Covid-19 : dépistage, quarantaine… les failles du contrôle aux frontières
Alors que le début des vacances d’été fait craindre une accélération de l’épidémie en France, les règles d’entrée sur le territoire varient et leur application est très aléatoire.
Le premier week-end des départs en vacances, samedi 3 et dimanche 4 juillet, n’annonce pas le début de l’insouciance pour les Français. Le pays pourrait être confronté à une reprise de l’épidémie de Covid-19 durant l’été en raison de la progression du variant Delta, qui représente désormais près d’un tiers des nouvelles contaminations en France, selon les estimations d’Olivier Véran vendredi, le ministre de la santé appelant une nouvelle fois la population à se faire vacciner. Et l’instauration du passe sanitaire européen, depuis le 1er juillet, ne suffit pas, pour le moment, à fluidifier les déplacements d’un pays à l’autre. D’autant que l’entrée sur le territoire, en métropole, n’obéit pas aux mêmes règles pour tous.
Du 1er au 30 juin, selon le ministère de l’intérieur, 30 215 personnes ont été dépistées à leur arrivée dans les aéroports parisiens, 16 746 mesures de quarantaine ont été prononcées, de même que vingt-huit mises à l’isolement – les quarantaines concernent toute personne, même négative au test, arrivant d’un pays classé « rouge », alors que les mises à l’isolement sont prononcées pour les cas positifs. Le ministère précise aussi que les voyageurs en transit, qui stationnent donc en zone internationale, ne sont pas contrôlés.
Quant au passe sanitaire, il a pour objectif « de permettre la reprise des voyages cet été, de contrôler l’authenticité des documents certifiés par les Etats membres et d’optimiser la gestion des flux de voyageurs, car on s’attend, d’ici à la mi-juillet, à une augmentation de 60 % des voyages », précise-t-on au ministère des transports. Selon l’heure d’arrivée, la destination d’origine aussi, ces voyageurs ne racontent pas la même histoire. Qui, parfois, tourne au casse-tête, comme pour Adrien d’Hondt. Travaillant au centre spatial de Kourou, en Guyane, cet ingénieur de 36 ans est venu en métropole, début mai, et a dû se mettre, sur arrêté préfectoral, en quarantaine, soit dix jours. Interdiction donc de sortir du logement qu’il a été tenu de notifier à la police, au sortir de l’avion, dans le même temps qu’était contrôlé son test PCR, effectué moins de 72 heures avant, et qu’était attendu le résultat du test antigénique réalisé, lui, à l’aéroport d’Orly, à l’arrivée de l’avion.
« Trois à quatre heures d’attente à l’aéroport Felix-Eboué à Cayenne, neuf heures de vol et trois heures entre le débarquement, le temps pour rejoindre par bus le hall pour les tests, la signature de l’arrêté de mise en quarantaine et enfin le moment pour récupérer les bagages. Avec l’impossibilité de respecter les distanciations physiques, pas d’accès aux toilettes. Comme du bétail », dénonce le voyageur.L’histoire ne s’arrête pas là. Adrien d’Hondt n’ayant pas de famille à Paris, iavait réservé un Airbnb, mais, au vu des dix jours de quarantaine, il a dû changer de logement en cours de séjour. Nouveau problème, car, cherchant à signaler le changement d’adresse, pour ne pas risquer les 1 000 euros d’amende prévus pour le non-respect de l’isolement, il s’est entendu dire au commissariat voisin de sa résidence qu’« ils n’étaient pas formés pour ça, qu’ils ne savaient pas ce qu’il fallait faire ni où il fallait signaler le changement ».
Finalement, l’ingénieur a reçu la visite, à trois reprises, de policiers venus contrôler sa présence dans le logement. « S’auto-isoler ne me choque pas, faire des tests ne me pose pas problème, mais ce qui est choquant, c’est de voir des policiers en armes venir vous contrôler chez vous, vous demander de descendre dans la rue pour montrer vos papiers d’identité. Le contrôle est extrême, d’autant que les voisins, qui ne nous connaissaient pas, c’était un Airbnb, nous regardaient bizarrement en nous voyant contrôlés par la police », raconte Adrien d’Hondt.D’autres témoignages font état d’une situation familiale rendue complexe du fait de la réglementation. Pour Sophie Cauchois, qui habite en Guyane française, l’envoi de ses trois enfants, le 21 juin, chez leurs grands-parents dans le Val-d’Oise a été éprouvant. « Mon fils de 16 ans avait un schéma vaccinal complet, ma fille de 14 ans une première vaccination seulement [les délais de l’ouverture de la vaccination aux plus de 12 ans n’ayant pas permis les deux injections] et ma plus jeune de 6 ans était trop jeune pour le schéma vaccinal. Pour ma fille de 14 ans, c’était très dur de voir frère et sœur sortir, profiter des vacances, de respecter cette quarantaine totale sous peine d’amende, alors que sa petite sœur pouvait sortir comme elle le voulait et contaminer la terre entière », s’émeut cette infirmière de 42 ans.
