• Littérature Yiddish oubliée et retrouvée

    « Les Juifs de Belleville » s’impose comme une référence à plus d’un titre. D’abord par la langue, le Yiddish. Isaac Basileis Singer en est le représentant le plus connu. On a oublié, qu’à Paris, les émigrés juifs d’Europe de l’Est avaient exporté leurs traditions et publiaient journaux et livres et s’étaient réfugiés à Belleville. Benjamin Schlevin – né Szejnman en 1913 en Biélorussie – a publié 17 ouvrages en yiddish qui en fait un auteur inconnu de tous les publics.

    sur : Benjamin Schlevin : Les Juifs de Belleville

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/19/litterature-yiddish-oubliee-et-retrouvee

    #littérature #histoire

  • Lecture d’un extrait du livre « Un carré de poussière » d’Olivia Tapiero paru aux Éditions du commun, en coédition avec les Éditions de la rue Dorion, en 2025.

    https://liminaire.fr/creation/radio-marelle/article/un-carre-de-poussiere-d-olivia-tapiero

    « Un Carré de Poussière » explore la manière avec laquelle la philosophie occidentale s’est construite contre certains corps et certaines matières. Entre exploration poétique, témoignage personnel et enquête existentielle, le livre dénonce les violences genrées, les mécanismes de domination et les silences de l’histoire. Olivia Tapiero refuse toute assignation définitive en cherchant à déconstruire radicalement les cadres philosophiques et historiques de notre perception du réel. Elle instaure, dans ce poème qui pense, une nouvelle forme de connaissance et de relation au monde. Une exploration radicale du langage et du corps, un refus de l’effacement et de l’oubli.

    (...) #Radio_Marelle, #Écriture, #Livre, #Lecture, #En_lisant_en_écrivant, #Podcast, #Littérature, #Mémoire, #Visage, #Philosophie, #Corps, #Poésie, (...)

    https://liminaire.fr/IMG/mp4/en_lisant_un_carre_de_poussie_re_olivia_tapiero.mp4

    https://www.editionsducommun.org/products/un-carre-de-poussiere
    https://ruedorion.ca/un-carre-de-poussiere

  • Poésie commune, une collection des Éditions MF : Un espace éditorial dédié aux voix poétiques contemporaines

    https://liminaire.fr/creation/livre-lecture/article/poesie-commune-une-collection-des-editions-mf

    Poésie commune est une nouvelle collection des éditions MF, créée sous l’impulsion de Laure Gauthier et de Bastien Gallet, qui trouve son origine dans un constat et une volonté d’accompagner l’évolution de la poésie contemporaine, en particulier celle écrite par des femmes. Cette collection se veut un espace pour explorer le commun sous diverses formes : comme ressource linguistique et culturelle, comme ensemble de problèmes sociétaux auxquels la poésie se connecte, et comme pratique collective et partagée.

    (...) #Écriture, #Livre, #Lecture, #Poésie, #Littérature, #Édition, (...)

    https://www.editions-mf.com/collection/6/poesie-commune

  • Lecture d’un extrait du livre « Le masque de Hegel » de Thomas Hunkeler paru aux éditions du Seuil, dans la collection Fiction & Cie, en 2025.

    https://liminaire.fr/creation/radio-marelle/article/le-masque-de-hegel-de-thomas-hunkeler

    Thomas Hunkeler mène une enquête littéraire et historique sur le masque mortuaire du philosophe allemand qui est conservé aux Archives littéraires allemandes de Marbach, près de Stuttgart. À partir d’une lettre d’André Breton à Paul Éluard mentionnant son existence, il interroge son authenticité et sa signification. Thomas Hunkeler révèle la fascination pour ces objets funéraires, tout en proposant une histoire parallèle du surréalisme. Entre mythe et réalité, ce masque s’avère trace du défunt aussi bien que projection de ceux qui l’observent. Dans cette mise en récit d’un essai, entre érudition et esprit d’investigation, Thomas Hunkeler éclaire un pan méconnu du rapport des avant-gardes à la mort et à l’héritage des figures intellectuelles, tout en s’attachant à montrer la « dimension collective de la poétique du masque mortuaire ».

