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  • SNCF : « Il est plus compliqué aujourd’hui qu’en 1995 de construire une mobilisation de grande ampleur susceptible de durer », entretien avec Sophie Béroud, propos recueillis par Jérémie Lamothe, LE MONDE | 03.03.2018
    http://www.lemonde.fr/politique/article/2018/03/03/sncf-il-est-plus-complique-aujourd-hui-qu-en-1995-de-construire-une-mobilisa

    La chercheuse Sophie Béroud compare la situation sociale et politique actuelle à celle de 1995, année du plus grand conflit depuis Mai 68.

    Une France paralysée pendant plusieurs semaines, des millions de manifestants dans les rues et un gouvernement qui finit par reculer… Avec sa réforme de la SNCF lancée lundi 26 février, le gouvernement d’Edouard Philippe peut-il revivre la fronde sociale qui s’était érigée fin 1995 contre le premier ministre d’alors, Alain Juppé ?

    Face à la volonté de l’exécutif de mettre fin au statut des cheminots pour les nouvelles recrues de l’entreprise ferroviaire et de réformer par ordonnances, la CGT-Cheminot a en effet annoncé être prête « à faire un mois de grève pour faire plier le gouvernement ». Alors la comparaison avec le conflit social de 1995 est-elle pertinente ?

    Maîtresse de conférence en science politique et spécialiste des mouvements sociaux, Sophie Béroud revient sur les racines du conflit le plus dur depuis Mai 68 et estime qu’il sera plus compliqué aujourd’hui pour les syndicats de mobiliser sur plusieurs semaines.

    Depuis l’annonce d’un mouvement social à venir contre la réforme de la SNCF, beaucoup font la comparaison avec 1995. Est-ce que cela vous semble pertinent ?

    Pas mal d’éléments diffèrent par rapport à 1995. On n’était pas dans la même configuration politique. A l’époque, Jacques Chirac avait fait toute sa campagne sur la fracture sociale, ce qui lui avait permis de se démarquer d’Edouard Balladur. Il n’avait pas annoncé les réformes qui allaient entraîner ce mouvement social. Les acteurs syndicaux ont donc pu reprocher à Chirac de ne pas tenir ses engagements. Là, Emmanuel Macron a fait campagne sur sa volonté de réformer.

    Par ailleurs, en 1995, le gouvernement avait lancé deux réformes en même temps : la réforme de la Sécurité sociale et l’alignement des retraites du secteur public et des régimes spéciaux sur celles du privé. Cela avait permis une jonction de la contestation entre différents secteurs, ce que souhaite empêcher le gouvernement d’Edouard Philippe. Une mobilisation de plusieurs secteurs est possible si les fonctionnaires participent au mouvement, mais aussi les étudiants après l’introduction de la sélection à l’université ou les agents hospitaliers. La difficulté pour les syndicats est de favoriser ces convergences, d’éviter des mobilisations trop segmentées.

    La loi de 2007 sur le service minimum dans les transports publics va aussi gêner les syndicats puisque les grévistes sont désormais obligés de se déclarer quarante-huit heures avant. Un service minimum doit être maintenu donc les grèves marquent moins qu’avant. Il est donc plus compliqué aujourd’hui qu’en 1995 de construire une mobilisation de grande ampleur susceptible de durer.

    Qu’est-ce qui avait été l’élément déclencheur des importantes manifestations en 1995 ?

    C’est toujours très difficile à dire. Le caractère massif des premières manifestations ainsi que les taux importants de grévistes avaient alors contribué, dès octobre 1995, à ce que le mouvement prenne de l’ampleur. Il faut se rappeler qu’un mouvement était également en cours dans les universités. La direction de la CGT a ensuite eu l’intelligence de se positionner à la pointe de la mobilisation, de la structurer à la base, par le biais d’assemblées générales. De nouvelles forces syndicales irriguaient également le mouvement, SUD-PTT, la FSU. L’importante mobilisation en 1995 peut aussi s’expliquer par quelques déclarations provocantes d’Alain Juppé. Son disciple, Edouard Philippe, fait tout pour ne pas irriter les cheminots.

