailleurs pas que l’intervention de cet inspecteur a eu surtout pour effet de conduire Samuel Paty à reconnaître « la #maladresse qu’il avait pu commettre », en invitant les élèves qui ne souhaitaient pas voir les caricatures à sortir de son cours. Le genre de formulation qui, en effet, est largement de nature à créer un « malentendu »… et à fragiliser, plutôt que soutenir, Samuel Paty.

    Un aveu d’#impuissance

    Résultat de tous ces biais, le rapport aboutit à des #préconisations bien faibles – voire carrément à côté de la plaque – et qui, clairement, ne paraissent pas à la hauteur de l’enjeu : rassurer les enseignants en garantissant que de tels faits ne pourraient se reproduire. Améliorer la #communication – qui en l’occurrence à plutôt bien fonctionné ! – entre services de l’Éducation nationale et services de #police, mettre en place une « #cellule_opérationnelle_de_veille_et_de_suivi » quand une #menace est identifiée, « renforcer la #sécurisation_matérielle des établissements » (rappel : Samuel Paty a été assassiné à l’extérieur…) ou encore mettre en place des « cellules de veille des #réseaux_sociaux au sein des services académiques »… Tout cela sonne plutôt comme un aveu d’impuissance, si ce n’est d’#indifférence. Et montre surtout que seule une véritable #enquête_judiciaire pourra faire la lumière sur ce qui s’est passé à #Conflans-Sainte-Honorine entre le 5 et le 16 octobre. En attendant cet hypothétique débouché, on ne pourra que reprendre et partager la conclusion pleine d’amertume de François Jarraud, fin connaisseur de l’Éducation nationale, sur son site du Café pédagogique : « Tout a été parfait. Tellement parfait que le 16 octobre Samuel Paty était seul face à son assassin. »

    https://www.humanite.fr/education-samuel-paty-le-rapport-qui-accuse-la-victime-697181

  • France attacks religion secularism radicalism blasphemy
    –-> article retiré:


    https://www.politico.eu/article/france-attacks-religion-secularism-radicalism-blasphemy-islam

    –—

    Copié ici:

    Another string of jihadist attacks has shaken France. The most recent, at a church in Nice, left three people dead, only two weeks after a teacher was beheaded on the outskirts of Paris after he displayed cartoons of the prophet Mohammed in his classroom.

    Why is France targeted, over and over again, by violent extremists? Germany, England, Italy and even Denmark — where cartoons of controversial Mohammed were first published — have not seen comparable violence.

    The reason is simple: France’s extreme form of secularism and its embrace of blasphemy, which has fueled radicalism among a marginalized minority.

    Specifically, the latest round of violence follows the decision earlier this month by the satirical newspaper Charlie Hebdo to mark the beginning of a trial over a murderous attack on its newsroom in 2015 by republishing the blasphemous cartoons of Mohammed that prompted the original assault.

    This duo — radical secularism and religious radicalism — have been engaged in a deadly dance ever since.

    Traditionally, French secularism requires the state to be neutral and calls for respect for religions in the public space, in order to avoid the rise of religious intolerance.

    In modern times, however, it has become something far more extreme. The moderate secularism that prevailed as recently as the 1970s has been replaced with something more like a civil religion.

    It’s a belief system that has its own priests (government ministers), its pontiff (the president of the republic), its acolytes (intellectuals) and its heretics (anyone who calls for a less antagonistic attitude toward Islam is rejected and branded an “Islamo-leftist”).

    One of the defining features of this new secularism is the promotion of religious blasphemy — and, in particular, its extreme expression in the form of caricatures like those of Mohammed.

    This embrace was on full display following the murder of the teacher who showed cartoons of Mohammed in his classes, when many French intellectuals came out in praise of blasphemy and defended the government’s unequivocal defense of the right to free expression.

    They should have considered their words more carefully.

    In Western Europe the right to blaspheme is legally recognized. But it is one thing to protect the freedom to blaspheme and another to enthusiastically exhort blasphemy, as is the case in France.

    Blasphemy is a non-argumentative and sarcastic form of free speech. It should be used, at best, with moderation in a country where between 6 percent and 8 percent of the population is Muslim, most of whose parents or grandparents emigrated from French colonies in North Africa.

    Defenders of blasphemy invoke freedom of expression, but what blasphemy does, in fact, is trap France in a vicious cycle of reactivity to jihadist terror that makes it less free and less autonomous.

    The immoderate use of caricatures in name of the right to blaspheme ultimately undermines public debate: It stigmatizes and humiliates even the most moderate or secular Muslims, many of whom do not understand French secularists’ obsessive focus on Islam, the veil, daily prayers or Islamic teachings.

    The result is a harmful cycle: provocation, counter-provocation, and a society’s descent into hell. As French secularism has become radicalized, the number of jihadist attacks in the country has multiplied.

    French secularists claim to be fighting for freedom of expression. As they do so, innocent people are dying, Muslims around the world are rejecting French values and boycotting the country’s products, and French Muslims are facing restrictions on their freedom of expression in the name of thwarting Islamist propaganda.

    France is paying a heavy price for its fundamentalist secularism, both inside and outside its own borders.

    https://www.1news.info/european-news/france-s-dangerous-religion-of-secularism-798875

    #Farhad_Khosrokhavar #terrorisme #religion #sécularisme #blasphème #extrémisme #France #violence #minorité_marginalisée #radicalisme #radicalisation #Charlie_Hebdo #radicalisme_religieux #sécularisme_radical #religion_civile #islamo-gauchisme #caricatures #liberté_d'expression #débat_public #provocation #contre-provocation #sécularisme_fondamentaliste

    ping @karine4 @cede @isskein

    • « On a oublié le rôle de l’#humiliation dans l’Histoire », par #Olivier_Abel

      Pour le philosophe, « en sacralisant les #caricatures, nous sommes devenus incapables de percevoir ce que les Grecs anciens désignaient par le #tragique ».

      Quel rapport entre les crimes abjects des djihadistes, le danger que représentent à certains égards les « réseaux sociaux » pour la démocratie et la civilité, la question de la liberté d’expression et du blasphème, le durcissement quasi-guerrier de la laïcité, les gilets jaunes, les majorités dangereuses qui ont porté Trump ou Erdogan au pouvoir, et qui poussent à nos portes ? Nous ne comprenons pas ce qui nous arrive, ces colères qui montent en miroir sans plus rien chercher à comprendre, nous ne savons et sentons plus ce que nous faisons. Je voudrais proposer ici une hypothèse.

      Nous avons globalement fait fausse route. Le drame des caricatures n’est que la partie visible d’un énorme problème. Nous nous sommes enfoncés dans le #déni de l’humiliation, de son importance, de sa gravité, de son existence même. Nous sommes sensibles aux #violences, comme aux #inégalités, mais insensibles à l’humiliation qui les empoisonne. Comme l’observait le philosophe israélien Avishaï Margalit, nous n’imaginons même pas ce que serait une société dont les institutions (police, préfectures, administrations, prisons, hôpitaux, écoles, etc.) seraient non-humiliantes. Dans l’état actuel de rétrécissement des ressources planétaires, on aura beaucoup de mal à faire une société plus juste, mais pourquoi déjà ne pas essayer une société moins humiliante ?

      Ni quantifiable, ni mesurable

      Il faut dire que l’humiliation est une notion – et une réalité - compliquée. L’#offense est subjective, et dépend au moins autant de ceux qui la reçoivent que de ceux qui l’émettent. Ce qui humiliera l’un laissera l’autre indifférent, et cela dépend même du moment où ça tombe. L’humiliation n’est pas quantifiable, mesurable, comme le sont les coups et blessures. D’où la tentation de dire que là où il n’y a pas de #dommage ni #préjudice il n’y a pas de #tort. Ce n’est pas une affaire de #droit mais seulement de #sentiment ou de #morale personnelle, donc circulez, il n’y a rien à dire.

      Et pourtant… Si les violences s’attaquent au #corps de l’autre, dans ses capacités et sa #vulnérabilité, l’humiliation fait encore pire : elle s’attaque au visage de l’autre, dans son #estime et son #respect_de_soi : elle le fait blanchir ou rougir, et souvent les deux en même temps.

      Car l’humiliation se présente de deux façons, en apparence contradictoires. Par un côté, elle porte atteinte à l’estime de soi, en faisant #honte à l’individu de son expression, de ce qu’il voudrait montrer et faire valoir, elle le rabroue et l’exclut du cercle de ceux qui sont autorisés à parler. Mais, par un autre côté, elle porte atteinte également au #respect et à la #pudeur, en dévoilant ce qui voulait se cacher, en forçant l’individu à montrer ce qui constitue sa réserve, en le surexposant au #regard_public, en lui interdisant de se retirer.

      L’humiliation s’attaque au sujet parlant. Les humains ne se nourrissent pas de pain et de cirques seulement, mais de #paroles_vives en vis-à-vis : ils n’existent qu’à se reconnaître mutuellement comme des sujets parlants, crédités comme tels, et reconnus dans leur crédibilité. L’humiliation fait taire le sujet parlant, elle lui fait honte de son expression, elle ruine sa confiance en soi.

      Quand le faible est trop faible

      Elle peut également atteindre des formes de vie, des minorités langagières, sexuelles, raciales, religieuses, sociales, etc. Il peut même arriver qu’une majorité endormie dans sa complaisance soit humiliée par une minorité active. Elle devient ce que j’appelais plus haut une majorité « dangereuse », pour elle-même et pour les autres.

      Une #parole_humiliée devient sujette à ces deux maladies du langage que sont la #dévalorisation ou la #survalorisation de soi. Ou, pour le dire autrement : la #dérision ou le #fanatisme. Commençons par la genèse du fanatisme. Simone Weil avait proposé d’expliquer les affaires humaines par cette loi : « on est toujours #barbares avec les faibles ». Il faudrait donc que nul ne soit laissé trop faible et sans aucun #contre-pouvoir, et que le plus fort soit suffisamment « déprotégé » pour rester sensible au faible, bon gagnant si je puis dire, et conscient qu’il ne sera pas toujours le plus fort.

      Mais quand le faible est trop faible pour infliger quelque tort que ce soit au plus fort, le pacte politique posé par Hobbes est rompu. Les faibles n’ont plus rien à perdre, ne sont plus tenus par le souci de la sécurité des biens et des corps, il ne leur reste que l’au-delà et ils basculent dans le #sacrifice_de_soi, dans une parole portée à la folie. Ici la #religion vient juste au dernier moment pour habiller, nommer, justifier cette mutation terrible.

      « C’est à l’humiliation que répond la #barbarie »

      La violence appelle la violence, dans un échange réciproque qui devrait rester à peu près proportionné, même si bien souvent la #violence s’exerce elle-même de manière humiliante, et nous ne savons pas ce que serait une violence vraiment non-humiliante. Avec l’humiliation cependant, le cercle des échanges devient vicieux, les retours sont longuement différés, comme sans rapport, et ils ont quelque chose de démesuré. Ils sont parallèles, mais en négatif, aux circuits de la #reconnaissance dont on sait qu’ils prennent du temps.

      C’est pourquoi les effets de l’humiliation sont si dévastateurs. Ils courent dans le temps, car les humiliés seront humiliants au centuple. Comme le remarquait #Ariane_Bazan, ils peuvent aller jusqu’à détruire méthodiquement toute scène de reconnaissance possible, toute réparation possible : la mère tuera tous ses enfants, comme le fait Médée rejetée par Jason. Lisant Euripide, elle concluait : « c’est à l’humiliation que répond la barbarie ». Les grandes tragédies sont des scènes de la reconnaissance non seulement manquée, mais écrabouillée.

      Pourquoi nos sociétés occidentales sont-elles collectivement aussi insensibles à l’humiliation ? Est-ce la différence avec ce qu’on a appelé les sociétés de honte, le Japon, le monde arabe ? Sans doute est-ce d’abord aujourd’hui parce que nous sommes une société managée par des unités de mesure quantifiable, la monnaie, l’audimat, et par une juridicisation qui ne reconnaît que les torts mesurables, compensables, sinon monnayables.

      Cette évolution a été accélérée par une #morale_libérale, qui est une #morale_minimale, où tout est permis si l’autre est consentant : or on n’a pas besoin du #consentement de l’autre pour afficher sa #liberté, tant que son expression n’est ni violente ni discriminante à l’égard des personnes, et ne porte aucun dommage objectif — les croyances n’existent pas, on peut en faire ce qu’on veut. Le facteur aggravant de l’humiliation, dans une société de réseaux, c’est la diffusion immédiate et sans écrans ralentisseurs des atteintes à la réputation : la #calomnie, la #moquerie, le #harcèlement.

      L’angle mort de notre civilisation

      Mais plus profondément encore, plus anciennement, notre insensibilité à l’humiliation est due à l’entrecroisement, dans nos sociétés, d’une morale stoïcienne de la #modestie, et d’une morale chrétienne de l’#humilité. Celle-ci, en rupture avec les religions de l’imperium, de la victoire, propose en modèle un divin abaissé et humilié dans l’ignominie du supplice de la croix, réservé aux esclaves. Le #stoïcisme est une sagesse dont la stratégie consiste à décomposer l’opinion d’autrui en des énoncés creux dont aucun ne saurait nous atteindre : l’esclave stoïcien n’est pas plus humiliable que l’empereur stoïcien.

      La dialectique hégélienne du maître et de l’esclave est d’ailleurs héritière de ces deux traditions mêlées, quand il fait de l’expérience de l’esclavage une étape nécessaire sur le chemin de la liberté. Cette vertu d’humilité a paradoxalement creusé dans le monde de la chevalerie médiévale, puis dans la société française de cour, et finalement dans le dévouement de l’idéal scientifique, un sillon profond, qui est comme l’angle mort de notre civilisation.

      Et cet angle mort nous a empêchés de voir le rôle de l’humiliation dans l’histoire : c’est l’humiliation du Traité de Versailles qui prépare la venue d’Hitler au pouvoir, celle de la Russie ou de la Turquie qui y maintient Poutine et Erdogan, c’est la manipulation du sentiment d’humiliation qui a propulsé la figure de Trump. Et cette histoire n’est pas finie. Les manipulations machiavéliques des sentiments de peur et les politiques du #ressentiment n’ont jamais atteint, dans tous nos pays simultanément, un tel niveau de dangerosité. Les djihadistes ici jouent sur du velours, car à l’humiliation ancienne de la #colonisation militaire, économique, et culturelle, s’est ajoutée celle des #banlieues et du #chômage, et maintenant les caricatures du prophète, répétées à l’envi.

      #Fanatisme et #dérision

      Car la genèse de la dérision est non moins importante, et concomitante à celle du fanatisme. On a beaucoup entendu parler du #droit_de_blasphémer : curieuse expression, de la part de tous ceux (et j’en suis) qui ne croient pas au #blasphème ! Réclamer le droit de blasphémer, s’acharner à blasphémer, n’est-ce pas encore y croire, y attacher de l’importance ? N’est-ce pas comme les bandes iconoclastes de la Réforme ou de la Révolution qui saccagent les églises, dans une sorte de superstition anti-superstitieuse ?

      Tout le tragique de l’affaire tient justement au fait que ce qui est important pour les uns est négligeable pour les autres. Il faudrait que les uns apprennent à ne pas accorder tant d’importance à de telles #satires, et que les autres apprennent à mesurer l’importance de ce qu’ils font et disent. Ce qui m’inquiète aujourd’hui c’est le sentiment qu’il n’y a plus rien d’important, sauf le droit de dire que rien n’est important.

      Une société où tout est « cool » et « fun » est une société insensible à l’humiliation, immunisée à l’égard de tout scandale, puisqu’il n’y reste rien à transgresser, rien à profaner. Or la fonction du #scandale est vitale pour briser la complaisance d’une société à elle-même. Pire, lorsque l’ironiste adopte un point de vue en surplomb, pointant l’idiotie des autres, il interrompt toute possibilité de #conversation. On peut rire, mais encore faut-il que cela puisse relancer la conversation !

      Sacralisation des caricatures ?

      Le différend tient peut-être aussi au fait que nous ne disposons pas exactement des mêmes genres littéraires. #Salman_Rushdie et #Milan_Kundera observaient que le monde musulman a du mal à comprendre ce que c’est qu’un « roman », comme une forme littéraire typique d’une certaine époque européenne, et qui met en suspens le jugement moral. Nous aussi, nous avons un problème : on dirait parfois que le genre littéraire éminent qui fonde notre culture est la caricature, la dérision, le #comique.

      Ce qui est proprement caricatural, c’est que les caricatures, le #droit_de_rire, soient devenues notre seul sacré. Serions-nous devenus incapables de percevoir ce que les Grecs anciens désignaient par le tragique ? N’avons-nous pas perdu aussi le sens de l’#épopée véritable (celle qui honore les ennemis), et le sens de quoi que ce soit qui nous dépasse nos gentilles libertés bien protégées ?

      Aujourd’hui, aux manipulations de la peur et de la xénophobie par les néonationalistes français, qui sacralisent la #laïcité comme si elle n’était plus le cadre neutre d’une #liberté_d’expression capable de cohabiter paisiblement avec celle des autres, mais la substance même de l’#identité française (une identité aussi moniste et exclusive que jadis l’était le catholicisme pour l’Action française), répond la manipulation cynique du sentiment d’humiliation des musulmans français par les prédicateurs-guerriers du djihadisme, qui n’ont de cesse d’instrumentaliser le ressentiment, dans le monde et en France.

      Liberté d’abjurer et laïcité réelle

      Aux organisations musulmanes françaises, nous dirons : demandez aux pays dominés par l’islam politique d’accorder à leurs minorités les mêmes libertés réelles qui sont celles des musulmans de France, et accordez solennellement à toutes les musulmanes et à tous les musulmans le droit d’abjurer, de se convertir, ou simplement de se marier en dehors de leur communauté.

      Aux néonationalistes, nous dirons : si la laïcité n’est plus que cette identité sacrée, c’est-à-dire le contraire de ce qu’elle a été dans l’histoire réelle (oui, enseignons d’abord l’histoire réelle dans son long cours, ses compromis complexes, et pas les histoires simplistes que nous nous racontons !), le #pacte_laïque sera rompu, et nous ferons sécession, il faudra tout recommencer, ensemble et avec les nouveaux venus.

      Car ce pacte est ce qui, au nom de notre histoire commune, et inachevée, autorise, au sens fort, la #reconnaissance_mutuelle. Il cherche à instituer un théâtre commun d’apparition qui fasse pleinement crédit à la parole des uns et des autres. C’est bien ce qui nous manque le plus aujourd’hui.

      https://www.nouvelobs.com/idees/20201122.OBS36427/on-a-oublie-le-role-de-l-humiliation-dans-l-histoire-par-olivier-abel.htm

  • « Hier ist kein Warum » (Ici il n’y pas de pourquoi) - Les mots sont importants (lmsi.net)
    https://lmsi.net/Hier-ist-kein-Warum-Ici-il-n-y-pas-de-pourquoi

    Un article remarquable, paru dans La Vie le 30 octobre 2020, revient sur la teneur sidérante des échanges qui ont eu lieu, à l’initiative de la Fédération des centres sociaux, entre les lycéennes et lycéens et la secrétaire d’État chargée de la #Jeunesse et de l’Engagement. Sic. Mais de quel « engagement » ? Celui qui fait avancer tête baissée, à l’aveugle, et foncer dans le tas sans jamais se poser la question du pourquoi et du comment dudit engagement ? Si l’idée nous vient, à entendre les diatribes répétées de la représentante politique qualifiant le lycée d’ « espace sacré », de « sanctuaire » ou de « lieu vibrant hors du temps et de l’espace », de suggérer de remplacer l’intitulé « et de l’Engagement » par cet autre « et de la Foi », on s’abstiendra de cette #injustice, tant il existe de croyantes et de croyants qui, à l’opposé de nos clercs « néo-laïcistes », ne cessent d’interroger, de questionner, y compris leur foi et leur rapport à celle-ci. Cet événement dont il existe des extraits accablants nous rappelle les propos tenus en 2015 par la ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche : Najate Vallaud-Belkacem avait énoncé, au sujet des « questionnements » des élèves, qu’ils étaient tout simplement « insupportables ». Nous republions un article de Noëlle Cazenave-Liberman consacré à cet épisode de 2015, afin de revenir aux sources de ce tournant dogmatique, autoritaire et théocratique de la République française. Un tournant de plus en plus gravement, pathétiquement et brutalement anti-jeunes – car il faut prendre la mesure du fossé d’incompréhension, de mépris, et même de haine que creusent actuellement des dirigeants incapables d’affronter la contradiction, l’objection argumentée, ou le refus d’obtempérer quand une ministre a pour seule réponse une injonction à chanter en choeur La Marseillaise... Des dirigeants qui, face à la vanité de leurs effets d’#autorité, en viennent à la menace, diligentent une inspection contre les centres sociaux, coupables de n’avoir pas su museler comme il faut son bétail, et font savoir publiquement que « le sujet de la ministre c’est de savoir comment les débats ont été encadrés pendant quatre jours pour que des jeunes se sentent assez à l’aise pour dire que les lois de la République sont islamophobes devant une ministre ». Parce qu’un pays dont la secrétaire d’État à la jeunesse s’inquiète lorsque ladite jeunesse est « à l’aise » pour s’exprimer, cela quand par ailleurs la liberté d’expression est célébrée partout comme une invention française, une spécialité française, un trésor national, est un pays mal parti, il nous a paru utile de sonner l’alarme, et de republier ce texte salutaire.

    #Liberté_d’expression #DTC

  • Macron sur les caricatures : la France ne « va pas changer » son droit « parce qu’il choque ailleurs »
    https://www.lefigaro.fr/politique/macron-sur-les-caricatures-la-france-ne-va-pas-changer-son-droit-parce-qu-i

    J’aime assez le fait que Macron se mette en scène en défenseur de « la liberté d’expression qui est si formidable en France », la semaine même où l’on va voter une monstrueuse loi attaquant directement cette liberté d’expression, au motif qu’elle choque les syndicats de policiers.

    #Autoritäres_Absurdistan

  • Guerres et terrorisme : sortir du déni
    https://www.nouvelobs.com/idees/20201114.OBS36086/guerres-et-terrorisme-sortir-du-deni.html
    TRIBUNE. Le lien entre les interventions militaires occidentales et certains attentats n’est jamais interrogé, déplore ce texte signé notamment par Virginie Despentes, Adèle Haenel, Annie Ernaux, Jean-François Bayart et Alexis Jenni.

    Par Collectif Publié le 14 novembre 2020 à 12h00

    Il ne fait pas bon avancer quelques arguments posés au pays de la liberté d’expression. Celle-ci est brandie à cor et à cris par ceux-là mêmes qui, dans le même temps, stigmatisent, injurient, intimident et menacent quiconque tenterait d’éclairer sous un jour différent la situation terrible que nous traversons.

    Cette situation, qui a vu se succéder plusieurs assassinats abjects faits pour nous épouvanter, est de fait épouvantable. Mais au-delà de l’épouvante, il ne faudrait rien dire : aux yeux de ces détracteurs, les attentats commis par des terroristes fanatiques ne mériteraient aucune autre explication que cette tautologie : ils sont commis par des terroristes fanatiques. Toute personne proposant des éléments d’analyse et de compréhension est aussitôt vouée aux gémonies sur les réseaux sociaux, par des commentateurs et dans certains journaux qui se repaissent des attentats pour achalander leur boutique raciste et fourbir leurs appels à la guerre comme au choc de civilisations. (...)

    #liberté_d’expression

  • Je suis prof. Seize brèves réflexions contre la terreur et l’obscurantisme, en #hommage à #Samuel_Paty

    Les lignes qui suivent ont été inspirées par la nouvelle atroce de la mise à mort de mon collègue, Samuel Paty, et par la difficile semaine qui s’en est suivie. En hommage à un #enseignant qui croyait en l’#éducation, en la #raison_humaine et en la #liberté_d’expression, elles proposent une quinzaine de réflexions appelant, malgré l’émotion, à penser le présent, et en débattre, avec raison. Ces réflexions ne prétendent évidemment pas incarner la pensée de Samuel Paty, mais elles sont écrites pour lui, au sens où l’effort de pensée, de discernement, de nuances, de raison, a été fait en pensant à lui, et pour lui rendre hommage. Continuer de penser librement, d’exprimer, d’échanger les arguments, me parait le meilleur des hommages.

    1. Il y a d’abord eu, en apprenant la nouvelle, l’#horreur, la #tristesse, la #peur, devant le #crime commis, et des pensées pour les proches de Samuel Paty, ses collègues, ses élèves, toutes les communautés scolaires de France et, au-delà, toute la communauté des humains bouleversés par ce crime. Puis s’y est mêlée une #rage causée par tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, et avant même d’en savoir plus sur les tenants et aboutissants qui avaient mené au pire, se sont empressés de dégainer des kits théoriques tendant à minimiser l’#atrocité du crime ou à dissoudre toute la #responsabilité de l’assassin (ou possiblement des assassins) dans des entités excessivement extensibles (que ce soit « l’#islamisation » ou « l’#islamophobie ») – sans compter ceux qui instrumentalisent l’horreur pour des agendas qu’on connait trop bien : rétablissement de la peine de mort, chasse aux immigré.e.s, chasse aux musulman.e.s.

    2. Il y a ensuite eu une peur, ou des peurs, en voyant repartir tellement vite, et à la puissance dix, une forme de réaction gouvernementale qui a de longue date fait les preuves de son #inefficacité (contre la #violence_terroriste) et de sa #nocivité (pour l’état du vivre-ensemble et des droits humains) : au lieu d’augmenter comme il faut les moyens policiers pour enquêter plus et mieux qu’on ne le fait déjà, pour surveiller, remonter des filières bien ciblées et les démanteler, mais aussi assurer en temps réel la protection des personnes qui la demandent, au moment où elles la demandent, on fait du spectacle avec des boucs émissaires.

    Une sourde appréhension s’est donc mêlée à la peine, face au déferlement d’injures, de menaces et d’attaques islamophobes, anti-immigrés et anti-tchétchènes qui a tout de suite commencé, mais aussi face à l’éventualité d’autres attentats qui pourraient advenir dans le futur, sur la prévention desquels, c’est le moins que je puisse dire, toutes les énergies gouvernementales ne me semblent pas concentrées.

    3. Puis, au fil des lectures, une #gêne s’est installée, concernant ce que, sur les #réseaux_sociaux, je pouvais lire, « dans mon camp » cette fois-ci – c’est-à-dire principalement chez des gens dont je partage plus ou moins une certaine conception du combat antiraciste. Ce qui tout d’abord m’a gêné fut le fait d’énoncer tout de suite des analyses explicatives alors qu’au fond on ne savait à peu près rien sur le détail des faits : quel comportement avait eu précisément Samuel Paty, en montrant quels dessins, quelles interactions avaient eu lieu après-coup avec les élèves, avec les parents, qui avait protesté et en quels termes, sous quelles forme, qui avait envenimé le contentieux et comment s’était produit l’embrasement des réseaux sociaux, et enfin quel était le profil de l’assassin, quel était son vécu russe, tchétchène, français – son vécu dans toutes ses dimensions (familiale, socio-économique, scolaire, médicale), sa sociabilité et ses accointances (ou absences d’accointances) religieuses, politiques, délinquantes, terroristes ?

    J’étais gêné par exemple par le fait que soit souvent validée a priori, dès les premières heures qui suivirent le crime, l’hypothèse que Samuel Paty avait « déconné », alors qu’on n’était même pas certain par exemple que c’était le dessin dégoutant du prophète cul nu (j’y reviendrai) qui avait été montré en classe (puisqu’on lisait aussi que le professeur avait déposé plainte « pour diffamation » suite aux accusations proférées contre lui), et qu’on ne savait rien des conditions et de la manière dont il avait agencé son cours.

    4. Par ailleurs, dans l’hypothèse (qui a fini par se confirmer) que c’était bien ce dessin, effectivement problématique (j’y reviendrai), qui avait servi de déclencheur ou de prétexte pour la campagne contre Samuel Paty, autre chose me gênait. D’abord cet oubli : montrer un #dessin, aussi problématique soit-il, obscène, grossier, de mauvais goût, ou même raciste, peut très bien s’intégrer dans une #démarche_pédagogique, particulièrement en cours d’histoire – après tout, nous montrons bien des #caricatures anti-juives ignobles quand nous étudions la montée de l’antisémitisme, me confiait un collègue historien, et cela ne constitue évidemment pas en soi une pure et simple perpétuation de l’#offense_raciste. Les deux cas sont différents par bien des aspects, mais dans tous les cas tout se joue dans la manière dont les documents sont présentés et ensuite collectivement commentés, analysés, critiqués. Or, sur ladite manière, en l’occurrence, nous sommes restés longtemps sans savoir ce qui exactement s’était passé, et ce que nous avons fini par appendre est que Samuel Paty n’avait pas eu d’intention maligne : il s’agissait vraiment de discuter de la liberté d’expression, autour d’un cas particulièrement litigieux.

    5. En outre, s’il s’est avéré ensuite, dans les récits qui ont pu être reconstitués (notamment dans Libération), que Samuel Paty n’avait fait aucun usage malveillant de ces caricatures, et que les parents d’élèves qui s’étaient au départ inquiétés l’avaient assez rapidement et facilement compris après discussion, s’il s’est avéré aussi qu’au-delà de cet épisode particulier, Samuel Paty était un professeur très impliqué et apprécié, chaleureux, blagueur, il est dommageable que d’emblée, il n’ait pas été martelé ceci, aussi bien par les inconditionnels de l’ « esprit Charlie » que par les personnes légitimement choquées par certaines des caricatures : que même dans le cas contraire, même si le professeur avait « déconné », que ce soit un peu ou beaucoup, que même s’il avait manqué de précautions pédagogiques, que même s’il avait intentionnellement cherché à blesser, bref : que même s’il avait été un « mauvais prof », hautain, fumiste, ou même raciste, rien, absolument rien ne justifiait ce qui a été commis.

    Je me doute bien que, dans la plupart des réactions à chaud, cela allait sans dire, mais je pense que, dans le monde où l’on vit, et où se passent ces horreurs, tout désormais en la matière (je veux dire : en matière de mise à distance de l’hyper-violence) doit être dit, partout, même ce qui va sans dire.

    En d’autres termes, même si l’on juge nécessaire de rappeler, à l’occasion de ce crime et des discussions qu’il relance, qu’il est bon que tout ne soit pas permis en matière de liberté d’expression, cela n’est selon moi tenable que si l’on y adjoint un autre rappel : qu’il est bon aussi que tout ne soit pas permis dans la manière de limiter la liberté d’expression, dans la manière de réagir aux discours offensants, et plus précisément que doit être absolument proscrit le recours à la #violence_physique, a fortiori au #meurtre. Nous sommes malheureusement en un temps, je le répète, où cela ne va plus sans dire.

    6. La remarque qui précède est, me semble-t-il, le grand non-dit qui manque le plus dans tout le débat public tel qu’il se polarise depuis des années entre les « Charlie », inconditionnels de « la liberté d’expression », et les « pas Charlie », soucieux de poser des « #limites » à la « #liberté_d’offenser » : ni la liberté d’expression ni sa nécessaire #limitation ne doivent en fait être posées comme l’impératif catégorique et fondamental. Les deux sont plaidables, mais dans un #espace_de_parole soumis à une autre loi fondamentale, sur laquelle tout le monde pourrait et devrait se mettre d’accord au préalable, et qui est le refus absolu de la violence physique.

    Moyennant quoi, dès lors que cette loi fondamentale est respectée, et expressément rappelée, la liberté d’expression, à laquelle Samuel Paty était si attaché, peut et doit impliquer aussi le droit de dire qu’on juge certaines caricatures de Charlie Hebdo odieuses :

    – celles par exemple qui amalgament le prophète des musulmans (et donc – par une inévitable association d’idées – l’ensemble des fidèles qui le vénèrent) à un terroriste, en le figurant par exemple surarmé, le nez crochu, le regard exorbité, la mine patibulaire, ou coiffé d’un turban en forme de bombe ;

    – celle également qui blesse gratuitement les croyants (et les croyants lambda, tolérants, non-violents, tout autant voire davantage que des « djihadistes » avides de prétextes à faire couler le sang), en représentant leur prophète cul nul, testicules à l’air, une étoile musulmane à la place de l’anus ;

    – celle qui animalise une syndicaliste musulmane voilée en l’affublant d’un faciès de singe ;

    – celle qui annonce « une roumaine » (la joueuse Simona Halep), gagnante de Roland-Garros, et la représente en rom au physique disgracieux, brandissant la coupe et criant « ferraille ! ferraille ! » ;

    – celle qui nous demande d’imaginer « le petit Aylan », enfant de migrants kurdes retrouvé mort en méditerranée, « s’il avait survécu », et nous le montre devenu « tripoteur de fesses en Allemagne » (suite à une série de viols commis à Francfort) ;

    – celle qui représente les esclaves sexuelles de Boko Haram, voilées et enceintes, en train de gueuler après leurs « allocs » ;

    – celle qui fantasme une invasion ou une « islamisation » en forme de « grand remplacement », par exemple en nous montrant un musulman barbu dont la barbe démesurée envahit toute la page de Une, malgré un minuscule Macron luttant « contre le séparatisme », armé de ciseaux, mais ne parvenant qu’à en couper que quelques poils ;

    – celle qui alimente le même fantasme d’invasion en figurant un Macron, déclarant que le port du foulard par des femmes musulmanes « ne le regarde pas » en tant que président, tandis que le reste de la page n’est occupé que par des femmes voilées, avec une légende digne d’un tract d’extrême droite : « La République islamique en marche ».

    Sur chacun de ces dessins, publiés en Une pour la plupart, je pourrais argumenter en détail, pour expliquer en quoi je les juge odieux, et souvent racistes. Bien d’autres exemples pourraient d’ailleurs être évoqués, comme une couverture publiée à l’occasion d’un attentat meurtrier commis à Bruxelles en mars 2016 et revendiqué par Daesh (ayant entraîné la mort de 32 personnes et fait 340 blessés), et figurant de manière pour le moins choquante le chanteur Stromae, orphelin du génocide rwandais, en train de chanter « Papaoutai » tandis que voltigent autour de lui des morceaux de jambes et de bras déchiquetés ou d’oeil exorbité. La liste n’est pas exhaustive, d’autres unes pourraient être évoquées – celles notamment qui nous invitent à rigoler (on est tenté de dire ricaner) sur le sort des femmes violées, des enfants abusés, ou des peuples qui meurent de faim.

    On a le droit de détester cet #humour, on a le droit de considérer que certaines de ces caricatures incitent au #mépris ou à la #haine_raciste ou sexiste, entre autres griefs possibles, et on a le droit de le dire. On a le droit de l’écrire, on a le droit d’aller le dire en justice, et même en manifestation. Mais – cela allait sans dire, l’attentat de janvier 2015 oblige désormais à l’énoncer expressément – quel que soit tout le mal qu’on peut penser de ces dessins, de leur #brutalité, de leur #indélicatesse, de leur méchanceté gratuite envers des gens souvent démunis, de leur #racisme parfois, la #violence_symbolique qu’il exercent est sans commune mesure avec la violence physique extrême que constitue l’#homicide, et elle ne saurait donc lui apporter le moindre commencement de #justification.

    On a en somme le droit de dénoncer avec la plus grande vigueur la violence symbolique des caricatures quand on la juge illégitime et nocive, car elle peut l’être, à condition toutefois de dire désormais ce qui, je le répète, aurait dû continuer d’aller sans dire mais va beaucoup mieux, désormais, en le disant : qu’aucune violence symbolique ne justifie l’hyper-violence physique. Cela vaut pour les pires dessins de Charlie comme pour les pires répliques d’un Zemmour ou d’un Dieudonné, comme pour tout ce qui nous offense – du plutôt #douteux au parfaitement #abject.

    Que reste-t-il en effet de la liberté d’expression si l’on défend le #droit_à_la_caricature mais pas le droit à la #critique des caricatures ? Que devient le #débat_démocratique si toute critique radicale de #Charlie aujourd’hui, et qui sait de de Zemmour demain, de Macron après-demain, est d’office assimilée à une #incitation_à_la_violence, donc à de la complicité de terrorisme, donc proscrite ?

    Mais inversement, que devient cet espace démocratique si la dénonciation de l’intolérable et l’appel à le faire cesser ne sont pas précédés et tempérés par le rappel clair et explicite de l’interdit fondamental du meurtre ?

    7. Autre chose m’a gêné dans certaines analyses : l’interrogation sur les « #vrais_responsables », formulation qui laisse entendre que « derrière » un responsable « apparent » (l’assassin) il y aurait « les vrais responsables », qui seraient d’autres que lui. Or s’il me parait bien sûr nécessaire d’envisager dans toute sa force et toute sa complexité l’impact des #déterminismes_sociaux, il est problématique de dissoudre dans ces déterminismes toute la #responsabilité_individuelle de ce jeune de 18 ans – ce que la sociologie ne fait pas, contrairement à ce que prétendent certains polémistes, mais que certains discours peuvent parfois faire.

    Que chacun s’interroge toujours sur sa possible responsabilité est plutôt une bonne chose à mes yeux, si toutefois on ne pousse pas le zèle jusqu’à un « on est tous coupables » qui dissout toute #culpabilité réelle et arrange les affaires des principaux coupables. Ce qui m’a gêné est l’enchaînement de questions qui, en réponse à la question « qui a tué ? », met comme en concurrence, à égalité, d’une part celui qui a effectivement commis le crime, et d’autre part d’autres personnes ou groupes sociaux (la direction de l’école, la police, le père d’élève ayant lancé la campagne publique contre Samuel Paty sur Youtube, sa fille qui semble l’avoir induit en erreur sur le déroulement de ses cours) qui, quel que soit leur niveau de responsabilité, n’ont en aucun cas « tué » – la distinction peut paraitre simple, voire simpliste, mais me parait, pour ma part, cruciale à maintenir.

    8. Ce qui m’a gêné, aussi, et même écoeuré lorsque l’oubli était assumé, et que « le système » néolibéral et islamophobe devenait « le principal responsable », voire « l’ennemi qu’il nous faut combattre », au singulier, ce fut une absence, dans la liste des personnes ou des groupes sociaux pouvant, au-delà de l’individu #Abdoullakh_Abouyezidovitch, se partager une part de responsabilité. Ce qui me gêna fut l’oubli ou la minoration du rôle de l’entourage plus ou moins immédiat du tueur – qu’il s’agisse d’un groupe terroriste organisé ou d’un groupe plus informel de proches ou de moins proches (via les réseaux sociaux), sans oublier, bien entendu, l’acolyte de l’irresponsable « père en colère » : un certain #Abdelhakim_Sefrioui, entrepreneur de haine pourtant bien connu, démasqué et ostracisé de longue date dans les milieux militants, à commencer par les milieux pro-palestiniens et la militance anti-islamophobie.

    Je connais les travaux sociologiques qui critiquent à juste titre l’approche mainstream, focalisée exclusivement les techniques de propagande des organisations terroristes, et qui déplacent la focale sur l’étude des conditions sociales rendant audible et « efficace » lesdites techniques de #propagande. Mais justement, on ne peut prendre en compte ces conditions sociales sans observer aussi comment elles pèsent d’une façon singulière sur les individus, dont la responsabilité n’est pas évacuée. Et l’on ne peut pas écarter, notamment, la responsabilité des individus ou des groupes d’ « engraineurs », surtout si l’on pose la question en ces termes : « qui a tué ? ».

    9. Le temps du #choc, du #deuil et de l’#amertume « contre mon propre camp » fut cela dit parasité assez vite par un vacarme médiatique assourdissant, charriant son lot d’#infamie dans des proportions autrement plus terrifiantes. #Samuel_Gontier, fidèle « au poste », en a donné un aperçu glaçant :

    – des panels politiques dans lesquels « l’équilibre » invoqué par le présentateur (Pascal Praud) consiste en un trio droite, droite extrême et extrême droite (LREM, Les Républicains, Rassemblement national), et où les différentes familles de la gauche (Verts, PS, PCF, France insoumise, sans même parler de l’extrême gauche) sont tout simplement exclues ;

    – des « débats » où sont mis sérieusement à l’agenda l’interdiction du #voile dans tout l’espace public, l’expulsion de toutes les femmes portant le #foulard, la #déchéance_de_nationalité pour celles qui seraient françaises, la réouverture des « #bagnes » « dans îles Kerguelen », le rétablissement de la #peine_de_mort, et enfin la « #criminalisation » de toutes les idéologies musulmanes conservatrices, « pas seulement le #djihadisme mais aussi l’#islamisme » (un peu comme si, à la suite des attentats des Brigades Rouges, de la Fraction Armée Rouge ou d’Action Directe, on avait voulu criminaliser, donc interdire et dissoudre toute la gauche socialiste, communiste, écologiste ou radicale, sous prétexte qu’elle partageait avec les groupes terroristes « l’opposition au capitalisme ») ;

    – des « plateaux » sur lesquels un #Manuel_Valls peut appeler en toute conscience et en toute tranquillité, sans causer de scandale, à piétiner la Convention Européenne des Droits Humains : « S’il nous faut, dans un moment exceptionnel, s’éloigner du #droit_européen, faire évoluer notre #Constitution, il faut le faire. », « Je l’ai dit en 2015, nous sommes en #guerre. Si nous sommes en guerre, donc il faut agir, frapper. ».

    10. Puis, très vite, il y a eu cette offensive du ministre de l’Intérieur #Gérald_Darmanin contre le #CCIF (#Collectif_Contre_l’Islamophobie_en_France), dénuée de tout fondement du point de vue de la #lutte_anti-terroriste – puisque l’association n’a évidemment pris aucune part dans le crime du 17 octobre 2020, ni même dans la campagne publique (sur Youtube et Twitter) qui y a conduit.

    Cette dénonciation – proprement calomnieuse, donc – s’est autorisée en fait d’une montée en généralité, en abstraction et même en « nébulosité », et d’un grossier sophisme : le meurtre de Samuel Paty est une atteinte aux « #valeurs » et aux « institutions » de « la #République », que justement le CCIF « combat » aussi – moyennant quoi le CCIF a « quelque chose à voir » avec ce crime et il doit donc être dissous, CQFD. L’accusation n’en demeure pas moins fantaisiste autant qu’infamante, puisque le « combat » de l’association, loin de viser les principes et les institutions républicaines en tant que telles, vise tout au contraire leur manque d’effectivité : toute l’activité du CCIF (c’est vérifiable, sur le site de l’association aussi bien que dans les rapports des journalistes, au fil de l’actualité, depuis des années) consiste à combattre la #discrimination en raison de l’appartenance ou de la pratique réelle ou supposée d’une religion, donc à faire appliquer une loi de la république. Le CCIF réalise ce travail par les moyens les plus républicains qui soient, en rappelant l’état du Droit, en proposant des médiations ou en portant devant la #Justice, institution républicaine s’il en est, des cas d’atteinte au principe d’#égalité, principe républicain s’il en est.

    Ce travail fait donc du CCIF une institution précieuse (en tout cas dans une république démocratique) qu’on appelle un « #contre-pouvoir » : en d’autres termes, un ennemi de l’arbitraire d’État et non de la « République ». Son travail d’#alerte contribue même à sauver ladite République, d’elle-même pourrait-on dire, ou plutôt de ses serviteurs défaillants et de ses démons que sont le racisme et la discrimination.

    Il s’est rapidement avéré, du coup, que cette offensive sans rapport réel avec la lutte anti-terroriste s’inscrivait en fait dans un tout autre agenda, dont on avait connu les prémisses dès le début de mandat d’Emmanuel Macron, dans les injures violentes et les tentatives d’interdiction de Jean-Michel #Blanquer contre le syndicat #Sud_éducation_93, ou plus récemment dans l’acharnement haineux du député #Robin_Réda, censé diriger une audition parlementaire antiraciste, contre les associations de soutien aux immigrés, et notamment le #GISTI (Groupe d’Information et de Soutien aux Immigrés). Cet agenda est ni plus ni moins que la mise hors-jeu des « corps intermédiaires » de la société civile, et en premier lieu des #contre-pouvoirs que sont les associations antiracistes et de défense des droits humains, ainsi que les #syndicats, en attendant le tour des partis politiques – confère, déjà, la brutalisation du débat politique, et notamment les attaques tout à fait inouïes, contraires pour le coup à la tradition républicaine, de #Gérald_Darmanin contre les écologistes (#Julien_Bayou, #Sandra_Regol et #Esther_Benbassa) puis contre la #France_insoumise et son supposé « #islamo-gauchisme qui a détruit la république », ces dernières semaines, avant donc le meurtre de Samuel Paty.

    Un agenda dans lequel figure aussi, on vient de l’apprendre, un combat judiciaire contre le site d’information #Mediapart.

    11. Il y a eu ensuite l’annonce de ces « actions coup de poing » contre des associations et des lieux de culte musulmans, dont le ministre de l’Intérieur lui-même a admis qu’elles n’avaient aucun lien avec l’enquête sur le meurtre de Samuel Paty, mais qu’elles servaient avant tout à « #adresser_un_message », afin que « la #sidération change de camp ». L’aveu est terrible : l’heure n’est pas à la défense d’un modèle (démocratique, libéral, fondé sur l’État de Droit et ouvert à la pluralité des opinions) contre un autre (obscurantiste, fascisant, fondé sur la terreur), mais à une #rivalité_mimétique. À la #terreur on répond par la terreur, sans même prétendre, comme le fit naguère un Charles Pasqua, qu’on va « terroriser les terroristes » : ceux que l’on va terroriser ne sont pas les terroristes, on le sait, on le dit, on s’en contrefout et on répond au meurtre par la #bêtise et la #brutalité, à l’#obscurantisme « religieux » par l’obscurantisme « civil », au #chaos de l’#hyper-violence par le chaos de l’#arbitraire d’État.

    12. On cible donc des #mosquées alors même qu’on apprend (notamment dans la remarquable enquête de Jean-Baptiste Naudet, dans L’Obs) que le tueur ne fréquentait aucune mosquée – ce qui était le cas, déjà, de bien d’autres tueurs lors des précédents attentats.

    On s’attaque au « #séparatisme » et au « #repli_communautaire » alors même qu’on apprend (dans la même enquête) que le tueur n’avait aucune attache ou sociabilité dans sa communauté – ce qui là encore a souvent été le cas dans le passé.

    On préconise des cours intensifs de #catéchisme_laïque dans les #écoles, des formations intensives sur la liberté d’expression, avec distribution de « caricatures » dans tous les lycées, alors que le tueur était déscolarisé depuis un moment et n’avait commencé à se « radicaliser » qu’en dehors de l’#école (et là encore se rejoue un schéma déjà connu : il se trouve qu’un des tueurs du Bataclan fut élève dans l’établissement où j’exerce, un élève dont tous les professeurs se souviennent comme d’un élève sans histoires, et dont la famille n’a pu observer des manifestations de « #radicalisation » qu’après son bac et son passage à l’université, une fois qu’il était entré dans la vie professionnelle).

    Et enfin, ultime protection : Gérald Darmanin songe à réorganiser les rayons des #supermarchés ! Il y aurait matière à rire s’il n’y avait pas péril en la demeure. On pourrait s’amuser d’une telle #absurdité, d’une telle incompétence, d’une telle disjonction entre la fin et les moyens, si l’enjeu n’était pas si grave. On pourrait sourire devant les gesticulations martiales d’un ministre qui avoue lui-même tirer « à côté » des véritables coupables et complices, lorsque par exemple il ordonne des opérations contre des #institutions_musulmanes « sans lien avec l’enquête ». On pourrait sourire s’il ne venait pas de se produire une attaque meurtrière atroce, qui advient après plusieurs autres, et s’il n’y avait pas lieu d’être sérieux, raisonnable, concentré sur quelques objectifs bien définis : mieux surveiller, repérer, voir venir, mieux prévenir, mieux intervenir dans l’urgence, mieux protéger. On pourrait se payer le luxe de se disperser et de discuter des #tenues_vestimentaires ou des #rayons_de_supermarché s’il n’y avait pas des vies humaines en jeu – certes pas la vie de nos dirigeants, surprotégés par une garde rapprochée, mais celles, notamment, des professeurs et des élèves.

    13. Cette #futilité, cette #frivolité, cette bêtise serait moins coupable s’il n’y avait pas aussi un gros soubassement de #violence_islamophobe. Cette bêtise serait innocente, elle ne porterait pas à conséquence si les mises en débat du #vêtement ou de l’#alimentation des diverses « communautés religieuses » n’étaient pas surdéterminées, depuis de longues années, par de très lourds et violents #stéréotypes racistes. On pourrait causer lingerie et régime alimentaire si les us et coutumes religieux n’étaient pas des #stigmates sur-exploités par les racistes de tout poil, si le refus du #porc ou de l’#alcool par exemple, ou bien le port d’un foulard, n’étaient pas depuis des années des motifs récurrents d’#injure, d’#agression, de discrimination dans les études ou dans l’emploi.

    Il y a donc une bêtise insondable dans cette mise en cause absolument hors-sujet des commerces ou des rayons d’ « #alimentation_communautaire » qui, dixit Darmanin, « flatteraient » les « plus bas instincts », alors que (confère toujours l’excellente enquête de Jean-Baptiste Naudet dans L’Obs) l’homme qui a tué Samuel Paty (comme l’ensemble des précédents auteurs d’attentats meurtriers) n’avait précisément pas d’ancrage dans une « communauté » – ni dans l’immigration tchétchène, ni dans une communauté religieuse localisée, puisqu’il ne fréquentait aucune mosquée.

    Et il y a dans cette bêtise une #méchanceté tout aussi insondable : un racisme sordide, à l’encontre des #musulmans bien sûr, mais pas seulement. Il y a aussi un mépris, une injure, un piétinement de la mémoire des morts #juifs – puisque parmi les victimes récentes des tueries terroristes, il y a précisément des clients d’un commerce communautaire, l’#Hyper_Cacher, choisis pour cible et tués précisément en tant que tels.

    Telle est la vérité, cruelle, qui vient d’emblée s’opposer aux élucubrations de Gérald Darmanin : en incriminant les modes de vie « communautaires », et plus précisément la fréquentation de lieux de culte ou de commerces « communautaires », le ministre stigmatise non pas les coupables de la violence terroriste (qui se caractérisent au contraire par la #solitude, l’#isolement, le surf sur #internet, l’absence d’#attaches_communautaires et de pratique religieuse assidue, l’absence en tout cas de fréquentation de #lieux_de_cultes) mais bien certaines de ses victimes (des fidèles attaqués sur leur lieu de culte, ou de courses).

    14. Puis, quelques jours à peine après l’effroyable attentat, sans aucune concertation sur le terrain, auprès de la profession concernée, est tombée par voie de presse (comme d’habitude) une stupéfiante nouvelle : l’ensemble des Conseils régionaux de France a décidé de faire distribuer un « #recueil_de_caricatures » (on ne sait pas lesquelles) dans tous les lycées. S’il faut donner son sang, allez donner le vôtre, disait la chanson. Qu’ils aillent donc, ces élus, distribuer eux-mêmes leurs petites bibles républicaines, sur les marchés. Mais non : c’est notre sang à nous, petits profs de merde, méprisés, sous-payés, insultés depuis des années, qui doit couler, a-t-il été décidé en haut lieu. Et possiblement aussi celui de nos élèves.

    Car il faut se rendre à l’évidence : si cette information est confirmée, et si nous acceptons ce rôle de héros et martyrs d’un pouvoir qui joue aux petits soldats de plomb avec des profs et des élèves de chair et d’os, nous devenons officiellement la cible privilégiée des groupes terroristes. À un ennemi qui ne fonctionne, dans ses choix de cibles et dans sa communication politique, qu’au défi, au symbole et à l’invocation de l’honneur du Prophète, nos dirigeants répondent en toute #irresponsabilité par le #défi, le #symbole, et la remise en jeu de l’image du Prophète. À quoi doit-on s’attendre ? Y sommes-nous prêts ? Moi non.

    15. Comme si tout cela ne suffisait pas, voici enfin que le leader de l’opposition de gauche, celui dont on pouvait espérer, au vu de ses engagements récents, quelques mises en garde élémentaires mais salutaires contre les #amalgames et la #stigmatisation haineuse des musulmans, n’en finit pas de nous surprendre ou plutôt de nous consterner, de nous horrifier, puisqu’il s’oppose effectivement à la chasse aux musulmans, mais pour nous inviter aussitôt à une autre chasse : la #chasse_aux_Tchétchènes :

    « Moi, je pense qu’il y a un problème avec la #communauté_tchétchène en France ».

    Il suffit donc de deux crimes, commis tous les deux par une personne d’origine tchétchène, ces dernières années (l’attentat de l’Opéra en 2018, et celui de Conflans en 2020), plus une méga-rixe à Dijon cet été impliquant quelques dizaines de #Tchétchènes, pour que notre homme de gauche infère tranquillement un « #problème_tchétchène », impliquant toute une « communauté » de plusieurs dizaines de milliers de personnes vivant en France.

    « Ils sont arrivés en France car le gouvernement français, qui était très hostile à Vladimir Poutine, les accueillait à bras ouverts », nous explique Jean-Luc #Mélenchon. « À bras ouverts », donc, comme dans un discours de Le Pen – le père ou la fille. Et l’on a bien entendu : le motif de l’#asile est une inexplicable « hostilité » de la France contre le pauvre Poutine – et certainement pas une persécution sanglante commise par ledit Poutine, se déclarant prêt à aller « buter » lesdits Tchétchènes « jusque dans les chiottes ».

    « Il y a sans doute de très bonnes personnes dans cette communauté » finit-il par concéder à son intervieweur interloqué. On a bien lu, là encore : « sans doute ». Ce n’est donc même pas sûr. Et « de très bonnes personnes », ce qui veut dire en bon français : quelques-unes, pas des masses.

    « Mais c’est notre #devoir_national de s’en assurer », s’empresse-t-il d’ajouter – donc même le « sans doute » n’aura pas fait long feu. Et pour finir en apothéose :

    « Il faut reprendre un par un tous les dossiers des Tchétchènes présents en France et tous ceux qui ont une activité sur les réseaux sociaux, comme c’était le cas de l’assassin ou d’autres qui ont des activités dans l’#islamisme_politique (...), doivent être capturés et expulsés ».

    Là encore, on a bien lu : « tous les dossiers des Tchétchènes présents en France », « un par un » ! Quant aux suspects, ils ne seront pas « interpellés », ni « arrêtés », mais « capturés » : le vocabulaire est celui de la #chasse, du #safari. Voici donc où nous emmène le chef du principal parti d’opposition de gauche.

    16. Enfin, quand on écrira l’histoire de ces temps obscurs, il faudra aussi raconter cela : comment, à l’heure où la nation était invitée à s’unir dans le deuil, dans la défense d’un modèle démocratique, dans le refus de la violence, une violente campagne de presse et de tweet fut menée pour que soient purement et simplement virés et remplacés les responsables de l’#Observatoire_de_la_laïcité, #Nicolas_Cadène et #Jean-Louis_Bianco, pourtant restés toujours fidèles à l’esprit et à la lettre des lois laïques, et que les deux hommes furent à cette fin accusés d’avoir « désarmé » la République et de s’être « mis au service » des « ennemis » de ladite #laïcité et de ladite république – en somme d’être les complices d’un tueur de prof, puisque c’est de cet ennemi-là qu’il était question.

    Il faudra raconter que des universitaires absolument irréprochables sur ces questions, comme #Mame_Fatou_Niang et #Éric_Fassin, furent mis en cause violemment par des tweeters, l’une en recevant d’abjectes vidéos de décapitation, l’autre en recevant des #menaces de subir la même chose, avec dans les deux cas l’accusation d’être responsables de la mort de Samuel Paty.

    Il faudra se souvenir qu’un intellectuel renommé, invité sur tous les plateaux, proféra tranquillement, là encore sans être recadré par les animateurs, le même type d’accusations à l’encontre de la journaliste et chroniqueuse #Rokhaya_Diallo : en critiquant #Charlie_Hebdo, elle aurait « poussé à armer les bras des tueurs », et « entrainé » la mort des douze de Charlie hebdo.

    Il faudra se souvenir qu’au sommet de l’État, enfin, en ces temps de deuil, de concorde nationale et de combat contre l’obscurantisme, le ministre de l’Éducation nationale lui-même attisa ce genre de mauvaise querelle et de #mauvais_procès – c’est un euphémisme – en déclarant notamment ceci :

    « Ce qu’on appelle l’#islamo-gauchisme fait des ravages, il fait des ravages à l’#université. Il fait des ravages quand l’#UNEF cède à ce type de chose, il fait des ravages quand dans les rangs de la France Insoumise, vous avez des gens qui sont de ce courant-là et s’affichent comme tels. Ces gens-là favorisent une idéologie qui ensuite, de loin en loin, mène au pire. »

    Il faudra raconter ce que ces sophismes et ces purs et simples mensonges ont construit ou tenté de construire : un « #consensus_national » fondé sur une rage aveugle plutôt que sur un deuil partagé et un « plus jamais ça » sincère et réfléchi. Un « consensus » singulièrement diviseur en vérité, excluant de manière radicale et brutale tous les contre-pouvoirs humanistes et progressistes qui pourraient tempérer la violence de l’arbitraire d’État, et apporter leur contribution à l’élaboration d’une riposte anti-terroriste pertinente et efficace : le mouvement antiraciste, l’opposition de gauche, la #sociologie_critique... Et incluant en revanche, sans le moindre état d’âme, une droite républicaine radicalisée comme jamais, ainsi que l’#extrême_droite lepéniste.

    Je ne sais comment conclure, sinon en redisant mon accablement, ma tristesse, mon désarroi, ma peur – pourquoi le cacher ? – et mon sentiment d’#impuissance face à une #brutalisation en marche. La brutalisation de la #vie_politique s’était certes enclenchée bien avant ce crime atroce – l’évolution du #maintien_de l’ordre pendant tous les derniers mouvements sociaux en témoigne, et les noms de Lallement et de Benalla en sont deux bons emblèmes. Mais cet attentat, comme les précédents, nous fait évidemment franchir un cap dans l’#horreur. Quant à la réponse à cette horreur, elle s’annonce désastreuse et, loin d’opposer efficacement la force à la force (ce qui peut se faire mais suppose le discernement), elle rajoute de la violence aveugle à de la violence aveugle – tout en nous exposant et en nous fragilisant comme jamais. Naïvement, avec sans doute un peu de cet idéalisme qui animait Samuel Paty, j’en appelle au #sursaut_collectif, et à la #raison.

    Pour reprendre un mot d’ordre apparu suite à ce crime atroce, #je_suis_prof. Je suis prof au sens où je me sens solidaire de Samuel Paty, où sa mort me bouleverse et me terrifie, mais je suis prof aussi parce que c’est tout simplement le métier que j’exerce. Je suis prof et je crois donc en la raison, en l’#éducation, en la #discussion. Depuis vingt-cinq ans, j’enseigne avec passion la philosophie et je m’efforce de transmettre le goût de la pensée, de la liberté de penser, de l’échange d’arguments, du débat contradictoire. Je suis prof et je m’efforce de transmettre ces belles valeurs complémentaires que sont la #tolérance, la #capacité_d’indignation face à l’intolérable, et la #non-violence dans l’#indignation et le combat pour ses idées.

    Je suis prof et depuis vingt-cinq ans je m’efforce de promouvoir le #respect et l’#égalité_de_traitement, contre tous les racismes, tous les sexismes, toutes les homophobies, tous les systèmes inégalitaires. Et je refuse d’aller mourir au front pour une croisade faussement « républicaine », menée par un ministre de l’Intérieur qui a commencé sa carrière politique, entre 2004 et 2008, dans le girons de l’extrême droite monarchiste (auprès de #Christian_Vanneste et de #Politique_magazine, l’organe de l’#Action_française). Je suis prof et je refuse de sacrifier tout ce en quoi je crois pour la carrière d’un ministre qui en 2012, encore, militait avec acharnement, aux côtés de « La manif pour tous », pour que les homosexuels n’aient pas les mêmes droits que les autres – sans parler de son rapport aux femmes, pour le moins problématique, et de ce que notre grand républicain appelle, en un délicat euphémisme, sa « vie de jeune homme ».

    Je suis prof et j’enseigne la laïcité, la vraie, celle qui s’est incarnée dans de belles lois en 1881, 1882, 1886 et 1905, et qui n’est rien d’autre qu’une machine à produire plus de #liberté, d’#égalité et de #fraternité. Mais ce n’est pas cette laïcité, loin s’en faut, qui se donne à voir ces jours-ci, moins que jamais, quand bien même le mot est répété à l’infini. C’est au contraire une politique liberticide, discriminatoire donc inégalitaire, suspicieuse ou haineuse plutôt que fraternelle, que je vois se mettre en place, sans même l’excuse de l’efficacité face au terrorisme.

    Je suis prof, et cette #vraie_laïcité, ce goût de la pensée et de la #parole_libre, je souhaite continuer de les promouvoir. Et je souhaite pour cela rester en vie. Et je souhaite pour cela rester libre, maître de mes #choix_pédagogiques, dans des conditions matérielles qui permettent de travailler. Et je refuse donc de devenir l’otage d’un costume de héros ou de martyr taillé pour moi par des aventuriers sans jugeote, sans cœur et sans principes – ces faux amis qui ne savent qu’encenser des profs morts et mépriser les profs vivants.

    https://lmsi.net/Je-suis-prof

    #Pierre_Tevanian

    –—

    –-> déjà signalé sur seenthis :
    https://seenthis.net/messages/882390
    https://seenthis.net/messages/882583
    ... mais je voulais mettre le texte complet.

  • Qui est complice de qui ? Les #libertés_académiques en péril

    Professeur, me voici aujourd’hui menacé de décapitation. L’offensive contre les musulmans se prolonge par des attaques contre la #pensée_critique, taxée d’islamo-gauchisme. Celles-ci se répandent, des réseaux sociaux au ministre de l’Éducation, des magazines au Président de la République, pour déboucher aujourd’hui sur une remise en cause des libertés académiques… au nom de la #liberté_d’expression !

    Je suis professeur. Le 16 octobre, un professeur est décapité. Le lendemain, je reçois cette menace sur Twitter : « Je vous ai mis sur ma liste des connards à décapiter pour le jour où ça pétera. Cette liste est longue mais patience : vous y passerez. »

    C’est en réponse à mon tweet (https://twitter.com/EricFassin/status/1317246862093680640) reprenant un billet de blog publié après les attentats de novembre 2015 (https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/161115/nous-ne-saurions-vouloir-ce-que-veulent-nos-ennemis) : « Pour combattre le #terrorisme, il ne suffit pas (même s’il est nécessaire) de lutter contre les terroristes. Il faut surtout démontrer que leurs actes sont inefficaces, et donc qu’ils ne parviennent pas à nous imposer une politique en réaction. » Bref, « nous ne saurions vouloir ce que veulent nos ennemis » : si les terroristes cherchent à provoquer un « conflit des civilisations », nous devons à tout prix éviter de tomber dans leur piège.

    Ce n’est pas la première fois que je reçois des #menaces_de_mort. Sur les réseaux sociaux, depuis des années, des trolls me harcèlent : les #insultes sont quotidiennes ; les menaces, occasionnelles. En 2013, pour Noël, j’ai reçu chez moi une #lettre_anonyme. Elle recopiait des articles islamophobes accusant la gauche de « trahison » et reproduisaient un tract de la Résistance ; sous une potence, ces mots : « où qu’ils soient, quoi qu’ils fassent, les traîtres seront châtiés. » Je l’analysais dans Libération (https://www.liberation.fr/societe/2014/01/17/le-nom-et-l-adresse_973667) : « Voilà ce que me signifie le courrier reçu à la maison : on sait où tu habites et, le moment venu, on saura te trouver. » J’ajoutais toutefois : « l’#extrême_droite continue d’avancer masquée, elle n’ose pas encore dire son nom. » Or ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, les menaces sont signées d’une figure connue de la mouvance néonazie. J’ai donc porté #plainte. C’est en tant qu’#universitaire que je suis visé ; mon #université m’accorde d’ailleurs la #protection_fonctionnelle.

    Ainsi, les extrêmes droites s’enhardissent. Le 29 octobre, l’#Action_française déploie impunément une banderole place de la Concorde : « Décapitons la République ! »

    C’est quelques heures après un nouvel attentat islamiste à Nice, mais aussi après une tentative néofasciste avortée en Avignon. Avant d’être abattu, l’homme a menacé d’une arme de poing un commerçant maghrébin. Il se réclamait de #Génération_identitaire, dont il portait la veste avec le logo « #Defend_Europe », justifiant les actions du groupe en Méditerranée ou à la frontière franco-italienne ; un témoin a même parlé de #salut_nazi (https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/vaucluse/avignon/avignon-homme-arme-couteau-abattu-policiers-1889172.htm). Le procureur de la République se veut pourtant rassurant : « c’est un Français, né en France, qui n’a rien à voir avec la religion musulmane ». Et de conclure : « nous avons plus affaire à un #déséquilibré, qui semble proche de l’extrême droite et a fait des séjours en psychiatrie. Il n’y a pas de revendication ». « Comme dans le cas de l’attentat de la mosquée de Bayonne perpétré par un ancien candidat FN en octobre 2019 » (https://www.mediapart.fr/journal/france/281019/attentat-bayonne-l-ex-candidat-fn-en-garde-vue?onglet=full), note Mediapart, « le parquet national antiterroriste n’a pas voulu se saisir de l’affaire ». Ce fasciste était un fou, nous dit-on, pas un terroriste islamiste : l’attaque d’Avignon est donc passée presque inaperçue.

    Si les #Identitaires se pensent aux portes du pouvoir, c’est aussi que certains médias ont préparé le terrain. En une, l’#islamophobie y alterne avec la dénonciation des universitaires antiracistes (j’y suis régulièrement pointé du doigt) (https://www.lepoint.fr/politique/ces-ideologues-qui-poussent-a-la-guerre-civile-29-11-2018-2275275_20.php). Plus grave encore, l’extrême droite se sent encouragée par nos gouvernants. Le président de la République lui-même, qui a choisi il y a un an de parler #communautarisme, #islam et #immigration dans #Valeurs_actuelles, s’inspire des réseaux sociaux et des magazines. « Le monde universitaire a été coupable. Il a encouragé l’#ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le débouché ne peut être que sécessionniste. » Selon Le Monde du 10 juin 2020, Emmanuel Macron vise ici les « discours racisés (sic) ou sur l’intersectionnalité. » Dans Les Inrocks (https://www.lesinrocks.com/2020/06/12/idees/idees/eric-fassin-le-president-de-la-republique-attise-lanti-intellectualisme), je m’inquiétais alors de cet #anti-intellectualisme : « Des sophistes qui corrompent la jeunesse : à quand la ciguë ? » Nous y sommes peut-être.

    Car du #séparatisme, on passe aujourd’hui au #terrorisme. En effet, c’est au tour du ministre de l’Éducation nationale de s’attaquer le 22 octobre, sur Europe 1, à « l’islamo-gauchisme » qui « fait des ravages à l’Université » : il dénonce « les #complices_intellectuels du terrorisme. » « Qui visez-vous ? », l’interroge Le JDD (https://www.lejdd.fr/Politique/hommage-a-samuel-paty-lutte-contre-lislamisme-blanquer-precise-au-jdd-ses-mesu). Pour le ministre, « il y a un combat à mener contre une matrice intellectuelle venue des universités américaines et des #thèses_intersectionnelles, qui veulent essentialiser les communautés et les identités, aux antipodes de notre #modèle_républicain ». Cette idéologie aurait « gangrené une partie non négligeable des #sciences_sociales françaises » : « certains font ça consciemment, d’autres sont les idiots utiles de cette cause. » En réalité, l’intersectionnalité permet d’analyser, dans leur pluralité, des logiques discriminatoires qui contredisent la rhétorique universaliste. La critique de cette assignation à des places racialisées est donc fondée sur un principe d’#égalité. Or, à en croire le ministre, il s’agirait « d’une vision du monde qui converge avec les intérêts des islamistes. » Ce qui produit le séparatisme, ce serait donc, non la #ségrégation, mais sa dénonciation…

    Si #Jean-Michel_Blanquer juge « complices » celles et ceux qui, avec le concept d’intersectionnalité, analysent la #racialisation de notre société pour mieux la combattre, les néofascistes parlent plutôt de « #collabos » ; mais les trolls qui me harcèlent commencent à emprunter son mot. En France, si le ministre de l’Intérieur prend systématiquement le parti des policiers, celui de l’Éducation nationale fait de la politique aux dépens des universitaires. #Marion_Maréchal peut s’en féliciter : ce dernier « reprend notre analyse sur le danger des idéologies “intersectionnelles” de gauche à l’Université. »


    https://twitter.com/MarionMarechal/status/1321008502291255300
    D’ailleurs, « l’islamo-gauchisme » n’est autre que la version actuelle du « #judéo-bolchévisme » agité par l’extrême droite entre les deux guerres. On ne connaît pourtant aucun lien entre #Abdelhakim_Sefrioui, mis en examen pour « complicité d’assassinat » dans l’enquête sur l’attentat de #Conflans, et la gauche. En revanche, le ministre ne dit pas un mot sur l’extrême droite, malgré les révélations de La Horde (https://lahorde.samizdat.net/2020/10/20/a-propos-dabdelhakim-sefrioui-et-du-collectif-cheikh-yassine) et de Mediapart (https://www.mediapart.fr/journal/france/221020/attentat-de-conflans-revelations-sur-l-imam-sefrioui?onglet=full) sur les liens de l’imam avec des proches de #Marine_Le_Pen. Dans le débat public, jamais il n’est question d’#islamo-lepénisme, alors même que l’extrême droite et les islamistes ont en commun une politique du « #conflit_des_civilisations ».

    Sans doute, pour nos gouvernants, attaquer des universitaires est-il le moyen de détourner l’attention de leurs propres manquements : un professeur est mort, et on en fait porter la #responsabilité à d’autres professeurs… De plus, c’est l’occasion d’affaiblir les résistances contre une Loi de programmation de la recherche qui précarise davantage l’Université. D’ailleurs, le 28 octobre, le Sénat vient d’adopter un amendement à son article premier (https://www.senat.fr/amendements/2020-2021/52/Amdt_234.html) : « Les libertés académiques s’exercent dans le respect des #valeurs_de_la_République », « au premier rang desquelles la #laïcité ». Autrement dit, ce n’est plus seulement le code pénal qui définirait les limites de la liberté d’expression des universitaires. Des collègues, désireux de régler ainsi des différends scientifiques et politiques, appuient cette offensive en réclamant dans Le Monde la création d’une « instance chargée de faire remonter directement les cas d’atteinte aux #principes _épublicains et à la liberté académique »… et c’est au nom de « la #liberté_de_parole » (https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/31/une-centaine-d-universitaires-alertent-sur-l-islamisme-ce-qui-nous-menace-c-) ! Bref, comme l’annonce sombrement le blog Academia (https://academia.hypotheses.org/27401), c’est « le début de la fin. » #Frédérique_Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, le confirme sans ambages : « Les #valeurs de la laïcité, de la République, ça ne se discute pas. »


    https://twitter.com/publicsenat/status/1322076232918487040
    Pourtant, en démocratie, débattre du sens qu’on veut donner à ces mots, n’est-ce pas l’enjeu politique par excellence ? Qui en imposera la définition ? Aura-t-on encore le droit de critiquer « les faux dévots de la laïcité » (https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/101217/les-faux-devots-de-la-laicite-islamophobie-et-racisme-anti-musulmans) ?

    Mais ce n’est pas tout. Pourquoi s’en prendre aux alliés blancs des minorités discriminées, sinon pour empêcher une solidarité qui dément les accusations de séparatisme ? C’est exactement ce que les terroristes recherchent : un monde binaire, en noir et blanc, sans « zone grise » (https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/260716/terrorisme-la-zone-grise-de-la-sexualite), où les musulmans feraient front avec les islamistes contre un bloc majoritaire islamophobe. Je l’écrivais dans ce texte qui m’a valu des menaces de décapitation : nos dirigeants « s’emploient à donner aux terroristes toutes les raisons de recommencer. » Le but de ces derniers, c’est en effet la #guerre_civile. Qui sont donc les « #complices_intellectuels » du terrorisme islamiste ? Et qui sont les « idiots utiles » du #néofascisme ?

    En France, aujourd’hui, les #droits_des_minorités, religieuses ou pas, des réfugiés et des manifestants sont régulièrement bafoués ; et quand des ministres s’attaquent, en même temps qu’à une association de lutte contre l’islamophobie, à des universitaires, mais aussi à l’Unef (après SUD Éducation), à La France Insoumise et à son leader, ou bien à Mediapart et à son directeur, tous coupables de s’engager « pour les musulmans », il faut bien se rendre à l’évidence : la #démocratie est amputée de ses #libertés_fondamentales. Paradoxalement, la France républicaine d’Emmanuel #Macron ressemble de plus en plus, en dépit des gesticulations, à la Turquie islamiste de Recep Tayyip Erdogan, qui persécute, en même temps que la minorité kurde, des universitaires, des syndicalistes, des médias libres et des partis d’opposition.

    Pour revendiquer la liberté d’expression, il ne suffit pas d’afficher des caricatures ; l’esprit critique doit pouvoir se faire entendre dans les médias et dans la rue, et partout dans la société. Sinon, l’hommage à #Samuel_Paty serait pure #hypocrisie. Il faut se battre pour la #liberté_de_la_pensée, de l’engagement et de la recherche. Il importe donc de défendre les libertés académiques, à la fois contre les menaces des réseaux sociaux et contre l’#intimidation_gouvernementale. À l’heure où nos dirigeants répondent à la terreur par une #politique_de_la_peur, il y a de quoi trembler pour la démocratie.

    https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/011120/qui-est-complice-de-qui-les-libertes-academiques-en-peril
    #Eric_Fassin #intersectionnalité #SHS #universalisme #Blanquer #complicité

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    Pour compléter le fil de discussion commencé par @gonzo autour de :
    Jean-François Bayart : « Que le terme plaise ou non, il y a bien une islamophobie d’Etat en France »
    https://seenthis.net/messages/883974

    ping @isskein @karine4 @cede

    • Une centaine d’universitaires alertent : « Sur l’islamisme, ce qui nous menace, c’est la persistance du déni »

      Dans une tribune au « Monde », des professeurs et des chercheurs de diverses sensibilités dénoncent les frilosités de nombre de leurs pairs sur l’islamisme et les « idéologies indigénistes, racialistes et décoloniales », soutenant les propos de Jean-Michel Blanquer sur « l’islamo-gauchisme ».

