• Neve, Shamengwa, Geraldine, Billy, Corwin et quelques autres

    Le livre commence par un « solo » entre fusil, bébé, violon et sang. Une lueur fugace, un éclair, une couleur pour marque, pour surplomb.

    Mémoire des êtres, des gestes, des hommes, les récits vertèbrent ce roman polyphonique. Les temps se succèdent irrégulièrement pour reconstruire des histoires individuelles et bâtir une histoire collective.

    Note sur : Louise Erdrich : La malédiction des colombes

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2011/11/02/neve-shamengwa-geraldine-billy-corwin-et-quelq

    #littérature #roman

  • [The Locomotion] #alice_butterlin : Lecture des Heures Défuntes - Alice Butterlin
    https://www.radiopanik.org/emissions/the-locomotion/alice-butterlin/#15656

    Alice Butterlin : Lecture des Heures Défuntes

    Alice Butterlin est une autrice vivant à Bruxelles. Elle a sorti l’année dernière Les Heures Défuntes, sa première oeuvre littéraire au sein de la toute nouvelle maison d’édition Le Gospel, basée à Bordeaux. Une sorte de #livre-playlist ésotérique qui cite, entre autres, Elliott Smith, Pharmakon ou Harold Budd. Elle nous a fait une lecture d’un bout de chapitre. Elle nous a présenté également un double coup de cœur : la musicienne parisienne Lila Ehjä (plutôt cold wave) et sa sœur Marie Mauve, photographe expérimentale.

    Alice Butterlin sera le 14 avril à la Maison-Poème, un lieu au croisement de la poésie et de la musique, co-géré par Les Midis de la Poésie et le festival FrancoFaune. Une rencontre suivie par un concert de David Lafore. Gagnez 3x2 places pour la (...)

    #littérature #interview #littérature,livre,interview,alice_butterlin
    https://www.radiopanik.org/media/sounds/the-locomotion/alice-butterlin_15656__0.mp3

  • [The Locomotion] Agenda du 13 avril - #alice_butterlin
    https://www.radiopanik.org/emissions/the-locomotion/alice-butterlin/#15657

    Agenda du 13 avril

    Alice Butterlin est une autrice vivant à Bruxelles. Elle a sorti l’année dernière Les Heures Défuntes, sa première oeuvre littéraire au sein de la toute nouvelle maison d’édition Le Gospel, basée à Bordeaux. Une sorte de #livre-playlist ésotérique qui cite, entre autres, Elliott Smith, Pharmakon ou Harold Budd. Elle nous a fait une lecture d’un bout de chapitre. Elle nous a présenté également un double coup de cœur : la musicienne parisienne Lila Ehjä (plutôt cold wave) et sa sœur Marie Mauve, photographe expérimentale.

    Alice Butterlin sera le 14 avril à la Maison-Poème, un lieu au croisement de la poésie et de la musique, co-géré par Les Midis de la Poésie et le festival FrancoFaune. Une rencontre suivie par un concert de David Lafore. Gagnez 3x2 places pour la soirée grâce à notre (...)

    #littérature #interview #littérature,livre,interview,alice_butterlin
    https://www.radiopanik.org/media/sounds/the-locomotion/alice-butterlin_15657__0.mp3

  • Le blanc vif des murs est devenu mauve en une seconde

    « A aucun moment, je ne me suis retrouvé face au vide, le souffle coupé, obligé de faire appel à un instinct de survie le plus primaire qui soit »

    Par une subtile construction littéraire et temporelle Catherine Weinzaepflen nous plonge dans une réalité de Los Angeles peu prisée et loin des images idylliques. Elle nous fait toucher ce que l’exil fait aux êtres humains, ce que cet exil fait à Ismaëla.

    « Ce n’est pas Ismaëla que j’ai vue dans ce lit d’hôpital, ce n’est pas celle que je connaissait ». La mort dans cet ailleurs, loin des aimé·es. Nous ne sommes pas ici dans une version linéaire du temps, mais dans les temporalités hachés du manque, de la mémoire cadenassée, du cœur serré.

    note sur : Catherine Weinzaepflen : Ismaëla

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/04/08/le-blanc-vif-des-murs-est-devenu-mauve-en-une-

    #littérature #roman

  • Et maintenant : un petit tour du côté du #Brésil
    https://tagrawlaineqqiqi.wordpress.com/2023/04/07/et-maintenant-un-petit-tour-du-cote-du-bresil

    La maison d’édition Anacanoa a eu une idée de génie : traduire (entre autres, allez voir, son catalogue est vraiment intéressant) la #littérature populaire et rurale du Brésil. Vaste Monde est une œuvre de cette nature. Maria Valéria Rezende nous conte dans un langage truculent, avec une suite de portraits, la vie d’un village brésilien. On […]

    #Bibliothèque #ruralié #Ruralité
    https://0.gravatar.com/avatar/fae7880a13ff373ef7ab14b76ec88027?s=96&d=identicon&r=G

  • Lecture d’un extrait du livre « Totalement inconnu » de Gaëlle Obiégly, paru aux éditions Christian Bourgois, en 2022.

    http://liminaire.fr/radio-marelle/article/totalement-inconnu-gaelle-obiegly

    Gaëlle Obiégly met en scène une réceptionniste écrivaine qui, guidée par une mystérieuse voix intérieure, mène une enquête existentielle, qui prend le prétexte d’une conférence cocasse et excentrique sur le soldat inconnu : « Il loge en moi, c’est comme un implant, une grosse écharde. Il m’oblige à écrire, ce n’est pas tellement agréable. Mais je n’ai que ce moyen pour connaître mes pensées ». Ce monologue singulier, composé de digressions et d’association d’idées débridées, interroge à voix haute, avec humour et vivacité, la possibilité de connaître ce qu’on n’a pas encore vécu, l’insaisissable et la mort.