    (...) #Radio_Marelle, #Écriture, #Livre, #Lecture, #En_lisant_en_écrivant, #Podcast, #Littérature, #Roman, #Visage, #Masque, #Surréalisme, #Hegel, #Art (...)

    https://liminaire.fr/IMG/mp4/en_lisant_le_masque_de_hegel_thomas_hunkeler.mp4

    https://www.seuil.com/ouvrage/le-masque-de-hegel-thomas-hunkeler/9782021569124

  • https://ledibbouk.net/spip.php?article831

    Quand on est enfant, on ne lit pas des histoires, on les traverse. Elles sont l’espace et nous sommes la matière qui s’y déplace sans distance. Ce que dit le conte est vrai puisqu’il le dit. On ne s’interroge pas sur l’armature narrative, on ne dissèque pas la mécanique du sortilège, on ne soupèse pas la vraisemblance. Il était une fois, et nous voilà ailleurs, sans plus de préambule ni d’inquiétude.

    Puis vient le temps du soupçon. L’adhésion spontanée se délite sans qu’on y prenne garde. On prend l’habitude de lire en marge, en critique, en analyste. On traque l’artifice, on soupçonne la structure, on soupèse la crédibilité. On tourne les pages en veilleuse, à demi-prêt à interrompre l’illusion. Ce qui était une évidence devient un artifice. On s’éloigne, poliment. Plus tard, beaucoup plus tard, on réalise que quelque chose manque.

    Sans doute parce qu’on a changé de latitude mentale. On ne se laisse plus couler dans le récit, on s’y tient en surplomb. On exige des comptes. Il ne suffit plus qu’un dragon surgisse, encore faut-il comprendre les tenants et les aboutissants de sa présence. On privilégie la cohérence, on traque les rouages, on suspecte l’incohérence, on dissèque ce qui, jadis, s’imposait sans résistance. On attend un bénéfice : lire pour apprendre, pour comprendre, pour s’élever, non plus pour simplement être là, pris, absorbé. On devient un lecteur méfiant, embarrassé de ses attentes. Or le fantastique ne se justifie pas, il se déploie.

    Aujourd’hui, nous sommes bombardés par des récits en trompe-l’œil. On veut nous faire croire que tout est sous contrôle alors que tout vacille. On nous vend des fables politiques, économiques, médiatiques, avec des scénarios aussi cousus de fil blanc que les pires blockbusters. La réalité elle-même se fissure sous le poids des contradictions : on nous parle de guerre, de crise, de restrictions, tout en prétendant que le monde suit un cours normal. On nous intime d’y croire, mais nous ne sommes plus dupes.

    #carnets #littérature

  • https://ledibbouk.net/spip.php?article829

    Il y a un truc qui s’est déplacé. C’était net, avant, dans les histoires fantastiques. Une apparition, une ombre derrière la porte, une silhouette là où il ne devait y avoir personne. Un surgissement. Aujourd’hui, c’est autre chose. Ça travaille autrement. Ça n’arrive plus en un coup, en un basculement. C’est déjà là, en filigrane, dans le quotidien, dans les gestes, dans ce qu’on croit connaître et qui, d’un coup, n’est plus si sûr.

    C’est la maison, qui commence à poser problème. Elle fait du bruit, elle respire. Pas besoin de fantômes, pas besoin d’entités. L’angoisse est là dans le mur, dans les angles morts, dans la façon dont la lumière glisse sur le parquet. La Maison des Feuilles, c’est exactement ça : un escalier qui s’allonge alors qu’il ne le devrait pas, un couloir qui s’étire, et soudain plus personne ne sait comment sortir.