      Tribune. Quelques jours après l’assassinat de Samuel Paty, la principale réaction de l’institution qui est censée représenter les universités françaises, la Conférence des présidents d’université (CPU), est de « faire part de l’émotion suscitée » par des propos de Jean-Michel Blanquer sur Europe 1 et au Sénat le 22 octobre. Le ministre de l’éducation nationale avait constaté sur Europe 1 que « l’islamo-gauchisme fait des ravages à l’université », notamment « quand une organisation comme l’UNEF cède à ce type de choses ». Il dénonçait une « idéologie qui mène au pire », notant que l’assassin a été « conditionné par des gens qui encouragent cette #radicalité_intellectuelle ». Ce sont des « idées qui souvent viennent d’ailleurs », le #communautarisme, qui sont responsables : « Le poisson pourrit par la tête. » Et au Sénat, le même jour, Jean-Michel Blanquer confirmait qu’il y a « des courants islamo-gauchistes très puissants dans les secteurs de l’#enseignement_supérieur qui commettent des dégâts sur les esprits. Et cela conduit à certains problèmes, que vous êtes en train de constater ».

      Nous, universitaires et chercheurs, ne pouvons que nous accorder avec ce constat de Jean-Michel Blanquer. Qui pourrait nier la gravité de la situation aujourd’hui en France, surtout après le récent attentat de Nice – une situation qui, quoi que prétendent certains, n’épargne pas nos universités ? Les idéologies indigéniste, racialiste et « décoloniale » (transférées des campus nord-américains) y sont bien présentes, nourrissant une haine des « Blancs » et de la France ; et un #militantisme parfois violent s’en prend à ceux qui osent encore braver la #doxa_antioccidentale et le prêchi-prêcha multiculturaliste. #Houria_Bouteldja a ainsi pu se féliciter début octobre que son parti décolonial, le #Parti_des_indigènes_de_la_République [dont elle est la porte-parole], « rayonne dans toutes les universités ».

      La réticence de la plupart des universités et des associations de spécialistes universitaires à désigner l’islamisme comme responsable de l’assassinat de Samuel Paty en est une illustration : il n’est question dans leurs communiqués que d’« #obscurantisme » ou de « #fanatisme ». Alors que le port du #voile – parmi d’autres symptômes – se multiplie ces dernières années, il serait temps de nommer les choses et aussi de prendre conscience de la responsabilité, dans la situation actuelle, d’idéologies qui ont pris naissance et se diffusent dans l’université et au-delà. L’importation des idéologies communautaristes anglo-saxonnes, le #conformisme_intellectuel, la #peur et le #politiquement_correct sont une véritable menace pour nos universités. La liberté de parole tend à s’y restreindre de manière drastique, comme en ont témoigné récemment nombre d’affaires de #censure exercée par des groupes de pression.

      « Nous demandons à la ministre de prendre clairement position contre les idéologies qui sous-tendent les #dérives_islamistes »

      Ce qui nous menace, ce ne sont pas les propos de Jean-Michel Blanquer, qu’il faut au contraire féliciter d’avoir pris conscience de la gravité de la situation : c’est la persistance du #déni. La CPU affirme dans son communiqué que « la recherche n’est pas responsable des maux de la société, elle les analyse ». Nous n’en sommes pas d’accord : les idées ont des conséquences et les universités ont aussi un rôle essentiel à jouer dans la lutte pour la défense de la laïcité et de la liberté d’expression. Aussi nous étonnons-nous du long silence de Frédérique Vidal, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, qui n’est intervenue le 26 octobre que pour nous assurer que tout allait bien dans les universités. Mais nous ne sommes pas pour autant rassurés.

      Nous demandons donc à la ministre de mettre en place des mesures de #détection des #dérives_islamistes, de prendre clairement position contre les idéologies qui les sous-tendent, et d’engager nos universités dans ce combat pour la laïcité et la République en créant une instance chargée de faire remonter directement les cas d’atteinte aux principes républicains et à la liberté académique. Et d’élaborer un guide de réponses adaptées, comme cela a été fait pour l’éducation nationale.

      Premiers signataires : Laurent Bouvet, politiste, professeur des universités ; Jean-François Braunstein, philosophe, professeur des universités ; Jeanne Favret-Saada, anthropologue, directrice d’études honoraire à l’Ecole pratique des hautes études ; Luc Ferry, ancien ministre de l’éducation nationale (2002-2004) ; Renée Fregosi, politiste, maîtresse de conférences HDR en science politique ; Marcel Gauchet, philosophe, directeur d’études émérite à l’Ecole des hautes études en sciences sociales ; Nathalie Heinich, sociologue, directrice de recherche au CNRS ; Gilles Kepel, politiste, professeur des universités ; Catherine Kintzler, philosophe, professeure honoraire des universités ; Pierre Nora, historien, membre de l’Académie française ; Pascal Perrineau, politiste professeur des universités ; Pierre-André Taguieff, historien des idées, directeur de recherche au CNRS ; Pierre Vermeren, historien, professeur des universités

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      Liste complète des signataires :

      Signataires

      Daniel Aberdam, directeur de recherches à l’INSERM – Francis Affergan, professeur émérite des Universités – Alya Aglan, professeur des Universités – Jean-François Agnèse, directeur de recherches IRD – Joëlle Allouche-Benayoun, chargée de recherche au CNRS – Éric Anceau, maître de conférences HDR – Julie d’Andurain, professeur des Universités – Sophie Archambault de Beaune, professeur des Universités – Mathieu Arnold, professeur des Universités – Roland Assaraf, chargé de recherche au CNRS – Philippe Avril, professeur émérite des Universités – Isabelle Barbéris, maître de conférences HDR – Clarisse Bardiot, maître de conférences HDR – Patrick Barrau, maître de conférences honoraire – Christian Bassac, professeur honoraire des Universités – Myriam Benarroch, maître de conférences – Martine Benoit, professeur des Universités – Wladimir Berelowitsch, directeur d’études à l’EHESS – Florence Bergeaud-Blackler, chargée de recherche au CNRS – Maurice Berger, ancien professeur associé des Universités – Marc Bied-Charrenton, professeur émérite des Universités – Andreas Bikfalvi, professeur des Universités – Jacques Billard, maître de conférences honoraire – Jean-Cassien Billier, maître de conférences – Alain Blanchet, professeur émérite des Universités – Guillaume Bonnet, professeur des Universités – ​Laurent Bouvet, professeur des Universités – Rémi Brague, professeur des Universités – Joaquim Brandão de Carvalho, professeur des Universités – Jean-François Braunstein, professeur des Universités – Christian Brechot, professeur émérite des Universités – Stéphane Breton, directeur d’études à l’EHESS – Jean-Marie Brohm, professeur émérite des Universités – Michelle-Irène Brudny, professeur honoraire des Universités – Patrick Cabanel, directeur d’études, École pratique des hautes études – Christian Cambillau, directeur de recherches émérite au CNRS – Belinda Cannone, maître de conférences – Dominique Casajus, directeur de recherches émérite au CNRS – Sylvie Catellin, maître de conférences – Brigitte Chapelain, maître de conférences – Jean-François Chappuit, maître de conférences – Patrick Charaudeau, professeur émérite des Universités – Blandine Chelini-Pon, professeur des Universités – François Cochet, professeur émérite des Universités – Geneviève Cohen-Cheminet, professeur des Universités – Jacqueline Costa-Lascoux, directrice de recherche au CNRS – Cécile Cottenceau, PRAG Université – Philippe Crignon, maître de conférences – David Cumin, maître de conférences HDR – Jean-Claude Daumas, professeur émérite des Universités – Daniel Dayan, directeur de recherches au CNRS – Chantal Delsol, membre de l’Académie des sciences morales et politiques – Gilles Denis, maître de conférences HDR – Geneviève Dermenjian, maître de conférences HDR – Albert Doja, professeur des Universités – Michel Dreyfus, directeur de recherche au CNRS – Philippe Dupichot, professeur des Universités – Alain Ehrenberg, directeur émérite de recherche au CNRS – Marie-Claude Esposito, professeur émérite des Universités – Jean-Louis Fabiani, directeur d’études à l’EHES – Jeanne Favret-Saada, directrice d’études honoraire à l’EPHE – Laurent Fedi, maître de conférences – Rémi Ferrand, maître de conférences – Luc Ferry, ancien ministre de l’Éducation nationale – Michel Fichant, professeur émérite des Universités – Dominique Folscheid, professeur émérite des Universités – Nicole Fouché, chercheuse CNRS-EHESS - Annie Fourcaut, professeur des Universités – Renée Fregosi, maître de conférences HDR retraitée – Pierre Fresnault-Deruelle, professeur émérite des Universités – Marc Fryd, maître de conférences HDR – Alexandre Gady, professeur des Universités – Jean-Claude Galey, directeur d’études à l’EHESS – Marcel Gauchet, directeur d’études à l’EHESS – Christian Gilain, professeur émérite des Universités – Jacques-Alain Gilbert, professeur des Universités – Gabriel Gras, chargé de recherche au CEA – Yana Grinshpun, maître de conférences – Patrice Gueniffey, directeur d’études à l’EHESS – Éric Guichard, maître de conférences HDR – Jean-Marc Guislin, professeur émérite des Universités – Charles Guittard, professeur des Universités – Philippe Gumplowicz, professeur des Universités – Claude Habib, professeur émérite des Universités – François Heilbronn, professeur des Universités associé à Sciences-Po – Nathalie Heinich, directrice de recherche au CNRS – Marc Hersant, professeur des Universités – Philippe d’Iribarne, directeur de recherche au CNRS – François Jost, professeur émérite des Universités – Olivier Jouanjan, professeur des Universités – Pierre Jourde, professeur émérite des Universités – Gilles Kepel, professeur des Universités – Catherine Kintzler, professeur honoraire des Universités – Marcel Kuntz, directeur de recherche au CNRS – Bernard Labatut, maître de conférence HDR – Monique Lambert, professeur des Universités – Frédérique de La Morena, maître de conférences – Philippe de Lara, maître de conférences HDR – Philippe Larralde, PRAG Université – Dominique Legallois, professeur des Universités – Anne Lemonde, maître de conférences – Anne-Marie Le Pourhiet, professeur des Universités – Andrée Lerousseau, maître de conférences – Franck Lessay, professeur émérite des Universités – Marc Levilly, maître de conférences associé – Carlos Levy, professeur émérite des Universités – Roger Lewandowski, professeur des Universités – Philippe Liger-Belair, maître de conférences – Laurent Loty, chargé de recherche au CNRS – Catherine Louveau, professeur émérite des Universités – Danièle Manesse, professeur émérite des Universités – Jean-Louis Margolin, maître de conférences – Joseph Martinetti, maître de conférences – Céline Masson, professeur des Universités – Jean-Yves Masson, professeur des Universités – Eric Maulin, professeur des Universités – Samuel Mayol, maître de conférences – Isabelle de Mecquenem, PRAG Université – Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur des Universités – Marc Michel, professeur émérite des Universités –​ Jean-Baptiste Minnaert, professeur des Universités – Nathalie Mourgues, professeur émérite des Universités – Lion Murard, chercheur associé au CERMES – Franck Neveu, professeur des Universités – Jean-Pierre Nioche, professeur émérite à HEC – Pierre Nora, membre de l’Académie française – Jean-Max Noyer, professeur émérite des Universités – Dominique Ottavi, professeur émérite des Universités – Bruno Ollivier, professeur des Universités, chercheur associé au CNRS – Gilles Pages, directeur de recherche à l’INSERM – Marc Perelman, professeur des Universités – Pascal Perrineau, professeur des Universités – Laetitia Petit, maître de conférences des Universités – Jean Petitot, directeur d’études à l’EHESS – Béatrice Picon-Vallin, directrice de recherches au CNRS – René Pommier, maître de conférences – Dominique Pradelle, professeur des Universités – André Quaderi, professeur des Universités – Gérard Rabinovitch, chercheur associé au CNRS-CRPMS – Charles Ramond, professeur des Universités – Jean-Jacques Rassial, professeur émérite des Universités – François Rastier, directeur de recherche au CNRS – Philippe Raynaud, professeur émérite des Universités – Dominique Reynié, professeur des Universités – Isabelle Rivoal, directrice de recherches au CNRS – Jean-Jacques Roche, professeur des Universités – Pierre Rochette, professeur des Universités – Marc Rolland, professeur des Universités – Danièle Rosenfeld-Katz, maître de conférences – Bernard Rougier, professeur des Universités – Andrée Rousseau, maîtresse de conférences – Jean-Michel Roy, professeur des Universités – François de Saint-Chéron, maître de conférences HDR – Jacques de Saint-Victor, professeur des Universités – Xavier-Laurent Salvador, maître de conférences HDR – Jean-Baptiste Santamaria, maître de conférences – Yves Santamaria, maître de conférences – Georges-Elia Sarfati, professeur des Universités – Jean-Pierre Schandeler, chargé de recherche au CNRS – Pierre Schapira, professeur émérite des Universités – Martine Segalen, professeur émérite des Universités – Perrine Simon-Nahum, directrice de recherche au CNRS – Antoine Spire, professeur associé à l’Université – Claire Squires, maître de conférences – Marcel Staroswiecki, professeur honoraire des Universités – Wiktor Stoczkowski, directeur d’études à l’EHESS – Jean Szlamowicz, professeur des Universités – Pierre-André Taguieff, directeur de recherche au CNRS – Jean-Christophe Tainturier, PRAG Université – Jacques Tarnero, chercheur à la Cité des sciences et de l’industrie – Michèle Tauber, maître de conférences HDR – Pierre-Henri Tavoillot, maître de conférences HDR – Alain Tedgui, directeur de recherches émérite à l’INSERM – ​Thibault Tellier, professeur des Universités – Françoise Thom, maître de conférences HDR – André Tiran, professeur émérite des Universités – Antoine Triller, directeur de recherches émérite à l’INSERM – Frédéric Tristram, maître de conférences HDR – Sylvie Toscer-Angot, maître de conférences – Vincent Tournier, maître de conférences – Christophe Tournu, professeur des Universités – Serge Valdinoci, maître de conférences – Raymonde Vatinet, professeur des Universités – Gisèle Venet, professeur émérite des Universités – François Vergne, maître de conférences – Gilles Vergnon, maître de conférences HDR – Pierre Vermeren, professeur des Universités – Nicolas Weill-Parot, directeur d’études à l’EPHE – Yves Charles Zarka, professeur émérite des Universités – Paul Zawadzki, maître de conférences HDR – Françoise Zonabend, directrice d’études à l’EHESS

      https://manifestedes90.wixsite.com/monsite

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/31/une-centaine-d-universitaires-alertent-sur-l-islamisme-ce-qui-nous-menace-c-
      #manifeste_des_cents #manifeste_des_100 #décolonial #ESR #enseignement_supérieur

    • De la liberté d’expression des « voix musulmanes » en France

      Le traumatisme né de l’assassinat de l’enseignant Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine le 16 octobre 2020 impose une réflexion collective profonde, aussi sereine que possible. L’enjeu est fondamental pour la société française qui, d’attentat revendiqué par une organisation constituée en attentat mené par un « loup solitaire », de débat sur le voile en débat sur Charlie, et de loi antiterroriste en loi contre le « séparatisme » s’enferre depuis plusieurs décennies dans une polarisation extrêmement inquiétante autour des questions liées à l’islam.

      Le constat de la diffusion, au sein des composantes se déclarant musulmanes en France, de lectures « radicales » et qui survalorisent la violence est incontestable. L’idéologie dite « djihadiste » demeure certes marginale, mais possède une capacité d’adaptation manifeste, liant les enjeux propres au monde musulman avec des problématiques françaises. Internet lui offre une caisse de résonance particulière auprès des plus jeunes, générant du ressentiment, mais aussi des frustrations. La #prison et la #délinquance, sans doute autant que certaines mosquées et associations cultuelles, constituent d’autres espaces de #socialisation à cette vision mortifère du monde.

      En revanche, les interprétations des racines de cette diffusion divergent, donnant lieu à des #controverses_scientifiques et médiatiques qui n’honorent pas toujours les personnes concernées. Il est manifeste que face à un problème complexe, l’analyse ne saurait être monocausale et ne se pencher que sur une seule variable. L’obsession pour la part purement religieuse du phénomène que légitiment certains chercheurs et qui est au cœur des récentes politiques du gouvernement français fonctionne comme un #écran_de_fumée.

      S’attaquer par des politiques publiques aux « #prêcheurs_de_haine » ou exiger la réforme d’un Islam « malade » sans autre forme de réflexion ou d’action ignore la dimension relationnelle de la #violence et des tensions qui déchirent la France.

      Quand les « islamo-gauchistes » doivent rendre des comptes

      Cette perspective revient à négliger l’importance de la #contextualisation, oubliant d’expliquer pourquoi une interprétation particulière de l’islam a pu acquérir, via sa déclinaison politique la plus fermée, une capacité à incarner un rejet de la société dominante. En somme cette lecture méconnaît comment et pourquoi une interprétation radicale du #référent_islamique trouve depuis quelques années une pertinence particulière aux yeux de certains, et pourquoi ce serait davantage le cas en #France qu’ailleurs en Europe. Elle revient surtout à oublier la nature circulaire des dynamiques qui permet à un contexte et à une idéologie de s’alimenter mutuellement, désignant alors de façon simpliste celui qui « aurait commencé » ainsi que — et c’est là une funeste nouveauté des derniers mois — ses « collabos » affublés du label « islamo-gauchiste » et qui devraient rendre des comptes.

      Beaucoup a ainsi été écrit et dit, parfois trop rapidement. En tant que chercheur et citoyen, je ressens autant de la lassitude que de la tristesse, mesurant combien mon champ professionnel développe de façon croissante une sorte d’incommunicabilité, entrainant des haines tenaces et donnant de plus en plus souvent lieu à de la diffamation entre ses membres. Il m’apparait que la perspective faisant toute sa place à la #complexité des phénomènes politiques et sociaux a, d’une certaine manière, perdu la partie. Marginalisée dans les médias, elle devient manifestement de plus en plus inaudible auprès d’institutions publiques en quête de solutions rapides et brutales, faisant souvent fi du droit. L’approche nuancée des sciences sociales se trouve reléguée dans des espaces d’expression caractérisés par l’entre-soi politique, scientifique ou, il faut le reconnaitre, communautaire (ce dernier parfois prompt à tordre le discours et à le simplifier pour se rassurer).

      « Liberté d’expression », mais pas pour tout le monde

      Cette mécanique de parole complexe reléguée ne concerne pas uniquement les chercheurs. Ma frustration de « perdant » n’a au fond que peu d’importance. Elle renvoie toutefois à un enjeu beaucoup plus fondamental qui concerne l’espace de représentation et d’expression des musulmans français. Dans un contexte de fortes tensions autour de la question musulmane, il s’agit là d’un blocage récurrent dont les pouvoirs publics et une grande partie des médias se refusent à percevoir la centralité. La faiblesse des espaces offerts aux voix qui se revendiquent musulmanes et sont reconnues comme légitimes par leurs coreligionnaires constitue un angle mort que les tenants de la « liberté d’expression » auraient tout intérêt à aborder. Autant que le contrôle policier et la surveillance des appels à la haine sur Internet et dans les mosquées, c’est là un levier nécessaire pour contenir la violence et lutter contre elle.

      La liberté d’expression n’a jamais été totale, et certains tabous légitimes demeurent ou évoluent avec le temps. Pensons à la pédocriminalité dans les années 1970, ou aux caricatures sur les juifs et l’argent dans les années 1930. Parmi les tenants d’une laïcité intégrale, qui a déjà discuté avec une femme voilée ? Partons tout d’abord du principe que l’ignorance de l’Autre et de sa propre histoire constitue une racine de la #polarisation grave de la société française. Admettons ensuite qu’il est important pour chacun d’avoir une perception juste de ses concitoyens et aussi, en démocratie, de se sentir correctement et dignement représenté à une variété d’échelons.

      La figure de #Hassen_Chalghoumi, imam d’origine tunisienne d’une mosquée en Seine–Saint-Denis très fréquemment mobilisé dans les grands médias, symbolise un dysfonctionnement patent de ce mécanisme de #représentation. Sa propension à soutenir des positions politiques à rebours de ses « ouailles » supposées, en particulier sur la Palestine, mais surtout son incapacité à s’exprimer correctement en français ou même à avoir un fond de culture générale partagée ne constitue aucunement des caractéristiques rédhibitoires pour faire appel à lui quand un sujet en lien avec l’islam émerge. Pire, il semblerait même parfois que ce soit exactement le contraire comme quand Valeurs actuelles, alors accusé d’avoir caricaturé la députée Danièle Obono en esclave, a fait appel à lui pour défendre la liberté d’expression et l’a placé, détail sans doute potache, mais tellement symptomatique de mépris affiché, devant une plaque émaillée « Licence IV » (autrefois utilisée pour désigner les débits de boissons alcoolisées).

      Pour les millions de Français d’origine musulmane dont l’élocution française est parfaite et qui partagent les mêmes références culturelles populaires que la majorité des Français, reconnaissons qu’il est parfaitement humiliant d’avoir l’impression que les médias n’ont pas d’autre « modèle » à mobiliser ou à valoriser pour entendre une voix décrite comme musulmane. Comment dès lors ne pas comprendre la défiance envers les médias ou la société dans son ensemble ?

      L’ère du #soupçon

      Certes, il revient aux musulmans au premier chef de s’organiser et de faire émerger des figures représentatives, dépassant ainsi la fragmentation qui est celle de leur culte, ainsi que la mainmise exercée par les États d’origine, Maroc, Algérie et Turquie en tête. Les luttes internes sont elles-mêmes d’une grande violence, souvent fondées sur le « narcissisme des petites différences » de Sigmund Freud. Toutefois, reconnaissons que l’expérience démontre que les restrictions ne sont pas seulement internes à la « communauté ». Il y a plus de vingt ans déjà, le sociologue #Michel_Wieviorka avait pointé du doigt l’incapacité de la société française à accueillir les voix se revendiquant comme musulmanes :

      "Plutôt que d’être perçus comme des acteurs qui inventent et renouvellent la #vie_collective — avec ses tensions, ses conflits, ses négociations —, les associations susceptibles de passer pour « ethniques » ou religieuses […] sont couramment ignorées, soupçonnées de couvrir les pires horreurs ou traitées avec hostilité par les pouvoirs publics. […] À force de rejeter une association sous prétexte qu’elle serait intégriste et fermée sur elle-même, à force de lui refuser toute écoute et tout soutien, on finit par la constituer comme telle."

      De la chanteuse #Mennel (candidate d’origine syrienne à une émission sur TF1 et qui alors portait le foulard) à #Tariq_Ramadan (certes de nationalité suisse) en passant par l’humoriste #Yassine_Belattar et le #Comité_contre_l’islamophobie_en_France (CCIF), les occasions d’exclure les voix endogènes qui revendiquent une part d’#islamité dans leur discours et sont à même de servir de référence tant cultuelle que politique et culturelle ont été nombreuses. Parfois pleinement légitimes lorsque des accusations de viols ont été proférées, des dispositifs de contrôle imposent de « montrer patte blanche » au-delà de ce qui devrait légitimement être attendu. Non limités à l’évaluation de la probité, ils rendent en plus toute critique adressée à la société française et ses failles (en politique étrangère par exemple) extrêmement périlleuses, donnant le sentiment d’un traitement différencié pour les voix dites musulmanes, promptes à se voir si facilement criminalisées. Dès lors, certaines positions, pourtant parfaitement raisonnables, deviennent indicibles.

      Revendiquer la nécessité de la #lutte_contre_l’islamophobie, dont l’existence ne devrait pas faire débat par exemple quand une femme portant le foulard se fait cracher dessus par des passants fait ainsi de manière totalement absurde partie de cette liste de tabous, établie sans doute de manière inconsciente par des années d’#injonctions et de #stigmatisations, héritées de la période coloniale.

      Une telle mécanique vient enfin légitimer les logiques d’#exclusion propres au processus de #radicalisation. Elle s’avère dès lors contreproductive et donc dangereuse. Par exemple, dissoudre le CCIF dont l’action principale est d’engager des médiations et de se tourner vers les institutions publiques est à même de constituer, en acte aux yeux de certains, la démonstration de l’inutilité des #associations et donc l’impossibilité de s’appuyer sur les institutions légales. C’est une fois encore renvoyer vers les fonds invisibles de l’Internet les #espaces_d’expression et de représentation, c’est ainsi creuser des fossés qui génèrent l’#incompréhension et la violence.

      Il devient impérieux d’apprendre à s’écouter les uns les autres. Il demeure aussi nécessaire de reconnaitre que, comme l’entreprise a besoin de syndicats attentifs et représentatifs, la société dans son ensemble, diverse comme elle est, a tout à gagner à offrir des cadres d’expression sereins et ouverts à ses minorités, permettant aussi à celles-ci de revendiquer, quitte à ne pas faire plaisir à moi-même, à la majorité, ou au patron.

      https://orientxxi.info/magazine/de-la-liberte-d-expression-des-voix-musulmanes-en-france,4227
      #religion

    • « La pensée “décoloniale” renforce le narcissisme des #petites_différences »

      80 psychanalystes s’insurgent contre l’assaut des « #identitaristes » dans le champ du savoir et du social

      « Les intellectuels ont une mentalité plus totalitaire que les gens du commun » écrivait Georges Orwell (1903-1950), dans Essais, Articles et Lettres.

      Des militants, obsédés par l’#identité, réduite à l’#identitarisme, et sous couvert d’antiracisme et de défense du bien, imposent des #idéologies_racistes par des #procédés_rhétoriques qui consistent à pervertir l’usage de la langue et le sens des mots, en détournant la pensée de certains auteurs engagés dans la lutte contre le racisme qu’ils citent abondamment comme #Fanon ou #Glissant qui, au contraire, reconnaissent l’#altérité et prônent un nouvel #universalisme.

      Parmi ces militants, le Parti des indigènes de la République -dit le #PIR- qui s’inscrit dans la mouvance « décoloniale ».

      La pensée dite « décoloniale » s’insinue à l’Université et menace les sciences humaines et sociales sans épargner la psychanalyse. Ce phénomène se répand de manière inquiétante et nous n’hésitons pas à parler d’un #phénomène_d’emprise qui distille subrepticement des idées propagandistes. Ils véhiculent une idéologie aux relents totalitaires.

      Réintroduire la « #race » et stigmatiser des populations dites « blanches » ou de couleur comme coupables ou victimes, c’est dénier la #complexité_psychique, ce n’est pas reconnaître l’histoire trop souvent méconnue des peuples colonisés et les traumatismes qui empêchent la transmission.

      Une idéologie qui nie ce qui fait la singularité de l’individu, nie les processus toujours singuliers de #subjectivation pour rabattre la question de l’identité sur une affaire de #déterminisme culturel et social.

      Une idéologie qui secondarise, voire ignore la primauté du vécu personnel, qui sacrifie les logiques de l’#identification à celle de l’identité unique ou radicalisée, dénie ce qui fait la spécificité de l’humain.

      Le livre de Houria Bouteldja, porte-parole du PIR, intitulé Les Blancs, les Juifs et nous. Vers une politique de l’amour révolutionnaire (La Fabrique, 2016), soutenu par des universitaires et des chercheurs du CNRS, prétend défendre les #victimes - les « indigènes » - alors qu’il nous paraît en réalité raciste, antisémite, sexiste et homophobe et soutient un islamisme politique. L’ensemble du livre tourne autour de l’idée que les descendants d’immigrés maghrébins en France, du fait de leurs origines, seraient victimes d’un “#racisme_institutionnel” - voire un #racisme_d’Etat-, lequel aboutirait à véritablement constituer des “#rapports_sociaux_racistes”.

      L’auteure s’adresse aux « Juifs » : « Vous, les Juifs » : des gens qui pour une part seraient étrangers à la « blanchité », étrangers à la « race » qui, depuis 1492, dominerait le monde (raison pour laquelle elle distingue les « Juifs » des « Blancs »), mais qui pour une autre part sont pires que les « Blancs », parce qu’ils en seraient les valets criminels.

      Fanon, auquel les décoloniaux se réfèrent, ne disait-il pas : « Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous ».

      Le #racialisme pousse à la #position_victimaire, au #sectarisme, à l’#exclusion, et finalement au #mépris ou à la #détestation du différent, et à son exclusion de fait. Il s’appuie sur une réécriture fallacieuse de l’histoire qui nie les notions de #progrès de #civilisation mais aussi des racismes et des rivalités tout aussi ancrés que le #racisme_colonialiste.

      C’est par le « #retournement_du_stigmate » que s’opère la transformation d’une #identité_subie en une #identité_revendiquée et valorisée qui ne permet pas de dépasser la « race.

      Il s’agit là, « d’#identités_meurtrières » (#Amin_Maalouf) qui prétendent se bâtir sur le meurtre de l’autre.

      Ne nous leurrons pas, ces revendications identitaires sont des revendications totalitaires, et ces #dérives_sectaires, communautaristes menacent nos #valeurs_démocratiques et républicaines en essentialisant les individus, en valorisant de manière obsessionnelle les #particularités_culturelles et en remettant à l’affiche une imagerie exotique méprisante que les puissances coloniales se sont évertuées à célébrer.

      Cette idéologie s’appuie sur ce courant multiculturaliste états-unien qu’est l’#intersectionnalité en vogue actuellement dans les départements des sciences humaines et sociales. Ce terme a été proposé par l’universitaire féministe américaine #Kimberlé_Crenshaw en 1989 afin de spécifier l’intersection entre le #sexisme et le #racisme subi par les femmes afro-américaines. La mouvance décoloniale peut s’associer aux « #postcolonial_studies » afin d’obtenir une légitimité académique et propager leur idéologie. Là où l’on croit lutter contre le racisme et l’oppression socio-économique, on favorise le #populisme et les #haines_identitaires. Ainsi, la #lutte_des_classes est devenue une #lutte_des_races.

      Des universitaires, des chercheurs, des intellectuels, des psychanalystes s’y sont ralliés en pensant ainsi lutter contre les #discriminations. C’est au contraire les exacerber.

      #Isabelle_de_Mecquenem, professeure agrégée de philosophie, a raison de rappeler que « emprise » a l’avantage de faire écho à l’article L. 141-6 du #code_de_l'éducation. Cet article dispose que « le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique (…) ». Rappelons que l’affaire Dorin à l’Université de Limoges relève d’une action sectaire (propagande envers les étudiants avec exclusion de toute critique).

      Il est impérieux que tout citoyen démocrate soit informé de la dangerosité de telles thèses afin de ne pas perdre de vue la tension irréductible entre le singulier et l’universel pour le sujet parlant. La #constitution_psychique pour Freud n’est en aucun cas un particularisme ou un communautarisme.

      Nous appelons à un effort de mémoire et de pensée critique tous ceux qui ne supportent plus ces logiques communautaristes et discriminatoires, ces processus d’#assignation_identitaire qui rattachent des individus à des catégories ethno-raciales ou de religion.

      La psychanalyse s’oppose aux idéologies qui homogénéisent et massifient.

      La psychanalyse est un universalisme, un humanisme. Elle ne saurait supporter d’enrichir tout « narcissisme des petites différences ». Au contraire, elle vise une parole vraie au profit de la singularité du sujet et de son émancipation.
      Signataires
      Céline Masson, Patrick Chemla, Rhadija Lamrani Tissot, Laurence Croix, Patricia Cotti, Laurent Le Vaguerèse, Claude Maillard, Alain Vanier, Judith Cohen-Solal, Régine Waintrater, Jean-Jacques Moscovitz, Patrick Landman, Jean-Jacques Rassial, Anne Brun, Fabienne Ankaoua, Olivier Douville, Thierry Delcourt, Patrick Belamich, Pascale Hassoun , Frédéric Rousseau, Eric Ghozlan, Danièle Rosenfeld-Katz, Catherine Saladin, Alain Abelhauser, Guy Sapriel, Silke Schauder, Kathy Saada, Marie-José Del Volgo, Angélique Gozlan, Patrick Martin-Mattera, Suzanne Ferrières-Pestureau, Patricia Attigui, Paolo Lollo, Robert Lévy, Benjamin Lévy, Houria Abdelouahed, Mohammed Ham, Patrick Guyomard, Monique Zerbib, Françoise Nielsen, Claude Guy, Simone Molina, Rachel Frouard-Guy, Françoise Neau, Yacine Amhis, Délia Kohen, Jean-Pierre Winter, Liliane Irzenski, Jean Michel Delaroche , Sarah Colin, Béatrice Chemama-Steiner, Francis Drossart, Cristina Lindenmeyer, Eric Bidaud, Eric Drouet, Marie-Frédérique Bacqué, Roland Gori, Bernard Ferry, Marie-Christine Pheulpin, Jacques Barbier, Robert Samacher, Faika Medjahed, Pierre Daviot, Laetitia Petit, David Frank Allen, Daniel Oppenheim, Marie-Claude Fourment-Aptekman, Michel Hessel, Marthe Moudiki Dubreuil, Isabelle Floch, Pierre Marie, Okba Natahi, Hélène Oppenheim-Gluckman, Daniel Sibony, Jean-Luc Gaspard, Eva Talineau, Paul Alerini, Eliane Baumfelder-Bloch, Jean-Luc Houbron, Emile Rafowicz, Louis Sciara , Fethi Benslama, Marielle David, Michelle Moreau Ricaud, Jean Baptiste Legouis, Anna Angelopoulos, Jean-François Chiantaretto , Françoise Hermon, Thierry Lamote, Sylvette Gendre-Dusuzeau, Xavier Gassmann, Guy Dana, Wladi Mamane, Graciela Prieto, Olivier Goujat, Jacques JEDWAB, Brigitte FROSIO-SIMON , Catherine Guillaume, Esther Joly , Jeanne Claire ADIDA , Christian Pierre, Jean Mirguet, Jean-Baptiste BEAUFILS, Stéphanie Gagné, Manuel Perianez, Alain Amar, Olivier Querouil, Jennifer Biget, Emmanuelle Boetsch, Michèle Péchabrier, Isabel Szpacenkopf, Madeleine Lewensztain Gagna, Michèle Péchabrier, Maria Landau, Dominique Méloni, Sylvie Quesemand Zucca

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/09/25/la-pensee-decoloniale-renforce-le-narcissisme-des-petites-differences_601292

      #pensée_décoloniale #psychanalyse #totalitarisme

    • Les sciences sociales contre la République ?

      Un collectif de revues de sciences humaines et sociales (SHS) met au défi le ministre de l’éducation nationale de trouver dans ses publications des textes permettant de dire que l’intersectionnalité inspire le terrorisme islamiste.

      Dans le JDD du 25 octobre, le ministre de l’éducation nationale déclarait qu’il y avait, dans les universités, un combat à mener. Contre l’appauvrissement de l’enseignement supérieur ? Contre la précarité étudiante ? Contre les difficultés croissantes que rencontrent tous les personnels, précaires et titulaires, enseignants et administratifs, à remplir leurs missions ? Contre la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), qui va amplifier ces difficultés ? Non : contre « une partie non négligeable des sciences sociales françaises ». Et le ministre, téméraire : face à cette « #gangrène », il faut cesser la « #lâcheté ».

      On reste abasourdi qu’un ministre de l’#éducation_nationale s’en prenne ainsi à celles et ceux qui font fonctionner les universités. Mais pour aberrants qu’ils soient, ces propos n’étonnent pas tout à fait : déjà tenus, sur Europe 1 et au Sénat, ils prolongent ceux d’Emmanuel Macron, en juin 2020, dans Le Monde, qui accusait les universitaires d’ethniciser la question sociale et de « casser la République en deux ». Plutôt que de se porter garant des libertés académiques, attaquées de toutes parts, notamment dans le cadre du débat parlementaire actuel, Jean-Michel Blanquer se saisit de l’assassinat d’un professeur d’histoire et géographie pour déclarer la guerre aux sciences sociales, qui défendraient des thèses autorisant les violences islamistes ! Sa conviction est faite : ce qui pourrit les universités françaises, ce sont les « thèses intersectionnelles », venues des « universités américaines » et qui « veulent essentialiser » les communautés.

      Ignorance ministérielle

      Le ministre « défie quiconque » de le contredire. Puisque les revues scientifiques sont, avec les laboratoires et les universités, les lieux d’élaboration des sciences sociales, de leurs controverses, de la diffusion de leurs résultats, c’est à ce titre que nous souhaitons mener cette contradiction, ses propos révélant son ignorance de nos disciplines, de leurs débats et de leurs méthodes.

      La démarche scientifique vise à décrire, analyser, comprendre la société et non à décréter ce qu’elle doit être. Les méthodes des sciences sociales, depuis leur émergence avec Emile Durkheim dans le contexte républicain français, s’accordent à expliquer les faits sociaux par le social, précisément contre les explications par la nature ou l’essence des choses. A ce titre, elles amènent aussi à rendre visibles des divisions, des discriminations, des inégalités, même si elles contrarient. Les approches intersectionnelles ne sont pas hégémoniques dans les sciences sociales : avec d’autres approches, que, dans leur précieuse liberté, les revues font dialoguer, elles sont précisément l’un des outils critiques de la #désessentialisation du monde social. Néologisme proposé par la juriste états-unienne Kimberlé Crenshaw à la fin des années 1980, le terme « intersectionnalité » désigne en outre, dans le langage actuel des sciences sociales, un ensemble de démarches qui en réalité remontent au XIXe siècle : il s’agit d’analyser la réalité sociale en observant que les #identités_sociales se chevauchent et que les logiques de #domination sont plurielles.

      Dès 1866, Julie-Victoire Daubié, dans La Femme pauvre au XIXe siècle, montre la particularité de la situation des ouvrières, domestiques et prostituées obligées de travailler pour survivre, faisant des femmes pauvres une catégorie d’analyse pour le champ de la connaissance et de la politique, alors que lorsqu’on parlait des pauvres, on pensait surtout aux hommes ; et que lorsqu’on parlait des femmes, on pensait avant tout aux bourgeoises.

      Une politique répressive de la pensée

      Plus près de nous, l’équipe EpiCov (pour « Epidémiologie et conditions de vie »), coordonnée par la sociologue Nathalie Bajos et le démographe François Héran, vient de publier des données concernant l’exposition au Covid-19 à partir de critères multiples parmi lesquels la classe sociale, le sexe, le lieu de naissance. Une première lecture de ces données indique que les classes populaires travaillant dans la maintenance (plutôt des hommes) et dans le soin (plutôt des femmes) ont été surexposées, et que, parmi elles, on compte une surreprésentation de personnes nées hors d’Europe. Une analyse intersectionnelle cherchera à corréler ces données, entre elles et avec d’autres disponibles, pour mieux comprendre comment les #discriminations s’entrelacent dans la vie des personnes. Où sont l’essentialisation, l’encouragement au communautarisme ? Pour les chercheurs et chercheuses en sciences sociales, il s’agit simplement, à partir de données vérifiées par des méthodes scientifiques, validées entre pairs et ouvertes à la discussion, de faire leur travail.

      L’anathème que le ministre lance traduit une politique répressive de la pensée. Nous mettons M. Blanquer au défi de trouver un seul texte publié dans la bibliothèque ouverte et vivante de nos revues qui permette de dire que l’intersectionnalité inspire le #terrorisme_islamiste. Se saisir d’un mot, « intersectionnalité », pour partir en guerre contre les sciences sociales et, plus généralement, contre la liberté de penser et de comprendre la société, est une manœuvre grossière. Si elle prend, nos universités devront troquer la liberté de chercher (qui est aussi la liberté de se tromper) pour rien moins qu’une science aux ordres, un obscurantisme ministériel. On voit mal comment la République pourrait en sortir grandie.

      Le collectif des revues en lutte, constitué en janvier 2020 autour de l’opposition aux projets de LPPR et de réforme des retraites, rassemble aujourd’hui 157 revues francophones, pour l’essentiel issues des sciences humaines et sociales.

      https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/11/02/les-sciences-sociales-contre-la-republique_6058195_1650684.html

    • Academic freedom in the context of France’s new approach to ’separatism’

      From now on, academic freedom will be exercised within the limits of the values ​​of the Republic. Or not.

      For months, France has been severely weakened by a deepening economic crisis, violent social tensions, and a health crisis out of control. The barbaric assassination of history professor Samuel Paty on October 16 in a Paris suburb and the murder of Vincent Loquès, Simone Barreto Silva, Nadine Devillers in the Notre-Dame basilica in Nice on October 29 have now plunged the country into terror.

      Anger, bewilderment, fear and a need for protection took over French society. French people should have the right to remain united, to understand, to stay sharp, do everything possible not to fall into the trap set by terrorists who have only one objective: to divide them. It is up to politics to lead the effort of collective elaboration of the mourning, to ensure the unity of the country. But that’s not what is happening. Politics instead tries to silence any attempt at reflection tying itself in knots to point the finger at the culprit, or, better yet, the culprits.

      In the narrative of the French government, there are two direct or indirect sources responsible for the resurgence of terrorism: abroad, the foreign powers which finance mosques and organizations promoting the separatism of Islamic communities, and consequently - as is only logical on the perpetually slippery slope of Macronist propaganda - terrorism; at home, it is the academics.

      It is true that the October attacks coincided with tensions which have been increasing for months between France and Turkey on different fronts: Syria, Libya, Nagorno-Karabakh, and above all the Eastern Mediterranean. And it is also true that the relationship between international tensions and the resurgence of terrorism needs to be explored. However, the allusion to the relationship between the role of academics and these attacks is simply outrageous and instrumental, aimed only at discrediting the category of academics engaged in recent weeks in a desperate struggle to prevent the passing of a Research programming law, which violently redefines the methods of funding and management of research projects, the status, the prerogatives as well as the academic freedom of university professors.
      Regaining control?

      “A teacher died and other teachers are being blamed for it" wrote the sociologist Eric Fassin, alluding to a long series of attacks that have been reiterated in recent months on the French university community – a community guilty, according to Macron and his collaborators, of excessive indulgence in the face of “immigration, Islam and integration”.

      “I must regain control of these subjects”, said Emmanuel Macron a year ago to the extreme right-wing magazine Valeurs Actuelles. A few months later, in the midst of a worldwide struggle against racism and police violence, Macron, scandalized by the winds of revolt – rather than by racism and police violence in themselves – explained to Le Monde that "The academic world has been guilty. It has encouraged the ethnicization of social issues, thinking that this was a good path to go down. But the outcome can only be secessionist.” The Minister of National Education Jean-Michel Blanquer, presenting in June 2020 to the Senate’s commission of inquiry on Islamist radicalization, had evoked for his part, “the permeability of the academic world with theories that are at the antipodes of the values of the Republic and secularism”, citing specifically “the indigenist theories”.

      A few days after the homicide of Samuel Paty, in an interview with Europe 1, the minister accused academics of “intellectual complicity with terrorism”, adding that “Islamo-leftism wreaks havoc in the University”… “favoring an ideology that only spells trouble”. Explaining himself further in Le Journal Du Dimanche, on October 24, Blanquer reiterated these accusations, specifying: "There is a fight to be waged against an intellectual matrix coming from American universities and intersectional theses that want to essentialize communities and identities, at the antipodes of the Republican model, which postulates the equality between human beings, independently of their characteristics of origin, sex, religion. It is the breeding ground for a fragmentation of societies that converges with the Islamic model”.
      A Darwinian law

      Such accusations and interferences have provoked many reactions of indignation, including that of the Conférence of University Presidents. However, nothing was sufficient to see the attack off. On Friday evening, after the launch of a fast-track procedure that effectively muzzled the debate, the Senate approved the research programming law. In many respects, this is the umpteenth banal neo-liberal, or, more exactly, admittedly Darwinian, reform of the French university: precarisation of the work of teachers, concentration of the funds on a limited number of “excellent” poles and individuals, promotion of competition between individuals, institutions and countries, strengthening of the managerial management of research, weakening of national guarantee structures and, more generally, weakening of self-governance bodies.

      But this law also contains a clear and astounding plan to redefine the respective roles of science and politics. The article of the law currently in force, which very effectively and elegantly defined the meaning of academic freedom:

      “Teacher and researchers enjoy full independence and complete freedom of expression in the exercise of their teaching functions and their research activities, subject to the reservations imposed on them, in accordance with university traditions and the provisions of this code, the principles of tolerance and objectivity”, has been amended by the addition of this sentence:

      “Academic freedoms are exercised with respect for the values ​​of the Republic”

      This addition which is in itself an outrage against the principles of the separation of powers and academic freedom has been joined by an explicit reference to the events of these days:

      “The terrible tragedy in Conflans-Sainte-Honorine shows more than ever the need to preserve, within the Republic, the freedom to teach freely and to educate the citizens of tomorrow”, states the explanatory memorandum. "The purpose of this provision is to enshrine this in law so that these values, foremost among which is secularism, constitute the foundation on which academic freedoms are based and the framework in which they are expressed.”

      The emotion engendered by the murder of innocent people was therefore well and truly exploited in an ignoble manner to serve the anti-democratic objective of limiting academic freedoms and setting the choices of the subjects to be studied, as well as the “intellettual matrix” to be adopted under the surveillance today of the presidential majority and tomorrow, who knows?

      To confirm this reading of the priorities of the majority and the fears it arouses, on Sunday November 1, Thierry Coulhon, adviser to the President of the Republic was appointed, through a “Blitzkrieg”, head of the Haut Council for the Evaluation of Research and Higher Education (Hceres), the national body responsible for the evaluation of research.

      A few details of this law, including the amendment on the limits of research freedom, may still change in the joint committee to be held on November 9. But the support of academics, individuals, organizations, scholarly journals, for the Solemn appeal for the protection of academic freedom and the right to study is now more urgent and necessary than ever.

      https://www.opendemocracy.net/en/can-europe-make-it/academic-freedom-in-the-context-of-frances-new-approach-to-separatism

    • Les sciences sociales contre la République ?

      Le 2 novembre 2020, l’AG des Revues en Lutte a répondu dans Le Monde au ministre J.-M. Blanquer qui entend combattre « une partie non négligeable des sciences sociales françaises », au prétexte de la lutte anti-terroriste.

      Cette tribune, que nous reproduisons ci-dessous, rejoint de très nombreuses prises de position récentes, contre l’intervention de J.-M. Blanquer, mais aussi contre E. Macron qui accuse les universitaires de « casser la République en deux » et contre deux amendements ajoutés à la LPPR (déjà parfaitement délétère) au Sénat : « les libertés académiques s’exercent dans le respect des valeurs de la République » et « les trouble-fête iront en prison ».

      Voici quelques-unes de ces prises de position :

      - Appel solennel pour la protection des libertés académiques et du droit d’étudier, sur Academia : https://academia.hypotheses.org/27287
      - Libertés académiques : des amendements à la loi sur la recherche rejetés par des sociétés savantes, dans Le Monde : https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/11/02/libertes-academiques-des-amendements-a-la-loi-sur-la-recherche-rejetes-par-d
      – Lettre ouverte aux Parlementaires, par Facs et labos en lutte, RogueESR, Sauvons l’Université et Université Ouverte : rogueesr.fr/lettre-ouverte-lpr/
      - Communiqué de presse : retrait de 3 amendements sénatoriaux à la LPR, par le collectif des sociétés savantes académiques : https://societes-savantes.fr/communique-de-presse-retrait-de-3-amendements-senatoriaux-a-la-lpr
      – « Cette attaque contre la liberté académique est une attaque contre l’État de droit démocratique », dans Le Monde : https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/11/02/cette-attaque-contre-la-liberte-academique-est-une-attaque-contre-l-etat-de-
      - Communique de presse national, par Facs et labos en lutte, RogueESR, Sauvons l’Université et Université Ouverte : rogueesr.fr/communique_suspendre_lpr/
      - Intersectionnalité : Blanquer joue avec le feu, par Rose-Marie Lagrave : https://www.liberation.fr/debats/2020/11/03/intersectionnalite-blanquer-joue-avec-le-feu_1804309
      - Qui est complice de qui ? Les libertés académiques en péril, par Eric Fassin : https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/011120/qui-est-complice-de-qui-les-libertes-academiques-en-peril
      - Les miliciens de la pensée et la causalité diabolique, par Seloua Luste Boulbina : https://blogs.mediapart.fr/seloua-luste-boulbina/blog/021120/les-miliciens-de-la-pensee-et-la-causalite-diabolique
      - L’islamo-gauchisme : comment (ne) naît (pas) une idéologie, par Samuel Hayat : https://www.nouvelobs.com/idees/20201027.OBS35262/l-islamo-gauchisme-comment-ne-nait-pas-une-ideologie.html
      – Après Conflans : gare aux mots de la démocratie, par Olivier Compagnon : https://universiteouverte.org/2020/10/27/apres-conflans-gare-aux-mots-de-la-democratie
      – Toi qui m’appelles islamo-gauchiste, laisse-moi te dire pourquoi le lâche, c’est toi, par Alexis Dayon : https://blogs.mediapart.fr/alexis-dayon/blog/221020/toi-qui-mappelles-islamo-gauchiste-laisse-moi-te-dire-pourquoi-le-la
      - « Que le terme plaise ou non, il y a bien une islamophobie d’État en France », par Jean-François Bayart : https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/31/jean-francois-bayart-que-le-terme-plaise-ou-non-il-y-a-bien-une-islamophobie

      On peut également mentionner les nombreux numéros de revues académiques, récents ou à venir, portant sur l’intersectionnalité, cœur de l’attaque du gouvernement. Les Revues en Lutte en citent plusieurs dans un superbe fil Twitter (https://twitter.com/RevuesEnLutte/status/1321861736165711874?s=20).

      Un collectif de revues de sciences humaines et sociales (SHS) met au défi le ministre de l’éducation nationale de trouver dans ses publications des textes permettant de dire que l’intersectionnalité inspire le terrorisme islamiste.

      Tribune

      Dans le JDD du 25 octobre, le ministre de l’éducation nationale déclarait qu’il y avait, dans les universités, un combat à mener. Contre l’appauvrissement de l’enseignement supérieur ? Contre la précarité étudiante ? Contre les difficultés croissantes que rencontrent tous les personnels, précaires et titulaires, enseignants et administratifs, à remplir leurs missions ? Contre la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), qui va amplifier ces difficultés ? Non : contre « une partie non négligeable des sciences sociales françaises ». Et le ministre, téméraire : face à cette « gangrène », il faut cesser la « lâcheté ».

      On reste abasourdi qu’un ministre de l’éducation nationale s’en prenne ainsi à celles et ceux qui font fonctionner les universités. Mais pour aberrants qu’ils soient, ces propos n’étonnent pas tout à fait : déjà tenus, sur Europe 1 et au Sénat, ils prolongent ceux d’Emmanuel Macron, en juin 2020, dans Le Monde, qui accusait les universitaires d’ethniciser la question sociale et de « casser la République en deux ». Plutôt que de se porter garant des libertés académiques, attaquées de toutes parts, notamment dans le cadre du débat parlementaire actuel, Jean-Michel Blanquer se saisit de l’assassinat d’un professeur d’histoire et géographie pour déclarer la guerre aux sciences sociales, qui défendraient des thèses autorisant les violences islamistes ! Sa conviction est faite : ce qui pourrit les universités françaises, ce sont les « thèses intersectionnelles », venues des « universités américaines » et qui « veulent essentialiser » les communautés.
      Ignorance ministérielle

      Le ministre « défie quiconque » de le contredire. Puisque les revues scientifiques sont, avec les laboratoires et les universités, les lieux d’élaboration des sciences sociales, de leurs controverses, de la diffusion de leurs résultats, c’est à ce titre que nous souhaitons mener cette contradiction, ses propos révélant son ignorance de nos disciplines, de leurs débats et de leurs méthodes.

      La démarche scientifique vise à décrire, analyser, comprendre la société et non à décréter ce qu’elle doit être. Les méthodes des sciences sociales, depuis leur émergence avec Emile Durkheim dans le contexte républicain français, s’accordent à expliquer les faits sociaux par le social, précisément contre les explications par la nature ou l’essence des choses. A ce titre, elles amènent aussi à rendre visibles des divisions, des discriminations, des inégalités, même si elles contrarient. Les approches intersectionnelles ne sont pas hégémoniques dans les sciences sociales : avec d’autres approches, que, dans leur précieuse liberté, les revues font dialoguer, elles sont précisément l’un des outils critiques de la désessentialisation du monde social. Néologisme proposé par la juriste états-unienne Kimberlé Crenshaw à la fin des années 1980, le terme « intersectionnalité » désigne en outre, dans le langage actuel des sciences sociales, un ensemble de démarches qui en réalité remontent au XIXe siècle : il s’agit d’analyser la réalité sociale en observant que les identités sociales se chevauchent et que les logiques de domination sont plurielles.

      Dès 1866, Julie-Victoire Daubié, dans La Femme pauvre au XIXe siècle, montre la particularité de la situation des ouvrières, domestiques et prostituées obligées de travailler pour survivre, faisant des femmes pauvres une catégorie d’analyse pour le champ de la connaissance et de la politique, alors que lorsqu’on parlait des pauvres, on pensait surtout aux hommes ; et que lorsqu’on parlait des femmes, on pensait avant tout aux bourgeoises.
      Une politique répressive de la pensée

      Plus près de nous, l’équipe EpiCov (pour « Epidémiologie et conditions de vie »), coordonnée par la sociologue Nathalie Bajos et l’épidémiologiste Josiane Warszawski, vient de publier des données concernant l’exposition au Covid-19 à partir de critères multiples parmi lesquels la classe sociale, le sexe, le lieu de naissance. Une première lecture de ces données indique que les classes populaires travaillant dans la maintenance (plutôt des hommes) et dans le soin (plutôt des femmes) ont été surexposées, et que, parmi elles, on compte une surreprésentation de personnes nées hors d’Europe. Une analyse intersectionnelle cherchera à corréler ces données, entre elles et avec d’autres disponibles, pour mieux comprendre comment les discriminations s’entrelacent dans la vie des personnes. Où sont l’essentialisation, l’encouragement au communautarisme ? Pour les chercheurs et chercheuses en sciences sociales, il s’agit simplement, à partir de données vérifiées par des méthodes scientifiques, validées entre pairs et ouvertes à la discussion, de faire leur travail.

      L’anathème que le ministre lance traduit une politique répressive de la pensée. Nous mettons M. Blanquer au défi de trouver un seul texte publié dans la bibliothèque ouverte et vivante de nos revues qui permette de dire que l’intersectionnalité inspire le terrorisme islamiste. Se saisir d’un mot, « intersectionnalité », pour partir en guerre contre les sciences sociales et, plus généralement, contre la liberté de penser et de comprendre la société, est une manœuvre grossière. Si elle prend, nos universités devront troquer la liberté de chercher (qui est aussi la liberté de se tromper) pour rien moins qu’une science aux ordres, un obscurantisme ministériel. On voit mal comment la République pourrait en sortir grandie.

      https://universiteouverte.org/2020/11/03/les-sciences-sociales-contre-la-republique

    • Islamisme : où est le déni des universitaires   ?

      Dans une tribune publiée par « le Monde », une centaine de professeurs et de chercheurs dénoncent les « idéologies indigénistes, racialistes et décoloniales » de leurs pairs, lesquelles mèneraient au terrorisme. Les auteurs rejouent ainsi la rengaine du choc des cultures qui ne peut servir que l’extrême droite identitaire.

      Comment peut-on prétendre alerter sur les dangers, réels, cela va sans dire, de l’islamisme en se référant aux propos confus et injurieux de Jean-Michel Blanquer ? Or, une récente tribune du Monde (https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/31/une-centaine-d-universitaires-alertent-sur-l-islamisme-ce-qui-nous-menace-c-), au lieu de contribuer à une nécessaire clarification, n’a pas d’autre fonction que de soutenir un ministre qui, loin de pouvoir se prévaloir d’une quelconque expertise sur les radicalités contemporaines, mène en outre une politique régressive pour l’école, c’est-à-dire indifférente à la reproduction des inégalités socio-culturelles dont s’accommode l’idéologie méritocratique. Faire oublier cette politique en détournant l’attention, d’autres que lui l’ont fait. Il convient seulement de ne pas être dupe.

      Car que disent les auteurs (certains d’entre eux, fort estimables, ont probablement oublié de relire) ? Que « l’islamo-gauchisme », ni défini ni corrélé au moindre auteur, est l’idéologie « qui mène au pire », soit au terrorisme. Ceux qui la propagent dans nos universités, « très puissants dans l’enseignement supérieur », commettraient d’irréparables dégâts. Et l’on invoque pêle-mêle l’indigénisme, le racialisme et le décolonialisme, sans le moindre souci de complexification, ni même de définition, souci non utile tant le symptôme de la supposée gangrène serait aisément repérable : le port du voile.

      Plus de trente ans après l’affaire de Creil, et quantité de travaux sociologiques, on n’hésite donc toujours pas à nier l’équivocité de ce signe d’appartenance pour le réduire à un outil de propagande. Chercher à comprendre, au lieu de condamner, serait une manifestation de l’esprit munichois. Que la Conférence des présidents d’université (CPU) proteste contre les déclarations du ministre, en rappelant utilement la fonction des chercheurs, passe par pertes et profits, l’instance que l’on ne peut soupçonner d’un quelconque gauchisme étant probablement noyautée par des islamistes dissimulés !

      Cette tribune rejoue, une fois encore, une vieille rengaine, celle du #choc_des_civilisations : « haine des Blancs », « doxa antioccidentale », « #multiculturalisme » (!), voilà les ennemis dont les universitaires se réclameraient, ou qu’ils laisseraient prospérer, jusqu’à saper ce qui fait le prix de notre mode de vie. Au demeurant, les signataires de la présente tribune sont profondément attachés aux principes de la République et, en l’espèce, à la liberté de conscience et d’expression. C’est au nom de celle-ci qu’ils se proposent de dénoncer les approximations de leurs collègues.

      Choisir le #débat plutôt que l’#invective

      Concernant l’#indigénisme, sa principale incarnation, le Parti des indigènes de la République (PIR) a totalement échoué dans sa volonté d’être audible dans nos enceintes universitaires. Chacun sait bien que l’écho des thèses racistes, antisémites et homophobes d’#Houria_Bouteldja est voisin de zéro. Quant au #décolonialisme, auquel l’indigénisme se rattache mais qui recouvre quantités d’autres thématiques, il représente bien un corpus structuré. Néanmoins, les études sur son influence dans nos campus concluent le plus souvent à un rôle marginal. Et, quoi qu’il en soit, ses propositions méritent débat parce qu’elles se fondent sur une réalité indiscutable : celle de l’existence d’injustices « épistémiques », c’est-à-dire d’#injustices qui se caractérisent par les #inégalités d’accès, selon l’appartenance raciale ou de genre, aux positions académiques d’autorité.

      D’une façon générale, il ne fait aucun doute que la communauté scientifique a, dans le passé, largement légitimé l’idée de la supériorité des hommes sur les femmes, des Blancs sur les Noirs, des « Occidentaux » sur les autochtones, etc. Mais, à partir de ce constat, les décoloniaux refusent la possibilité d’un point de vue universaliste et objectif au profit d’une épistémologie qui aurait « une couleur et une sexualité ». Ce faisant, ils oublient #Fanon dont pourtant ils revendiquent l’héritage : « Chaque fois qu’un homme a fait triompher la dignité de l’esprit, chaque fois qu’un homme a dit non à une tentative d’asservissement de son semblable, je me suis senti solidaire de son acte. En aucune façon je ne dois tirer du passé des peuples de couleur ma vocation originelle. […] Ce n’est pas le monde noir qui me dicte ma conduite. Ma peau noire n’est pas dépositaire de valeurs spécifiques. » Nous devons choisir le débat plutôt que l’invective.

      L’obsession antimulticulturaliste

      Quant à l’obsession antimulticulturaliste (« #prêchi-prêcha », écrivent-ils), elle est ignorante de ce qu’est vraiment ce courant intellectuel. A de nombreux égards, ce dernier propose une conception de l’#intégration différente de celle cherchant à assimiler pour égaliser. Il est donc infondé de le confondre avec une vision ethno-culturelle du lien politique. Restituer à l’égal sa différence, tel est le projet du multiculturalisme, destiné en définitive à aller plus loin dans l’instauration de l’#égalité que n’était parvenue à le faire la solution républicaine classique. Le meilleur de ce projet, mais non nécessairement sa pente naturelle, est sa contribution à ce que l’un de nous nomme la « #décolonisation_des_identités » (Alain Renaut), conciliation que les crimes de la #colonisation avaient rendue extrêmement difficile. Bref, nous sommes très éloignés du « prêchi-prêcha ».

      Enfin, un mot sur la « #haine_des_Blancs ». Cette accusation est non seulement stupéfiante si elle veut rendre compte des travaux universitaires, mais elle contribue à l’#essentialisation « racialiste » qu’elle dénonce. En effet, elle donne une consistance théorique à l’apparition d’un nouveau groupe, les Blancs, qui auparavant n’était pas reconnu, et ne se reconnaissait pas, comme tel. Dès lors, en présupposant l’existence d’une idéologie racialiste anti-française, anti-blanche, on inverse les termes victimaires en faisant de la culture dominante une culture assiégée. Ce tour de passe-passe idéologique ne peut servir que l’extrême droite identitaire.

      Toutes nos remarques critiques montrent qu’au lieu d’amorcer un nécessaire débat, la tribune ici analysée témoigne du déni dont pourtant des intellectuels non clairement identifiés sont accusés. Comment interpréter ce « manifeste » autrement que comme un appel à censurer ?

      https://www.liberation.fr/debats/2020/11/04/islamisme-ou-est-le-deni-des-universitaires_1804439

    • « Les libertés sont précisément foulées aux pieds lorsqu’on en appelle à la dénonciation d’études et de pensée »

      Environ deux mille chercheurs et chercheuses dénoncent, dans une tribune au « Monde », l’appel à la police de la pensée dans les universités signé par une centaine d’universitaires en soutien aux propos de Jean-Michel Blanquer sur « l’islamo-gauchisme ».

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/11/04/les-libertes-sont-precisement-foulees-aux-pieds-lorsqu-on-en-appelle-a-la-de

    • Open Letter: the threat of academic authoritarianism – international solidarity with antiracist academics in France

      A critical response to the Manifesto signed by over 100 French academics and published in the newspaper Le Monde on 2 November 2020, after the assassination of the school teacher, Samuel Paty.

      At a time of mounting racism, white supremacism, antisemitism and violent far-right extremism, academic freedom has come under attack. The freedom to teach and research the roots and trajectories of race and racism are being perversely blamed for the very phenomena they seek to better understand. Such is the contention of a manifesto signed by over 100 French academics and published in the newspaper Le Monde on 2 November 2020. Its signatories state their agreement with French Minister of Education, Jean-Michel Blanquer, that ‘indigenist, racialist, and “decolonial” ideologies,’ imported from North America, were responsible for ‘conditioning’ the violent extremist who assassinated school teacher, Samuel Paty, on 16 October 2020.

      This claim is deeply disingenuous, and in a context where academics associated with critical race and decolonial research have recently received death threats, it is also profoundly dangerous. The scholars involved in this manifesto have readily sacrificed their credibility in order to further a manifestly false conflation between the study of racism in France and a politics of ‘Islamism’ and ‘anti-white hate’. They have launched it in a context where academic freedom in France is subject to open political interference, following a Senate amendment that redefines and limits it to being ‘exercised with respect for the values of the Republic’.

      The manifesto proposes nothing short of a McCarthyist process to be led by the French Ministry for Higher Education, Research and Innovation to weed out ‘Islamist currents’ within universities, to take a clear position on the ‘ideologies that underpin them’, and to ‘engage universities in a struggle for secularism and the Republic’ by establishing a body responsible for dealing with cases that oppose ‘Republican principles and academic freedom’. The ‘Islamogauchiste’ tag (which conflates the words ‘Islam’ and ‘leftists’) is now widely used by members of the government, large sections of the media and hostile academics. It is reminiscent of the antisemitic ‘Judeo-Bolshevism’ accusation in the 1930s which blamed the spread of communism on Jews. The ‘Islamogauchiste’ notion is particularly pernicious as it voluntarily confuses Islam (and Muslims) with Jihadist Islamists. In other words, academics who point out racism against the Muslim minority in France are branded allies of Islamist terrorists and enemies of the nation.

      This is not the only contradiction that shapes this manifesto. Its signatories appear oblivious to how its feverish tone is redolent of the antisemitic witch-hunts against so-called ‘Cultural Marxists’ that portrayed Jewish intellectuals as enemies of the state. Today’s enemies are Muslims, political antiracists, and decolonial thinkers, as well as anyone who stands with them against rampant state racism and Islamophobia.

      Further, when seen in a global context, the question of who is in fact ‘importing’ ideas from North America is worth considering. The manifesto comes on the back of the Trump administration’s executive order ‘on Combating Race and Sex Stereotyping’ which effectively bans federal government contractors or subcontractors from engaging what are characterised as ideologies that portray the United States as ‘fundamentally racist or sexist’. Quick on Trump’s heels, the British Conservative Party moved to malign Critical Race Theory as a separatist ideology that, if taught in schools, would be ‘breaking the law’.

      We are concerned about the clear double standards regarding academic freedom in the attack on critical race and decolonial scholarship mounted by the manifesto. In opposition to the actual tenets of academic freedom, the demands it makes portray any teaching and research into the history or sociology of French colonialism and institutionalised racism as an attack on academic freedom. In contrast, falsely and dangerously linking these scholarly endeavours to Islamic extremism and holding scholars responsible for brutal acts of murder, as do the signatories of the Manifesto, is presented as consistent with academic freedom.

      This is part of a global trend in which racism is protected as freedom of speech, while to express antiracist views is regarded as a violation of it. For the signatories of the manifesto – as for Donald Trump – only sanitised accounts of national histories that omit the truth about colonialism, slavery, and genocide can be antiracist. In this perverse and ahistorical vision, to engage in critical research and teaching in the interests of learning from past injustices is to engage in ‘anti-white racism’, a view that reduces racism to the thoughts of individuals, disconnecting it from the actions, laws and policies of states and institutions in societies in which racial socioeconomic inequality remains rife.

      In such an atmosphere, intellectual debate is made impossible, as any critical questioning of the role played by France in colonialism or in the current geopolitics of the Middle East or Africa, not to mention domestic state racism, is dismissed as a legitimation of Islamist violence and ‘separatism’. Under these terms, the role of political and economic elites in perpetuating racism both locally and on a global scale remains unquestioned, while those who suffer are teachers and activists attempting to improve conditions for ordinary people on the ground.

      In the interests of a real freedom, of speech and of conscience, we stand with French educators under threat from this ideologically-driven attack by politicians, commentators and select academics. It is grounded in the whitewashing of the history of race and colonialism and an Islamophobic worldview that conflates all Muslims with violence and all their defenders with so-called ‘leftist Islamism’. True academic freedom must include the right to critique the national past in the interests of securing a common future. At a time of deep polarization, spurred by elites in thrall to white supremacism, defending this freedom is more vital than ever.

      https://www.opendemocracy.net/en/can-europe-make-it/open-letter-the-threat-of-academic-authoritarianism-international-sol

    • Qui pour soutenir les « coupables de dérives intellectuelles idéologiques dans les universités » ?

      Mercredi 25 novembre 2020 : deux députés demandent la « création d’une mission d’information sur les dérives intellectuelles idéologiques dans les milieux universitaires », et le font publiquement savoir par un communiqué de presse.

      Ni la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, ni la Conférence des présidents d’université, ni l’Udice, l’association autoproclamée des dix plus grandes « universités de recherche » françaises, ne bougent le petit doigt.

      Jeudi 26 novembre 2020 : l’un des deux députés précédents, un certain Julien Aubert, se sentant pousser des ailes, décide d’aller plus loin, et dresse une liste de sept universitaires, dont un président d’université, qui ont en commun d’avoir dit sur les réseaux sociaux le dégoût que leur inspire l’idée même de « dérives intellectuelles idéologiques ». Publiant leurs photos de profils et leurs comptes Twitter personnels, le député jubile, avec le message suivant :

      « Les coupables s’autodésignent. Alors que la privation du débat, l’ostracisation et la censure est constatée par nombre de professeurs, étudiants ou intellectuels, certains se drapent dans des accusations de fascisme et de maccarthysme. »

      La ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, la Conférence des présidents d’université et l’Udice ne bougent pas davantage le petit doigt.

      Vendredi 27 novembre 2020 : L’Auref, l’Alliance des universités de recherche et de formation, qui regroupe rien de moins que 35 universités, décide de sortir du bois, et il faut la saluer. Il faut dire, aussi, que l’un de ses membres, le président de l’université de Bordeaux Montaigne, figure par les « coupables » désigné par le député Aubert. Le communiqué choisit de rester tout en rondeur : il « appelle à plus de calme et de retenue dans les propos, de dignité et de respect de l’autre dans le légitime débat public, de mobilisation sur les vrais enjeux de la France et de son université ». Mais il a le mérite, lui, d’exister.

      L’université de Rennes 2, de son côté, annonce se réserver « le droit de donner une suite juridique à cette dérive grave ». C’est en effet une vraie question, à tout le moins sur le terrain de la diffamation.

      Du côté de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, de la Conférence des présidents d’université et de l’Udice, en revanche, rien. Toujours rien. Désespérément rien.

      Ils bougeront un jour, c’est sûr, il le faudra bien, comme ils avaient bougé après les propos de Jean-Michel Blanquer sur l’islamo-gauchisme. Mais bouger comme ils le font, à la vitesse d’escargots réticents, ce n’est pas un soutien résolu et indéfectible dans la défense des libertés académiques. Ces gens ne sont tout simplement pas à la hauteur de l’Université.

      https://academia.hypotheses.org/29081

    • Chasse aux sorcières. Un député contre-attaque

      Loi recherche, libertés académiques et furie parlementaire..
      Comme elles venaient cette fois de députés, j’ai demandé au Président de l’@AssembleeNat de se saisir des attaques personnelles contre des personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche.
      Rien ne va plus.

      https://twitter.com/Sebastien_Nadot/status/1332350483437150209


      https://academia.hypotheses.org/29133

      #Sébastien_Nadot

    • La liste des coupables s’allonge. Au tour des universités ?

      Au Journal officiel de ce 3 décembre 2020, on trouve le décret portant dissolution d’un « #groupement_de_fait », l’« Association de défense des droits de l’homme – #Collectif_contre_l’islamophobie_en_France » (https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf?id=-nWvo0jS6QqmBjWn9EPe_u_AvWkqbw3aGTWSBldcbDg=). Cette association était plus connue sous le nom de « #CCIF ».

      Ce décret de #dissolution inhabituellement long – trois pages – a déjà largement été commenté et dénoncé1. Academia se permet néanmoins d’insister sur un point : il est important de lire avec attention l’argumentation de ce décret — ce qu’en droit, on nomme les motifs — et d’observer par quels sautillements logiques le gouvernement en arrive aux pires conclusions. C’est même crucial pour la communauté de l’ESR, dans un contexte bien particulier d’attaques contre les libertés académiques. Certes, ce n’est pas la même artillerie qui est déployée contre le CCIF, d’un côté, et contre les universités et les scientifiques, de l’autre ; mais les petits bonds logiques qui y conduisent présentent de très fortes ressemblances.

      Prenons le premier des motifs du décret :

      « En qualifiant d’islamophobes des mesures prises dans le but de prévenir des actions terroristes et de prévenir ou combattre des actes punis par la loi, [le CCIF] doit être regardé comme partageant, cautionnant et contribuant à propager de telles idées, au risque de susciter, en retour, des actes de haine, de violence ou de discrimination ou de créer le terrain d’actions violentes chez certains de ses sympathisants ».

      Et voyons à quelle conclusion ce motif conduit :

      « Considérant que par suite, [le CCIF] doit être regardé comme provoquant à la haine, à la discrimination et à la violence en raison de l’origine, de l’appartenance à une ethnie, à une race ou à une religion déterminée et comme propageant des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ».

      Voilà donc un raisonnement qui se déploie de manière très décomplexée. Voir de l’islamophobie dans certaines évolutions arbitraires et discriminatoires de l’action anti-terroriste, c’est, première conséquence, prendre le « risque » de susciter du terrorisme ; et dans tous les cas, cela doit, seconde conséquence, être regardé comme une provocation à la haine, à la discrimination et à la violence en raison de l’origine, de l’appartenance à une ethnie, à une race ou à une religion déterminée et comme une propagation des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence.

      Ce mode bien particulier de raisonnement appelle deux remarques.

      La première remarque a trait au choix bien précis des mots qui sont employés dans le décret de dissolution du 2 décembre 2020. Ce décret fait référence, en réalité, à deux infractions pénales :

      - Il suggère d’abord l’infraction de provocation directe à des actes de terrorisme. Au terme de l’article 421-2-5 du code pénal, en effet, « le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000€ d’amende ».
      - Il suggère ensuite l’infraction d’incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination raciale. Au terme de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, en effet, « ceux qui auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement ».

      Mais le décret ne fait que suggérer ces infractions : il en reprend des formules, mais il ne dit pas qu’elles ont été commises par le CCIF. Il ne le dit pas parce que ces infractions n’ont pas été commises. Si elles l’avaient été, des poursuites pénales auraient immédiatement été engagées. Les outils de la police administrative — ici la dissolution d’une association — viennent donc suppléer les outils de la répression pénale, en singeant ces derniers : puisque le CCIF n’était pas sérieusement attaquable devant le juge pénal, le pouvoir exécutif choisit de l’attaquer par la voie administrative, et pour cela, il mime le vocabulaire pénal, tout en s’affranchissant, évidemment, de toutes les garanties qui caractérisent le procès pénal.

      La seconde remarque est, pour les universités, la plus importante. La dissolution du CCIF est largement justifiée par des propos tenus par l’association et ses dirigeants, au titre de leur liberté d’expression et sans qu’aucune infraction pénale n’ait été commise. La Ligue des droits de l’homme l’a bien identifié dans son communiqué : avec ce décret « le gouvernement s’engage sur la voie du délit d’opinion », un délit qui, précisément, n’existe pas. Un des motifs retenus dans le décret est, de ce point de vue, significatif :

      « sous couvert de dénoncer les actes de discriminations commis contre les musulmans, [le CCIF] défend et promeut une notion d’islamophobie particulièrement large, n’hésitant pas à comptabiliser au titre des ‘actes islamophobes‘ des mesures de police administrative, voire des décisions judiciaires, prises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ».

      Ainsi donc, qualifier des pans de la lutte contre le terrorisme d’actes « islamophobes » est désormais interdit. Ce n’est pas interdit sur le plan pénal ; mais c’est sanctionné par le pouvoir exécutif, qui use pour cela de ses outils de police administrative.
      Quels enseignements pour l’enseignement supérieur et la recherche ?