    (...) #Radio_Marelle / #Écriture, #Langage, #Livre, #Lecture, #En_lisant_en_écrivant, #Podcast, #Littérature, #Mort, #Guerre, #Mémoire, #Monologue, #Histoire,(...)

    http://liminaire.fr/IMG/mp4/en_lisant_totalement_inconnu_gae_lle_obie_gly.mp4

    https://bourgoisediteur.fr/catalogue/totalement-inconnu

  • Un pur chef d’oeuvre : Ténèbre, de Paul Kawczak
    (La Peuplade, 2020 ; J’ai lu, 2021)

    Un grand livre passé inaperçu en France, malgré un prix des lecteurs L’express/BFMTV 2020 et une critique de François Angelier le 28 août 2021.

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    Le roman raconte le parcours de Pierre Claes, géomètre belge mandaté par le roi qui mène une expédition en Afrique pour matérialiser les limites des terres civilisées. Il remonte le fleuve Congo en compagnie de travailleurs bantous et de Xi Xiao, maître tatoueur chinois et bourreau spécialisé dans l’art de la découpe humaine. Ce dernier devine les horreurs de la colonisation à venir.

    « Dans ce premier roman, Paul Kawczak revisite et dynamite le récit de voyage à la façon du XIXe siècle, pour en faire un livre baroque, oppressant, violemment érotique, d’une beauté barbare, servi par un style superbe »

    estime Jean-Claude Perrier dans son avant-critique du roman paru dans le Livres Hebdo du 17 janvier.

    Paul Kawczak est un éditeur, né en 1986 à Besançon, en France. Ses études doctorales en littérature l’ont mené en Suède puis au Québec. Avec le goût de l’exil lui est venu celui de l’écriture, comme forme de retour. Ténèbre sortira en format poche chez J’ai lu en 2021.

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    L’extraordinaire Ténèbre dans laquelle Paul Kawczak immerge ses personnages, celle de l’énorme et impénétrée forêt congolaise des années 1890, tient moins de la lice héroïque que d’un salon de torture fin de siècle. Imprégné par le Mirbeau du Jardin des supplices (1899) et le Conrad d’Au cœur des ténèbres (1899) – Conrad qui fait une apparition, « Polonais aux yeux polaires » –, le roman de Kawczak offre une peinture au rasoir, d’une part d’une Afrique coloniale hagarde, en sang et en larmes, que l’Europe franco-belge dilacère avec cupidité, confiant ses basses œuvres tant à des nervis soûls de sadisme qu’à des aventuriers à la mysticité délirante, et, d’autre part, du « charnier divin » d’une Belgique à la Ensor d’où vient le héros, le géomètre Pierre Claes, ethnie bourgeoise et délirante. A lire cul sec.

    https://www.lemonde.fr/livres/article/2021/08/28/james-fenimore-cooper-paul-kawczak-william-seabrook-la-chronique-poches-de-f

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    Les libraires conseillent (février 2020)

    En 1890, au cœur d’une Afrique que les grands pays colonisateurs se disputent âprement, Pierre Claes, géomètre de son état, se voit confier par son Roi la tâche d’aller délimiter la #frontière nord du Congo. Mais le jeune Claes, qui n’a rien de l’aventurier viril requis pour une telle charge, sombre peu à peu dans l’horreur coloniale, dont les extrémités semblent sans limites. Formée d’une horde de personnages aussi denses qu’énigmatiques, du bourreau chinois Xi Xiao au danois Mads Madsen, capitaine du Fleur de Bruges, sans oublier Mpanzu le Bantou, Vanderdorpe au cœur brisé ou encore Léopold, un chimpanzé apprivoisé, l’expédition Claes progresse péniblement sur le fleuve Congo, ponctuant son périple de rencontres inusitées et de péripéties abracadabrantes, pénétrant toujours plus avant la noirceur terrifiante des jungles antédiluviennes d’où toute morale s’est depuis longtemps évanouie. Servi par l’élégance d’une prose véritablement géniale et doté d’un art narratif empruntant aussi bien à Jules Verne qu’à Hemingway ou même à Poe, ce roman immense au romantisme sombre devrait vous hanter longtemps après avoir tourné la dernière page.

    Attention : chef-d’œuvre !

    Philippe Fortin, librairie Marie-Laura (Jonquière)

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    « L’histoire qui suit n’est pas celle des victimes africaines de la colonisation. Celle-ci revient à leurs survivants. L’histoire qui suit est celle d’un suicide blanc dans un monde sans Christ ; celle d’un jeune homme oublié dans un labyrinthe de haine et d’aveuglement : l’histoire du démantèlement et de la mutilation de Pierre Claes. » (page 12)
    Ce chant de la mutilation, — pour reprendre le titre du livre de Jason Hrivnak [1] ­—, relate l’histoire de Pierre Claes, géomètre belge, mandaté par le roi Léopold II pour délimiter les frontières du Congo. Le jeune homme se lance en 1890 dans une première expédition à bord du Fleur de Bruges, glissant sur le fleuve Congo, en compagnie de travailleurs bantous et de Xi Xiao, un ancien bourreau spécialisé dans l’art de la découpe humaine, maître tatoueur et devin.

    Paul Kawczak ne fait pas ici le pari de la #reconstitution mais plutôt celui d’écrire un roman comme s’il avait été écrit au XIXème siècle, sans pour autant tomber dans les travers du pastiche ou de la parodie.
    L’ironie est présente dans Ténèbre, mais il s’agit d’une ironie subtile, de celle à l’œuvre dans le Dracula (1897) de Bram Stoker, roman épistolaire brillant dans lequel l’auteur raille subtilement l’héroïsme des personnages qui pourchassent le vampire. L’atmosphère et le style flamboyant de Ténèbre ne sont pas non plus sans rappeler le génial roman gothique Melmoth ou l’Homme errant (Melmoth the Wanderer, 1820) de Charles Robert Maturin.

