L’injonction vient de haut. De très haut, même. Du comité central du Parti communiste chinois (PCC). Il ne faut plus manipuler les statistiques. Selon le China Daily du 18 septembre, les instances dirigeantes du parti ont pris, cet été, vingt mesures afin de prévenir et de punir la fraude statistique. Le Bureau national de la statistique (BNS) a même créé un département spécial à cet effet.
Le problème est que ce n’est pas la première fois que de telles dispositions sont annoncées. En 2016 puis en 2017, des règles avaient déjà été adoptées, et les tricheurs déjà menacés. Mais rien n’y a fait : la fameuse citation de l’ancien premier ministre britannique Benjamin Disraeli (1804-1881) – « Il y a trois sortes de mensonges : le mensonge, le gros mensonge et la statistique » – pourrait servir de devise à la Chine de Xi Jinping.
Convaincus depuis longtemps que fraudes et erreurs entachent les agrégats économiques, les spécialistes préfèrent d’ailleurs utiliser d’autres indicateurs. Par exemple, plutôt que se fier à l’évolution du produit intérieur brut, nombre d’entre eux suivent la consommation d’énergie, à leurs yeux plus fiable. Enfin le croyaient-ils. Sauf qu’en juillet, l’administration nationale de l’énergie a déclaré que le secteur agricole avait utilisé en juin 6,5 milliards de kilowatts/heure d’électricité, soit, affirme-t-il, « 6,6 % de plus » qu’en juin 2017. Une augmentation équivalente, ça tombe bien, aux prévisions de croissance du gouvernement : 6,5 % cette année.
Le problème est qu’en juin 2017, le chiffre alors publié s’élevait à 12 milliards de kilowatts/heure… près du double, donc. Interrogée, l’administration a expliqué a posteriori qu’elle excluait désormais les « services à l’agriculture », ce qui n’a qu’à moitié convaincu les spécialistes.
Contradictions et tricherie
Même les statistiques du BNS sont pleines de contradictions. En juillet, le quotidien de Hongkong en langue anglaise South China Morning Post rappelait que, selon le BNS, les profits de l’industrie chinoise s’étaient élevés à 2 700 milliards de yuans (333 milliards d’euros) pour les cinq premiers mois de l’année, en hausse de 16,5 % par rapport à la même période de 2017. Le problème est qu’à l’époque, le chiffre publié était de 2 900 milliards de yuans. Là encore, un « problème d’échantillon », paraît-il, mais aucune définition précise ne permet d’en avoir le cœur net, déplore le journal.
Il y a encore plus étrange : trois gouvernements locaux ont reconnu, ces derniers temps, avoir triché. Et pas qu’un peu. Le Liaoning, une des grandes régions de l’industrie lourde chinoise, a avoué avoir gonflé artificiellement son produit intérieur brut régional d’environ 20 % entre 2011 et 2014. Dans la foulée, la Mongolie intérieure a, elle, reconnu avoir, en 2016, surévalué de 40 % sa production industrielle et de 26 % ses revenus fiscaux. Quant à la grande ville portuaire de Tianjin, elle a finalement réduit d’un tiers le PIB de 2016 annoncé auparavant. Etonnamment, ces révélations n’ont eu aucune incidence sur le PIB national.
Ces « erreurs » ne doivent en fait pas grand-chose au hasard. Dans un pays qui a longtemps fait de la croissance économique sa priorité absolue, chaque responsable communiste est surtout jugé sur sa contribution à cette grande cause nationale. Quels que soient les moyens employés.
Aujourd’hui, alors que le président Xi Jinping concentre plus de pouvoirs que n’importe quel dirigeant depuis Mao, chaque responsable, chaque institution est d’abord et avant tout à son service. Y compris, bien sûr, le Bureau national des statistiques. Le début du communiqué portant sur la croissance au mois d’août l’illustre jusqu’à la caricature : « En août, sous la direction de la pensée de Xi Jinping sur le socialisme aux caractéristiques chinoises pour une nouvelle ère, toutes les régions et les départements ont mis en œuvre les décisions et les dispositions prises par le comité central du PCC et le gouvernement, et l’économie nationale a maintenu un bon rythme de croissance régulière. » Nous voilà rassurés : Disraeli n’est pas mort.