      Ces petits bonds logiques grâce auxquels Emmanuel Macron, Jean Castex et Gérald Darmanin, les trois signataires du décret, justifient des atteintes à la libre expression sont évidemment inquiétants quant à l’état général des droits et libertés en France. Or, on observe quelques tressaillements du même ordre du côté de l’enseignement supérieur et de la recherche, et c’est sur ce point que nous aimerions insister à présent. Bien sûr, la situation du CCIF et celle de l’ESR restent incomparables, dans la mesure où, du côté de l’ESR, la grande machinerie de la police administrative n’a pas été mise en branle comme elle l’a été pour le CCIF. En revanche, des petits bonds logiques du même ordre que ceux dont le CCIF a été victime se multiplient jusqu’au sein des plus prestigieux établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Plus inquiétant encore, ils se diffusent dans des cercles de plus en plus officiels au parlement et au gouvernement.

      L’établissement de relations entre des recherches scientifiques, d’un côté, et des qualifications pénales, de l’autre, sans pour autant que le moindre début de délit ne puisse être établi, se retrouve désormais couramment sous la plume de certain·es universitaires. Nathalie Heinich, directrice de recherche CNRS (classe exceptionnelle), membre du Centre de recherches sur les arts et le langage (CNRS/ EHESS), s’y prête allègrement par exemple : comme elle l’a récemment déclaré au Times Higher Education2, « les affirmations des universitaires sur le ‘racisme systématique’ et le ‘racisme d’État’ sont un encouragement direct au terrorisme ». Un encouragement direct au terrorisme, dit-elle : la référence à l’article 421-2-5 du code pénal, évoqué plus haut, est à nouveau explicite. À l’instar de ce que fait le pouvoir exécutif dans le décret de dissolution du CCIF, le vocabulaire du droit pénal est appelé à la rescousse pour attaquer certaines formes d’expression, sans, pour autant, qu’aucun début d’infraction pénale ne puisse être mobilisé.

      Ces références mal contrôlées au droit pénal auxquelles se livrent certain·es universitaires ne sont pas sans effets. Elles sont désormais reprises non sans opportunisme par certaines des plus hautes autorités de l’État. C’est le cas du député Julien Aubert qui, après avoir appelé avec le président du groupe des Républicains de l’Assemblée nationale à la mise en place d’une « mission d’information sur les dérives intellectuelles idéologiques dans les milieux universitaires », dresse des listes d’universitaires qu’il désigne comme « coupables ». C’est le cas, aussi, du ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer lorsqu’il parle, à propos des universités, de « complicité intellectuelle du terrrorisme ».

      Quand un parlementaire et un ministre, l’un et l’autre de premier plan, décident de mobiliser du vocabulaire pénal et de parler de « culpabilité » et de « complicité » à propos d’universitaires, il y a lieu d’être inquiet·es. Pour Jean-Michel Blanquer, agrégé de droit public, ces références pénales se font en toute connaissance de cause, d’ailleurs, si l’on veut bien se souvenir que, dans son autre vie, il a publié des travaux très sérieux au sujet des relations entre responsabilité pénale et responsabilité politique. Notons que l’un de ses ouvrages s’appelait La responsabilité des gouvernants, ce qui, c’est le moins qu’on puisse dire, est un titre qui résonne aujourd’hui étrangement concernant le ministre Blanquer.

      Dans un tel contexte, le décret de dissolution du CCIF est riche d’enseignements et justifie ce long billet d’Academia. Résumons les choses : si le CCIF a été dissout, ce n’est pas sur la base d’infractions pénales, puisqu’il n’était pas sérieusement possible d’actionner ces infractions, alors même qu’on n’a cessé d’en étendre le champ depuis vingt ans. Si le CCIF a été dissout, c’est par des références abusives à des infractions pénales, sur la base de quoi des mesures de police administrative ont été actionnées par le pouvoir exécutif, dont les motifs, nous l’avons vu, se situent d’abord et avant tout sur le terrain de la liberté d’expression.

      Que peut-on dans ces conditions craindre pour l’enseignement supérieur et la recherche ? Dès lors que l’on observe, aujourd’hui, que des collègues et du personnel politique de premier plan singent eux aussi des infractions pénales pour critiquer des recherches scientifiques, on peut légitimement craindre qu’un mouvement de terrain du même ordre que celui dont le CCIF a été la victime se réalise s’agissant des universités. Tout y mène.

      L’exclusion du champ académique

      Ce risque ne viendra sans doute pas du droit pénal lui-même, en tout cas pas dans un premier temps. Certes, on se souvient que la loi de programmation de la recherche a déjà étendu brusquement le champ du droit pénal universitaire, avec le nouveau délit d’atteinte au bon ordre et à la tranquillité des établissements. Mais on peut espérer que ce délit ne sorte pas sans dommage du contrôle du Conseil constitutionnel ; surtout, il ne suffira pas pour attaquer les recherches qui représentent « un encouragement direct au terrorisme », pas plus que la législation pénale anti-terroriste n’a suffi pour s’attaquer aux propos du CCIF. C’est donc vers de nouvelles formes juridiques de contraintes, autres que celles que propose le droit pénal, que le débat est en train de se déplacer plus ou moins consciemment, comme il s’est déplacé pour le CCIF. La voie la plus simple, pour cela, consiste à inventer de nouvelles limites à la libre expression des enseignant·es et des chercheur·ses, afin d’exclure du champ académique, et donc du champ des libertés académiques, certains propos et certain·es collègues.

      Cette démarche d’exclusion hors du champ des libertés académiques, dont les fondements épistémologiques ne sont pas neufs3, a pris une dimension professionnelle particulière depuis quelques années. Épistémologiquement, il s’agit de « faire coupure » entre ce qui est bonne science et mauvaise science, selon un principe médical de l’amputation pour éviter la propagation de la gangrène au corps entier : certain·es rappellent ainsi régulièrement que les sciences sociales critiques ne sont pas des sciences militantes, l’invocation du « militantisme » disqualifiant la légitimité épistémologique des travaux menés par des hommes et des femmes engagé∙es. Olivier Beaud, voix écoutée et reconnue de l’association Qualité de la science française, s’exprimait ainsi dans Le Monde du 2 décembre :

      « Je refuse l’inquisition politique mais je refuse aussi le silence qui serait de la lâcheté intellectuelle et reviendrait à cautionner des universitaires dont la pratique serait de surdéterminer leurs recherches censément scientifiques (donc objectives) par des considérations lourdement idéologiques, fût-ce au motif de défendre telle ou telle minorité ».

      L’article du Monde précise ensuite les propos d’Olivier Beaud : selon lui, des universitaires « radicaux » auraient délaissé la distinction opérée par Max Weber entre le « jugement de fait », qui fonde leurs recherches, et le « jugement de valeur », qui fonde leurs opinions.

      En se référant ainsi à la « neutralité axiologique » de Max Weber, Olivier Beaud tord la pensée d’un homme profondément engagé dans la construction de l’État prussien par les sciences économiques et sociales. Par chance pour notre démonstration, la traduction commandée à Julien Freund par Raymond Aron et parue en 1963 dans un contexte de guerre froide, a fait récemment l’objet de plusieurs éditions critiques qui retraduisent en français le texte original Du métier de savant (Wissenschaft als Beruf, 1917)4. Pour celles et ceux qui ont eu accès au texte de Weber par la seule traduction française, la lecture de cette traduction révisée est très éclairante : l’universitaire, pour faire science, a besoin d’une « inspiration », qui donne un sens à son travail, notamment ses tâches calculatoires ; cette inspiration a partie liée avec une question éthique, intime et indispensable : « quelle est la vocation de la science pour l’ensemble de la vie de l’humanité ? Quelle en est la valeur ? ».

      De nos jours, il est fréquent que l’on parle d’une « sciences sans présupposés, écrit Max Weber. Une telle science existe-t-elle ? Tout dépend ce que l’on entend par là. Tout travail scientifique présuppose la validité des règles de la logique et de la méthode, ces fondements universels de notre orientation dans le monde. Ces présupposés-là sont les moins problématiques du moins pour la question particulière qui nous occupe. Mais on présuppose aussi que le résultat du travail scientifique est important au sens où il mérite d’être connu. Et c’est de là que découlent, à l’évidence, tous nos problèmes. Car ce présupposé, à son tour, ne peut être démontré par les moyens de la science. On ne peut qu’en interpréter le sens ultime, et il faut le refuser ou l’accepter selon les positions ultimes que l’on adopte à l’égard de la vie
      — Weber, 1917 [2005], p. 36

      Les problèmes que Max Weber5 repérait hier sont les nôtres aujourd’hui : certains ou certaines disqualifient le travail scientifique de leurs collègues, non à l’aune de leur qualité scientifique intrinsèque, reposant sur la qualité de la réflexion, de la documentation, de l’analyse, mais par les présupposés qui ont initié la recherche.

      Ces derniers mois, les choses sont devenues très claires de ce point de vue : il y a des recherches dont certain·es ne veulent plus.

      C’est leur scientificité même qui est déniée : ces recherches sont renvoyées à de la pure « idéologie », sans qu’aucune explication précise ne soit jamais donnée, si ce n’est la référence à une autre idéologie, qu’il s’agisse des « valeurs de la République » ou de « l’unité de la nation ». « L’unité de la nation », c’est ce à quoi renvoyait l’association Qualité de la science française dans un récent communiqué : « il fait peu de doute que se développent dans certains secteurs de l’université des mouvances différentialistes plus ou moins agressives, qui mettent en cause l’unité de la nation, et dont l’attitude envers les fondamentalismes est ambiguë ». La comparaison sémantique avec les textes académiques prônant le maccarthysme est à ce titre très éclairante, même si leur rédaction doit être replacée dans le contexte de la guerre froide6 : le caractère scandaleux de toute opération de « chasse aux sorcières » se mesure, considère-t-on alors, à l’aune des risques encourus par la nation.

      Quelle va être la suite ? Va-t-on exclure ces savant∙es contemporain∙es de l’université, qui repose pourtant sur le principe de la pluralité et du dissensus ? Va-t-on les exclure en leur déniant tout travail de production et de transmission des connaissances scientifiques, pour les rejeter du côté de la simple expression des opinions ? Le risque, derrière ce feu qu’allument certain∙es universitaires, est connu : c’est évidemment que le pouvoir politique s’en saisisse, pour en tirer des conséquences juridiques.

      Nous nous trouvons très précisément au seuil d’un mouvement de ce type aujourd’hui en France. On y a échappé de peu lors des débats sur la loi de programmation de la recherche, avec l’amendement subordonnant les libertés académiques au respect des valeurs de la République auquel la ministre Vidal avait donné, on ne le rappellera jamais assez, un « avis extrêmement favorable ».

      Dans un contexte aussi pesant, c’est avec beaucoup d’appréhension, désormais, que l’on attend, du côté de la rédaction d’Academia, l’examen du « projet de loi renforçant les principes républicains » (plus connu sous le nom de « projet de loi Séparatismes »). Plusieurs collègues ont en particulier alerté Academia sur le fait qu’un collectif dénommé Vigilance Universités échange à propos de ce projet de loi avec la ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur, chargée de la Citoyenneté, pour introduire les universités dans le champ de celui-ci. Nous craignons le pire. Cela fait plusieurs années maintenant que ces mêmes collègues propagent le sentiment d’une immense insécurité physique et de grands dangers intellectuels dans les universités, sans vouloir reconnaître qu’en conséquence de leurs propos, des personnalités politiques de premier rang, à droite et à l’extrême droite, appellent désormais à combattre les « dérives intellectuelles idéologiques » et dresse des listes de « coupables ».

      Peut-être est-il temps maintenant, pour elles et eux, de prendre conscience de leur responsabilité historique dans le mouvement de rétraction des libertés académiques en cours, à défaut d’avoir accepté de prendre la moindre position critique, lors des débats sur la loi de programmation de la recherche, sur la pénalisation des universités à laquelle ils et elles ont directement contribué par leurs propos et leurs actions.

      Il est surtout temps que l’ensemble des collègues prennent la juste mesure du danger. Il est temps que nous prenions, collectivement et clairement, position sur ce que défendre l’université veut dire.

      https://academia.hypotheses.org/29291

    • Antiracisme : la guerre des facs n’aura pas lieu

      Depuis la fin de l’automne 2018, par poussées de fièvre belliqueuse, surgissent périodiquement les tribunes, appels, articles qui mettent en garde contre un nouvel ennemi de la République : les « décoloniaux », qui « mènent la guerre des facs », écrit par exemple Étienne Girard dans Marianne, le 12 avril 2019. Des dizaines d’autres intellectuels, journalistes, personnalités publiques, ont pris la plume pour dénoncer « les obsédés de la race à la Sorbonne » (Charlie Hebdo 23 janvier 2019), les « énervés de la race » qui « martèlent leurs fameuses théories sur la race » (Le Canard Enchaîné, 24 juin 2020). Ils mettent en accusation la « stratégie hégémonique » du « décolonialisme » (Le Point, 28 novembre 2018) qui se lance « à l’assaut de l’université » (Le Nouvel Obs, 30 novembre 2018), qui « menace la liberté académique » (Le Monde, 12 avril 2019) et qui, « nouveau terrorisme intellectuel », « infiltre les universités » (La Revue des deux Mondes, 18 avril 2019) par une « grande offensive médiatique et institutionnelle » (L’Express, 26 décembre 2019), traduisant « une stratégie décoloniale de radicalité » (Le Monde, blog, 06 juillet 2020) en même temps qu’une « quête de respectabilité académique » (L’Express, 26 décembre 2019).

      La rhétorique est guerrière – et l’ennemi, puissant, organisé, déterminé, mobilisant des méthodes de guérilla, voire de « terrorisme », est déjà en passe de l’emporter, au point qu’il faut « appeler les autorités publiques, les responsables d’institutions culturelles, universitaires, scientifiques et de recherche, mais aussi la magistrature, au ressaisissement » (Le Point, 28 novembre 2018) et « sanctionner la promotion de l’idéologie coloniale » (Marianne, 26 juin 2020).

      Mais de quoi parle-t-on exactement ? Comme cela a déjà été souligné, si stratégie hégémonique il y a, elle est remarquablement peu efficace : aucun poste ni aucune chaire, dans aucun domaine de sciences humaines et sociales, n’a jamais été profilé « études postcoloniales ou décoloniales » à l’université ; pas de revue spécialisée, pas de maison d’édition ni même de collection de presses universitaires dans le domaine. Une analyse sociologique fine menée en termes de « correspondances multiples » sur plusieurs années et croisant plusieurs variables (publications, visibilité, lieux institutionnels, etc.) démontre que

      « les travaux sur la question minoritaire, la racialisation ou le postcolonial demeurent des domaines de niche […] bénéficiant d’une faible audience dans le champ académique comme dans l’espace public »
      — Inès Bouzelmat, « Le sous-champ de la question raciale dans les sciences sociales », Mouvements, 12 février 2019.

      Si guerre il y a, les deux camps en présence témoignent d’un « rapport de forces inégal » où la puissance, sinon l’hégémonie, est bien du côté du savoir contesté par « la mouvance post ou décoloniale » (L’Obs, 11 janvier 2020), qui fait figure de David contre le Goliath de l’universalisme républicain.

      De plus, il est remarquable que les combats de l’université, comme récemment contre la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche, dont le projet a été rendu public le 7 juin et qui est sur le point d’être adoptée en dépit de l’opposition explicite, massive et continue de la communauté universitaire, troublent généralement bien peu les penseurs institutionnels et les personnalités publiques. On compte sur les doigts d’une main les journalistes qui ont relayé les inquiétudes des universitaires : la vraie guerre est ailleurs. Pour les gardiens du temple, les « décoloniaux » menacent bien davantage l’université que la remise en cause des statuts des enseignants-chercheurs, la précarisation des personnels, la diminution accrue de financement récurrent et la mise en concurrence généralisée des institutions, des laboratoires et des individus. Ce n’est pas la disparition programmée du service public qui doit appeler « à la plus grande mobilisation » de la communauté universitaire (Marianne, 26 juin 2020), c’est la diffusion de « l’idéologie décoloniale ».

      C’est que cette guerre-là ne touche pas seulement l’université – sinon, qui s’en soucierait ? Comme l’a affirmé Emmanuel Macron dans des propos rapportés le 10 juin 2020 dans Le Monde, « le monde universitaire a été coupable », « il a encouragé l’ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon » et une telle stratégie « revient à casser la République en deux ». Voilà le véritable enjeu : les décoloniaux, par opportunisme et sens du « postcolonial business » (L’Express, 26 dec. 2019) ou par désir de promouvoir la haine et la division de la communauté politique, ou peut-être enfin par incompréhension et ignorance des vraies fractures sociales – par cynisme, par gauchisme ou par bêtise -, sont accusés de chercher à provoquer une « guerre des races » qui brisera la République. Ils sont ceux qui guident « les jeunes » dans les manifestations contre le racisme et les violences policières, ceux qui suscitent le déboulonnage des statues et les changements de noms des rues et places qui rendent hommage aux héros du colonialisme, ceux qui plaident pour l’introduction de statistiques ethniques afin de visibiliser les phénomènes de discrimination… C’est pourquoi, dans ces lignes de front qui se tracent, c’est bien eux qu’on prend à partie via ce « vous » populaire qu’ils incarnent comme une avant-garde : « J’exige de vous le respect. Sinon ce sera la guerre » (Marianne, 9 juillet 2020).
      Cette déclaration de guerre repose sur une confusion, un renversement et un double mensonge.

      La confusion est évidente : sont rassemblés sous une étiquette mal taillée des chercheurs et chercheuses aux positions épistémologiques précises et parfois en désaccord, qui travaillent depuis des années sur des objets dont l’importance n’est pas encore vraiment reconnue. Leur recherche, selon les règles d’usage de la discussion académique, exige de se confronter lors de séminaires, colloques et conférences où entrent en conversation les tenants de positions différentes avec les outils académiques de l’argumentation logique, de la distinction conceptuelle et de l’érudition textuelle. La « mouvance post ou décoloniale » n’existe pas. Et pour cause : les études décoloniales sont d’abord menées par des chercheuses et chercheurs latino-américains, parfois caribéens, qui diffèrent des courants postcoloniaux indiens ou, surtout, étasuniens, selon trois critères désormais bien établis : géopolitique, disciplinaire et généalogique1. Décoloniaux et postcoloniaux ne partagent ni les mêmes influences intellectuelles ni les mêmes contextes socio-économiques et culturels ; ils et elles mobilisent des outils méthodologiques différents pour poser des problèmes théoriques ou normatifs différents. Les désaccords scientifiques traversent aussi les disciplines, y compris entre celles et ceux qui sont persuadés de l’importance de s’intéresser au passé colonial pour comprendre le présent : historiens de l’esclavage et de la colonisation s’affrontent sur les aires géographiques pertinentes, sur les méthodologies de l’histoire globale ou locale, sur les sources archivistiques ou leur absence, etc. Bien loin de mettre en place des stratégies hégémoniques de domination académique, les universitaires échangent du savoir, de la connaissance, du raisonnement, avec humilité, rigueur et ténacité. Ils et elles travaillent et soumettent leurs hypothèses au test de l’évaluation par les pairs : ils font leur métier.

      Le renversement de perspective est tout aussi massif. Tout se passe comme si s’efforcer de mettre au jour les effets de domination historiquement fondés sur des rapports de race traduits dans l’organisation coloniale du monde, puis hérités de cet ordre sans être réellement déconstruits, revenait à créer ces effets de domination. Lorsque les chercheuses et chercheurs parlent de racialisation ou racisation, on leur oppose que le mot est « épouvantable » (Jean-Michel Blanquer, dans Libération, 21 novembre 2017). C’est un néologisme qui, selon la critique, ne permet pas de révéler une réalité sociale, mais qui produit, dans un geste performatif, la réalité qu’il prétend désigner.

      Or parler de groupe racisé consiste bien à nommer une réalité sociale : la catégorisation et la hiérarchisation de groupes sociaux, dans des contextes précis, en raison de facteurs visuels ou généalogiques réels ou fantasmés2. Il s’agit de chercher à expliquer, et non pas excuser, la construction, les mécanismes, les processus de reproduction de cette réalité. Parler de racialisation permet précisément de souligner que la race n’existe pas en tant que réalité biologique, de l’historiciser, la désessentialiser et la dénaturaliser. Il s’agit de produire de nouvelles ressources épistémiques pour dénoncer la hiérarchisation et l’inégalité raciales tout en évitant de reproduire les interprétations obsolètes et racistes du monde social.

      Sous la plume de ceux qui veulent « sanctionner » « l’idéologie coloniale », « supprimer les références racialistes », effacer la « nuée de concepts » qui traitent de la question raciale — non seulement dans la législation et la Constitution, mais aussi à l’université — une telle mise sous silence permettrait de supprimer le mal. Ces mots « réactivent l’idée de race » et « détournent des valeurs de liberté, égalité, fraternité qui fondent notre démocratie », affirment-ils (Le Point, 28 novembre 2018) : cessons d’utiliser ces mots abominables, et la « question sociale » sera enfin désethnicisée, la République réparée. Ils estiment sans doute qu’en France régnait l’égalité réelle jusqu’à ce que certains se mettent à dénoncer la domination raciale dont ils font l’expérience, et d’autres parviennent à admettre le privilège racial dont ils bénéficient.

      C’est là nier le travail des chercheuses et chercheurs qui, décrivant et évaluant les dominations raciales, s’efforçant de poser un diagnostic clair sur la nature et l’ampleur des inégalités qui traversent notre société, non seulement ne les créent pas, mais espèrent même contribuer à les faire disparaître. Vouloir les faire taire, c’est contribuer au racisme ordinaire en lui permettant d’avancer sous la « cape d’invisibilité » que procure l’étendard du républicanisme bafoué.

      Enfin le mensonge est double : d’une part, il consiste à faire semblant de croire qu’une poignée d’universitaires peut entraîner à elle seule les mouvements sociaux d’ampleur inédite qui ont vu le jour après le confinement pour dénoncer le racisme institutionnel et réclamer justice. C’est trop d’honneur. Trop de mépris, aussi, pour le travail de terrain des mouvements antiracistes et les associations de défense des droits qui mènent la lutte au quotidien auprès des victimes de stigmatisation et discrimination raciales. C’est enfin, surtout, être aveugle à la lame de fond qui nous emporte, à la transformation sociale massive que vit notre vieux modèle. Car d’autre part, le mensonge réside dans l’accusation selon laquelle les manifestant·es qui protestent contre le racisme et les discriminations, et réclament une participation égale et un statut paritaire dans le récit national, veulent « casse[r] la République en deux ». Or cela a été amplement souligné : les hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, racisé·es ou non, qui défilaient pour condamner les violences policières racistes en juin dernier3 chantaient ensemble La Marseillaise ; celles et ceux qui proposent de déplacer les statues des héros de la colonisation pour les muséifier le font au nom d’un hommage que la république pourrait rendre, sur ses places publiques, à d’autres héroïnes et d’autres héros français oubliés ou trop longtemps traités en objets et non en sujets politiques. La république peut être inclusive et réparée ; l’universel peut être visé — un universel concret, construit à partir des particularités et non pas en négation de celles-ci. Ce sont les fondations d’un nouvel universalisme possible qui sont en train d’être posées. Le mensonge consiste à prétendre que Cassandre veut la guerre.
      Et si ce n’était pas une guerre, mais une révolution ?

      Ce à quoi on assiste, et qui provoque la panique morale des puissants, peut se comprendre, c’est l’hypothèse faite ici, à la fois comme une révolution scientifique et comme une révolution politique, parce que les deux sont indissociables dans les sciences humaines et sociales. C’est à la fois un tournant copernicien ou changement de paradigme4, une nouvelle manière de façonner les problèmes et les solutions dans un processus discontinu de production du savoir, et le mouvement du « passage de l’idée dans l’expérience historique », la « tentative pour modeler l’acte sur une idée, pour façonner le monde dans un cadre théorique »5.

      L’ancien modèle théorique s’essouffle : les énigmes se multiplient, les exceptions ou anomalies ne confirment plus la règle mais s’accumulent pour miner l’autorité du vieux cadre interprétatif colorblind de notre monde social. Trop d’injustices sociales débordent le modèle de la lutte des classes, les inégalités socio-économiques à elles seules n’expliquent pas toutes les différences de trajectoire collective ou individuelle, les différences culturelles se naturalisent, l’écart se creuse et se visibilise entre les idéaux de la république et la réalité sociologique de leur mise en œuvre – y compris institutionnelle. L’épaisseur de l’histoire esclavagiste et coloniale pèse sur le mythe du contrat social républicain établi entre des partenaires égaux consentant librement à « faire peuple », ensemble. Ce qui est requis, ce n’est donc pas simplement une nouvelle grille de lecture à appliquer sur des données par ailleurs bien connues : c’est la manière même de voir le monde qui change, ce sont de nouveaux positionnements, de nouvelles perspectives, de nouvelles perceptions, la mise au jour de nouvelles archives, les témoignages de nouvelles voix, qui produisent des données jusque là méconnues ou ignorées, et qui entraînent l’exigence de renouveler le paradigme.

      La résistance de la vieille garde est d’autant plus désespérée que les sujets producteurs de ces nouvelles connaissances sont aussi des agents usuellement dominés et discrédités dans les circonstances « normales » du discours public. Ce sont des agents dont les idées, les ressources théoriques, les productions cognitives, souffrent d’un déficit de crédibilité dû soit à des biais ou stéréotypes négatifs qui conduisent à mettre en doute leur capacité à produire un discours valide, rationnel et raisonnable, sur leurs expériences singulières, soit à un excès de crédibilité accordé à d’autres agents dissonants, au témoignage ou à l’analyse desquels on a tendance à accorder une confiance supérieure. Racialisation, discrimination systémique, privilège blanc, stigmatisation raciale, parmi d’autres, sont des concepts et des ressources épistémiques précieuses pour décrire des expériences sociales, les partager, les interpréter, les évaluer, et peut-être transformer le monde où elles ont cours. Le monde universitaire n’est pas une armée de terroristes qui infiltre les lieux de savoir et casse la République en deux : le monde universitaire est l’espace institutionnel inclusif où ces agents producteurs de connaissance inédits et inaudibles peuvent participer à la production de savoirs qui nous concernent tous parce que tous, nous sommes la république. La guerre des facs n’aura pas lieu, parce que le monde d’après est déjà là : les monstres, et leurs derniers gémissements, disparaissent avec le clair-obscur.

      https://academia.hypotheses.org/29341

    • Academic Freedom Under Attack in France

      For many years, in what now seems the distant past, France was known as the nation that welcomed refugees from authoritarian countries; revolutionary activists, artists, exiled politicians, dissident students, could find sustenance and support in the land of liberty, equality, and fraternity. It is also the country whose philosophers gave us many of the tools of critical thinking, including perhaps the very word critique. In recent years—at least since the bicentennial of the French Revolution in 1989—that image has been replaced by a more disturbing one: a nation unable to decently cope (and increasingly at war) with people of color from its former colonies (black, Arab, Muslim) as well as Roma; a nation whose leaders are condemning critical studies of racial discrimination and charges of “Islamophobia” in the name of “the values of the Republic.”

      The years since the bicentennial have seen a dramatic increase in discrimination against a number of groups, but Arab/Muslims, many of them citizens (according to the settlement that ended the Algerian War) have been singled out. The charge against them has been that they practice their religion publicly, in violation of laïcité, the French version of secularism, the separation of church and state. Enshrined in a 1905 law, laïcité calls for state neutrality in matters of religion and protects individual rights of private religious conscience. Although the state is extremely supportive of Catholic religious practices (state funds support churches as a matter of preserving the national heritage, and religious schools, the majority of them Catholic, in the name of freedom of educational choice; the former president, Nicolas Sarkozy has insisted that Catholicism is an integral aspect of laïcité), Islam has been deemed a threat to the “values” upon which national unity is based.

      National unity is a peculiar concept in France, at least from an American perspective. The nation “one and indivisible” is imagined as culturally homogeneous. Anything that suggests division is scrupulously avoided. Thus there is no exact calculation of the numbers of Muslims in the French population because no official statistics are kept on racial, ethnic, or religious difference. To make those very real differences visible is thought to introduce unacceptable divisions in the representation of the unity of the national body.

      The presence of an estimated 6 to 10 million Muslims (in a country of some 67 million) has become a potent political weapon. Initially claimed by the far Right National Front party (now renamed the Rally for the Republic), the “Muslim problem” has become a concern of parties across the spectrum (in differing degrees from Right to Left). In 2003, in the face of increasing electoral success on the far Right, the conservative government of Jacques Chirac commissioned a report that redefined laïcité for the twenty-first century’s “clash of civilizations.” Titled “The New Laïcité, “ it extended the demand for neutrality from the state to its individual citizens, forbidding any display of religious affiliation in public space. Although said to be universally applicable, everyone understood this to be a policy aimed at Muslims. Thus the hijab (the Islamic headscarf) is prohibited in public schools; women are fined for wearing the niqab (the full face covering) on the streets of their towns; veiled women are prevented from serving as witnesses at weddings conducted in city halls; burkini clad women were forced to undress on some beaches in the summer of 2016….the list goes on. Women were the target of these rules and regulations (for reasons I have analyzed in my The Politics of the Veil (2007), but men, too, experience economic and social discrimination, as well as violent police surveillance in their homes and on the streets.

      In the wake of a number of horrific terrorist attacks in the name of Islam in French cities—the assassinations of the Charlie Hebdo journalists and the murders at the Bataclan theater in 2015, and most recently, in 2020, the beheading of a school teacher, Samuel Paty—all Muslims are increasingly defined as a threat to the security of the nation. The Interior Minister, Gérald Darmanin, has effectively declared war, defining not religion but Islamist ideology as “an enemy within.” Despite this careful distinction, a wartime, ethno-nationalist mentality has identified Muslims as a dangerous class. Antipathy to Muslims has become evidence of patriotism; those who argue that not all Muslims are terrorists and that discrimination against them might contribute to their radicalization, have been met with denunciations and vehement attacks. University professors are among these groups, and they have faced particularly nasty accusations of treason. The campaigns being mounted against them don’t just target individuals; in their insistence that teaching cannot deviate from “the values of the Republic,” the charges amount to a sustained attack on academic freedom.

      The call to rally around the Republic has come not only from the expected quarters—politicians and publicists on the Right—but also from the current (neo-) liberal administration and from within the academy itself. Historians, sociologists, and anthropologists who work on the history of colonialism, on issues of ethnic and racial discrimination, and who seek to account, within the problematics of their disciplines, for the inequalities evident in French society, have been labelled “islamo-gauchistes” for their presumed support for or identification with Muslims. The term is used as an insult, and it is employed regularly by intellectuals such as the philosopher Elisabeth Badinter and the feminist writer Caroline Fourest, neither of whom are considered to be on the Right. In 2018, following a conference at the University of Paris, 7, on “Racism and racial discrimination in the university,” some 80 intellectuals signed a letter condemning as “ideological” the increasing number of “racialist” university events and they called upon “the authorities” to put an end to their “use against the Republic.”

      The “authorities” have responded. In 2020, the Minister of Education, Jean-Michel Blanquer declared that anti-racist intellectuals were “complicit” in Samuel Paty’s murder. He accused “islamo-gauchistes” of “wreaking havoc” in the university. Those employing ideas of “intersectionality,” he denounced as “intellectual accomplices of terrorism.” He deemed intersectionality a pernicious import from multicultural America that “essentializes communities and identities, the antithesis of our model of the Republic.” If Muslims were “separatists,” these intellectuals were too. President Emmanuel Macron charged that “The academy is guilty. It has encouraged the ethnicization of the social question, thinking it’s a good subject to study. But, the outcome can only be secessionist. It will rebound to split the Republic in two.” In October, a bill was proposed in the Senate stating that “academic freedom must respect the values of the Republic.” And Frédérique Vidal, the Minister of Higher Education and Research, whose portfolio most directly pertains to the academy, asserted that “the values of laïcité, of the Republic, are not open for debate.”

      Although no one has yet been fired from a university position, the warning signs are clear. If the nation is at war with Islam, those who struggle to find alternatives to this divisiveness are, ironically, accused of dividing the nation. When professor of sociology (University of Paris 8) Eric Fassin was threatened on Twitter with decapitation for his “islamo-gauchiste views” by a right-wing extremist, his university president offered support (as did academic collectives from Turkey to Brazil), but there was no comment from those higher up in the education ministries. [Fassin sued and won a ruling against the man, but the court treated him not as member of a domestic, neo-Nazi, terrorist network (which he is), but as a lone aberrant individual.] Calls to rein in teachers who address racism and discrimination are widespread, and the threats of disciplinary action are particularly severe against the still relatively rare academics of color, many of whom hold junior, therefore vulnerable positions. State surveillance of research can make it difficult for those studying discrimination, as well as aspects of Islamic culture, to get access to the archives and repositories of data that they need. And then there is the self-policing that inevitably accompanies state surveillance and disapproval.

      But the resistance is impressive. There is no national organization equivalent to the AAUP in France, yet faculty have nonetheless mobilized. Courses continue to be taught, books and articles published, and conferences held on race and discrimination, and these are rightly justified as realizing the values of the Republic—those that stand for liberty and equality above all. There is a site, Université Ouverte where information on protests and other activities can be found, as well as the blog Academia with in-depth critical analyses. In response to a denunciation of their work by 100 intellectuals as “racializing” (racialiste) because it allegedly taught students to “hate whites and France,” more than 2000 academics replied this way in Le Monde: “To call the approach that examines, among other things, the impact of social, sexist, and racist oppression, ‘racialist,’ is despicable. [Racialist] signifies racist thought and regimes based on a supposed hierarchy of race….[But our] sociological and critical approach to racial questions, as the intersectional approaches so often attacked, do the opposite by exposing oppression in order to combat it.” An international letter of support for these efforts was circulated in November, 2020. It makes the case very clear: an increasingly ethno-nationalist politics is posing a dire threat to French academic freedom.

      As I write this in early 2021, the old slogan from May ’68 in France sums up the state of things: La lutte continue (the struggle goes on).

      https://academeblog.org/2021/01/05/academic-freedom-under-attack-in-france
      #Joan_Scott

    • Comment les militants décoloniaux prennent le pouvoir dans les universités
      https://seenthis.net/messages/900839

      ... où on parle notamment de ce nouveau site web :
      L’#Observatoire_du_décolonialisme_et_des_idéologies_identitaires :

      Ce site propose un regard critique, tantôt profond et parfois humoristique, sur l’émergence d’une nouvelle tendance de l’Université et de la Recherche visant à « décoloniser » les sciences qui s’enseignent. Il dénonce la déconstruction revendiquée visant à présenter des Institutions (la langue, l’école, la République, la laïcité) comme les entraves des individus. Le lecteur trouvera outre une série d’analyses et de critiques, une base de données de textes décoloniaux interrogeable en ligne, un générateur de titre de thèses automatique à partir de formes de titres, des liens d’actualités et des données sur la question et un lexique humoristique des notions-clés.

      Cet observatoire n’a pas pour but de militer, ni de prendre des positions politiques. Il a pour but d’observer et d’aider à comprendre, à lire la production littéraire, scientifique et éditoriale des études en sciences humaines ou prétendument scientifiques orientées vers le décolonialisme. Il veut surtout aider à comprendre la limite entre science et propagande.

      L’équipe :


      http://decolonialisme.fr

    • La France contaminée par les idées venues des campus américains

      Entre l’Élysée et la presse outre-Atlantique, la controverse ne s’arrête plus : « Les idées américaines menacent-elles la cohésion française ?? » s’interroge le New York Times. Le prestigieux quotidien américain revient sur une série d’observations et de déclarations entendues en France à la suite du discours d’Emmanuel Macron contre les séparatismes le 2 octobre.

      Ce jour-là, le président français avait mis en garde les universités contre « certaines théories en sciences sociales totalement importées des États-Unis d’Amérique ». L’Hexagone, affirme le New York Times, se sentirait menacé par « les idées progressistes américaines - notamment sur la race, le genre, le post-colonialisme ». Certains « politiciens, d’éminents intellectuels et nombre de journalistes français » craignent qu’elles soient « en train de saper leur société ».

      Il y a eu les déclarations de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, qui avait parlé d’un « combat à mener contre une #matrice_intellectuelle venue des universités américaines », et aussi le livre de deux éminents spécialistes des sciences sociales françaises, #Stéphane_Beaud et #Gérard_Noiriel, critiquant le principe d’#études_raciales. La virulence des réactions antiaméricaines étonne le NYT. Il note cependant :

      D’une certaine manière, c’est un combat par procuration autour de questions qui sont parmi les plus brûlantes au sein de la société française, celles notamment de l’#identité_nationale et du #partage_du_pouvoir."

      Car si, dans les universités françaises, la jeune génération de chercheurs n’est plus sur la même ligne que la précédente, la contestation de certains volets du #modèle_français est arrivée dans la société. Le journaliste américain cite plusieurs exemples, à commencer par les manifestations contre les violences policières suscitées par l’assassinat de George Floyd de juin 2020.

      [Celles-ci] remettaient en cause la non-reconnaissance institutionnelle de la race et le racisme systémique. Une génération #MeToo de féministes s’est dressée à la fois contre le pouvoir masculin et contre les féministes plus âgées. La répression qui a suivi une série d’attaques islamistes a soulevé des interrogations sur le modèle français de laïcité et l’intégration des immigrés des anciennes colonies de la France."

      Il se peut bien, estime le NYT en citant le chercheur français Éric Fassin, que derrière les attaques du gouvernement contre les universités américaines « se cachent les tensions d’une société où le pouvoir établi est bousculé ».

      https://www.courrierinternational.com/article/vu-des-etats-unis-la-france-contaminee-par-les-idees-venues-d

    • Will American Ideas Tear France Apart? Some of Its Leaders Think So

      Politicians and prominent intellectuals say social theories from the United States on race, gender and post-colonialism are a threat to French identity and the French republic.

      The threat is said to be existential. It fuels secessionism. Gnaws at national unity. Abets Islamism. Attacks France’s intellectual and cultural heritage.

      The threat? “Certain social science theories entirely imported from the United States,’’ said President Emmanuel Macron.

      French politicians, high-profile intellectuals and journalists are warning that progressive American ideas — specifically on race, gender, post-colonialism — are undermining their society. “There’s a battle to wage against an intellectual matrix from American universities,’’ warned Mr. Macron’s education minister.

      Emboldened by these comments, prominent intellectuals have banded together against what they regard as contamination by the out-of-control woke leftism of American campuses and its attendant cancel culture.

      Pitted against them is a younger, more diverse guard that considers these theories as tools to understanding the willful blind spots of an increasingly diverse nation that still recoils at the mention of race, has yet to come to terms with its colonial past and often waves away the concerns of minorities as identity politics.

      Disputes that would have otherwise attracted little attention are now blown up in the news and social media. The new director of the Paris Opera, who said on Monday he wants to diversify its staff and ban blackface, has been attacked by the far-right leader, Marine Le Pen, but also in Le Monde because, though German, he had worked in Toronto and had “soaked up American culture for 10 years.”

      The publication this month of a book critical of racial studies by two veteran social scientists, Stéphane Beaud and Gérard Noiriel, fueled criticism from younger scholars — and has received extensive news coverage. Mr. Noiriel has said that race had become a “bulldozer’’ crushing other subjects, adding, in an email, that its academic research in France was questionable because race is not recognized by the government and merely “subjective data.’’

      The fierce French debate over a handful of academic disciplines on U.S. campuses may surprise those who have witnessed the gradual decline of American influence in many corners of the world. In some ways, it is a proxy fight over some of the most combustible issues in French society, including national identity and the sharing of power. In a nation where intellectuals still hold sway, the stakes are high.

      With its echoes of the American culture wars, the battle began inside French universities but is being played out increasingly in the media. Politicians have been weighing in more and more, especially following a turbulent year during which a series of events called into question tenets of French society.

      Mass protests in France against police violence, inspired by the killing of George Floyd, challenged the official dismissal of race and systemic racism. A #MeToo generation of feminists confronted both male power and older feminists. A widespread crackdown following a series of Islamist attacks raised questions about France’s model of secularism and the integration of immigrants from its former colonies.

      Some saw the reach of American identity politics and social science theories. Some center-right lawmakers pressed for a parliamentary investigation into “ideological excesses’’ at universities and singled out “guilty’’ scholars on Twitter.

      Mr. Macron — who had shown little interest in these matters in the past but has been courting the right ahead of elections next year — jumped in last June, when he blamed universities for encouraging the “ethnicization of the social question’’ — amounting to “breaking the republic in two.’’

      “I was pleasantly astonished,’’ said Nathalie Heinich, a sociologist who last month helped create an organization against “decolonialism and identity politics.’’ Made up of established figures, many retired, the group has issued warnings about American-inspired social theories in major publications like Le Point and Le Figaro.

      For Ms. Heinich, last year’s developments came on top of activism that brought foreign disputes over cultural appropriation and blackface to French universities. At the Sorbonne, activists prevented the staging of a play by Aeschylus to protest the wearing of masks and dark makeup by white actors; elsewhere, some well-known speakers were disinvited following student pressure.

      “It was a series of incidents that was extremely traumatic to our community and that all fell under what is called cancel culture,’’ Ms. Heinich said.

      To others, the lashing out at perceived American influence revealed something else: a French establishment incapable of confronting a world in flux, especially at a time when the government’s mishandling of the coronavirus pandemic has deepened the sense of ineluctable decline of a once-great power.

      “It’s the sign of a small, frightened republic, declining, provincializing, but which in the past and to this day believes in its universal mission and which thus seeks those responsible for its decline,’’ said François Cusset, an expert on American civilization at Paris Nanterre University.

      France has long laid claim to a national identity, based on a common culture, fundamental rights and core values like equality and liberty, rejecting diversity and multiculturalism. The French often see the United States as a fractious society at war with itself.

      But far from being American, many of the leading thinkers behind theories on gender, race, post-colonialism and queer theory came from France — as well as the rest of Europe, South America, Africa and India, said Anne Garréta, a French writer who teaches literature at universities in France and at Duke.

      “It’s an entire global world of ideas that circulates,’’ she said. “It just happens that campuses that are the most cosmopolitan and most globalized at this point in history are the American ones.’’

      The French state does not compile racial statistics, which is illegal, describing it as part of its commitment to universalism and treating all citizens equally under the law. To many scholars on race, however, the reluctance is part of a long history of denying racism in France and the country’s slave-trading and colonial past.

      “What’s more French than the racial question in a country that was built around those questions?’’ said Mame-Fatou Niang, who divides her time between France and the United States, where she teaches French studies at Carnegie Mellon University.

      Ms. Niang has led a campaign to remove a fresco at France’s National Assembly, which shows two Black figures with fat red lips and bulging eyes. Her public views on race have made her a frequent target on social media, including of one of the lawmakers who pressed for an investigation into “ideological excesses’’ at universities.

      Pap Ndiaye, a historian who led efforts to establish Black studies in France, said it was no coincidence that the current wave of anti-American rhetoric began growing just as the first protests against racism and police violence took place last June.

      “There was the idea that we’re talking too much about racial questions in France,’’ he said. “That’s enough.’’

      Three Islamist attacks last fall served as a reminder that terrorism remains a threat in France. They also focused attention on another hot-button field of research: Islamophobia, which examines how hostility toward Islam in France, rooted in its colonial experience in the Muslim world, continues to shape the lives of French Muslims.

      Abdellali Hajjat, an expert on Islamophobia, said that it became increasingly difficult to focus on his subject after 2015, when devastating terror attacks hit Paris. Government funding for research dried up. Researchers on the subject were accused of being apologists for Islamists and even terrorists.

      Finding the atmosphere oppressive, Mr. Hajjat left two years ago to teach at the Free University of Brussels, in Belgium, where he said he found greater academic freedom.

      “On the question of Islamophobia, it’s only in France where there is such violent talk in rejecting the term,’’ he said.

      Mr. Macron’s education minister, Jean-Michel Blanquer, accused universities, under American influence, of being complicit with terrorists by providing the intellectual justification behind their acts.

      A group of 100 prominent scholars wrote an open letter supporting the minister and decrying theories “transferred from North American campuses” in Le Monde.

      A signatory, Gilles Kepel, an expert on Islam, said that American influence had led to “a sort of prohibition in universities to think about the phenomenon of political Islam in the name of a leftist ideology that considers it the religion of the underprivileged.’’

      Along with Islamophobia, it was through the “totally artificial importation’’ in France of the “American-style Black question” that some were trying to draw a false picture of a France guilty of “systemic racism’’ and “white privilege,’’ said Pierre-André Taguieff, a historian and a leading critic of the American influence.

      Mr. Taguieff said in an email that researchers of race, Islamophobia and post-colonialism were motivated by a “hatred of the West, as a white civilization.’’

      “The common agenda of these enemies of European civilization can be summed up in three words: decolonize, demasculate, de-Europeanize,’’ Mr. Taguieff said. “Straight white male — that’s the culprit to condemn and the enemy to eliminate.”

      Behind the attacks on American universities — led by aging white male intellectuals — lie the tensions in a society where power appears to be up for grabs, said Éric Fassin, a sociologist who was one of the first scholars to focus on race and racism in France, about 15 years ago.

      Back then, scholars on race tended to be white men like himself, he said. He said he has often been called a traitor and faced threats, most recently from a right-wing extremist who was given a four-month suspended prison sentence for threatening to decapitate him.

      But the emergence of young intellectuals — some Black or Muslim — has fueled the assault on what Mr. Fassin calls the “American boogeyman.’’

      “That’s what has turned things upside down,’’ he said. “They’re not just the objects we speak of, but they’re also the subjects who are talking.’’

      https://www.nytimes.com/2021/02/09/world/europe/france-threat-american-universities.html?searchResultPosition=5

    • Le manifeste des 100 repris par la tribune des généraux qui appellent Macron à défendre le #patriotisme...

      Qui sont donc les ennemis que ces militaires appellent à combattre pour sauver « la Patrie » ? Qui sont les agents du « délitement de la France » ? Le premier ennemi désigné reprend mot pour mot les termes de l’appel des universitaires publié le 1 novembre 2020 sous le titre de « Manifeste des 100 » : « un certain antiracisme » qui veut « la guerre raciale » au travers du « racialisme », « l’indigénisme » et les « théories décoloniales ». Le second ennemi est « l’islamisme et les hordes de banlieue » qui veulent soumettre des territoires « à des dogmes contraires à notre constitution ». Le troisième ennemi est constitué par « ces individus infiltrés et encagoulés saccagent des commerces et menacent ces mêmes forces de l’ordre » dont ils veulent faire des « boucs émissaires ».

      https://seenthis.net/messages/912643
      Et plus précisément : https://seenthis.net/messages/912643#message913950

    • « Islamo-gauchisme » à l’université : la ministre Frédérique Vidal accusée d’abus de pouvoir devant le Conseil d’Etat

      Six enseignants-chercheurs ont déposé en avril un #recours devant le #Conseil_d’Etat. La ministre de l’enseignement supérieur va devoir justifier sa décision d’ouvrir une enquête sur l’« islamo-gauchisme à l’université ».

      Qu’est devenue l’enquête sur l’ « islamo-gauchisme à l’université » voulue par la ministre de l’enseignement supérieur ? Le 14 février, Frédérique Vidal annonçait sur CNews qu’elle allait demander, « notamment au CNRS », de mener une enquête portant sur « l’ensemble des courants de recherche » en lien avec « l’islamo-gauchisme » à l’université. Deux jours plus tard, à l’Assemblée nationale, elle confirmait la mise en place d’ « un bilande l’ensemble des recherches » en vue de « distinguer ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme et de l’opinion .

      Quatre mois ont passé et c’est le silence complet. Sollicité par Le Monde à de multiples reprises, l’entourage de la ministre refuse d’indiquer si une enquête a été lancée et, le cas échéant, à qui a été confié le soin de la mener, le CNRS ayant décliné la demande.

      C’est désormais sur le terrain juridique que se joue l’affaire, six enseignants-chercheurs attaquant la ministre pour #abus_de_pouvoir. Une procédure de référé et un recours en annulation ont été introduits le 13 avril devant le Conseil d’Etat par les avocats William Bourdon et Vincent Brengarth. Les requérants demandent à Frédérique Vidal de renoncer officiellement et définitivement à cette enquête « qui bafoue les libertés académiques et menace de soumettre à un contrôle politique, au-delà des seules sciences sociales, la recherche dans son ensemble .

      Le 7 mai, le Conseil d’Etat qui a rejeté le référé a transmis la requête en annulation au ministère pour l’interroger sur sa position. « La ministre de l’enseignement supérieur dispose désormais de deux mois pour démontrer que sa décision ne constitue pas un détournement des pouvoirs et des attributions qui lui sont confiés », indiquent MM. Bourdon et Brengarth. « Info ou intox ? Les masques vont tomber. Quand on a suscité un tel émoi, il est essentiel que la ministre assume soit la décision, soit le rétropédalage », ajoute William Bourdon.

      « Police de la pensée »

      Si le Conseil d’Etat s’est déclaré incompétent, il demande au ministère des explications, souligne Fabien Jobard, l’un des requérants, chercheur au CNRS, spécialiste des questions pénales. « Il agit comme une commission d’accès aux documents administratifs en demandant à Mme Vidal de nous dire ce qu’il en est. Soit oui, une commission existe avec tel et tel membre, soit non c’est le plus probable , il n’y a pas de commission d’enquête », projette-t-il.

      Pour la requérante Fanny Gallot, maîtresse de conférences en histoire à l’université Paris-Est-Créteil, « ce recours marque le fait que les bornes ont été largement dépassées. Aujourd’hui, l’offensive est très forte et elle est autorisée par Frédérique Vidal . Ainsi, « mener des recherches sur les discriminations ethnoraciales quand on est soi-même racisé est d’emblée considéré comme se faire le porte-parole des minorités. Mener des recherches quand on est féministe, comme moi, peut être utilisé par certains pour remettre en question la scientificité de mes recherches », illustre-t-elle.

      Des étudiants de deuxième année de master qui voulaient s’inscrire en thèse hésitent à travailler sur certains sujets, notamment liés à l’intersectionnalité (qui consiste à croiser divers mécanismes de domination, liés au genre, à l’âge ou encore à la couleur de peau). « C’est une #intimidation, même s’il n’y a pas eu véritablement de commission d’enquête. Pour pouvoir assumer de parler de certains sujets, il faut être un enseignant en poste, sinon c’est trop risqué », confirme Caroline Ibos, maîtresse de conférences en science politique à l’université Rennes-II.

      Les effets sont donc « très concrets » et vont « dans le sens d’une #police_de_la_pensée », alors que sont en question des savoirs déjà marginalisés en France. « Il y a peu d’endroits où l’on peut se former en études de genre et un seul Paris-VIII qui décerne des doctorats en études de genre en France, décrit la chercheuse. Il n’y a pas de section au CNRS, ni au CNU [Conseil national des universités], c’est un champ particulièrement sous-financé et aujourd’hui le gouvernement décide de le livrer à la vindicte populaire ? »

      Fanny Gallot décrit « un climat d’angoisse » depuis les déclarations de la ministre. « Il y a des moments d’échanges académiques qui sont empêchés », comme lors d’une table ronde au mois de mars consacrée à l’intersectionnalité qui s’est déroulée dans une ambiance « électrique », rapporte-t-elle. « Je pense que je n’ai pas dit exactement ce que j’aurais dit si nous n’avions pas été trois semaines après les propos de Frédérique Vidal. Nous nous autocensurons dans une certaine mesure parce que nous avons #peur. Dans des conférences Zoom où on ne sait pas toujours qui est présent, on redoute des trolls. On ne sait plus ce que l’on peut dire en classe ou dans les séminaires », confie Fanny Gallot.

      Une #suspicion constante

      « Nous souhaitions mettre la ministre face à ses responsabilités, explique Nacira Guénif, professeure de sociologie à Paris-VIII, également requérante. On ne peut pas faire n’importe quelle déclaration sans que cela ait des implications. » Née en France de parents algériens, Nacira Guénif « travaille depuis longtemps dans ces conditions de suspicion.

      « J’ai eu un procès en imposture avant même d’avoir mon poste à l’université », narre-t-elle. Dans les années 1990, auprès de la direction des populations et des migrations, qui finançait une recherche obtenue par la jeune chercheuse après un appel d’offres, elle fait face à une « curée générale . « Je ne collais pas aux stéréotypes de la beurette, qui était précisément le sujet de ma thèse. On me reprochait de ne pas dire ce qu’on attendait de moi et cela s’est transformé en déloyauté de ma part », poursuit Nacira Guénif.

      Depuis, la suspicion de militance est constante, les promesses non tenues d’invitations dans des colloques se poursuivent et les prises à partie également. Dans la volonté de la ministre, Fabien Jobard voit « au mieux un doublon inutile et au pire, une volonté du gouvernement de substituer ou d’ajouter aux procédures scientifiques habituelles une procédure dérogatoire .

      Car, pour faire des enquêtes, il existe des commissions dans chacun des établissements, tel le comité national au CNRS, chargé d’évaluer les collègues et de recruter les nouveaux chercheurs. « C’est le principe de l’évaluation de l’action scientifique par les pairs, rappelle-t-il. Si un collègue au CNRS présente un projet visant à nous dire que le prolétariat nouveau est constitué d’islamistes et exige que le politique mette genou à terre devant lui, alors je suis suffisamment grand pour émettre un avis d’alerte sur ce collègue », illustre celui qui a siégé au comité national dans la section science politique entre 2004 et 2008.

      Lui aussi témoin d’effets concrets après l’annonce de Mme Vidal, Fabien Jobard cite le cas d’une collègue chargée de suivre plusieurs sujets pour le compte du gouvernement. « Dans le cadre de ses missions, elle travaille avec des militaires et, alors qu’elle voulait organiser un colloque, l’un d’eux s’est opposé à ce qu’il se tienne à La Sorbonne, "à cause des problèmes d’islamo-gauchisme" », relate Fabien Jobard, qui s’inquiète du discrédit jeté sur les travaux de recherche. « J’essaye de maintenir une crédibilité, mais si mes interlocuteurs habituels que sont les procureurs, les policiers et les gendarmes s’effraient de mon travail, ma relation en sera-t-elle grillée ? Vont-ils travailler uniquement avec des universités et organismes qui feront le voeu de ne pas être islamo-gauchistes ? »

      https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/06/10/islamo-gauchisme-a-l-universite-la-ministre-frederique-vidal-accusee-d-abus-

    • Ces attaques répétées contre le monde universitaire sont un chiffon rouge agité devant une opinion surchauffée par le #confusionnisme d’extrême droite qui se nourrit des frustrations sociales en les exacerbant « en même temps » avec des fantasmes identitaires et une volonté de renouer avec une certaine « grandeur » tout aussi fantasmée, lesquels fantasmes ont malheureusement contaminé une partie de la gauche nostalgique de « l’esprit des lumières » et d’une vision biaisée de la #laïcité. C’est une logique hégémonique de #reconquista pour conforter les « valeurs » mortifères héritées de l’occident gréco-romain puis chrétien. Cette logique hégémonique procède des mêmes intentions que le nazisme avec l’antisémitisme et le fantasme « judéo-bolchevique ». Quelques années après le deuxième conflit mondial, on a pu voir outre-atlantique se développer un anti-communisme propulsé par le sénateur Joseph McCarthy et plus récemment, cette logique était également à la manœuvre pendant le mandat de Trump avec pour conséquence la résurgence des mouvances issues du #suprémacisme_blanc.

      Make the Christian Occident great again ! ...

      #propagande_d'état

      (Mon propos est certainement synthétique mais c’est pourtant cela qu’évoquent les analyses d’ #Éric_Fassin)

    • #Caroline_Fourest sur LCP, 02.07.2021 :

      Journaliste : La société se racialise. A ce point-là ?
      Caroline Fourest : « En France, je peux vous dire, dans nos universités, à commencer par nos universités... regardez la façon dont les chercheurs ont réagi à une interpellation, certes peut-être trop directe et pas tout à fait bien choisie de la ministre de l’enseignement supérieur, mais il y a un corporatisme violent qui est en train de protéger le déni. D’abord, aujourd’hui quand on parle de questions qui fâchent ceux qui vous attaquent le plus violemment ce sont des chercheurs du CNRS. C’est un problème que l’alerte soit interdite. Que le fait de penser soit interdit de la part de gens qui sont des chercheurs du CNRS. Et puis il y a une très forte attraction du modèle américain qui passe évidemment par toutes les plateformes culturelles de ce modèle-là et aussi qui attire à l’université qui manque de moyen. »
      Journaliste : « Donc il y a vraiment une perméabilité »
      Caroline Fourest : « Tout le monde s’identitarise. »
      Journaliste : « Les combats idéologiques sont toujours menés par des minorités, mais est-ce que c’est toute la société ? »
      Caroline Fourest : « Toute la société s’identitarise. Version d’extrême droite évidemment ça peut donner des jeunes blancs déclassés qui vont désormais dire blancs au lieu de se dire pauvres et de se mettre ne mouvement pour essayer de lutter contre les inégalités. ça va donner des jeunes qu’au lieu de se dire ’On va lutter contre les inégalités’ se mettent à lutter par identité à l’extrême gauche »

      https://twitter.com/LCP/status/1411024030296064004

    • Un article d’avril 2021 :

      #Stéphane_Troussel : ’La République ne sait que faire des différences physiques ou des couleurs de peau multiples’

      Refusant l’affrontement qu’imposent la droite et l’extrême droite sur les réunions non mixtes, le président (PS) du conseil départemental de Seine-Saint-Denis appelle, dans une tribune au « Monde », la gauche à s’extraire d’une polémique stérile et dangereuse pour lutter véritablement contre les discriminations qui fracturent la société.

      La polémique est repartie, le brouhaha médiatique ne retombe pas. Après les outrances et les manipulations de la droite et de l’extrême droite, c’est maintenant au Sénat de surenchérir en adoptant un amendement à l’exposé des motifs caricatural au projet de loi dit « contre les #séparatismes » [celui-ci permettrait de dissoudre les associations qui organisent des réunions non mixtes racisées]. A en croire certains, sommant tous les autres de choisir leur camp, la République pourrait bien vaciller.

      Au fond, de quoi s’agit-il ? Des personnes se rassemblent pour échanger sur leurs expériences sociales douloureuses, les #discriminations vécues à partir d’un critère physique, d’une #orientation personnelle... Caractéristiques qui leur sont régulièrement renvoyées en pleine face comme une insulte : #sexisme, #racisme, #homophobie, etc. Il s’agit de paroles de victimes de racisme, de discrimination, d’inégalités. Il faut les prendre comme telles et, bien évidemment, je refuse que cela enferme les personnes concernées dans une « #victimisation » et que cela devienne une #parole_politique autrement que par son intégration unifiée contre toutes les formes de discrimination.

      Mais peu importe pour celles et ceux (Jean-Michel Blanquer, des députés et sénateurs LR, l’extrême droite...) qui ont lancé, puis alimenté la polémique. Toutes celles et tous ceux qui expriment, même avec nuance ou avec des réserves, une quelconque approbation de ces démarches, de ces expérimentations militantes, souvent transitoires, consistant à permettre de libérer la parole, sont accusés de « #dérive_séparatiste », « racialisante ».

      Artifices antiracistes

      Les gros mots sont de sortie. Les voilà lancés, jetés à une foule de commentateurs qui les voient comme un affront fait à une République censée être aveugle à la #couleur_de_peau, à la religion réelle ou supposée, au sexe... L’affrontement est en place, les camps bien délimités, chacun est sommé de choisir le sien et de laisser les nuances au vestiaire : les #racialistes d’une part, les #universalistes de l’autre. « Il faut choisir son camp, crient les repus de la haine », écrivait Albert Camus, dans son Pour une trêve civile, en 1956, en pleine guerre d’Algérie, condamnant à égalité les massacres de civils du FLN et les massacres répressifs de l’armée française.

      Cela semble ne poser de problème à personne que cette #polémique permette, à un an de la présidentielle, à la chef de l’extrême droite de se parer d’artifices antiracistes et de tenter de cohabiter, avec d’autres, dans le camp universaliste. Ici se situerait donc le débat politique de notre temps, la nouvelle #fracture : je m’y refuse. Je m’y refuse, parce que, si nous en sommes là, c’est que la gauche est tombée dans le piège tendu par la droite la plus réactionnaire et l’extrême droite qui, désormais, fixent les termes du débat et l’agenda politiques de notre pays.

      Je m’y refuse parce que, justement, la bonne question, celle qui devrait animer unanimement une gauche solidaire, droite dans ses bottes, fière de ses valeurs, cette question-là, la gauche française n’a pas su, ou pas suffisamment su, quelle réponse y apporter. Pourquoi, en France, les dispositifs républicains de lutte concrète contre les discriminations et les inégalités qui fracturent notre société piétinent ou ne s’imposent qu’au forceps (#loi_SRU [Solidarité et renouvellement urbain], #testing, #CV_anonyme, récépissé de contrôle d’identité, #droit_de_vote des étrangers aux élections locales, conventions ZEP-Sciences Po, mariage pour tous, droits des femmes...) ? Celles et ceux qui, à droite et à l’extrême droite, hurlent avec les loups ont combattu chacune de ces avancées.

      Pourtant, il n’y a qu’à se baisser pour constater le chemin qu’il reste à parcourir dans la lutte contre les #inégalités_femmes-hommes, le racisme, l’homophobie ou le #passé_colonial et ses conséquences pour les descendants des ex-pays colonisés.

      Il faudrait interdire les organisations qui reprendraient à leur compte des solutions avancées par la gauche libérale américaine, fondée sur le multiculturalisme et la valorisation des identités plurielles ? Ou bien faut-il se demander pourquoi n’opposer qu’un discours « il faut réduisons les inégalités socio-économiques pour que tout le monde ait sa chance » - ou qu’un slogan « la République, rien que la République » ? qui sonne de plus en plus creux aux oreilles de celles et ceux qui restent au bord du chemin, alors que les inégalités sociales et territoriales explosent dans notre société.

      L’#égalité_réelle

      Voilà mon explication. Oui, sans aucun doute, la République a un problème avec le #corps des individus, elle ne sait que faire de ces #différences_physiques, de ces #couleurs multiples, de ces orientations diverses, parce qu’elle a affirmé que pour traiter chacun et chacune également, elle devait être #aveugle.

      Mais, sans aucun doute également, d’autres dans la République ont détourné cette promesse d’une #égalité_républicaine, politique et donc sociale, pour exclure. Exclure les #femmes d’abord, les #pauvres ensuite, les #ouvriers, ces « classes laborieuses donc classes dangereuses », puis les #étrangers, la « #racaille » et ses « #sauvageons », venus d’ailleurs, emmenant leurs religions, leurs mémoires et leurs histoires. Et la gauche ne verrait pas cela. Elle passerait à côté de ce détournement, voire y inscrirait ses pas, au lieu de saisir le problème à bras-le-corps.

      Au lieu d’affirmer que dans ce pays, où a été défendue la République, puis la République sociale, il faut maintenant défendre la #République_citoyenne_et_universelle, la #République_métissée, la #République_de_l'égalité_réelle, en tentant de comprendre son passé, ses erreurs et ses oublis, pour regarder ensemble, tous et toutes ensemble, plus sereinement son avenir.

      Note(s) :

      Stéphane Troussel est président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/04/07/stephane-troussel-la-republique-a-un-probleme-avec-le-corps-des-individus-el

      #non-mixité

  • Jean-François Bayart : « Que le terme plaise ou non, il y a bien une islamophobie d’Etat en France »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/31/jean-francois-bayart-que-le-terme-plaise-ou-non-il-y-a-bien-une-islamophobie

    Tribune. Au lendemain des attentats de 2015, j’avais publié un petit essai, Les Fondamentalistes de l’identité (Karthala, 2016), dans lequel j’exprimais ma crainte de voir la France prise en otage par l’inimitié complémentaire entre salafistes et laïcards. Nous y voilà. L’effroi, le dégoût et la colère qu’inspirent l’assassinat de Samuel Paty et l’attentat de Nice offrent un effet d’aubaine aux idéologues qui s’arrogent le monopole de l’indignation et de la définition de la République. La dénonciation de « l’islamo-gauchisme » trahit un manque de securitas, cette tranquillité d’esprit que les stoïciens revendiquaient face au danger, et qui est l’antipode de la panique sécuritaire.

    Que le terme plaise ou non, il y a bien une islamophobie d’Etat en France, dès lors qu’un ministre de l’intérieur déclare, à propos des « Auvergnats » bien sûr, que « quand il y en a un, ça va », et que « c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes » [phrase prononcée par Brice Hortefeux en 2009], au cours d’un quinquennat qui institue un ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale.

    Il y a bien une islamophobie d’Etat lorsque sa police pratique une discrimination certes illégale, mais systémique, à l’encontre d’une partie de la jeunesse assignée à ses origines supposées musulmanes. Cet Etat n’est pas « neutre entre les religions », comme le souhaitait l’écrivain Ernest Renan [1823-1892]. Il n’a cessé, ces dernières décennies, de valoriser le christianisme et le judaïsme en développant une laïcité dite « positive » à leur égard, et de vouloir se subordonner politiquement l’islam pour le contrôler sous prétexte de l’éclairer.

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    #islamophobie

    • Au lendemain des attentats de 2015, j’avais publié un petit essai, Les Fondamentalistes de l’identité (Karthala, 2016), dans lequel j’exprimais ma crainte de voir la France prise en otage par l’inimitié complémentaire entre salafistes et laïcards. Nous y voilà. L’effroi, le dégoût et la colère qu’inspirent l’assassinat de Samuel Paty et l’attentat de Nice offrent un effet d’aubaine aux idéologues qui s’arrogent le monopole de l’indignation et de la définition de la #République. La dénonciation de « l’islamo-gauchisme » trahit un manque de #securitas, cette tranquillité d’esprit que les stoïciens revendiquaient face au danger, et qui est l’antipode de la #panique_sécuritaire.

      Que le terme plaise ou non, il y a bien une #islamophobie_d’Etat en #France, dès lors qu’un ministre de l’intérieur déclare, à propos des « Auvergnats » bien sûr, que « quand il y en a un, ça va », et que « c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes » [phrase prononcée par Brice Hortefeux en 2009], au cours d’un quinquennat qui institue un ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale.

      Il y a bien une islamophobie d’Etat lorsque sa police pratique une discrimination certes illégale, mais systémique, à l’encontre d’une partie de la jeunesse assignée à ses origines supposées musulmanes. Cet Etat n’est pas « neutre entre les religions », comme le souhaitait l’écrivain Ernest Renan [1823-1892]. Il n’a cessé, ces dernières décennies, de valoriser le christianisme et le judaïsme en développant une laïcité dite « positive » à leur égard, et de vouloir se subordonner politiquement l’islam pour le contrôler sous prétexte de l’éclairer.

      Il y a aussi une islamophobie capitaliste lorsque de grandes chaînes privées font preuve de tant de complaisance à l’égard de chroniqueurs dont la haine de l’islam est le fonds de commerce.

      Méconnaissance de l’#histoire

      Il n’est pas vrai qu’expliquer est justifier. C’est se donner les moyens d’une politique. S’en tenir à l’« islam », c’est souvent oublier d’autres facteurs. Par exemple celui de la guerre : Al-Qaida est née de celles d’Afghanistan contre l’armée soviétique (1979-1992) et de la première guerre du Golfe (1990-1991) ; Daech est née de l’occupation américaine de l’Irak, en 2003. S’interdire de le savoir, c’est remonter la machine du dieu Mars en ignorant, par exemple, que le djihadisme au Sahel nous parle moins de l’islam que d’une crise agraire. Aucune opération « Barkhane » [nom de la force française antidjihadiste au Sahel] n’apportera de solution à ce problème.

      La dénonciation de « l’islamo-gauchisme » repose sur une méconnaissance confondante de l’histoire. En ce sens, ceux qui le pourfendent sont bien la symétrie idéologique des fondamentalistes musulmans. Les uns s’inventent la Médine du Prophète de leurs rêves, les autres la IIIe République de leur passion. Outre qu’il est amusant de voir invoquer, pour « protéger les femmes de l’islam », une République qui leur a refusé le droit de vote, la conception « intransigeante » de la laïcité est un contresens. Les Pères fondateurs de la IIIe République s’en faisaient une idée « transactionnelle », récusaient l’« intransigeance », voulaient le « consensus », à l’instar de Gambetta [1838-1882]. (Re)lisez vos classiques, Manuel Valls !

      Colère devant l’hypocrisie de l’élite politique

      Et notamment la Lettre aux instituteurs (1883) de #Jules_Ferry, dans le respect que nous devons à Samuel Paty et la répugnance que nous inspire son assassin. « Avant de proposer à vos élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve, à votre connaissance, un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire », écrivait le fondateur de l’école publique.

      Mais écoutons aussi son contradicteur, non moins républicain, #Jules_Simon [1814-1896], qui préférait à l’#école_publique l’#instruction_publique, éventuellement confiée aux familles ou à l’Eglise : « Nous croyons qu’une école est assez neutre si elle permet à un athée qui s’y trouvera par hasard, sur cent élèves croyants, de sortir pendant qu’on explique leur croyance aux quatre-vingt-dix-neuf autres ». Les hommes politiques de la #IIIe_République avaient une pensée autrement plus subtile et profonde que celle de ces fondamentalistes contemporains. La IIIe République était la République des professeurs, et non celle des managers.

      Remise en cause de la #liberté_de_pensée

      L’affliction qu’éprouve le professeur que je suis, devant tant d’ignorance, s’accompagne d’un sentiment de colère. Colère devant l’#hypocrisie d’une élite politique qui, soudain, redécouvre l’enseignant et le met au cœur de son dispositif, comme elle l’a fait il y a six mois avec les infirmières, mais n’a cessé depuis quarante ans de malmener financièrement et idéologiquement l’hôpital et l’école. Colère devant le viol de la loi du 26 janvier 1984 – qui garantit aux enseignants et aux chercheurs, dans son article 57, « une entière #liberté_d’expression dans l’exercice de leurs fonctions » – par Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, quand il s’en prend aux « ravages » de l’islamo-gauchisme « à l’université ».

      Colère encore devant le vote par le Sénat, dans la nuit du 28 octobre, d’un amendement au projet de loi de programmation de la recherche (LPR) qui conditionne l’exercice des libertés académiques au « respect des valeurs de la République ». Cette dernière notion n’a jamais fait l’objet d’une définition juridique ou réglementaire. La rendre opposable à l’exercice des libertés académiques reviendrait à subordonner celles-ci aux pressions de l’opinion ou du gouvernement. L’amendement contrevient d’ailleurs au principe d’indépendance des universitaires, intégré au bloc de constitutionnalité après la décision 93-322 DC rendue par le Conseil constitutionnel, le 28 juillet 1993.
      Article réservé à nos abonnés Lire aussi Polémique après les propos de Jean-Michel Blanquer sur « l’islamo-gauchisme » à l’université

      La dénonciation de l’#islamo-gauchisme n’est que la remise en cause de la liberté de pensée. Elle révèle la consolidation d’un républicano-maccarthysme au cœur même de l’Etat et des médias. Elle signale un mouvement de fond, une sorte d’« apéro pastis » qui, tout comme le mouvement du Tea Party aux Etats-Unis, pave la voie à un avatar hexagonal du trumpisme.

      #Jean-François_Bayart

  • Après l’attentat de Conflans : ne pas se laisser diviser entre travailleurs ! | #editorial des bulletins d’entreprise LO
    https://www.lutte-ouvriere.org/editoriaux/apres-lattentat-de-conflans-ne-pas-se-laisser-diviser-entre-travaill

    L’assassinat d’un professeur de collège à #Conflans-Sainte-Honorine, décapité pour avoir montré des caricatures de #Charlie_Hebdo, nous plonge une fois de plus dans l’horreur. Une horreur et un dégoût redoublés par le fait que ces actes ignobles sont toujours utilisés par les racistes, les réactionnaires et les anti-immigrés avec, pour résultat, de diviser le monde ouvrier.

    L’acte est effroyable. Tout aussi glaçant est le processus qui a conduit et armé la main de ce jeune de 18 ans, d’origine tchétchène. Son passage à l’acte a, en effet, suivi une campagne d’agitation et de manipulation, orchestrée par la mouvance de l’#islamisme intégriste. Celle-ci a voué le professeur à la vindicte publique, en faisant passer un cours sur la liberté d’expression pour du #racisme et de l’#islamophobie.

    Ces agitateurs intégristes prétendent parler au nom des musulmans qui peuvent, à juste titre, se sentir stigmatisés et rejetés. Mais ils ne visent qu’une chose : imposer leur ordre moral à tous, à commencer par les #musulmans.

    Ils ne s’en prennent pas seulement à ce qui est enseigné à l’école. Ils veulent aussi régir la vie des musulmans et menacent qui ne suit pas le ramadan comme ils le voudraient ou qui boit de l’alcool. Ils font pression sur les musulmanes qui ne se conforment pas à leurs règles. Demain, s’ils s’enhardissent, ils s’opposeront à ceux qui écoutent de la musique ou jouent au foot. C’est ce qu’ils font dans certains pays où ils sont au pouvoir. C’est ce que l’on a vu dans les régions dominées par Daech.

    La dictature qu’ils préparent pèsera avant tout sur les classes populaires. Comme le monde occidental a ses #fascistes d’extrême droite, le monde musulman a les siens. Quand l’extrême droite identitaire utilise la peur de l’étranger, les #islamistes se servent de la religion pour dominer ce qu’ils considèrent être leur communauté.

    Les deux s’alimentent mutuellement, les deux sont des ennemis mortels des travailleurs. Et les deux sont prêts à creuser un fossé de sang et à s’imposer par la terreur. On l’a vu en Europe dans les années 1930 avec Hitler, en Algérie pendant la décennie noire des années 1990 et, récemment, en Syrie et en Irak avec Daech.

    Qu’ils viennent des rangs de l’extrême droite ou des intégristes, ceux qui prétendent limiter les libertés veulent faire de nous des moutons dociles, soumis à eux, mais aussi au patronat. Il ne s’agit pas seulement de discuter où se trouvent les limites de la #liberté_d’expression. Ce sont nos droits et nos intérêts de travailleurs qui sont menacés : la liberté de contester, de s’organiser, de revendiquer et de faire grève.

    Alors, les travailleurs doivent combattre ces deux ennemis en faisant bloc en tant que prolétaires, en s’appuyant sur leurs intérêts communs d’exploités et sur les combats qu’ils ont à mener ensemble, jour après jour.

    Comme tous les autres dirigeants politiques, Macron a appelé à l’#unité_nationale et au respect de la République. Mais derrière ces prétendues #valeurs_républicaines, il y a un ordre social contraire aux valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.