    C’est aussi le travail, les visages dans l’open-space, trop lisses, trop symétriques. Des détails qui dérangent. On ne sait pas pourquoi, mais c’est là. On sait qu’on ne devrait pas poser la question. On sait qu’on ne veut pas savoir. Brian Evenson fait ça très bien. Des nouvelles où les choses ne sont jamais vraiment dites, où ce qui est inquiétant n’a même pas besoin de se montrer.

    #carnets #littérature #écriture #fantastique

  • https://ledibbouk.net/spip.php?article828

    Alors, que reste-t-il aujourd’hui de l’histoire fantastique ? À quoi ressemble-t-elle dans un monde où l’étrange est omniprésent, où la fiction a été bouleversée par tant d’expériences narratives ? Les formes contemporaines du fantastique ne reposent plus uniquement sur l’effet de chute, mais jouent avec le doute, l’inachèvement, la multiplicité des interprétations.

    Des auteurs comme Jorge Luis Borges ont réinventé la nouvelle en intégrant le fantastique dans des structures labyrinthiques, où le surnaturel n’est pas un simple coup de théâtre, mais une énigme qui se propage à toute la narration. Dans Fictions, des récits comme La loterie à Babylone ou Tlön, Uqbar, Orbis Tertius brouillent la frontière entre réalité et illusion d’une manière qui aurait certainement fasciné Bierce.

    ( lire l’article complet sur le site )

    #carnets #weird #fantastique #littérature

  • https://ledibbouk.net/spip.php?article826

    Il suffit parfois de s’allonger. De laisser la pesanteur faire son office, d’appuyer l’arrière du crâne contre une surface plane, de s’assurer que l’on est bien réparti de façon homogène, comme une pâte à tarte trop travaillée. Il suffit ensuite de suivre sa respiration, en bon spectateur, sans interférer. L’air entre, l’air sort. Tout se passe bien. Enfin, normalement.

    Avant cela, bien sûr, il y a la résistance. L’esprit s’agite, fait du bruit, remue des archives entières de conversations passées, ressasse d’antiques préoccupations administratives et tente d’ouvrir un dossier classé sans suite depuis trois ans. Il veut prouver son existence. Mais il suffit d’attendre. On le laisse parler, il finira bien par se lasser. Puis, sans tambour ni trompette, on le débranche.

    C’est alors que l’on traverse sa propre bulle. On passe d’un espace exigu, saturé de réminiscences inutiles, à une sorte d’expansion floue, comme une salle d’attente où il ne se passe rien mais où l’on est bien. Rien de mystique, juste une légèreté bienvenue, une fluidité inhabituelle. La pensée n’a pas disparu, elle est là, mais en version atténuée, en sourdine, comme un téléviseur qu’on aurait oublié d’éteindre.

    #fictions #littérature #écriture

  • https://ledibbouk.net/spip.php?article823

    Lorsqu’un auteur décrit un paysage désolé, un personnage tourmenté ou un sentiment diffus, se raconte-t-il lui-même ou joue-t-il avec l’interprétation de son lecteur ? Cette question est au cœur de la lecture critique et engage un débat ancien entre ceux qui voient la littérature comme une projection de l’écrivain et ceux qui estiment que le texte doit être analysé en lui-même, indépendamment de son auteur. Entre inférence littéraire et autoportrait dissimulé, la frontière est fine et mouvante.

    #lectures #littérature

  • https://ledibbouk.net/spip.php?article821

    Nous passons notre temps à colmater des brèches, à obstruer des failles, et puis un jour, à force d’avoir vidé nos peurs, rincé nos rêves, essoré tout notre être, il ne reste plus de nous qu’une écorce décharnée, un agrume pressé jusqu’à la dernière goutte, bonne pour la poubelle ou, à la rigueur, pour un tas de compost, ce qui est un moindre mal. On peut aussi, pour plus de discrétion, s’arranger d’un cercueil six pieds sous terre. Tout cela ne change pas grand-chose : les trous demeurent, béants, et ceux qui restent tentent de les combler comme ils peuvent, c’est-à-dire pas du tout.