    Enfin, le mouvement de 1995 a pris assez vite une ampleur qui allait au-delà de la contestation du « plan Juppé », pour ouvrir une première brèche par rapport à la doxa néolibérale. Il y avait là une rupture par rapport aux années 1980, un espace intellectuel et politique qui s’ouvrait de nouveau pour porter une série de critiques. On a un peu retrouvé cela en 2016 lorsque Nuit debout est venu apporter un supplément de sens, de critique sur le fonctionnement de la démocratie existante, dans le cadre de la mobilisation contre la loi travail. Cet enjeu d’élargissement du mouvement, de production de soutiens, mais aussi de capacité à faire entendre un discours disant le sens profond du mouvement est crucial.

    Les syndicats étaient-ils plus puissants en 1995 qu’aujourd’hui ?

    Non, on ne peut pas dire ça. En 1995, la CGT sortait d’une profonde crise, liée à la perte massive d’adhérents (elle en comptait seulement 650 000), aux effets des restructurations. Elle commençait à se détacher du Parti communiste, à affirmer son autonomie et à redéfinir son projet, avec en particulier la réforme de ses statuts en décembre 1995, en plein mouvement. La CFDT était plutôt dans une phase ascendante avec une hausse de ses adhérents, mais une direction très marquée dans la recherche de compromis avec le patronat avec l’équipe de Nicole Notat.

    Les syndicats n’étaient pas forcément plus puissants que maintenant mais ils faisaient peut-être davantage peur aux gouvernements qu’ils ne le font aujourd’hui. L’une des différences provient aussi de la capacité de mobilisation des syndicats, celle-ci a été fortement affaiblie depuis 1995 avec les processus d’externalisation d’une large partie des emplois ouvriers vers des PME/PMI et de fragmentation des collectifs de travail.

    Depuis 1995, les syndicats ont enchaîné beaucoup de défaites face aux différents gouvernements…

    Oui, le refus des gouvernements Fillon et Valls – en 2010 contre la réforme des retraites et en 2016 contre la loi travail – de céder malgré l’ampleur des mobilisations sociales doit interroger sur les logiques du pouvoir exécutif, sur la nouvelle nature des contraintes qui pèsent sur lui. A commencer par les réformes néolibérales souhaitées au niveau européen. Le pouvoir politique est aujourd’hui subordonné à d’autres puissances que syndicales, à commencer par les institutions financières.

    Le gouvernement Philippe entend porter très loin l’offensive contre le monde du travail, contre les syndicats, et achever par là des réformes néo-libérales que le mouvement de 1995 avait justement contribué à enrayer. Cette réforme de la SNCF et du statut des cheminots peut être interprétée comme cela, avec la volonté d’affaiblir très fortement ce qui reste de puissance syndicale en France. Il s’agit d’un secteur stratégique pour les syndicats comme l’étaient les mineurs sous Margaret Thatcher en Grande-Bretagne au début des années 1980.

    Ce qui s’engage et qui est impossible à pronostiquer sera très certainement décisif : la capacité de faire reculer le gouvernement avec une mobilisation syndicale d’ampleur ou bien un coup très dur porté à un syndicalisme combatif, qui refuse d’être réduit à un rôle d’accompagnement de réformes libérales.

    Bien qu’il ait duré près d’un mois, le mouvement social de 1995 avait gardé une popularité auprès de la population. Est-ce encore possible aujourd’hui ?

    En 1995, les sondages montraient que le mouvement de contestation était resté populaire sur toute la durée de la mobilisation, malgré la paralysie des transports. La figure du cheminot était aussi très appréciée.

    Cette situation s’est retrouvée par la suite, d’autres mouvements ont été populaires, comme les manifestations contre la loi travail de 2016 par exemple. Aujourd’hui, les syndicats savent qu’ils doivent faire attention à ne pas se laisser piéger par le gouvernement, qu’il leur faut déconstruire un discours sur les supposés « privilèges » des salariés à statut, entretenir des liens avec les usagers. D’où les batailles discursives pour dire le sens du mouvement, sur la défense du service public ferroviaire, sur les garanties que celui-ci représente pour la population.

    Sur cette réforme de la SNCF, le gouvernement a choisi de procéder par ordonnances pour aller plus vite. Est-ce que cela peut empêcher les syndicats de s’organiser ?

    Cela peut avoir un double effet : être perçu comme un déni de démocratie sociale, ce qui peut nourrir la mobilisation, et inscrire par exemple la CFDT du côté des opposants ; et cela peut se révéler au final être contre-productif pour le gouvernement.

