• Zeynep Tufekci, Twitter et les gaz lacrymogènes. Forces et fragilités de la contestation connectée
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    La revue Lectures/Liens Socio" est un outil collectif pour les sociologues, recensant la majeure partie des ouvrages de sociologie.

    Lecture par Matthieu Demory

    Depuis près d’une décennie, avec le déploiement massif des outils numériques, les mouvements sociaux contestataires prennent des formes diverses et inédites. Toutefois, les usages de Facebook, Twitter et bien d’autres réseaux sociaux n’en constituent pas uniquement des facilitateurs et ne résolvent pas tous les problèmes que les dissidents politiques rencontrent pendant leurs mobilisations. Une problématique sociale complexe que Zeynep Tufekci, activiste et professeure à l’Université de Caroline du Nord, met en lumière dans son ouvrage1. Cette ancienne programmeuse informatique qui se revendique comme techno-sociologue examine avec finesse les mutations que subissent les revendications collectives à l’ère des technologies numériques sans pour autant leur accorder un statut exclusivement bénéfique.

    Pour ce faire Zeynep Tufecki mobilise un spectre très large des sciences sociales. De la sociologie aux considérations historiques et politiques, en passant par une anthropologie fine des mobilisations contestataires, cet ouvrage présente une richesse de réflexions scientifiques, et ce, toujours à l’appui d’un fort empirisme. Le travail proposé repose sur de multiples méthodes : des expériences personnelles, des observations participantes, des entretiens avec des activistes, des analyses quantitatives de bases de données ainsi que des observations ethnographiques de comportements en ligne. Les enquêtes empiriques ont été menées en Égypte, aux États-Unis, au Liban, au Qatar, en Tunisie et en Turquie. A cela s’ajoutent des éléments de connaissance sur le mouvement des droits civiques aux États-Unis, le mouvement des parapluies à Hong Kong, les mouvements Podemos en Espagne et Syriza en Grèce. Et même si les réflexions reposent essentiellement sur des revendications antiautoritaires de gauche, Zeynep Tufekci s’attache à les comparer à d’autres formes de contestations, conservatrices notamment, tel que le mouvement du « Tea Party » aux États-Unis. Quand bien même, à la lecture, le parti pris de l’auteure semble évident, celui-ci n’entache à aucun moment l’objectivité des propos. L’enquête empirique est systématiquement mise en relation avec des théories et des données secondaires, assurant alors la justesse des analyses. En somme, cette production scientifique apporte des éléments de connaissance très riches. Il s’agit là d’un travail de qualité, original, qui plus est accessible aux candides des mouvements sociaux.

    La première partie de l’ouvrage intitulée « L’émergence d’un mouvement » se divise en quatre chapitres mettant en exergue les caractéristiques saillantes de la reconfiguration des contestations collectives au regard des réseaux sociaux et de leurs usages.

    L’auteure consacre la deuxième partie de son ouvrage, titrée « Les outils de l’activiste », à un examen des réseaux sociaux et de leurs fonctionnements.

    La troisième et dernière partie de cet ouvrage ; « Par-delà les manifestations », examine les rapports entre dissidents et gouvernements autoritaires, à l’aune des signaux mutuels que se transmettent les uns et les autres.

    « La technologie n’est ni bonne ni mauvaise ; et n’est pas neutre non plus »3 nous rappelle l’auteure dans l’épilogue. Il s’agit là d’une réflexion valable pour l’ensemble de l’ouvrage qui, en dialoguant systématiquement entre théorie et empirie, insiste sur la complexité des relations entre mouvements collectifs et réseaux sociaux. Ces contestations connectées profitent de nouvelles forces autant qu’elles souffrent de fragilités inédites. La diffusion d’information, le gain d’attention et la fédération d’individus éloignés géographiquement, culturellement ou même socialement, sont des éléments bénéfiques pour les mobilisations collectives. En revanche, parallèlement à une organisation fragile des mouvements, les médias sociaux, appropriés ou délégitimés par les gouvernements autoritaires, entrainent des formes nouvelles de censure et de contrôle des populations.

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