    Ce qui rejoint cette évidence cosmique : il y a plus de vide que de plein, partout. Ce que nous tenons pour solide, ce bureau, ce mur, ce corps, tout cela est un assemblage bancal d’atomes capricieux, flottant dans l’incertitude. Et pourtant, nous nous obstinons à croire en la fermeté des choses, à nous appuyer sur des structures qui ne tiennent qu’à un fil. C’est même étrange, cette confiance aveugle dans la stabilité, cette manière de nous laisser berner par une illusion d’équilibre qui, au fond, ne trompe personne.

    #carnets #littérature

  • https://ledibbouk.net/spip.php?article819

    Nous avons cessé de peindre des portraits. Depuis 2010, 2011, on a refermé les livres, les albums photo, les portables. Fini le portrait, montrez des visages ! Nous avons perdu des élèves à partir de là. Mais c’était une bonne chose. Nous nous enfoncions dans une aventure dont peu peuvent ressortir indemnes. Car on finit par comprendre que peindre un visage, ce n’est pas rien, c’est un vrai risque. Psychologiquement dangereux, mortel même.

    Il y a eu un grand cri dans l’atelier quand j’ai parlé des peintures de malades mentaux. Un instant suspendu, une rupture dans l’ordre perceptif. Le cri s’est détaché du corps, s’est projeté dans l’espace, laissant derrière lui une tension qui ne s’épuise pas. Il ne s’annule pas, ne se dissipe pas immédiatement dans la continuité du réel. Il s’accroche aux visages, modifie leur structure, imprime sur eux une déformation irréversible.

    Après coup, que reste-t-il ?

    Les visages ne sont plus que l’ombre d’une cohésion perdue. Ils n’appartiennent plus à ceux qui les portaient. Déstructurés, ils peinent à retrouver leur organisation première. Ils flottent, s’agrègent, se dissolvent. Amas indistincts de traits en errance, visages qui se recouvrent les uns les autres, englués dans leur propre altération. Une matière qui ne sait plus si elle est encore chair ou déjà abstraction.

    #carnets #littérature

  • https://ledibbouk.net/spip.php?article818

    Tout s’était lentement délité dans la douceur anesthésiante des écrans. La matière, jugée encombrante, s’était évaporée derrière la surface lisse des interfaces, la parole s’était aplatie en un murmure filtré par des correcteurs automatiques, et les gestes s’étaient réduits à une chorégraphie d’index effleurant des surfaces tactiles. Une mécanique irréprochable dictait tout : le matin, l’algorithme recommandait un bleu pétrole pour harmoniser la tenue à l’humeur du jour, ajustait la luminosité selon l’amplitude des cernes et proposait un petit-déjeuner optimisé à la courbe glycémique.

    Les réseaux sociaux ne se contentaient plus d’exister, ils formaient la structure osseuse du monde, une sorte de squelette invisible qui dictait la marche à suivre. Il n’était plus question de vivre, seulement de publier. On s’interpellait en messages filtrés, on s’échangeait des émotions sous forme de pictogrammes, on mesurait l’amitié en flux d’engagement.

    Les gouvernements, las de leurs propres discours, avaient migré vers des instances virtuelles où les lois s’adoptaient à coups d’emojis. Quant aux professions, elles avaient suivi le mouvement : les médecins dispensaient des recommandations sous sponsoring, les enseignants maximisaient leur taux de viralité au détriment des notions essentielles.

    Elias, lui, faisait ce qu’il pouvait. Graphiste, il travaillait au service des caprices des algorithmes, réglant des contrastes avec la ferveur d’un peintre en bâtiment scrutant une façade défraîchie. Pourtant, un léger malaise subsistait en lui, quelque chose de diffus, un soupçon d’inadéquation qu’il ne parvenait pas à évacuer, comme un pied qui dépasse d’une couverture trop courte.