    Par rapport à cela, et sans doute pour consolider une démarche intersyndicale qui rassemble les principales fédérations de la SNCF, les syndicats ont eu l’habileté d’attendre avant de lancer un mouvement social, de laisser une marge au gouvernement pour revoir sa copie, se dire ouverts au dialogue. Il me semble que c’est une façon d’éviter l’un des pièges tendus par le gouvernement. Un autre piège est de diviser entre les agents SNCF statutaires qui verraient leurs droits préservés et les « nouveaux entrants », hors statut. Les syndicats le savent, il est difficile de mobiliser pour défendre les droits des autres. Le gouvernement va très certainement jouer sur ça.

    Matignon et les fantômes de 1995

    Dans sa chronique, Jean-Baptiste de Montvalon, journaliste au service politique, estime qu’Edouard Philippe a retenu les leçons d’un passé dont son mentor, Alain Juppé, fit les frais.

    Un cheminot, un brin étourdi, aurait pu se surprendre à applaudir à tout rompre cet homme si bienveillant, si attentif au sort des Français en général et de sa situation en particulier. « Les cheminots, ils font un boulot qui est souvent très difficile. Quand vous vous occupez du ballast par le froid comme aujourd’hui, je n’ai aucun doute sur le fait que c’est un métier extrêmement difficile », expliquait Edouard Philippe, lundi 26 février, sur France 2. Dénigrer les cheminots ? « Je ne le ferai jamais », assurait le premier ministre en réponse à Anne-Sophie Lapix.

    Au demeurant, le chef du gouvernement n’avait aucunement l’intention, ce soir-là, de dénigrer qui que ce soit. Le boxeur amateur avait rangé ses gants : « Je ne me situe absolument pas dans une logique de conflictualité, de guerre, de bras de fer. » Il ne voulait manifestement aucun mal aux cheminots, dont il – ou bien s’était-il agi d’un sosie ? – avait annoncé quelques heures plus tôt la suppression du statut pour les nouveaux arrivants.
    Tout ce qu’il veut, M. Philippe, c’est beaucoup de bien aux « Français qui savent » tant de choses, et en particulier « que la qualité de service [de la SNCF] décroît année après année alors que nous mettons de plus en plus d’argent chaque année ». Le premier ministre est résolument favorable à ce que « les Français qui utilisent le train puissent avoir accès à un service public de qualité ». Les cheminots, se disait-on en l’écoutant, doivent peu ou prou poursuivre ce même objectif.
    « Juppéthon »
    Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Celui de l’exécutif, en tout cas, tel qu’il est apparu sous le visage avenant de cet homme calme, pondéré, disert et (en même temps) à l’écoute, aux mots tout en rondeurs démentant le mètre quatre-vingt-quatorze de son corps longiligne.
    Edouard Philippe a manifestement retenu les leçons d’un passé dont son mentor, Alain Juppé, fit jadis les frais. C’était à l’automne 1995. Le « meilleur d’entre nous » – dixit Jacques Chirac, qui l’avait nommé à Matignon quelques mois plus tôt – ne doutait pas vraiment de ses qualités ; les plus brillantes d’entre elles n’étant ni la compassion ni la chaleur humaine. C’est « droit dans ses bottes » qu’il présente à l’Assemblée nationale, en novembre, son plan de réforme de la Sécurité sociale, qui prévoit notamment l’alignement des régimes spéciaux sur le régime général des retraites. L’écrasante majorité de droite élue en 1993 lui réserve une standing ovation.
    Lire aussi : SNCF : l’opposition reproche à l’exécutif de « contourner le Parlement » avec les ordonnances

    Sûr de son fait, rigide, cassant, le maire de Bordeaux croit pouvoir pousser son avantage. Bravache, il laisse entendre que seules des manifestations monstres seraient susceptibles de la faire céder. Les « Guignols de l’info » instaurent aussitôt un « Juppéthon », motivation supplémentaire pour être chaque jour plus nombreux à battre le pavé. Les cheminots sont le fer de lance du mouvement, qui s’étend en novembre aux étudiants. La grève des transports paralyse le pays. Covoiturage, (longues) marches à pied alors que le froid s’installe, chacun s’organise ; des salariés dorment sur leur lieu de travail. Le mouvement est et reste populaire. Dans le privé, on savoure presque cette grève « par procuration » menée par les fonctionnaires. Le mot d’ordre – « Tous ensemble ! » – est de ceux que l’héritier d’Alain Juppé veut éviter d’entendre à tout prix.