    La société ne se délite pas seulement sous les coups de boutoir de militants réactionnaires. Ces derniers ne font qu’exploiter politiquement le désarroi et l’abandon dans lesquels la crise, le chômage de masse et la misère plongent des millions de femmes et d’hommes. Les frustrations et la haine qui en découlent renouvellent en permanence le terreau de l’#intolérance, de l’#individualisme et de la violence, surtout dans les périodes de crise.

    L’ordre social capitaliste et, plus encore, la crise créent les éléments d’un engrenage mortel. Et la politique gouvernementale, systématiquement favorable aux plus riches et à la bourgeoisie contre les travailleurs, ne fait qu’accélérer le mécanisme.

    Car, que va-t-il se passer demain ? À cause de crapules fanatisées ou embrigadées par les filières terroristes, combien y aura-t-il de contrôles au faciès, de jeunes de banlieue confrontés au racisme et à la suspicion généralisée ? À cause de terroristes sous statut de réfugiés, combien de migrants fuyant les guerres et les persécutions seront rejetés ? Seuls les travailleurs, unis par-delà les différences d’origine, de nationalité et de religion, peuvent casser cet engrenage.

    La conscience de pouvoir et de devoir, ensemble, changer la société doit guider les travailleurs, car le fanatisme religieux, le #fondamentalisme, la terreur fasciste, sortent malheureusement, comme des #bêtes_immondes, du ventre de notre société. Pour mettre fin à des actes barbares tels que le #meurtre de Conflans, c’est la société elle-même qu’il nous faudra transformer.

    #capitalisme #révolution #réaction #obscurantisme

  • Faire face, avec les musulmans

    L’#obscurantisme et le #fanatisme_religieux nous mettent une fois de plus devant l’insupportable. Le soutien aux proches de l’enseignant, à la communauté éducative, à la liberté d’expression et à la laïcité ne doit pas nous conduire à une stigmatisation des musulmans. Projet de lettre à de futurs enseignants.

    Que dirai-je lundi matin, à 8h, quand je retrouverai les étudiantes et les étudiants du master "Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation" (MEEF) qui préparent le Capes de Lettres ? Que dire face à l’innommable d’un enseignant décapité ? Comment faire face à cela ? Comment porter en soi cette représentation quand on se destine au métier d’enseignant ?

    Je crois que je leur dirai d’abord que je pense à deux personnes. Bien sûr au collègue professeur d’histoire qui a perdu la vie pour avoir enseigné et fait vivre l’une de nos libertés fondamentales. Mais je leur dirai aussi que j’ai une pensée pour Ariane, une jeune étudiante du master Métiers du livre et de l’édition, qui a perdu la vie au Bataclan le 13 novembre 2015. Ne pas oublier Ariane et les 90 du Bataclan. Ne jamais oublier que l’obscurantisme s’en prend d’abord à l’#enseignement et à la #culture, au #livre et au #savoir.

    Je crois que je leur dirai ensuite qu’il y a probablement parmi eux des croyants, et peut-être des musulmans. Je rappellerai alors que nous vivons dans une République qui garantit à chacune et chacun la #liberté de conscience, la liberté de croire ou de ne pas croire, et que cette liberté implique une #égalité entre les #religions, et que par conséquent il ne saurait être question que l’une d’elle soit mise au ban de la République parce la #folie et la #barbarie de quelques sectateurs qui prétendent la défendre seraient représentatives de cette #religion. Nous devons faire face #avec_les_musulmans, pas #contre_les_musulmans.

    Je crois que j’ajouterai aussi – usant de « l’entière #liberté_d’expression » et de « l’#indépendance » à #valeur_constitutionnelle dont jouissent encore pour quelque temps les enseignants du supérieur – que toutes les #instrumentalisations - en cours et à venir - de l’acte barbare de ce 16 octobre qui ont pour objet ou pour effet de stigmatiser l’ensemble des musulmans, constituent des actes politiques irresponsables, lesquels doivent être dénoncés avec fermeté. Et que, par là même, celles et ceux qui se réclament de la République et de la Loi de 1905 pour promouvoir le concept de « #séparatisme », ne font qu’augmenter le péril qui guette notre société : une #guerre_des_religions, que quelques politiciens, tout aussi fous que les plus fous des fanatiques religieux, font tout pour aviver.

    Je crois que je leur dirai enfin que le métier d’enseignant est le plus beau qui soit, qu’il est certainement plus difficile de l’exercer aujourd’hui qu’hier, mais que c’est aussi pour cela que sa valeur n’en est que plus grande. Que cette valeur est étroitement liée à une #liberté_pédagogique qu’il faut défendre plus que jamais – y compris contre les limitations que l’État entend lui faire subir -, mais que cette liberté ne dispense pas l’enseignant d’une réflexion individuelle et collective sur les effets de nos discours et de nos pratiques, au sein et en dehors de l’École. Qu’enseigner la liberté d’expression et la #laïcité est à l’image du métier d’enseignant lui-même : beau et difficile. Et que toute #pédagogie authentique est vivante, qu’elle bouge, qu’elle n’est pas figée, qu’elle doit tenir compte de la diversité des élèves, et de leur culture. Et que tout ceci implique une formation des enseignants qui soit solide, renouvelée, permanente.

    #Pascal_Maillard

    https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/171020/faire-face-avec-les-musulmans
    #enseignement #éducation #Samuel_Paty #Conflans

  • De l’interprétation du rap par le juge judiciaire
    Philippe Piot, Gazette du Palais, le 12 février 2019
    https://www.labase-lextenso.fr/gazette-du-palais/GPL341t1

    Les propos disputés, précise la Cour de cassation, doivent être « éclairés par l’ensemble » du texte et tenir compte « du langage en usage dans le genre du rap ». Elle reconnaît qu’ils peuvent être regardés comme « outranciers, injustes ou vulgaires » mais elle retient, tout de suite, qu’ils entendent surtout « dénoncer le racisme prêté à la société française, qu’elle aurait hérité de son passé colonialiste ». Dès lors, la chambre criminelle juge qu’ils s’inscrivent « dans le contexte d’un débat d’intérêt général » qui les autorise. Pour la Cour de cassation, les extraits poursuivis ne contiennent « même implicitement, aucun appel ni exhortation à la discrimination, la haine ou la violence contre quiconque ». Dès lors, les limites à la liberté d’expression n’ont pas été dépassées.

    #Musique #Musique_et_politique #Rap #France #ZEP #Nique_La_France #Censure #racisme #colonialisme #liberté_d’expression #Justice

  • Fil de discussion autour de la #Loi_de_programmation_pluriannuelle_de_la_recherche (#LPPR) : informations autour du contenu de la loi...

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    #LPPR : En finir avec « ce stupide calcul des #192_heures du temps de service »

    « Ce stupide calcul des 192 heures du temps de service », c’est ainsi qu’un président d’université présentait la règle principale qui régit le temps de travail des #enseignants-chercheurs (EC). Sa suppression était l’objet de l’ateliers « Référentiel temps des E.C. & Compte Epargne Enseignement et Recherche : quelles évolutions ? » organisé à l’Université de Strasbourg. Ce calcul devrait être entière revu en février prochain. L’occasion de s’interroger sur les enjeux du temps de travail des enseignants-chercheurs.

    Depuis 1984 et la loi Sauvadet, les EC ont un service statutaire d’enseignement de 192 heures. En théorie, cela correspond à un mi-temps, l’autre étant consacré à la recherche. En pratique, c’est un peu plus compliqué. Un historique est disponible ici :

    La règle des 192 heures est difficile à saisir, car elle change de tout au tout selon le point de vue que l’on adopte : Université dans son ensemble, enseignants-chercheurs, dirigeants des universités ou ministère.
    Du point de vue de l’Université…

    Du point de vue de l’Université, la règle des 192 heures a deux fonctions :

    – assurer, qu’à l’Université, l’enseignement soit adossé à la recherche et la recherche à l’enseignement ;
    – assurer une base commune à tous les enseignants-chercheurs, ce qui participe à faire communauté.

    Il est ainsi assez remarquable qu’une ATER (attachée temporaire d’enseignement et de recherche) en chimie dans un IUT de campagne dispose des mêmes obligations de service qu’un professeur de Lettres de classe exceptionnelle à la Sorbonne. C’est un point commun très fort, et une des richesses principales de notre système universitaires.
    Du point de vue des enseignants-chercheurs…

    Du point de vue des enseignants-chercheurs, cette règle est souvent perçue comme une contrainte lourde et inutile. A différents moments de leur carrière, ils peuvent vouloir investir plus de temps dans l’une ou l’autre des activités. Même si cela est reconnu comme globalement bénéfique, il peut être frustrant de devoir faire cours en plein milieu d’une recherche, ou de devoir publier pendant le montage d’un cours passionnant.

    De plus, durant les 15 dernières années, les gouvernement ont démultiplié le nombre des missions des EC, et les taches administratives se sont notoirement alourdies. Ces raisons font que de nombreux dispositifs affaiblissent déjà la règles des 192h : CRCT, décharges, référentiels de tâches, équivalences horaires, heures complémentaires, etc. Au final, peu d’enseignants-chercheurs effectuent exactement 192h.

    Enfin, la contrainte administrative est souvent lourde : pour une heure d’enseignement en trop ou en moins, c’est plusieurs heures qui pourront être nécessaires pour résoudre le problème avec l’administration. Tout ceci conduit à ce que cette règles n’ait globalement pas une très bonne réputation. Ainsi, son assouplissement représente l’espoir pour les EC de :

    faire moins d’heures d’enseignement, notamment pour chercher plus, mais aussi pour enseigner mieux ;
    avoir moins de contraintes administratives ;
    avoir une meilleure reconnaissance des différentes activités, et donc une augmentation des rémunérations.

    Mais ces espoirs sont vains dans le contexte actuel. En effet, les universités ne disposent plus des marges de manœuvre permettant de baisser le nombre d’heures, de diminuer les charges ou d’augmenter les rémunérations. On pourra seulement organiser un transfert d’un EC à l’autre, opération qui intéresse avant tout les directions.
    Du point de vue des directions des universités…

    Du point de vue des directions des universités, les 192h sont une contrainte lourde. Cette règle empêche notamment d’obliger un EC à faire plus d’heures de cours, quelle que soit sa production scientifique. Elle oblige également à payer les heures de cours supplémentaires, même si le tarif est notoirement bas.

    En période d’augmentation du nombre d’étudiants et de gel des effectifs, les 192 heures peuvent apparaître comme une contrainte intenable aux yeux des directeurs de composante. Ils peuvent alors chercher à l’affaiblir afin de pouvoir « tenir les maquettes », notamment par la négociation à la baisse des référentiels et équivalences horaires.

    Pour les présidences, la règle des 192 heures empêche surtout la « bonne gestion » des personnels. Il est impossible de déployer un « management agile » avec des personnels ayant tous les mêmes obligations. Or, la masse salariale représente environ 80% du budget des universités : 160 M€ en moyenne, et jusqu’à plus de 500 M€. La moitié environ est consacrée aux enseignants-chercheurs.

    Malgré les RCE (responsabilités et compétences élargies), 40% du budget d’une université échappe donc au contrôle de sa direction. Cela peut légitimement être perçu comme une atteinte à l’autonomie de présidences s’estimant à même de mieux utiliser ces centaines de millions d’euros si elles en disposaient vraiment.
    Enfin, du point de vue du ministère…

    Du point du vue du ministère, l’enjeu des 192 heures est surtout un enjeu financier. Avec 90 000 enseignants du supérieur dont 55 000 enseignants-chercheurs, au tarif de l’heure complémentaire, chaque heure en plus représente entre 3 et 5 M€. L’enjeu est donc de taille.

    Cependant, augmenter les services uniformément serait inacceptable pour la communauté, qui risquerait de faire front commun. Il est toujours plus facile d’avoir à faire à une communauté aux intérêts divisés. Supprimer la règle des 192 heures commune à tous les EC est donc aussi un enjeu de gestion du rapport de force pesant sur les réformes.

    La fin de cette règle commune pourrait bien faire voler en éclat la communauté universitaire, déjà beaucoup fragilisée. Cette division s’avérerait extrêmement rentable des points de vue financiers et réformateurs, mais non sans de grands risques pour le bon exercice des missions et les conditions de travail.
    Un peu d’anticipation

    La règle des 192 heures est perçue de façon très différente par les différents acteurs de l’enseignement supérieur, ce qui rend les discussions très compliquées. Il y a peu de chance pour qu’elle soit sèchement supprimée, il sera tout aussi efficace de développer les dispositifs dérogatoires qui existent déjà et d’en proposer de nouveaux, en apparence -et en apparence seulement- avantageux pour les enseignants-chercheurs. On peut alors anticiper les réactions des différents acteurs suite à une dérégulation :

    Le ministère pourra justifier une baisse relative des dotations par étudiant face aux présidences, en argumentant qu’elles ont désormais l’agilité qu’elles réclamait dans la gestion des heures d’enseignement.
    Les présidences pourront (enfin) développer des stratégies d’établissement différenciantes, en clair : proposer des conditions de travail différentes d’une université à l’autre, et même d’un EC à l’autre. Caricaturalement, pour augmenter l’attractivité, on pourra officiellement permettre aux stars d’enseigner ce qu’elles souhaitent, ce qui implique que d’autres devront faire plus d’heures.
    Les enseignants-chercheurs resteront pris dans le système de pressions qu’ils entretiennent déjà eux-mêmes, et qui poussent certains à accepter toujours plus de charges sans contrepartie, pendant que d’autres évoluent toujours plus vite dans leur carrière.

    Les premiers sont ceux qui appliquent une stratégie collective, et les seconds ceux qui appliquent une stratégie individualiste. La communauté devrait donc en sortir notoirement affaiblie, ouvrant des perspective de réformes encore plus intéressantes pour les réformateurs.

    http://blog.educpros.fr/julien-gossa/2019/12/20/lppr-en-finir-avec-ce-stupide-calcul-des-192-heures-du-temps-de-servic
    #ESR #université #France #enseignement #recherche

    sur la #LPPR, voir aussi :
    https://seenthis.net/messages/816183#message816189

    • À la découpe : sur le vote de la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR)

      La Loi de programmation pluriannuelle sur la recherche, annoncée en grande pompe par le Premier Ministre Philippe en janvier 2019 , et qui a occasionnée une quantité assez considérable de travail et de textes de préparation, n’aura pas lieu.

      Pourquoi ? Parce que le Sénat n’aura pas un moment à lui consacrer en 2021. Son calendrier prévisionnel 2020 en atteste. De là à dire que les multiples dispostions bénéfiques et maléfiques qui en étaient attendues n’auront pas d’existence, il y a un pas à ne pas franchir.

      La première raison, c’est que la plupart des dispositions délétères qui apparaissaient dans quelques textes, notamment le groupe de travail n°2 “Attractivité des emplois et des carrières scientifiques“, ont pour l’essentiel été votées dans la Loi sur la transformation de la fonction publique le 6 août 2019 ; les décrets d’application de dispositifs concernant la supression des commissions paritaires, des CDI de chantier, de la rupture conventionnelle, etc. sont parus au 1e janvier 20193. Ce processus déjà largement entamé dans notre secteur par le recours abusifs aux contrats, aux vacations, a en priorité concernés les fonctions BIATSS, qui recourent à la contractualisation à hauteur de 40% des emplois. Ce sont elleux qui ont également expérimenté les CDI de chantier. En substance, dans la loi et ses décrets d’application, et en pratique, dans les politiques RH effectives, il s’agit de détruire le statut de fonctionnaire d’État.

      La seconde raison vient d’une autre loi, passée encore plus inaperçue que la première : la loi PACT. Le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises a en effet, a priori, peu de choses à voir avec la recherche fondamentale, tout particulièrement en sciences humaines et sociales. Comme on peut le lire en ligne :

      Par ce projet de loi, le Gouvernement ambitionne de “relever un défi majeur, celui de la croissance des entreprises, à toute phase de leur développement, pour renouer avec l’esprit de conquête économique” et pour cela, de transformer le modèle d’entreprise français pour “l’adapter aux réalités du XXIe siècle“.

      Cela est d’autant plus curieux que les débats parlementaires se tiennent au lendemain de la cérémonie de clôture des 80 ans du CNRS, où le Président Macron annonce la future LPPR : plusieurs interventions s’interrogent d’ailleurs sur la nécessité de prendre certaines dispositions alors que la LPPR est en cours d’élaboration. Pourtant la lecture des débats parlementaires au Sénat laisse comprendre tout autre chose4. Plusieurs articles concernent directement les chercheurs et chercheuses, leur statut, le CDI de chantier. Qui plus est, les barrières entre fonction publique et entreprises sont levées : désormais les chercheurs peuvent prendre 20% de participation au capital des entreprises, sans que la commission de déontologie est besoin d’être saisie — ce qu supprime de facto cette instance5. Comme le résume assez bien Bruno Lemaire :

      Chercheur moi-même à mes débuts, attaché à la durée puisque je travaillais sur Marcel Proust, je reconnais bien volontiers la nécessité d’offrir du temps long, mais comme ministre de l’Économie, je pense aussi que les Français sont impatients d’avoir des résultats dans le temps court. Nous concilions les deux : d’un côté, le débat ouvert par le Premier ministre, notamment sur le CNRS, de l’autre, des mesures pour faire tomber les murs entre la recherche et l’entreprise.

      On comprend mieux pourquoi, alors qu’une négociation est censée avoir cours entre la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation à la demande du Premier Ministre à propos de la LPPR, celle-ci n’aura pas lieu. Il suffit de caser quatre-cinq articles improbables dans la loi sur les retraites.

      Précisons deux points supplémentaires :

      une Loi de programmation pluriannuelle n’est pas vraiment contraignante, ainsi que le prouvent les précédentes lois de programmation sur la défense, qui n’ont jamais été respectées. C’est la loi budgétaire qui compte.
      La loi budgétaire 2019 vient d’être votée. Elle confirme une diminution supplémentaire du budget de l’ESR, comme le précise à la tribune du Sénat, Pierre Ozoulias6.
      Intervention générale de PIerre Ozoulias, sénateur,
      lors de l’examen de la loi de finance, le 29 novembre 2019. Monsieur le Président,
      Madame la Ministre,
      Mes chers collègues,

      À cette tribune, l’an passé, j’avais appelé votre vigilance sur les prodromes flagrants d’un décrochage de l’enseignement supérieur et de la science française. Les groupes de travail, chargés de la réflexion préparatoire à l’élaboration de la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche, viennent de confirmer ces inquiétudes et dressent un bilan partagé de cet état préoccupant. Notre collègue, Cédric Villani, député et président de l’OPECST, résume ce diagnostic pessimiste en deux formules : « la France n’investit pas assez dans sa recherche » et elle a « perdu du terrain » dans ce domaine.

      Depuis bientôt dix ans, les dépenses de recherche croissent moins vite que le produit intérieur brut. Elles représentaient encore 2,28 % du PIB en 2014, contre 2,19 % aujourd’hui. L’effort budgétaire de l’État dans ce domaine est médiocre et bien inférieur à celui de nos voisins européens. Les sommes investies par les entreprises pour la recherche représentent 1,4 % du PIB en France, contre 2 % en Allemagne et ce différentiel ne cesse de croître, car, en 2017, elles n’ont augmenté que de 1,7 % en France, contre 7,8 % en Allemagne et 8,7 % en Suède.

      La faiblesse chronique de ces investissements a des conséquences funestes pour l’emploi scientifique et pour l’attrait des étudiants pour les carrières scientifiques. La France est un des rares pays de l’Europe pour lequel le nombre de doctorants est en baisse constante. Cette régression doit être rapprochée de la chute drastique des recrutements par les opérateurs publics. Ainsi, pour le seul CNRS, les postes ouverts pour les chercheurs étaient de 412 en 2010, contre 240 en 2020, soit une baisse de plus de 40 % en dix ans. Dans ces conditions, c’est la validité scientifique des concours qui est fragilisée. Par découragement, de nombreux jeunes chercheurs quittent notre pays et cette fuite des cerveaux est un symptôme de plus du déclin de la science française. Je pourrais malheureusement poursuivre durant toute la durée de mon intervention l’énoncé de ces affaiblissements.

      Votre projet de budget n’ambitionne pas d’y mettre fin. Au contraire, il s’inscrit dans un cadre qui a imposé à l’enseignement supérieur et à la recherche une progression budgétaire inférieure à celle de l’État. Par-delà les effets d’annonce et la promotion de mesures nouvelles, plusieurs déficits structurels vont nécessairement continuer d’affaiblir, en 2020, la situation économique des opérateurs de la mission.

      Ainsi, l’absence de compensation du « glissement vieillesse technicité », oblige les opérateurs à réduire leur masse salariale pour le financer. Pour les universités, cette perte conduit au gel de plus de 1 200 emplois. Je regrette vivement, avec nos rapporteurs, que le Gouvernement demande au Parlement de se prononcer sur des objectifs qu’il sait inaccessibles. De la même façon, dans un contexte de hausse de la démographie estudiantine, la quasi-stabilité des moyens alloués aux universités aboutit à une baisse du budget moyen par étudiant. Ce ratio est en diminution de près d’un point tous les ans, depuis 2010. En 2018, il est estimé à 11 470 euros per capita, soit son plus bas niveau depuis 2008.

      Cette décimation de l’emploi scientifique a touché encore plus durement les opérateurs de la recherche. Ainsi, le CNRS  a perdu, en dix ans, 3 000 emplois, soit près de 11 % de ses effectifs. Mais, la non-compensation du GVT a sans doute été considérée comme une saignée trop peu indolore. Votre Gouvernement, pour aller plus vite, a donc décidé d’augmenter le niveau de la réserve de précaution de 3 % à 4 %. Le précédent de la loi de finance rectificative, adoptée cette semaine, révèle que, pour la mission de l’enseignement supérieur et de la recherche, les crédits gelés en début de gestion budgétaire sont intégralement annulés à la fin de l’année. Cher collègues, nous débattons donc d’un budget qui sera encore plus diminué l’année prochaine par les annulations.

      À  tout cela, il faut ajouter le refus du Gouvernement d’anticiper les conclusions de la récente et inédite décision du Conseil constitutionnel. Grâce à votre décret sur les droits d’inscription différenciés, les Sages ont considéré que l’enseignement supérieur était constitutif du service public de l’éducation nationale et que le principe de gratuité s’y appliquait. Le Conseil admet toutefois qu’il est loisible pour les établissements de percevoir des droits d’inscription à la condition qu’ils restent modiques par rapport aux capacités contributives des étudiants. Il n’est point besoin d’attendre l’interprétation que donnera le Conseil d’État de cette décision pour supposer qu’elle ouvre des voies de recours pour tous les étudiants qui considèrent leurs frais d’inscription disproportionnés. Ces possibles contentieux risquent de priver de nombreux établissements de ressources importantes.

      En théorie votre projet de budget apparaît en quasi stabilité, en pratique, il risque de s’avérer encore plus déficient que l’an passé. À tout le moins, il n’est pas la manifestation budgétaire d’une priorité politique pour l’enseignement supérieur et la recherche et vous en avez parfaitement conscience puisqu’il nous est demandé d’attendre le début de l’année prochaine pour connaître des ambitions du Président de la République en ces matières.

      Nous débattons donc d’un projet de budget des affaires courantes et les annonces décisives sont réservées à un autre auditoire. Il en est ainsi du budget de la recherche comme de celui de la sécurité sociale, l’essentiel n’est pas destiné à cet hémicycle !

      Ce budget est parfaitement clair et contredit exactement tous les avis émis par les différentes instances — Académie des sciences, CoCNRS, CNRS, Conférence des présidents d’université, groupes de travail préparatoires — pour appauvrir encore le budget de l’ESR. Et ce, en accroissant le Crédit impôt recherche, dispositif bien connu d’optimisation fiscale7.

      Pour ce qui est de l’application de la loi “darwinienne et inégalitaire” attendu par le président Macron et son bras droit Antoine Petit, nous n’avons pas davantage d’inquiétude. Thierry Coulhon, encore il y a peu Conseiller éducation, enseignement supérieur, recherche du Président Macron sur les questions et auteur des différentes dispositions ESR dans les projets de loi susdits, est seul candidat au Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, à même donc de distribuer les résidus de budget en fonction du “mérite” et de la “performance”.


      *

      À l’issue de la lecture au pas de charge de la trépidante actualité législative touchant enseignement supérieur et recherche, affirmons simplement :

      L’Université est morte
      Vive l’Université

      https://academia.hypotheses.org/7164

    • La commission permanente du Conseil National des Universités vote à l’unanimité une motion sur la LPPR

      La commission permanente du #CNU, réunie le mardi 7 janvier 2020 à Paris en vue de l’installation de son bureau, rappelle son attachement aux missions nationales du CNU, instance garante d’équité, d’impartialité, d’expertise et de collégialité dans l’appréciation des différents aspects de la carrière des enseignants-chercheurs.

      L’assemblée s’alarme de certains éléments évoqués dans les rapports préalables au futur projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche : la suppression de la procédure de qualification, de la clause d’accord des intéressés pour la modulation des services, de la référence aux 192 heures (équivalent TD) d’enseignement et donc de la rémunération des heures complémentaires, ainsi que la création de nouveaux contrats de travail d’exception aux dispositions statutaires.

      Si elles devaient obtenir force de loi, ces dispositions équivaudraient à une remise en cause du statut d’enseignant-chercheur et des fonctions du CNU.

      L’assemblée demande instamment que la CP-CNU soit désormais associée à la réflexion sur la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche.

      NPPV : 0
      ABST : 0
      CONTRE : 0
      POUR : unanimité des présents

      https://academia.hypotheses.org/category/politique-de-la-recherche/lppr-notre-avenir

    • “La dénomination « maître de conférences » n’est pas valorisante” : sur la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche

      Les groupes de travail en préparation de la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche, dont le vote est prévue au printemps 2020, ont rendu leurs rapports respectifs en septembre 2019. Ils retrouvent une certaine actualité à l’occasion des la polémique lancée par Antoine Petit, président-directeur général du CNRS et d’Emmanuel Macron, président de la République.

      Le rapport du Groupe de travail n°2, “Attractivité des emplois et des carrières scientifiques“, dirigé par Philippe Berta, Philippe Mauguin, Manuel Tunon de Lara1 , commence par un constat simple :

      le niveau de rémunération des emplois de l’ESR, notamment en début de carrière, est très insuffisant, inférieur de près de 40% à la moyenne de l’OCDE. Il est aussi inférieur de près de 35% aux rémunérations des autres corps de rang A de la fonction publique et de plus de 20% de la fonction privée. Le constat n’est pas différent, sinon pire, pour les personnels administratifs et techniques.

      Le niveau de rémunération faible est à mettre en regard des moyens, là aussi largement insuffisant. “Or, a indiqué un chercheur français désormais parti à l’étranger, « les moyens, c’est une façon de dire aux gens que ce qu’ils font est important ». (p.21).

      le nombre d’emplois pérennes a drastiquement diminé depuis 2012

      C’est vrai pour les EPST (-7,8% en 6 ans), comme pour les Universités où le nombre d’enseignants-chercheurs est resté stable alors que les effectifs croissaient. Désormais un tiers des enseignements à l’Université est assuré par des contractuel.les ou des PRAG.
      L’emploi contractuel est massif, tant dans les EPST (25%) que dans les Universités (35%).

      Baisse importante des recrutements de chercheurs, d’enseignants-chercheurs et d’ingénieurs de recherche, qui est sans doute, à terme, le phénomène le plus dommageable à l’attractivité de l’emploi scientifique. Il envoie un signal négatif à ceux qui veulent s’engager dans les carrières scientifiques. Il conduit parricochet au développement de situations précaires, y compris pour des éléments brillants, sans perspective de débouchés. Il freine les redéploiements nécessaires vers les priorités scientifiques. Il rend plus difficile les promotions et en conséquence l’ouverture des corps de professeur ou de directeur de recherche à des recrutements externes. Cette baisse des recrutements peut être illustrée par quelques exemples qui en montrent l’ampleur :

      Les recrutements de maîtres de conférences ont diminué de 36% entre 2012 et 2018 (1742 à 1108), ceux de professeurs de 40% (1004 à 606).
      Les recrutements de chargés de recherche ont baissé de 27% dans les EPST entre 2008 et 2016, ceux des directeurs de recherche de 11% durant la même période.
      Les recrutements sur concours externes ou réservés des ingénieurs et techniciens des EPST ont baissé de 44% entre 2008 et 2016 (-41% pour lesingénieurs de recherche, -36% pour les ingénieurs d’études, -53% pour les techniciens). Ceux des établissements d’enseignement supérieur, si on excepte les recrutements en catégorie C, sont restés stables entre 2009 et 2016.

      “Attractivité …”, p. 20-1

      À cela s’ajoute l’absence ou la grande faiblesse des moyens de recherche, notamment en début de carrière.

      De ce constat sans appel de la politique scientifique conduite depuis la Ministre Pécresse, on tire deux conclusions simples :

      augmentation importante des emplois pérennes de checheurs, enseignants-chercheurs hommes et femmes, et de personnels administratifs et techniques (j’aime beaucoup “Doter les établissements de budgets sincères” p.7)
      augmentation majeure des niveaux de rémunérations et des moyens

      Pour autant, les auteurs du rapport en tirent des conclusions extrêmement fantaisiste (” La dénomination « maître de conférences » n’est pas valorisante, il faut lui substituer associate professor, p. 27) ou idéologique, comme la multiplication de régimes dérogatoires et de création de nouveaux statuts, tel un inventaire à la Prévert,

      Pour autant, de ces constats, qui appelleraient à une réponse simple – augmentation des moyens et des emplois, comme p. 32, revalorisation de 40% des rémunérations ou p. 34, suivre une régularité dans les flux de recrutement ; ou encore p. 35, compenser le vieillissement et l’accroissement mécanique de la masse salariale à hauteur de 100M€), les auteurs du rapport tirent des conséquence à la Prévert : multiplication des statuts et des inégalités liés à ces statuts.

      Création d’un « contrat à durée indéterminée de mission scientifique » aligné sur la durée des projets de recherche pour contribuer à la dé-précarisation des agents concernés (NDLR : précarisation ?)
      Création d’un contrat à durée déterminée post-doc « jeune chercheur »
      La création de chaires d’excellence junior pour attirer les jeunes talents avec un nouveau dispositif de recrutement de type « tenure-track » organisé par les établissements (à hauteur de 150/an, soit moins de 10% du nombre total de recrutements permanents junior)
      La création d’un programme national de chaires d’excellence sénior pour attirer des chercheurs de grande réputation (…)
      Une extension des dispenses de qualification pour les établissements qui le souhaiteraient et dont les processus de recrutement auront été certifiés.

      Attractivité…, p. 35 et sq.

      Il convient ainsi de renforcer les inégalités par de nouvelles “évaluations de qualité”, qui inclueront l’enseignement, qui reste l’impensé en creux de ce rapport. Par ex. ‘la réussite aux appels à projet, les appréciations positives voire très positives d’un laboratoire de recherche au terme d’une évaluation réalisée par un comité indépendant pourraient, à titre d’exemple, justifier le versement d’un intéressement collectif à chaque membre d’une équipe” (p. 33).

      L’inégalité touche aussi à la dispense de qualification. Le groupe de travail est très favorable à sa suppression, mais juge qu’il n’y a pas consensus. Ainsi il propose d’autoriser les dispenses de qualification à quelques établissements suivants :

      les établissements détenteurs du label européen HRS4R (« Excellence in research » porté dans le cadre de « Human resources strategy for research »),
      les établissements lauréats confirmés des Idex et I- site dont la qualité de la gouvernance a été évaluée positivement par le jury international,
      les candidats issus d’écoles doctorales dont l’accréditation par le HCERES aurait montré une qualité justifiant l’exemption,
      les lauréats de l’European Research Council et des appels d’offre européens,
      les admissibles au concours de chargé de recherche et directeur de recherche d’EPST, dont la qualité scientifique a déjà été vérifiée.

      Attractivité…, p.40

      Outre l’inégalité entre statuts, entre établissement, le raport propose de réfléchir à la gestion des inégalités en matière d’enseignement, en forfaitisant la surcharge (p. 47). `Selon lui, la référence au 192h de service (https://academia.hypotheses.org/5344) est obsolète. Plutôt que de renforcer la formation continue des personnels, il préconise donc une évaluation périodique des enseignants-chercheurs (p. 48), en renforçant encore l’autorité du Haut Comité d’Evaluation de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (HCERES). Faute de prévoir la formation continue, c’est une Ecole du Management de la Recherche qui est donc envisagée (p. 49).

      À l’analyse, le rapport semble approfondir le trou noir dans lequel les derniers gouvernements ont précipité l’enseignement et la recherche français. On aurait attendu une réflexion sur la parité en matière de représentation et de rémunération ; sur la qualité de la transmission, que nenni. Multiplication des statuts, précarité renforcée, confirmation de l’absence d’attractivité des métiers. La dénomination de maître de conférences n’est pas valorisable, écrivent les auteurs ? Il sera bon d’arrêter de confondre le nom et la chose. À quand la fin d’une idéologie à propos de la fonction publique, et ses effets délétères sur l’enseignement supérieur et la recherche qui multiplie l’enfumage et la langue de bois plutôt que les financer à hauteur réelle de 3% ?

      Liens :

      Rapport du Groupe de travail 2, Attractivté des emplois et des carrières scientifiques, 2019, septembre 2019
      Notes de lecture de Julien Gossa (https://twitter.com/JulienGossa/status/1176112784934887425)
      Sur la fusion des corps MCF/PR, par Julien Gossa : http://blog.educpros.fr/julien-gossa/2019/12/04/lppr-evolution-du-statut-vers-la-fusion-des-deux-corps

      Note 1. La composition du groupe de travail est la suivante : Rapporteurs du groupe:Philippe Berta, professeur des universités (biologie),député ;Philippe Mauguin, président de l’INRA ;Manuel Tunon de Lara, professeur des universités –praticien hospitalier, président de l’Universitéde Bordeaux. Membres invités à participer aux travaux : Stéphane Audoin-Rouzeau, directeur d’études à l’EHESS (histoire) ; Bénédicte Durand, maître de conférences (géographie), directrice des études et de la scolarité de Sciences-Po ;Frédéric Fiore, docteur, ingénieur de recherche (biologie)à l’Inserm ; Alain Fuchs, professeur des universités (chimie),président de PSL Université ; Véronique Guillotin, médecin, sénatrice ; Serge Haroche, professeur émérite au Collège de France (physique) ; Pierre Henriet, doctorant(philosophie), député ; Eric Labaye, président de l’Ecole polytechnique ; Marie Masclet de Barbarin, maître de conférences (droit), vice-présidente d’Aix Marseille Université ;Armelle Mesnard, directrice des ressourceshumaines et des relations sociales du CEA ;Catherine Rivière, ingénieure, directrice des ressources d’IFPEN ; Hélène Ruiz-Fabri, professeur des universités (droit), directrice du Max Planck Institute Luxembourg. Source : Composition des trois groupes de travail pour mener la réflexion

      https://academia.hypotheses.org/6107
      #maître_de_conférences

    • Temps de travail #ESR (1) : 192h de service ?

      192 h : voilà le service d’enseignement dû par un·e enseignant·e-chercheur·se (EC) au statut MCF/PR. Le sens de ce « service d’enseignement » a des effets structurants sur les autres statuts et sur les contrats de l’enseignement supérieur et la recherche (ESR). Un·e attaché·e temporaire d’enseignement et de recherche (ATER) fait 192 h d’enseignement, à moins qu’il ou elle ne soit à mi-temps, auquel cas 96 h d’enseignement sont attendues. Un.e professeur·e agrégé·e ou certifié·e employé·e à l’Université (PRAG/PRCE) en assure le double, soit 384 h d’enseignement. Comment comprendre ce nombre d’or des universités ? C’est ce à quoi se sont employés plusieurs auteurs et autrices our Academia.

      Archéologie d’un décompte
      L’origine de ces 192 heures annuelles se trouve dans les réformes menées par le gouvernement socialiste au début des années 1980. Auparavant, le service des professeur·e·s des universités, des maîtres·se·s de conférences et des maîtres·se·s-assistant·e·s est défini de manière hebdomadaire.

      Alors que les premiers doivent trois heures de cours magistral par semaine (l’année universitaire compte alors environ trente semaines), les secondes doivent environ six heures[1]. Le décret n° 83-823 du 16 septembre 1983 introduit une nouvelle définition de l’obligation du service d’enseignement à 128 heures de cours magistral ou 192 heures de travaux dirigés. Cette mesure est transitoire, valable uniquement pour l’année 1983-1984, mais elle prépare le décret n° 84-431 du 8 juin 1984 qui en reprend sur ce point les dispositions.
      Pour bien comprendre ce qui se joue sur cette nouvelle définition de l’obligation de service d’enseignement, il faut avoir à l’esprit plusieurs choses. D’abord, la réforme du statut des enseignant·e·s-chercheur·se·s mise en œuvre par le gouvernement socialiste, et plus particulièrement par le Directeur général à l’enseignement supérieur d’alors, Jean-Jacques Payan, résulte d’un compromis difficile qui ne satisfait pas grand monde, selon l’étude de Jean-Yves Mérindol, “Les universitaires et leurs statuts depuis 1968” [2]. Ensuite, l’une des nouveautés essentielles introduites par les décrets de 1983-1984 est l’annualisation de l’obligation de service. Enfin, le caractère favorable ou défavorable de la mesure dépendait de la répartition des services en interne. Le décret de 1984 conduisait à une légère augmentation du service hebdomadaire dans les cas où l’année universitaire était étalée sur une trentaine de semaines et où un nombre significatif de cours magistraux étaient proposés. La nouvelle norme de 192 heures a mis une décennie à être progressivement adoptée, notamment au travers des intégrations entre universités et autres type d’établissements, comme les IUT, qui ont donné lieu à des harmonisations, y compris des statuts[3].

      Temps de travail : moitié enseignement, moitié recherche
      Le décret n°84-431 du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences dispose que :

      « I.-Le temps de travail de référence, correspondant au temps de travail arrêté dans la fonction publique, est constitué pour les enseignants-chercheurs :
      1° Pour moitié, par les services d’enseignement déterminés par rapport à une durée annuelle de référence égale à 128 heures de cours ou 192 heures de travaux dirigés ou pratiques ou toute combinaison équivalente en formation initiale, continue ou à distance. Ces services d’enseignement s’accompagnent de la préparation et du contrôle des connaissances y afférents. Ils sont pris en compte pour le suivi de carrière réalisé dans les conditions prévues à l’article 18-1 du présent décret ;
      2° Pour moitié, par une activité de recherche prise en compte pour le suivi de carrière réalisé dans les conditions prévues à l’article 18-1 du présent décret.
      Lorsqu’ils accomplissent des enseignements complémentaires au-delà de leur temps de travail tel qu’il est défini au présent article, les enseignants-chercheurs perçoivent une rémunération complémentaire dans les conditions prévues par décret.

      II.-Dans l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur, dans le respect des dispositions de l’article L. 952-4 du code de l’éducation et compte tenu des priorités scientifiques et pédagogiques, le conseil d’administration en formation restreinte ou l’organe en tenant lieu définit les principes généraux de répartition des services entre les différentes fonctions des enseignants-chercheurs telles que mentionnées aux articles L. 123-3 et L. 952-3 du code de l’éducation et L. 112-1 du code de la recherche. Il fixe également les équivalences horaires applicables à chacune des activités correspondant à ces fonctions, ainsi que leurs modalités pratiques de décompte.
      Ces équivalences horaires font l’objet d’un référentiel national approuvé par arrêté du ministre chargé de l’enseignement supérieur.

      III.-Dans le respect des principes généraux de répartition des services définis par le conseil d’administration en formation restreinte ou par l’organe en tenant lieu, le président ou le directeur de l’établissement arrête les décisions individuelles d’attribution de services des enseignants-chercheurs dans l’intérêt du service, après avis motivé, du directeur de l’unité de recherche de rattachement et du directeur de la composante formulé après consultation du conseil de la composante, réuni en formation restreinte aux enseignants. Ces décisions prennent en considération l’ensemble des activités des enseignants-chercheurs ».

      Ce décret ne s’applique pas aux enseignant·e·s-chercheur·se·s de la fonction publique hospitalière, ce qui explique en partie que leur service est encore aux alentours de 20 à 50 heures annuelles. Le temps de travail de référence dans la fonction publique étant fixé à 1607 heures annuelles, la moitié de ce temps est donc réputé consacré aux activités de recherche, et pour moitié, d’enseignement, à l’exclusion des tâches administratives, qui disparaissent dans le trou noir du “service” non ou mal quantifié, et qui, sauf exception, relève bien du service supplémentaire. Pourtant, les missions des enseignant·e·s-chercheur·se·s sont beaucoup plus nombreuses que seulement l’enseignement et la recherche. Pour mieux les prendre en compte dans les obligations des universitaires, il faudrait améliorer les référentiels d’équivalence horaire.

      Moitié enseignement, moitié recherche : quid du reste ?
      Malgré ce statut commun, le service d’enseignement des enseignant·e·s-chercheur·se·s titulaires est très variable.
      D’une part, les différents enseignements ne représentent pas le même temps de travail : un cours nouveau demande plus de préparation qu’un cours déjà bien rodé, un cours en petit groupe demande moins de temps de correction de copie que celui devant un amphithéâtre, un enseignement en première année peut être plus facile à préparer qu’un enseignement de M2, etc. Il en est de même pour les décharges pour responsabilités (« équivalences horaires » dans le titre II ci-dessus), variables dans chaque établissement comme entre établissements.
      D’autre part, différents dispositifs permettent plus ou moins ponctuellement de réduire le service d’enseignement dû : CRCT (congé pour recherche et conversion thématique), délégations dans un organisme de recherche comme le CNRS, chaires de 5 ans à l’IUF (Institut universitaire de France), décharges ANR (Agence nationale de la recherche) quand elles sont prévues, contrats ERC (European Research Council) si ceux-ci prévoient le remplacement de l’enseignant·e-chercheur·se lauréat·e, etc. Ces dispositifs ne sont accessibles qu’après une sélection souvent très sévère, dont on peut déplorer le caractère quelquefois discriminatoire (selon le genre ou d’autres critères).

      Par ailleurs, beaucoup d’enseignant·e·s-chercheur·se·s effectuent des heures complémentaires, évoquées en I.2° ci-dessus. Ces heures ne sont pas des heures supplémentaires, puisque leur montant ne varie pas selon l’échelon ou le traitement et qu’elles peuvent être moins bien payées que les heures statutaires. En effet, À l’heure actuelle, l’heure de TD est rémunérée 40,91 € [on parle là en rémunération brute, ce qui représente 31,44 € net], indépendamment du statut, de l’ancienneté et même du corps (c’est le montant que reçoivent également les personnels vacataires). Pour mémoire, une heure de TD est réputée occuper dans le temps statutaire environ 4 h 10 de temps de travail au total, en incluant toutes les tâches obligatoires au-delà de la présence en cours. Si l’on calcule de cette manière, les heures complémentaires sont rémunérées à hauteur de 9,98 € brut [7,78 net] par heure de travail (le SMIC horaire 2019 est de 10,33 € brut, 8,06€ net).

      Enfin, on peut s’interroger sur la référence au temps de travail légal des fonctionnaires : ce temps ne trouve aucune réalité dans le métier des enseignants-chercheurs, qui n’ont notamment pas d’obligation de présence dans un bureau (voire pas de bureau). On notera d’ailleurs que le volume de 192 h n’a pas été modifié lors du passage aux 35 h (qui a en revanche permis à bien des salarié·es des organismes de recherche, selon le règlement de leur laboratoire, de gagner des semaines de congés payés). On retrouve régulièrement cette source de confusion, par exemple à propos de la modulation de service.

      Ce rapide billet sur l’archéologie du nombre d’or du temps de travail des hommes et des femmes enseignants-chercheurs entend ouvrir un débat sur le temps de travail dans l’enseignement supérieur et la recherche. En effet, les modalités pratiques de comptabilisation de l’activité des EC ont des implications importantes pour les congés (maternité, maladie, etc. qui mériteraient un billet d’explication de la circulaire de 2012), pour l’emploi et pour la recherche. Il invite également à ouvrir le dossier douloureux du burn out et de la santé au travail. Que faire en effet quand les tâches s’accumulent et que les soirées, week-ends et vacances sont travaillées ?

      Loi et décrets de référence

      Loi 68-978 du 13 juillet 1968 d’orientation de l’enseignement supérieur
      Décret du 7 mars 1936 relatif aux agrégés, chefs de travaux et assistants des facultés de médecine et de pharmacie modifié par décret n° 56-3 du 3 janvier 1956
      Décret n° 50-1347 du 27 octobre 1950 fixant certaines règles relatives au chefs de travaux des facultés de l’Université de Paris, de l’École normale supérieure et des facultés des universités des départements modifié par le décret n° 61-1007
      Décret n° 60-1027 du 26 septembre 1960 portant statut particulier des maîtres-assistants des disciplines scientifiques, littéraires et de sciences humaines modifiés par les décrets n° 61-1006 du 7 septembre 1961, n° 78-226 du 2 mars 1978, n° 79-686 du 9 août 1979 et n° 82-742 du 24 août 1982.
      Décret n° 62-114 du 27 janvier 1962 portant statut particulier des maîtres-assistants des disciplines juridiques, politiques, économiques et de gestion, modifié par les décrets n°63-212 du 22 février 1963, n° 78-228 du 2 mars 1978, n° 79-686 du 9 août 1979 et n° 82-742 du 24 août 1982.
      Décret n° 69-63 du 2 janvier 1969 relatif aux instituts universitaires de technologie, modifié par les décrets n° 77-35 du 13 janvier 1977 et n° 78-327 du 15 mars 1973.
      Décret n° 69-526 du 2 juin 1969 modifié portant statut particulier des maîtres-assistants de pharmacie, modifié par les décrets n° 78-228 du 2 mars 1978, n° 79-686 du 9 août 1979 et n° 82-742 du 24 août 1982
      Décret n° 69-930 du 14 octobre 1969 modifié portant application aux instituts de faculté ou d’université préparant à un diplôme d’ingénieur de la loi n° 69-978 du 12 novembre 1968
      Décret n° 79-683 du 9 août 1979 portant statut particulier du corps des professeurs des universités modifié par le décret n° 82-739 du 24 août 1982
      Décret n° 83-287 du 8 avril 1983 portant statut particulier des assistants des disciplines juridiques, politiques, économiques et de gestion et des disciplines littéraires et de sciences humaines
      Décret n° 83- 823 du 16 septembre 1983
      Décret 84-431 du 8 juin 1984 (modifié)

      Temps de travail dans la Fonction publique

      Décret 81-1105 du 16 décembre 1981
      Décret n° 85-1022 du 24 septembre 1985 : durée hebdomadaire à 39 heures. 40 pour les personnels assimilés
      Décret n°94-725 du 24 août 1994 relatif à la durée hebdomadaire du travail dans la fonction publique de l’État : durée hebdomadaire à 39 heures
      Décret n° 2000-815 du 25 août 2000 relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l’État : durée hebdomadaire à 35 heures.

      Lien ; “French PhD students’ pay for teaching falls below minimum wage“, by David Matthew, The Times Higher Education (30 mai 2019

      [1]Georges Amestoy, Les Universités françaises, Paris, Éducation et Gestion, 1968.

      [2]Jean-Yves Mérindol, “Les universitaires et leurs statuts depuis 1968”, Le Mouvement social, 233, 2010, p. 69-91, p. 77. Les débats sur la réforme de 1983-1984 peuvent être documentés par le fonds de la commission Jeantet, déposé aux Archives nationales, versement 19860251.

      [3] Pierre Benoist, Une histoire des Instituts universitaires de technologie (IUT), Paris, Classiques Garnier, 2016.

      https://academia.hypotheses.org/5344

    • LPPR : Evolution du statut, vers la fusion des deux corps ?

      L’Université de Strasbourg organise des ateliers pour se préparer à la LPPR (loi de programmation pluriannuelle de la recherche). Le second, intitulé « Evolution du statut : vers la fusion des deux corps ? », s’intéresse à la question du corps unique d’enseignants-chercheurs (EC), réunissant Maîtres de conférences (MCF) et de Professeurs des universités (PR). De cette question découlent les enjeux d’organisation du pouvoir universitaire et de la compétition entre les universitaires.

      Sur ce constat, on pourra dresser trois perspectives entre lesquelles les établissements devront choisir : la libération, le mandarinat ou l’évaluation continue intégrale. Ce choix représente un véritable enjeu pour la progression de l’autonomie des présidences d’université dans la gestion des masses salariales, et donc la mise en œuvre de stratégies d’établissement différenciées.

      La question de la fusion des corps est difficile à traiter en raison des grandes disparités entre les disciplines : certaines ont une agrégation, d’autres permettent aux MCF de co-encadrer des doctorants, etc.. La disparité des trajectoires personnelles complique encore le débat : les différences de perception sont légitimes, par exemple entre un MCF estimant déjà faire le travail de PR et un autre attendant ce poste pour gagner en liberté.

      Pour traiter cette question comme elle est traitée par le législateur, il convient cependant de faire un grand pas en arrière et de s’affranchir de ces disparités. Ce billet n’a donc pas la prétention de faire écho aux expériences personnelles, mais vise seulement à identifier des grands enjeux qui découlent de la question « vers la fusion des deux corps ? »

      https://twitter.com/JulienGossa/status/1130848411542933504

      Les enjeux des deux corps

      Dans la construction des deux corps, l’aspect historique est bien sûr central, comme le raconte Jean-Yves Merindol (« Les universitaires et leurs statuts depuis 1968 ». Le Mouvement Social n° 233, nᵒ 4 (1 décembre 2010) : 69‑91). Il est impossible de faire un inventaire exhaustif de toutes les questions qui l’entourent, mais on peut identifier deux enjeux principaux : l’organisation du pouvoir universitaire, et l’organisation de la compétition entre les universitaires.
      Enjeu d’organisation du pouvoir universitaire

      Les PR disposent généralement de plus de liberté académique que les MCF. Cela se retrouve dans leur indépendance pour l’encadrement de thèse, le portage de projet ou encore la demande de financement. La liberté, l’indépendance et le pouvoir sont intimement liés. Ainsi, les PR bénéficient d’une plus forte représentation dans les conseils, d’un meilleur accès aux postes à responsabilité, et donc de plus de possibilités de contrôler les budgets, les recrutements, etc.

      Sous cet angle, la pyramide 1/3 PR, 2/3 MCF représente une structure de management hiérarchique, détaillée en réalité par de nombreux autres facteurs, y compris la renommée scientifique. Cette hiérarchie existe même si elle peut sembler parfois invisible au quotidien. Par exemple, les MCF peuvent être officiellement autorisés à porter tel type de projet, mais les critères d’évaluation peuvent favoriser ceux portés par des PR. Même dans les disciplines où les universitaires aiment afficher la parité au détriment de la hiérarchie, la parole d’un PR a souvent plus de poids dans les discussions -et donc les décisions- que la parole d’un MCF, indépendamment du fond du propos.

      Pour schématiser : MCF < MCF habilité à diriger des recherche < PR < PR avec responsabilité (qui se décline de chef d’équipe à président d’université et même au delà). En modifiant cette hiérarchie, la fusion des corps représente un enjeu dans l’organisation du pouvoir universitaire.

      Enjeu d’organisation de la compétition entre universitaires

      Le deuxième enjeu est celui de l’organisation de la compétition entre les universitaires, considérée comme nécessaire à la production scientifique. Ainsi, le système pyramidal français organise entre les MCF, malgré la permanence de leur poste, une compétition pour « passer prof », qui joue sur leur motivation. Sans cette motivation, certains craignent un « endormissement » des troupes.

      Les critères de promotion permettent également de structurer les investissements individuels. Par exemple, attribuer les postes de PR essentiellement sur des critères de production scientifique va encourager les MCF à publier plutôt qu’à s’investir dans la pédagogie.

      Dans tous les modèles de gestion des carrières, la permanence des postes est cœur de cette compétition. Cette permanence, parfois sous-estimée par ceux qui en ont facilement bénéficié, est vecteur de protection sociale mais aussi de liberté académique, et donc d’attractivité des carrières. L’attractivité du modèle français se base sur un accès à la permanence précoce après la thèse, mais avec des traitements médiocres. D’autres systèmes se basent sur un accès plus tardif et difficile, mais avec un bien meilleur traitement.

      Ainsi, la fusion des corps représente également un enjeu dans l’organisation de la compétition entre les universitaires, à la fois pour la motivation, la structuration des carrières et leur attractivité.

      https://twitter.com/JulienGossa/status/1199684825197797376?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E11

      Vers la fusion des deux corps ?

      La question que l’on peut se poser maintenant est : comment pourraient être réorganisés le pouvoir universitaire et la compétition entre les universitaires avec un corps unique, donc sans promotion PR pour les MCF ?

      Tout d’abord, il faut rappeler que le principe de cette promotion à l’heure actuelle est une double évaluation par les pairs : nationale par la qualification ou l’aggregation (adéquation avec la fonction), puis locale par le concours (adéquation avec les besoins de l’établissements). Supprimer les deux corps revient à supprimer cette promotion par les pairs.

      Remplacer cette promotion par les pairs va permettre de modifier le système de pouvoir et de compétition. On peut dresser trois perspectives hypothétiques : la libération, le mandarinat, et l’évaluation continue intégrale.
      La libération

      La première perspective consiste à ne remplacer la promotion MCF/PR par rien. Embauchés rapidement après la thèse, les permanents n’auraient plus qu’une évolution à l’ancienneté jusqu’à la retraite, et bénéficieraient tous des mêmes droits, sans distinction, notamment pour l’accès aux responsabilité ou l’encadrement des thèses.

      Dans cette approche, le pouvoir universitaire est diluée, et les MCF sont en quelque sorte libérés de la compétition. L’effet principal est une augmentation des libertés académiques et une diminution de la pression à la publication. Par ce biais, on peut améliorer l’attractivité des carrières, malgré des traitements toujours médiocres. La contrepartie peut être une baisse de la motivation et de la structuration par la promotion, et donc probablement une baisse des indicateurs de performance, indépendamment de la qualité des travaux (qui pourrait très bien augmenter).
      Le mandarinat

      La seconde perspective consiste à remplacer la promotion MCF/PR par la suppression du corps permanent des MCF. Cela reconstruirait notre modèle sur un mélange des modèles « tenure » et « survivant », avec des voies d’accès aux postes permanents plus ou moins garanties. Seuls les permanents auraient de réelles libertés académiques.

      Dans cette approche, le pouvoir universitaire est renforcé autour des postes permanents, et la compétition renforcée autour de leur obtention, mais aussi de l’obtention de financements pour les postes temporaires. C’est un modèle de mandarinat, similaire au modèle français pré-Faure, où les quelques permanents pouvaient faire ou défaire les carrières des nombreux précaires sous leur responsabilité. L’attractivité ne serait plus basée sur la permanence des postes, ce qui rendrait indispensable l’augmentation substantielle des traitements des permanents, pour motiver suffisamment de personne à s’engager dans une longue période de précarité sans garantie de succès.
      L’évaluation continue intégrale

      Enfin, la troisième perspective consiste à remplacer la promotion MCF/PR par une évaluation continue intégrale des enseignants-chercheurs. A tout moment ou à un rythme régulier, cette évaluation permettrait de différencier la carrière des enseignants-chercheurs, soit par une promotion, soit par la modification de leurs droits ou de leurs obligations de service, notamment d’enseignement.

      Dans cette approche, le pouvoir universitaire est assuré non plus par l’appartenance à un corps ou l’autre, mais par le pouvoir de décision de différenciation des carrières des autres universitaires. Ce modèle correspond à la fin de l’avancement à l’ancienneté. La compétition serait continue, pour l’accès aux promotions, aux primes, et aux temps consacré à telle ou telle activité, notamment la recherche. L’attractivité reposerait sur une apparente méritocratie.
      Une formidable opportunité de développement des stratégies d’établissement

      Difficile de savoir à quel point la LPPR sera contraignante pour les établissements, mais rien n’empêche de laisser chacun d’eux expérimenter et développer son propre modèle de carrière : libération pour les petites structures très bien dotées ; mandarinat pour les grandes universités de recherche très attractives ; évaluation continue intégrale pour les collèges universitaires peu attractifs…

      https://twitter.com/GerminetCY/status/902966496418086912?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E902

      On voit là que la fusion des corps représente une formidable opportunité de développement des stratégies d’établissement. En effet, les dirigeants des universités s’estiment actuellement coincés par une masse salariale rigide, dont ils héritent plus qu’ils ne décident. Leurs plaintes sur l’avancement à l’ancienneté (GVT) en témoignent. Le partage des mêmes obligations par tous les enseignants-chercheurs de leur établissement freine la mise en œuvre des adaptations qu’ils souhaitent. De plus, ces obligations sont identiques d’un établissement à l’autre, ce qui freine le développement de stratégies différenciées.

      La fusion des corps, en remettant en cause les structures universitaires actuelles de pouvoir et de compétition, représente une véritable opportunité de progression dans l’autonomie des présidences d’université, grâce à une gestion plus directe des promotions et différenciations des activités et carrières. On mesure l’enjeu en sachant que la masse salariale représentant 70% à 80% du budget d’une université.

      Reste à savoir si cette opportunité sera saisie et comment. Impossible de le dire, mais on peut faire trois constats :

      La perspective de libération est en totale contradiction avec l’idéologie de l’Excellence qui sous-tend aussi bien la LPPR que toutes les politiques et discours universitaires actuels. Il faudrait énormément de courage politique à un établissement pour la mettre en œuvre.
      La perspective de mandarinat correspond à plusieurs mesures envisagées dans la LPPR, notamment : les « chaires juniors » (évaluées à 150 par an au niveau national) et les tenure-tracks CNRS, ainsi que le renforcement de l’attractivité par les primes.
      La perspective d’évaluation continue intégrale correspond aussi à plusieurs mesures, notamment : la relance du suivi de carrière, la fin de la compensation de l’avancement à l’ancienneté (GVT) par le ministère, l’augmentation des rémunérations à la performance, la fin des 192 heures, et le renforcement des conséquences individuelles des évaluations.

      http://blog.educpros.fr/julien-gossa/2019/12/04/lppr-evolution-du-statut-vers-la-fusion-des-deux-corps

    • À quoi sert la #CPU ?

      Alors que la mobilisation a gagné les Universités, au mois de décembre 2019, contre les retraites et contre l’esprit de la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) en préparation, plusieurs d’entre nous avons été étonné.es de découvrir un réception organisée par Richard Ferrand et Emmanuel Macron en l’honneur de la Conférence des Présidents d’Universités (CPU), en présence de Frédérique Vidal, Ministre de la Recherche, de l’Enseignement supérieur et de l’Innovation.

      Selon une journaliste présente1 , la ministre Vidal y aurait déclaré

      « La loi de programmation pluriannuelle de la recherche investira dans les carrières scientifiques, qui manquent encore d’attractivité. Je veux encourager les étudiants à se lancer dans la recherche »

      en complète contradiction avec les politiques conduites par ce gouvernement et les précédents, largement documentés : Parcoursup, hausse drastique des droits étudiants étrangers, rétraction de l’emploi scientifique, etc. Le président de la CPU, Gilles Roussel2, ne le dit pas autrement dans un entretien du 18 décembre 2019 à AEF.

      Quid de l’emploi statutaire et de droit public ? demande AEF. La CPU y est attachée… mais il faut s’adapter à la place importante prise désormais par les personnels temporaires, doctorants, post doc, ingénieurs de recherche. « C’est un fait, et cela se passe ainsi partout ailleurs dans le monde ». C’est donc pour le bien de tous que l’on doit délier les CDD de leur durée maximal de 6 ans afin de pouvoir conserver les personnels de recherche non statutaire pendant toute la durée d’un projet de recherche. « Je suis donc favorable, de ce point de vue là, à donner plus de visibilité et de lisibilité sur des temps plus longs aux personnes employées sur contrats ».
      La revalorisation des carrières et du niveau indemnitaire s’impose, mais pour Gilles Roussel c’est « dans le cadre de la réforme des retraites » et avec des modalités et une entrée en vigueur encore « loin d’être arrêtées ». Pour Roussel la LPPR doit augmenter très vite les rémunérations des doctorants et des jeunes chercheurs. Le reste peut attendre la loi retraite et sa mise en œuvre à partir de 2025. L’important, est de ne « pas décrocher » et susciter des vocations.

      Inviter à susciter des vocations à un moment de contraction drastique de l’emploi permanent dans l’enseignement supérieur, de faiblesse historique des traitements (40% inférieurs aux fonctions équivalentes dans le reste de l’OCDE et inférieurs aux grades équivalents dans la fonction publique française, selon le rapport préparant la LPPR) et de mépris envers l’enseignement supérieur et la recherche, sensible dans le discours vide de la Ministre Vidal3, voilà qui et bien curieux et à l’encontre des prises de positions toute récentes des Conseils scientifiques du CNRS, qui exigent en termes clairs des moyens et des emplois permanents.

      Si les collègues du CNRS ont pu se demander à quoi leur servait un pdg qui ne représente aucun personnel ni instances, il est ainsi légitime d’examiner, dans le cadre de notre réflexion sur la gouvernance de l’enseignement supérieur et la recherche, les propositions de la CPU pour la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche.
      La CPU et la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche

      Au cours de l’automne 2019, la CPU publie deux textes, à la suite de la demande du Premier ministre Philippe à la ministre Vidal de préparer une Loi de programmation pluriannuelle de la recherche en janvier 2019, en organisant la réflexion autour de trois thèmes :

      la recherche sur projet et l’articulation entre financement compétitif et financement récurrent des laboratoires ;
      l’attractivité des emplois et des carrières scientifiques ;
      l’innovation et la recherche partenariale.

      Des deux publications automnales de la CPU, la seconde, parue le 8 octobre 2019, est sans doute le plus curieux : intitulé “L’Université, un investissement pour la France”, il n’est ni plus ni moins qu’une plaquette publicitaire pour la CPU et son action au nom des 74 universités et établissements d’enseignement supérieur, regroupant 1,6M d’étudiant-es, 57 000 enseignants-chercheurs et 74 000 doctorant-es. Coup de griffe au gouvernement et à sa politique de discrimination des étudiant-es étrangers, elle déclare ses établissements “1èredestination francophone e t4ème rang mondial pour l’accueil des étudiants internationaux (245 000 /an)”. Sans davantage parler d’investissements, ni d’avenir, l’essentiel du texte est une défense et illustration de l’action de l’organisme.
      L’Université, un investissement d’avenir, CPU, 8 octobre 2019 (p. 4-5)
      La CPU au service de l’Université

      Créée en 1971 et organisée en association depuis 2008, la Conférence des présidents d’université (CPU) rassemble les dirigeants des 74 universités de notre pays, ainsi que ceux de ses 3 universités de technologie, 3 instituts nationaux polytechniques, 4 écoles normales supérieures, plusieurs grands établissements et l’ensemble des communautés d’universités et d’établissements (COMUE).

      La CPU compte ainsi 124 membres, sur l’ensemble du territoire national, et représente, grâce à ses liens avec les organismes et écoles, la plus grande part des forces d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation françaises.Force de proposition et de négociation auprès des pouvoirs publics, des différents réseaux de l’enseignement supérieur et de la recherche, des partenaires économiques et sociaux et des institutions nationales et internationales, la CPU propose des éléments de transformation de l’enseignement supérieur et de la recherche.

      Dans un contexte de profondes mutations du secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche, la CPU a également un rôle d’accompagnement des présidents dans leurs nouvelles missions et de promotion de l’Université française et de ses valeurs en France et à l’étranger.

      La CPU est présidée par un Bureau élu pour deux ans et composé d’un (e) président(e) et de deux vice-président(e) s, tous président(e) s d’université ou responsables d’établissement d’enseignement supérieur et de recherche. Le Bureau a un rôle de pilotage, d’animation et d’orientation de la Conférence. Le travail de la CPU est organisé en commissions thématiques et comités : formation et insertion professionnelle, recherche et innovation, moyens et personnels, vie étudiante et vie de campus, relations internationales et européennes, questions de santé, questions juridiques, regroupement politiques de sites, numériques, transition écologique et énergétique… Chacun est dirigé par un(e) président(e) d’université élu(e).

      La CPU a de plus mis en place une instance permanente à Bruxelles, mutualisée avec les organismes de recherche au sein du Clora (Club des Organismes de Recherche Associés), et une fonction de conseiller parlementaire auprès du Sénat et de l’Assemblée nationale.L’équipe permanente de la CPU s’appuie, pour élaborer les prises de position politiques, sur l’expertise de l’ensemble des réseaux universitaires et associations professionnelles des universités.L’activité de la CPU est rythmée par de grands rendez-vous annuels : colloques, séminaires de formation et débats sur les grandes thématiques qui éclairent la société ou propres aux universités, évènements à destination du grand public ou des membres de la communauté universitaire, organisation du concours international « Ma thèse en 180 secondes ».

      Le concours de “Ma thèse en 180 secondes” serait-elle la principale réalisation de la CPU de ces dernières années ? La CPU n’a pourtant de cesse d’affirmer qu’elle est :

      “Force de proposition et de négociation auprès des pouvoirs publics, des différents réseaux de l’enseignement supérieur et de la recherche, des partenaires économiques et sociaux et des institutions nationales et internationales, la CPU propose des éléments de transformation de l’enseignement supérieur et de la recherche” (p.3).

      Devrait-on en douter ? En période de préparation budgétaire, au lendemain d’une loi sur la transformation de la fonction publique4, et au lendemain de la publication des rapports des groupes de travail en préparation à la LPPR, réaffrimer ce rôle de représentant est pour le moins curieux, à moins qu’il ne soit mis en cause justement.

      Quelles sont les propositions de la CPU pour la LPPR ? Présentées dans une plaquette richement illustrée le 5 septembre 2019, elles se veulent, sous la plume du président de la CPU un manifeste”visant à convaincre l’opinion publique, les élus, le monde socio-économique que miser sur l’université c’est miser sur la réussite du pays”. Gilles Roussel, dans son introduction, adopte pourtant une posture défensive :

      “Les propositions que nous présentons dans ce document cherchent-elles à défendre une chapelle, ou encore la recherche contre un autre secteur de la société ?
      Non, clairement non ! (…)
      La société française toute entière doit prendre conscience qu’il faut pour cela investir dans la jeunesse qu’incarnent nos étudiants, nos futurs docteurs, nos chercheurs.”

      depuis des années, malgré les progrès de la loi de 2007, l’autonomie, et donc la capacité de prendre des initiatives, a été freinée par une complexification parfois ubuesque.
      C’est pourquoi la Conférence des présidents d’université ne se contente pas de demander des financements à la hauteur des défis, mais souhaite une remise à plat d’une organisation parfois obsolète et souvent complexe.

      Compte tenu de la population étudiante, il ne fait aucun doute que la société française fait confiance aux Universités française. Ce n’est donc pas la société qu’il faut convaincre, mais le gouvernement et le “monde socio-économique” qui continue d’émarger au budget du Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI), à hauteur d’un quart envrion (Crédit impôt recherche).

      La suite du document souligne le rôle cardinal de l’Université dans la formation à la recherche. “La question à laquelle la loi de programmation
      de la recherche devra répondre : Peut-on continuer avec la différence de financement entre les universités et les autres établissements d’enseignement supérieur post-bac sans mettre en péril la recherche ?” (p. 4). Considérant l’Université comme premier opérateur de la recherche, la CPU ajoute “4 questions auxquelles la loi de programmation
      de la recherche devra répondre :

      Comment repenser les interactions des universités avec les organismes (EPST et EPIC) ?
      Comment faire converger audacieusement nos politiques de ressources humaines et de mobilité ?
      Comment faire de la gestion de proximité en l’affranchissant de ses pesanteurs ?
      Comment simplifier la gestion des laboratoires en harmonisant les règles trop complexes ?”

      avant de faire des propositions :
      Propositions pour la LPPR, CPU, 5 septembre 2019 (p. 5) Ce que nous proposons :

      Avec nos partenaires des organismes de recherche, il s’agit de franchir un nouveau cap dans la cohérence du système autour d’une réelle gestion de proximité :
      En coordonnant au niveau de chaque site les recrutements des personnels entre EPST et universités, pour attirer et fidéliser les meilleurs scientifiques dans les universités.
      En optimisant la gestion des personnels de soutien à la recherche et des fonctions support trop souvent redondantes, en les mutualisant.

      Ces propositions touchant à l’emploi et aux ressources humaines n’ont fait l’objet d’aucune discussion dans les établissements, à peine dans les COMUE, non sans conflit5.

      Au chapitre investissement, la CPU propose d’investir 1 Mds€ dans la recherche publique6. La CPU souligne, à juste titre, la misère administrative (“ratio personnel de soutien”) des Universités, et insiste sur le caractère contre-productif du financement par projet, relativement au reste de l’OCDE.

      Les taux de sélection aux appels à projets ANR sont de 15 % pour un budget de 673,5 M€ (contre 30 % et 2 milliards d’€ pour la DFG en Allemagne). Ceci a pour les chercheurs des effets délétères (découragement, rejets des projets les plus novateurs, considérés comme trop risqués). De plus, les coûts supplémentaires, liés à ces projets et supportés par les universités, ne sont pas pris en compte à leur juste niveau.

      En conséquence, la CPU émet deux préconisations :
      Propositions pour la LPPR, CPU, 5 septembre 2019 (p. 6)

      Augmenter le budget de plus d’1 milliard d’€ par an afin de passer de 0,79% à 1 % du PIB pour la recherche publique.
      Créer à partir de l’ANR une seule grande agence de financement de la recherche, en portant ses moyens à au moins 1 Md€ et en diminuant la complexité bureaucratique.

      Pour ce qui est de la relation contractuelle avec l’État, force est de constater que la loi sur l’autonomie des Universités (dite relative aux Libertés et Responsabilités des Universités), celles-ci n’ont gagné que des responsabilités (personnel, patrimoine, etc.) sans la libertés et les financements qui les rendent possibles. Pour la CPU, “il est temps aujourd’hui de franchir une nouvelle étape en faisant confiance aux universités”.
      Propositions pour la LPPR, CPU, 5 septembre 2019 (p. 7)

      Refonder la contractualisation avec l’État, avec la participation des organismes de recherche, à partir d’une évaluation rénovée.
      Confier aux universités la coordination de la recherche en région.
      Reconnaître à toutes les universités le droit à l’expérimentation.

      Ces propositions qui semblent répartir l’organisation scientifique territoriale entre régions et Île-de-France se fait dans le droit fil des regroupements COMUE — du moins là où elles n’ont pas été abandonnées — et de la politique du CNRS en régions. Il reste à savoir si le modèle peut être étendu, s’il est souhaitable et ce que veut dire “évaluation rénovée” et “droit à l’expérimentation La dernière page du document précise pourtant un moyen “en élargissant le périmètre d’application de l’ordonnance du 12 décembre 2018 actuellement circonscrit aux établissements nouveaux issus de fusions ou de regroupements”, soit les établissements publics expérimentaux – au 1e janvier 2020 feu Université de Nice, désormais Université Côte d’Azur, anciennement présidée par la Ministre Vidal et feue l’UPEC, désormais Université Gustave Eiffel, actuellement dirigée par Gilles Roussel.

      Côté Recherche&Développement, la CPU dénonce sans ambage la dépense fiscale du Crédit Impot-Recherche (6,3Mds€) qu’il faut “mieux orienter” selon elle.
      Propositions pour la LPPR, CPU, 5 septembre 2019 (p. 9)

      Simplifier la contractualisation en imposant la notion de mandataire unique avec une politique claire entre toutes les tutelles.
      Augmenter le nombre de thèses CIFRE pour les PME et les collectivités territoriales, avec une hausse du financement du MESRI.
      Simplifier les prises de participation de nos établissements dans les entreprises, notamment dans des start-up à fort potentiel.

      Au chapitre “Attractivité des emplois et des carrières scientifiques”, la CPU anticipe les conclusions du groupe de travail péparatoire à la LPPR7 et pose deux questions auxquelles la LPPR doit répondre :

      Peut-on laisser l’écart des rémunérations se creuser entre nos chercheurs et les autres catégories équivalentes de la fonction publique ou avec les autres pays européens diminuant l’attractivité des métiers de la recherche ?
      Peut-on continuer à faire payer par les établissements des décisions prises par l’État sans compensations suffisantes ?

      Le problème du vieillissement des personnels et de l’accroissement mécanique non compensée de la masse salariale asphyxie désormais les Universités à un point dangereux, alors qu’un tiers des enseignements et 40% de l’emploi est devenu contractuel.
      Propositions pour la LPPR, CPU, 5 septembre 2019 (p. 10)

      Revaloriser toutes les rémunérations, en particulier celles de début de carrière pour les titulaires et celles des contrats doctoraux et ATER.
      Repenser les processus de recrutement des enseignants-chercheurs pour converger vers les standards internationaux.

      La CPU propose, à la fin de ses Propositions pour la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche, une “synthèse” de ses propositions. La plupart sont reprises des proprositions intermédiaires, ou précisent celles-ci. Une proposition est à la fois neuve et savoureuse, quand on sait comment les présidents d’Universités se sont précités dans les regroupements COMUE avant de faire des pas de côté, ou même marche arrière toute devant ces mastodontes coûteux et sans bénéfices apparents :

      Justifier, à la création de tout nouveau dispositif, sa plus-value par rapport aux programmes déjà existants notamment au niveau européen.

      Toutefois un chapitre entier n’a fait l’objet d’aucune présentation auparavant, et intéresse tout particulièrement Academia, consacré à l’emploi dans l’enseignement supérieur.
      “Repenser le recrutement“, Propositions pour la LPPR, CPU, 5 sept. 2019 (p. 11)

      Repenser l’ensemble du processus de recrutement des enseignants-chercheurs de façon à converger avec les standards internationaux et notamment européens.
      Donner aux universités la maîtrise de leurs recrutements, en modernisant les procédures et en supprimant le préalable de la qualification.
      Assouplir le cadre des missions des enseignants-chercheurs et revoir la comptabilisation de leurs activités.
      Réfléchir à un seul statut allant de l’enseignant au chercheur.
      Permettre aux expérimentations de la tenure track, d’aller jusqu’à un processus spécifique de titularisation.
      Donner la possibilité aux universités d’expérimenter le contrat de chantier.
      , (nos italiques)

      Supprimer la qualification — supprimer par la même occasion le Conseil national des Universités ? —, supprimer les corps distincts des EPST et des Universités, développer le contrat de chantier aux enseignants-chercheurs8, voilà qui est aller un peu vite en besogne. Ces propositions représentent, à nos yeux, une rupture profonde avec les personnels des Universités, qui ont particulièrement souffert des regroupements absudes, de la sous-dotation chronique, et du mépris dans lequel les tiennent ses dirigeants.