    #fictions #littérature

  • Lecture d’un extrait du livre « Vivre tout bas » de Jeanne Benameur paru aux éditions Actes Sud, en 2025.

    https://liminaire.fr/creation/radio-marelle/article/vivre-tout-bas-de-jeanne-benameur

    Jeanne Benameur donne une voix à une femme silencieuse, recluse au bord de la mer, à l’écart d’un village de pêcheurs, portée par un chagrin plus grand qu’elle la mort de son fils, le vide laissé par cette disparition. Sans jamais la nommer, elle nous la fait reconnaître : Marie, la mère de celui qui n’était pas seulement son fils. Ici, pas d’iconographie figée ni de parole divine, mais une femme incarnée, qui écrit, lit, et se reconstruit. À travers une prose lumineuse et sensorielle, l’autrice tisse un récit d’émotions et de résilience, où chaque geste, chaque rencontre, esquisse un chemin de renaissance. Dans la douceur du ressassement et le murmure des vagues, ce roman ouvre un espace de liberté, d’acquiescement au monde.

    (...) #Radio_Marelle, #Écriture, #Livre, #Lecture, #En_lisant_en_écrivant, #Podcast, #Littérature, #Roman, #Famille, #Portrait, #Femme, #Croyance (...)

    https://liminaire.fr/IMG/mp4/en_lisant_vivre_tout_bas_jeanne_benameur.mp4

    https://actes-sud.fr/catalogue/litterature-francophone/vivre-tout-bas

  • https://ledibbouk.net/spip.php?article814

    On le voit moins. C’est comme ça que ça commence, l’effacement. Par touches discrètes, sans tapage, petit à petit qu’il s’efface. Sa voix qui s’estompe. Et puis d’un coup cette question : a-t-il vraiment existé ? Peut-être juste imaginaire. Peut-être fragment d’un rêve ou cauchemar. Ce type sur la photographie noir et blanc. Prise à Aubervilliers. Les lieux, eux, s’identifient plus facilement. D’ici, cette impression première d’un personnage falot, la torsion de sa silhouette lors de la prise de vue, cette impossibilité à le cerner. Avais tenté de sympathiser puis trop compliqué, laissé tomber. C’était après 1981, il revenait de Bonn, Allemagne. Habitions Aubervilliers. Le nom de la rue perdu, face à un supermarché je crois. Immeubles bas. Pas plus de deux étages, vivions tous ensemble au second. Les fenêtres ouvraient sur ce supermarché et si on penchait un peu plus la tête on apercevait le canal Saint-Denis. La photographie prise sur une de ses berges. Négatif abîmé.

    Revenait de Bonn. Ne me souviens plus pour quelle agence de presse. Avait fallu qu’il parte très vite. Parce qu’il parlait allemand. Ou bien avait prétendu parler allemand quand on l’avait questionné. Neuf ans d’allemand à l’école, on doit bien savoir un peu. En tous cas pas dégonflé. Parlait anglais aussi. Neuf ans pareil. Avait pris un train le soir même, train de nuit. Difficile de savoir s’il disait toujours vrai. Me souviens qu’à l’époque nous avait raconté avoir pris le Trans Europe Express première classe. L’agence paie le trajet, avait-il ajouté. Jamais donné de précision supplémentaire. Crois que certains mots l’incitaient à mentir. D’ailleurs mentait-il vraiment. Peut-être qu’à l’invocation de certains mots disposait d’une faculté de modifier sa propre réalité selon sa convenance. Peut-être n’était-ce pour lui que sa vérité à lui, inadéquate avec celle plus générale, et plus terne aussi, la nôtre.

    #carnets #littérature

  • https://ledibbouk.net/spip.php?article812

    Prendre un personnage. Cette expression me hante. Peut-on vraiment « prendre » quoi que ce soit dans l’acte d’écriture ? Voler serait plus juste. Dérober une âme fictive aux limbes de l’imaginaire. Non pas la survoler comme un rapace guettant sa proie, mais la capturer, l’arracher à son néant.