    Depuis Reagan s’attaquant à une aristocratie des transports, les contrôleurs aériens, les luttes de traminots et autres salariés de transports ont souvent fait face à la même difficulté : un nouveau régime salarial qui ne s’applique qu’aux entrants dans la profession.
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    • Mouvements sociaux : 2018 n’est pas 1995, Stéphane Rozès (consultant, président de CAP (Conseils, analyses et perspectives)), LE MONDE | 04.03.2018

      Lors de la précédente grande grève de la SNCF, Stéphane Rozès avait inventé une formule qui a fait florès : « la grève par procuration ». Pour ce spécialiste des études d’opinion, l’histoire ne se répétera pas.

      Tribune. La plupart des analystes, responsables politiques et syndicaux s’interrogent pour savoir si, de la réforme de la SNCF et la modification du statut des cheminots par voie d’ordonnances, pourrait surgir une grève suffisamment dure et soutenue comme en 1995, à même de faire reculer le pouvoir politique.

      Comme il n’y a, apparemment, rien de plus imprévisible qu’une crise sociale, il faut pour répondre à cette interrogation, non pas tant comparer les réformes de 1995 et de 2018, décrypter la théâtralité et le jeu des partenaires sociaux ou les réactions immédiates de l’opinion publique que de revenir aux fondamentaux de ce qui a fait « événement » dans le mouvement social d’ampleur il y a vingt-trois ans pour les comparer avec le moment actuel.

      Alors l’Histoire nous ramène à ce qui fait la spécificité de notre imaginaire, notre façon de nous approprier le réel : une dispute commune dans laquelle la question nationale précède la question sociale.
      En 1995, la « grève par procuration » de l’opinion en soutien du mouvement social avait un fondement idéologique et politique.

      Si notre mémoire a retenu le mouvement social de novembre-décembre 1995, ce n’est pas seulement parce que le pays fut bloqué plusieurs semaines avec le soutien de l’opinion publique mais parce qu’il s’insérait dans un tournant idéologique de notre histoire politique.
      Pour qu’un mouvement social fasse reculer le pouvoir politique, il faut la conjonction d’une capacité de nuisance de la grève et un soutien de l’opinion. En 1995, en réaction au plan Juppé sur la réforme de la Sécurité sociale qui concernait également les régimes spéciaux, les cheminots et les agents des services publics ont bloqué le pays, entraînant d’autres secteurs dans une grève nationale.

      Basculement idéologique des Français

      Les Français adhéraient majoritairement aux mesures du plan du premier ministre prises une à une. Pourtant, dès le départ, les deux tiers des Français soutenaient ou avaient de la sympathie pour le mouvement social, nonobstant ses dommages pour leurs vies quotidiennes et pour le pays. Les cheminots et leur leader, Bernard Thibault, futur dirigeant de la confédération CGT, étaient redevenus populaires après des années où ils étaient pourtant dépeints comme corporatistes, privilégiés, égoïstes…

      C’est que l’opinion a fait, selon l’expression que j’avais utilisée, « grève par procuration », en s’adossant à des mouvements en capacité de peser sur Jacques Chirac, de sorte qu’au travers du retrait de la réforme Juppé, le président de la République revienne à son contrat noué avec le pays lors de la présidentielle de 1995 qui se résumait à la lutte contre « la fracture sociale ».
      Six mois après, le président venait de se détourner de cette lutte contre « la fracture sociale », sans autre forme de procès, au nom de la mise en place de l’euro, semblant ainsi privilégier les contraintes européennes plutôt que son engagement envers la nation.
      Cette volte-face était d’autant plus lourde de conséquences qu’elle s’inscrivait dans le basculement, idéologique des Français, notamment des classes moyennes, au début des années 1990, vers un anti-néolibéralisme.

      Le libre déploiement des marchés, après la chute du mur de Berlin et la défaite du totalitarisme soviétique, semblait remettre en cause les compromis sociopolitiques au sein des Etats-nations. Bruxelles apparaissait comme l’instrument de cette perte de maîtrise de destin collectif et individuel. La souveraineté et la démocratie apparaissaient fragilisées.
      Le basculement du système économique vers le capitalisme financier, les délocalisations, les licenciements dits boursiers, les dérégulations économiques et sociales rendaient l’avenir contingent. Dès 1994, les sondages mesuraient que 55 % des Français « avaient peur de devenir » eux-mêmes des « exclus, chômeurs de longue durée ou SDF » faisant apparaître l’idée que « demain sera pire pour moi et mes enfants ».