      Alors que l’essentiel de ces propositions pourrait susciter une adhésion profonde de la communauté de recherche et d’enseignement que la Conférence des présidents d’Universités, on lit dans ces dernières lignes une démarche isolée, voire hors sol, très différente donc du rôle dont elle se prévaut le mois suivant. On peut faire l’hypothèse d’une certaine déconnexion entre présidents et communautés universitaires9.

      Pour mieux comprendre l’évolution récente de la CPU, il n’est pas inutile de revenir sur son histoire et son fonctionnement aujourd’hui.

      Création en 1971

      La Conférence des présidents d’universités est crée le 24 février 1971 par décret.

      La CPU réunit les présidents d’universités et des établissements à caractère culturel et scientifque hors Universités. Le décret précise que le Ministère met à disposition des locaux ainsi que ses services pour son fonctionnement et que ses réunions ne sont pas publiques.

      Son statut change plusieurs fois avant de devenir, en 2007, une association loi 1901 à l’occasion de la Loi sur les Libertés et les Responsabilités des Universités (dite LRU), reconnue d’utilité publique par le Ministère l’année suivante10. Son siège social est maintenu à la Maison des Universités, au 103 boulevard Saint-Michel Paris 5e.

      Ses missions, précisées à l’article 2, sont diverses :

      Article 2
      En accord avec l’article L233-2 du Code de l’ducation, cette association a vocation à représenter auprès de l’Etat, de l’Union Européenne et des autres instances internationales compétentes en matière d’enseignement supérieur et de recherche les intérêts communs des établissements qu’elle regroupe. L’association donne son avis au ministre en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche sur les questions concernant ces domaines. Elle peut lui proposer des vœux et des projets. Elle peut représenter tout ou partie de ses membres dans des projets nationaux ou internationaux, qu’elle peut gérer.

      Les moyens d’action de l’association sont notamment : la mise en place de manifestations, la publication et diffusion de rapports, analyses et prises de position, la concertation avec les tutelles et partenaires, la signature de conventions et accords.

      L’association s’octroie des tâches d’influence (lobbying) auprès du Ministère et de communication. Academia avait déjà repéré la novlangue utilisée dans un questionnaire à destination des partis politiques (élections européennes 2019), dont elle n’a pas publié les réponses obtenues des partis politiques, contrairement à son homologue allemande. Toutefois, au vu de la misère croissante dans laquelle est tenue l’Université française, on peut se demander l’efficacité de ce lobbying, comparé par exemple à celui de la GuildHE au Royaume-Uni.

      Plus vraisemblablement, la CPU participe à la “professionnalisation” des présidents et (rares) présidentes d’Universités, soit selon ses propres termes11 :

      Dans un contexte de profondes mutations du secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche, la CPU a également un rôle de soutien aux présidents dans leurs nouvelles missions et de promotion de l’Université française et de ses valeurs en France et à l’étranger.

      Partager idées, savoir-faire, et éléments de langage, dans l’adversité, à défaut de représenter la communauté universitaire et d’en défendre valeurs et personnels : tel est sans doute le rôle que s’est dévolue la CPU.
      Fonctionnement et financement

      Pour ce qui est des moyens en termes de personnels, l’article 2 précise que des agents publics titulaires ou contractuels du Ministère ou des Universités, et qu’elle peut en recruter sur ses fonds propres((“Afin de mettre en œuvre ces actions, l’association peut bénéficier du concours d’agents publics titulaires ou contractuels mis à sa disposition par l’administration ou l’établissement public dont ils dépendent, de fonctionnaires placés en position de détachement, et de personnels recrutés sur ses fonds propres.”)).

      Enfin, pour ce qui est de la dotation, celle-ci cesse de peser sur le Ministère pour revenir à ses membres – enfin plus précisément, aux Universités qu’ils président. Les montants des cotisations est fixé en Assemblée plénière de la CPU. En cas de non-paiement, la sanction quasi immédiate est la radiation ((“Article 5 .La cotisation annuelle des membres est fixée annuellement par la CPU plénière, selon des modalités inscrites dans le règlement intérieur.
      Article 6 La qualité de membre de l’association se perd :

      par la démission ;
      par la radiation prononcée par la CPU plénière pour non-paiement de la cotisation (après mise en demeure non suivie d’effet dans un délai d’un mois) [nos italiques] ;
      par la radiation prononcée pour motifs graves par la CPU plénière sur proposition du bureau après que le membre intéressé a fait valoir ses observations auprès de la CP2U. Le membre intéressé est préalablement appelé à fournir ses explications.)).

      Les montants demandés sont élevés, même si les Universités les tiennent souvent secrètes : 15 000€ à l’ENS de Lyon, 8 300€ à l’EHESS12. À l’Université de Strasbourg, c’est 30 000€ que le Conseil d’administration a dû allouer pour 2019, sans y trouver à redire et sans que le bénéfice attendu soit bien clair pour les administrateurs et administratrices13. La cotisation, à l’Université de Strasbourg, figure au titre — technique — de “Cabinet de la Présidence : cotisations (de l’année)” ; ceux-ci sont pourtant bien plus difficiles à connaître ailleurs. Les débats conduits au sein de ce Conseil d’administration sont éclairants, si tant est qu’on peut parler de débats :

      On peut se demander ainsi dans quelle mesure la CPU représente les membres des Universités. Faute de comptes à rendre à quiconque, n’est-ce à pas plutôt les seules personnes des présidents — très majoritairement des hommes — que l’association sert ?
      Déclin de la CPU ?

      Parmi les cotisations de l’Université de Strasbourg, on trouve d’autres associations moins connues du grand public universitaire : la LERU (League of European Research Universities) et la CURIF (Coordination des universités de recherche intensive françaises)14. Les Universités moyennes de villes moyennes se regroupent, quant à elles, dans l’Association des Universités de Recherche et de Formation ou AUREF15.

      L’histoire de la CURIF, que relate le site de l’association, laisse penser que, depuis la LRU, l’avenir est darwinien.
      L’histoire de la CURIF, selon son site institution (consulté le 22/12/2019) La CURIF a été créée en 2008 sous forme d’une coordination informelle. Il s’agissait de défendre les spécificités des universités les plus actives dans le domaine de la recherche, alors que se discutait le remplacement du système d’affectation des ressources SAN REMO. En effet, les systèmes d’affectation proposés avec une belle constance par le Ministère de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur, ne prennent pas en compte les besoins des activités de recherche à un niveau réaliste, ce qui obère le maintien d’une recherche de haut niveau dans nos établissements.

      Il est alors apparu que la position des grandes universités ne pouvait pas être développée dans son intégralité par la CPU qui doit tenir compte du point de vue de toutes les universités dont certaines ont parfois des besoins urgents en enseignement et relativement moins criant en recherche. Il est aussi apparu que la plupart des pays européens, suivant en cela l’exemple de la LERU [NDLR : League of European Research Universities], se sont dotés eux aussi d’un groupe de liaison des universités de recherche intensive afin de défendre la recherche universitaire et faire comprendre aux pouvoirs publics que, sans une réflexion et des moyens adaptés à l’exercice de la recherche intensive, leurs universités seront exclues de la compétition internationale avec toutes les conséquences désastreuses que cela entraîne en termes d’innovation et d’attractivité du territoire.

      (…)

      La CURIF fut lancée donné fin 2008 par les universités françaises membres de la LERU : Strasbourg (Louis Pasteur), Paris-Sud et UPMC. Les principes de cooptation qui furent adoptés étaient :

      de se restreindre à de réelles universités (hors grandes écoles),
      de ne prendre qu’une université par ville, sauf à Paris
      de tenir compte du nombre de laboratoires mixtes de recherche (pour l’essentiel, avec le CNRS et l’INSERM).

      Alors que les deux premiers principes sont faciles à appliquer, le troisième doit tenir compte des disciplines puisque le CNRS est inégalement représenté selon les disciplines (très peu représenté en droit et gestion, par exemple). Le principe d’une université par ville posait surtout des problèmes à Aix-Marseille et Bordeaux puisque dans ces villes deux grandes universités coexistaient. Cette difficulté est maintenant fort heureusement résolue.

      En application de ces principes les universités suivantes, qui à elles seules couvraient plus de 85 % de la recherche dans le domaine de la santé et 70 % dans le domaine d’action du CNRS ont été sollicitées.

      Peu après, Paris 2 Panthéon-Assas, Nancy 1 Henri Poincaré et Nice furent invités à rejoindre la coordination. Les universités contactées participèrent depuis lors à la coordination, à l’exception de Panthéon-Sorbonne, Panthéon-Assas, Paris-Descartes, Paris-Diderot et Toulouse Paul Sabatier qui cessèrent leur participation en 2012 suite aux élections, provisoirement en ce qui concerne Paris- Diderot.

      En 2013, la CURIF dont l’intendance et le secrétariat étaient assurés depuis l’origine par l’UPMC, décida de se doter d’une personnalité morale sous forme d’association loi 1901 et d’appeler une cotisation.

      On se trouve ainsi, pour résumer, avec une Conférence des Présidentés d’Université, et une Conférence des Universités Excellentes, dont la trésorière était Frédérique Vidal, jusqu’à sa nomination au Ministère16. Ni l’une, ni l’autre n’ont de compte à rendre à la communauté universitaire, qu’elles ne représentent pas. En revanche, les liens avec le Ministère semble plus avéré, comme le montre le récent cocktail — au cours duquel Frédérique Vidal énonce une nouvelle fois des contre-vérités sur la politique mené par son Ministère, sans opposition manifeste des Présidents d’Universités présents.


      L’AEF questionne Gilles Roussel enfin sur le silence embarrassant dans lequel il a été relégué, en tant que président de la CPU, aux côtés du présidents de la République, lors des 80 ans du CNRS. Roussel répond que l’épisode, « si désagréable qu’il ait été », est anecdotique. Sa seule présence d’ailleurs « montre que la dimension universitaire de la recherche a voulu être marquée symboliquement ».

      Le rôle de la CPU serait-il devenu “symbolique” ? Ou plus précisément, “anecdotique“, à l’image du strapontin laissé à son président Gilles Roussel par le gouvernement actuel ? Si ni la CPU, ni la CURIF, ni l’AUREF — pourtant grassement financées par les Universités — ne représentent les communautés universitaires qui leur délèguent pourtant leurs présidents élus, si ces associations rendent difficile, voire impossible l’accès à leur documentation de travail, et que, dans le même temps, les communautés universitaires souffrent de sous-financement et de précarité de l’emploi, nous sommes à bon droit de demander — dans la mesure où elles ne servent pas aux communautés qui les financent — qui ces Conférences servent.


      https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/793/files/2020/01/cpu_lppr_propositions.pdf

      Et ainsi, se demander s’il ne serait pas heureux, pour suivre le relevé des décisions de l’Assemblée générale des Universités qui s’est tenue le 14 décembre 2019, s’il ne faut pas les supprimer, si du moins elles n’ont pas déjà de facto disparu.

      https://academia.hypotheses.org/6624

    • Biatss, ITA et CDI de chantier dans l’ESR

      À l’occasion de la réflexion collective en préparation du projet de Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), l’équipe des Rédacteurs d’Academia est heureuse d’accueillir des femmes et des hommes #ITA (personnels ingénieurs, administratifs, techniques) et #BIATSS (personnels ingénieurs, administratifs, techniques, sociaux et de santé et des bibliothèques) mobilisés pour leurs métiers. Dans ce blog consacré à l’emploi en sciences humaines et sociales, ces femmes et ces hommes représentent plus de la moitié des effectifs ; pour autant, ces personnels, injustement subalternes, sont peu audibles. Ces corps de l’enseignement supérieur et de la recherche ont pourtant connu d’inquiétantes mutations de leurs niveau et conditions d’emploi, qui pourraient préfigurer l’avenir de l’emploi de recherche et d’enseignement. ITA et BIATSS mobilisés pour leurs métiers inaugurent, avec ce billet, une réflexion pour que vraiment toutes et tous, ensemble, imaginions l’avenir de la recherche et le contenu de la LPPR.

      Depuis l’ordonnance du 22 septembre 2017 le CDI de chantier ou contrat de chantier est une possibilité ouverte à tous les corps de métier sous réserve d’accords de branche ou de convention collective (articles 30 et 31) ; il est donc possible de recruter des agentes et agents pour une durée indéterminée, pour une mission spécifique liée à une opération ou un projet à l’échéance non prévisible. Les agent·e·s seront ensuite licencié·e·s lorsque l’opération ou le projet seront considérés comme achevés, l’achèvement étant considéré alors comme une cause réelle et sérieuse de licenciement (article 31).

      Le CDI de chantier ou d’opération est l’aboutissement logique du pilotage par projet, devenu massif et sans doute structurel dans l’ESR depuis la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU, 2007), dont la logique est de pulvériser la notion d’emploi ou de métier ou lui substituant l’opération (forcément limitée dans le temps et sanctionnée par un livrable) et la compétence (mouvante, associée à des projets et que les agentes et agents sont supposés accumuler et activer par la formation continue ou l’expérience de terrain). Cet aboutissement s’inscrit bien sûr dans la logique de défonctionnarisation des services publics, c’est-à-dire par la nécessité du recours à une main-d’oeuvre managérialisée, ne possédant plus sa qualification au sens du statut d’agent de l’État titulaire, libérée de la culture du service public et bien entendu beaucoup plus soumise aux injonctions dites modernisatrices des établissements s’inscrivant désormais dans un marché de l’éducation et de la recherche notoirement concurrentiel au niveau mondial.

      Il n’est donc pas étonnant que l’apparition de ces CDI de chantier dans le dernier rapport des groupes de travail préparant la loi de programmation pluriannuelle de la recherche émeuve, à juste titre, le monde de l’ESR.

      Mais nous regrettons que cette émotion vienne bien tard, et qu’elle soit principalement motivée par la crainte que certains corps de métier (les CR et MCF) soient touchés par ces CDI de chantier. Car l’expérimentation en la matière est déjà ancienne, la destruction de l’ESR français continue depuis plus de dix ans, et les ITA et Biatss subissent depuis des années les conséquences de l’idéologie de la flexibilité et du précariat qui menace aujourd’hui les enseignants-chercheurs. Ces conséquences n’en sont pas moins des atteintes aux missions de recherche et d’enseignement supérieur de nos établissements que lorsqu’elles touchent les CR et MCF.
      La précarité des agents techniques et administratifs de l’ESR : les chiffres

      Pour le CNRS

      Le dernier bilan social du CNRS pour l’année 2018 comptabilise :

      24548 permanent·e·s dont 13322 ITA
      7022 contractuel·le·s dont 2945 ITA et 1834 doctorantes et doctorants.

      Si on laisse de côté le problème spécifique des doctorant·e·s dont la précarité est connue et relayée depuis des années, on constate que les ITA contractuel·le·s sont plus nombreux que les chercheuses et chercheurs (2243). Ces chiffres sont stables avec une tendance à la hausse de la proportion de contractuel·le·s pour les ITA.

      Pour les Universités

      À titre d’exemple dans quelques universités :

      À l’Université Paris-Sud, la part des contractuel·le·s parmi les personnels BIATSS est passée de 15,3% en 2014 à 17.75% en 2017 [Source : https://www.u-psud.fr/_attachments/paris-sud-en-chiffres-article/Bilan%2520Social%25202014-2017%2520UParisSud%2520EXE.pdf?download=true]
      À Aix-Marseille Université, les contractuel·le·s représentent plus de 30% des personnels BIATSS depuis plusieurs années [voir par exemple https://www.univ-amu.fr/system/files/2019-07/DIRCOM-bilan_social_2018.pdf]. Si le taux de contractuel·le·s a baissé en 2018 (il est de 32%) , il reste particulièrement élevé alors que 30% de ces emplois contractuels sont financés sur contrat de recherche (mission spécifique à durée déterminée et rémunérée grâce aux crédits générés par le contrat de recherche).
      À l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, ce sont entre 200 et 300 emplois qui ont été supprimés depuis 2013, ce qui, combiné avec la loi Sauvadet, a permis de réduire de 50 à 40% la part des contractuel·le·s BIATSS par rapport aux titulaires.

      La “déprécarisation” ou quand l’enfer se pave de bonnes intentions

      Dans le cadre du dispositif d’autonomie des établissements, la “déprécarisation” implique nécessairement des effets contradictoires qui permettent de mieux comprendre ces “contrats de chantier” qui vont désormais s’abattre sur les EC (même s’ils sont en vérité déjà expérimentés depuis 2007 par ce qu’on appelle les “enseignants LRU” – souvent des maîtres de langues payés 1300€ nets pour les 192 heures réglementaires, sans aucune perspective de carrière ou de titularisation, car ne rentrant pas dans le cadre du décret de 1982 régissant les agents titulaires et contractuel·le·s de l’ESR).

      Depuis 2007, la logique est donc la même : la “déprécarisation” (dont personne – à part Laurence Parisot, alors Présidente du MEDEF, qui déclarait « La vie est précaire, l’amour est précaire. Pourquoi n’en serait-il pas de même du travail ? » – ne conteste ouvertement la nécessité) se paye, à budget constant, d’une chute des postes ouverts (les fameux “gels de postes”) et, partant, du burn-out de celles et ceux qui restent… La précarité, dans son versant culturel, a en effet deux faces : elle est, vue du haut, une chance, une capacité de “disruption” qu’il va s’agir d’utiliser pour un temps (et l’on se souvient des BIATSS de “chantier” néo-managers de 2007-2009, aux salaires sans commune mesure avec les cadres des tableaux de la fonction publique chargés par les présidences des universités de “moderniser” leurs services – pilotage, gestion, externalisation…) mais aussi, vue du bas (l’armée de précaires sous-payé·e·s et sur-diplomé·e·s qui composent désormais une bonne moitié des fonctions dites “support” de l’ESR – contrats, ANR, ressources propres…) l’impossibilité d’inscrire les fonctions dans le temps long d’un poste, au double détriment de l’institution et des personnes concernées.
      La meilleure manière de détruire le service public d’enseignement et de recherche, c’est évidemment de l’empêcher de fonctionner, puis de lui imposer sa libéralisation sur le constat de son dysfonctionnement préalablement organisé !
      Précarité et souffrance au travail

      Les services centraux des universités, mais aussi les structures chargées de gérer les EX (IDEX, Labex, Equipex) et de manière plus générale la recherche sur projet (ANR, ERC, etc.) sont les plus massivement touchés par cette précarisation des ITA et BIATSS. Elle se traduit par un grand nombre de personnes en CDD, parfois la majorité voire la totalité d’un service1 mais aussi, et c’est le corollaire, par un turn over important qui déstabilise les équipes comme les services. Mais les ressorts de la précarisation vont au-delà : l’appel à des sous-traitants, auto-entrepreneurs souvent, pour assurer des missions parfois récurrentes, par exemple ; et le recours à des CDI ou CDI de chantier, souvent sans évolution de carrière possible, et parfois affectés à des structures de droit privé de type filiale d’université. Les mêmes fonctions peuvent ainsi être remplies au sein d’un même service par des personnes avec des statuts très différents. Ce recours large à des supports d’emploi précaire non seulement n’est plus questionné, mais il participe à la logique de détricotage de l’emploi comme des métiers ITA et BIATSS. De l’emploi parce qu’il permet de s’accommoder du faible recrutement de titulaires sur ces fonctions, des métiers parce qu’il soumet les compétences et les missions à une logique de gestion et d’accompagnement de projet, à court terme, et non à la construction de profils autonomes et de haute technicité nécessaires à l’ESR sur le long terme. Enfin, nous voyons déjà arriver ce que l’appellation CDI de chantier a de trompeur : les premiers CDI sur EX arrivent à échéance et les personnels commencent à être informé·es qu’ils et elles vont perdre leur emploi.

      La solution proposée par les délégués régionaux, directeurs d’instituts et gouvernances des universités aux situations de souffrance induites par ce management très particulier n’est pas le recrutement ou la consolidation des postes, mais de très jolies plaquettes consacrées à la gestion des risques psycho-sociaux… Vive la “qualité de vie au travail” – alors même que les représentants des personnels vont bientôt perdre les deux instances dans lesquelles ils avaient encore une voix : les CHSCT et les CAP qui perdent l’essentiel de leurs attributions avec la nouvelle loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019…2
      Quelques exemples récents de restructurations ou comment les ITA et BIATSS servent de variable d’ajustement

      Le PDG du CNRS Antoine Petit vient de l’Inria, qui s’est signalé par une démarche de restructuration (OptIn) particulièrement douloureuse. Tout figure explicitement dans le Rapport de Mission de 2018 sur cette restructuration :

      “maintenir la qualité du service apporté en diminuant les effectifs des fonctions support par l’optimisation des processus et des outils qui les supportent. Pour les RH, la mutualisation touchera dans un premier temps le processus de recrutement des personnels non permanents” (p. 3).

      C’est le programme qui a été suivi et qui, à l’horizon 2020, aura terminé de démanteler les RH de l’Inria – et aboutira à une compression de personnel sans précédent, avec près de 80 postes supprimés. Mais c’est le prix à payer selon A. Petit pour ne pas diminuer le recrutement des chercheurs – c’est l’argument qui a été explicitement présenté aux agents de l’Inria le 29 février 2016 lors du lancement officiel d’OptIn… Les ITA sont donc des variables d’ajustement officielles pour préserver l’emploi scientifique.
      Le Grand équipement documentaire(GED) du Campus Condorcet est un cas typique des expérimentations subies ces derniers temps par les ITA. Le GED lui-même est un Établissement Public administratif (EPA). Un établissement public à caractère administratif (EPA) est en France une personne morale de droit public disposant d’une certaine autonomie administrative et financière afin de remplir une mission d’intérêt général autre qu’industrielle et commerciale, précisément définie, sous le contrôle de l’État ou d’une collectivité territoriale.

      Concrètement cela veut dire que les agent·e·s rattaché·e·s au GED, qui viennent des différentes structures qui rejoignent depuis septembre le campus Condorcet, vont avoir un statut encore très incertain (le GED n’est pas encore ouvert du fait d’un retard de livraison du chantier)3. Ils et elles ne seront plus rattaché·e·s à leur unité d’origine mais mutualisé·e·s au sein du GED. Depuis plus d’un an les différents CHSCT concernés font remonter les inquiétudes des agent·e·s destiné·e·s à travailler au sein du GED, qui à l’heure actuelle ont très peu de visibilité sur leur futur statut. Mais ce qui est déjà acté c’est l’explosion de leur fiche de poste : les agent·e·s transféré·e·s à Condorcet doivent candidater sur les fiches de poste émises par l’établissement avec une majeure, une mineure et 10% de “service au public” (= qui correspond par exemple à des astreintes de permanences, ce qui n’est pas négligeable dans un équipement documentaire qui va proposer de très larges amplitudes horaires y compris le week end et la nuit). Pour les agent·e·s refusant le transfert, ce sera un recours aux Noemi c’est à dire une mobilité interne au CNRS sur les postes ouverts à la mutation – sans fléchage particulier pour les agent·e·s concerné·e·s. Flexibilisez-vous… ou partez.
      Le bilan social des ANR

      Un autre grand terrain d’expérimentation a été ouvert par les financements type ANR ou ERC. On voit régulièrement apparaître au fil de l’eau des profils aberrants destinés à recruter des ITA en CDD financés par et pour des ANR. Ces profils proposent très souvent des recrutements au plus bas niveau possible (IE voire AI plutôt qu’IR), avec une feuille de route impossible à tenir dans le temps imparti, et des exigences délirantes en terme de compétences. Ainsi il n’est pas du tout inhabituel de solliciter chez le candidat aussi bien des compétences en pilotage (gestion de projet, gestion d’équipe) qu’en informatique, avec si possible un niveau au moins équivalent au Master dans différents domaines disciplinaires allant de la linguistique à la sociologie. C’est un sujet particulièrement sensible en LSHS, où de plus en plus de projets de recherche souhaitent (pour des raisons pas toujours scientifiques mais parfois très opportunistes) se doter d’un volet numérique. Il est alors tentant de faire d’une pierre deux coups, et de chercher à caser sur un seul CDD ce qui occuperait déjà largement deux équivalents temps plein4…

      Pourquoi de telles contorsions ? Parce que l’emploi IT est sinistré, et que les ressources nécessaires pour faire tourner les projets et les services n’existent plus. On se retrouve même parfois à devoir financer par projet non seulement les fonctions techniques mais aussi les fonctions support administratives et financières ; il arrive de plus en plus régulièrement que les unités et les équipes n’aient plus de gestionnaire titulaire, et que cette fonction pourtant hautement stratégique et de plus en plus complexe à l’heure des audits et des multitutelles soit mutualisée entre différentes unités, différents sites, différents établissements, et confiée à des contractuel·le·s payé·e·s sur des reliquats d’IDEX ou des chutes d’ERC.
      Nous ne voulons plus servir la science à nos dépens !

      Dans un tel contexte, le CDI de chantier a pu apparaître à certains comme une solution pas si absurde, permettant de pérenniser un petit peu les contractuel·le·s dont la recherche a besoin. Le double gros problème du CDD pour l’employeur, c’est qu’il coûte cher (du fait de la bonification de précarité, le coût consolidé du poste est donc important) et que son échéance n’est pas adaptable : si le projet n’est pas terminé, il faut renouveler le CDD – et si le CDD est trop souvent renouvelé, on se retrouve avec un agent, horreur, titularisable.
      Le CDI de chantier coûtera moins cher (pas de prime de précarité puisque c’est un CDI !) et permettra de s’ajuster exactement aux besoins du projet et de l’employeur. Il est donc une parfaite aubaine et est promis pour cela à un très bel avenir. Et si effectivement l’arbitrage doit se faire entre pérenniser des ITA et recruter des chercheurs, nous savons très bien où penchera la balance – car nous savons très bien qui prend les décisions.

      Dans ce contexte, la politique en faveur du handicap tant vantée par le CNRS peut-elle perdurer ? En 2018, 14,5 % des salarié·e·s handicapé·e·s de l’ESR étaient des agent·e·s de catégorie B, et 43,3 % de catégorie C. Les agent·e·s de l’ESR handicapé·e·s occupent donc déjà majoritairement des postes d’ITA et de BIATSS, certes moins qu’en 2012 (où ils et elles appartenaient à 53,3% à la catégorie C, ces postes d’oubliés de l’ESR). 18,9 % d’entre eux étaient contractuel·le·s en 2018, ce qui est tout sauf un statut rassurant pour qui vit au quotidien avec un handicap. Les orientations que souhaitent prendre l’ESR, basées sur l’obsession de la compétitivité et le CDI de projet, sont-elles réellement compatibles avec une insertion réelle et durable des personnels handicapés dans le monde de la recherche, que le CNRS est si fier de mettre en avant ?

      Il est donc temps pour les ITA et BIATSS de faire entendre leur voix au sein de l’ESR. C’est ce qui a été fait, et brillamment mardi 17 décembre par les équipes des plates-formes d’OpenEdition qui ont proposé une action de grève originale (le blocage de l’ensemble des services numériques pendant 24 h, les sites affichant un message de mobilisation en différentes langues), permettant à la fois de souligner l’importance du travail des “soutiers du numériques” et de visibiliser des revendications trop souvent invisibles. Cette action a fait du bruit (en témoigne le débat très vif sur la liste de diffusion des usagers d’hypotheses.org [carnetiers] ; nous espérons qu’elle marque le début d’un véritable mouvement de protestation de tous les personnels techniques et administratifs, les oublié·e·s de l’ESR.

      https://academia.hypotheses.org/6294

    • Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) Ce à quoi il faut s’attendre - Newsletter n° 44, 10 janvier 2020

      Toujours plus d’évaluation, toujours plus de financement sur projets, toujours plus de hiérarchisation et de différenciation, et pour cela la possibilité d’imposer plus de 192h annuelles aux enseignants-chercheurs et la fin du paiement des heures supplémentaires, telles sont les propositions centrales formulées dans les 3 rapports officiellement commandés par le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation pour préparer la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche (la LPPR). Voici une présentation par SLU de ces 3 rapports qui font froid dans le dos quand on sait ce qu’est déjà devenu notre métier.

      Il faut une loi ambitieuse, inégalitaire - oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne, qui encourage les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle internationale.
      Antoine Petit, PDG du CNRS, Les Échos, 26 novembre 2019.

      Les déclarations réitérées du PDG du CNRS ont fait largement réagir la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR). Elles ne sauraient passer pour de simples provocations. Le darwinisme social et l’inégalité qui y sont revendiqués sans fard sont au cœur des trois rapports remis le 23 septembre 2019 à la Ministre de l’ESR en vue de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche.

      On ne s’étonnera donc pas de retrouver Antoine Petit aux côtés de Sylvie Retailleau (présidente de Paris-Saclay) et de Cédric Villani (député La République en Marche chargé des questions de l’ESR, vice-président de l’OPECST [1]) comme rédacteur du premier rapport consacré au financement de la recherche. Un second groupe de travail, composé de Philippe Berta (généticien, député LREM), Philippe Mauguin (PDG de l’INRA dont la nomination en 2016 par François Hollande a été contestée car il avait été directeur de cabinet de Stéphane Le Foll) et Manuel Tunon de Lara (pneumologue, président de l’université de Bordeaux, dont le principal fait de gloire est d’avoir fait matraquer les étudiants de son université le 7 mars 2018), était chargé du rapport « Attractivité des emplois et des carrières scientifiques ». Quant au rapport « Recherche partenariale et innovation », il a été placé sous la responsabilité de Francis Chouat (député LREM d’Evry), Isabel Marey-Semper (directrice des moyens communs au sein du département Recherche et Innovation de L’Oréal entre 2010 et 2018 après être passée par PSA Peugeot, Nokia…) et Dominique Vernay (ancien directeur technique de Thales, président du campus Paris-Saclay en 2011, vice-président de l’Académie des technologies depuis janvier 2019).

      Cet aréopage d’anciens scientifiques passés du côté administratif et politique est représentatif du tout petit milieu qui gouverne la science depuis 15 ans en France et se recrute notamment parmi les anciens présidents d’université, lesquels ne retournent pratiquement plus à l’enseignement et à la recherche après leur mandat. Les mêmes noms sont souvent revenus depuis les années 2000 parmi les conseillers des politiques, rédacteurs de rapport, présidents de diverses instances mises en place par les réformes. On retrouve bien entendu ces administrateurs et managers de l’ESR au premier rang des personnes consultées pour l’élaboration des rapports. Les syndicats, les sociétés savantes et les académies ont certes été auditionnés : mais certains ont protesté contre le décalage existant entre le contenu de leurs auditions et les préconisations finales. Les rédacteurs des rapports doivent quant à eux leur rôle à leur allégeance au pouvoir en place. Malgré des divergences sur certains points, ils partagent les mêmes grandes options idéologiques et politiques que ceux qui ont conseillé ministres et présidents dans l’élaboration des précédentes lois, depuis la loi LRU en 2007.

      La lecture des trois rapports frappe ainsi d’abord par la grande continuité avec les politiques menées par les gouvernements successifs durant la dernière décennie, malgré les constats alarmants qui y sont faits, comme si ces constats ne pouvaient avoir valeur de bilans de ces politiques.
      Des constats sans bilan des réformes antérieures

      Nombre d’éléments de l’état des lieux dressé par les rapports seront familiers aux chercheurs et enseignants-chercheurs qui en font l’expérience quotidienne. Ils partagent le constat d’une perte de terrain de la recherche française et de la nécessité d’investir prioritairement dans ce domaine. Ils insistent sur le sous-financement de la recherche publique, sur l’insuffisance des crédits de fonctionnement dont disposent les chercheurs, sur la faible rémunération dans l’ESR, notamment pour les entrants : le salaire moyen de ces derniers se situe à 63% de la moyenne des pays européen et de l’OCDE pour une entrée en carrière à l’âge de 34 ans, un âge où 1800 euros nets constituent bel et bien, suivant les termes mêmes du rapport, un salaire « indécent » voire « indigne ». La baisse du nombre des doctorants ainsi que les conditions déplorables de préparation de la thèse sont mises en évidence : durée inadaptée, nombre de financement insuffisant (39% en SHS pour 70% en moyenne), contrats doctoraux indignes (à peine plus de 1300 euros nets), manque de reconnaissance du diplôme.

      Le rapport 2 pointe la dégradation de l’emploi scientifique en raison de cette rémunération peu attractive, avec un décrochage marqué depuis 2013, des conditions de travail de plus en plus contraignantes, l’érosion des emplois permanents. Entre 2012 et 2016, celle-ci se chiffre à 3 650 ETPT (équivalent temps plein annuel travaillé), soit une baisse de 7,8% des personnels de support et de soutien, mais aussi des chercheurs dans les EPST (Établissements publics à caractère scientifique et technologique). Le rapport 2 chiffre très précisément la baisse importante des recrutements de chercheurs (-27% pour les chargés de recherche entre 2008 et 2016), d’enseignants-chercheurs (-36% pour les maîtres de conférences entre 2012 et 2018, -40% pour les professeurs d’université) et d’ingénieurs de recherche (-44% dans les EPST entre 2008 et 2016).

      La diminution des fonctions support a en outre occasionné un transfert important des charges administratives et techniques vers les chercheurs et les enseignants-chercheurs. Le faible niveau de rémunération des personnels d’appui à la recherche ainsi que leur contractualisation rendent très difficile leur recrutement et leur « fidélisation » surtout dans les métiers nouveaux du numérique ou de la valorisation, mais également dans les fonctions classiques et indispensables de gestion et d’administration (R2, p. 23).

      Si la dégradation des conditions de travail et les difficultés des personnels de l’ESR sont en partie mises en évidence de ce rapport, rien n’est dit des politiques qui ont conduit à cette situation. La cause est principalement imputée à une mesure technique interne à la mise en place de l’autonomisation budgétaire des universités ; et la solution proposée laisse pantois.

      Pour les rapporteurs, la raison principale tient à l’auto-financement par les établissements et organismes du glissement vieillesse technicité (GVT), cette immense entourloupe budgétaire reconduite depuis la mise en place de l’« autonomie » des universités. En clair, depuis la loi LRU, l’État abonde la masse salariale des universités sans tenir compte de l’augmentation mécanique du coût des agents du fait de leur vieillissement. La nécessité de faire face à l’augmentation du nombre d’étudiants a alors conduit les universités à « geler » les postes mis au concours et à préférer recruter des enseignants disposant de peu de temps pour la recherche (effectuant 384h TD au lieu de 192h), alors même, peut-on ajouter, qu’au niveau national, on affiche ces postes gelés (ainsi, les fameux 1000 postes annuels promis en 2012 par Geneviève Fioraso jamais pourvus intégralement).

      Autre raison mentionnée, le développement des financements sur projet a eu pour corollaire l’« augmentation du nombre de contractuels financés sur projet, en situation souvent précaire et généralement mal rémunérés. Les universités et les EPST sont ainsi parmi les organismes du secteur public qui comptent la plus forte proportion de contractuels (près de 35% pour les universités et 25% pour les EPST) » (R2, p. 20). Mais aucun rapport n’en conclut à une remise en cause du management de la recherche par projets, bien au contraire : les rédacteurs louent le programme d’Investissements d’Avenir et ses Labex, Idex et Equipex, supposés avoir donné les moyens de conduire une véritable politique scientifique à leurs bénéficiaires, sans que jamais ne soient évaluées les réalisations de ces monstres technocratiques que les enseignants chercheurs et les chercheurs ne connaissent eux-mêmes que très imparfaitement.

      Plus encore, les rapports s’accordent sur le constat d’un décrochage rapide de la France en tant que puissance industrielle et économique depuis 15 ans, ainsi que sur son affaiblissement dans le domaine de la recherche depuis 10 ans. Pourtant, jamais ce décrochage n’est mis en relation avec les politiques menées durant ces périodes, avec le tournant néo-libéral des politiques publiques, avec les désorganisations structurelles et la dégradation des conditions de travail engendrées par les réformes successives dans l’ESR depuis 2007, avec le choix politique de la précarité, avec les logiques managériales et économiques qui ont présidé à ces réformes que les rapports souhaitent encore intensifier.

      Seul point mis en avant, seul véritable mal expliquant les constats qui sont faits pour l’ESR : le manque de financement dans un contexte de compétition internationale accrue. D’emblée, le ton est donné : le rapport 1 reprend le discours de Jean-Pierre Bourguignon, président de l’European Research Council (ERC), prononcé le 23 mai 2019 à Stockholm qui expliquait le retard européen en matière de recherche par la faiblesse de son financement et à la dispersion des moyens. Une seule solution pour y remédier : concentrer les moyens sur les établissements en haut de la hiérarchie. Le groupe de travail fait siennes ces explications. Autant dire que la vision inégalitaire d’Antoine Petit est partagée par ses comparses et correspond clairement à celle développée depuis quinze ans par les décideurs en matière de politique de l’ESR.
      Continuités sémantiques et principe de hiérarchie : le management de la recherche

      Dans la forme, la continuité se marque dans le langage managérial constamment employé dans ces rapports dont le but reste de « conquérir de nouveaux leaderships » : « système vertueux », « performance et évaluation », « compétitif », « émergent », « innovation », « financement compétitif » (pour désigner le financement à la performance et le financement par appel à projets, mis sous une même étiquette ce qui n’est pas neutre)… Et surtout « ressources humaines » employé une trentaine de fois. Le mot « excellence » est en recul, sans doute parce qu’il a été trop contesté entre 2009 et 2012, peut-être parce qu’il suppose encore une évaluation par les pairs que la logique managériale entend remplacer.

      Sur le fond, l’objectif constamment réaffirmé depuis le processus de Bologne en 1998 et jamais atteint de porter l’investissement dans la recherche à 3% du PIB est rappelé. Ce chiffre serait réparti en 1% pour l’État et 2% pour le privé, contre respectivement 0,78% et 1,44% actuellement, ce qui supposerait de faciliter la recherche et développement dans le privé par des incitations. Il n’est donc jamais question de remettre en cause le crédit impôt recherche (CIR), présenté de façon tout à fait évasive dans le rapport sur le financement (une mention p. 30-31), dont il a pourtant été largement démontré qu’il n’a que très peu d’impact sur le développement de la recherche privée au regard de l’énormité de la dépense [2].

      Continuité encore dans l’inégalité fondamentale qui préside à la politique préconisée. Hiérarchiser est le maître mot de ces rapports. En langage technocratico-managérial, cela se dit, lorsqu’il s’agit de l’organisation de l’ESR, « Développer la capacité de la France à opérer des choix stratégiques et à agir en cohérence » (R1, p. 11). D’où la recommandation d’un conseil stratégique de la recherche et de l’innovation rattaché au Premier Ministre, qui viendrait remplacer l’inutile Conseil Supérieur de la Recherche mis en place en 2013, et peut-être se substituer aux institutions ayant pour mission d’informer le pouvoir comme l’Académie des sciences, l’Académie de médecine, l’OPECST [3], etc., dont l’action serait jugée inefficace. Le Premier Ministre assisterait personnellement aux réunions de ce conseil dont la composition ne devrait pas excéder 12 membres. Moins on est nombreux, plus on est à même de décider, sans tenir compte des compétences, de l’expérience et des avis des personnels, des chercheurs voire des services de l’État au contact du terrain.

      De même, une cellule stratégique placée auprès du Premier Ministre serait chargée d’élaborer la stratégie d’innovation de la France (déterminer les domaines dans lesquels la France jouit d’avantages comparatifs pour relever les grands défis sociétaux auxquels sont confrontés tous les pays). Cette équipe, devrait bien entendu être « de taille très restreinte » (R3, p. 19) pour « définir les 5-7 transformations sociétales pour lesquelles la France dispose d’avantages comparatifs pour développer des leaderships de portée mondiale » (R3, p. 14). Pourquoi 5-7 ? Mystère. Ce qui est certain, c’est qu’une « transformation sociétale » se résout avant tout par la technologie et l’industrie assaisonnées d’un peu de SHS. Telle est la logique économique qui entend présider aux grandes orientations de recherche du pays. Ces grands défis « sociétaux » seraient déclinés en programmes opérationnels grâce à un financement dédié sur le long terme – « long terme » signifiant 10 ans pour ces scientifiques en herbe et ces technocrates en chef. À la tête de chaque défi sociétal, il y aurait un secrétaire d’État placé auprès du Premier Ministre, à moins qu’une Agence des Grands Défis Sociétaux placée sous l’autorité du Premier Ministre ne soit créée [4]. Puisqu’on vous dit qu’il faut simplifier…

      D’où aussi la volonté de rendre effective la coordination par le MESRI des politiques de recherche menées par les autres ministères, de désigner un seul organisme de recherche comme chef de file ayant la responsabilité de coordonner chaque grande priorité nationale déterminée par le Conseil stratégique, de reconnaître les universités comme des opérateurs de recherche à part entière et d’en « tirer les conséquences stratégiques et budgétaires » : autrement dit, financer celles qui seront jugées les meilleures et qui répondront aux priorités décidées en haut lieu par le Conseil stratégique, et les laisser réorganiser leur recherche en interne à cet effet.

      Les collectivités territoriales et l’ANR sont ainsi appelées à mettre en cohérence leurs appels à projets et leurs financements avec les grandes priorités nationales de l’État. En échange et conformément à une demande de l’association Régions de France, le soutien à la recherche des régions ne serait plus comptabilisé dans l’enveloppe budgétaire de fonctionnement contraint par la contractualisation avec l’État. Les régions devront également articuler leur stratégie de recherche partenariale et d’innovation avec celle de l’État et celles de leurs universités, le président de la région ou le vice-président étant chargé de coordonner l’ensemble des dispositifs – autant dire que ni les universités, ni bien sûr les universitaires et les chercheurs, n’auront la main sur ceux-ci. La politique à l’échelle régionale doit être définie par le président de région, le préfet de région, le recteur de région académique, les présidents d’université en lien avec les organismes de recherche, les présidents des pôles de compétitivité de la région et le président de Bpifrance.

      Tout est donc mis en place pour les grandes orientations de la recherche française soient décidées en toujours « plus haut lieu ». Et pour que ces décisions trouvent leur application sur le terrain, le financement doit être attribué en fonction de la conformité des recherches effectuées dans les universités et les laboratoires. Car si les dotations, notamment les crédits de base des laboratoires, doivent être augmentés selon le rapport 1 (qui semble ainsi répondre à une forte demande de la communauté des chercheurs), la contrepartie est qu’ils le seraient de manière inégalitaire, sous forme de « crédits compétitifs », c’est-à-dire qu’ils devraient aller aux universités sur la base de critères de recherche et que celles-ci distribueraient les fonds de manière différenciée en fonction de la « performance » (on ne dit plus « excellence ») de leurs unités. Comme, par ailleurs, ces universités devraient développer une politique scientifique répondant aux grands domaines définis en « haut lieu », on peut penser que les unités inscrites dans ces domaines seraient favorisées pour l’obtention de ces « crédits compétitifs ». La hiérarchisation est bien aussi une orientation politique de la recherche.

      L’ANR voit d’ailleurs ses pouvoirs renforcés puisque la gestion de tous les appels à projets de recherche nationaux devrait lui être confiée. L’augmentation préconisée de son financement pour que 25 à 40% des projets – c’est le taux aux États-Unis – soient retenus (contre 16% actuellement) répond à une demande émanant notamment des sciences dures. Là encore il y aurait une contrepartie : la modulation de l’aide financière en fonction de la durée et des thématiques des projets, et notamment des transferts ou applications technologiques possibles (Technology Readiness Level, soit le degré de maturité d’une technologie). Comme le financement de la généralisation des allocations doctorales à tous les doctorants n’est pas mentionné, il est probable que les rapporteurs songent à les faire abonder par les ANR, avec tous les effets mandarinaux que cela implique.

      Seule « l’innovation » comptant, il faudrait d’ailleurs renforcer les liens entre recherche publique et industrie par des dispositifs de recherche partenariale, l’association des citoyens et des territoires (traduction : des lobbies comme Alyss et des collectivités territoriales) dans le développement des innovations, des synergies au niveau régional favorisant les interactions avec les PME. La plupart des mesures préconisées en ce sens ne font qu’étendre des dispositifs déjà mis en place ces dernières années : doublement du nombre de thèses régies par une convention industrielle de formation par la recherche (CIFRE), du nombre de chaires industrielles de l’ANR, augmentation des crédits des projets collaboratifs entre grandes entreprises, PME et laboratoires pour les porter à 200M€ minimum, etc. La « recherche partenariale » serait elle aussi renforcée en étendant le principe de l’abondement des laboratoires Carnot à tous les laboratoires : autrement dit, le lien des laboratoires avec les entreprises sous forme de partenariats public-privé devrait être généralisé [5] et l’ANR aurait à en tenir compte dans le choix des projets qu’elle finance.

      Projets encore et toujours : les rapports souhaitent améliorer la participation de la France aux appels à projet européens (tout particulièrement en SHS), notamment en donnant des primes aux chercheurs et enseignants-chercheurs porteurs de tels projets. Là aussi, il faut hiérarchiser.

      On le voit, contrairement aux déclarations louant la recherche fondamentale, c’est bien la recherche financée sur projets, principalement porteurs de potentielles applications, qui est prioritaire pour les « managers » de l’ESR comme pour le gouvernement.
      Un régime autoritaire pour la science

      Qui établira cette hiérarchie et comment, voilà toute la question. Évaluation, contrôle et verticalité sont les corollaires techniques de la fabrique de l’inégalité. On l’a vu, la « gouvernance » doit être concentrée entre les mains de quelques personnes, et ce à tous les niveaux. Celle des infrastructures de recherche doit en outre être resserrée autour des principaux partenaires financeurs. L’organisation de la recherche ne se conçoit, dans ces rapports, que par l’autoritarisme.

      Le financement « à la performance » suppose quant à lui des évaluations. Le HCERES devrait être reconduit et réaménagé : il se voit notamment confiée l’évaluation régulière des infrastructures de recherche, dont dépendra désormais le niveau de leurs crédits (R1, p. 27). Mais ce sont les tutelles des unités qui auront elles-mêmes à élaborer des critères d’évaluation en fonction de leurs visées stratégiques, en déterminant une cotation pour chaque critère. Ah, noter, chiffrer… de vrais garants de la science, comme chacun sait ! La place du HCERES dans l’évaluation de la vie interne des unités deviendrait donc secondaire. En revanche, son rôle dans l’accréditation des processus d’évaluation, des organismes, des laboratoires ou des individus, chercheurs et enseignants-chercheurs, serait renforcé. La candidature de Thierry Coulhon à sa tête en est le signe le plus évident : conseiller spécial de Valérie Pécresse en 2008, « père » de la loi LRU, il est actuellement conseiller éducation, enseignement supérieur, recherche et innovation auprès d’Emmanuel Macron. Aucune évaluation sérieuse n’a pourtant été faite de cette institution, ni de son coût en expertise, ni du temps qu’il fait perdre à chacun. Du Comité national de la recherche scientifique (CoNRS) et du Comité national des universités (CNU), dernières instances collégiales réelles dans l’ESR, il n’est pas question sinon sous une forme menaçante : il faut « moderniser ces instances en les recentrant sur leur rôle de représentation des grands équilibres disciplinaires » (R2, p. 41). Comprendre : les vider de leur substance.

      Contre tout ce qui a pu être démontré, notamment par les sociologues de l’évaluation, les enseignants chercheurs sont dits « insuffisamment évalués » (R2, p. 28) : les rapporteurs préconisent donc un retour à leur évaluation tous les quatre ans. L’objectif est clairement affiché : les universités elles-mêmes seraient en charge de cette évaluation de leurs personnels qui serait couplée aux politiques indemnitaires et de promotion, à « une gestion managériale des emplois et des compétences, et à une répartition plus objectivée des financements » (R2, p. 28). Hiérarchiser pour contrôler, contrôler pour hiérarchiser. La liberté académique sera désormais laissée à la discrétion des présidents d’université et des évaluateurs : « La réussite aux appels à projet, les appréciations positives voire très positives d’un laboratoire de recherche au terme d’une évaluation réalisée par un comité indépendant pourraient, à titre d’exemple, justifier le versement d’un intéressement collectif à chaque membre d’une équipe » (R2, p. 33).

      En liant explicitement l’évaluation à la « gestion des ressources humaines », les rapports préconisent d’accomplir ce que la loi LRU et les « Responsabilités et compétences élargies » (RCE) déployées entre 2009 et 2011 n’avaient pu mettre complètement en place en raison de la mobilisation universitaire. Les enseignants-chercheurs et les chercheurs perdraient entièrement la maîtrise de l’évaluation de leur travail qui serait confiée à des supérieurs hiérarchiques ou à des organismes non-collégiaux, suivant des objectifs managériaux de contrôle et de différenciation des carrières. La mutation insidieuse qui s’est développée depuis 10 ans est ici entérinée, et serait renforcée, avec cette fois des effets très concrets et directs sur les carrières et les salaires.

      L’orientation de la recherche passe par les recrutements. En ce domaine aussi, il faut donc centraliser, ce qui passe par une gestion prévisionnelle de l’emploi scientifique sur 5 ans élaborée par le MESRI et par les universités et organismes de recherche. La politique de recrutement serait donc décidée en (plus) haut lieu, avec sans doute à la clé une généralisation des fléchages, qui se sont déjà développés et retirent le pouvoir d’évaluation des besoins et de décision aux enseignants-chercheurs et aux chercheurs. Comme toujours, les « meilleures pratiques internationales » (qui en décide, cela n’est dit nulle part) sont convoquées pour justifier ces changements, notamment la mise en place d’un tenure-track et l’autonomie de recrutement des établissements grâce à l’augmentation des dispenses de qualification par le CNU pour les établissements accrédités par des labels, appartenant à des Idex, les lauréats de l’ERC, etc.

      Toutes ces préconisations, si elles sont mises en place, ne peuvent qu’aboutir à un renforcement considérable du contrôle direct des présidents d’université sur leur personnel. Elles achèvent de faire tomber aux oubliettes ce qui fut, avant la loi LRU, le statut des universitaires, fonctionnaires d’État jouissant de droits et d’obligations particulières qui devaient leur garantir les libertés nécessaires pour mener leurs recherches à l’abri des pressions des pouvoirs, quels qu’ils fussent.
      Détruire les statuts d’enseignant-chercheur et de chercheur : la carotte est le bâton

      Comme souvent, les rapports agitent des carottes pour mieux faire avaler le bâton (si l’on peut dire). Les carottes, ce sont par exemple ici la demande de stabilisation de l’emploi scientifique permanent (les budgets alloués par l’État doivent tenir compte du GVT), la préconisation d’un allègement de service à l’entrée de carrière et d’une augmentation du volume des congés sabbatiques, ainsi que la recommandation de primes Le rapport sur l’attractivité préconise une augmentation générale des rémunérations des personnels de l’ESR. Est-ce là une bonne nouvelle ? Anticipant explicitement sur la réforme des retraites qui doit inclure les primes dans le calcul des pensions, les rapporteurs préconisent une augmentation générale des primes, sans toucher aux rémunérations indiciaires. S’il est question de privilégier la revalorisation pour tous, une « revalorisation ciblée » permettrait de renforcer encore la différenciation déjà amorcée des carrières. Hiérarchiser, cela veut bien dire ainsi, en matière de ressources humaines, tenir compte de la « performance » des enseignants-chercheurs et des chercheurs dans la revalorisation de leurs salaires : par des primes et non par la rémunération indiciaire, bien sûr. La logique de l’excellence revient donc, ce que montre clairement l’objectif d’attirer les « stars » de la recherche par un programme de « chaires d’excellence senior » qui donneraient à leurs titulaires, pour une période limitée, des financements récurrents. Stars internationales bien sûr, alors même que les droits d’inscription des étudiants étrangers ont été augmentés récemment : vous avez dit « attractivité » ?

      Les carottes auront pourtant du mal à rendre les bâtons plus digestes. L’allègement des obligations de service en début de carrière pour les enseignants-chercheurs pourrait ainsi être mise en place, au choix et sans exclusive, grâce à quatre procédés : un recours plus important aux PRAG et enseignants contractuels, une participation plus importante des chercheurs à l’enseignement, la suppression de la clause d’accord des intéressés pour la modulation de service, une « régulation collective » assurée par l’UFR ou le département concerné dans la répartition des services entre ses membres, chercheurs compris. De même l’augmentation du volume de congés sabbatiques (R2, p. 45) est articulée à l’accroissement des possibilités de modulation de services, que les rapporteurs ne présentent plus comme une piste possible mais comme une évolution par rapport au dispositif existant. Ainsi la modulation de service sans consentement des intéressés est explicitement prônée par le deuxième rapport. Elle s’accompagne de la fin de la référence aux 192h TD, posée comme un objectif, avec pour corollaire la disparition des heures complémentaires et la mise en place d’expérimentations pour que le service soit désormais calculé en ECTS et non en heures équivalent TD. Une indemnité forfaitaire pour lourde charge d’enseignement pourrait venir compenser dans certains cas cette mesure… De même, pour contrer la baisse des recrutements (il n’est évidemment jamais question d’augmenter ces derniers), les chercheurs devraient être amenés à enseigner davantage. Chercheurs et enseignants chercheurs verraient désormais leur charge d’enseignement régie non par un statut national, mais au cas par cas, sous la houlette du président d’université et des responsables d’UFR et de départements, en fonction des nécessités de service.

      Le deuxième rapport préconise en outre la mise en place d’un tenure-track en France, procédure dite de « recrutement conditionnel ou titularisation conditionnelle » qui pourrait prendre la forme de « chaires d’excellence junior » (le recrutement s’accompagnerait alors d’un financement adéquat de l’environnement du recruté). D’une durée de 5 à 7 ans, ces contrats se termineraient non par un concours, mais par une procédure dite de « go-no go », à savoir une évaluation suivant des « critères d’excellence internationaux » (bien sûr), tenant compte des résultats publiés mais aussi « de la capacité démontrée à obtenir des financements sur contrat »… Ou comment contraindre ceux qui poursuivent leurs recherches depuis des années sans entrer dans la course aux projets à s’y mettre… Bref, les heureux élus seront dans la main de leur employeur qui sera en outre chargé d’évaluations intermédiaires tout au long de la durée du contrat. Vous avez dit libertés académiques ?

      Si, selon les rapporteurs, cette mesure de tenure-track n’a pas vocation à être généralisée en raison de son coût, il est pourtant aisé de comprendre ce qui est visé par ces réformes, toujours présentées comme des « expérimentations », notamment parce que le rapport préconise d’analyser l’opportunité de fusionner les corps de maîtres de conférences et de professeurs. Une telle mesure ne pourrait être mise en place que par une généralisation progressive des tenure-tracks qui ne seraient plus conditionnées à une enveloppe associée (la carotte). L’extinction du corps des maîtres de conférences est une visée constante depuis de longues années. La loi promet d’avancer en ce sens, en maniant carotte et bâton et en masquant à peine ses intentions. Une telle disparition permettrait de réduire le nombre des titulaires, désormais en charge d’assurer le pilotage d’équipes composées de contractuels recrutés tant pour les activités de recherche que d’enseignement.

      Autre « innovation » de haut vol, les « CDI de mission scientifique », adaptation des CDI de projet dont les BIATSS font déjà l’amère expérience, seraient censés « dé-précariser » les agents concernés. Cette déclinaison dans la recherche des « CDI de chantier » qui existent ailleurs permettrait en fait de contourner la loi Sauvadet qui oblige un employeur à recruter en CDI un agent employé en CDD au bout de 6 années de contrats. La guerre, c’est la paix. Qu’on en juge plutôt :

      Le terme du projet pourrait être lié à sa réussite mais également à la fin du financement du projet ou à son abandon. Il constituerait un motif de licenciement pour cause réelle et sérieuse, sans qu’il soit possible de remettre en cause la réalité de ce motif. [6] Il donnerait donc lieu au versement d’une indemnité de licenciement, mais ne conduirait pas à l’application d’une obligation de reclassement. (R2, p. 36).

      Autrement dit, ces faux CDI s’affranchiraient des obligations de la loi Sauvadet. Si l’on ajoute à cela la mise en place des tenure-tracks et l’application depuis le 1er janvier 2020 de la rupture conventionnelle dans la fonction publique, c’est bien le statut même de fonctionnaire des enseignants-chercheurs tel qu’il était conçu jusque-là, adossé à la garantie de l’emploi, qui est foncièrement remis en cause. Ces faux-CDI sont les faux-bijoux posés sur les habits neufs de l’ESR, puisqu’ils seraient la récompense d’autres contrats courts, en particulier des post-doctorats de trois ans que les rapporteurs proposent de développer au nom de la lutte légitime contre la précarité des ATER, post-doc nécessairement moins nombreux qui auraient sans doute mécaniquement pour effet darwininien de précariser le plus grand nombre et d’augmenter les besoins en vacataires des universités.

      Et pour bien faire comprendre que l’avenir n’est plus dans la fonction publique, les rapports entendent favoriser encore les liens entre les chercheurs et le privé. Plusieurs mesures sont préconisées en ce sens, depuis le fait de rendre obligatoire une « exposition de l’ensemble des doctorants à la recherche privée ou partenariale » (R3, p. 33) à la volonté de créer davantage de start-ups deep tech et de faciliter leur croissance vers des entreprises de taille intermédiaire, ou encore de favoriser l’activité entrepreneuriale et la création d’entreprises par les chercheurs en les autorisant à y consacrer la moitié de leur temps de travail, à conserver 49% des parts dans le capital et à percevoir un complément de rémunération jusqu’à 76 000 euros à date. Les problèmes que posent ces intrications entre service public et intérêts privés ne sont évidemment pas envisagés.
      Un mot sur les sciences humaines et sociales, transformées en « sciences sociétales »

      Les SHS font l’objet de considérations spécifiques dans les trois rapports. La baisse de 12% des inscriptions d’étudiants français en 1re année de thèse entre 2010 et 2017 y est explicitement liée à la limitation du financement à 3 ans, limitation qui n’est pas adaptée à toutes les disciplines, et particulièrement pas aux SHS. La possibilité d’un allongement de ce financement est cependant conditionnée à un stage en immersion de 3 à 6 mois dans une entreprise ou une administration (où on fait beaucoup de recherche, comme chacun le sait).

      Plus généralement, les spécificités et l’importance reconnues aux SHS sont conditionnées à leur enrôlement au service des « défis sociétaux » (intelligence artificielle, développement durable, relations homme/machine, radicalisation, éducation… édu-quoi ?). Le rapport 1 se fend d’une citation tronquée et détournée de Barack Obama datant de janvier 2009 : « Il faut faire en sorte que les faits et les preuves ne soient pas déformés ou occultés par la politique ou l’idéologie. Il faut écouter ce que les scientifiques ont à nous dire, même si cela dérange, surtout si cela dérange ». Mais c’est une pensée scientiste que de croire que la science serait dépourvue de politique ou d’idéologie, que le domaine politique serait hors de la science et que celle-ci viendrait nécessairement déranger les politiques. Les rapports proposés à la ministre de l’ESR en sont un merveilleux exemple : les actuels managers de la science, souvent eux-mêmes d’anciens scientifiques, sont des idéologues qui s’échinent à défaire toute possibilité de compréhension critique du monde, attaquant les fondements mêmes des SHS.
      *

      La réalisation des préconisations de ces trois rapports supposerait un effort financier considérable de la part de l’État. Le rapport 1 chiffre celui-ci à 2 à 3,6 milliards d’euros par an. Mais cette estimation, dont on appréciera la précision, ne comprend pas le financement de tout un ensemble de préconisations qui ne sont pas chiffrées par les rapporteurs (combien seront payés les membres du nouveau Conseil stratégique par exemple ?), ni le coût annuel pour l’État de la revalorisation salariale préconisée par le deuxième rapport et estimée à 2,41 milliards d’euros par an ! Et cela sans toucher au CIR ? Après « Un nouvel espoir » cet automne, vous adorerez l’épisode « Bercy contre-attaque » cet hiver !

      Tout cela n’est pas sérieux. Ce qui l’est en revanche, c’est l’idéologie qui sous-tend la réforme qui vient, et dont les rapports sont l’expression manifeste.

      Elle conduit à poursuivre méthodiquement la mise en place de la compétition de tous contre tous, du management comme mode d’organisation de l’ESR afin d’instaurer un ordre autoritaire sur des chercheurs et des enseignants-chercheurs aux statuts de moins en moins stables ainsi qu’un contrôle renforcé sur la recherche. Les analyses faites depuis 2007 ont dégagé les logiques profondes des réformes engagées depuis trois décennies. C’est à leur aune qu’il faut lire les rapports préparatoires à la LPPR. Celle-ci entend bien achever ce qui a été commencé et que le mouvement de 2009 avait contrarié sur quelques points non négligeables. Seule une réaction de grande ampleur pourra faire échec à cette nouvelle tentative.

      Sauvons l’Université !
      Documents joints

      Newsletter n°44 (PDF - 209.4 ko)

      [1] Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, créé en 1983

      [2] Le CIR coûte plus de 6 milliards d’euros par an à l’État. Il représente 6% de la totalité des dépenses fiscales, second poste après le CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi). Pour mémoire, le budget du CNRS est d’environ 2,6 milliards d’euros.

      [3] Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, créé en 1983.

      [4] Il est intéressant de constater comment la soi-disant modernisation de l’université passe par un transfert de compétences du ministère de tutelle au premier ministre, ce qui était déjà advenu avec la gestion du CIR et des produits du Grand emprunt.

      [5] Partenariats dont le coût pour le public est tel, les effets si négatifs que la ministre Fioraso elle-même avait préconisé « zéro PPP à Paris » en 2013

      [6] SLU souligne

      http://www.sauvonsluniversite.fr/spip.php?article8594

    • Lien établi par anticipation entre réforme des retraites et « mécanismes de revalorisation des rémunérations » prévus par la LPPR

      –-> ci-dessous les deux extraits où il en est question, reçus d’un collègue via email, le 10.01.2020

      - art. 1er de l’exposé des motifs (p. 5) : « le Gouvernement s’est engagé à ce que la mise en place du système universel s’accompagne d’une revalorisation salariale permettant de garantir un même niveau de retraite pour les enseignants et chercheurs que pour des corps équivalents de même catégorie de la fonction publique. Cette revalorisation sera également applicable, conformément à l’article L. 914-1 du code de l’éducation, aux maîtres contractuels de l’enseignement privé sous contrat. Cet engagement sera rempli dans le cadre d’une loi de programmation dans le domaine de l’éducation nationale et d’une loi de programmation pluriannuelle de la recherche. »

      – art. 1er du projet de loi (p. 46) : « Les personnels enseignants, enseignants-chercheurs et chercheurs ayant la qualité de fonctionnaire et relevant du titre V du livre IX du code de l’éducation ou du titre II du livre IV du code de la recherche bénéficient, dans le cadre d’une loi de programmation, de mécanismes de revalorisation […] de leur rémunération leur assurant le versement d’une retraite d’un montant équivalent à celle perçue par les fonctionnaires appartenant à des corps comparables de la fonction publique de l’État. »

    • Ce qui nous attend dans le projet de Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR)

      Après la casse de l’assurance-chômage et l’attaque contre les retraites…
      Ce qui nous attend dans le projet de Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR)

      D’ici février 2020, un nouveau projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) sera présenté par le gouvernement. Il a été préparé par trois groupes de travail, dont les rapporteurs et rapporteuses sont des député-e-s LREM, des président-e-s ou vice-président-e-s d’université et d’organismes de recherche ou encore une ancienne cadre dirigeante de multinationales.
      C’est donc sans surprise que les trois rapports vont dans le sens de la politique gouvernementale en préconisant un accroissement des logiques de mise en concurrence, de précarisation et d’intensification du travail.
      Leur diagnostic : une recherche insuffisamment compétitive

      Au lieu d’aborder la recherche comme un bien commun et de prendre en compte l’importance de son enseignement, les trois rapports – « Financement de la recherche », « Attractivité des emplois et des carrières scientifiques » et « Recherche partenariale et innovation » parus [1] en septembre 2019 – l’appréhendent comme une marchandise au service des entreprises privées. Ces rapports font certes le constat partagé par la communauté scientifique de :

      l’insuffisance du financement public de la recherche et la concentration croissante des moyens par le biais des appels à projets,
      la baisse du nombre d’emplois stables,
      l’insuffisance des rémunérations des personnels de la recherche.

      Pour autant, c’est le « décrochage » de la France au niveau international qui est leur préoccupation majeure. Ils insistent sur l’insuffisante compétitivité de la recherche française, entendue au sens de la capacité de la recherche à profiter aux entreprises privées. Le troisième rapport se focalise d’ailleurs sur la création d’entreprises, sur les start-up qui valent un milliard (les « licornes ») et les grandes entreprises fondées sur des découvertes scientifiques ou technologiques comme Airbnb, Amazon, Uber, etc. dont aucune n’est française.
      Leur solution : une promesse d’augmentation du budget de la recherche au prix de la concurrence généralisée

      Ces rapports préconisent une augmentation du budget de la recherche au prix d’une réforme structurelle qui s’inscrit dans la continuité de la loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités (LRU) de 2007. Il s’agit d’accentuer considérablement les logiques de concurrence généralisée qui minent déjà l’enseignement supérieur et la recherche.
      L’accroissement des financements serait concentré sur les établissements, laboratoires et chercheurs et chercheuses considéré-e-s comme « excellent-e-s ». Il passerait par un renforcement des appels à projets et de l’Agence nationale de la recherche (ANR), donc d’un pilotage externe de la recherche, très orienté vers la compétitivité économique. Les rapports préconisent le rétablissement de la notation dans les évaluations du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES), afin de moduler des crédits alloués aux laboratoires.
      Dans la logique des ordonnances de décembre 2018 sur la politique de site, ces établissements « excellents » pourraient déroger aux règles communes, par exemple en recrutant des enseignant-e-s chercheurs et chercheuses sans qualification du Conseil national des universités (CNU), ou encore en recrutant des collègues sur de nouveaux types de contrat limités à quelques années, les contrats de projet.
      L’augmentation du budget de la recherche serait prévue sur dix ans, mais pourrait être remise en cause chaque année lors du vote de la loi de finances, dont on sait à quel point elle est marquée par une politique d’austérité aujourd’hui.
      Conséquence : une précarisation accrue des travailleurs et travailleuses de la recherche

      Cette logique de concurrence s’appliquerait non seulement aux structures, mais aussi aux personnes puisqu’il s’agirait d’accroître le poids de l’évaluation individuelle. La hausse de la rémunération passerait par des primes (de performance et d’engagement) et non par le salaire fixe ou le point d’indice, gelé depuis 2010 : elle serait donc étroitement conditionnée à l’évaluation, à l’instar du RIFSEEP [2] déjà mis en place pour les personnels BIATSS.
      Cette concurrence entre collègues se jouera sur les rémunérations, les moyens de recherche, mais aussi sur le service d’enseignement pour les enseignantes-chercheuses et enseignants-chercheurs. Le deuxième rapport préconise en effet la suppression de la référence aux 192 h équivalent TD annuelles des enseignant-e-s titulaires et son remplacement par le poids de chaque cours en crédits d’ECTS, en permettant également la modulation des services en fonction de l’évaluation individuelle. C’est précisément ce contre quoi se sont battu-e-s les travailleurs et travailleuses des universités en 2009. Cela signifie une augmentation de la charge de travail des enseignantes-chercheuses et enseignants-chercheurs sans contrepartie salariale, un recul accru des recrutements de titulaires et une individualisation des services destructrice des solidarités collectives.
      Rien n’est dit concernant la précarité qui ne cesse de s’étendre via le système des vacations. A la suite de la loi de transformation de la fonction publique d’août 2019, l’augmentation du nombre de postes de chercheurs et chercheuses ou d’enseignantes-chercheuses et enseignants-chercheurs passerait par de nouveaux types de contrats comme les « contrats de mission scientifique », contrats de projet ou d’autres contrats précaires prétendument revalorisés. Derrière ces contrats présentés comme intermédiaires entre un CDD et un poste de titulaire, ce qui se profile à terme, c’est la suppression du corps des maîtres-ses de conférences et des chargé-e-s de recherche. Les rapports proposent de renommer les MCF en « Professeurs assistants », comme aux États-Unis ou avant Mai 68, ou de fusionner ce corps avec celui des professeur-e-s (ce dont on pourrait se réjouir s’il ne s’agissait d’accroître la précarité pour les jeunes collègues).
      Pour tou-te-s, un seul horizon : le burn-out

      Finalement, que nous promettent toutes ces préconisations ? Précarité, concurrence et pression accrues y compris pour les titulaires. Une concurrence généralisée entre collègues qui minera le fonctionnement collectif des équipes, déjà mis à mal. Encore plus de temps passé à répondre à des appels à projets, à des procédures d’évaluation à tous les niveaux, une pression à la performance sans lien avec nos propres objectifs et questionnements scientifiques, plus d’heures de cours pour la majeure partie des enseignant-e-s chercheurs et chercheuses qui n’auront pas la chance d’être « excellent-e-s » ou de se consacrer au management de leurs collègues. Bref, le renoncement à la qualité et à la sérénité de l’enseignement et de la recherche, surtout si cette dernière n’entre pas dans les objectifs nationaux de compétitivité économique… et le burn-out assuré pour tou-te-s !
      Un déni démocratique qui remet en cause l’indépendance de la recherche vis-à-vis des intérêts privés

      Outre cette nouvelle dégradation de nos conditions de travail, ce que la LPPR promet, c’est un service public d’enseignement supérieur et de la recherche mis sous pression par des agences de pilotage managérial et placé sous la tutelle des intérêts privés.
      La préparation de la loi de programmation a constitué un déni démocratique, puisque la consultation des personnels de la recherche notamment par le biais des sociétés savantes ou au sein du CNRS a fait ressortir des constats et des attentes largement partagées, comme la réduction du poids des appels à projets et des évaluations, la réduction du service d’enseignement, l’augmentation des financements pérennes et l’augmentation du nombre de postes de fonctionnaires, seuls à même de garantir l’indépendance de la recherche et du temps pour en faire.

      https://www.sudeducation.org/Ce-qui-nous-attend-dans-le-projet-de-Loi-de-programmation-pluriannuell

    • Vous n’aurez peut-être pas la loi annoncée (la LPPR), mais vous aurez la réforme !

      Les trois rapports remis à la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation en septembre 2019, dont SLU vous a proposé l’analyse, étaient destinés à donner les grandes orientations d’une loi de programmation pluriannuelle de la recherche présentée par le gouvernement comme un moment important de la politique d’Emmanuel Macron, signalant un nouvel engagement fort de la France en ces domaines.

      Le calendrier parlementaire ne permettra pas la présentation de cette loi en 2020. On aurait tort de s’en réjouir : l’abandon d’une ambition législatrice forte ne signifie en rien l’abandon de la réforme. La loi PACTE, les décrets de Réforme de la fonction publique ainsi que quelques dispositions introduites comme « cavaliers législatifs » dans la loi sur les retraites (qui implique pour les enseignants-chercheurs et chercheurs des mesures compensatoires), voire quelques ordonnances ici ou là peuvent suffire à mettre en place les éléments clés de la réforme annoncée, tout en affranchissant le gouvernement de tout engagement financier pluri-annuel.

      Les trois rapports partagent pourtant le constat alarmant de la situation critique de l’enseignement supérieur et la recherche français, de son décrochage dans les dix dernières années, du manque de moyens et de personnel criants dans l’ESR, de la dégradation des conditions de travail de tous les personnels. Ils posent la nécessité d’une intervention forte pour y remédier. SLU aurait pu en signer sans ciller certains passages…

      Reste que non seulement, jamais ces constats ne sont mis en relation avec les politiques menées par tous les gouvernements depuis plus de 15 ans, mais les solutions prônées s’inscrivent dans leur continuité exacte : renforcement du pouvoir sans partage des présidents d’université, détricotage du statut des enseignants-chercheurs, développement de la contractualisation (et donc de la précarité) au détriment des postes de fonctionnaires, augmentation du temps de travail, renforcement de la différenciation salariale entre personnes de mêmes catégories, instauration des méthodes managériales dans l’organisation de l’enseignement supérieur et de la recherche mis au service des intérêts privés.

      Qu’on en juge par les principales mesures préconisées par ces rapports :

      Affaiblissement du statut des enseignants-chercheurs
      – fin du consentement des intéressés pour la modulation de service afin de pallier le manque d’effectifs ;
      – possibilité d’imposer aux chercheurs des charges d’enseignement désormais fixées au cas par cas, dans les universités, sous la houlette des présidents d’université, voire des responsables d’UFR ou de département, en fonction des nécessités de service ; fin du référentiel des 192h TD, donc du paiement des heures complémentaires, expérimentation d’un calcul du temps d’enseignement en ECTS, et non en heures ; mise en place de « tenure-tracks » à la française, sous forme de contrats de 5 à 7 ans dont les heureux détenteurs seraient soumis à évaluation régulière des résultats publiés et de la capacité à obtenir des financements sur contrat pour être finalement recrutés ou remerciés ;
      – possibilité de fusionner les corps de maîtres de conférences et de professeurs, de manière à réduire le nombre de titulaires et à remplacer peu à peu les maîtres de conférences par des contractuels ; mise en place de CDI de mission scientifique, adaptation des « CDI de projet » déjà en place pour les BIATS, dont le financement serait lié à la durée d’un projet sans nécessité de reclassement à la fin de ce dernier ;
      – différenciation des salaires des enseignants-chercheurs et des chercheurs par des primes accordées selon leurs « performances », l’évaluation étant directement couplée aux politiques indemnitaires et de promotion.

      Renforcement de la #gestion_managériale et de la recherche sur projets
      – capacité conférée aux établissements et aux universités de décider de leurs propres critères d’évaluation de leurs personnels, avec accréditation de l’HCERES ; concentration du pouvoir décisionnaire en matière de grandes orientations de la recherche au plus haut sommet de l’État (premier ministre) ; hiérarchisation des dotations aux établissements et aux universités en fonction de leur participation aux grandes orientations décidées en haut lieu et de leurs « performances » ; suppression ou refonte du rôle du CNU et de celui du Comité national du CNRS ;
      – augmentation des moyens accordés à l’ANR qui se verrait confier la gestion de tous les appels à projets de recherche nationaux ; aide financière de celle-ci modulée suivant la durée des projets, leur thématique et leur possibilité de transfert rapide vers des applications technologiques ; priorité accordée à la recherche sur projets dans les financements accordés ; renforcement des liens entre recherche publique et industrie par tout un ensemble de dispositifs favorisant la recherche partenariale, les synergies avec les PME, la recherche tournée vers les innovations technologiques et industrielles.