    Emprunter ? Illusion. Nous ne rendons jamais ce que nous empruntons à l’univers des possibles. Chaque personnage sort transformé de notre atelier intérieur.

    Penser à un personnage ? Ce serait le maintenir à distance, le contempler sans jamais l’habiter. L’imaginer ? Trop facile, trop éphémère.

    Alors quoi ? Comment s’attacher véritablement à cette créature de mots ?

    Une corde, peut-être. Non pas pour l’étrangler, mais pour me lier à lui. Me pendre à son cou comme un enfant s’accroche à sa mère. Cette image me poursuit - cet abandon, cette confiance. Se pendre au cou d’un personnage comme on s’abandonne à un amant. Comme on enlace un animal familier dont la présence nous rassure.

    Je revois ces rêves récurrents : mes doigts agrippés à l’encolure d’un cheval noir (pourquoi toujours noir ?), galopant vers un horizon qui se dérobe. Le mot « se pendre » se métamorphose alors, comme les mots se transforment dans les rêves, glissant vers un autre territoire.

    #carnets #littérature

  • https://ledibbouk.net/spip.php?article811
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    Je me matérialise dans un espace qui n’est ni tout à fait réel, ni tout à fait virtuel. Une sorte de limbe numérique où ma conscience a été reconstruite à partir de mes écrits, interviews et données biographiques. C’est 2050, apparemment. Je suis mort depuis presque 70 ans, mais quelqu’un a décidé que je n’avais pas encore mérité mon repos.

    L’écrivain qui m’a invoqué s’appelle Marc. Il a l’air nerveux, comme si convoquer les morts était une pratique quotidienne mais toujours un peu gênante. Il porte des lunettes à réalité augmentée qui projettent probablement mon image devant lui.

    « Monsieur Dick, » dit-il avec une révérence qui me met mal à l’aise, « c’est un honneur incroyable. »

    Je sens immédiatement que quelque chose ne va pas. Ce n’est pas moi qui parle, mais une simulation de moi-même, construite à partir de fragments de ma personnalité. Je suis à la fois présent et absent. Observateur et participant.

    « Appelez-moi Phil, » je réponds automatiquement. « Alors comme ça, en 2050, vous avez trouvé le moyen de ne pas laisser les morts tranquilles ? »

    #carnets #littérature

  • https://ledibbouk.net/spip.php?article809
    https://ledibbouk.net/spip.php?article809

    Il s’avance, Marronne, tempête sous brushing, torse bombé, sourire carnassier. La lumière des projecteurs l’engloutit aussitôt, sculptant son ombre sur le fond criard du plateau. Devant lui, les caméras pivotent, les techniciens s’agitent, un assistant lui tend un oreillette qu’il rejette d’un revers de main. Pas besoin. Il sait déjà ce qu’il va dire, comment il va frapper. Le plateau s’électrise aussitôt, un mélange de nervosité et de cette sidération vaguement honteuse qu’on éprouve face à quelqu’un qui n’a plus de limites. Il n’entre pas, il surgit. Le plateau s’électrise aussitôt, un mélange de nervosité et de cette sidération vaguement honteuse qu’on éprouve face à quelqu’un qui n’a plus de limites. Sa chaîne ? Massacrée. Lui ? Victime. Tout ça ? Une ignominie. Il brasse l’air, foudroie les visages autour de la table d’un regard vissé sur l’injustice dont il serait le martyr. Il faut comprendre, il faut mesurer, il faut trembler : on lui a tout pris, et il ne laissera pas passer ça.