    « Des mains dont les ongles avaient continué de pousser et dont les corps avaient disparu, emportant avec eux le jour et la nuit, les arbres géants et les cris animaux, le temps des regrets et la parole humaine. Ces mains hurleraient et perceraient le monde jusqu’à le déformer, l’étirant hors de toute mesure suivant l’attraction de leur cri ; elles se rendraient au berceau de chaque nouveau-né, au chevet de chaque vieillard, au seuil de chaque foyer pour porter l’horrible nouvelle, la portant à la barbe de Léopold II même, qu’elles finiraient par arracher, comme elles arracheraient chaque Christ de sa croix pour le gifler, le fesser et lui annoncer, rieuses, piailleuses et chantantes, comme les mésanges nègres du fleuve Congo, l’avènement de la Peur, de la Mort et de l’Apocalypse. » (p. 147)

    Ténèbre n’a rien d’un pastiche, disions-nous. Il suffit pour s’en convaincre de prêter attention aux premières citations en exergue, celle de l’artiste taïwanais Chen Chieh-Jen, tout d’abord, qui rappelle que si « nous ne voyons pas la violence de l’histoire […] nous avons besoin de méditer les images de l’horreur et de nous en pénétrer » (p. 7). Puis celle de l’historien congolais Isidore Ndaywel è Nziem : « de 1880 à 1930, environ 10 millions de Congolais […] auraient disparu, victimes de l’introduction de ‘‘la civilisation’’. » (ibid.)

    La troisième épigraphe est de #Marx :

    « Le #capital naît dégouttant de sang et de boue des pieds à la tête », écrit l’auteur du Capital (p. 11).

    L’intention du romancier est claire : Ténèbre se veut une généalogie du Mal, ce Mal qui ronge l’Europe dans les derniers feux d’un romantisme à l’agonie : le capitalisme et son corollaire, le colonialisme, avec son abominable litanie de crimes contre l’humanité commis au nom de « la civilisation », — une civilisation blanche, mâle, chrétienne.

    Dieu est mort. L’argent est roi

    C’est le Mal qui ronge Pierre Claes, le géomètre dont le lecteur suit l’errance dans ce dédale tracé par Paul Kawczak. Les références à l’Enfer et au Paradis sont nombreuses dans le roman. Le Congo, en premier lieu, comparé à un nouvel Éden :

    « Le jardin d’Éden n’avait dû être qu’un simple brouillon comparé à la jungle africaine. À plusieurs reprises, [Pierre Claes] se dit que son enfance eût été plus facile s’il avait eu connaissance de l’existence des fleurs qu’il voyait alors, s’il avait su qu’il y avait, quelque part sur la Terre, un Paradis plus mystérieux que celui de la catéchèse, un lieu d’où pas une couleur n’était absente, où la mort même était extraordinaire, un lieu dont le calvaire quotidien de l’extrême chaleur et des insectes consacrait la beauté en vérité au lever du soleil. » (p. 106)

    Claes est chargé de cartographier ce Paradis [2], une mission qu’il accomplit en scrutant le ciel pour abaisser sur Terre les étoiles :

    « À cette époque, un géomètre marquait la terre mais scrutait le ciel. Les frontières idéales se matérialisaient à partir des étoiles dont l’apparente fixité était encore l’aune de l’absolu pour les hommes. Pierre Claes, par de savants calculs, abaisserait sur Terre les étoiles, au sol, et de leur majesté ne resterait que le tracé invisible d’un pouvoir arbitraire : là passerait la frontière. Claes réduirait l’infini en politique. » (p. 32)

    Autre motif lié au Paradis terrestre et à l’Enfer, celui du serpent, présent sur la couverture du livre et dont nous trouvons de nombreuses occurrences dans le texte [3]. Le serpent est un motif polysémique dans Ténèbre, mais la référence au texte de la Genèse (3, 1-24) est évidente. Dans la scène d’agonie de Baudelaire (pp. 127-128), Paul Kawczak décrit les yeux de l’auteur des #Fleurs_du_Mal comme ceux d’un serpent, faisant du poète le témoin et la victime de ce Mal qui dévore l’ancien monde.

    La question du mot ténèbre, si rare au singulier, a été éludée par les exégètes [4]. Plus fréquent au pluriel, notamment lorsqu’il fait référence à l’absence de Dieu et à l’Enfer, le mot a perdu sur la couverture du livre son S qui s’y trouve, par magie, incarné sous la forme d’un serpent [5]. Contrairement à la doctrine de la théologie chrétienne du péché originel, Paul Kawczak distingue la ténèbre, qui est intérieure, du Mal (représenté par le serpent) extérieur à l’homme : ici l’homme ne naît pas pécheur, il devient mauvais, corrompu par le capitalisme dont l’un des symboles est celui du dollar américain, un S doublement barré.

    L’errance géographique de Claes, se double d’une errance d’ordre psychique, un labyrinthe mental [6] tracé par le Mal à l’œuvre sur Terre : l’Enfer n’est pas un lieu, il est le socle brut de notre condition humaine, planté au cœur des hommes broyés par le capitalisme triomphant.

    « Chaque nuit un peu plus, Claes prenait la mesure de la progression de l’ombre en lui, de sa catabase africaine vers la Ténèbre intérieure. Pierre Claes pleurait alors comme un enfant, inconsolable de sombrer et effrayé par la violence à venir et les promesses tristes de la mort. » (p. 107)

    Ces leitmotive font signe au-dessus de la jungle du texte, la phrase Kawczakienne étant elle-même à l’image de cette jungle : sa syntaxe est prolifération, luxuriance, toute bruissante de ses rumeurs. La riche prose de Ténèbre passerait aisément l’épreuve du « gueuloir » chère à Flaubert, et l’on devine d’ailleurs que Paul Kawczak partage envers l’auteur de L’Éducation sentimentale l’admiration qu’il prête à l’un de ses personnages (Polonais) pour « son style, non pas prosodique, mais ironique, toujours double, comme chaque chose » (p. 87).