      Après la destruction des services publics de l’hôpital, des transports, de la poste, de l’éducation nationale, vient donc celle du service public d’enseignement supérieur et de recherche : un changement de paradigme dans la conception des missions de l’ESR, désormais strictement indexées à l’industrie, qui passe donc par une transformation radicale de ses structures et de ses métiers. L’autonomie de la recherche, les engagements à l’élévation d’une société par l’enseignement supérieur, la notion même de formation sur la longue durée sont jetés aux ordures. Les préconisations des administrateurs qui ont rédigé ces rapports visent la mise aux ordres des personnels de l’ESR, leur hiérarchisation et leur mise en concurrence, l’instrumentalisation des financements en vue d’une gestion managériale des « ressources humaines ».

      Nous devons aux étudiants, aux doctorants, aux jeunes chercheurs et enseignants-chercheurs qui entrent dans la carrière, nous devons à nos engagements propres dans nos métiers d’enrayer la mise en place de ces mesures. Voilà des années que chercheurs et enseignants-chercheurs sont les analystes les plus aigus des conséquences économiques et sociales des politiques en cours, des années que d’autres propositions sont faites, des années que l’on sait où est l’argent (au CIR par exemple).

      Exigeons un cadre législatif digne des enjeux pour l’enseignement supérieur et la recherche, exigeons un calendrier clair de Mme Vidal. Entrons dans la discussion sur l’avenir de l’ESR. Ne laissons pas aux technocrates de Bercy la gestion de l’enseignement supérieur et la recherche parce que, en effet, il s’agit d’une priorité nationale.

      Seule une mobilisation massive des universitaires et des chercheurs peut faire reculer le gouvernement. Cette mobilisation passe tout de suite par des réunions d’information auprès des collègues, des étudiants, des doctorants, par des AG, par la participation à la préparation et à l’organisation de prochains Etats généraux de l’ESR. La question de l’arrêt des cours, de la suspension des examens et des évaluations, de l’acceptation de siéger dans les commissions se pose dès aujourd’hui. À vous d’agir et d’inventer vos formes de combat.

      http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article8595

    • À la découpe : sur l’adoption de la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR)

      La Loi de programmation pluriannuelle sur la recherche, annoncée en grande pompe par le Premier Ministre Philippe en janvier 2019, et qui a occasionnée une quantité assez considérable de travail (https://academia.hypotheses.org/category/politique-de-la-recherche/lppr-notre-avenir) et de textes de préparation, n’aura pas lieu.

      Pourquoi ? Parce que le Sénat n’aura pas un moment à lui consacrer en 2021. Son calendrier prévisionnel 2020 (https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/793/files/2020/01/Calendrier-Se%CC%81nat-2020.pdf) et les échanges avec les sénateurs le confirme : plusieurs lois importantes doivent être examinées avant et après la suspension prévue pour les élections municipales jusqu’à l’été, après lequel le Sénat sera renouvelé par tiers, avant d’examiner le projet de loi de finance2. De là à dire que les multiples dispostions bénéfiques et maléfiques qui en étaient attendues n’auront pas d’existence, il y a un pas à ne pas franchir.

      La première raison, c’est que la plupart des dispositions délétères qui apparaissaient dans quelques textes, notamment le groupe de travail n°2 “Attractivité des emplois et des carrières scientifiques“ (https://academia.hypotheses.org/6107), ont pour l’essentiel été votées dans la Loi sur la transformation de la fonction publique le 6 août 2019 ; les décrets d’application de dispositifs concernant la supression des commissions paritaires, des CDI de chantier (https://academia.hypotheses.org/6294), de la rupture conventionnelle, etc. sont parus au 1e janvier 20193. Ce processus déjà largement entamé dans notre secteur par le recours abusifs aux contrats, aux vacations, a en priorité concernés les fonctions BIATSS, qui recourent à la contractualisation à hauteur de 40% des emplois. Ce sont elleux qui ont également expérimenté les CDI de chantier. En substance, dans la loi et ses décrets d’application, et en pratique, dans les politiques RH effectives, il s’agit de détruire le statut de fonctionnaire d’État.

      La seconde raison vient d’une autre loi, passée encore plus inaperçue que la première : la loi PACT. Le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises a en effet, a priori, peu de choses à voir avec la recherche fondamentale, tout particulièrement en sciences humaines et sociales. Comme on peut le lire en ligne (https://academia.hypotheses.org/6294) :

      Par ce projet de loi, le Gouvernement ambitionne de “relever un défi majeur, celui de la croissance des entreprises, à toute phase de leur développement, pour renouer avec l’esprit de conquête économique” et pour cela, de transformer le modèle d’entreprise français pour “l’adapter aux réalités du XXIe siècle“.

      Cela est d’autant plus curieux que les débats parlementaires se tiennent au lendemain de la cérémonie de clôture des 80 ans du CNRS, où le Président Macron annonce la future LPPR : plusieurs interventions s’interrogent d’ailleurs sur la nécessité de prendre certaines dispositions alors que la LPPR est en cours d’élaboration. Pourtant la lecture des débats parlementaires au Sénat laisse comprendre tout autre chose4. Plusieurs articles concernent directement les chercheurs et chercheuses, leur statut, le CDI de chantier. Qui plus est, les barrières entre fonction publique et entreprises sont levées : désormais les chercheurs peuvent prendre 20% de participation au capital des entreprises, sans que la commission de déontologie est besoin d’être saisie — ce qu supprime de facto cette instance5. Comme le résume assez bien Bruno Lemaire :

      Chercheur moi-même à mes débuts, attaché à la durée puisque je travaillais sur Marcel Proust, je reconnais bien volontiers la nécessité d’offrir du temps long, mais comme ministre de l’Économie, je pense aussi que les Français sont impatients d’avoir des résultats dans le temps court. Nous concilions les deux : d’un côté, le débat ouvert par le Premier ministre, notamment sur le CNRS, de l’autre, des mesures pour faire tomber les murs entre la recherche et l’entreprise.

      On comprend mieux pourquoi, alors qu’une négociation est censée avoir cours entre la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (https://academia.hypotheses.org/6783) à la demande du Premier Ministre à propos de la LPPR, celle-ci n’aura pas lieu. Il suffit de caser quatre-cinq articles improbables dans la loi sur les retraites.

      Précisons deux points supplémentaires :

      une Loi de programmation pluriannuelle n’est pas vraiment contraignante, ainsi que le prouvent les précédentes lois de programmation sur la défense, qui n’ont jamais été respectées. C’est la loi budgétaire qui compte.
      La loi budgétaire 2019 vient d’être votée. Elle confirme une diminution supplémentaire du budget de l’ESR, comme le précise à la tribune du Sénat, Pierre Ozoulias6.
      Intervention générale de PIerre Ozoulias, sénateur,
      lors de l’examen de la loi de finance, le 29 novembre 2019.

      "Monsieur le Président,
      Madame la Ministre,
      Mes chers collègues,

      À cette tribune, l’an passé, j’avais appelé votre vigilance sur les prodromes flagrants d’un décrochage de l’enseignement supérieur et de la science française. Les groupes de travail, chargés de la réflexion préparatoire à l’élaboration de la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche, viennent de confirmer ces inquiétudes et dressent un bilan partagé de cet état préoccupant. Notre collègue, Cédric Villani, député et président de l’OPECST, résume ce diagnostic pessimiste en deux formules : « la France n’investit pas assez dans sa recherche » et elle a « perdu du terrain » dans ce domaine.

      Depuis bientôt dix ans, les dépenses de recherche croissent moins vite que le produit intérieur brut. Elles représentaient encore 2,28 % du PIB en 2014, contre 2,19 % aujourd’hui. L’effort budgétaire de l’État dans ce domaine est médiocre et bien inférieur à celui de nos voisins européens. Les sommes investies par les entreprises pour la recherche représentent 1,4 % du PIB en France, contre 2 % en Allemagne et ce différentiel ne cesse de croître, car, en 2017, elles n’ont augmenté que de 1,7 % en France, contre 7,8 % en Allemagne et 8,7 % en Suède.

      La faiblesse chronique de ces investissements a des conséquences funestes pour l’emploi scientifique et pour l’attrait des étudiants pour les carrières scientifiques. La France est un des rares pays de l’Europe pour lequel le nombre de doctorants est en baisse constante. Cette régression doit être rapprochée de la chute drastique des recrutements par les opérateurs publics. Ainsi, pour le seul CNRS, les postes ouverts pour les chercheurs étaient de 412 en 2010, contre 240 en 2020, soit une baisse de plus de 40 % en dix ans. Dans ces conditions, c’est la validité scientifique des concours qui est fragilisée. Par découragement, de nombreux jeunes chercheurs quittent notre pays et cette fuite des cerveaux est un symptôme de plus du déclin de la science française. Je pourrais malheureusement poursuivre durant toute la durée de mon intervention l’énoncé de ces affaiblissements.

      Votre projet de budget n’ambitionne pas d’y mettre fin. Au contraire, il s’inscrit dans un cadre qui a imposé à l’enseignement supérieur et à la recherche une progression budgétaire inférieure à celle de l’État. Par-delà les effets d’annonce et la promotion de mesures nouvelles, plusieurs déficits structurels vont nécessairement continuer d’affaiblir, en 2020, la situation économique des opérateurs de la mission.

      Ainsi, l’absence de compensation du « glissement vieillesse technicité », oblige les opérateurs à réduire leur masse salariale pour le financer. Pour les universités, cette perte conduit au gel de plus de 1 200 emplois. Je regrette vivement, avec nos rapporteurs, que le Gouvernement demande au Parlement de se prononcer sur des objectifs qu’il sait inaccessibles. De la même façon, dans un contexte de hausse de la démographie estudiantine, la quasi-stabilité des moyens alloués aux universités aboutit à une baisse du budget moyen par étudiant. Ce ratio est en diminution de près d’un point tous les ans, depuis 2010. En 2018, il est estimé à 11 470 euros per capita, soit son plus bas niveau depuis 2008.

      Cette décimation de l’emploi scientifique a touché encore plus durement les opérateurs de la recherche. Ainsi, le CNRS  a perdu, en dix ans, 3 000 emplois, soit près de 11 % de ses effectifs. Mais, la non-compensation du GVT a sans doute été considérée comme une saignée trop peu indolore. Votre Gouvernement, pour aller plus vite, a donc décidé d’augmenter le niveau de la réserve de précaution de 3 % à 4 %. Le précédent de la loi de finance rectificative, adoptée cette semaine, révèle que, pour la mission de l’enseignement supérieur et de la recherche, les crédits gelés en début de gestion budgétaire sont intégralement annulés à la fin de l’année. Cher collègues, nous débattons donc d’un budget qui sera encore plus diminué l’année prochaine par les annulations.

      À  tout cela, il faut ajouter le refus du Gouvernement d’anticiper les conclusions de la récente et inédite décision du Conseil constitutionnel. Grâce à votre décret sur les droits d’inscription différenciés, les Sages ont considéré que l’enseignement supérieur était constitutif du service public de l’éducation nationale et que le principe de gratuité s’y appliquait. Le Conseil admet toutefois qu’il est loisible pour les établissements de percevoir des droits d’inscription à la condition qu’ils restent modiques par rapport aux capacités contributives des étudiants. Il n’est point besoin d’attendre l’interprétation que donnera le Conseil d’État de cette décision pour supposer qu’elle ouvre des voies de recours pour tous les étudiants qui considèrent leurs frais d’inscription disproportionnés. Ces possibles contentieux risquent de priver de nombreux établissements de ressources importantes.

      En théorie votre projet de budget apparaît en quasi stabilité, en pratique, il risque de s’avérer encore plus déficient que l’an passé. À tout le moins, il n’est pas la manifestation budgétaire d’une priorité politique pour l’enseignement supérieur et la recherche et vous en avez parfaitement conscience puisqu’il nous est demandé d’attendre le début de l’année prochaine pour connaître des ambitions du Président de la République en ces matières.

      Nous débattons donc d’un projet de budget des affaires courantes et les annonces décisives sont réservées à un autre auditoire. Il en est ainsi du budget de la recherche comme de celui de la sécurité sociale, l’essentiel n’est pas destiné à cet hémicycle !"

      Ce budget est parfaitement clair et contredit exactement tous les avis émis par les différentes instances — Académie des sciences, CoCNRS, CNRS, Conférence des présidents d’université, groupes de travail préparatoires — pour appauvrir encore le budget de l’ESR. Et ce, en accroissant le Crédit impôt recherche, dispositif bien connu d’optimisation fiscale7.

      Pour ce qui est de l’application de la loi “darwinienne et inégalitaire” attendu par le président Macron et son bras droit Antoine Petit, nous n’avons pas davantage d’inquiétude. Thierry Coulhon, encore il y a peu Conseiller éducation, enseignement supérieur, recherche du Président Macron sur les questions et auteur des différentes dispositions ESR dans les projets de loi susdits, est seul candidat au Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (https://www.letudiant.fr/educpros/actualite/thierry-coulhon-conseiller-enseignement-superieur-et-recherche-a-l-elysee.), à même donc de distribuer les résidus de budget en fonction du “mérite” et de la “performance”.

      https://academia.hypotheses.org/7164?mc_cid=123b8a4fc8&mc_eid=eec2f49428

    • Grave : un aspect du projet de réforme des #procédures_disciplinaires concernant les étudiantEs.

      –-> L’atteinte à la réputation de l’université pourrait être sanctionnée...

      L’article R 811-11 du code de l’éducation deviendrait rédigé ainsi (p. 27 de la 1ère PJ et p. 10 de la 2ème PJ) :

      « Relève du #régime_disciplinaire prévu aux articles R. 811‐10 à R. 811‐443 tout usager de l’université lorsqu’il est auteur ou complice : [...] De tout fait de nature à porter #atteinte_à_l'ordre, ou au bon fonctionnement ou à la #réputation de l’université »

      La modification du texte actuellement en vigueur est en gras surligné. SI ce rajout passe c’est la fin de la #liberté_d'expression des étudiants (ou alors il faudra attaquer la légalité du décret lui-même au regard de disposition constitutionnelle en vigueur ce qui est long et aléatoire).

      Avant de devenir définitif, le texte est soumis pour avis au CNESER du 16/12. Les organisations syndicales professionnelles boycottent cette séance dans le cadre du mouvement social. Le texte passera par contre le 23/12 avec ou sans les organisations syndicales (plus besoin de quorum pour faire siéger le CNESER, si les syndicats de professionnels sont absents, les orga patronales et les représentants nommés par le ministère auront la majorité pour emettre un avis favorable à la modification).

      Défavorable ou pas l’avis du CNESER n’est de toute façon que consultatif. Seule une mobilisation étudiante sur cette question est susceptible d’empêcher cette modification qui au final crée un #délit_d'opinion spécifique aux étudiants.

      #procédure_disciplinaire #discipline

      Reçu via une mailing-liste militante, 15.01.2020

    • Pas directement en lien avec la LPPR, mais un effet d’annonce par Madame la ministre... qui est à la fois mensonger et qui ne répond pas aux besoins des facultés...

      Annonce :

      Dès 2021, tout chargé de recherche et tout maître de conférence sera recruté à au moins 2 SMIC, contre 1,3 à 1,4 SMIC aujourd’hui. Cela représente, en moyenne, pour les nouveaux maîtres de conférences qui seront recrutés l’année prochaine, un gain de 2 600 à 2 800€ sur un an.

      Pourquoi cette annonce est mensongère et pas attractive du tout pour la profession ?
      La réponse ici :
      https://seenthis.net/messages/821974

    • Désenfumage

      Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’annonce ministérielle d’une revalorisation des salaires des jeunes chercheurs est directement liée à la réforme des retraites. Elle est destinée à faire écran aux réformes structurelles de la loi sur la recherche et sur l’Université annoncée pour la mi-février, pour adoption au printemps, du moins si le calendrier parlementaire saturé le permet. Pour le comprendre, il convient d’en passer par l’arithmétique.

      Déroulons d’abord la mécanique de la réforme des retraites jusqu’à son cœur : l’article 18. Il prévoit que l’Etat aligne progressivement, sur 15 ans, son taux de cotisation patronale de 74,3% aujourd’hui sur celui du privé dans le nouveau système : 16,9%. Cette mesure contribuera évidemment à créer une crise de financement des retraites, pourtant aujourd’hui à l’équilibre. Si globalement, les recettes vont décroître de 68 milliards € sur un total de 330 milliards € par an, la chute sera de 36 milliards € sur un total de 55 milliards € pour la fonction publique d’Etat [1]. En 2037, l’Etat sera le principal contributeur à la baisse générale des recettes de cotisation pour un montant de 42 Milliards € hors inflation. L’objectif est évidemment de reprendre ce #déficit_créé_de_toute_pièce sur le montant des pensions [2] [3].

      Que fera l’Etat de ce prélèvement sur le salaire socialisé, qui va croître pendant 15 ans ? En 2021, il en reversera une partie aux budgets des universités et des grands organismes de recherche. Le montant annoncé par Mme Vidal lors de ses vœux, 120 millions €, est comparable aux annonces faites chaque année, qui couvrent généralement l’inflation (143 millions € pour 2019) mais pas le glissement vieillesse technicité. Pour partie, ce montant sera cependant consacré à des primes indemnitaires, permettant d’accroître l’adhésion de la technostructure managériale. 92 millions € seront utilisés pour aligner la cotisation salariale et compenser la disparition de la retraite additionnelle de la fonction publique. Par ailleurs, le recrutement pour des postes statutaires (CR et MCF, de plus en plus clairement mis en extinction) se fera à un salaire de 2 SMIC [4].

      En présentant de manière favorable ce système de #vases_communicants entre budget de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et creusement annuel d’un trou de 230 millions € dans le financement des retraites, il s’agit de #fabriquer_le_consentement à la réforme réelle. Ainsi, le journal les Echos titrait le mercredi 22 janvier : « Frédérique Vidal annonce le doublement du salaire des jeunes chercheurs ». Les #éléments_de_langage du ministère ont en effet sous-estimé le salaire d’entrée actuel des chargés de recherche et des maîtres de conférences, qui se situe entre le 2ème (1,6 SMIC) et le 3ème échelon (1,8 SMIC), en omettant délibérément la #reconstitution_de_carrière. Passer le salaire d’entrée de 1,7 SMIC à 2 SMIC, beau “doublement” en vérité. Cela constituera « un gain de 2600 à 2800€ sur un an » répète du reste Mme Vidal, soit +0,2 SMIC. Ce qu’il fallait démontrer [5].

      On se souvient que la « loi de programmation pour la recherche » était la revendication centrale portée il y a des années lors de grandes réunions des directeurs d’unité annonçant leur démission. En en reprenant le nom, la loi à venir se dotait d’une façade consensuelle : l’inscription dans la loi de l’objectif de 3% du PIB consacré à la #recherche. L’objectif, non contraignant, est ramené aujourd’hui à une montée à compter de la fin du quinquennat vers 2,6% du PIB dans 10 ans.

      Que s’agit-il de faire accepter par ces jeux de bonneteau budgétaires ? Le cœur de la réforme est l’introduction du système de #tenure_track par des chaires de professeur junior : ces contrats de 3 à 6 ans accompagnés d’un financement de recherche seront intercalés entre les post-docs et le recrutement statutaire, accroissant de la même durée la période de #précarité. Au passage, les modalités de #recrutement et de #titularisation seront dérégulées et les conditions statutaires dégradées. Il s’agit bel et bien d’initier la mise en extinction des #postes_statutaires, déjà raréfiés, pour les #jeunes_chercheurs. Pour des raisons politiques évidentes, la demande portée par les syndicats de fusion des corps des maîtres de conférence et des professeurs n’a pas été actée.

      Hormis les vases communicants liés à l’article 18 du projet de retraites, il importe de comprendre l’absence totale de surprise dans ces annonces, théorisées depuis quinze ans par Aghion et Cohen [6]. Leur rapport de 2004, suivi à la lettre, prévoyait quatre volets de dérégulation et de mise en concurrence :

      - l’#autonomieadministrative des universités (dérégulation des statuts, direction par un #board_of_trustees, etc) : actée ;

      - l’#autonomie_pédagogique (mise en concurrence croisée des étudiants et des formations, dérégulation des diplômes) : amorcée avec #Parcoursup ;

      - l’autonomie de recrutement, d’évaluation et de gestion des personnels (dérégulation des statuts, contractualisation, liquidation des libertés académiques et du principe de collégialité entre pairs) : nous y sommes ;

      - l’#autonomie_financière (dérégulation des frais d’inscription) : travaillé dans le débat public, par l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants étrangers et par la multiplication des DU.

      Que les réformes structurelles menées depuis quinze ans conduisent à l’effet inverse de celui qu’elle prétendait obtenir ne les arrêtera pas. L’#obsession_néolibérale consistant à utiliser les moyens de l’Etat pour construire un #marché_international_des_universitaires, des chercheurs, des établissements et des formations est telle, dans la sphère managériale, qu’elle ne perçoit plus le moins du monde la réalité des dégradations qu’elle engendre. Elle persiste, dans une période où le nombre de candidats de qualité par poste ouvert explose, à répéter la fiction d’un « défaut d’attractivité » supposément constitué par la fraction limitée de candidats étrangers [7]. Cette séparation de la sphère décisionnaire avec l’expérience concrète des conditions d’exercice de la recherche et de l’enseignement est dramatique : la reprise en main bureaucratique est en train de sacrifier une génération de jeunes chercheurs ainsi que le niveau d’exigence dans la création et la transmission des savoirs.

      –---
      Notes :

      [1] Cette chute se fera au rythme de 2 milliards € par an d’économie jusqu’en 2036, engendrant un défaut de recette cumulé de 240 Milliards € sur 15 ans pour la fonction publique d’Etat.

      [2] L’élévation de l’âge de départ à la retraite à taux complet est une manière d’obtenir cette baisse des pensions. Le décrochage de la valeur du point par rapport à l’inflation en est une autre ( 15% de baisse depuis 10 ans).

      [3] Le taux de cotisation patronal était un frein aux passages entre fonction publique d’Etat et contrats de droit privé, l’employeur devant par le passé compenser le différentiel pour le passage FPE vers la FPT ou la FPH. L’objectif est donc également de généraliser l’indifférenciation entre les sphères publique et privée et le recours à la contractualisation en lieu et place du statut de fonctionnaire.

      [4] Selon l’arbitrage, le recrutement se fera à l’échelon 3 par une addition de 73 points d’indice ou à l’échelon 4.

      [5] Les vœux de Mme Vidal comportaient cette incohérence arithmétique flagrante : “Dès 2021, tout chargé de recherche et tout maître de conférence sera recruté à au moins 2 SMIC, contre 1,3 à 1,4 SMIC aujourd’hui. Cela représente, en moyenne, pour les nouveaux maîtres de conférences qui seront recrutés l’année prochaine, un gain de 2 600 à 2 800€ sur un an. Tweet du 21 janvier”

      [6] Rapport Aghion-Cohen

      www.groupejeanpierrevernant.info/RapportCohenAghion.pdf

      voir aussi

      www.groupejeanpierrevernant.info/SlidesAghion.pdf

      Rapport Attali-Macron

      www.groupejeanpierrevernant.info/RapportAttali.pdf

      voir aussi notre billet

      http://www.groupejeanpierrevernant.info/#ChatTour

      [7] Les trois rapports centraux sur lesquels est construite la loi à venir :

      www.groupejeanpierrevernant.info/NoteIdex.pdf

      www.groupejeanpierrevernant.info/NoteTerraNova.pdf

      www.groupejeanpierrevernant.info/NoteSiris.pdf

      Reçu par email, le 23.01.2020

      #calculs

    • Point info sur la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche (LPPR)

      Point d’information (donc relativement bref et non exhaustif) sur le projet de Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), lors de l’Assemblée générale de la Faculté des Lettres d’Aix-en-Provence le 15 janvier 2020 par Isabelle Luciani.

      https://www.youtube.com/watch?v=LbdJbnXvdd0

    • Des luttes contre le projet de reforme des retraites dans l’enseignement supérieur et la recherche

      Cette semaine, on vous a parlé des luttes contre le projet de reforme des retraites du coté de l’enseignement supérieur et la recherche avec des membres du collectif Université Ouverte. La réforme des retraites n’est qu’un aspect des politiques néolibérales mises en place par les gouvernements successifs depuis une trentaine d’années. Il est urgent de prendre conscience de la situation actuelle. La réforme des retraites ne peut être isolée des autres réformes passées ou en cours, celle de l’assurance chômage, celles qui touchent l’éducation nationale et l’enseignement supérieur (loi ORE et Parcoursup, Réforme Blanquer, augmentation des frais d’inscription à l’université, notamment pour les étudiant·es étranger·es extra-européen·nes, réforme du recrutement et de la formation des enseignants du second degré, LPPR…).

      http://www.loldf.org/spip.php?article753

    • Universitaires, la fin de l’indépendance ?

      La future « Loi de Programmation Pluriannuelle pour la Recherche » suscite une très vive opposition au sein de l’enseignement supérieur. Elle semble en effet vouloir poursuivre les attaques menées depuis plusieurs années contre le statut particulier des universitaires. Un #statut qui garantit leur #indépendance, à la différence des autres fonctionnaires, et constitue l’une des meilleures défenses face aux appétits des prédateurs économiques, et aux pressions politiques.

      Le projet de Loi de Programmation Pluriannuelle pour la Recherche (LPPR), annoncée pour le printemps 2020, suscite de très vives contestations dans le monde universitaire. Son inspiration clairement « néolibérale » est critiquée. Elle est perçue comme visant un renforcement du mode concurrentiel d’exercice de la recherche « sur projets », que ne supportent plus les chercheur·e·s à l’Université et dans les grands organismes de recherche (type CNRS), au bout d’environ vingt ans de mise en place croissante.

      Elle appliquerait même cette mise en compétition aux universitaires dont les missions et rémunérations dépendraient de leurs « #performances » à court terme. Elle prévoit également des embauches sous #contrats_privés en contournant le système de validation paritaire des universitaires par les universitaires. Elle renforce ainsi un « #management » de la recherche et des chercheur·e·s, façon entreprise privée à but lucratif, appelé « #pilotage_stratégique », qui est en opposition avec le statut protégé d’indépendance académique et de service public des universitaires.

      Les universitaires[1] sont en effet des fonctionnaires d’État à statut particulier. Cette #indépendance est fondée sur la nécessité impérative d’indépendance et de liberté de production des connaissances scientifiques (par la recherche), de la diffusion de ces connaissances (par l’enseignement et les publications), des modalités de ces missions (auto-organisation), qui doivent être protégées des censures ou instrumentalisations politiques, économiques, religieuses, etc. Cette indépendance s’inscrit dans une longue tradition de « #franchises_universitaires » et de « #libertés_académiques », mises en place dès le Moyen-Âge (protection par le Pape de La Sorbonne contre le pouvoir temporel en 1229). Émile Durkheim le rappelait en 1918 [2]. Ce statut particulier était déjà inscrit dans la #loi_Faure de novembre 1968 et il a été confirmé par le Conseil d’État dans une décision de 1975.

      Ce statut est défini, aujourd’hui, par un décret de 1984 « portant statut particulier », dont la valeur constitutionnelle a été affirmée par le Conseil Constitutionnel[3]. Il a été régulièrement confirmé par différents décrets, par différents jugements (par exemple du Conseil d’État en 1992[4]), et intégré dans le #Code_de_l’Éducation [5]. Ce statut déroge au droit commun de la fonction publique. Il s’agit donc d’un statut supra-législatif, auquel même une loi ne peut porter atteinte.

      Les franchises universitaires incluent jusqu’à l’interdiction aux forces de polices ou militaires (dirigées par le pouvoir exécutif) de pénétrer dans une université, sauf sur demande ou autorisation de la communauté universitaire représentée par le/la président·e élu.e de l’université.

      Depuis 2007, avec la loi dite « de Responsabilisation des Universités », les gouvernements ont cherché à imposer frontalement le projet politique dit « néolibéral » aux universités.

      Grâce à ce statut fortement protecteur, les universitaires « jouissent d’une pleine indépendance ». Ils ou elles n’ont pas de #supérieur_hiérarchique et sont pour cela nommé·e·s par le ou la Président·e de la République pour les Professeur·e·s, et par le ou la Ministre de l’enseignement supérieur et la recherche pour les Maitres de Conférences – et non pas par les Recteurs ou Rectrices d’académie, ni par les Président·e·s d’universités qui ne sont ni leurs patrons, ni leurs employeurs. L’ensemble des procédures et décisions de #recrutement, de #suivi_de_carrière, d’#évaluation, de #mesures_disciplinaires éventuelles, ne peut être effectué que par des pairs et en toute indépendance. Les universitaires sont « inamovibles », ce qui signifie qu’ils ou elles ne peuvent pas être déplacé·e·s, rétrogradé·e·s, révoqué·e·s ou suspendu·e·s de leurs fonctions, sans la mise en œuvre de procédures lourdes et complexes, différentes du droit commun disciplinaire [6].

      Les universitaires jouissent aussi « d’une entière #liberté_d’expression, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du code de l’éducation, les principes de tolérance et d’objectivité ». Les enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheures ne sont donc pas soumis à l’obligation de #neutralité [7] dans l’exercice de leur fonction, contrairement aux autres fonctionnaires, sachant que cette fonction inclut des prises de paroles publiques et des écrits au delà des cercles scientifiques (mission de diffusion publique des connaissances).

      Depuis 2007, avec la loi dite « de Responsabilisation des Universités » (#LRU), les gouvernements ont cherché à imposer frontalement le projet politique dit « néolibéral » aux universités. D’autres tentatives avaient eu lieu précédemment mais n’avaient pas réussi (projet de loi Devaquet en 1986, projet Raffarin en 2003, retirés face aux vives contestations) ou n’avaient réussi à infiltrer l’Université que de façon indirecte (processus de Bologne 1999, loi Villepin 2006).

      En 2018 et 2019, le gouvernement Philippe et la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche Frédérique Vidal ont accentué cette offensive. D’abord avec la loi dite « Orientation et Réussite des Étudiants » (#ORE), qui met en place une #sélection à l’entrée en première année d’université. Ensuite avec l’ordonnance de décembre 2018 sur les « expérimentations » afin de créer des universités dérogatoires au Code de l’Éducation. Avec l’annonce enfin, en 2019, du projet de LPPR… Il est utile de noter que toutes ces mesures ont été contestées par l’ensemble des syndicats de l’ESR (Enseignement Supérieur et Recherche), y compris les syndicats réputés enclins à négocier ces réformes pour les accepter.

      Parmi les arguments développés par les opposants à ces mesures, il y a toujours celui des attaques menées contre le statut des universitaires. L’indépendance des universitaires et leur liberté d’expression pose un problème majeur à l’autoritarisme « néolibéral ». D’une part, les gouvernements craignent la force des mouvements étudiants et universitaires au moins depuis Mai 68 : ces mouvements obtiennent régulièrement gain de cause (cf. projets Devaquet et Raffarin ci-dessus) et pas seulement sur des questions universitaires (comme en Mai 68 ou contre le Contrat Première Embauche en 2006). Quand certains des principaux acteurs potentiels de ces « réformes » prennent publiquement la parole pour les critiquer avec des méthodes efficaces d’analyse et d’exposé, l’effet de contestation est puissant.

      D’autre part, les universitaires, s’appuyant sur leur indépendance, peuvent refuser de réaliser des tâches qui ne figurent pas explicitement et précisément dans leurs obligations statutaires protégées par le décret de 1984. C’est ce qui s’est passé avec le refus collectif de centaines de départements, d’UFR (de facultés) et parfois d’universités entières de participer au dispositif Parcoursup instauré par la #loi_ORE en 2018. Il en a été de même pour l’augmentation des #frais_d’inscription des étrangers et étrangères hors Union Européenne décidée en 2018 par le Premier Ministre : la quasi totalité des universités a refusé de l’appliquer[8].

      Beaucoup de président·e·s d’universités se sont engouffré·e·s dans le nouveau rôle de Grand Patron que leur a donné la loi de 2007

      Parmi les attaques menées directement ou indirectement, administrativement ou symboliquement, contre le statut des universitaires ces deux dernières décennies, on trouve les « #dérogations_expérimentales » prévues par l’ordonnance de décembre 2018, qui permettent de réduire à une minorité, sans pouvoir de décision, les représentations des personnels et des étudiant·e·s dans les instances de direction de ces regroupements d’universités. D’autres que des universitaires pourraient désormais gouverner une université et imposer, de l’intérieur des instances, des modalités d’exercice de leur mission à des universitaires.

      Un article de la « #Loi_de_transformation_de_la_fonction_publique » (2019) dispose que, quand il siège en formation disciplinaire liées à des accusations de faute professionnelle, le Conseil National de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (composés d’universitaires élu·e·s) n’est plus présidé par un professeur des universités élu mais « par un Conseiller d’État désigné par le Vice-président du Conseil d’État », qui ne sont pas indépendants du pouvoir exécutif.

      L’incitation à recourir massivement à des #emplois_contractuels pour effectuer les missions d’enseignement et de recherche des universitaires (LRU, projet de LPPR), permet de contourner les emplois statutaires et même de contourner les instances de recrutement et de suivi de carrière, exclusivement composées d’universitaires pour les postes de statut universitaire. Cela va jusqu’au projet de suppression, dans la LPPR, du #Conseil_National_des_Universités, instance nationale de validation des candidatures sur les postes d’universitaires et de suivi de carrière, exclusivement composée d’universitaires élu·e·s et nommé·e·s.

      Beaucoup de président·e·s d’universités se sont engouffré·e·s dans le nouveau rôle de Grand Patron que leur a donné la loi de 2007. Ils et elles ne se pensent parfois plus comme des élu·e·s chargé·e·s d’administration par leurs pairs mais comme des « supérieurs hiérarchiques » (qu’ils et elles ne sont pas). Certain·e·s président·e·s ou responsables de composantes, comme des directeurs·trices d’UFR aussi appelés parfois « doyen de faculté », ont prétendu imposer aux universitaires des contraintes contradictoires avec le statut de 1984. De nombreuses saisines des tribunaux administratifs et du conseil d’État par des universitaires ont assez rapidement établi une jurisprudence limitant ces pouvoirs.

      Les universitaires font, depuis quelques années, l’objet de menaces ou de poursuites pour « #diffamation » par des organismes privés mis en question à l’issu de recherches ou des groupes de pression politiques. Cela arrive même de la part d’un président d’université, comme en 2015 contre un universitaire qui avait ironisé sur une liste de diffusion interne en commentant l’accueil du Premier ministre M. Valls à l’université. Il s’agit de « #procédures_bâillons » destinées à limiter la liberté d’expression des universitaires.

      On assiste même à une remise en question au plus haut niveau de l’indépendance des universitaires. C’est la ministre Frédérique Vidal qui déclare le 16 janvier 2019 au Sénat : « Les présidents d’universités sont fonctionnaires de l’État et à ce titre, tenu à un devoir d’#obéissance et de #loyauté ».

      L’asphyxie de l’université facilite le chantage aux moyens et provoque le dilemme moral des personnels

      Il y a, enfin, un moyen indirect efficace pour réduire l’indépendance des universitaires, pour réduire les franchises universitaires en général et avancer dans l’asservissement de l’Université au pouvoir autoritaire « néolibéral » : la mise en difficulté quotidienne voire la mise en #faillite_financière. La LRU a permis aux gouvernements de lâcher financièrement les universités. Nombre d’entre elles se sont retrouvées en grande difficulté (environ 25 dès 2015) voire carrément en déficit, ce qui a conduit des recteurs et rectrices, représentant les ministres de l’enseignement supérieur et la recherche, à prendre la main sur ces universités. Presque toutes, en tout cas, se sont retrouvées en situations difficiles en termes de moyens, qu’il s’agisse de personnels administratifs et techniques, enseignants et enseignants-chercheurs, ou de moyens financiers, pour assurer leurs missions. Et ceci dans une période d’accroissement démographique des effectifs étudiants (en augmentation de 25% en moyenne).

      Cette #asphyxie provoque deux choses. D’une part, la facilité pour le pouvoir de faire du chantage aux moyens : « appliquez notre politique et nous vous donnerons davantage de moyens » (par exemple les postes liés à l’application de la loi ORE). D’autre part, la mise en dilemme moral des personnels : soit ils se laissent happer par la #surcharge_de_travail qui permet de répondre tant bien que mal aux besoins des étudiant·e·s et de faire fonctionner à peu près l’université, soit ils et elles vont au blocage en laissant les étudiant·e·s subir les conséquences de l’abandon de l’université par un État lointain qui sera plus rarement estimé fautif que les personnels.

      Cela conduit les universitaires à accepter de « jouer le jeu » de l’université néolibérale en acceptant de multiplier les heures d’enseignement sous-payées voire pas payées du tout, en acceptant de multiples tâches administratives non statutaires. Et ces tâches sont multipliées par une politique « de projets », de candidatures à des labels et à des financements précaires, d’évaluation incessante qui conduit à remplir toutes sortes de tableaux et dossiers pour obtenir les moyens de travailler. L’exercice de l’indépendance académique et de la liberté d’expression devient de plus en plus contraint, difficile, secondaire, dans un tel contexte.

      Le statut particulier des universitaires est méconnu du grand public. Pourtant, cette indépendance statutaire, historique et liée à leurs missions, constitue l’une des meilleures défenses de l’Université comme lieu d’élaboration, de renouvèlement et d’enseignement des connaissances scientifiques, face aux appétits des prédateurs économiques et aux pressions politiques. Ce statut très protecteur des universitaires constitue un obstacle majeur pour la mise en place d’une politique « néolibérale » autoritaire en matière d’universités. Faute de pouvoir s’attaquer frontalement aux universitaires, les gouvernements « néolibéraux » cherchent à les contourner, à rogner leur indépendance, à remettre en question leur liberté d’expression et d’exercice de leurs missions de service public.

      NDLR : Philippe Blanchet publie Main basse sur l’Université chez Textuel

      [1] Le terme officiel les désignant est « enseignants-­chercheurs et enseignantes-­chercheures ».

      [2] dans La vie universitaire à Paris, publié en 1918 par le Conseil de l’université de Paris.

      [3] Décret du 6 juin 1984, d’abord réservé aux professeurs des universités, puis élargi en 1987 à l’ensemble des enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheures incluant donc les maitres et maitresses de conférences.

      [4] Les décision du CE utilisent toujours l’une de ces deux mentions : « le principe constitutionnel d’indépendance des professeurs des universités » ou « le principe fondamental reconnu par les lois de la République d’indépendance des professeurs des universités ».

      [5] Article L-952.

      [6] D’autres corps de fonctionnaires bénéficient de cette protection.

      [7] Qu’on appelle souvent, à tort, « devoir… » ou « obligation de réserve », notion qui n’existe pas en tant que telle en droit français.

      [8] Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs fini par leur donner raison.

      https://aoc.media/opinion/2020/01/27/universitaires-la-fin-de-lindependance
      #liberté_académique #France

    • L’enseignement supérieur et la recherche face à l’évaluation et à la performance

      L’évaluation fait partie des traditions, voire des routines universitaires, qu’il s’agisse de porter une appréciation sur la copie d’un étudiant, sur les travaux de chercheurs en vue de leur éventuelle publication, sur le recrutement d’un futur collègue, ou encore sur l’organisation et le fonctionnement de telle ou telle institution universitaire (institut, laboratoire, etc.). Mais alors pourquoi inquiète-t-elle tant les chercheurs et les enseignants-chercheurs ? Tout simplement parce que celle qui s’installe depuis les années 1980 ne ressemble guère à celle qui faisait auparavant partie du paysage académique.

      Pour dire les choses autrement, dans le cadre d’un nouveau contexte national et international, on serait en présence d’un « nouvel esprit de l’évaluation (…) incarné et agissant dans et par des discours, des pratiques, des instruments, des acteurs, des institutions, des processus et des relations, qui suscite des critiques et qui a des conséquences ». Telle est du moins la position défendue par un ouvrage coordonné par Christine Barats, Julie Bouchard et Arielle Haakenstad. Les auteurs entendent rendre de compte de la façon dont ce qu’il est convenu d’appeler la « nouvelle gestion publique » (« new public management »), s’est progressivement insinuée dans les relations entre les institutions académiques et d’autres institutions. Mais aussi comment les établissements d’enseignement supérieur et de recherche se sont peu à peu reconfigurés, du moins en partie, sur le modèle de l’entreprise.

      Ces transformations, portées et défendues par certains acteurs individuels et collectifs dans et hors l’Université et les organismes de recherche CNRS, INSERM, etc., ont cependant fait l’objet de critiques internes et externes plus ou moins importantes. Une des originalités du livre est de considérer que ces tensions sur la nature et les conséquences de l’évaluation qui s’expriment à travers des discours et des récits ne sont pas extérieurs à elle. Ils contribuent à « fabriquer » l’évaluation et ne sont donc pas sans conséquences sur la manière dont elle fonctionne.

      https://sms.hypotheses.org/11253

      –—

      Le #livre...
      Faire et dire l’évaluation. L’enseignement supérieur et la recherche conquis par la #performance


      https://www.pressesdesmines.com/produit/faire-et-dire-levaluation
      via @mondes

    • Mondes Sociaux et le débat sur la recherche

      Comme les lois qui l’ont précédée depuis une douzaine d’années, la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche suscite de nombreuses controverses. Mondes Sociaux a publié plusieurs articles qui analysent la situation et le fonctionnement actuel de la recherche en France. Souvent ces articles questionnent les allant de soi et les croyances plus ou moins partagées qui fondent les politiques de recherche, et les débats qu’elles suscitent.

      Dans le contexte actuel, nous avons pensé utile de sélectionner des articles récents ou plus anciens qui peuvent contribuer au débat.


      https://sms.hypotheses.org/22765

    • Qu’est-ce-qu’une #recherche_autonome ?

      Depuis maintenant deux mois, et un discours prononcé par Emmanuel Macron au 80 ans du CNRS sur les bons et les mauvais chercheurs, le milieu de la recherche interpelle les autorités par tribunes interposées.

      Il faut dire que le gouvernement prépare une loi de programmation de la recherche fondée sur un ensemble de trois rapports qui lui ont été remis à l’automne. De nombreuses manifestations ont eu lieu depuis lors, accusant ce projet de loi d’accentuer encore la concurrence entre chercheurs sans augmenter suffisamment les financements nécessaires à une recherche de qualité dans laquelle la liberté académique serait préservée.

      Chercheurs en grève : éléments d’explication et moyens d’action

      Mobilisation dans les labos : les raisons de la colère, Médiapart, le 23/01/2020 : https://www.mediapart.fr/journal/france/230120/mobilisation-dans-les-labos-les-raisons-de-la-colere?onglet=full
      Loi recherche : le gouvernement écarte les sujets les plus sensibles, Les Echos, le 22/01/2020 : https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/loi-recherche-le-gouvernement-ecarte-les-sujets-les-plus-sensibles-1165322
      « Projet de réforme : la recherche sans développement », analyse de Simon Blin et Olivier Monod, pour Libération, le 19/01/2020 : https://www.liberation.fr/debats/2020/01/19/la-recherche-sans-developpement_1773955
      Réforme de la recherche : des revues ‘en lutte’ », Libération, le 23/01/2020 : https://www.liberation.fr/debats/2020/01/23/reforme-de-la-recherche-des-revues-en-lutte_1774843
      La recherche trouve de nouveaux modes d’action, Médiapart, le 23/01/2020 : https://www.mediapart.fr/journal/france/230120/petits-coeurs-flash-mob-candidatures-multiples-greve-des-revues-la-recherc

      Tribunes

      « La recherche ne peut s’inscrire dans une logique de compétition individuelle », Libération, le 20/01/2020 : https://www.liberation.fr/debats/2020/01/20/la-recherche-ne-peut-s-inscrire-dans-une-logique-de-competition-individue
      « Le darwinisme social appliqué à la recherche est une absurdité », Le Monde, le 06/12/2019 : https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/12/06/le-darwinisme-social-applique-a-la-recherche-est-une-absurdite_6021868_3232.
      « La recherche, une arme pour les combats du futur », Les Echos le 26/11/2019 : https://www.lesechos.fr/idees-debats/sciences-prospective/la-recherche-une-arme-pour-les-combats-du-futur-1150759
      « Nous, chercheurs, voulons défendre l’autonomie de la recherche et des formations », Le Monde, le 20/01/2020 : https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/01/20/nous-chercheurs-voulons-defendre-l-autonomie-de-la-recherche-et-des-formatio

      https://www.franceculture.fr/emissions/le-temps-du-debat/quest-ce-quune-recherche-autonome

    • La LPPR facile ou Pourquoi les enseignant(e)s s’opposent au nouveau projet de loi sur la recherche (LPPR)

      La loi que le gouvernement prépare est à l’opposé de ce que souhaitent les enseignant(e)s- chercheur(e)s à l’université et les chercheur(e)s au CNRS. Elle vise à les hiérarchiser, suivant une conception fausse des mécanismes par lesquels la connaissance nouvelle est produite.
      C’est que l’objectif est d’abord financier : prétendre que l’important est d’identifier et favoriser les meilleurs laboratoires justifie la poursuite du sous- financement global de la recherche. Non sans conséquences sur l’enseignement délivré aux étudiant(e)s.
      La LPPR : c’est quoi ?

      Une loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche (LPPR) est en principe une bonne chose : un engagement financier de l’État sur plusieurs années. La France en a besoin : depuis quinze ans, les postes à l’université ont énormément diminué, alors que les étudiants sont de plus en plus nombreux et que la recherche est une activité vitale pour l’avenir du pays.
      Or les rapports commandés pour préparer cette loi (rédigés par des administrateurs proches des vues de la ministre), s’ils reconnaissent que la recherche manque d’argent, ne prévoient que des décisions qui vont permettre de continuer la politique de diminution des crédits publics. Une des mesures cruciales préconisées consiste à pouvoir imposer aux enseignants à l’université plus de 192h de cours par an (le plafond actuel) au motif qu’ainsi les « meilleurs » parmi eux pourront se consacrer à leurs recherches, tandis que leurs collègues assureront les cours. Cette disposition présente un immense avantage pour le pouvoir : elle permettra de continuer à ne pas recruter les enseignants nécessaires (et fera de la grande majorité d’entre eux des professeurs de seconde catégorie).

      Pas plus d’enseignants-chercheurs titulaires, mais des enseignants plus hiérarchisés : un plus pour la formation à l’université ?
      La recherche pilotée d’en haut

      Depuis plusieurs années, les crédits de fonctionnement alloués tous les ans aux laboratoires se réduisent, et les chercheurs sont fortement incités à présenter des projets à des organismes nationaux qui en sélectionnent un tout petit nombre pour les financer. Les rapports préparatoires à la loi préconisent d’approfondir cette tendance, en faisant de la capacité à obtenir de l’argent par ce moyen un critère essentiel de l’évaluation des universitaires. Sur la base d’une telle évaluation, le président de l’université pourrait, ce qui est impensable aujourd’hui, décider de diminuer ou d’augmenter les heures de cours d’un enseignant. En outre, il est prévu de créer des contrats courts de chercheurs en diminuant la place des fonctionnaires. Toutes ces mesures vont dans le sens d’un pilotage de la recherche depuis le sommet de l’État dont les présidents d’université seront un relais essentiel.

      Les changements de statuts prévus produiront des chercheurs plus soumis. Mais un chercheur soumis peut-il être un bon chercheur ?
      Une recherche sans autonomie

      La production de connaissance est menacée par ce système où des chercheurs peu nombreux consacrent beaucoup de temps à la quête de financements, tandis que leurs travaux sont formatés par les conceptions nécessairement limitées de ceux qui attribuent les crédits.
      La recherche – la bonne – nécessite des chercheurs indépendants et qui ont du temps devant eux – c’est pourquoi le statut de fonctionnaire est bien adapté à cette profession.
      Mais cela ne signifie pas que l’activité des chercheurs soit hors de tout contrôle. Faire avancer la connaissance exige un effort permanent pour dépasser le savoir existant, faire surgir de nouvelles questions et de nouvelles méthodes. Les chercheurs ne cessent donc de juger les travaux les uns des autres, pour les utiliser, ou pour les surpasser, et chaque chercheur éprouve la pression que fait peser sur lui la communauté de ses collègues.
      La recherche française peut très bien retrouver la qualité qui en faisait l’une des meilleures du monde. Il faut pour cela augmenter le nombre de chercheurs, et garantir leur indépendance.
      Un système universitaire à deux vitesses

      Le même principe hiérarchisant les chercheurs s’appliquera au niveau des équipes de recherche : on ne gardera que les meilleures d’entre elles. Ce principe s’appliquera encore au niveau des établissements : quelques grandes universités concentreront les activités de recherche, les autres seront cantonnées à l’enseignement. Ainsi beaucoup d’étudiants n’auront plus devant eux des professeurs qui dispensent un savoir appuyé sur leur recherche, alors que c’est là l’originalité – et la force – de l’enseignement à l’université. Et leurs diplômes seront dévalués.

      L’articulation de la recherche et de l’enseignement à l’université est au cœur du principe de démocratisation de l’enseignement. On y renonce ?
      La baisse continue des crédits pour la recherche

      Le ministère répète année après année que le budget de la recherche ne baisse pas, mais il y inclut le Crédit d’Impôts Recherches (CIR), dont le montant ne cesse d’augmenter. Le CIR est un dispositif censé encourager les entreprises à mener des activités de recherche : en réalité un simple moyen pour elles de réduire leur impôt. Il coûte 6 milliards d’euros par an au budget de la recherche, quand on estime que pour retrouver un niveau suffisant d’investissement, ce budget devrait augmenter d’un milliard d’euros. Pour notamment recruter des enseignants-chercheurs, du personnel administratif qu’il faudrait rémunérer correctement, et pour augmenter les bourses de doctorat, en nombre très insuffisant.
      Le sous-investissement de l’État dans la recherche relève d’un choix politique de très court terme. Un bon budget n’est pas du tout hors des possibilités du pays.

      http://www.sauvonsluniversite.fr/spip.php?article8613

      A télécharger en pdf :

      http://www.sauvonsluniversite.fr/IMG/pdf/lppr_facile.pdf

    • Réforme de la recherche : vers des jeunes chercheurs toujours plus précaires

      En s’attaquant aux spécificités du modèle de la recherche publique française, la future loi de programmation pluriannuelle risque de renforcer les difficultés de début de carrière des jeunes chercheurs, alerte un collectif.

      En cette période de préparation de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), nous, jeunes chercheurs et chercheuses, sommes inquiets pour notre avenir dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR). En effet, lors de ses vœux à l’ESR le 21 janvier dernier, Mme Frédérique Vidal a déclaré que « tout chargé de recherche (CR) et tout maître de conférences (MCF) sera recruté à au moins 2 smic ». Cette mesure est censée redonner, selon elle, une « attractivité » aux carrières de chercheuses et chercheurs qui ainsi « n’hésiteraient plus à embrasser » la voie de la recherche. Cependant, les jeunes chercheurs et chercheuses motivées sont bien là et n’hésitent déjà pas à s’engager pleinement dans une carrière dans l’ESR ! Malgré la chute vertigineuse du nombre de postes ouverts au cours des deux dernières décennies, tous les ans plusieurs centaines de candidats et candidates se battent pour une demi-dizaine de postes dans chaque discipline. En 2020, le nombre de postes de CR au CNRS a atteint le niveau historiquement bas de 239 postes, alors qu’il était de 359 en 2011, augmentant d’autant la pression de recrutement sur chaque poste. Une chute similaire a eu lieu du côté des universités : c’étaient près de 3 500 postes de MCF qui étaient publiés chaque année jusqu’à la fin des années 1990, pour uniquement 1 600 en 2019, alors même que la démographie étudiante ne cesse d’augmenter.

      À lire aussi« On ne peut pas réformer la recherche sans les chercheurs »

      Face à cette situation d’effondrement de nos chances de poursuivre notre carrière, le PDG du CNRS se félicite de la sélection « darwinienne » qui pèse sur nos épaules. Pourtant, avec une telle pression sur chaque poste ouvert, le processus de sélection perd son sens tant le hasard et la chance deviennent des paramètres de sélection prédominants. Face à l’injustice et l’inefficacité d’un tel système, les nombreux sacrifices auxquels nous avons consenti depuis le début de notre carrière semblent vains alors même que ce système nous maintient dans une situation de précarité toujours plus grande. Ainsi, certains doctorants et doctorantes se retrouvent à financer leur fin de thèse avec leur allocation-chômage. Dans quel autre secteur accepterait-on de travailler gratuitement ?
      Stress, dépression, burn-out

      Egalement, nombre d’entre nous financent leurs travaux de recherche en accumulant de courts contrats d’enseignement à l’université. En effet, 30% des enseignants-chercheurs de l’université sont des contractuels, vacataires, attachés temporaires d’enseignement et de recherche, et ce, sans soutien matériel et financier de leur activité de recherche. Ces contrats d’enseignement sont, pour la plupart, payés au semestre, en dessous du smic horaire, le plus souvent avec plusieurs mois de retard et n’offrant aucune cotisation chômage ou retraite. Ces conditions de travail ont un impact catastrophique sur nos vies personnelles : stress, dépression, burn-out pour cause de course effrénée à la performance, manque de visibilité à moyen et long terme de nos situations professionnelles, difficulté à obtenir un prêt, mobilité géographique quasi obligatoire sans prise en compte des situations personnelles et familiales (grossesse, maladie, handicap, enfant(s), conjoint et conjointe, double résidence, …). Enfin, l’allongement de ces périodes de recherche postdoctorale aboutit à des situations dramatiques, lorsqu’il nous faut tirer un trait sur nos espoirs d’obtenir un poste alors même que l’employabilité de chercheurs et chercheuses en fin de trentaine hors du milieu académique est très faible en France.

      Malgré ces difficultés, nous sommes un grand nombre à vouloir consacrer le reste de notre carrière à la recherche, avec ou sans recrutement à 2 smic. Premièrement, étant recrutés de plus en plus tard, les chercheurs et chercheuses bénéficient déjà d’un salaire équivalent à 1,7 ou 1,8 smic en début de carrière. L’augmentation promise par la ministre est ainsi bien modeste. Deuxièmement, en trente ans, le pouvoir d’achat des chercheurs et chercheuses a baissé de 30% (sans compter que l’actuelle réforme des retraites aggravera cette situation). Les 2 600 à 2 800 € d’augmentation annuelle annoncée ne compensent donc pas cette dégradation. Enfin, quand bien même l’objectif du gouvernement serait de replacer la France dans la compétition internationale, le recrutement à 2 smic ne sera pas suffisant. En effet, le salaire d’entrée d’un MCF ou d’un CR en France est aujourd’hui équivalent à 63% du salaire des chercheurs des pays de l’OCDE. Le rattrapage proposé n’est donc pas à la hauteur de la situation sociale des jeunes chercheurs en France, pas plus qu’il n’est adapté à la réalité internationale.
      « CDI de projet »

      Non, « l’attractivité » de la recherche française ne repose pas sur sa politique salariale mais sur son modèle unique : le statut des chercheuses et chercheurs leur offrant le moyen de travailler sur le long terme et une recherche fortement collaborative et soutenue techniquement par du personnel de haute qualité. Il est d’autant plus dommageable que ces atouts qui ont fait la force de la recherche française soient les principales cibles des réformes récentes et en cours. Ainsi, la situation des personnels bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, techniciens, personnels sociaux et de santé s’est dramatiquement détériorée. En ce sens, les premières annonces concernant la LPPR à venir sont inquiétantes. La transformation des CDD « post-doc » en CDI de projet ne changera rien à la problématique actuelle : que faire à leur échéance ? Même si nous publions correctement, même si nous trouvons des fonds pour poursuivre notre travail, même si nous nous soumettons aux exigences d’excellence toujours plus fortes et même si nous souhaitons finalement juste exercer notre métier, les lois actuelles nous obligent à changer d’employeur tous les six ans. Comment concilier vie personnelle et vie professionnelle quand on nous demande de tout quitter et de repartir à zéro régulièrement dans un nouvel environnement et un nouveau laboratoire ? Pourtant en diminuant drastiquement les postes aux concours, voir en les supprimant, c’est la seule voie que ce gouvernement nous propose, ainsi qu’aux prochaines générations.

      Avec la préparation de la LPPR, le gouvernement avait annoncé avoir pris conscience de l’urgence de la situation et qu’une loi ambitieuse était nécessaire pour sauver la recherche. Après les annonces faites ces dernières semaines, nous ne sommes pas déçus : nous sommes désabusés et en colère. La maigre augmentation salariale proposée au faible nombre de jeunes titulaires ne rattrapera pas le retard pris depuis plusieurs années, et ne sera qu’une goutte d’eau face à l’écart par rapport à nos voisins. Pire, sans augmentation du nombre de postes ouverts aux différents concours, il est demandé à certains et certaines d’accepter cette aumône en échange d’une aggravation de la précarité de leurs collègues non titulaires. De plus, nous sommes extrêmement inquiets quant à la mise en place de « CDI de projet » et de « tenure track » à la française. Dans le contexte budgétaire actuel, il nous semble que ces nouveaux contrats seront juste un moyen de repousser la sélection de quelques années. Ceci aboutira à des situations de reconversions forcées vers la quarantaine encore plus difficiles.

      Alors que la France s’était engagée, il y a vingt ans, à porter l’investissement dans la recherche publique à 1% du PIB, elle continue à ne pas remplir ses engagements en stagnant à 0,8% depuis quinze ans. Il a maintes fois été répété que sans un effort conséquent d’environ 6 milliards d’euros supplémentaires pour atteindre les fameux 1% d’investissement public du PIB, la recherche française était condamnée à décliner. Avec la mesure phare demandant un investissement de l’ordre de 120 millions d’euros, il est flagrant que ce gouvernement a décidé d’entériner ce déclin. La responsabilité historique qui est celle de Mme Vidal ne sera pas oubliée.

      https://www.liberation.fr/debats/2020/02/05/reforme-de-la-recherche-vers-des-jeunes-chercheurs-toujours-plus-precaire

    • La recherche est un #bien_commun

      La Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche qui s’annonce rencontre une opposition de plus en plus grande, tant elle paraît vouloir consacrer une politique, menée ces dernières années, qui fragilise les laboratoires et ceux qui y travaillent. La Vie des Idées revient dans ce dossier sur cette évolution.

      Le monde de la recherche s’interroge aujourd’hui, à juste titre, sur son avenir. Le mécontentement gagne les laboratoires, les revues et les personnels qui s’inquiètent des mesures annoncées : les évaluations seraient plus nombreuses, les financements de moins en moins pérennes, le statut des enseignants chercheurs pourrait être réévalué. Ces annonces confirment le désintérêt grandissant des pouvoirs publics pour une recherche en règle générale sous-financée, au sein de laquelle les emplois deviennent de plus en plus précaires, et qui, en dépit de ces obstacles, continue en France à être de qualité – et reconnue comme telle à l’étranger.

      La Vie des Idées s’associe à ces inquiétudes et à la réflexion que ces projets doivent engager : sur les moyens donnés à l’accroissement des connaissances, sur les statuts de ceux qui s’y consacrent, sur l’évolution d’un métier qui voit les tâches administratives prendre le pas sur la recherche, sur le gel chronique des postes qui affaiblissent les structures d’enseignement et les laboratoires. Cette dégradation a une histoire : les articles que nous avons publiés ces dernières années, et que nous rappelons ici, montrent que le débat sur la recherche est souvent mal posé, et que bien souvent les pouvoirs publics croient s’inspirer de modèle de financement (le plus souvent d’outre-Atlantique) qui en réalité n’existent pas. Ils montrent aussi que l’accroissement de l’évaluation procède souvent d’une méconnaissance profonde de la manière dont la recherche se développe et obéit davantage à la pression des classements internationaux.

      https://laviedesidees.fr/La-recherche-est-un-bien-commun-4642.html

    • Frédérique Vidal au séminaire des nouveaux directeurs et directrices d’unité

      Le séminaire d’accompagnement des nouveaux directeurs et directrices d’unité, organisé conjointement par le CNRS et la Conférence des Présidents d’Université le mardi 4 février 2020, a réuni plus d’une centaine de participants. Il a donné l’occasion à Frédérique Vidal, Ministre de l’Enseignement supérieur de la Recherche et de l’Innovation, de répondre à de nombreuses questions soulevées par la future Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche. La première partie de cet échange a été menée par une animatrice. Le texte ci-dessous en est la transcription.

      Madame la Ministre, la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) est en préparation depuis de nombreux mois. Que pouvez-vous nous dire aujourd’hui des grandes lignes de ce projet de loi ?

      Frédérique Vidal : La recherche a besoin de temps, de moyens et de #visibilité : c’est tout l’objet de cette loi. Elle est en cours de construction sur la base d’énormément de contributions, notamment les rapports des trois groupes de travail, mais aussi une consultation sur Internet, des discussions avec des parlementaires, des directeurs de laboratoires, des enseignants-chercheurs et des chercheurs avec lesquels j’ai échangé à chacun de mes déplacements, etc.

      La recherche en France souffre d’un #sous-investissement massif depuis des années, mais aussi d’un manque de décisions concrètes de la part de beaucoup de gouvernements précédents, même quand ils affirmaient que la recherche était une priorité.

      Depuis 30 mois, mon action vise à remettre la science et la connaissance au cœur de la société et des politiques publiques. Mon premier combat a été de faire reconnaître qu’investir dans la recherche est la seule façon de permettre à notre pays de conserver sa souveraineté, son rayonnement, sa place parmi les pays qui comptent en termes de recherche.

      Le deuxième front a été celui des #rémunérations. Je sais que l’on ne choisit pas ce métier pour l’argent, que les scientifiques, en France, ont la chance de pouvoir mener une recherche libre. Pour autant, on ne peut plus recruter à 1,4 smic des personnes qui ont fait 8 à 10 ans d’études et qui ont plusieurs expériences postdoctorales.

      Je souhaite que cette loi de programmation de la recherche soit faite pour les scientifiques, avec un réinvestissement massif et une #trajectoire_budgétaire, mais aussi pour la société. Car il faut réapprendre à nos concitoyens que la parole scientifique a plus de valeur qu’une opinion, leur redonner de la connaissance et du sens critique.

      Il était question d’une présentation du projet de loi avant fin février en conseil des ministres, puis au printemps. Quel est le calendrier de la LPPR aujourd’hui ?

      Frédérique Vidal : Le projet de loi sera rendu public au printemps, sans doute fin mars-début avril. L’objectif est que le Parlement puisse commencer à l’examiner avant l’été et qu’elle soit prise en compte dans le cadre de la préparation de la prochaine loi de finances.

      Certains scientifiques estiment que la loi a été préparée par une minorité et que les propositions formulées par les directeurs et directrices d’unité ne se retrouvent pas dans les rapports des groupes de travail. Que leurs répondez-vous ?

      Frédérique Vidal : J’entends et je vois circuler beaucoup d’affirmations, souvent erronées. Non, il n’est pas question de supprimer les maîtres de conférences ni de mettre ce corps en extinction. Non, il n’est pas question de supprimer le CNU ou de toucher aux obligations de service, aux 192 équivalents TD ou de relancer l’épouvantail de la modulation de service. Ce n’est pas à l’ordre du jour. Je suis ici pour que cessent de circuler ces inquiétudes totalement infondées.

      Certains tirent aujourd’hui parti des rapports des groupes de travail. Mais précisément, ce ne sont que des rapports et je l’ai toujours dit, à la fin, c’est le Gouvernement qui choisira de retenir ou non telle ou telle proposition.

      Cette loi n’est pas une loi de programmation thématique ou une loi de structures. C’est une loi de #programmation_budgétaire, avec une trajectoire financière spécifiquement dédiée à l’investissement dans la recherche. C’est une chance exceptionnelle. C’est cette ambition que je porte au sein du Gouvernement, avec le soutien du Président de la République et du Premier ministre. Il faut que nous nous emparions tous.

      Puisque vous l’évoquez, pouvez-vous nous en dire plus sur l’évaluation qui suscite des inquiétudes dans la communauté scientifique ?

      Frédérique Vidal : On entend parfois dire qu’il n’y a pas d’évaluation. Rien n’est plus faux, vous le savez, je le sais. Être dans la recherche, c’est être évalué tous les ans, soit individuellement, soit collectivement. C’est être évalué dans le cadre de ses projets, de son laboratoire, de ses multiples établissements de tutelle, dans le cadre de procédures qui évaluent toutes à peu près la même chose, mais un peu différemment et qui, à la fin, n’ont pas vraiment de conséquences. C’est trop et on doit pouvoir alléger tout cela. L’évaluation doit avoir un objectif : permettre de savoir où on en est et donner les moyens de s’améliorer. Être évalué en permanence sans que cela ait la moindre conséquence me semble totalement contre-productif. C’est cela qu’il faut changer.

      Il est question de revaloriser les salaires des entrants. Cette mesure préfigure-t-elle une revalorisation de l’ensemble des carrières des chercheurs et enseignants-chercheurs ?

      Frédérique Vidal : Oui, bien-sûr, c’est l’objectif et il y aura bien une revalorisation d’ensemble. Et nous avons choisi de donner, pour commencer, la priorité aux jeunes chercheurs : à partir de 2021, tous les maîtres de conférences et de chargés de recherches nouvellement recrutés seront rémunérés à 2 SMIC au moins. Cela représente 26 millions d’euros et un gain de 2 600 à 2 800 euros en moyenne pour nos futurs collègues.

      J’entends ici et là dire : « la revalorisation des jeunes chercheurs, c’est bien, mais il n’y aura rien d’autres et surtout rien pour ceux qui sont déjà là. » C’est absolument faux et je l’ai dit à de multiples reprises : au cœur de la loi de programmation, il y a la question de l’#attractivité des métiers et des carrières, de toutes les carrières, chercheurs, enseignants-chercheurs, ITA ou BIATSS.

      Dès l’an prochain, nous avons prévu une première enveloppe de 92 millions d’euros pour garantir que les jeunes chercheurs recrutés avant 2021 ne perdront pas au change et d’engager la revalorisation indemnitaire des enseignants-chercheurs et des chercheurs. Ce ne seront pas les seules mesures et toutes vont monter en puissance.

      Nous allons également prendre en compte l’ensemble des missions des personnes qui s’engagent pour le collectif, en matière d’enseignement comme de recherche ou de valorisation. Je pense par exemple aux directeurs ou directrices d’unité, qui doivent souvent mettre leur production scientifique entre parenthèses pendant leur mandat. Certains d’entre vous touchent une prime comme directeur d’unité, d’autres pas et les mandats varient fortement d’une situation à l’autre.

      La recherche française souffre d’une baisse de l’#attractivité de ses carrières, comment comptez-vous créer ou recréer les conditions de l’attractivité ?

      Frédérique Vidal : L’attractivité de la recherche dépend de plusieurs facteurs : évidemment les #salaires - et je viens d’en parler - mais aussi la dynamique et l’environnement. La loi de programmation que nous préparons doit nous permettre de jouer sur tous les plans : en rénovant profondément les modalités d’entrée dans la carrière, avec plus de contrats doctoraux, un vrai contrat post-doctoral et des recrutements qui devront intervenir plus tôt. Je veux également que nous puissions recruter plus d’ingénieurs et de techniciens : ils ne sont pas assez nombreux dans les laboratoires et c’est une vraie fragilité pour nous tous. Enfin et surtout, la loi de programmation, c’est plus, beaucoup de moyens pour la recherche : ce qui fragilise le système français, c’est que nos collègues étrangers savent que les équipes ont de plus en plus de mal à se financer. Et ça, bien évidemment, c’est rédhibitoire. Il faut remettre à niveau les moyens dont disposent les scientifiques.

      Les directeurs d’unité ici présents, les scientifiques en général, espèrent et demandent une augmentation de leur budget. Une des questions que chacun se pose est de savoir si l’augmentation des ressources financières mises à disposition dans le cadre de la LPPR aura une conséquence sur la progression des budgets des organismes et des établissements.

      Frédérique Vidal : On a longtemps parlé d’atteindre le chiffre de 3 % du PIB pour la recherche : le Président de la République l’a confirmé, ce n’est plus aujourd’hui un simple objectif, mais bien un engagement et la loi de programmation va tracer le chemin pour le mettre en œuvre. Comme je viens de le dire, une part de ces financements sera affectée à la nécessaire revalorisation salariale. Une autre part doit permettre à l’ANR d’afficher des taux de succès décents, au niveau des autres agences dans le monde. Enfin, je viens de signer une nouvelle vague de contrats avec des universités et des organismes, dont le CNRS. Je souhaite que cette loi permette de prévoir un volet financier à ces contrats.

      La ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a également répondu à plusieurs questions de directeurs et directrices d’unité.

      Une recherche qui privilégie la #performance, les #stars et la #compétition ne détruit-elle pas sa crédibilité auprès du public ?

      Frédérique Vidal : Les premières annonces que je viens de rappeler montrent qu’il ne s’agit en aucun cas de prendre des mesures réservées à telle ou telle catégorie de chercheurs ou d’enseignants-chercheurs. Bien au contraire ! Et quiconque est passé par un laboratoire sait bien qu’il n’y a pas deux catégories de chercheurs. Au fil d’une carrière, tout le monde passe par des hauts et des bas, certains projets prennent plus de temps, certains n’arrivent pas à leur terme, rien ne se fait jamais en un claquement de doigt.

      Ce qui fait la spécificité de notre communauté, c’est d’être dans une #compétition qui implique un travail d’équipe. C’est ce qu’on appelle “#coopétition” – ce mot-valise qui mêle compétition et coopération - traduit bien l’émulation collective qui définit la recherche.

      Par ailleurs, je pense que notre pays a besoin d’être fier de ses scientifiques, de ses prix Nobel et de ses médailles Fields, fier qu’une découverte majeure, reconnue par la communauté internationale, ait été produite dans un laboratoire français. Il n’y a pas de contradiction entre rendre hommage à certains de nos collègues, dont les travaux ont abouti à des résultats remarquables, et faire en sorte que nos concitoyens soient fiers de leur recherche. Reconnaître la qualité d’un chercheur ou d’une chercheuse, c’est aussi reconnaître tous ceux qui constituent son équipe. C’est une évidence, même.

      Sur la future loi, les communautés scientifiques ne disposent pour l’instant que des rapports des groupes de travail. Quel est l’esprit de la loi ? Comment éviter de favoriser des systèmes de financement inégalitaires à double ou triple vitesse comme aux États-Unis ?

      Frédérique Vidal : L’époque est anxiogène. Les multiples rapports remis depuis 10 ans sur l’état de la recherche et autres grands exercices, du type états généraux ou assises, qui ont beaucoup mobilisé, mais qui n’ont pas été suivis de grand effet, ont usé les communautés scientifiques. Mais ils ont eu un avantage : le diagnostic est connu et partagé.

      On me parle souvent des rapports des groupes de travail. Mais ces rapports ne sont en aucun cas la préfiguration de la loi ! Ils sont l’expression de propositions faites par leurs auteurs, comme il en a été de même pour les propositions faites sur le site internet dédié que nous avons mis en place. Je regrette que ces propositions nourrissent, de manière volontaire ou involontaire, un climat d’#anxiété. C’est pourquoi je tenais à échanger directement avec vous et c’est pourquoi je continuerai à échanger directement avec nos collègues pour dire précisément ce que nous allons faire et ce que nous n’allons pas faire. Ce que je fais avec vous aujourd’hui, je vais le renouveler dans les jours et les semaines à venir.

      Pour en revenir à votre question, le système à l’anglo-saxonne à double ou triple vitesse, ce n’est pas et ça ne sera jamais le système français ! Si nous devions passer à ce système, nous perdrions ce qui fait que la France ne décroche pas complètement en termes de production scientifique : la #liberté_scientifique, qui nous donne une vraie profondeur de réflexion et qui nous permet de rester à l’avant-garde sur de nouveaux concepts. Ce qui ne veut pas dire que nous ne pouvons pas améliorer les choses. L’#ANR par exemple. La première évidence, c’est le manque de financement : la faiblesse des moyens est telle que le système ne peut que dysfonctionner. Par ailleurs, c’est sans doute aujourd’hui un outil qui est trop « monobloc ». À force de faire la même chose pour tout le monde, nous créons des outils qui fonctionnent mal pour tout le monde. Un chercheur en physique appliquée n’a pas les mêmes besoins qu’un chercheur en anthropologie. Il faut donner les bons outils pour que chacun puisse faire sa recherche : c’est cela qui fait la philosophie de la loi et je tiens à ce que nous soyons attentifs à la diversité des besoins des disciplines.

      Il est question de créer un système de « #tenure_track » à la française…

      C’est précisément un bon exemple de la diversité des besoins selon les disciplines. L’idée sur laquelle nous travaillons est celle de « chaires de #professeurs_juniors ». Il faut permettre, au sein de certaines disciplines, le recrutement de scientifiques sur une première période de 5 à 6 ans, en prévoyant des moyens d’environnement spécifiques et qui existent ou de remplacer les concours, mais d’offrir des possibilités de recrutement en plus et de le faire dans des disciplines où ce besoin est exprimé. Il faut bien voir notre situation dans certains champs du savoir : la #concurrence_internationale est rude, certains jeunes chercheurs se voient offrir des contrats de ce type par d’autres institutions de recherche dans le monde ou sont tout simplement recrutés, durant leur thèse ou leur post-doc, dans le secteur privé. C’est le cas, par exemple, dans une partie des sciences de l’information.

      Comment rendre compatible la demande unanime d’un renforcement du soutien de base avec le développement de financements individualisés ?

      Frédérique Vidal : Nous avons besoin de soutien de base mais aussi de financement sur projet. Ce qu’il nous faut, c’est trouver un bon équilibre et sortir du débat opposant l’un à l’autre : il nous faut les deux. Pourquoi ? Le financement sur projet, c’est aussi ce qui permet à une équipe de prendre son autonomie, de ne dépendre de personne et de développer sa thématique de recherche propre. Mais en même temps, nos laboratoires ont besoin de pouvoir conduire une politique scientifique, tout comme les organismes. Et oui, c’est devenu difficile, faute de moyens.

      Je crois enfin qu’il faut arrêter de durcir les oppositions. Qui dit financement sur projet ne dit pas nécessairement absence de collectif, loin s’en faut. Comme vous, j’ai vu des chercheurs qui avaient décroché une ERC et qui mobilisaient une partie de leurs financements pour appuyer le développement de tout le laboratoire. L’individu et le collectif peuvent aussi marcher ensemble.

      Le CIR permet aux entreprises d’obtenir des financements sans beaucoup de contrôle alors que les laboratoires sont soumis à des exigences très fortes. Comment corriger ce déséquilibre ?

      Frédérique Vidal : Pour atteindre les 3 % du PIB pour la recherche française que nous visons, il nous faudra augmenter l’investissement public à 1 %, mais également faire en sorte que les entreprises passent de 1,4 % à 2 % leurs investissements en #R&D. Il faut donc trouver des moyens pour que la R&D des entreprises s’installe, reste et grandisse en France. Le #crédit_impôt_recherche est l’un de ces moyens - même s’il est certainement perfectible.