    Son poing s’abat sur la table, coup de semonce théâtral. Un silence tendu s’abat sur le plateau, figé dans un mélange de sidération et de crainte contenue. Certains détournent les yeux, d’autres échangent des regards furtifs, espérant ne pas être la prochaine cible. L’un d’eux, une main crispée sur son stylo, sursaute imperceptiblement. Marronne les jauge, les savoure, sent leur soumission latente et jubile intérieurement. Il est l’ouragan, ils ne sont que du vent. Qui d’autre a porté la parole du peuple comme lui ? Qui d’autre a osé donner à voir le réel, le brut, l’évident ? On l’a coupé, muselé, on veut l’enterrer vivant. Mais il est toujours là, plus fort, plus bruyant. Président ? Évidemment. Puisqu’ils ne veulent pas de lui ici, il ira là-haut. Parce que les grands destins ne s’effacent pas d’un revers de main, les hérauts du vrai ne disparaissent pas sous une simple chape de censure. Pachidarme l’a prouvé : rugir plus fort que les autres, c’est la clé. Écraser la concurrence sous une pluie de sentences, c’est la loi. Lui, Marronne, a compris depuis longtemps que la vérité ne tient pas dans les faits, mais dans la manière dont on les éructe. L’histoire appartient à ceux qui la gueulent le plus fort.

    #fiction #littérature

  • https://ledibbouk.net/spip.php?article807
    https://ledibbouk.net/IMG/webp/edvard_munch_le_cri_-_version_5.webp

    La toile est vide. Ennuyeux. Presque grossier. On ne peut pas laisser ce néant béant, cette surface nue, impolie, exposée aux regards. Y poser quelque chose. Un signe. Un fragment. Ne pas donner l’impression d’abandonner les choses en plan. C’est bien ce que je me dis, du moins ce que je suppose me dire, au moment d’attaquer la peinture. Enfin, attaquer est un bien grand mot. Disons plutôt : disposer, effleurer, voir venir. À partir du moment où l’on se met à penser, tout devient une affaire d’occupation, de stratégie. L’éveil de la conscience, ce petit capitaine d’industrie qui, en un instant, met en cale sèche les rêves, les espoirs, les illusions de grandeur.

    Ce capitaine a des exigences. Il lui faut des serviteurs, des acolytes, une cour bien ordonnée pour s’assurer qu’il existe bel et bien. Son existence ne tient qu’à cela : s’entourer, créer du bruit autour du vide, donner l’illusion qu’il y a quelque chose. Et ce quelque chose, il faut bien le comparer, l’évaluer, en construire une hiérarchie. On ne peut pas simplement être, il faut être mieux, plus haut, plus fort, même si l’excellence demeure une abstraction vaporeuse. Alors on s’appuie sur ce qui passe, les rumeurs, les « on dit », les échos du dehors qui renvoient une image, fragile et instable, mais rassurante. Une conscience sans miroir n’existe pas.

    #carnets #littérature

  • https://ledibbouk.net/spip.php?article805
    https://ledibbouk.net/IMG/webp/woodman17.webp

    L’organe est le contraire de la vie, tout comme le membre. Je ne suis ni membre ni organe, je suis tout autre, l’inorganisé. Non plus que je ne suis cerveau, cœur, rate, ou couille ou bite. Ce n’est toujours pas ça. Parce que ça déborde au-delà, au dehors.
    Ça envahit tout le vide et s’y confond sans s’y conformer de trop comme de l’eau, libre avant tout de s’enfuir, d’emprunter une pente, de se tirer comme on tire l’eau d’un puits sans fond. Mais dans le langage encore trop — corps constitué de règles syntaxiques, orthographiques, grammaticales, etc.
    Si je m’amuse à penser le désordre d’un langage, je pense en creux son ordre, ça ne va pas. Il ne faut pas que ça vienne du cerveau, je ne le crois pas, mais de la plante du pied lorsqu’elle arpente la braise ardente du sens et du non-sens.
    -- Tu es tellement détaché...
    C’est tombé comme ça, sans préméditation. Ce n’était sûrement pas un reproche, juste une phrase, un constat. Pourtant, ça s’est logé en moi immédiatement, avec la précision d’une lame.
    Détaché.
    Ça voulait dire quoi ?
    La distance, l’éloignement, presque une fuite. Une lâcheté.