      « Restaurer la souveraineté de la nation »
      En réaction, les classes moyennes et la petite bourgeoisie intellectuelle faisaient front idéologique commun avec les catégories populaires. Elles se retrouvaient en se mettant à l’abri derrière des notions devenues surannées avec les « trente glorieuses » : la nation, la République, la citoyenneté, les services publics… La pétition dite Bourdieu, en soutien au mouvement social et aux cheminots, en sera l’expression.
      Au total, en 1995, c’est parce que, avant même le plan Juppé, les collectifs de travail et les individus s’étaient mis sous la protection de l’idée nationale pour conserver les rapports sociaux et la démocratie que s’est mise en place « la grève par procuration » de l’opinion en faveur des cheminots, pour faire reculer un président.

      Le président éludera cette question centrale lors de la dissolution de 1997, en laissant Alain Juppé en première ligne pour s’expliquer. La voie à une alternance politique de la droite vers la gauche était alors possible car prévalait encore ce clivage structuré par la question sociale. Dans notre dispute commune, prévalait encore la dispute.

      En 2018, la symbolique politique incarnée par un « président Bonaparte » préempte la question sociale et détourne les Français des cheminots.
      2018 n’est pas 1995. Les conditions politiques ne sont pas réunies aujourd’hui pour que se constitue un front social large et durable à partir de la réforme de la SNCF, qui cristalliserait les inquiétudes et mécontentements sociaux et susciterait un phénomène de « grève par procuration ».

      Cela ne tient pas essentiellement au caractère moins large de la réforme, à la gestion prudente de la question du « statut des cheminots » ou au déminage de la question des petites lignes obérant un front commun entre les cheminots et la France rurale, le Sénat et les syndicats.
      Cela ne se résume pas non plus à l’affaiblissement du lien social au sein des collectifs de travail, ou à l’effacement de la figure du cheminot au service de la nation ; d’autant que les Français sont toujours attachés et exigeants à l’égard de la SNCF et des services publics…
      Cela ne se réduit pas davantage à un repli individualiste, à l’exacerbation d’un « moi », résultant de l’impossibilité collective à se déployer dans l’espace et le temps ; d’autant que le pays n’a guère varié idéologiquement depuis 1995 dans son rapport au monde.
      Non, c’est le contexte politique et la figure singulière d’Emmanuel Macron qui change radicalement la donne.
      Une fois élu, contrairement à ses trois prédécesseurs, le président Macron a reconnu et assumé devant le Congrès les raisons intimes de son élection :
      « Le premier mandat que m’ont confié les Français est de restaurer la souveraineté de la nation. »

      « Un moyen et non une fin »
      Pour l’heure, il semble mettre le pays « en marche », non en résistant, ou en se soumettant à des contraintes extérieures pesant sur la nation, mais à partir de ce qu’elle est, en la projetant dans l’espace et le temps.
      Son incarnation de Bonaparte semble tenir ensemble les « moi » dispersés de la « start-up nation », et des catégories populaires. Ces dernières sont alors prêtes à consentir à des coups de canifs dans les rapports sociaux, pourvu qu’ils permettent au modèle d’évoluer, sans le remettre en cause dans ses fondamentaux et que la nation redevienne ainsi maîtresse de son destin.

      Dans notre dispute commune, le commun politique à reconquérir l’emporte désormais sur la dispute sociale car il en est la condition. En 1995, le commun est porté par le bas, en interpellation du président Chirac. En 2018, il est pour l’heure incarné par le président Macron.

      Ainsi s’expliquent ses marges de manœuvre politiques pour transformer le pays et la relativisation du conflit gauche/droite structuré par la question sociale… d’où la non-cristallisation de mouvements sociaux et de l’opinion contre le pouvoir. Le cheminot est momentanément remisé comme figure sociale.
      Napoléon prévenait : « Je ne tiens mon pouvoir que de l’imagination des Français, quand j’en serai privé, je ne serai plus rien. » La place du président dépend dans l’imagination des Français de la remise en marche de la nation dans une Europe encore procédurale et économiciste. Les réformes, chez nous, sont un moyen et non une fin.

      #limaginationaupouvoir #réforme