      Quelles perspectives peut-on leur offrir aux jeunes doctorants nombreux dans les laboratoires ? Quelles perspectives également pour le personnel d’appui à la recherche ?

      Frédérique Vidal : Il faut donner des perspectives aux jeunes dès le doctorat qui ne doit pas se faire sans contrat doctoral. C’est un vrai sujet, tout comme l’encadrement des doctorants. Je suis prêt à travailler sur une augmentation du nombre de contrats doctoraux, si nous sommes capables, en parallèle, de garantir que chacun de ces doctorats sera effectivement encadré. Et nous constatons tous aujourd’hui que ce n’est pas le cas partout.

      Néanmoins, tout ne passe pas par l’emploi. Nous devons également simplifier. Alors que les mêmes règles s’appliquent à tous, les laboratoires fonctionnent avec des logiciels de gestion et de pratiques différents ! Nous perdrions beaucoup moins de temps et nous libérerions du temps de réflexion si nous avions des systèmes optimisés et communs. Cela fait partie de ces fameuses mesures de simplification que j’évoquais à l’instant et sur lesquelles nous avons engagé le travail. C’est l’évidence, ces chantiers vont trop lentement nous devons trouver le moyen d’accélérer le pas.

      Un mot enfin de nos personnels d’appui et de soutien, qui se sentent parfois oubliés : ils seront au cœur de la loi de programmation de la recherche, non seulement parce que l’attractivité de leurs carrières doit être renforcée, mais parce que les conditions d’exercice de leur métier doivent faire l’objet d’une réflexion collective. Nous pouvons faire mieux, pour eux aussi.

      La loi sera une loi de programmation, donc portant une vision à long terme. Comment cela s’articulera-t-il avec les outils (Equipex, labex, IRT, SATT, etc.) créés par le programme d’investissement d’avenir et qui arrivent à échéance ?

      Frédérique Vidal : La question des équipements est centrale – et pas seulement des TGIR ou des équipements financés dans le cadre du PIA. J’y travaille et des propositions seront faites en ce sens. Je pense par ailleurs que la loi de programmation doit nous permettre de donner de la visibilité aux projets qui ont d’ores et déjà été engagés dans le cadre des PIA successifs et dont les financements viennent à terme.

      Va-t-on faire pencher la balance plutôt du côté de la collaboration ou de la compétition ? Quelles réponses donner à l’inquiétude raisonnée de nombreux collègues ?

      Frédérique Vidal : Je crois que personne n’ignore la place centrale que tient le collectif de recherche. L’équipe, c’est la réalité de la recherche. Après, les personnalités jouent leur rôle et chacun sait aussi qu’elles existent, que les individus ne se ressemblent pas. Je trouve curieux cette manière de nous demander en permanence de choisir. Nous devons permettre aux environnements qui ont été capables de produire des succès exceptionnels, de continuer à le faire et donner les moyens de le faire à ceux qui n’en ont pas encore eu l’occasion. Et je crois que toutes les idées qui permettent d’abonder des financements collectifs assis sur des financements individuels sont bonnes : elles nourrissent les solidarités et les dynamiques collectives. On peut tout à fait imaginer que l’obtention d’un financement ANR par une équipe conduise le laboratoire à recevoir une enveloppe supplémentaire, non fléchée, pour lui permettre de conduire une politique scientifique.

      Comment simplifier les outils de gestion dans des unités qui comptent trois ou quatre tutelles ?

      Frédérique Vidal : Dans un laboratoire, on n’arrive pas le matin en demandant à l’autre qui est son employeur… Je vais mettre suffisamment d’énergie pour faire en sorte que ce chantier de l’harmonisation démarre, mais j’ai aussi besoin de vous tous !

      Comment faire partager la recherche française au plus grand nombre, notamment à travers la formation et l’éducation ?

      Frédérique Vidal : La recherche doit rejaillir sur l’ensemble de la société. Il faut valoriser la diffusion de la culture scientifique, technologique et industrielle. Tous les professeurs des écoles doivent être capables de parler un petit peu de science, de méthodologie scientifique aux enfants dès leur plus jeune âge. Dans le cadre de la LPPR, un volet important sera consacré à la promotion de la science dans la société.

      Nous avons entendu parler de CDI de chantier, nous aimerions vous entendre à ce sujet.

      Frédérique Vidal : Je ne me retrouve pas dans cette formulation. Une fois encore, il faut repartir du problème que nous rencontrons tous dans les laboratoires : nous passons du temps à former des personnes que nous devons laisser partir ensuite faute de financement ou parce que la barre des six ans risque d’être atteinte ! L’enjeu, c’est de savoir si nous sommes capables de sortir de cette logique et de proposer un vrai contrat de projet scientifique, qui tienne compte à la fois de l’incertitude du financement et du fait que les agents ont besoin de pouvoir se projeter dans la durée. Pour moi, ce doit pouvoir être une forme de CDI.

      http://www.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/frederique-vidal-au-seminaire-des-nouveaux-directeurs-et-directrices-dunite

      –------

      Analyse pas Julien Gossa sur twitter :

      #LPPR : Imiter le système anglo-saxon nous ferait perdre notre plus grande force : la liberté scientifique.
      Et c’est pourquoi nous allons faire des tenure-tracks.

      (Et là, vous vous dites que je déconne, que c’est fake... Mais non. Désolé.)

      "Il faut arrêter d’opposer l’eau et le feu, nous avons besoin des deux. Le feu ça mouille et l’eau ça brûle".

      Le financement sur projet, moyen d’émancipation, de partage et de construction du collectif.
      Il fallait oser.

      #LPPR Haaa ! Enfin une annonce claire !
      Les 3% de PIB seront atteint par l’augmentation du CIR (ou un dispositif équivalent).

      Là, c’est crédible ! Là, on y croit !

      « - Et pour l’emploi des jeunes docteurs ?
      – Il n’y aura pas plus d’emploi. »

      C’est quand même un peu con, c’est LE SEUL TRUC QU’ON DEMANDE !!!

      "Je trouve curieux cette manière de demander aux dirigeants d’expliciter leur direction"

      (Vous vous dites que je déconne encore... Mais non)

      « toutes les idées qui permettent d’abonder des financements collectifs assis sur des financements individuels sont bonnes »

      Qué sappelerio « #Mandarinat ».

      « - Comment simplifier le merdier administratif que vous avez mis ?
      – Démerdez-vous »

      L’adossement de l’enseignement à la recherche ?
      Oui... Pour les professeurs des écoles.

      (Sisi vraiment, je sais, ça parait délirant à une époque où on sépare enseignement et recherche en premier cycle)

      Et on termine avec « l’incertitude c’est la certitude ».

      https://twitter.com/JulienGossa/status/1225709135385300992

    • Version 09.01 de la LPPR...

      1/ Le projet de #LPPR dans sa version du 9 janvier contient, contrairement aux affirmations de @VidalFrederique des jours derniers, bien plus que des questions budgétaires. Elle se compose de cinq parties.
      2/ Titre I. Article 2. Programmation budgétaire 2021 - 2027 prévoyant de redistribuer une fraction de l’argent que l’Etat ne mettra plus en cotisation patronale pour les retraites et d’augmenter le budget de l’ANR.
      3/ Titre I. Article 3. Les EPCST ne paieront pas la taxe sur les salaires qui touche ceux qui sont exemptés de TVA. Une autre petite partie de ce que l’Etat ne mettra plus dans nos pensions de retraites passe donc par ce curieux dispositif.
      4/ Titre II. Précarisation de l’emploi scientifique.
      L’article 4 prévoit l’instauration de chaires de professeur junior (tenure track) allongeant la durée de précarité de 5 ans, et mettant de facto en extinction les postes de jeunes chercheurs pérennes.
      5/ L’article 5 révise le cadre juridique du contrat doctoral pour accroitre la dépossession inhérente au rapport salarial, et creusant la dégradation par rapport à l’ancienne allocation doctorale, attribuée pour 3 ans, avec une part socialisée (cotisations) et plus de protections
      6/ L’article 6 organise un autre mode de recrutement qui échappe lui-aussi au contrôle du CNU et se fait en dehors de toute collégialité et de tout statut : le CDI de mission scientifique.
      7/ L’article 7 dérégule le cumul d’activités, permettant à des salaires payés pour l’enseignement et la recherche publiques d’être détournés au profit du privé, sans contrôle.
      8/ Titre III. Renforcer le pilotage bureaucratique et l’évaluation punitive. Articles 8 à 10. La contractualisation des laboratoires, des établissements et des chercheurs (ANR) se fera avec une rétroaction de l’évaluation sur les moyens, instaurant une obligation de résultats.
      9/ Titre IV. L’Etat au service et sous le contrôle du marché.
      Article 11. Facilitation de l’indifférenciation des sphères publique et privée, par facilitation du cumul d’activités à temps partiel.
      10/ Article 12. Protection des secrets industriels. (?)
      Article 13. Droit de courte citation des images. Tiens ? Un point positif.
      11/ Titre V. Liste des ordonnances.
      Dérégulation des statuts des établissements.
      Transfert de droit de l’Université publique à l’enseignement privé.
      Dérégulation des fondations de coopération scientifique
      Dérégulation du recrutement des enseignants-chercheurs et chercheurs

      12/ Notre commentaire : c’est du lourd.

      Note : le calendrier parlementaire ne permet pas de passer cette loi, hors 49-3, avant l’automne prochain.
      Note 2 : Vidal ne portera pas cette loi et sera limogée en mars.

      https://twitter.com/Gjpvernant/status/1225867039010586625

    • Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR)

      Premières analyses du texte

      La loi de programmation pluriannuelle de la recherche, essentielle pour notre avenir, a été rédigée dans l’opacité la plus grande, après une phase de consultation étriquée. Le ministère n’a, à ce jour, pas souhaité dévoiler ce projet de loi à la communauté académique. Il s’est contenté d’une communication maladroite destinée à désamorcer le mouvement de réaffirmation de l’autonomie et de la responsabilité du monde savant qui se développe partout, des syndicats aux sociétés savantes, des laboratoires de biologie aux Facultés de droit et de science politique, en passant par toutes les disciplines des sciences humaines et sociales. De toutes parts monte un même appel à la création de postes pérennes, à des crédits récurrents, à une suppression de la bureaucratie et à une réinstitution des libertés académiques.

      Nous en appelons au Président de la République pour que cessent cette conduite blessante de la réforme et cette gestion confuse et désordonnée de la rédaction de la loi. L’Université et la recherche méritent respect, éthique intellectuelle, transparence et intégrité, toutes valeurs qui fondent nos traditions académiques et que nous entendons défendre et incarner.

      Nous produisons ici une première analyse de cette loi en traitant successivement de sa portée d’ensemble, du financement de la recherche, du statut des universitaires et des chercheurs et enfin de la question de l’évaluation, inséparable de celle des libertés académiques. Notre analyse repose principalement sur deux sources que nous confrontons : la version courte du projet de la loi, datée du 9 janvier 2020, et la communication de la ministre devant les nouveaux directeurs et directrices d’unités, le 4 février dernier. Les propos de Mme Vidal sont en contradiction manifeste avec le texte du projet de loi.

      La ministre, pour lever les inquiétudes et apaiser les colères, défend une représentation irénique de la loi, visant à en réduire la portée : « Cette loi n’est pas une loi de programmation thématique ou une loi de structures. C’est une loi de programmation budgétaire. » Dans sa version du 9 janvier, le projet de loi se compose de cinq parties dont seule la première est budgétaire, alors que les quatre suivantes organisent des bouleversements structurels. Alors que la deuxième partie de la loi instaure la dérégulation des statuts des jeunes chercheurs et met à mal l’indépendance de la recherche en permettant de contourner le recrutement par les pairs, la troisième partie conforte l’évaluation punitive et l’injonction aux résultats pour toutes les formes de contractualisation. La quatrième partie comporte des dispositions sur le cumul d’activités visant, comme la loi sur les retraites, à accroître la porosité entre le secteur public et le secteur privé. La cinquième partie contient les autorisations à légiférer par ordonnance sur un ensemble de dérégulations qui vont du transfert au privé de prérogatives de l’enseignement public aux règles de fonctionnement des fondations de coopération scientifique, en passant par les modalités de recrutement des chercheurs et des universitaires. Il est à souligner qu’une version plus longue de la loi, postérieure à la version du 9 janvier, réintègre une partie des ordonnances du Titre V dans le texte de loi lui-même. Quels sont les arbitrages qui ont conduit la ministre à affirmer que la LPPR serait réduite à la seule question budgétaire (Titre I), en l’amputant de ses quatre autres parties, sans en informer ni la communauté universitaire ni les parlementaires ? Est-ce à dire que le reste de la loi fera l’objet de décrets, d’ordonnances, voire de simples dispositions réglementaires ? Le hiatus irresponsable entre la communication ministérielle et le texte du projet de loi peut-il être expliqué par le départ de Mme Vidal du ministère dans les mois qui viennent ?

      En l’état, l’article 2 du projet de loi prévoit la programmation budgétaire pour 2021-2027, mais n’engage aucunement l’État au-delà de l’année budgétaire — dans le cas contraire, le Conseil d’État a rappelé que le projet serait inconstitutionnel. Cet article 2 propose de réaffecter une partie des sommes que l’État ne dépensera plus en cotisations pour les retraites en revalorisations indemnitaires — c’est-à-dire en primes plutôt qu’en revalorisation du point d’indice. Le salaire d’entrée d’un universitaire ou d’un chercheur est aujourd’hui, après reconstitution de carrière, de 1,8 SMIC en moyenne. Son salaire socialisé, qui comprend la cotisation de l’Etat pour sa retraite, baissera de 1,2 SMIC en 15 ans, comme prévu par l’article 18 de la loi sur les retraites. La revalorisation du salaire net à 2 SMIC ne restitue qu’une petite partie de cette somme (0,2 SMIC). La raréfaction des postes pérennes et la titularisation décalée de cinq à six ans, induite par les dispositifs de type tenure track, introduisent trouble et confusion dans l’annonce de revalorisation pour les futurs recrutés. Quant au soutien de base des laboratoires qui aurait désormais les faveurs de la ministre (« Nous avons besoin de soutien de base mais aussi de financement sur projet »), il est contredit par la loi : l’article 2 du projet de loi prévoit bien un accroissement des appels à projet, le budget de l’ANR étant augmenté par ponction dans les cotisations de retraites des universitaires et des chercheurs. Or la consultation en amont de la préparation de la loi a fait apparaître que neuf chercheurs et universitaires sur dix sont en faveur d’une augmentation des crédits récurrents et d’une limitation des appels à projet. Dans sa version du 9 janvier, la loi n’en tient nullement compte.

      Le statut des personnels des universités et de la recherche est au cœur de la loi. Nous devons accorder la plus grande attention au fait que les Titres II à V traitent tous de cette question. La LPPR vise en priorité une modification profonde des métiers, des missions, des catégories et des statuts des personnels. Le point le plus sensible est dans le Titre V : les modalités de recrutement des enseignants-chercheurs seraient modifiées par ordonnance. Sont en jeu le caractère national des concours, le contournement du CNU et la part des recrutements locaux. Une telle disposition, qui revient à statuer sans aucun débat parlementaire – et plus encore sans aucune consultation des chercheurs et des universitaires eux-mêmes – s’apparenterait à un coup de force revenant sur une tradition de collégialité longue de huit siècles selon laquelle les universitaires sont recrutés par leurs pairs. L’AUREF elle-même (Alliance des universités de recherche et de formation) a cru utile de redire dans son communiqué du 31 janvier dernier « son attachement au statut national de l’enseignant-chercheur et à l’évaluation par les pairs ». Au lieu de garantir et de consolider les statuts et le cadre national des concours de recrutement, qui sont les garants fondamentaux de l’équité, de l’exigence et de la qualité de l’Université et de la recherche, le projet de loi multiplie les nouveaux statuts dérogatoires, au risque d’aggraver la précarité qui mine notre système. Ainsi l’article 4 du projet de loi instaure les chaires de professeur junior (tenure track) d’une durée de cinq ou six ans et introduit par là-même un contournement des recrutements sur des postes statutaires pérennes. L’article 5 révise le cadre juridique du contrat doctoral et l’article 6 prévoit un nouveau mode de recrutement échappant à la collégialité, aux statuts et aux droits associés : le « CDI de mission scientifique ». Par ailleurs, les articles 7 et 11 du projet de loi prévoient la dérégulation du cumul d’activités, permettant l’emploi par le secteur privé de salariés du public, hors de tout contrôle. Dérégulations et contractualisation ne peuvent avoir pour conséquence qu’une précarisation et une dépossession accrues des métiers de l’enseignement et de la recherche. Si l’on en croit la ministre, « la recherche française souffre d’une baisse de l’attractivité de ses carrières », mais la loi qu’elle conçoit ne fera qu’aggraver la situation, en sacrifiant une génération de jeunes chercheurs.

      En initiant une candidature collective à la présidence du HCÉRES (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur), nous avons ciblé avec justesse l’instance qui jouera un rôle cardinal dans la nouvelle architecture de l’ESR. Plus encore que la seule carrière des universitaires et les modifications statutaires, l’évaluation définira et structurera tout l’enseignement supérieur et la recherche. Toute contractualisation se fera avec une rétroaction de l’évaluation sur les moyens, amplifiant ainsi l’obligation de résultats quantitatifs. Les articles 8 à 10 instaurent un conditionnement fort des moyens alloués aux résultats obtenus : l’évaluation-sanction des laboratoires, des établissements et des formations (HCÉRES), comme celle des chercheurs (ANR), deviendra la norme. Selon la ministre, « ce qui fait la spécificité de notre communauté, c’est d’être dans une compétition qui implique un travail d’équipe. C’est ce qu’on appelle “coopétition” — ce mot-valise qui mêle compétition et coopération — traduit bien l’émulation collective qui définit la recherche ». Non. Ce sont la collaboration fertile et la disputatio qui fondent la recherche. La compétition, quel que soit le nom par lequel on la désigne, dénature le travail des universitaires, accroît les inconduites scientifiques et met en difficulté les laboratoires, les composantes et les services. En outre, fondée presque exclusivement sur une pratique exacerbée de l’évaluation quantitative, elle favorise la reproduction, le conformisme, les situations de rente et les pouvoirs installés. La science a pour seule vocation la société qui la sollicite et pour seul objet l’inconnu qui est devant elle. Elle a besoin du temps long. Une loi de programmation qui la soumet à la seule concurrence, aux évaluations-sanctions permanentes et aux impératifs de rentabilité à court terme, la conduit à sa perte.

      Dès lors, quel peut être l’avenir d’une telle loi ? A-t-elle même encore un avenir ? La défiance de la haute fonction publique et de la technostructure politique vis-à-vis des universitaires et des chercheurs a gâché l’occasion historique d’écrire enfin une loi de refondation d’une Université et d’une recherche à la hauteur des enjeux démocratique, climatique et égalitaire de notre temps.

      Une telle loi impliquerait des mesures énergiques de refinancement, un grand nettoyage de la technostructure administrative accumulée depuis quinze ans et un retour aux sources de l’autonomie du monde savant et des libertés académiques. Ainsi que l’a fort bien dit le président du Sénat, M. Larcher, au sujet de la LPPR : « Il faut d’abord trouver un agenda, un contenu et des moyens, mais peut-être aussi une méthode d’approche. » De tout ceci le ministère s’est bien peu soucié, et c’est la communauté académique qui en paiera le prix fort. Nous devons tout recommencer.

      Car, parmi les trois scénarios désormais envisageables, aucun n’est satisfaisant. Soit la loi ne comprendra in fine que la partie budgétaire et se concentrera sur la réaffectation d’une partie des cotisations de retraites que l’État ne versera plus. Soit elle sera retirée afin de soustraire un gouvernement très affaibli à une fronde des universitaires et des chercheurs qui, laissant leurs différences partisanes de côté, se montrent aujourd’hui prêts à réaffirmer les fondements de leurs métiers. Soit les réformes structurelles et statutaires passeront par des décrets, par des cavaliers législatifs et par des ordonnances, ou par une combinaison de ces trois voies. Ce serait le pire scénario, car il supprimerait toute occasion d’un débat public et contradictoire sur la politique de la recherche en France.

      Analyse de RogueESR, reçue par email via la mailing-list de mobilisation, le 10.02.2020

      Disponible aussi ici :
      https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/100220/devoilement-et-analyse-de-la-loi-de-programmation-de-la-recherche

    • Loi de programmation pluriannuelle de la recherche : « Une réforme néolibérale contre la science et les femmes »

      Depuis quelques semaines, les protestations grondent dans le monde universitaire contre le projet gouvernemental annoncé d’une loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR). Cette réforme, inscrite dans le sillage de politiques néolibérales engagées au milieu des années 2000, prévoit de diminuer encore davantage le nombre d’emplois publics stables au profit d’emplois précaires, de concentrer les moyens sur une minorité d’établissements, de subordonner la production scientifique à des priorités politiques de courte vue, d’accroître les inégalités de rémunération et de soumettre les universitaires et chercheurs à une évaluation gestionnaire plutôt qu’à celle de leurs pairs.

      On connaît les effets délétères que ces politiques vont continuer d’engendrer sur la diversité, l’originalité et l’excellence des savoirs produits, sur la qualité de la formation dispensée aux jeunes générations et, in fine, sur la capacité de la France à répondre à de grands défis de société, comme l’urgence environnementale, les problèmes de santé publique, ou encore la montée des régimes autoritaires.

      « #Gestionnarisation » à outrance de l’université

      Les technocrates qui font ces réformes, coupés de nos métiers, ne voient pas que la « gestionnarisation » à outrance de l’université, comme celle de l’hôpital, est « contre-performante », pour reprendre leurs termes. Mais ces projets contiennent une autre menace, plus rarement dénoncée : ils vont accroître les inégalités liées à la classe, à l’assignation ethnoraciale, à la nationalité, au handicap, à l’âge, ainsi que les inégalités entre les femmes et les hommes.

      Le monde académique, qui fut jusqu’aux années 1970 un bastion masculin, ne diffère pas d’autres univers de travail : les hommes y occupent la plupart des positions dominantes. Alors que les femmes représentent 44 % des docteurs, elles sont 45 % des maîtres de conférences mais 25 % des professeurs des universités.

      En fait, 83 % des universités et 95 % des regroupements d’établissements (ComUE) sont dirigés par des hommes. Les femmes sont concentrées dans les fonctions les moins valorisées et rémunératrices, et les plus exposées à la détérioration continue des conditions de travail : au CNRS, elles représentent 65 % des personnels administratifs et techniques de catégories B ou C, mais 34 % seulement des chercheurs (catégorie A +), ce qui place d’ailleurs la France au bas des classements européens en la matière.

      « Le modèle promu est celui d’un chercheur au parcours précoce et linéaire, parfaitement mobile, mué en manageur »

      Les inégalités sont donc déjà là, mais les réformes à venir, en concentrant les ressources sur un petit nombre d’établissements et d’individus « performants », vont les aggraver. Le modèle promu est celui d’un chercheur au parcours précoce et linéaire, parfaitement mobile, mué en manageur et fundraiser [celui qui collecte les fonds], à la tête d’une équipe composée majoritairement de petites mains au statut précaire, lui permettant de publier en quantité.
      Précarisation accrue

      Parce que les hommes bénéficient plus souvent de certaines ressources (certitude de soi forgée dans la socialisation masculine, soutien de leur conjointe, accès à des réseaux de pouvoir, présomption de compétence, etc.), ils sont les gagnants de ce système fondé sur la compétition individuelle et le principe du winner takes it all [« le gagnant rafle tout »].

      Le bataillon des travailleuses et travailleurs invisibles de l’excellence scientifique, exclu des privilèges symboliques et matériels accaparés par une minorité d’individus, continuera, quant à lui, à se féminiser. Un bilan des réformes déjà menées atteste ce renforcement des inégalités. En France, par exemple, l’introduction de « primes au mérite », aux critères opaques, n’a fait qu’accroître les écarts de rémunération : les femmes représentaient 29 % des récipiendaires de la « prime d’encadrement doctoral et de recherche » en 2017, alors qu’elles étaient 38 % du vivier.

      Dans des pays généralement présentés comme des modèles à suivre, la précarisation des emplois s’est considérablement accrue, frappant plus durement les femmes. Aux Etats-Unis, en 2013, les femmes n’occupaient que 38 % des emplois permanents (tenured jobs), un statut de plus en plus rare (moins de 30 % de l’ensemble des postes), mais leur part était estimée à 62 % des emplois précaires à temps partiel (adjuncts).

      En Allemagne, les contrats courts représentent aujourd’hui 80 % des emplois scientifiques. Au sein de cette armée du Mittelbau au service de mandarins, les femmes sont surreprésentées : en 2014, 77 % des enseignantes-chercheuses avaient un contrat à durée limitée (contre 64 % des enseignants-chercheurs) et, parmi elles, 51 % travaillaient à temps partiel (contre 30 % parmi les hommes). En haut de la pyramide, les hommes composent plus des trois quarts du corps professoral titularisé.
      Développer une approche structurelle

      Le monde académique affiche pourtant une forte préoccupation en matière d’égalité femmes-hommes. L’obligation de représentation équilibrée dans différentes instances, et les politiques menées dans certains établissements (campagnes contre les violences sexistes et le harcèlement, notamment) ont amélioré la position de certaines femmes. Mais ces initiatives se condamnent à être un simple affichage pour les classements internationaux si elles s’appuient sur une approche individuelle, plutôt que structurelle, des inégalités.

      Si le gouvernement souhaite réellement que la France demeure un pays d’excellence scientifique et dispense une formation de qualité aux générations futures, tout en soutenant avec force les valeurs d’égalité, il est urgent de construire un autre projet pour l’université et la recherche publiques : un projet ambitieux, fondé sur la création massive d’emplois stables, sur un financement public pérenne, sur la collaboration scientifique, sur des garanties d’indépendance à l’égard des pressions politiques et gestionnaires, mais aussi sur des mesures transformatrices contre les inégalités, les discriminations et les violences au travail.

      Sans ces impératifs, c’est non seulement la science, mais aussi les femmes scientifiques, qui seront sacrifiées sur l’autel de la concurrence effrénée et de la « #managérialisation » de l’enseignement et de la recherche.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/02/10/loi-de-programmation-pluriannuelle-de-la-recherche-une-reforme-neoliberale-c

    • Tuer l’enseignement en massacrant la recherche ?

      Lors de mon premier cours de L2 du semestre, j’ai expliqué aux étudiants les enjeux de la LPPR et les raisons de la colère que ce projet de loi provoque dans le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche. « Loi de programmation pluriannuelle de la recherche », force est de constater que son nom même n’invite pas à se positionner sur ses enjeux en termes d’enseignement, et il me semble que cette question, sans être absente, reste seconde dans la plupart des prises de position qui courent depuis plusieurs semaines.

      Les attaques sur la recherche, sur les carrières des jeunes chercheur∙se∙s, l’accroissement de la tension autour des appels à projets chronophages et déprimants, le mépris affiché, via la promotion de « l’excellence » et des « talents » qui nécessairement viendraient d’ailleurs, pour la recherche pratiquée actuellement dans les universités, sont autant de points d’ancrage d’une opposition multiforme (et je ne reviens pas ici sur la question de la grève « générale », « un peu faite », « pas faite », dont j’ai parlé ailleurs). Dans ce que j’ai dit aux étudiant∙e∙s, j’ai abordé tout ceci. J’ai cependant insisté également sur les conséquences lourdes de cette évolution que l’on tente de nous imposer – que l’on nous impose de fait depuis une bonne décennie – en termes d’enseignement, et notamment d’enseignement de premier cycle, ou de continuité de la formation, ou de maintien de chances sinon égales (il y a longtemps qu’elles ne le sont plus), du moins accessibles au plus grand nombre.

      Plusieurs éléments me semblent devoir être pris en compte :

      Le risque clair d’une distinction croissante (là encore, arrêtons de faire comme si elle n’existait pas : bien des dispositifs existent aujourd’hui pour que quelques-uns mettent en œuvre l’excellence de leur recherche en enseignant le moins possible) entre enseignant∙e∙s et chercheur∙se.
      Que ce soit par ces fameux tenure tracks « à la française », par le renforcement du principe de l’appel à projets en matière de recherche, qui permet aux lauréats d’éventuellement négocier leur charge d’enseignement, par le recours à des contractuels d’enseignement aux dépens des postes d’ATER ou de maître∙sse∙s de conférences, tout concourt à distinguer une majorité dévolue aux basses tâches d’enseignement, notamment de premier cycle, et une minorité qui a besoin de tellement plus de temps pour faire une recherche tellement plus intéressante. C’est totalement délétère, et pas seulement parce que la majorité aimerait disposer de plus de temps pour sa recherche : c’est ruiner la spécificité de l’université dans l’enseignement supérieur français, à savoir cette association des deux fonctions dans une seule et même personne, l’enseignant∙e-chercheur∙se. L’université est un lieu de formation à et par la recherche.
      On me rétorque volontiers que ce n’est pas (plus) vrai en premier cycle : je pense pour ma part que ce l’est toujours, et que c’est ce qui fait la qualité de cet enseignement, qui n’est pas là pour donner une masse de connaissances, mais bel et bien des compétences (qui ne sont pas nécessairement une grossièreté, si on arrête d’en faire l’alpha et l’oméga des formations, de la communication et de l’employabilité immédiate), intimement liées à cette pratique de la recherche par les enseignant∙e∙s.
      Cette distinction se fera non seulement entre enseignant∙e∙s, mais entre établissements, entre universités « de recherche » et universités « tout court » (auquelles on donnera toujours le nom d’universités pour maintenir l’illusion…). Là encore, rien de nouveau sous le soleil, mais c’est l’accentuation d’une tendance qui, en dehors de donner des aigreurs à certains enseignants-chercheurs considérant qu’ils sont sous-employés, et/ou sous-estimés, en enseignant dans une « PMU » (petite et moyenne université), fragilise surtout les étudiants les moins armés pour intégrer grandes classes préparatoires, grandes écoles, grandes universités. Or, maintenir un premier cycle de grande qualité partout est un devoir de l’État, une responsabilité collective, afin que les perspectives d’avenir ne soient pas réservées à quelques cercles étroits. Croire qu’un étudiant « qui veut, peut », à 18 ans, en sortant du lycée, c’est au mieux de la naïveté.
      La précarisation touche principalement, on le sait, l’enseignement de premier cycle, et plus précisément de L1 et L2. Dans un contexte de sous-encadrement, les titulaires ont tendance à délaisser les premières années, pour des raisons qui vont de leur intérêt propre (beaucoup trouvent ça plus intéressant, plus gratifiant, et voient dans les L3 les viviers où trouver de futurs masterant∙e∙s, puis doctorant∙e∙s) à la logique considérant que l’expérience accumulée permet de préparer plus aisément un cours plus avancé du cursus. Soit dit en passant, étant donné le nombre de précaires qui ont toutes les qualifications d’un titulaire et une expérience longue comme le bras, ce dernier point peut évidemment se discuter. Quoiqu’il en soit, de fait, et quelle que soit la qualité et le dévouement des « chargé∙e∙s de cours », cette précarisation a des effets négatifs sur l’enseignement : d’une part, nos collègues cumulent ces enseignements avec un ou plusieurs autres postes, et une activité de recherche qu’ils maintiennent dans l’espoir d’accéder à un poste de MCF un jour ; ce n’est pas leur faire offense, je pense, que de croire que cela ne leur permet pas de préparer ces enseignements dans les meilleures conditions. D’autre part, les équipes pédagogiques sont rarement stables, évoluant au gré des mutations de nos collègues du secondaire, des dysfonctionnements chroniques quant à leur (médiocre) rémunération, des aléas des services des titulaires. La notion même d’ « équipe pédagogique » semble souvent bien difficile à défendre, notamment en L1, quand le nombre de groupes de TD et les conditions de travail des uns et des autres rendent toute rencontre quasi impossible. La communication par courriel a des limites que nous connaissons tous… Oui, je pense que l’enseignement mérite d’être assuré par des titulaires sereins sur leur avenir.

      Un vice-président d’université m’a dit un jour qu’il était normal de ne pas mettre de moyens sur la première année, puisque de toute façon cela ne sert à rien (comprendre : la L1 sert à trier ceux qui suivront et les autres qui n’ont rien à faire là, et faire des TD à 70 ou 25 n’y change rien), et qu’il fallait se concentrer sur les années supérieures, et notamment le second cycle (le master) afin de développer la recherche. Avec des principes comme celui-ci, évidemment, la précarisation ou l’exploitation des enseignant∙e∙s en charge des premières années est somme toute logique : après tout, leur fonction n’est finalement pas tellement de former au mieux ces jeunes femmes et ces jeunes hommes, mais de s’assurer qu’un nombre raisonnable, mais pas trop élevé sous peine de déséquilibrer le budget de leur établissement, accèdera à l’année supérieure. Il me semble que toute la LPPR repose sur cette logique-ci, en fait, et je trouve cela proprement dramatique – et pas seulement parce qu’avec les perpectives actuelles, on se demande bien pourquoi vouloir à tout crin former des chercheur∙se∙ L’université est un lieu de construction et de diffusion du savoir, et des méthodes de construction du savoir (cette phrase est fort alambiquée, je le reconnais), accessible en principe à toutes et tous. Le mépris du corps enseignant et de la fonction même d’enseignant∙e-chercheur∙se telle qu’elle existe aujourd’hui est aussi un profond mépris de nos étudiant∙e∙s.

      https://academia.hypotheses.org/11700

    • Le sommaire du projet de loi dans une version de travail du 09/01

      Extraits d’une dépêche du 7 février 2020

      Intitulé « Dispositions relatives aux orientations stratégiques de la recherche et à la programmation financière », le titre I de cette version se décompose en trois articles, dont un article 2 sur la programmation budgétaire 2021-2027, les financements de l’ANR et la trajectoire de l’emploi scientifique.

      L’article 3 vise lui à « exonérer les EPST de la taxe sur les salaires ».

      Le titre II du projet de loi vise à « Attirer et retenir les meilleurs scientifiques » via

      des chaires de professeur junior (art.4),
      la fixation d’un cadre juridique spécifique pour le contrat doctoral (art.5),
      des « CDI de mission scientifique » (art.6) et

      des mesures de simplification en matière de cumul d’activités (art.7).
      Le titre III s’attache lui à « Mieux piloter la recherche et encourager la performance » via une « rénovation de la contractualisation et évaluation », et des mesures concernant les unités de recherche et l’ANR (articles 8 à 10).

      L’objectif du titre IV est de « Diffuser la recherche dans l’économie et la société » par :

      l’élargissement des mobilités par les dispositifs de cumul d’activités à temps partiel (art. 11) ;
      la protection du secret des sources (art. 12) ; et un « droit de courte citation des images » (art.13).

      Enfin, baptisé « Mesures de simplifications et autres mesures », un titre V propose :

      la « prolongation de l’expérimentation bac pro BTS »,
      une « ratification de l’ordonnance sur les établissements expérimentateurs »

      et des habilitations à légiférer par ORDONNANCES sur les points suivants :

      enseignement privé ;
      simplification de l’organisation et du fonctionnement interne des EPSCP ;
      simplification de l’organisation et du fonctionnement des fondations de coopération scientifique, de l’Institut de France et des académies qu’il regroupe ;
      simplification du contentieux relatif au recrutement des enseignants-chercheurs et chercheurs.

      Selon les informations de News Tank, les évolutions apportées depuis le 09/01 à cette version concernent, entre autres, une réduction de la liste des points concernés par les ordonnances, avec réintégration de certains dans le corps du projet de loi.


      *

      Selon une autre source, ce projet de loi est complètement abandonné. Il n’en reste pas moins que ce texte ponctue, plutôt qu’il n’initie, des pratiques qui ont déjà cours dans l’esneignement supérieur et dans la recherche, ou peuvent être mises en œuvre par voie réglementaire.

      https://academia.hypotheses.org/11740

    • Quelques réflexions sur les politiques scientifiques françaises

      La section 6 du Comité national de la recherche scientifique a invité les chercheurs et chercheuses qui devaient lui envoyer leurs rapports et des projets de recherche à leur joindre, si tel était leur souhait, leurs doléances concernant les politiques actuelles en matière de recherche en France et les projets d’évolution de ces politiques. Je n’avais pas un temps énorme à consacrer à cela, d’où un caractère assez décousu de mes réflexions, mais j’ai rédige le texte suivant :

      On annonce une loi de programmation pluriannuelle de la recherche. Il ne faudrait pas que celle-ci, censée apporter du dynamisme dans la science française, alourdisse au contraire la bureaucratie au détriment des intérêts de recherche et d’enseignement. Je vais ici passer en revue quelques dysfonctionnements du système actuel et fausses bonnes idées de réformes, et parfois formuler des suggestions.
      Des financements sur projet inefficaces

      Bien loin d’être le système « darwinien » bénéficiant aux recherches les plus prometteuses, le maquis d’appels à projets à tous niveaux (établissement, région, agences d’état, Europe…) est au contraire inefficace et n’alloue pas les ressources où il le faudrait. Les raisons en sont multiples.

      Le financement des doctorants et post-doctorants sur projets aboutit à ne pas pouvoir recruter, faute d’argent, les personnes intéressantes quand elles sont disponibles, et parfois à recruter des personnes qui n’auraient pas dû l’être, de peur de perdre un budget. Paradoxal, alors qu’on prétend que ce système est censé financer les meilleurs.

      Certains appels à projet (RIA…) imposent un lourd formatage, avec usage d’une langue de bois et de figures imposées (impact sociétal, impact sur la compétitivité…), tellement éloignées de la science que des prestataires privés se proposent pour aider les chercheurs à monter des dossiers. Beaucoup d’énergie, de temps de travail, et d’argent se perdent dans une bureaucratie tant publique que privée.

      Les taux d’acceptation trop bas de certains appels à projets, notamment de l’ANR, conduisent les chercheurs à déposer trop fréquemment des dossiers, au prix d’un travail de montage important et d’un grand stress — dossiers qu’il faut ensuite évaluer, là encore temps de travail.

      Quant aux projets ERC, si leur évaluation est plus scientifique et moins bureaucratique, ils ne sont pas forcément adaptés : ils concentrent des moyens considérables sur un petit nombre de lauréats, qui ensuite peinent à recruter les personnels contractuels ainsi financés (j’en ai fait l’expérience).

      On nous parle sans cesse d’une science qui devrait être agile, mal servie par des structures vétustes. Or le système des appels à projets est le contraire de l’agilité. Le délai entre la demande de financement et la conclusion du contrat est élevé et souvent incertain (ce qui empêche de prospecter efficacement en amont pour des embauches de contractuels, les candidats exigeant en général une date ferme). On attend parfois des chercheurs qu’ils présentent un planning précis, découpé en tâches et sous-tâches, avec un diagramme de GANTT, présentant d’avance à quelle date telle ou telle découverte aura été faite, et ce sur 4 ou 5 ans !

      Les règles de fonctionnement des appels à projets changent régulièrement, parfois en cours de route. Ceci crée du stress auprès des services administratifs et financiers, dont la hantise est que telle ou telle dépense ne soit pas considérée comme « justifiable » ; ces services ont donc tendance à imposer des restrictions supplémentaires, au cas où. Certains appels ont des règles de fonctionnement biscornues, permettant par exemple de rémunérer des contractuels mais pas des stagiaires de master. Là encore, les chercheurs dépensent une énergie considérable à contourner des problèmes administratifs, même s’ils ont obtenu un financement.

      Notons un paradoxe. On nous dit qu’il faudrait que les universités et organismes recherchent plus de financements industriels, mais en fait le système fonctionne à l’envers : les industriels et notamment leur R&D recherchent constamment des subventions publiques !
      Un manque de financements doctoraux

      Dans notre école doctorale, seuls 15% des doctorants (environ) bénéficient d’un contrat doctoral sur budget de l’école doctorale (« bourses du Ministère »), les autres étant financés par d’autres biais (une minorité de CIFRE, mais principalement des contrats de recherche). C’est insuffisant : de bons étudiants se voient refuser de tels contrats. L’intérêt scientifique serait probablement mieux servi s’il y avait un budget suffisant pour plus de contrats doctoraux, quitte à prendre le budget sur d’autres modes de financement.

      Un intérêt des financements sur contrat, dans certains contextes, a été de permettre à de jeunes chercheurs d’avoir un budget et des doctorants alors que des « mandarins » locaux le leur auraient refusé. Il faudrait donc prendre garde à ce que les procédures d’attribution de ce nombre accru de financements doctoraux non liés à des projets ne souffrent pas du mandarinat.
      Une multiplication de structures à la gestion hasardeuse

      On a multiplié les structures de recherche hors du cadre du fonctionnement normal des organismes : IDEX (initiative d’excellence), LABEX (laboratoire d’excellence), IRT (institut de recherche technologique)… Chacune de ces structures dispose de budgets et de règles de fonctionnement spécifiques (il semble ainsi que le statut juridique et le mode de fonctionnement change d’un IRT à l’autre). Ceci multiplie les catégories administratives et complexifie la gestion.

      Parfois, ces structures (LABEX, IRT) ne sont pas pérennes, mais renouvelés par périodes, ce qui interdit notamment de pouvoir enclencher un projet qui recouvre deux périodes (puisque rien ne garantit que le budget pour la période suivante). Il y a parfois une période de césure entre la fin d’une structure et son renouvellement, qui imposerait de renvoyer les personnels pour les réembaucher quelques mois plus tard. Ceci n’est guère respectueux des personnels ainsi précarisés.

      À plus grande échelle, les restructurations incessantes enclenchées depuis dix ans (constitution de communautés d’universités aux contours changeants, fusions d’universités, établissements expérimentaux…) ont créé de l’incertitude et du stress, et nécessité un important travail. Sans prétendre qu’il faille sacraliser des structures, des découpages, qui peuvent dans certains cas être dépassés, on doit cependant rappeler que les restructurations ne devraient avoir pour objectif que l’amélioration de la recherche et de l’enseignement et non un affichage politique.
      Une évaluation lourde et bureaucratique

      On raconte parfois que les chercheurs ne sont pas évalués et refusent de l’être. Ces remarques, parfois colportées dans les médias, ne collent pas à ma réalité. En 2019, j’ai rempli un compte-rendu d’activité (CRAC) et un dossier de demande de promotion, et rédigé une part importante d’un rapport de laboratoire pour l’HCERES. En janvier 2020, j’ai rédigé un compte-rendu d’activité et un projet quinquennaux personnels. Encore ai-je la chance (du moins pour l’aspect évaluation) de ne pas être dans une équipe projet INRIA, sinon j’aurais à remplir un « Raweb ».

      L’évaluation par le HCERES mérite qu’on s’y attarde. Cet organisme, s’il fait expertiser les laboratoires par des comités d’experts du domaine, leur impose une grille rigide de rubriques de rédaction ; il impose aux laboratoires le remplissage de tableaux d’indicateurs souvent mal définis et d’intérêt douteux. La bureaucratie a pris le pas sur l’évaluation scientifique.

      L’usage d’indicateurs a ceci de pervers que les personnels évalués finissent par vouloir optimiser l’indicateur au détriment de ce que celui-ci était censé mesurer. Ainsi, on a prétendu mesurer la performance de chercheurs au nombre de leurs publications. La conséquence bien connue est que certains se sont mis à augmenter artificiellement le nombre de leurs publications, par exemple en découpant inutilement des travaux en plusieurs articles et en publiant des articles médiocres dans des revues peu sélectives (des revues se sont d’ailleurs créées pour cela). Même les bons chercheurs se sentent obligés de suivre. Ce phénomène est d’ailleurs accentué si l’on attribue des primes basées sur cet indicateur, comme cela se fait dans certains pays, ou si l’on attribue des budgets au prorata des publications, comme cela se fait hélas dans certains laboratoires français. Le CNRS a signé la déclaration de San Francisco (DORA), mais les premières questions des dossiers de promotion portent le nombre de publications au cours des n dernières années.

      La préparation de l’évaluation HCERES (simultanément des laboratoires, des formations, des écoles doctorales, de l’établissement entier) est une tâche lourde — et on dit que l’on voit une baisse des indicateurs de publication l’année de cette préparation. Une telle lourdeur est-elle vraiment nécessaire ?
      Des effets de mode et des coups de bélier

      Dans l’intérêt de la science et de la société, il est nécessaire de formuler et suivre une politique scientifique qui ne se limite pas à la reconduction des thématiques existantes. Il faut toutefois se défier d’un pilotage de la recherche à la traîne des thématiques à la mode, et dans certains cas vite démodées.

      Parfois, le pilotage se fait brutal. On a ainsi annoncé que l’intelligence artificielle était une priorité nationale. Soit. Puis, après des tergiversations, on a annoncé des instituts d’intelligence artificielle (3IA). Celui de Grenoble dispose d’un financement pour 40 nouveaux doctorants par an — à comparer avec les 15 financements distribués par le procédé normal. Où les trouver ? Les étudiants français visent souvent une carrière industrielle directement en sortie d’école d’ingénieur ; attirer des bons étudiants étrangers est difficile, et nécessite la construction de réseaux, de filières, qui ne monteront pas en charge du jour au lendemain.

      Ce pilotage binaire, avec ouverture et fermeture brutales de la vanne des crédits sur tel ou tel sujet, ne conduit là encore probablement pas à un bon usage des deniers publics. De même que l’on recommande de ne pas manier brutalement les vannes hydrauliques afin d’éviter des « coups de bélier », il conviendrait de ne pas agir ainsi avec la recherche.
      Des prescriptions bureaucratiques : l’exemple des Zones à Régime Restrictif

      La méthode bureaucratique souvent employée pour gérer la recherche publique peut être illustrée par la mise en place des « zones à régime restrictif » (ZRR). Rappelons ce dont il s’agit.

      On veut protéger les intérêts français tant industriels que stratégiques du pillage et de l’espionnage : vrai problème, objectif louable. Malheureusement, l’approche employée (le passage de certains laboratoires en ZRR), de l’avis de nombreux chercheurs et notamment de directeurs de laboratoires, est inadaptée. Je ne reviendrai pas sur les arguments (ils ont notamment été exposés par J.-M. Jézéquel, de l’IRISA), mais plutôt sur la méthode.

      On désigne apparemment comme « sensibles » des laboratoires ou des équipes sur la base de mots-clefs sans s’interroger sur ce que ceux-ci recouvrent et sur la réalité des dangers dans ces laboratoires ou ces équipes.

      On veut appliquer des procédures (e.g. restrictions d’accès de visiteurs) adaptées à des laboratoires où on laisse des échantillons de produits ou de matériels sensibles dans des salles d’expérimentation à des laboratoires où l’on n’a rien de cela.

      On ne tient compte ni des remarques des laboratoires concernant le caractère inadapté de certaines mesures de sécurité proposées, ni de leurs demandes d’améliorations de la sécurité plus adaptées à leur contexte (moyens de sécurité informatique, notamment).

      On est donc dans un système parfaitement bureaucratique : pilotage d’en haut sans prise en compte des réalités du terrain, négation de la compétence des acteurs de terrain à analyser leur situation.
      Les standards internationaux

      On justifie souvent les réformes dans la recherche française par l’idée qu’il faudrait mettre celle-ci au niveau des « standards internationaux ». On pourrait s’interroger sur cette notion, qui recouvre des réalités aussi différentes que celle des universités allemandes, étatsuniennes et chinoises, mais ce serait un trop long exercice pour ce texte. Je me bornerai donc à quelques constats.

      Lorsque l’on compare les universités françaises aux universités américaines, on pense à Stanford, Harvard, au MIT, où circulent massivement l’argent des agences fédérales (NSF, DARPA, ONR, DOE…) ; on ne pense pas aux community colleges. Or les universités françaises (même celles qui se présentent comme des « universités de recherche ») doivent à la fois remplir le rôle d’un community college et en même temps se mesurer aux universités internationalement les plus réputées. Leurs enseignants-chercheurs sont sommés de prendre en charge des effectifs importants, d’où des heures complémentaires d’enseignement au détriment de la recherche ; mais on va ensuite leur reprocher de ne pas assez publier dans des revues ou des conférences au plus haut niveau !

      L’université française, et ses personnels, est soumise à des injonctions contradictoires : il faut atteindre la visibilité et le dynamisme de recherche des plus célèbres universités internationales tout en n’en ayant pas les moyens budgétaires. Cela n’est pas tenable.
      Le statut des personnels

      Les chercheurs français sont comparativement moins bien payés que ceux d’autres pays. La France a en revanche divers atouts compétitifs, dont le statut de chercheur sans enseignement imposé dans les EPST dont le CNRS, et le statut de fonctionnaire accordé relativement tôt dans la carrière. On ne comprend donc pas très bien comment la qualité de la recherche française serait servie par la multiplication de statuts plus ou moins instables, sauf peut être en cas de salaires considérablement plus élevés que les actuels, ce qui ne semble guère compatible avec les contraintes budgétaires.

      Perspectives

      L’accumulation de réformes et de réorganisations (j’aurais pu aussi évoquer celles du baccalauréat, du DUT, des licences…) épuise les personnels, toujours sommés de s’adapter à une nouveauté incertaine, les réformes devant parfois être mises en place avant d’avoir été votées par le Parlement. Et on nous annonce encore d’autres réformes d’ampleur ! Peut-être serait-il pertinent de déjà faire fonctionner l’existant, en tentant de simplifier les structures, débureaucratiser les procédures, et mettre des moyens suffisants pour assurer les besoins d’enseignement.

      https://academia.hypotheses.org/12080

    • Ton université va craquer

      Si le mouvement de grève généralisé entamé en décembre 2019 semble peu à peu s’essouffler, certain·e·s, moins visibles ou moins médiatisé·e·s, continuent leur mobilisation. Les enseignant·e·s-chercheur·e·s, notamment, qui constatent une précarisation de leur situation et une crise de l’université généralisée. Parmi leurs moyens d’action : le fait de cesser de faire vivre, médiatiquement, le produit de leurs recherches.

      Dans quel état est l’université française aujourd’hui ? Que donnerait un espace public dont aurait disparu la parole des chercheur·e·s ?

      https://www.binge.audio/ton-universite-va-craquer

    • La recherche française en quête de modèle ?

      Alors que le gouvernement doit présenter une loi de programmation pluriannuelle de la recherche, de nombreuses voix s’inquiètent de la remise en cause du modèle de la recherche française.

      À mes collègues scientifiques, je veux dire que le gouvernement a entendu leur appel à réinvestir massivement dans la recherche » : c’est dans une tribune publiée dans Le Monde que la Ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation Frédérique Vidal a tenté de rassurer les acteurs du monde de la recherche scientifique ce lundi (https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/02/10/frederique-vidal-a-mes-collegues-scientifiques-je-veux-dire-que-le-gouvernem).

      Le gouvernement finalise actuellement sa loi de programmation pluriannuelle de la recherche et a déjà annoncé une augmentation du budget pour la recherche à 3% du PIB. Mais de nombreux enseignants-chercheurs demeurent inquiets : aux conditions de travail, jugées de plus en plus difficiles, s’ajoutent les craintes de l’accroissement de la compétition au détriment de la coopération, de la précarisation des personnels ou encore d’une atteinte à l’indépendance de la recherche.

      Pour en parler, nous recevons Olivier Coutard, président de la conférence des présidents de sections du comité national de la recherche scientifique et socio-économiste, chercheur au CNRS et Sylvestre Huet, journaliste spécialisé en sciences depuis 30 ans, actuellement journaliste indépendant, auteur du blog sur le site du Monde “Sciences ²”.

      Ils seront rejoints en seconde partie d’émission par Marie Sonnette, maîtresse de conférences en sociologie à l’Université d’Angers et membre du comité de mobilisation des facs et des labos en lutte, et Jean Chambaz, président de Sorbonne Université et de la Ligue européenne des universités de recherche, professeur de biologie cellulaire.

      "La société peut-elle résoudre ses problèmes avec une recherche publique stagnante ? Non. Depuis 20 ans, tous les gouvernements de l’Union Européenne ont constaté qu’il fallait augmenter l’effort de recherche public." Sylvestre Huet

      Aujourd’hui, la France décroche, en termes de performances, de capacités, de parts de production scientifique, à cause du budget. Jean Chambaz

      https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/la-recherche-francaise-en-quete-de-modele

    • LPPR : 2 SMIC pour les titulaires, des cacahuètes pour les précaires ?

      Après trois semaines de mobilisation contre le projet de Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche (LPPR), la ministre F. Vidal a annoncé avec fracas dans ses voeux de début d’année une mesure censée mettre tout le monde d’accord : la revalorisation des salaires des “jeunes chercheurs” - c’est-à-dire, selon la ministre, les maître·sse·s de conférences (MCF) et chargé·e·s de recherche CNRS (CR) nouvellement recruté·e·s (1).Les médias ont largement relayé cet accès de générosité (2) : avec la LPPR, “la priorité ira aux jeunes chercheurs”. Vraiment ?

      L’ANCMSP ne considère pas que la revalorisation des salaires des primo-MCF et primo-CR, recruté·e·s en moyenne à 34 ans, soit une mesure qui donne la priorité aux “jeunes” chercheur·ses, ni la première des priorités en l’état actuel de la recherche et du service public universitaire. En prétendant répondre à la contestation par des étrennes dérisoires aux enseignant·e·s titulaires mobilisé·e·s, la ministre renouvelle son mépris pour la situation des véritables “jeunes chercheur·se·s”, à savoir les précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche : doctorant·e·s, financé·e·s ou non, enseignant·e·s vacataires, docteur·e·s sans poste ou en contrats précaires, post-docs.

      Cette annonce est l’occasion pour l’ANCMSP de préciser ses positions concernant les rapports préparant la LPPR et la mobilisation en cours. Puisque la ministre nous promet une « revalorisation d’ensemble », cette mobilisation est l’occasion de protester à nouveau contre la précarisation généralisée dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR), dont les personnels BIATSS et les chercheur·se·s non-titulaires sont les premier·e·s à faire les frais.

      Les rapports de la LPPR eux-mêmes en font le constat : l’ESR est sous-financé, les carrières doivent être “revalorisées” pour être “attractives”. Les solutions proposées sont pourtant étrangement baroques : “CDI de chantiers”, “CDD jeunes chercheurs” et “tenure tracks” complèteraient la jungle des statuts non-permanents. Pour l’ANCMSP, la création de nouveaux types de contrats, si elle répond à un besoin urgent de statuts plus stables pour les docteur·e·s, ne suffira pas pour freiner la précarité des candidat·e·s aux métiers de la science politique et LSHS.

      A côté de ces nouveaux statuts, la question du budget consacré aux doctorant·e·s et aux docteur·es n’est jamais abordée. Combien d’argent injecté dans l’ESR ? Pour qui ? Si la promesse faite par la Stratégie Lisbonne il y a vingt ans devait être concrétisée par la LPPR (3 % de PIB consacrés à l’ESR au lieu des 2,2% actuels), il y aurait de quoi en finir avec la précarité dans l’ESR. Rien de tel ne semble cependant prévu dans le projet actuel.
      Sur les “CDI de Chantier” et les “CDD Jeune Chercheur”

      “CDI de Chantier” :

      Contrats à durée indéterminée bien que limitée (3 à 6 ans préconisés) à la durée d’un projet, ces CDI temporaires ne sont pas une nouveauté et sont déjà rendus possibles par l’article 17 de la Loi n°2019-828 du 9 août 2019 de transformation de la fonction publique, qui crée des “Contrats de projet” dans toutes les administrations de l’Etat pour une durée allant de 1 à 6 ans.

      Ces contrats sont des pis-aller faute de postes permanents ouverts au concours : ils contribuent à normaliser la précarité et s’avèrent cohérents avec la logique générale du financement par projet qui irrigue les rapports de la LPPR. Néanmoins, ces CDI de Chantier sont susceptibles de représenter une amélioration par rapport aux contrats de post-doc actuels. S’ils portent effectivement sur des projets de long terme avec une durée minimale de trois ans, ils représenteront une nette avancée par rapport aux contrats de post-doctorat indignes, de 3 mois à 1 an, qui sont monnaie courante.

      Malgré tout, ces contrats connaissent - comme un grand nombre des autres propositions faites par les rapports - des dispositions particulièrement floues. A la lecture des rapports, il est impossible de savoir s’ils sont destinés à remplacer les contrats de post-doctorat, s’ils sont susceptibles d’être interrompus avant la fin du “projet” pour lequel a été fait le recrutement (amenant donc à un remplacement qui serait de courte durée), quelle sera la rémunération de ces CDI de chantier, etc. La durée minimale (3 ans) et maximale (6 ans) de ces contrats n’est que “préconisée” et, par ailleurs, l’idée d’une durée minimale est en soi contradictoire avec l’objectif de faire correspondre la durée de ces contrats à la durée des projets. Enfin, la multiplication des évaluations des projets de recherche recommandée par les rapports augmente d’autant les risques de voir ces derniers stoppés en cours de route en cas d’évaluation négative - et les rémunérations des chercheur·se·s qui y sont engagés avec (3).

      “CDD Jeune Chercheur” :

      Ces contrats, qui “contribuerai[en]t à renforcer la lisibilité des situations d’emploi des jeunes docteurs en France”, sont supposés remplacer les post-doctorats et les ATER (mais n’est-ce pas là une mise en concurrence avec le merveilleux CDI de chantier ?). Une nouvelle fois, faute de postes permanents, ces contrats pourraient représenter une amélioration par rapport à la situation actuelle, puisque le rapport du groupe de travail n°2 (GT2) indique que “la durée totale des contrats “jeunes chercheurs” pourrait être limitée à six ans (soit deux fois trois ans)”. Toujours aussi imprécis dans la formulation et le chiffrage, le rapport ne permet pas néanmoins de savoir si ce nouveau statut est destiné à remplacer complètement le post-doctorat par des contrats correctement rémunérés de trois ans minimum qui pourraient bénéficier à chaque docteur·e·s qui le souhaite, ou à institutionnaliser la précarité en permettant à des “jeunes” chercheur·se·s déjà très âgé·e·s de poursuivre leur travail dans un ESR précarisé à l’extrême.
      Sur les tenure tracks : les excellent·e·s et les médiocres

      Enfin l’excellence ! Afin d’empêcher les “cerveaux de fuir” et “attirer les jeunes talents”, le rapport du GT2 sur la LPPR propose de créer un nouveau statut d’enseignant·e-chercheur·se : les “chaires d’excellence junior” ou “tenure-tracks”. Dans les trois ou quatre années qui suivraient la thèse, les bénéficiaires de ce nouveau statut seraient embauchés pour une durée allant de 5 à 7 ans. De manière dérogatoire aux concours de MCF et de CR, les bénéficiaires seraient recruté·e·s de manière définitive dans le cas où leurs évaluations intermédiaires et finales s’avèreraient positives (selon, bien sûr, “des critères d’excellence internationaux”).

      Le rapport du GT2 préconise de réserver ces “chaires d’excellence juniors” à seulement 150 docteur·e·s par an. Ceux-ci bénéficieraient d’un “volume raisonnable d’enseignement” (c’est-à-dire de décharges) ainsi que de la possibilité d’encadrer des doctorant·e·s sans HDR (Habilitation à Diriger des Recherches). Le rapport recommande que leur rémunération soit “compétitive au plan international”.

      Pour l’ANCMSP, ces “chaires d’excellence juniors” constituent des postes sur-dotés attribués à une petite élite de docteur·e·s jugé·e·s excellent·e·s tandis que la vaste majorité des autres n’obtiendront que des contrats médiocres (vacations, ATER, post-docs) pour assurer les enseignements dont les premier·e·s auront été déchargé·e·s. Ce dispositif ne permettrait donc en aucun cas de favoriser l’attractivité de la recherche publique et renforcerait les inégalités entre les docteur·e·s.
      Sur l’augmentation des contrats doctoraux : des mots, des mots, puis rien

      Le rapport du GT2 sur la LPPR établit les constats suivants, que l’ANCMSP partage amplement :

      Le nombre de docteur·e·s diplômé·e·s chaque année augmente (11 000 en 2000, 13 500 en 2009, 15 000 en 2017) alors que le nombre de postes d’EC diminue (2600 MCF et CR recrutés en 2009, 1700 en 2016) ;

      L’âge moyen de recrutement comme EC est tardif (34 ans pour les MCF, 33 ans pour les CR en 2016 ) ;

      Le nombre de primo-inscrit·e·s en doctorat chaque année est en baisse (-12% de doctorant·e·s primo-inscrit·e·s entre 2010 et 2017) et ceci particulièrement en SHS (8709 doctorant·e·s primo-inscrit·e·s en 2010 contre 6844 en 2017) ;

      La durée du contrat doctoral (3 ans) est insuffisante ;

      Les doctorant·e·s en SHS restent largement sous-financé·e·s, puisque seulement 39% des doctorant·e·s primo-inscrit·e·s en SHS avaient un financement dédié pour la réalisation de leur thèse en 2017 (contre 70% toutes disciplines confondues) ;

      La rémunération prévue par le contrat doctoral est insuffisante : 1758 euros brut / mois sans mission d’enseignement (le SMIC étant fixé en 2018 à 1521 euros brut / mois).

      Très logiquement, le rapport du GT2 recommande de “généraliser [...] le fait que les doctorants en formation initiale aient un financement dédié pour réaliser leur thèse”, allonger la durée du contrat doctoral et revaloriser les rémunérations (1,5 fois le SMIC, soit 2281 euros brut / mensuel). Le rapport du GT2 propose également d’augmenter les thèses réalisées en CIFRE en portant leur nombre à 2000 toutes disciplines confondues (contre 1500 CIFRE en 2018).

      Bien moins logiquement, aucune proposition budgétaire n’est formulée pour satisfaire ces objectifs. L’absence de mesures chiffrées implique que la revalorisation et la généralisation promises des contrats doctoraux ne sont rien d’autre que des voeux pieux qui n’engagent personne, ce qui est pour le moins fâcheux dans une Loi dite de “Programmation Pluriannuelle” de la Recherche.

      Dans sa contribution aux groupes de travail sur la LPPR, la Confédération des Jeunes Chercheurs (CJC) a calculé que la généralisation des financements dédiés pour les seul·e·s doctorant·e·s en Lettres et SHS représente un effort financier de 726,2 millions d’euros sur les six prochaines années (4). Cet effort permettrait de financer les 3 875 contrats manquants pour les doctorant·e·s qui débutent chaque année une thèse en Lettres et SHS.

      Par conséquent, au vu des besoins, l’absence d’engagement chiffré dans les rapports amène l’ANCMSP à conclure que la LPPR ne prévoit en aucun cas de résorber la précarité des doctorant·es dans l’ESR. Les sommes annoncées par F. Vidal lors de ses voeux (26 millions d’euros) afin de réduire la précarité des “jeunes chercheurs” (qui sont en fait les MCF et CR nouvellement recruté·e·s, et non les doctorant·es ou docteur·es) apparaissent dérisoires, sinon insultantes.

      L’ANCSMP appelle à un véritable plan de financement pluriannuel afin que chaque doctorant·e en science politique, en Lettres et SHS et dans toutes les autres disciplines bénéficie d’un financement dédié pour réaliser sa thèse.
      Sur ce que ne disent pas les rapports : les vacations et la question de l’enseignement

      Nous partageons donc les constats énoncés par les rapports sur la situation de trop grande précarité des chercheur·se·s non-titulaires. Mais quand les rapports se posent les bonnes questions, leurs réponses sont en revanche peu intelligibles. L’ANCMSP s’inquiète de l’absence au sein des trois rapports de la question de l’enseignement, qui se trouve pourtant au coeur des dysfonctionnements de l’ESR.

      En effet le gouvernement prétend faire une loi sur la recherche universitaire sans jamais parler d’enseignement (à l’exception de la proposition tant critiquée de faciliter la modulation de services des EC titulaires). L’expansion désastreuse du recours aux Attachés Temporaires Vacataires (ATV) et aux Chargés d’Enseignement Vacataires (CEV) pour pallier les manques d’effectifs enseignants ne fait ainsi l’objet d’aucune ligne. Pourtant, les universités françaises ne fonctionneraient simplement pas sans les quelques 130 000 vacataires qui y enseignent dans des conditions inadmissibles (5).

      Puisque les rapports ne fournissent aucun chiffre sur les enseignant·e·s précaires, en grande majorité des doctorant·e·s et docteur·e·s payé·e·s en-dessous du SMIC pour effectuer un travail équivalent à celui de chercheur·se·s sous contrat, l’ANCMSP rappelle les points suivants :

      En France, les enseignant·e·s vacataires représentent plus de 130 000 personnes, sur lesquel·le·s repose une immense part des enseignements de premier cycle. Parmi ces enseignant·e·s, 17 000 effectuent au moins 96 heures équivalent TD, soit la moitié d’un service de MCF (6).

      Ces enseignant·e·s vacataires sont rémunérés à la tâche, non mensuellement mais une à deux fois par an en fin de semestre, à hauteur de 9,89 euros brut l’heure de travail effectif - soit 26 centimes en dessous du SMIC horaire depuis le 1er janvier 2020 (7). Ils ne bénéficient d’aucune protection sociale (chômage, maladie, congé parental), ni ne peuvent justifier de feuilles de paie régulières ou d’un statut de personnel de l’université.

      Ces “postes” invraisemblables sont en très large majorité occupés, rappelons-le, par des doctorant·e·s et des docteur·e·s non-financé·e·s pour leurs recherches, dont la part est bien supérieure en SHS qu’ailleurs (60% des doctorant·e·s).

      Dans ces conditions, alors que les effectifs d’étudiant·e·s augmentent chaque année, tandis que le nombre de postes titulaires mis au concours diminue, et que le recours aux travailleur.se.s précaires ne fait que s’accroître, l’ANCSMP s’interroge sur ce que signifie “l’attractivité de l’emploi scientifique” pour le gouvernement. Tolérer un recours aussi abusif à la vacation, c’est en effet faire peu de cas de l’attractivité des métiers de la recherche et de l’enseignement. C’est également mépriser ce que devrait signifier l’apprentissage universitaire, quand celui-ci repose en grande partie sur des enseignant·e·s employé·e·s dans des conditions indignes.

      Nous attendons d’une réforme budgétaire de l’ESR qu’elle redonne son sens initial au mot vacations : des contrats pour des interventions extérieures exceptionnelles ; et que celles-ci soient remplacées par des recrutements, a minima en CDD d’enseignement pour tou.te.s les vacataires ATV. Nous nous étonnons que, malgré l’expertise produite par l’ANCMSP et la Confédération des Jeunes Chercheurs depuis plusieurs années, et la connaissance détaillée de cette situation catastrophique des chercheur·se·s non-titulaires, ces dernier·e·s se trouvent systématiquement absent·e·s des allocations budgétaires et des revendications corporatistes de titulaires.
      Conclusion : Que vaut l’ESR ? 2 SMIC et des cacahuètes

      Les réformes proposées par la LPPR partent du constat - partagé par l’ANCMSP - du sous-financement de l’ESR. Mais les solutions évoquées dans les rapports sont grotesques et les rares propositions budgétaires plus qu’en-deçà de la situation. Il serait temps de réfléchir à l’endroit où doit aller l’argent.

      Si le statut des MCF et CR en début de carrière peut être considéré problématique, celui des enseignant·e·s vacataires n’est simplement plus tolérable. Comment Mme Vidal peut-elle se réjouir de faire (faussement) passer le salaire des MCF et CR en début de carrière au double du SMIC, alors que des milliers d’enseignant.es chercheur·se·s sont des précaires payé·e·s en dessous du SMIC ?

      Même cette revalorisation du salaire des MCF et CR nouvellement recruté·e·s à deux SMIC promise par F. Vidal lors de ses voeux est un leurre grossier (8). Personne ne peut se réjouir de ces annonces mensongères : divisée par le nombre total d’agent·e·s employé·e·s dans l’ESR, l’enveloppe promise de 92 millions d’euros distribués en primes ne représente en moyenne que 38€ brut / mois par personne (9)... Cerise sur le gâteau, les propres chiffres du gouvernement montrent que les enseignant·e·s-chercheur·e·s verront leurs retraites diminuer si le projet de réforme actuel est adopté (10).

      Au vu du montant ridicule des sommes annoncées par F. Vidal pour les "jeunes chercheurs", l’ANCSMP doute fortement que l’objectif promis par la Stratégie de Lisbonne de consacrer 3% du PIB à la recherche soit tenue par la LPPR. Seule une augmentation réelle du budget public consacré à l’ESR (3% du PIB, au rythme de 3 milliards d’euros supplémentaires par an sur les dix prochaines années, ainsi que le revendique l’intersyndicale de l’ESR) permettrait d’en finir avec la précarité des “jeunes” chercheur·se·s, redonner son “attractivité” à la recherche publique et recruter de manière pérenne les personnel·le·s enseignant·e·s chercheur·e·s et BIATSS qui manquent actuellement.

      L’enveloppe de 118 millions annoncée par le Ministère pour les “jeunes” chercheur·se·s et la “revalorisation” indemnitaire des carrières représente donc une goutte d’eau dans l’océan des besoins actuels. Par ailleurs, même à considérer le flou entretenu autour du chiffrage des différentes mesures, l’extrême modestie de cette somme doit être appréciée au regard des besoins financiers induits par les autres propositions des rapports, à savoir :

      passer de 680 millions à 1,2 milliards (fourchette basse), voire 2,7 milliards d’euros (fourchette haute) pour financer l’ANR

      créer 150 “tenure-tracks” annuelles pour les chercheur·se·s “excellent·e·s” (non chiffré)

      contractualiser l’ensemble des doctorant·e·s (726,2 millions d’euros sur les six prochaines années) et docteur·e·s (via le CDD jeune chercheur - non chiffré).

      Ces dernières mesures (contractualisation des doctorant·e·s et docteur·e·s), si elles sont appliquées, sont les mesures les plus urgentes pour en finir avec les conditions de travail inacceptables que vit la majorité des doctorant·e·s et docteur·e·s en LSHS (recherche non-financée, contrats précaires, vacations). Sans cet effort financier significatif, les doctorant.es et les docteur.es resteront les laissés pour compte de l’Université française.

      L’ANCMSP invite donc l’ensemble des titulaires et non-titulaires à se demander : que vaut l’ESR et dans quelles conditions acceptons-nous de travailler ? Faut-il, sous prétexte d’obtenir une revalorisation de quelques salaires des MCF et CR, accepter de faire l’impasse sur la situation des précaires de l’ESR, sur lesquel·le·s repose une part croissante de l’enseignement et de la recherche ? Pour l’ANCMSP, les calculs sont faits. Les questions de fusion des corps, de modulation de service ou de suppression du CNU, si elles doivent être posées, ne nous semblent pas constituer les premières des urgences. Sans, à court terme, l’abrogation du “statut” de vacataire (ATV), la contractualisation de tou·te·s les doctorant·e·s, et la création d’un statut de post-doc véritablement protecteur pour les docteur·e·s ; sans, à moyen terme, une création massive de postes titulaires, pour combler les 8 700 à 12 250 postes d’EC manquants pour l’ESR, les métiers et le service public de l’enseignement supérieur et la recherche continueront de se précariser (11).

      –-

      (1) Frédérique Vidal, Discours prononcé lors de la Cérémonie des vœux à la communauté de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, 21/01/20

      (2) Le Monde, “Le gouvernement annonce une revalorisation du salaire des jeunes chercheurs”, 22/01/20 ; Les Echos, “Le gouvernement annonce une forte revalorisation du salaire des jeunes chercheurs”, 22/01/20 ; Liberation, “Deux smic à l’embauche pour les jeunes chercheurs dès 2021”, 22/01/20

      (3) Voir sur ce dernier point : Julien Gossa, “LPPR : une loi de programmation de l’inconduite scientifique ?”, Blog EducPros, 18/01/20.

      (4) Contribution de la Confédération des Jeunes Chercheurs au GT2 LPPR, 31/05/19.

      (5) https://cjc.jeunes-chercheurs.org/positions/communique-2019-05-23.pdf

      (6) https://ancmsp.com/vacations-contrats-lru-et-postes-de-titulaires

      (7) https://ancmsp.com/les-vacataires-sous-le-smic-mobilisons-nous

      (8) Compte-tenu de leur ancienneté dans l’emploi public (contrat doctoral, contrats de post-doctorat etc.), le salaire d’entrée actuel des CR et des MCF se situe entre le 2e (1,6 SMIC) et le 3e échelon (1,8 SMIC) et non au 1er (1,4 SMIC). L’embauche directe au 4e échelon (2 SMIC) ne représente donc nullement un doublement du salaire des nouveaux CR et MCF. Une véritable revalorisation aurait consisté à revoir à la hausse les grilles salariales et à dégeler le point d’indice pour l’ensemble des postes. Sur ce point, voir également : Groupe Jean-Pierre Vernant, “Désenfumage”, 05/01/20.

      (9) Selon le Bilan Social du Ministère, l’ESR comptait en 2017-2018 un total de 199 686 agents toutes catégories confondues (vacataires non-inclus)

      (10) https://www.aefinfo.fr/depeche/620618

      (11) Voir nos estimations sur le nombre de postes manquants auxquels pallient les embauches d’enseignant·e·s vacataires ou en contrat LRU : https://ancmsp.com/vacations-contrats-lru-et-postes-de-titulaires. Ce sont environ 84 postes en science politique et 150 postes en sociologie que les vacataires et enseignant·e·s LRU remplacent dans des conditions de travail déplorables.

      https://ancmsp.com/lppr-2-smic-pour-les-titulaires-des-cacahuetes-pour

    • Liste des #dispositions_législatives relatives à l’ESR votées depuis mai 2017

      Loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants (ORE) n° 2018-166 du 8 mars 2018
      Dossier législatif : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl17-193.html
      Article 1
      Les universités peuvent sélectionner leurs étudiants. Par dérogation au principe général de libre accès aux documents administratifs, les critères de sélection des dossiers de candidature, y compris lorsque le traitement est automatique, ne sont pas communicables aux tiers.
      Article 9
      « Les établissements d’enseignement supérieur mettent en œuvre un enseignement modulaire capitalisable ».
      Article 12
      Création de la Contribution de vie étudiante et de campus (CVEC). Le montant perçu par les universités est soumis à un plafond défini chaque année par la loi de finance.

      Loi relative à la protection du secret des affaires n° 2018-670 du 30 juillet 2018
      Dossier législatif : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl17-388.html
      L’article premier de cette loi donne une acception très large à la notion d’affaires et donc à la protection des produits et des informations des entreprises. Cet élargissement risque de leur donner de nouveaux moyens judiciaires pour mettre en œuvre des procédures dissuasives contre les lanceurs d’alertes et les chercheurs.