    Les pages sublimes sont nombreuses dans le livre. Citons notamment celle-ci, sidérante de sa noire beauté :

    « Repassait incessamment dans son esprit l’image claire et brutale de la vulve coulante de Camille Claes, ouverte comme le désir précipité et précipitant, en fleur de chair, intolérable ou, plutôt, qui ne le tolérait pas, lui, le raidissait à mourir dans la trahison de son père qui ne l’avait jamais peint, et la lune, ouverte comme la plaie du Christ, comme le bec de certaines pieuvres qu’on avait amenées de la côte, du port d’Ostende, une fois, et que l’on avait montrées à la boucherie, monstrueux miracles roses et gris de gélatine, comme les récits de son grand-père, rejetant, vomissant le lait et le sang, il l’avait vue, écartée et baveuse et jamais, jamais, il n’avait eu aussi peur qu’au réveil ce matin-là, il devait s’excuser auprès de ses chiens avant qu’ils ne l’accusent trop violemment des mots que lui avait murmurés Camille Claes, de ce qu’elle lui offrait comme on offre à un homme, de ce tout petit secret de fourche, pas plus grand que le quart de la paume d’une main, plus petit même peut-être, comme la vérité et le monde qui l’avaient toujours tué. » (p. 182)

    Une des plus belles idées du livre tient dans la métaphore filée de l’écriture tout au long du roman : les tatouages et la découpe des chairs. L’écriture de Paul Kawczak est double, ainsi que celle de Flaubert. Elle est le Mal qui dit le Mal. Le poison et son antidote. La Fleur du Mal.

    « Un soir, Xi Xiao n’eut plus de nouveau récit à raconter. Pierre Claes lui demanda à être la prochaine histoire. Pierre Claes demanda à Xi Xiao de lui tatouer sur le corps le tracé d’une découpe et de le lingchéifier au cœur de l’#Afrique. Pierre Claes voulait être ouvert aux étoiles pour quitter l’horreur de sa vie. » (p. 151)

    Riche de ses références, tant aux romans populaires d’aventures et gothiques, qu’au symbolisme, au #décadentisme et au #romantisme crépusculaire, Ténèbre est un premier roman brillant et résolument postmoderne, porté de bout en bout par une écriture puissante et superbe.

    https://chroniquesdesimposteurs.wordpress.com/2020/05/22/tenebre-de-paul-kawczak

    [1] À lire ici notre recension du roman de Jason Hrivnak : https://LesImposteurs/le-chant-de-la-mutilation-de-jason-hrivnak

    [2] Nous pourrions également évoquer le Paradis qu’est pour Vanderdorpe « le giron tiède » de Manon Blanche, « terre où il eût dû mourir et où il n’avait pu naître », dont il « était déchu et banni sans possibilité de rachat » (p. 134).

    [3] La couleuvre pp. 96, 127-128 ; la vipère p. 209 ; le python pp. 227-228 ; ou encore pages 292 et 299.
    [4] Pour étayer notre analyse de cet ouvrage que nous disions écrit à la manière d’un roman du XIXème, notons que le rare ténèbre, au singulier, est attesté chez Huysmans en 1887.

    [5] L’illustration de première de couverture est l’œuvre de Stéphane Poirier.

    [6] Notons quelques occurrences du motif du labyrinthe dans le texte : « Cela, que les hommes ignorent, / ou dont ils n’ont pas idée,
 / à travers le labyrinthe du cœur,/ chemine dans la nuit. » (p. 239) ; « Congo-Minotaure » (p. 86) et « le Minotaure jaune » (p. 247) à propos de Xia Xiao.

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    Plus son bateau remonte le fleuve et plus Claes réalise à quel point l’entreprise dans laquelle il s’est embarqué est folle. Pour dompter un continent, il convient de le découper, de tailler à même sa chair géographique. Instrument et victime de ce projet, Claes en fait les frais. Entre un Chinois maître-tatoueur, un père désespéré, un singe doté d’émotions, Verlaine saoul, Baudelaire agonisant et une foule de colons détestables, Ténèbre navigue dans les eaux troubles de la fin de siècle et impressionne par son réalisme foisonnant.

    Entrecroisant les destins et les lieux, Kawczak emporte son lecteur de la #jungle africaine aux trottoirs parisiens, en passant par une boucherie bruxelloise et l’université britannique de St Andrews. À l’image de ses personnages, Ténèbre est un livre charnel, désespéré, exalté, qui suinte d’humeurs et de transpiration. C’est le tableau grouillant d’un XIXe siècle malade, halluciné, en état d’ébriété, de délire mystique et poétique permanent.

    C’est aussi un hommage décalé au Coeur des ténèbres de Joseph Conrad, mais bien plus qu’une variation sur le thème, ce pastiche, au sens noble, trouve sa propre force dans une galerie de portraits splendides et misérables, dans l’évocation de tous ces pauvres êtres meurtris par l’amour et qui courent à leur perte avec panache.

    Ténèbre est un livre total, parfaitement maîtrisé, et dont la plus belle réussite, peut-être, est de nous faire ressentir physiquement les fièvres qu’endurent les personnages. Un livre malade, en somme, et hautement contagieux.

    Grégoire Courtois, Libraire Obliques (Auxerre)

    https://actualitte.com/article/5206/chroniques/tenebre-de-paul-kawczak-impitoyable-et-hautement-contagieux

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    "Ténèbre" : Paul Kawczak, détonnant voyageur
    https://www.ledevoir.com/lire/571423/fiction-quebecoise-paul-kawczak-detonnant-voyageur

    Le 23 février 1885, de triste mémoire, à l’issue de la Conférence de Berlin, une poignée de pays européens se sont partagé l’Afrique sans états d’âme. Une charcuterie géopolitique qui a notamment inspiré Congo au romancier français #Éric_Vuillard en 2012.

    D’un coup de baguette magique, un territoire de 2,3 millions de kilomètres carrés couvrant une bonne partie du bassin du fleuve Congo est ainsi devenu un État indépendant et la propriété privée de Léopold Louis-Philippe Marie Victor de Saxe-Cobourg-Gotha, dit Léopold II, qui a dirigé le Royaume de Belgique entre 1865 et 1909.