Comme de nombreux autres voyageurs venant de Guyane, dont les témoignages et les recours ont été rassemblés sur une page Facebook, « Les indignés du parcours du combattant aérien Cayenne-Paris », Sophie Cauchois a déposé une requête auprès du juge des libertés, car la situation était ingérable.Les requérants, nombreux, qui font appel à la justice mettent tous en avant une mesure de mise en quarantaine « totalement disproportionnée et portant gravement atteinte notamment à la liberté individuelle d’aller et de venir ». Dans le cas de la fille de Sophie, l’arrêté de mise en quarantaine a été abrogé, une issue heureuse loin d’être systématique. Ces astreintes et contrôles durant la quarantaine sont rarement bien vécus, quand ils sont effectués, ce qui n’est pas toujours le cas. Andrée Montagne n’a reçu aucune visite durant son auto-isolement, à Toulouse, en provenance de Turquie. Seuls deux coups de téléphone de l’Assurance-maladie. Arrivant à Roissy d’Istanbul, où elle réside, ayant enseigné au lycée Pierre-Loti de la métropole turque, cette retraitée de 69 ans est venue se faire vacciner en France, la Turquie ayant recours aux vaccins chinois non reconnus pour l’établissement du passe sanitaire.
Andrée Montagne dit avoir été choquée par la tension régnant à l’arrivée du vol. « L’avion d’Istanbul était plein, ce 28 mai, notamment de nombreux jeunes revenant de vacances prises en Turquie. Ils ne s’étaient pas renseignés sur le fait que ce pays était passé en rouge, et qu’il fallait déclarer un lieu de quarantaine pour dix jours. Le ton est monté très vite, certains jeunes ne voulant pas donner d’adresse, insultant les policiers, leur disant “viens dans ma cité, tu te feras casser la gueule”. En Turquie, vous ne pouvez rien dire à un policier », témoigne-t-elle.Thomas Puget, lui aussi, arrivait de Turquie. De retour d’une semaine de vacances, le 13 mai, il a suivi tout le processus, jusqu’au confinement à Lyon chez lui. Un confinement « plus dur » que ceux de 2020, juge-t-il, car, lors de ces quarantaines, seules des sorties entre 10 heures et 12 heures dans un rayon d’un kilomètre pour acheter des produits de première nécessité ou la « réalisation de soins médicaux programmés » sont autorisées. « Mon téléphone portable étant en panne, je devais sortir en acheter un nouveau car il est indispensable pour mon travail à distance, mais ce n’était pas dans les motifs d’autorisation. Cette quarantaine était dure à vivre, d’autant plus que l’ambiance était au déconfinement », raconte l’homme de 36 ans travaillant dans l’informatique.
Ces mesures sont surtout complexes à appréhender au vu des changements réguliers. Pour les pays ou territoires à risque fort, en zone rouge, tels ceux d’Amérique latine, l’Inde, l’Afrique du Sud, la Russie, la Guyane, etc. – vingt-quatre étaient recensés au 28 juin –, il faut, outre un motif impérieux pour venir en France, un test PCR négatif de moins de 72 heures avant d’embarquer, subir une « quarantaine volontaire de sept jours » pour les personnes complètement vaccinées, et une « quarantaine forcée et contrôlée de dix jours » pour les autres.
Encore faut-il que le contrôle soit effectif à l’entrée sur le sol national. Nathalie (qui a souhaité rester anonyme), 56 ans, est rentrée de Russie – elle a la double nationalité qui lui a permis d’y aller –, en passant par la Suisse. Au regard de la réglementation française, elle n’avait en effet pas le droit de s’y rendre ou d’en revenir, et, ajoute-t-elle, le vaccin russe n’est pas reconnu par la communauté européenne. « Après de nombreux contrôles avant le décollage, puis la demande par les douaniers suisses du test PCR de 72 heures, les Français ne m’ont rien demandé lorsque j’ai été prendre le train de Genève pour Lyon. S’ils avaient regardé mon test, ils auraient vu que j’arrivais de Russie. J’ai quand même fait attention et suis restée plutôt chez moi dans les jours qui ont suivi mon retour », raconte Nathalie.De retour du Bénin, pays qui n’est pas en liste rouge, Victorien Tronche, journaliste de 33 ans, témoigne aussi de « contrôles faiblards ». « J’avais fait mon test PCR au Bénin, obligatoire pour sortir du pays, j’ai été contrôlé trente-six fois là-bas, mais arrivé à Roissy, au petit matin, on ne m’a rien demandé, ni ce test ni la certification sur l’honneur de mon isolement, tous ces documents sont restés dans mon sac. Aucun des passagers qui étaient dans la file “passeport européen” n’a été contrôlé », témoigne-t-il.