      Loi pour un État au service d’une société de confiance n° 2018-727 du 7 août 2018
      Dossier législatif : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl17-259.html
      Article 28 (n° 52 de la loi promulguée)
      Cet article autorise le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures expérimentales sur :
      -- de nouveaux modes d’organisation et de fonctionnement des établissements d’enseignement supérieur et de recherche et de leur regroupement ;
      -- de nouveaux modes d’intégration, sous la forme d’un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel regroupant plusieurs établissements d’enseignement supérieur et de recherche qui peuvent conserver ou non leur personnalité morale pendant tout ou partie de l’expérimentation.
      L’expérimentation est menée pour une période maximale de dix ans. Elle fait l’objet d’une évaluation par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. Dans un délai de trois ans à compter de la publication de l’ordonnance, le Gouvernement remet au Parlement un rapport présentant un premier bilan des expérimentations engagées dans ce cadre, recensant les différentes formes juridiques adoptées par les établissements et identifiant les voies adaptées afin de les pérenniser, le cas échéant.
      Ordonnance n° 2018-1131 du 12 décembre 2018
      https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000037800979&categorieLien=id
      Elle comprend 22 articles.
      Article 6
      Cet article permet à l’établissement public expérimental de déroger à la règle de la majorité du conseil d’administration et l’autorise, de façon dérogatoire, à exercer des prestations de service, à prendre des participations, à créer des services d’activités industrielles et commerciales, à participer à des groupements et à créer des filiales.
      Article 7
      Cet article règle les relations entre l’établissement public expérimental et ses établissements-composantes. Il organise les transferts de compétences et la représentation de l’établissement public expérimental dans les conseils d’administration des établissements-composantes pour :
      -- « vérifier qu’ils respectent sa stratégie » ;
      -- « émettre un avis sur les candidatures recevables aux fonctions de dirigeant » ;
      -- « soumettre à l’avis ou à l’approbation d’une de ses instances collégiales tout ou partie des recrutements ».
      Article 9
      « Les statuts de l’établissement public expérimental définissent le titre, les modalités de désignation et les compétences de la personne qui exerce la fonction de chef d’établissement ».
      Les autres articles portent sur des procédures dérogatoires pour la composition du conseil d’administration, le comité technique ou les relations avec l’autorité de tutelle.
      Un projet de loi de ratification de cette ordonnance a été enregistré par l’Assemblée nationale le 30 janvier 2019, mais n’a pas encore été voté :
      http://www.assemblee-nationale.fr/15/projets/pl1627.asp

      Selon le Gouvernement, douze sites universitaires ont exprimé leur intérêt pour cette démarche expérimentale. Dix décrets ont déjà été pris pour permettre à des établissements de mettre en œuvre les dispositions de l’ordonnance :
      -- Université de Paris, décret n° 2019-209 du 20 mars 2019 :
      https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000038252458&categorieLien=id
      -- Institut polytechnique de Paris, décret n° 2019-549 du 31 mai 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000038535183/2020-02-11
      -- Université Côte d’Azur, décret n° 2019-785 du 25 juillet 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000038821787/2020-02-11
      -- Université Polytechnique Hauts-de-France, décret n° 2019-942 du 9 septembre 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000039070284/2020-02-11
      -- CY Cergy Paris Université, décret n° 2019-1095 du 28 octobre 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000039287925/2020-02-11
      -- Université Grenoble Alpes, décret n° 2019-1123 du 31 octobre 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000039306168/2020-02-11
      -- Université Paris-Saclay, décret n° 2019-1131 du 5 novembre 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000039323233/2020-02-11
      -- Université Paris sciences et lettres, décret n° 2019-1130 du 5 novembre 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000039323049/2020-02-11
      -- École nationale supérieure des mines de Paris (Mines ParisTech), décret n° 2019-1371 du 16 décembre 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000039630764/2020-02-11
      -- Université Gustave Eiffel, décret n° 2019-1567 du 30 décembre 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000039701273/2020-02-11

      Loi relative au Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), n° 2019-486 du 22 mai 2019
      Dossier législatif : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl18-028.html
      Article 41 (n° 119 de la loi promulguée)
      http://www.senat.fr/seances/s201902/s20190205/s20190205001.html#R41
      Article 41 bis
      http://www.senat.fr/seances/s201902/s20190205/s20190205003.html#R41bis
      Les dispositions de ces deux articles sont destinées à renforcer celles de la loi dite « Allègre II ». Elles facilitent la création d’entreprises pour « valoriser des travaux de recherche ». Les chercheurs peuvent consacrer la moitié de leur temps de travail à leur entreprise.
      Ils peuvent aussi participer aux organes de direction des entreprises et en tirer rémunération. L’avis de la commission de déontologie sur ces participations devient facultatif. Ces articles fixent de nouvelles règles sur la copropriété des découvertes ou des brevets. Les chercheurs peuvent conserver une part dans leur capital de leur entreprise, après leur réintégration dans leur corps d’origine.
      Loi dite « Pour une école de la confiance » n° 2019-791 du 26 juillet 2019
      Dossier législatif : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl18-323.html
      Article 10 (nos 43 à 46 de la loi promulguée)
      Création des Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (INSPÉ) en remplacement des ÉSPÉ. Ces instituts sont dirigés par des directeurs nommés par les deux ministères de tutelle et le programme pédagogique de la formation obéit à un cadrage national définit par l’Éducation nationale. Est ainsi créée, au sein de l’université, une entité qui échappe à son autonomie.
      Article 16 (n° 52 de la loi promulguée)
      https://www.senat.fr/seances/s201905/s20190517/s20190517018.html#Niv3_art_Article_16
      Bel exemple de « cavalier législatif » : « les statuts d’un établissement public d’enseignement supérieur peuvent prévoir que le président ou le directeur de l’établissement peut présider la formation restreinte aux enseignants-chercheurs du conseil d’administration ou du conseil académique ou des organes en tenant lieu ».

      Loi de transformation de la fonction publique n° 2019-828 du 6 août 2019
      Dossier législatif : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl18-532.html
      Article 3 (n° 4 de la loi promulguée)
      Création d’un comité social d’administration du ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche et d’une formation spécialisée pour les enseignants-chercheurs et les assistants de l’enseignement supérieur.
      Article 8 (n° 17 de la loi promulguée) : le contrat de projet
      « Les administrations de l’État et les établissements publics de l’État autres que ceux à caractère industriel et commercial peuvent, pour mener à bien un projet ou une opération identifié, recruter un agent par un contrat à durée déterminée dont l’échéance est la réalisation du projet ou de l’opération. Le contrat est conclu pour une durée minimale d’un an et une durée maximale fixée par les parties dans la limite de six ans. Il peut être renouvelé pour mener à bien le projet ou l’opération, dans la limite d’une durée totale de six ans. Le contrat prend fin avec la réalisation de l’objet pour lequel il a été conclu, après un délai de prévenance fixé par décret en Conseil d’État ».
      Ce nouveau contrat est l’équivalent du CDI de chantier, pratiqué dans le privé. Il constitue une alternative au CDD de droit public. Il n’ouvrira pas le droit à bénéficier d’un CDI au terme d’une durée de six ans, conformément à la loi dite Sauvadet. Un bilan des possibilités de recrutement de contractuels dans la fonction publique est disponible dans le rapport du Sénat : https://www.senat.fr/rap/l18-570-1/l18-570-111.html
      Le décret qui fixe les conditions d’application de ces dispositions n’a pas encore été pris.
      Articles 9, 9 bis, 10 (nos 18, 19, 21 de la loi promulguée)
      L’article 18 de la loi élargit la possibilité de recruter des agents contractuels dans la fonction publique de l’État sur la majorité des emplois permanents.
      Le décret d’application de ces articles a été publié et ces dispositions sont applicables depuis le 1er janvier 2020.
      https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000039654288&categorieLien=id
      Article 15 ter (n° 33 de la loi promulguée)
      « Le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche statuant en matière disciplinaire est présidé par un conseiller d’État désigné par le vice-président du Conseil d’État ».
      Le Conseil constitutionnel n’a pas censuré cette disposition ce qui démontre la fragilité du principe de liberté académique.
      https://www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/communique/decision-n-2019-790-dc-du-1er-aout-2019-communique-de-presse
      Article 16 (n° 34 de la loi promulguée)
      L’avis donné pour la participation des personnels de la recherche à la création d’entreprises et aux activités des entreprises existantes n’est plus donné par la Commission de déontologie de la fonction publique, mais par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

      #liste #lois #loi

      Reçu par email, le 11.02.2020

    • À la conquête du « meilleur des mondes » – à propos de la Loi de programmation pluriannuelle sur la recherche (LPPR)

      Entre le « meilleur des mondes » parfaitement programmé d’Aldous Huxley, et un monde fait uniquement pour les « meilleurs », la frontière est ténue. Ainsi le monde de la recherche, acculé depuis les années 2000 par toutes sortes de réformes « darwiniennes », dont la très néolibérale LPPR constitue en quelque sorte la suite logique. Face la dystopie de la normalisation rampante jusque dans les laboratoires, il faut résister.

      Depuis quelques semaines, on peut lire dans les journaux et sur Internet, ou entendre à la radio, de multiples interventions et protestations contre la loi de programmation pluriannuelle sur la recherche. La ministre s’est même crue obligée déjà de lancer des contre-feux et d’apaiser les craintes à son avis excessives de la communauté des chercheurs et des enseignants-chercheurs.

      On tentera ici de sortir des arguments déjà échangés, maintes fois utilisés aussi à propos d’autres moments critiques dans les relations houleuses entre le monde universitaire et de la recherche et les gouvernements successifs. Les hasards du calendrier font parfois bien (ou mal, selon le point de vue) les choses. Au cours du mois de mars, va s’ouvrir le procès Fillon, dont il n’est pas besoin de rappeler l’origine.

      Ce qu’on a peut-être oublié, c’est que cet homme politique, maintenant retiré des affaires publiques pour les affaires privées, fut, en son temps, ministre de la recherche, confronté au mouvement « Sauvons la recherche » qui déjà protestait contre une autre loi de programmation en 2003-2004. Il lança un certain nombre des réformes dont la LPPR est en quelque sorte le point d’aboutissement. C’est à lui notamment qu’on doit tous ces acronymes (à déclinaison variable) qui rendent le discours sur la recherche et l’enseignement supérieur totalement opaque aux profanes : ANR, AERES (aujourd’hui HCERES), etc.

      Il s’agissait alors de tuer à petit feu ce qui était insupportable à la droite depuis sa tentative ratée de suppression du CNRS en 1986 : les grands organismes de recherche nés dans l’entre-deux-guerres ou à la Libération pour sortir (déjà) l’université de son marasme et de son incapacité à s’ouvrir aux nouvelles disciplines et aux nouveaux champs de recherche. Pour les libéraux, cette recherche d’État, destinée à refaire de la France après 1945 un pays d’invention et d’innovation puisque les entreprises en avaient été incapables, était un casus belli puisqu’elle démontrait l’échec du laissez-faire antérieur.

      Depuis les années 2000, les courants libéraux sont obsédés par l’idée que la France, avec son système universitaire à part, est une anomalie et qu’il faut la remettre dans le rang.

      En outre, ce milieu de la recherche était alors clairement orienté à gauche (voire communiste si l’on pense au premier directeur d’après guerre du CEA, Frédéric Joliot-Curie). La gauche socialiste avec Jean-Pierre Chevènement au début des années 1980 avait aggravé l’image de cet espace original en fonctionnarisant les chercheurs qui jusque-là, pour la plupart, n’avaient qu’un statut précaire et contractuel mais qui s’en sortaient néanmoins grâce aux recrutements, alors massifs, dans les universités en croissance ou dans une industrie française encore en forme.

      Au même moment, la loi Savary de 1984 réorganisait les corps universitaires et confortait les enseignants-chercheurs de rang B dans un statut, sinon enviable, du moins bien supérieur à celui de leurs homologues des pays étrangers, au point que la France a attiré depuis cette époque nombre de chercheurs ou d’enseignants-chercheurs de valeur que la précarité et les crises dans leur propre pays (ainsi l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne) avaient empêché d’avoir des carrières normales.

      Il fallait rappeler tous ces épisodes pour éclairer la crise actuelle et les réactions massives provoquées par les nouveaux projets. Depuis les années 2000, les courants libéraux sont obsédés par l’idée que la France, avec son système universitaire et de recherche à part, est une anomalie et qu’il faut la remettre dans le rang en détricotant cinquante années d’une politique où l’État a joué un rôle central pour compenser le manque d’allant de l’industrie et des fondations privées à jouer leur rôle, comme c’est le cas aux États-Unis, en Allemagne ou au Royaume Uni.

      Nos milliardaires se portent bien, nous sommes même conviés à nous en réjouir puisque les journaux nous en parlent presque tous les jours, mais ils préfèrent investir leurs profits florissants dans des collections d’art – contemporain ou non, fonder des musées, donner à quelques bonnes œuvres (Notre-Dame leur dit merci !). Mais la recherche et l’université sont pour eux des terres inconnues, sauf s’il y a retour immédiat sur investissement grâce au crédit impôt recherche, cette niche fiscale intouchable dont l’efficacité n’a toujours pas fait ses preuves comme l’indique le pourcentage insuffisant de dépenses de recherche rapporté au PIB dont la part publique n’est pas l’unique responsable.

      Il est loin le temps ou marquises, banquiers et industriels léguaient des millions de francs-or aux universités qui les honoraient en écrivant leurs noms en lettres d’or dans les halls de marbre de leurs palais récemment inaugurés par la Troisième République.

      Il serait pourtant fallacieux, comme on le fait en ce moment, de se limiter à dénoncer une certaine philosophie politique néolibérale répandue à droite et au centre de l’éventail politique et dont on a trouvé même des adeptes à gauche comme l’indique l’incapacité du quinquennat Hollande à rompre avec les « réformes » de l’ère Chirac-Sarkozy. C’est qu’il faut aussi pointer certains groupes académiques qui adhèrent à cette philosophie et l’actuel président du CNRS, Antoine Petit, a dit tout haut ce que se disent entre eux les néo-mandarins adeptes du discours social-darwinien sur l’excellence et l’éjection des « médiocres » du monde compétitif de la recherche internationale.

      Leur point de référence est clair : dans les sciences de la nature aux lourds investissements, il faut de plus en plus d’argent, les budgets publics ne suffisent pas, il faut multiplier les ressources et les partenariats, avec des parrains multiples ou des accords internationaux. C’est Claude Allègre qui avait lancé le mouvement, incarnation par sa politique et son parcours de cette vision néo-mandarinale.

      Les scientifiques les plus puissants ont besoin de collaborateurs dévoués, tenus en main par la précarité, interchangeables et si possibles toujours jeunes, donc précaires, parce que disponibles pour la compétition. Le chercheur ou l’enseignant chercheur fonctionnaire ou titulaire d’un contrat long n’est pas assez souple et dépendant, il peut refuser un projet, il peut avoir ses propres idées ou ne pas accepter qu’on signe à sa place l’article ou le brevet qui apportera la gloire à celui qui signe en premier parce qu’il est le financeur ou le patron du laboratoire et de l’institut.

      Il est frappant de voir combien les protestations actuelles émanent surtout du secteur des sciences humaines et sociales, pourtant très loin de ces enjeux massifs et où les financements n’ont rien à voir en termes d’échelle. Il faut l’avouer, des organismes comme l’ANR ou les programmes européens ont permis à ces disciplines d’accéder à des ressources très supérieures à celles que pouvaient donner les fonds de recherche des universités ou des laboratoires type CNRS.

      Mais la contrepartie a été l’introduction d’une extrême inégalité entre les équipes, les grandes écoles et les universités plus ou moins dotées et surtout entre les thématiques pratiquées. Même s’il existe des « programmes blancs » (non thématiques), le but de l’ANR ou des autres grands financeurs externes est d’avantager des sujets qui peuvent avoir une résonance « sociétale », comme on dit, en matière d’environnement (un peu d’écologie fait toujours bien) ou de santé publique, et d’éventuelles retombées économiques.

      On voit même des chercheurs ou des universitaires qui bricolent leurs sujets pour essayer de rentrer dans ces « axes » porteurs avec quelques artifices rhétoriques ou l’usage de mots-clés qui doivent attirer les suffrages des experts. Tout cela est un peu dérisoire, traduit des jeux de pouvoir entre centres et périphéries, entre les décideurs et la foule des universitaires et chercheurs ou chercheuses ordinaires qui tentent de jouer ce jeu dont ils et elles savent qu’il est en partie pipé.

      C’est toute cette désillusion qui s’exprime en ce moment face à une aggravation supplémentaire de ces nouveaux usages annoncés de l’argent public pour les financements des laboratoires et des équipes ou les contrats d’embauche précaires. Et qui vont donc encore augmenter la population des précaires, retarder les carrières, pousser au départ vers d’autres pays moins frileux.

      Mais il y a plus grave que ces antagonismes entre générations, entre catégories hiérarchiques, entre les laboratoires et universités de premier rang et les autres, parce que les gouvernements successifs ont été incapables de corriger toutes les dérives nées des empilements de réformes aux effets contradictoires. Après la multiplication des universités et des centres de recherche à partir de la fin des années 1980, pour faire face à la deuxième massification, a été développée une politique inverse de recentralisation autour des PRES (pôles de recherche et d’enseignement supérieur), puis des ComUE (communauté d’universités et d’établissements) et de la floraison des « ex » (Idex, Labex, équipex) pour, affirmait-on, recadrer ce monde protéiforme et lui redonner sa compétitivité internationale, mesurée à l’aune des récompenses qui font référence (Nobel, médailles Fields, prix académiques, classements universitaires, projets internationaux pilotés).

      La recherche et l’enseignement sous contrainte de temps et de financements produisent de la recherche hâtive, de l’enseignement au rabais et des comportements opportunistes

      Les fusions d’universités lancées en relation avec la loi Pécresse de 2007 ont commencé à se mettre en place avec les conséquences connues : faire renaître des établissements ingérables où la lutte des disciplines dominantes et dominées occupe l’ordinaire des conseils et des arbitrages et mettre en difficulté financière nombre d’établissement contraints de geler les postes et de recourir aux précaires puisque les budgets ne suivent pas l’augmentation des effectifs.

      Là encore les disciplines littéraires et de sciences humaines se sont retrouvées à la peine face aux dominants (médecins, juristes, scientifiques durs dans tous les sens du terme), à la fois parce que l’autonomie financière a joué au profit de ces derniers pour des raisons prévisibles (leurs besoins sont plus grands, seuls ils peuvent attirer des contrats et en retirer les plus gros bénéfices). Or les taux d’encadrement sont sans rapport aussi bien dans les établissements universitaires que dans les équipes de recherche.

      À partir du moment où la compétition pour les ressources et les fléchages de poste se déroule non entre secteurs homogènes mais entres groupes de disciplines inégalement dotées dès le départ, on sait d’avance que les arbitrages et les rapports de force vont toujours jouer au détriment des mêmes et accroître les inégalités et les tensions entre « pairs » théoriques – qu’il s’agisse d’allocations de thèse, de fléchage des postes, de l’accueil des chercheurs invités, des semestres sabbatiques, des budgets des composantes, etc.

      C’est pourquoi le combat en cours ne se réduit pas à une défense d’un statut et de l’autonomie intellectuelle et sociale qu’il permet. Il vise aussi à défendre la qualité de l’enseignement et de la recherche et à rompre avec la rhétorique fallacieuse de l’excellence auto-proclamée par les puissants du monde académique. La recherche et l’enseignement sous contrainte de temps et de financements orientés par les urgences du moment produisent de la recherche hâtive, de l’enseignement au rabais et des comportements opportunistes (budgets gonflés, course aux contrats, science normalisée, délits d’initiés ou plagiats, exploitation des « petites mains »).

      Maints scandales récents le montrent. Ce qui est peut-être bon pour faire de fausses promesses et se faire élire sur des malentendus n’est pas la bonne méthode pour trouver les bonnes questions et les bonnes réponses aux problèmes à long terme de nos sociétés que seuls la recherche et l’enseignement supérieur pourront résoudre parce qu’ils construisent du nouveau et travaillent pour et sur l’avenir. Apparemment, une telle liberté est insupportable aux soi-disant libéraux.

      Ce déclin annoncé au détriment de toujours les mêmes secteurs n’émeut guère, on s’en doute, les dominants des nouvelles règles et les politiques qui les appuient. Il y a bien longtemps que les sciences humaines et sociales n’intéressent plus ces groupes d’autant qu’elles n’annoncent que les catastrophes et les problèmes non résolus que ces politiques et ces règles portent en elles.

      Même les économistes ont perdu un peu de leur aura d’autrefois à mesure que leurs nouvelles figures les plus médiatiques ont adopté un discours très critique face aux politiques officielles théoriquement fondées sur la « science » économique orthodoxe. L’imprévisibilité d’un monde multipolaire et interconnecté rend les modèles standards d’autrefois bien fragiles quand le moindre virus mal détecté en Asie peut mettre à mal les prévisions de croissance des grands organismes internationaux théoriquement les mieux « informés ».

      Dans Le Meilleur des mondes, Aldous Huxley annonçait une société parfaitement programmée grâce à la biologie et au clonage. Ce cauchemar de normalisation dès la naissance ne s’est pas encore réalisé même si la biologie s’est beaucoup rapprochée de la programmation du vivant. En revanche, la dystopie de la normalisation des comportements grâce aux réseaux sociaux et à « l’intelligence artificielle » ou aux big data est allée beaucoup plus loin que ce que prévoyait le romancier britannique, comme nous l’indiquent tous les jours le règne des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et la mise au service du pouvoir chinois de la reconnaissance faciale pour classer les citoyens méritants ou déviants.

      Il est un point plus fort encore de convergence entre ce « meilleur des mondes » et notre monde fait uniquement pour les « meilleurs », en recherche comme ailleurs, c’est la peur panique de l’esprit critique et donc d’une recherche qui ne soit pas sous contrôle comme elle tend à l’être un peu partout, sauf dans quelques niches comme la France, et en son sein dans les sciences encore humaines et toujours plus sociales.

      https://aoc.media/opinion/2020/02/16/a-la-conquete-du-meilleur-des-mondes-a-propos-de-la-loi-de-programmation-plur

    • LPPR – Derrière les injonctions à publier, une mise en danger de l’#édition_scientifique

      Les rapports préparatoires à la LPPR annoncent d’importantes menaces sur les #publications_scientifiques et la #diffusion_de_la_recherche.

      L’édition scientifique est la grande absente des rapports préparatoires à la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche (LPPR). Cette absence peut étonner alors même que les trois rapports s’appuient sur une vision de la recherche accordant une place centrale aux logiques d’#évaluation faisant la part belle à la #bibliométrie. L’impensé dissimule une contradiction de taille : l’#injonction_à_publier plus s’accompagne d’une #mise_en_danger de l’édition scientifique.

      L’hégémonie du #financement_par_projet et ses conséquences

      Ce sont en premier lieu les logiques de #financement défendues par la LPPR qui mettent en danger l’édition scientifique. L’hégémonie du financement par projet entre en contradiction avec les exigences de l’édition scientifique tant pour l’expertise et l’accompagnement scientifique que pour la fabrication des ouvrages et revues. La généralisation des #contrats_de_chantier, déjà dénoncée dans la tribune des revues en grève (Le Monde, 29/01/2020), fragiliserait les emplois dédiés à l’édition dans un domaine où le travail s’inscrit dans la durée.

      La LPPR parait ignorer qu’il faut plusieurs années de publications effectives pour qu’une revue ou une nouvelle collection soit reconnue, identifiée par les pairs, mais également pour que les équipes de chercheurs (comités scientifiques, éditoriaux, auteurs) et celles dédiées à la fabrication (secrétaires d’édition, maquettistes…) parviennent à optimiser leurs relations de travail dans un environnement en tension permanente.

      La #temporalité de l’appel à projets n’est pas celle de la #publication. L’intégration de budgets de médiation dans les projets ANR ne semble pas conçue pour financer la publication scientifique : la durée de ces projets ne permet pas, dans un même temps, de mener les recherches et d’en finaliser les publications. De même, les soutiens temporaires annoncés par le plan #science_ouverte ne sont pas en mesure de garantir la pérennité des projets éditoriaux qui choisiraient le modèle de la publication en ligne en #accès_libre.

      La réduction des #financements_pérennes fragilisera un peu plus l’#économie_de_l’édition_scientifique qui n’est pas viable sans soutien public. Alors que l’effort des établissements pour soutenir l’édition scientifique n’est jamais reconnu ou valorisé dans les rapports préalables à la LPPR, que deviendra ce secteur quand l’assèchement des crédits récurrents des laboratoires ne leur permettra plus d’accorder des subventions à la publication ?

      Quant à la concentration prévisible des crédits sur les quelques universités qui bénéficieront du label « unités intensives de recherche », elle ne peut que susciter l’appauvrissement parallèle de l’ensemble des autres établissements. Risque alors de disparaître du paysage de la science tout un écosystème de presses universitaires et de #revues, affaiblissant du même coup le #pluralisme de la recherche comme sa visibilité. Il est douteux d’imaginer que le crowdfunding, comme l’envisage sans rire la nationale science ouverte ((NDLR. Les auteurs désignent ici Open edition centre, USR 2004, qui détient désormais le quasi monopole de la publication électronique en sciences humaines et sociales, alors qu’en France, l’édition numérique a commencé dans un paysage ouvert. Sur ce point cf. Marie-Luce Rauzy, « Un parcours éditorial au service des sciences humaines », Tracés. Revue de Sciences humaines [En ligne], #18 | 2018, mis en ligne le 20 mai 2019, consulté le 14 février 2020. URL : http://journals.openedition.org/traces/8947 ; DOI : https://doi.org/10.4000/traces.8947. Le modèle contributif auquel font allusion l’auteur et l’autrice du texte est le Freemium.)) puisse sérieusement constituer une alternative viable aux #financements_publics.

      Les #SHS particulièrement menacées

      Le rétrécissement des crédits menace tout particulièrement les SHS et plus généralement la #recherche_fondamentale. Le modèle de l’essai y est encore déterminant, le critère de publications d’ouvrages personnels restant souvent décisif dans l’appréciation et l’évaluation des carrières scientifiques. Assigner les SHS à des programmes prioritaires autour de « #grands_défis_sociétaux » fait craindre que le modèle de la #thèse_en_180_secondes l’emporte sur celui de l’ouvrage prenant le temps de dérouler son argumentaire et que le secteur de l’édition universitaire ne puisse y trouver son compte et son équilibre.

      Quelle #science_ouverte ?

      La promotion de la science ouverte et de l’édition scientifique #open_source constitue un enjeu fondamental dans lequel se sont engagées les #presses_universitaires qui proposent déjà des modes de publication diversifiés. Encore faut-il ne pas s’imaginer que la science ouverte puisse exister, elle aussi, sans financements pérennes et sans personnel qualifié qui puisse s’engager au-delà d’un contrat de chantier. Il importe tout autant que la #valorisation de la science ouverte ne se fasse pas au détriment des stratégies d’acquisition des bibliothèques universitaires, ni dans le déni des logiques de publications scientifiquement et collégialement validées.

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      La logique d’évaluation de la #performance_scientifique qui fonde la LPPR repose sur une absence complète de réflexion sur le #financement des publications supposées appuyer la mesure de cette performance et sur une méconnaissance évidente des conditions effectives de ce travail, supposé immédiat et bénévole. Les 3 rapports de la LPPR projettent en creux l’image d’une publication scientifique fragilisée, précarisée. En ignorant un des acteurs majeurs de la diffusion des savoirs et de la valorisation de la recherche dans la communauté scientifique comme auprès de la société civile, et contrairement aux objectifs affichés, la LPPR offre à la recherche française l’assurance de décrocher du classement international en matière de publications.

      À Saint-Denis,
      le 5 février 2020

      Damien de Blic,
      co-directeur de la collection Libre cours des Presses Universitaires de Vincennes

      Cécile Sorin,
      administratrice provisoire des Presses Universitaires de Vincennes

      https://academia.hypotheses.org/14565
      Publication originale : https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/793/files/2020/02/LPPR-et-e%CC%81dition.pdf

    • CNESER 19 et 20/11/2019 - Motion BUDGET présentée par le SNESUP-FSU, le SNCS-FSU et le SNASUB-FSU

      Chaque année, la situation des établissements de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) se dégrade de part d’une #austérité budgétaire prolongée et d’une hausse continue de la démographique étudiante. Le projet de loi de finances (PLF) pour l’année 2020 en est une nouvelle illustration. Le sous-financement structurel de l’ESR public est une réalité que le CNESER reconnait et qui est ressenti tous les jours par les collègues dans les établissements.

      Au point où en sont les débats parlementaires, le CNESER considère que le budget de l’ESR pour 2020 est loin de répondre aux besoins réels des établissements et des personnels.

      · La note d’information de la DEPP sur la dépense intérieure d’éducation publiée le 25 octobre 2019 confirme aussi ce constat :

      le coût par étudiant suit une tendance à la baisse depuis 2010 (- 0,8 % en moyenne annuelle). Il est estimé à 11 470€ en 2018, son plus bas niveau depuis 2008. Plus particulièrement, à l’université, le coût moyen annuel par étudiant est de 10 120€ contre 14 180€ pour un étudiant de STS et 15 890€ pour un élève de CPGE ! Un.e étudiant.e sur deux est obligé.e de travailler pour payer ses études. Ce n’est pas acceptable, les universités sont des lieux où l’on doit tout faire pour faciliter la vie des étudiants, et plus particulièrement ceux en situation de précarité, de plus en plus nombreux et souvent invisibles.

      · La réforme des études de santé n’est pas encore totalement financée : La Ministre a précisé lors son audition devant le Sénat que 10 M€ supplémentaires seront peut-être nécessaires « en fonction des besoins ».

      · les mesures indemnitaires PPCR ne sont pas budgétées à la hauteur des annonces initiales (+38M€ pour 200000 agents alors que les EPST à eux seuls requerraient +28M€ …) et les congés et primes sur la reconnaissance de l’investissement pédagogique.

      · le GVT est estimé à 75 M€ environ. S’il n’est pas financé, comme l’a indiqué la Ministre dans sa lettre-circulaire du 8 octobre 2019 aux présidents d’universités, cela représenterait potentiellement un gigantesque gel d’emplois de 1251 postes pour les universités.

      · Toutes les enquêtes montrent que les personnels sont au bord de l’épuisement face à la surcharge de travail notamment due au manque de moyens ; ils et elles portent les universités à bout de bras et l’effondrement est proche.

      Le compte n’y est clairement pas ! Le CNESER exige des moyens à la hauteur des objectifs fixés. Pour la recherche, avec 2,21% du PIB en 2017, la France est en deçà de l’objectif de 3% fixé par l’UE dans le cadre de la stratégie Europe 2020 et aussi de son propre objectif dans le cadre de la stratégie nationale de la recherche (SNR).

      Quant à la répartition de ce manque de moyens, le CNESER exige un modèle d’attribution des dotations d’établissement permettant de réduire les inégalités, basé sur des critères nationaux clairs et publiquement débattus. La répartition doit permettre une convergence des moyens afin que les taux d’encadrements et l’investissement par étudiant soit comparable d’un établissement à l’autre en fonction des spécificités disciplinaires et non pas en fonction de l’historique de dotation. Le CNESER est légitime pour participer à la construction d’un modèle de répartition et demande la création d’une commission spécialisée à cet effet.

      Abonder les postes, compenser totalement le GVT, prendre en compte l’augmentation de la population étudiante, améliorer les conditions de travail doit être la priorité du gouvernement pour un accueil digne des étudiant.e.s et pour leur réussite. Pour le programme 172 qui finance la recherche et plus particulièrement les organismes de recherche, le PLF 2020 prévoit unbudget de 6,94 milliards d’euros (G€), exactement comme la loi de finance initiale 2019, pas un euro d’augmentation ! Cette stagnation du budget de la recherche représente en fait une baisse de plus de 1 % en tenant compte de l’inflation, et de plus de 2 % par rapport au PIB en euros courants. Les financements affichés supplémentaires de 79,4 M€ sont les suivants :

      · 21 M€ pour le plan Intelligence artificielle

      · 1,4 M€ pour le dispositif Conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre)

      · 28 M€ pour les rémunérations des personnels des organismes au titre de PPCR

      · 2,5 M€ pour accompagner la fusion INRA-IRSTEA

      · 4,5 M€ pour les très grandes infrastructures de recherche

      · 12 M€ pour permettre au CNRS de recruter 250 chercheurs, 310 ingénieurs et techniciens ainsi que des doctorants.

      Pour permettre ces financements supplémentaires à budget constant, les crédits de paiement de l’Agence nationale de larecherche (ANR) seront amputés de plus de 120 M€, annihilant une bonne part de l’augmentation de ces dernières années. Le taux de succès de l’ANR va donc toujours rester critique. Ce budget en stagnation jette une lumière crue sur les intentions du gouvernement, qui a par ailleurs déployé de grands efforts de communication sur la préparation d’une loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR). Il est unanimement reconnu, y compris par les trois groupes de travail qui ont élaboré les rapports de préparation de la LPPR, que les besoins de financement de la recherche publique sont considérables et urgents.

      Le CNESER dénoncent l’hypocrisie du gouvernement et demandent, dès 2020, une augmentation d’un milliard d’euros, effort qui devra être fortement amplifié dans les premières années de la LPPR pour atteindre rapidement les 1 % du PIB pour la recherche publique pour palier au décrochement constaté dans le secteur de la recherche et permettre à la France de raccrocher le groupe des pays européens qui font la course en tête.

      https://www.snesup.fr/article/cneser-19-et-20112019-motion-budget-presentee-par-le-snesup-fsu-le-sncs-fsu-e

      #budget

    • La recherche publique en France en 2019 : Diagnostic et propositions du Comité national

      Extrait des propositions du Comité National (p. 20) :
      Pour le seul CNRS, et s’il l’on veut seulement revenir aux effectifs de personnels scientifiques permanents de 2005, campagnes de recrutement de 400 chercheur·se·s et 700 ingénieur·e·s et technicien·ne·s par an pendant au moins trois ans.

      Pour les universités publiques, si l’on veut augmenter les effectifs d’enseignants-chercheurs dans la même proportion que les effectifs étudiants sur la même période (+ 16%), il faudra environ 3000 recrutements supplémentaires par an pendant (au moins) trois ans, auxquels il convient d’ajouter, en proportion, le recrutement de 2000 personnels BIATSS supplémentaires par an.

      https://www.c3n-cn.fr/sites/www.c3n-cn.fr/files/u88/Propositions_Comite-national_Juillet-2019.pdf

    • Macron perd ses facultés

      Les corps étudiant et enseignant ainsi que tous les autres personnels de l’enseignement supérieur font front commun contre la casse de la recherche publique par le gouvernement.

      L’université a ses précaires que Macron ignore. Mardi 11 février, des collectifs de précaires de l’enseignement supérieur ont fait couler du faux sang sur les pavés parisiens, place de l’Hôtel de Ville. Au sol, une affiche : « La précarité tue. » De Rouen à Montpellier en passant par Nanterre, de nombreuses facs ont multiplié les actions symboliques toute la journée pour faire entendre leur colère face au mépris du gouvernement. « Nous refusons d’être invisibles et de disparaître en silence », clame Mathilde*, doctorante sans poste présente au rassemblement parisien. Depuis des années, les personnels des universités et de la recherche alertent sur leurs conditions de travail. La loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), dont le contenu doit être dévoilé au printemps, est la réforme de trop.

      Pénalisé·es par le nouveau système des retraites, qui ne calcule plus leur pension sur les six derniers mois de leur carrière mais sur son ensemble, les universitaires se mobilisent depuis décembre. Dans leurs rangs, on dénonce aussi la réforme de l’assurance—chômage, Parcoursup, l’augmentation des frais d’inscription et la LPPR. « Malgré les déclarations d’intention, cet ensemble de réformes n’offre aucune solution à la précarité généralisée mais, bien au contraire, l’aggrave », peut-on lire dans la motion adoptée par la première coordination nationale des « Facs et labos en lutte », qui avait lieu à Saint-Denis, les 1er et 2 février. Le mouvement se consolide à coups de centaines de motions signées par des universités, des laboratoires et des revues scientifiques. « La mobilisation actuelle est à la hauteur de celle de 2009. La vague ne cesse de grossir et les prochains mois seront explosifs », affirme Pascale Dubus, maîtresse de conférences à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne.

      Les universités souffrent des réformes néolibérales depuis plus de dix ans. En 2007, la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite LRU, a octroyé aux facs une autonomie budgétaire aux effets pervers. « Le budget des facs, c’est 85 % de masse salariale. L’enveloppe prévue par le dispositif n’a pas pris en compte l’augmentation de la rémunération des fonctionnaires selon leur ancienneté ou leur grade. Par conséquent, le nombre de postes à pourvoir diminue et on emploie des vacataires », détaille Christophe Voilliot, cosecrétaire général du Snesup-FSU, syndicat national de l’enseignement supérieur. Avec un nombre d’élèves en constante augmentation, l’effet de ciseau se fait ressentir dans les amphis. « On est obligé de mutualiser et on se retrouve à donner un cours magistral au lieu de deux. Les salles sont surchargées et les précaires dispensent la majorité des cours », déplore Pascale Dubus. En licence, 70 % des cours sont délivrés par des précaires de l’enseignement supérieur.

      Ces précaires sont des vacataires, jeunes doctorant·es ou docteur·es sans poste qui cumulent recherche et enseignement pour un maigre salaire. « On est payé à l’heure de cours donnée, environ 9 euros. Mais, en réalité, une heure de cours demande trois heures de préparation, en plus de l’administratif », explique Clément, doctorant en histoire à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée. Surveillance de partiels, secrétariat, rendez-vous pédagogiques, autant de tâches non comprises dans leur rémunération, qui arrive souvent tardivement. « J’ai été payée six mois après mon contrat d’Ater [attachée temporaire d’enseignement et de recherche] », confie Solène, doctorante en histoire. Véronique, comme d’autres, a abandonné sa thèse après avoir enchaîné les jobs pour la financer : « J’ai tout fait : ménage, caissière, accueil dans un musée… Mais j’ai surtout été dégoûtée du milieu universitaire, où règnent la compétition et la cooptation », lâche cette professeure en collège.

      Doctorat en poche, les jeunes chercheurs et chercheuses se heurtent au gel des postes permanents et doivent enchaîner les contrats courts. Les plus chanceux et chanceuses peuvent espérer obtenir leur titularisation vers l’âge de 34 ans, en moyenne. Alors qu’aucun texte officiel n’a encore été publié, des mesures de la future LPPR circulent et font déjà craindre un allongement de cette période de précarité. Parmi les nouveautés, des « CDI de mission » alignés sur la durée d’un projet de recherche. Une autre mesure prévoirait la création de « chaires juniors » en tenure track, c’est-à-dire des contrats à durée déterminée avec possibilité de titularisation si le chercheur ou la chercheuse a fait ses preuves. « Tout cela va accroître la logique de compétition entre nous, au lieu de favoriser une émulation scientifique. On va devoir produire plus, publier plus et plus vite », déplore Gilles Martinet, docteur en géographie.

      Encore faut-il pouvoir le faire. Plus d’une centaine de revues scientifiques sont en grève depuis décembre pour dénoncer la grande fragilité de leur économie. Un rapport du ministère de la Culture, paru le 24 janvier, affirme que la plupart des fonctions essentielles à la rédaction de ces revues, rédaction comprise, ne sont pas rémunérées. Le passage au numérique a augmenté les dépenses de ces publications, déjà victimes de la baisse des abonnements papier et du caractère variable de leurs subventions. « Les revues sont un service public peu connu pour lequel il faut se battre. Il garantit la diffusion d’une grande variété de travaux », clame Claire Sécail, bénévole de la revue d’histoire Le Temps des médias. Aux côtés des « Facs et labos en lutte », les « Revues en lutte » défilent à chaque manifestation contre la future LPPR et ses injonctions néolibérales.

      « En creux de cette future loi se dessine une clientélisation accrue de la recherche », dénonce Gilles Martinet. Trois rapports préparatoires à la LPPR ont été rendus publics et préconisent, entre autres, de renforcer le rôle et les moyens de l’Agence nationale de la recherche (ANR). Cet organisme fait le tri entre les projets de recherche et décide de l’attribution des financements. « Depuis trop longtemps, la recherche fondamentale est négligée au profit d’une logique de la performance », déplore Jamil Jean-Marc Dakhlia, président de l’université Paris-III Sorbonne-Nouvelle, dans une lettre adressée aux personnels et aux étudiant·es. En plus de cela, les rapporteurs et rapporteuses préconisent d’adosser les dotations des laboratoires à l’évaluation de leurs résultats. En clair, la LPPR entérine une logique « darwinienne » de la recherche, d’après le terme employé par Antoine Petit, président-directeur général du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

      L’évaluation à outrance de la recherche pose une autre question, celle de son indépendance. « Dans le système actuel, Emmanuel Macron et la ministre Frédérique Vidal comptent sur le Haut Conseil de -l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur [HCERES] pour décider de qui est bon et qui est mauvais », rappelait le journaliste Sylvestre Huet au micro de France Culture. Seulement voilà, le président de cette instance a démissionné et laissé son poste vacant. Plus de 5 000 chercheurs et chercheuses du collectif RogueESR en ont profité pour envoyer une candidature collective, afin de « se réapproprier le contrôle sur les valeurs et le sens de leurs métiers », explique une tribune publiée dans Le Monde du 21 janvier. Alors que la recherche valorise l’évaluation des pairs par les pairs, le candidat pressenti pour décrocher la présidence du HCERES n’est autre que Thierry Coulhon, actuel conseiller scientifique à l’Élysée.

      « On n’a aucune confiance en ce gouvernement et en ce qu’il prévoit pour la recherche », assène Pascale Dubus. Le projet affiché par la future LPPR est pourtant vendeur. Il s’agirait d’un réinvestissement « à la hauteur » pour l’enseignement supérieur et la recherche, en y consacrant 3 % du PIB. « Si c’est vraiment une loi budgétaire, elle doit s’inscrire dans le processus budgétaire annuel qui commence actuellement. Le manque de clarté sur le calendrier est irritant », commente Christophe Voilliot. Le Snesup-FSU a réclamé, le 7 février, la publication par le gouvernement d’un avant-projet de loi pour y voir plus clair.

      Dans une tribune publiée dans Le Monde, le 10 février, la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, affirmait à ses « collègues scientifiques » (elle est biochimiste de métier) que leur message avait été « entendu » sur la nécessité d’un investissement massif, sans en détailler les conditions. « La situation nécessite un choix politique fort et non des mesurettes destinées à constituer des rustines qui accroîtront la précarité », argue Anne Roger, cosecrétaire générale du Snesup-FSU. Le syndicat réclame notamment un plan d’emploi scientifique d’envergure de 6 000 personnes par an, sur dix ans, aussi bien pour des postes de chercheurs et de chercheuses que des personnels ingénieurs, administratifs, techniques, sociaux et de santé et des bibliothèques, dits Biatss.

      En attendant, la perspective est celle d’une grève illimitée. Les « Facs et labos en lutte » appellent à « arrêter la recherche » le 5 mars. « En 2009, on a vu les conséquences que pouvait avoir la grève sur les étudiant·es. On ne veut pas les pénaliser, alors il faut s’organiser et les appeler à nous rejoindre », commente Pascale Dubus. Jeudi 13 février, une « déambulation festive » des élèves et des universitaires devait se rendre au Crous de Paris. Pendant deux heures, une nasse policière au Centre Pierre-Mendès-France de Paris-I a empêché les étudiant·es de manifester. Ils et elles ont déjà prévu de gonfler les cortèges des prochaines manifestations intersyndicales.

      Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes.

      https://www.politis.fr/articles/2020/02/macron-perd-ses-facultes-41374

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      Et cette magnifique phrase introductive:

      L’université a ses précaires que Macron ignore.

    • Crise dans la recherche : « Je passe 80% de mon temps à m’occuper de la partie administrative de mon travail »

      Isabelle This Saint-Jean, professeur à l’université Sorbonne Paris Nord et secrétaire national du PS en charge des études, et Raphaël Rodriguez, directeur de recherche au CNRS et chef d’équipe à l’Institut Curie, sont les invités du grand entretien de Nicolas Demorand et Alexandra Bensaid à 8h20.

      La recherche française est en crise profonde, assure Isabelle This Saint-Jean, notamment sur la question de ses moyens : « Il y a un problème majeur de #sous-financement de la recherche française. Tous les chiffres en attestent, dès lors qu’on fait les comparatifs internationaux, dès lors qu’on regarde au moyen terme. Un problème lié aussi à ce qui se passe dans l‘enseignement supérieur, puisque l’immense majorité des chercheurs sont des enseignants chercheurs. »
      Une crise que ressent aussi sur le terrain Raphaël Rodriguez : « La difficulté majeure que nous avons aujourd’hui, c’est de financer les salaires des gens, les machines qui nous permettent de fonctionner, de payer les consommables : c’est beaucoup de contraintes. Le travail de chercheur devrait être focalisé sur la réflexion intellectuelle, sur des projets ambitieux. Je dois bien passer 80% de mon temps à m’occuper de la partie administrative de mon travail. Du temps pour mes chercheurs, j’en ai de moins en moins. »

      Pour Isabelle This Saint-Jean, le problème vient du fonctionnement du financement de la recherche, par appel à projets : « On ne peut pas tout ramener à l’idée que le principe de #concurrence est le principe ultime d’#efficacité. Il y a un aveuglement, avec l’idée qu’il faudrait hyper concentrer la recherche. Ça ne fonctionne pas, et les comparatifs internationaux montrent que ce n’est pas comme ça dans des pays cités comme exemples. »

      « L’#échec est absolument indispensable en recherche », souligne Raphaël Rodriguez. « Je pense qu’il faut être capable de prendre des risques et d’échouer. Les gens qui financent doivent accepter le fait qu’on va financer des gens qui peuvent ne rien trouver. Ça rend inutile certaines évaluations : le fait que certaines personnes ont échoué font que d’autres vont réussir ».

      https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-20-fevrier-2020

    • Inquiétudes sur l’avenir de la recherche

      Incertitude sur les financements, précarité accrue : malgré le flou qui l’entoure, la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche suscite de vives craintes parmi les enseignants-chercheurs.

      Le monde de la recherche est en ébullition. Depuis décembre, des enseignants-chercheurs participent aux manifestations presque toutes les semaines, d’autres ont choisi la grève illimitée, des dizaines de revues scientifiques ont cessé leurs publications… En plus de protester contre la réforme des retraites, particulièrement pénalisante financièrement pour eux et leurs collègues du primaire et du secondaire, ces professeurs et chercheurs se mobilisent contre la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) qui, selon eux, annonce, une précarisation accrue des personnels de l’université.

      Signe que leur mobilisation a porté, la présentation du projet de loi, prévue initialement pour la mi-février, a été repoussée à avril. Mais c’est en partie une victoire à la Pyrrhus, car depuis le gouvernement a verrouillé la communication. « On connaît peu de choses, nous n’avons pas eu beaucoup d’informations du ministère. Et surtout, nous n’avons aucune confirmation écrite », regrette Philippe Aubry, secrétaire général adjoint du SNESUP. « On négocie dans un véritable flou artistique », renchérit Xavier Duchemin chargé du CNRS et des personnels en CDD et CDI au SNPTES. De quoi alimenter encore davantage les rumeurs et peurs que suscite d’ores et déjà la loi dans la communauté des enseignants-chercheurs.
      Darwinisme managérial

      Au moment de son lancement, l’intention paraissait louable, pourtant : avec la LPPR, lancée en février 2019, le gouvernement entend relancer la recherche française en lui octroyant de nouveaux moyens et en la rendant attractive, tant pour les chercheurs internationaux que pour les docteurs français, de plus en plus souvent tentés de partir à l’étranger pour mener leurs travaux. Dans l’Hexagone, les dépenses en recherche et développement plafonnent depuis plus d’une dizaine d’années et ne représentent que 2,3% de son PIB selon l’Unesco. Loin de l’objectif de 3% défini en 2000 lors du Conseil européen de Lisbonne, qui devait être atteint… en 2010. Et, surtout, loin de pays comme la Suisse (3,2%), la Finlande (3,2%), la Suède (3,1%) ou encore l’Allemagne (2,9%). Mais les premiers rapports rendus et bruits de couloir laissent craindre des contreparties à ces nouvelles mesures qui ne sont pas au goût des chercheurs.

      Dès la fin novembre, le PDG du CNRS Antoine Petit a, il est vrai, jeté un froid en appelant de ses voeux « une loi ambitieuse, inégalitaire – oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne, qui encourage les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle internationale, une loi qui mobilise les énergies. » De quoi braquer d’entrée de jeu des chercheurs qui se sont toujours mobilisés contre les réformes visant à instaurer une recherche à deux vitesses. Car cette logique est déjà en partie à l’oeuvre : selon le rapport sur le financement de la recherche, co-rédigé par Sylvie Retailleau, Cédric Villani et – déjà - Antoine Petit à la demande du gouvernement et remis en septembre 2019, une vingtaine d’universités reçoivent 80% des subsides attribués par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) qui, depuis 2005 finance une partie de la recherche française sur la base d’appels à projets. Une logique que ce groupe de travail invite à approfondir, jugeant « indispensable d’affirmer que les universités sont des opérateurs de recherche à part entière et que la différenciation entre elles est une réalité. Dans ce cadre, il est légitime de donner la possibilité à celles dont la recherche est intensive et la plus compétitive au niveau mondial de disposer de moyens supplémentaires pour mener une politique scientifique à la hauteur des ambitions de la France ».

      En recherche… de financements

      Lors des 80 ans du CNRS, à la fin de l’année dernière, le président de la République lui-même avait insisté sur la nécessité de mettre en place une politique d’évaluation pour récompenser les recherches les plus performantes. Pour les chercheurs, ce sont justement les critères de cette évaluation qui ne vont pas de soi. Ils craignent en particulier que la recherche dite appliquée, visant un objectif pratique et donc plus facilement valorisable, soit avantagée par rapport à la recherche « fondamentale », n’obéissant qu’à sa propre nécessité (un bon nombre de scientifiques jugeant par ailleurs qu’une telle dichotomie est parfaitement oiseuse).

      Quoi qu’il en soit, pour le ministère, cette revalorisation économique de la recherche passera en grande partie par une augmentation des moyens accordés à l’ANR. Une politique là encore peu appréciée par les chercheurs, qui estiment que la préparation des dossiers de candidatures est très chronophage, pour des résultats hélas bien maigres. « Nous ne sommes pas forcément opposés à une augmentation du budget de l’ANR mais il est essentiel que le taux de réussite des appels à projets passe au moins à 30%. Aujourd’hui, il se situe plutôt entre 10 et 13% en fonction des années », explique Xavier Duchemin.

      Mais concrètement, de quel budget parle-t-on ? Si Emmanuel Macron assurait fin novembre que « les chiffres seraient au rendez-vous », là encore, aucun montant n’a été avancé ou confirmé par le ministère. « On ne nous donne aucun chiffrage. Tant que cela n’a pas été arbitré par Bercy, on ne sait pas du tout où l’on va, explique Xavier Duchemin. Pour atteindre les 3% de Lisbonne, ça coince au niveau du budget de l’Etat. Plus on attend, plus on a tendance à penser que le budget sera réduit à peau de chagrin. Et si cet argent n’est pas mis sur la table, on va avoir du mal à rendre la recherche française attractive ».
      Précarité généralisée ?

      Si aucun montant global n’a été divulgué, Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche a déjà annoncé une enveloppe budgétaire de 118 millions d’euros dès 2021 destinée à la revalorisation des rémunérations des enseignants-chercheurs, notamment des plus jeunes, sous forme d’augmentation de salaire ou de primes. Une annonce plutôt bien accueillie par les syndicats. Mais, malgré le flou persistant, d’autres mesures annoncées dans la loi de programmation pourraient, elles, faire fuir d’éventuels candidats.

      Le ministère a notamment confirmé la mise en place d’une nouvelle voie de pré-recrutement, les « chaires d’excellence junior », basée sur le modèle de ce que le monde anglo-saxon appelle des « tenure tracks ». « Il s’agirait de déroger au statut de la fonction public et d’engager quelqu’un sous la forme contractuelle pour une durée de 3 à 6 ans en lui fixant un certain nombre d’objectifs. A la fin, un comité évaluerait si les objectifs ont été atteints, et cela détermine la titularisation ou non de l’enseignant-chercheur », explique Philippe Aubry.

      « Si ces contrats sont amenés à se développer, cela peut poser un vrai problème. Ne serait-ce que parce que les universités font évoluer leur politique scientifique : si elles estiment que finalement, elles ont besoin d’un chercheur dans un autre domaine, elles ne vont pas titulariser cette personne alors qu’elle a atteint ses objectifs », poursuit-il. La mise en place de « CDI de projet », autrement dit des contrats de mission scientifique qui s’interrompent à la fin d’un projet de recherche, constitue un autre point de crispation alors qu’une bonne partie du personnel faisant tourner les universités et les laboratoires est déjà sous statut précaire.

      Car derrière toutes ces annonces, la communauté de la recherche craint la suppression progressive des statuts de maître de conférences ou de professeurs des universités, même si le gouvernement assure que cela ne sera pas le cas. « Nous avons dit et répété à la ministre que nous avions déjà tout ce qu’il fallait pour des besoins ponctuels en personnel. Il n’y a pas la nécessité de créer de nouveaux contrats. Reste à savoir avec ce CDI de mission scientifique comment il sera utilisé et s’il sera pénalisant ensuite dans l’accès à la titularisation », précise Xavier Duchemin.

      Malheureusement, chercheurs et enseignants-chercheurs vont devoir prendre leur mal en patience, le syndicaliste jugeant même « fort possible que cela se décide après les élections municipales » – signe que les nouvelles seront probablement mauvaises… Pour conjurer le sort, plusieurs syndicats ont d’ores et déjà appelé à une journée « université morte » le 5 mars prochain.

      https://www.alternatives-economiques.fr//inquietudes-lavenir-de-recherche/00091940

    • Enseigner et chercher au pays des « #Shadoks »…

      Sur la première chaîne de l’ORTF à la fin des années 60, de petites bestioles stupides dotées de longues pattes et d’ailes rabougries passaient leur vie à pomper sur des machines inventées par le professeur Shadoko, devin plombier, dont l’ambition était notamment de créer le mouvement perpétuel. La série résolument avant-gardiste et insolente avait déclenché l’agacement de nombre de téléspectateurs pour devenir culte quelques années plus tard. Incarnant l’absurdité des tâches laborieuses dépourvues d’objectifs clairs, les pauvres Shadoks s’abîmaient sous la férule de chefs ignorants dont la devise « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » ou les conseils « En chassant les frottements, la mécanique devient parfaite », semblent tristement caractériser la situation critique dans laquelle le monde de l’enseignement et de la recherche s’asphyxie depuis plus d’une décennie.

      Tandis que nos ministres de tutelle font mine d’ignorer la #colère de tout un secteur professionnel à bout de souffle, dont les tâches ancillaires ne cessent de se multiplier au détriment du temps accordé à la transmission des savoirs et à l’émergence de la connaissance, les motions, tribunes, manifestations, pétitions, happenings, grèves bourgeonnent dans tout l’Hexagone sans qu’une réaction digne de ce nom ne vienne combler les attentes urgentes d’un personnel dont la colère n’a d’égal que le #mépris par lequel il est traité.

      Il faut dire que si le projet de réforme du #Capes, la #réforme_du_baccalauréat, et les pré-rapports de la future Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche ont allumé la mèche, la fusée incendiaire était déjà bien armée depuis la #LRU (Loi relative aux libertés et responsabilités des universités) de 2007. Dans la logique visant à réduire les #dépenses_d’État, la LRU, qui a donné l’#autonomie aux universités sans les moyens, n’a cessé d’accentuer les tensions internes entre administrateurs et gouvernés. En particulier, le transfert de la #masse_salariale aux universités s’est traduit par des #gels_de_postes de titulaire, des #non-renouvellements à la suite des départs en retraite, et des recours massifs aux #vacataires et #précaires, sous-payés, quand ils le sont. Dans le même mouvement, les rivalités externes entre sites, préfigurant la volonté affichée du PDG du CNRS d’appliquer au monde de la recherche « une loi inégalitaire, concurrentielle et darwinienne », se sont exacerbées. Avec une masse salariale réduite, il faudrait par ailleurs, pour rayonner, trouver les moyens de recruter des #stars_internationales, sur des #chaires aux salaires attractifs. C’est évidemment faire insulte aux collègues en poste, qui ne seraient pas assez bons, et aux docteurs et candidats dont on estimerait qu’ils ne feraient pas l’affaire face à quelques gloires débauchées dans des universités anglo-américaines. De ce point de vue, les #PIA (#Programmes_d’investissement_d’avenir, depuis 2010), et plus récemment la #loi_Fioraso ont pavé la route des universités de « #recherche_intensive », dotées de #Graduate_Schools qui permettront à certaines universités de caracoler au top des établissements dotés d’#Idex, d’#I-Site, de #Labex, etc., tandis que les autres se contenteront d’#enseignements_au_rabais, déconnectés des sites de recherche, dans une structure dualisée de collèges d’enseignements de premier cycle à cheval sur le lycée et le bac réformé, autrement dit les fameux parcours -3/+3. Le modèle est d’ailleurs bien enclenché, avec un CNRS qui depuis longtemps concentre l’essentiel de ses moyens sur une dizaine de gros sites universitaires, qui sont aussi ceux ayant obtenu les IDEX (#Initiatives_d’excellence du PIA)… #The_winner_takes_it_all. Comme l’avait souligné #Danielle_Tartakowsky dans son ouvrage Construire l’université au XXIe siècle, il faudra donc craindre pour les universités les mêmes stratégies de contournement d’établissements dont est victime aujourd’hui le secondaire. La fin de l’#égalité_de_traitement entre sites, et donc entre élèves, avec cette réforme du bac, au sein de laquelle chaque établissement a finalement composé un jeu d’épreuves à la carte, achève cette casse systématique de la #méritocratie_républicaine. Très concrètement, alors que certaines formations master-recherche seront arrosées de moyens pour emmener les étudiants vers des #doctorats adossés eux-mêmes à des « #missions_scientifiques » post-doctorales gagées sous le sceau de l’éphémère (statuts précaires, vacations d’enseignements, et maintenant #tenure_track, c’est-à-dire contrats à durée déterminée sur objectifs de levée de fonds et de publications), les filières plus ordinaires et humbles vivoteront pour, par exemple, former à des concours d’enseignement pour lesquels les candidats se font de plus en plus rares. Et ça tombe bien, puisque le Capes pourrait subir lui-aussi une réforme le vidant de son contenu disciplinaire, pour transformer les futurs professeurs en animateurs scolaires.

      Il ne faudrait donc surtout pas croire que les projets actuels sont uniquement le fruit d’un amateurisme qui toucherait de façon erratique différentes catégories professionnelles dont les métiers ne sont pas tout à fait les mêmes. Ces réformes sont systémiques, organisées depuis plus de dix ans, parfaitement cohérentes, et touchent l’ensemble de nos formations, de l’école élémentaire à l’université. Il faut les rapprocher et les décoder pour en comprendre la logique délétère et c’est précisément le but de cette tribune. Ces décisions appliquent le #new_public_management, un ensemble de #réformes imposant aux #services_publics les modalités de #contrôle et de #gouvernance du #secteur_productif_privé, sur le modèle qu’a subi l’hôpital public, définissant des objectifs de #retours_sur_investissement, alors même que la #recherche et l’#éducation sont, dans une société, des #investissements sur l’avenir, par nature incommensurables. À l’aune du #classement_de_Shanghai ou des critères d’#internationalisation du #Times_Higher_Education, ces réformes consistent à faire de la #mesure un objectif à atteindre et à gouverner en fonction des #indicateurs (nombre de publications, nombre de recrutements internationaux, nombre de prix Nobel, d’ERC, et d’IUF, taux d’encadrement, taux de réussite, taux d’achèvement des thèses). Il s’agit non plus d’accompagner vers les #projets, mais de #pénaliser les départements et disciplines qui n’atteignent pas les objectifs, en imposant à la fois des logiques d’#excellence, de mise en #concurrence des sites et des établissements, en reportant les logiques d’arbitrage de #budgets d’#austérité sur les collègues et les directions, en assurant l’écrasement des collègues sous la multiplication des tâches de « #remontée_d’indicateurs », au détriment évidemment des fondamentaux du service public d’enseignement et de la recherche. Une #perte_de_sens aux conséquences dramatiques est au cœur de ce système. La candidature collective de plus de 5 000 collègues à la présidence du HCERES (Haut Conseil de l’Évaluation et de la Recherche de l’Enseignement Supérieur) à l’initiative du collectif RogueESR, s’est organisée dans cet esprit : il s’agit de reprendre le #contrôle_collectif des modalités d’appréciation et de gestion des métiers de l’éducation, systématiquement orientés vers une logique du secteur marchand (l’#économie_du_savoir). Car nous ne sommes pas dupes : il y aurait pour certains acteurs de l’argent à se faire si les universités rejoignaient le #modèle_concurrentiel et payant des écoles de commerce et des MBA, au détriment bien évidemment des étudiants et des élèves, futurs étudiants de l’université. Il faut donc être lucide et rassembler les pièces de ce puzzle complexe pour comprendre et dénoncer une #destruction du navire éducatif, de la cale au nid-de-pie, de la maternelle au doctorat !

      Lorsque les enseignants-chercheurs expliquent qu’ils n’en peuvent plus de répondre à des #appels_à_projets, de remplir des dossier d’évaluations, de construire des maquettes de licence détricotées systématiquement tous les 4 ou 5 ans, de multiplier les lettres de soutien pour des post-docs condamnés à une longue, voire définitive précarité [3], courant d’un CDD à l’autre à travers le monde, leurs collègues du secondaire font face à des réformes dont les conséquences sont funestes sur la qualité des enseignements donnés. Tandis que les #E3C (#Épreuves_communes_de_contrôle_continu) qui visaient à alléger l’organisation du #bac ont été imposées à marche forcée et de manière brutale dans certaines académies, sans anticipation, sans préparation, sans concertation, forçant les enseignants à sacrifier le temps des apprentissages sur l’autel de l’#évaluation_permanente, les élèves angoissés par les sélections de #ParcourSup doivent se positionner et sélectionner des formations, dans un brouillard total, sans construire leur savoir avec le temps et l’attention qu’ils méritent. Lorsque les jeunes chargés de TD de l’université crient leur détresse face à des salaires de misère et payés au lance-pierre, plusieurs mois après les missions dans de nombreux cas, que les enseignants-chercheurs confirmés explosent les 50 heures par semaine pour des rémunérations qui les placent à 63% du salaire correspondant des pays de l’OCDE, les jeunes professeurs des écoles en France tout comme les professeurs du secondaire se placent au 20e rang des pays de l’OCDE, avec des rémunérations 50% moins élevées qu’en Allemagne pour ne donner qu’un exemple. Mais c’est bien connu : l’enseignant est un fainéant, une brave bête qui a trouvé sa vocation et ne se plaint pas (#PasDeVagues), qui a la passion de son métier et qui, dans des conditions matérielles et humaines sans cesse dégradées, se nourrit d’un sourire, d’un remerciement appuyé lorsqu’un de ses jeunes élèves ou étudiants vient lui dire à la fin d’un cours combien il s’en trouve grandi, ou quelques années plus tard qu’il a signé un contrat d’embauche. Après tout, comme le disait le devin #Shadoko « Pour qu’il y ait le moins de mécontents possibles, il faut toujours taper sur les mêmes ». Alors chargeons la mule, continuons à geler le point d’indice, qui n’a pas bougé d’un iota depuis plus de 10 ans, cessons les #recrutements à l’université, tandis que le nombre d’étudiants est en constante hausse, reculons l’âge de la retraite et bien sûr entamons ladite retraite, surtout pour les femmes.

      Contrôler, punir, développer les #inégalités, et diviser pour imposer : voilà les maîtres mots d’une #politique_néolibérale qui ne se cache plus et qui applique de simplistes #lois_de_gestion à un monde de l’éducation et de la recherche dont la richesse réside dans la liberté d’apprendre et la diversité des savoirs. Dans des collèges et lycées où l’enseignement disciplinaire se réduira à une peau de chagrin et dans des universités où les appels à projet de recherche excluent déjà tout ce qui ne relève pas des « #défis_sociétaux » homologués par la « #cellule_stratégique_ministérielle », la #créativité et la #flexibilité qui permettent à l’humanité de faire face, d’innover et de s’adapter à la variabilité du monde, s’étioleront pour laisser place à une société violente, brutale, égoïste et incapable d’assumer l’imprévisible et de s’y adapter [4]. Récemment, Nucio Ordine, professeur de littérature à l’université de Calabre, s’inquiétait de la perte de sens et du #tournant_utilitariste que l’on fait prendre à l’université, et pas seulement en France. [5] L’université n’est pas une école pratique et ne forme pas à un métier, mais le métier est une conséquence des études qu’elle dispense. L’école doit laisser du temps à l’esprit pour penser, réfléchir imaginer. Or, les réformes actuelles s’inscrivent dans une logique du #rendement à court terme qui force les enseignants comme les chercheurs à se couler dans une #culture_du_résultat_immédiat, poussant les élèves et les étudiants à s’auto-exploiter, soumis à la #peur de l’#échec et de la voie sans issue. Des exigences immédiates de résultats trimestriels dans les E3C, au programme de l’#European_Research_Council de l’Union Européenne, tout est orchestré pour brider la pensée. Alors non Mme Vidal, non M. Blanquer, les prix Nobel ne s’obtiennent pas en 5 ans, les docteurs en sciences humaines n’accouchent pas d’une thèse en 3 ans et un adolescent ne maîtrise pas les ressorts de la construction de la souveraineté nationale en 3 semaines !

      Saluons la manière dont les pré-rapports de la LPPR ont ciblé correctement les problèmes de notre environnement professionnel, mais disons clairement que les solutions préconisées ne peuvent qu’envenimer la situation.

      L’historien sait combien l’homme ne peut se construire sans la connaissance du passé. Le géographe sait combien l’appréhension de l’espace par les sociétés et la construction des territoires, de leurs hiérarchies et des inégalités qui les traversent, le positionne dans le monde. Nos disciplines sont les vigies de ce bateau ivre ; elles ne cessent d’alerter les capitaines que le naufrage est imminent. Contrairement à ce que l’on veut faire croire, nous ne sommes pas figés dans des certitudes passéistes. Mais le changement ne doit pas se faire au prix d’une #dégradation de nos conditions d’exercice et du #sacrifice de ce qui constitue l’ADN de nos professions : la liberté de choisir nos sujets de recherche, le #temps pour en assurer la #transmission_des_résultats. Seul un cadre stable et pérenne permet au chercheur de prendre des risques, de sortir des sentiers battus et … de trouver. Seul un cadre stable et pérenne permet à l’enseignant de développer ses #compétences et de révéler les potentiels et les talents. Pour cela nous appelons, comme nombre de nos collègues, à des #Etats_généraux_de_l’enseignement_et_de_la_recherche, animés, non par des #technocrates hantés par la #culture_d’entreprise, du #management et du #résultat_immédiatement_utile, mais par des femmes et des hommes rompus à l’exercice de métiers qui seuls leur donnent le droit de s’exprimer et de proposer. Le Conseil National des Universités, les sociétés savantes et les associations d’enseignants constituent autant de viviers pour alimenter sereinement et positivement le processus de réforme.

      De la perte de sens à l’expression du bon sens, il n’y a qu’un pas salvateur qu’il faut nous donner les moyens d’accompagner.

      Continuer à nier la #détresse et le #désarroi des enseignants et des enseignants-chercheurs serait sacrifier les forces vives de notre système académique, longtemps envié par les étrangers pour son égalité des chances et l’excellence de ses résultats.
      À moins que nous ne vivions au pays des Shadoks et dans ce cas : « S’il n’y pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème ! ».

      https://www.aphg.fr/Enseigner-et-chercher-au-pays-des-Shadoks

      #utilitarisme

    • Les vacataires de l’université sont-ils vraiment payés en dessous du #smic_horaire ?

      Selon des collectifs contre la précarité des enseignants chercheurs, les vacataires de l’enseignement supérieur sont payés en dessous du smic, si l’on se réfère au taux horaire effectif.

      Bonjour,

      Depuis plusieurs semaines, les enseignants vacataires des universités se mobilisent pour dénoncer la précarité de leur métier. Libé a consacré un article à ce sujet, le 12 février, recensant plusieurs témoignages de précaires. La question de leur rémunération y est abordée :

      « Les vacataires, "ceux pour qui c’est le pire", comme le souligne Juliette, touchent 41,41 euros brut de l’heure. "Sauf qu’on est payés uniquement à l’heure de cours donnée !", rappelle Paula, exaspérée. »

      Ces rémunérations sont dénoncées par plusieurs collectifs de l’enseignement supérieur depuis des mois : en temps de travail effectif, les vacataires seraient payés moins que le smic horaire. Ainsi, la Confédération des jeunes chercheurs s’insurgeait, en mai de l’année dernière : « Depuis le 1er janvier 2019, les vacations d’enseignement du supérieur sont payées 17 centimes sous le smic. »

      Les vacataires sont des enseignants auxquels fait appel l’enseignement supérieur, mais qui ne sont pas titulaires de la fonction publique. Il peut s’agir de professionnels qui exercent une activité à côté, et sont invités à intervenir ponctuellement en raison de leur expérience : des chargés d’enseignement vacataires, ou bien des doctorants qui ont encore le statut d’étudiants ou des retraités de moins de 67 ans : il s’agit alors d’agents d’enseignement vacataires. Ceux qui ne sont pas doctorants doivent pouvoir justifier d’au moins 900 heures d’activité rémunérée à côté ou être chefs d’entreprise. « Ça varie selon les universités, mais certaines demandent même à des docteurs qui n’ont pas de postes de se déclarer autoentrepreneurs pour pouvoir les embaucher comme vacataires », dénonce auprès de CheckNews Frédéric Erard, de la CGT Ferc Sup.

      Selon le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le nombre de vacataires s’élève à près de 128 000 en 2018-2019. Les agents d’enseignement vacataires ne peuvent enseigner sur l’année plus de 96 heures de travaux dirigés ou 144 heures de travaux pratiques. Les chargés d’enseignement vacataires peuvent aussi effectuer 64 heures de cours. Leur statut est défini dans ce décret du 29 octobre 1987. « Un vacataire n’effectue le plus souvent que quelques heures d’enseignement par an, seulement 18% des chargés d’enseignement vacataires ont exercé plus de 96 heures dans l’année », précise le ministère.
      Une heure de TD équivaut à plus de 4 heures de cours effectif

      En plus de la conférence des jeunes chercheurs, l’université ouverte, le collectif des travailleurs précaires de l’enseignement supérieur, et plusieurs collectifs d’universités ont fait le calcul pour dénoncer un salaire inférieur au smic. Leur logique est simple : selon le bulletin officiel de l’enseignement supérieur, les vacataires sont rémunérés 41,41 euros brut par heure de travaux dirigés (TD). Or, selon un arrêté sur les équivalences horaires pour les enseignants-chercheurs, une heure de TD correspond à 4,2 heures de travail effectif. Cela signifie que, pour les TD, les vacataires sont payés (41,41/4,2), 9,85 euros brut de l’heure. Or, le smic brut horaire s’élève aujourd’hui à 10,15 euros.

      Pourquoi cette comparaison avec les heures de TD ? Car les vacataires sont rémunérés en équivalent d’heures de TD. Un cours magistral équivaut à 1,5 heure de TD (soit 62,09 euros brut) et une heure de travaux pratiques à deux tiers seulement d’un TD (27,58 euros).

      Ce calcul s’appuie donc sur les textes publiés par le gouvernement, concernant la rémunération des vacataires et le calcul des heures effectives des enseignants-chercheurs. Certains vacataires, tout comme leurs collègues enseignants-chercheurs, assurent passer beaucoup plus que quatre heures à préparer un cours, voire un examen, donner le cours et corriger des copies.

      C’est d’ailleurs ce qu’expliquaient plusieurs vacataires interrogés par Libé le 12 février. A propos de Paula, le journal écrivait : « Elle a été vacataire pendant sa thèse à Montpellier [agrégée mais refusant son poste le temps de finir sa thèse], et se souvient des heures de travail à rallonge, non rémunérées : "J’avais dû préparer un concours blanc d’agrégation. L’écriture m’a pris une semaine, la surveillance sept heures, la correction huit heures. Et j’ai été payée uniquement pour une heure de cours". »

      Le ministère de l’Enseignement supérieur, de son côté, relativise. « Cette équivalence [entre les heures effectives et les heures de cours, ndlr] est applicable à la gestion des obligations de service des enseignants-chercheurs et non de celle des chargés d’enseignement vacataires qui ne sont pas soumis à de telles obligations. Elle ne signifie pas que toute heure de TD se traduirait obligatoirement par 4,1849 heures de travail effectif. Dans certains cas, la préparation d’un cours peut être longue, dans d’autre cas, la reprise d’un cours déjà dispensé peut-être plus brève. » D’ailleurs, à propos de l’arrêté selon lequel une heure de TD serait équivalente à 4,2 heures de travail effectif, il précise : « C’est plus une construction statutaire qu’une réalité pédagogique. »

      Interrogé sur une éventuelle revalorisation des salaires des vacataires, le ministère répond : « Nous réfléchissons à cette question au milieu de nombreuses autres dans le cadre des transformations à venir du monde de la recherche. »

      Cordialement

      https://www.liberation.fr/checknews/2020/02/23/les-vacataires-de-l-universite-sont-ils-vraiment-payes-en-dessous-du-smic

      #fact-checking #smic #salaire

  • L’affaire Mashrou3 Leila provoque toujours un débat autour de la Liberté d’Expression
    https://libnanews.com/liban-debat-liberte-expression
    https://i2.wp.com/libnanews.com/wp-content/uploads/2019/08/Capture-contre-appel.jpg?fit=1956%2C1170&ssl=1

    Une pétition en #réaction à l’appel de L’Orient le Jour « #Liberté_d’expression : ne cédons pas face à la #violence ! » et intitulée « Halte à la banalisation des attaques publiques contre la foi chrétienne au #Liban ! » circule actuellement sur les réseaux sociaux.

    [...]

    Pris à son propre piège, le quotidien francophone, tout en revendiquant la défense de liberté d’expression par son appel signé par 200 intellectuels, aurait refusé de faire de même et de publier dans ses colonnes ce contre-appel, accusent les auteurs du texte publié sur le site Change.org : [...]