    Le temps de l’#exploration est fini. Livingstone est mort de la dysenterie en 1873 dans un coin reculé de l’actuelle Zambie en cherchant les sources du Nil. Pierre Savorgnan de Brazza, nommé commissaire général du Congo français en 1885, a la main trop douce aux yeux de certains. L’heure est venue de passer aux choses sérieuses.

    Une alliance inédite

    Au nom de l’exploitation effrénée du #caoutchouc et de l’#ivoire, « dans l’intérêt de la civilisation et pour le bien de la Belgique », sur un territoire 80 fois plus grand que le petit royaume belge, vont se répandre l’appât du gain, la terreur et les crimes contre l’humanité. Une alliance inédite entre le colonialisme et le capitalisme dans sa forme la plus sauvage.

    Au menu : mauvais traitements, #esclavage, #torture, #mutilations et dilatation des profits. Une aventure quasi génocidaire sans précédent, trop mal connue, alors que certains historiens estiment que l’aventure coloniale au Congo — qui ne deviendra une #colonie_belge qu’en 1908 — aurait fait 10 millions de morts. Le monarque « philanthrope » belge, lui, n’y mettra jamais les pieds.

    C’est la matière sombre, l’espèce de trou noir où convergent et qu’aspire tout le mal dont l’homme semble être capable, qui est au cœur de Ténèbre, le premier roman magistral et « détonnant » de Paul Kawczak.

    En donnant à son livre une puissance qui est à la hauteur de son sujet, le romancier sort de l’ombre avec éclat.

    Une plongée dans l’horreur

    Mandaté par #Léopold_II pour y « découper un territoire volé », Pierre Claes, un jeune géomètre belge originaire de Bruges, débarque en mars 1890 dans un port du Congo.

    Sur place, le géomètre va s’assurer les services de Xi Xiao, un ancien bourreau chinois adepte du lingchi — appelé aussi supplice des « cent morceaux » — venu tenter l’aventure africaine et qui y survit comme maître tatoueur et homme à tout faire.

    Cette méthode de torture raffinée qu’il pratiquait consistait à prélever par tranches fines les muscles et les organes du supplicié, engourdi d’opium, jusqu’au coup de grâce. Un art du dépeçage qui fait ici écho, à l’évidence, au saccage méticuleux de l’Afrique.

    « Jamais n’avait-on vu encore, à une telle échelle, d’organisation si rationnelle et si intéressée de la mort. En chaque coin du pays, des subordonnés de cet État mortifère et raciste, amorçant ce qui reviendrait, en dernier lieu, au suicide de leur propre civilisation, assassinaient par centaines de milliers des vies africaines qu’ils eurent voulu oublier dans les brumes de leur délire. Le sang et la boue se mêlaient au sol comme ces insectes qui s’aiment d’une étreinte mécanique et furieuse, se dévorant le cou, les yeux ouverts sur la mort, le fond impossible de la vie. »

    -- Ténèbre, de Paul Kawczak, page 246

    Fasciné par les photographies d’un de ces supplices, l’écrivain français Georges Bataille a voulu, lui, y voir une forme d’érotisme.

    À sa manière, l’auteur prend la balle au bond. Xi Xiao va tomber amoureux de Pierre Claes, qui deviendra la victime consentante de ce Chinois de la douleur et de son art de la « découpe humaine divinatoire ».

    « Jamais la mort n’avait tenté de s’emparer de manière aussi vivante et imaginative d’un corps. » Un destin que Paul Kawczak semble lier, si on s’autorise à lire entre les lignes — ce que la richesse du roman permet —, au « suicide » de la civilisation européenne.

    Père manquant, fils vengé

    Au même moment, dans un coin reculé du Congo, avant de croiser un couple de missionnaires anglais exaltés, des porteurs bantous, un serpent baptisé Léopold et #Paul_Verlaine lui-même, Pierre Vanderdorpe, un médecin belge au service d’un puissant de la Société belge du Haut-Congo, traîne une peine immense.

    Un temps amoureux de la mère de Pierre Claes, enfant qu’il avait adopté avant de disparaître sans se retourner et de faire de sa vie une peine d’amour, Vanderdorpe traîne ses regrets au milieu des fièvres et de la pourriture équatoriale.

    Pour ce médecin sans remèdes, « l’existence est une aberration » et l’homme avoue rechercher en Afrique la meilleure façon de mourir. Il va la trouver.

    Né en 1986 à Besançon, dans l’est de la France, après un détour par la Suède, Paul Kawczak vit à Chicoutimi depuis 2011, où il a soutenu en 2016 à l’UQAC une thèse de doctorat intitulée Le roman d’aventures littéraire de l’entre-deux-guerres français : le jeu du rêve et de l’action. Auteur de deux livres, L’extincteur adoptif (Moult éditions, 2015) et Un long soir (La Peuplade, 2017), il est depuis juin 2017 éditeur à La Peuplade.

    En fait de roman d’aventures, il ne fait aucun doute que Paul Kawczak connaît ses classiques. Ténèbre en fait la preuve, et l’écrivain lance un clin d’œil appuyé à #Joseph_Conrad, qui y fait une discrète apparition. Ce dernier fut marin polonais sur le vapeur Roi des Belges sillonnant le #fleuve_Congo, avant de devenir un écrivain anglais et de dénoncer lui-même en 1899 le régime d’exactions au #Congo dans Au cœur des ténèbres, sa nouvelle la plus célèbre. Récit de passions mortifères, d’amour sublimé, de catastrophes intimes et collectives, Ténèbre déploie avec force sa magie noire. Une grande part de la réussite du roman tient à ce que tous les fils du récit finissent par converger en une finale, disons, explosive.

    Aux commandes de ce roman sombre à l’écriture impeccable, dosant avec justesse l’action et la profondeur, les injustices et les vengeances, #Paul_Kawczak nous tient en haleine du début à la fin. Du grand art.