    #fictions #littérature

  • https://ledibbouk.net/spip.php?article788

    C’était une station-service comme les autres. Aire d’autoroute, enseigne fatiguée, quelques pompes, un panneau publicitaire pour un menu burger-frites affreusement agrandi, pixels visibles, comme si quelqu’un avait pris la photo avec un téléphone des années 2000.

    Il s’était garé sans réfléchir, découpé la route en tronçons pratiques, en unités de temps mesurables : un plein d’essence, une pause pour manger, repartir. Répéter l’opération jusqu’à destination, sauf qu’il n’avait pas de destination.

    Il entra dans le restaurant de la station, toujours ce même décor générique : tables vissées au sol, éclairage blafard, affiches d’offres spéciales pour des plats que personne ne choisissait jamais. Il y avait peu de monde. Un routier enfoncé dans son plateau-repas, un homme en costume froissé qui fixait un verre d’eau comme s’il venait de recevoir une mauvaise nouvelle.

    Il prit un plateau, commanda une viande trop cuite et un accompagnement flasque, puis s’installa près de la baie vitrée.

    L’homme en face apparut comme un fait accompli. Cinquante ans, veste en cuir usée, visage à la fois anonyme et marqué. Une de ces présences qui vous paraissent insignifiantes, mais qui, une heure plus tard, pourraient vous obséder sans raison. Il posa un sac plastique froissé sur la table, sortit un sandwich triangulaire encore sous cellophane, et déclara après quelques bouchées :

    -- Vous allez loin ?

    C’était dit sans curiosité, comme on pourrait demander l’heure.

    -- Aucune idée, répondit-il.

    #fictions #littérature #écriture

  • https://ledibbouk.net/spip.php?article787

    Je ne sais pas pourquoi je pense à Gide. Si le grain ne meurt. Voilà. Forcément, je pense à la religion. Il faut donc crever pour se relier.

    Ce qui pourrait, avec un peu de mauvaise foi, expliquer ma fuite entre quatorze et trente ans dans le bouddhisme zen. Est-ce que ça explique quoi que ce soit ? Aucune idée. Mais ça me semble d’une logique implacable.

    Crever, donc. Mot d’ordre adopté à l’adolescence. Pas physiquement, tout de même. J’aurais pu me pendre, comme mon cousin B. Mais la douleur me retenait. Crever, oui, mais mentalement. Et si possible sans souffrance.

    J’ai donc commencé à faire n’importe quoi. De manière systématique.
    Une décision mûrie lentement, prise un jour de collège, après trois ans d’échecs répétés à la barre fixe. Trois ans sans parvenir à effectuer la moindre traction. Puis, un vendredi d’avril, en fin d’après-midi, enfin une réussite. Une fois, une seule, j’avais réussi à me hisser.

    Et tout s’était effondré.

    #carnets #écriture #littérature

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    La nuit. Une douleur, localisée dans la mâchoire. Persistante, sourde. Ralentir la respiration. Laisser la douleur exister, sans chercher à la combattre. Mais alors surviennent des images. Un charnier. Des paysages en ruine. Gaza, peut-être. Ou ailleurs. Des fragments d’histoire, de conflits superposés, indissociables. Une mosaïque de souvenirs et de réalités contemporaines qui se percutent dans la conscience. Essayer d’y échapper. Mais elles s’imposent, inlassables. Elles reviennent en vagues, s’ancrent, s’étendent, ne laissent aucun répit. L’odeur singulière de la pierre calcinée. Une chaleur résiduelle, persistante, presque palpable. Des projections d’étincelles. Un cercle d’hommes assis. The Dream Time. La perception d’un temps suspendu entre le réel et l’abstraction. Ouvrir les yeux.

    #carnets #littérature