    #littérature #massacre #colonialisme #impérialisme

  • Opération Semenov

    Nous avons reçu Monique Slodzian, la traductrice de Julian Semenov ( le « John Le Carré soviétique »), à l’occasion de sa traduction ( excellente) et publication du 4ème des romans « d’espionnage historique » de Semenov, dont l’un : « Opération Barbarossa » a comme personnage central, outre le héros récurrent de la série ( Stierlitz, alias Issaïev ), la figure répugnante de Stepan Bandera, restituée (dans les années 1960) de manière aussi authentique que réaliste et tragique dans les romans scrupuleusement historiques de J.Semenov, à partir des précieuses et irremplaçables archives soviétiques ( y compris polonaises et ukrainiennes) à sa disposition, en même temps que les circonstances historiques d’époque ...

    https://www.youtube.com/watch?v=zoSQh8LxNis


    #Russie #Ukraine #littérature

  • Le génie de l’oreille
    https://laviedesidees.fr/Le-genie-de-l-oreille.html

    Donner voix aux grands textes : Éric Chartier en a fait sa vocation, aussi bien sur les planches des théâtres où il incarne à lui seul romans et essais, que dans l’élaboration d’outils pédagogiques destinés à initier le plus grand nombre à la #littérature, en surmontant l’obstacle de la chose imprimée. Julien Gracq disait de lui qu’il avait donné « un nouveau volume » à ses œuvres. Depuis plus de 40 ans, Éric Chartier interprète sur scène à lui seul de grands pans de la littérature française. Ce sont des (...) #Entretiens

    / #Arts, #Entretiens_vidéo, #théâtre, littérature, #pédagogie, #enseignement, #lecture, intelligence (...)

    #intelligence_artificielle

  • Lecture d’un extrait du livre « La maison préservée » de Willem Frederik Hermans, traduit du néerlandais par Daniel Cunin, paru aux éditions Gallimard, en 2023.

    http://liminaire.fr/radio-marelle/article/la-maison-preservee-de-willem-frederik-hermans

    Un partisan, au service de l’armée russe pendant la Seconde Guerre mondiale, se retrouve dans une ville délabrée. Il s’installe dans une maison abandonnée mystérieusement préservée. Le soldat s’y sent à l’abri. La seule chose qui lui rappelle la réalité, dans cet endroit où le temps semble s’être arrêté, ce sont les soldats allemands qui par erreur le prennent pour le propriétaire de la villa. L’absurde de la situation devient une normalité, avant que tout ne se dérègle et ne sombre dans la sauvagerie d’une farce macabre. Ce troisième roman de l’auteur traduit en français retrace le parcours d’un homme qui veut se tenir à l’écart du chaos mais finit par montrer son vrai visage, noir et cruel.

    (...) #Radio_Marelle / #Écriture, #Langage, #Livre, #Lecture, #En_lisant_en_écrivant, #Podcast, #Littérature, #Violence, #Guerre, #Solitude, (...)

    http://liminaire.fr/IMG/mp4/en_lisant_la_maison_preservee_wf_hermans.mp4

    https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Du-monde-entier/La-maison-preservee#

  • Présentation du livre « Murs d’images d’écrivains : Dispositifs et gestes iconographiques (XIXe-XXIe siècle) » d’Anne Reverseau, Jessica Desclaux, Marcela Scibiorska, et Corentin Lahouste, avec la collaboration de Pauline Basso et d’Andres Franco Harnache, paru aux Presses Universitaires de Louvain, en 2023

    http://liminaire.fr/livre-lecture/article/murs-d-images-d-ecrivains

    Le mur d’images est un objet-clé du rapport de l’écrivain à la culture visuelle. Le livre Murs d’images d’écrivains explore cette relation et son évolution constante depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui, de Colette à Yannick Haenel, en passant par Roger Martin du Gard, Louis Aragon, Simone de Beauvoir, Claude Simon, Marguerite Duras ou Ramón Gómez de la Serna. Les pratiques d’accrochages iconographiques des écrivains, à travers leurs espaces de travail, les agencements des œuvres disposées sur les murs de leurs bureaux, les montants et les étagères de leurs bibliothèques, depuis les collections de gravures des frères Goncourt aux murs numériques de Philippe De Jonckheere. (...)

    #Radio_Marelle / #Écriture, #Langage, #Livre, #Lecture, #En_lisant_en_écrivant, #VendrediLecture, #Littérature, #Ecrivains, #Art, #Bibliothèque, #Numérique (...)

    https://pul.uclouvain.be/book/?GCOI=29303100103310

  • Gustave Roud : un poète que j’ai découvert il y a peu, grâce à une correspondance avec Philippe Jaccottet. Une émission aujourd’hui sur RFI (De vives voix) m’inspire ce partage :

    Publication critique des Œuvres complètes du poète, traducteur, critique et photographe Suisse romand, Gustave Roud (1897-1976)

    https://www.fabula.org/actualites/109987/gustave-roud-uvres-completes-sous-la-dir-de-claire-jaquier.html

    – Le volume 1 (1456 pages) comprend les œuvres poétiques : recueils, textes publiés en revue et textes inédits.

    – Le volume 2 (1088 pages) rassemble l’essentiel des Traductions : recueils consacrés à #Novalis, #Hölderlin, Rilke, Trakl dont Roud est un des premiers traducteurs en français ; traductions publiées en revue ou dans des volumes collectifs – notamment de #Wilhelm_Müller, #Goethe, #Clemens_Brentano, #Hildegard_von_Bingen ou encore #Eugenio_Montale.

    – Le volume 3 (1280 pages) livre les notes de journal (1916-1976) dans toute leur diversité archivistique – feuillets épars, manuscrits et dactylogrammes, carnets, cahiers, agendas. Événements du jour, réflexions sur soi, descriptions de paysages, projets, propos sur l’art, poèmes…

    – Le volume 4 (1296 pages) réunit l’ensemble des articles et études critiques que Roud a consacrés, tout au long de sa vie, à des poètes, écrivains et peintres, le plus souvent contemporains.

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    Quand le Journal de Gustave Roud ouvre l’accès à toute l’Oeuvre.
    https://www.revuelepassemuraille.ch/quand-le-journal-de-gustave-roud-ouvre-lacces-a-toute-loeuvre

    Dans les coulisses du chantier Gustave Roud
    Les « Œuvres complètes » du grand écrivain romand sont désormais publiées chez Zoé. Claire Jaquier et Daniel Maggetti évoquent cet ambitieux projet qu’ils ont codirigé.
    https://wp.unil.ch/allezsavoir/dans-les-coulisses-du-chantier-gustave-roud%EF%BF%BC

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    « Œuvres complètes » du poète Gustave Roud, l’amour est dans le blé (Libération)

    « Je marche dans mes rêves anciens, mes pensées anciennes », écrit le poète suisse romand Gustave Roud. Mais où commence le rêve, où démarre la pensée chez cet homme toujours par les chemins du Haut-Jorat, région de collines douces, le berceau de toute une vie ? En janvier 1942, il note dans son journal un rêve tout neuf. Dans la grande ferme de Carrouge, héritée de la famille paysanne maternelle, Roud dort sous les combles. Sa sœur aimée, Madeleine, est là. C’est une « vieille fille », comme lui est « vieux garçon ». Il y a aussi la tante Clara, insupportable par ses bouderies. Gustave Roud endormi voit un homme remplir sa bouche de vers luisants « et une voix me dit que de cette bouche illuminée (que je voyais toute phosphorescente) devait sortir la voix des morts ». Dans sa vie éveillée, le poète né en 1897 cherche aussi à abolir le temps, à effacer ce qui sépare les morts des vivants. « Je suis fait d’absences et de présences », note-t-il et parfois il croit sentir celle de sa mère, disparue en 1933.

    Avec la marche à pied véritable, #Gustave_Roud trouve une manière d’exténuer le corps, état propice à l’illumination poétique. Depuis une « ballade » de quatre jours alors qu’il avait 19 ans, il a pris le goût de cette ivresse, qui le fait se sentir en adhérence avec le paysage, avec les arbres, les bêtes croisées. Il aime s’enfoncer dans la nuit, sa canne à la main et en compagnie de son « ombre trébuchante ». Mais c’est à la lumière du jour, que les paysans du #Haut-Jorat ont pris l’habitude de voir sa mince et longue silhouette vêtue comme à la ville, équipée de calepins – il écrit surtout dehors, assis sur un banc, un tronc – et d’un appareil photo.

    Romantisme allemand

    Gustave Roud est une des voix majeures de la poésie suisse romande. La publication d’un livre de #Philippe_Jaccottet chez Seghers en 1968 lui a permis de dépasser les frontières nationales. Pourtant il reste un peu méconnu en France. La publication cet automne chez Zoé de ses œuvres complètes rend honneur à l’ampleur de son travail d’écriture. Quatre volumes sont présentés en coffret : les œuvres poétiques, le journal, les traductions (les romantiques allemands, #Rilke, #Trakl), et ses critiques artistiques et littéraires. De nombreuses passerelles permettent de circuler entre les volumes, Gustave Roud aimait les reprises et puisait dans son journal pour composer ses recueils.

    Le poète n’était pas aussi reclus qu’on a pu le dire. Ami de Ramuz notamment, autre écrivain du monde rural, il participait à des remises de prix, des jurys et œuvrait dans des revues, à un moment de particulière effervescence de la littérature suisse romande. Pour cela, il effectuait « la traversée », prenait un vieux tram brinquebalant le menant en une heure à Lausanne. Mais le cœur de Gustave Roud, poète à l’inquiétude fondamentale, n’était pas en ville. Ce qui l’intéresse avant tout, ce sont les andains, les rangées d’herbe fauchée, les murs de céréales abattus pendant la récolte, et les personnages qui habitent ces paysages de l’été  : les « moissonneurs fauves ». Il les photographie en plein travail avec leur assentiment, torses nus, ils sont ses amis paysans. Toute sa vie, Gustave Roud, dont l’homosexualité n’a jamais été nommée, ira ainsi d’un amour secret à un autre. Le désir érotique se retrouve clai­rement, exalté, dans sa poésie. Comme dans Bain d’un faucheur du recueil Pour un moissonneur. Premières strophes  : « Un dimanche sans faux comblé de cloches pures / Ouvre à ton corps brûlé la gorge de fraîcheur / Fumante, fleuve d’air aux mouvantes verdures / Où tu descends, battu de branches et d’odeurs. / Ce tumulte de lait dans la pierre profonde / De quel bouillonnement va-t-il enfin briser / L’âpre bond de ta chair ravie au linge immonde / Vers une étreinte d’eau plus dure qu’un baiser  ! »

    Un personnage dénommé Aimé, composite de ses amis paysans, mais surtout inspiré par le premier, Olivier Cherpillod, est au cœur de l’œuvre. La poésie va prendre en charge ce que dans la vie réelle Roud ne pouvait exprimer. Le poète est plus explicite dans le Journal, même s’il se cache derrière la notion d’amitié. Son besoin inassouvi de la présence d’Olivier, Fernand, Robert, René, au total une douzaine d’hommes au long d’une cinquantaine d’années, le renvoie à ce qu’il appelle sa « différence ». Il parle de la beauté des visages, du lisse des torses, des bras gonflés. Il aimerait pouvoir toucher ces épaules, ces mains, mais ne le peut pas. Journal, octobre 1926 : « Tu marches avec des branchages sur un labour aux vives arrêtes de terre sombre […] un linge bleu s’entrebâille sur cette poitrine nue où je voudrais tant poser sans rien dire ma tête écouter battre ce cœur digne de vivre digne d’être heureux. »

    Le poète a laissé un corpus de 13 000 images

    Sous le prétexte de promenades, il se rend chez l’un, chez l’autre (suscitant parfois l’hostilité des femmes de leur famille), il connaît « la honte des bras ballants », parfois il participe un peu aux travaux des champs. Il y a de beaux moments de compagnonnage, en particulier avec Olivier  : Olivier fauchant, Olivier se rasant, Olivier tressant des paniers d’osier. Mais surtout Roud photographie. Le poète a laissé un corpus de 13 000 images. Il a appris par son père, paysan éclairé, le maniement des appareils. Il développe et agrandi lui-même ses clichés dans une petite pièce de la maison de #Carrouge. Du noir et blanc majoritairement, mais aussi des clichés couleur, des autochromes.

    Fernand Cherpillod, neveu d’Olivier Cherpillod, est un modèle de ­premier ordre. Il aime poser, se plie à des mises en scène de paysan au travail. Certains clichés sont typiques, avec leur contre-plongée, d’une esthétique des années 30 célébrant les corps en pleine nature. Pour Roud, au-delà du désir non dit, il y a l’idée toute poétique d’hommes devenus des intercesseurs d’un monde paysan glorifié, d’une harmonie touchant à l’éternité. Dans son dernier recueil, Campagne perdue, il dira tout son désarroi devant la modernisation de l’agriculture, qui tue des gestes ancestraux, casse des accords anciens avec la nature.

    Gustave Roud est alors un homme vieillissant. Il se sent dépossédé, tandis que sa notoriété est grandissante. Des jeunes écrivains font le pèlerinage à Carrouge, comme Jacques Chessex ou Maurice Chappaz. Une photo les montre avec leurs trench-coats, venus sur une « motocyclette » – le bruit effraie Roud. En 1965, il a les honneurs d’un film diffusé à la télévision. Un moyen métrage signé du cinéaste Michel Soutter. La caméra explore la maison : la cuisine, le corridor, le bureau, les murs où sont disposées les photos des amis paysans, le salon. L’ambiance est un peu spectrale. Roud apparaît vulnérable. On le voit à la fin, comme un monsieur Hulot un peu guindé, partir dans le jardin. Michel Soutter interroge la sœur, gauche aussi. Elle parle d’intérêt pour le cosmos. Le jeune romancier suisse Bruno Pellegrino a poursuivi cette piste dans une très belle fiction biographique sur le « couple » Roud. Son roman, sorti en 2019, Là-bas, août est un mois d’automne, redonne une visibilité à Madeleine.

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    #Claire_Jaquier : « Gustave Roud puise dans son journal, en partie son atelier de création »

    Huit chercheurs ont été mobilisés pendant quatre années pour permettre la sortie des Œuvres complètes de Gustave Roud. A leur tête : en codirection avec Daniel Maggetti, Claire Jaquier, professeur émérite de littérature à l’université de Neuchâtel, en Suisse. Libération l’a interviewée.

    Comment est né ce projet de publication ?

    C’était nécessaire, il n’existait pas de véritables œuvres complètes. Un très petit coffret Gustave Roud était paru en 1978 mais il ne comprenait que les dix recueils de poésie, sans aucune note. Des textes sont ensuite sortis en poche de manière très dispersée. Il y a eu aussi des publications de correspondance, de textes critiques et, progressivement, on a pris conscience de l’extrême richesse des archives qui permettent de comprendre cette œuvre. Grâce au Fonds national suisse de la recherche scientifique, notre équipe de chercheurs a pu travailler pendant quatre ans et réunir cet immense matériau documentaire pour mener à bien une édition complète, génétique et critique.

    La découverte du Journal a été présentée comme une surprise à la mort de Roud…

    Philippe Jaccottet, exécuteur testamentaire de l’œuvre, disait qu’il ne savait pas que Roud tenait un journal. Il est probable que Roud ne le lui a pas dit formellement mais il ne pouvait pas l’ignorer car un certain nombre de textes parus dans des revues portent comme titre « Notes de journal ». Je pense que ce qui a incité Jaccottet à tenir un tel propos, c’est que Roud ne lui a donné aucune consigne sur l’avenir de son œuvre et n’a pas dit un mot du Journal. Il était donc un peu mal à l’aise, d’autant plus qu’il s’est rendu compte en le lisant à quel point il y avait des choses intimes qui étaient dites et cela le gênait peut-être lui-même, d’où sa première édition, partielle, en 1982 chez Bertil Galland.

    Pourquoi y trouve-t-on ce doute permanent, cette inquiétude ?

    C’est une œuvre magnifique, mais qui a une couleur sombre. Lorsque j’ai édité le Journal en 2004 avec Anne-Lise Delacrétaz chez Empreintes, en deux volumes couvrant les années 1916 à 1971, j’ai avancé l’hypothèse que cela avait une origine liée au genre diariste. Au XVIIIe siècle, en pays protestant, comme la confession n’existait pas, la pratique du journal était en fait recommandée aux croyants comme exercice d’examen de conscience, on les invitait à creuser leur intimité, leur moi. Et il n’est pas exclu que cette tradition colore le journal de Roud. C’est peut-être ce qui explique qu’il y apparaît chroniquement insatisfait, mais il ne faudrait pas en induire que tout son tempérament était là, il pouvait être gai, espiègle, plein d’humour, on le voit dans sa correspondance.

    Est-il exact que le Journal est le réservoir de tous les autres textes ?

    Ce n’est vrai que pour certains textes. Il constitue une part seulement de l’atelier de création. Roud puise dans son journal, mais souvent il va en tirer juste un paragraphe, quelques phrases, ou un petit texte. Ce qui constitue le corps de beaucoup de recueils de Roud ce sont de longues proses poétiques, dont des premières versions sont parues dans des revues. Il s’est rendu compte très tôt que la stimulation de ces commandes où il était forcé de remettre la copie à temps lui était indispensable. Dans le premier volume de notre édition, Œuvres poétiques, nous donnons 120 textes publiés initialement en revue, et donc devenus inaccessibles.

    On est frappé par le nombre de reprises, au fil de la lecture…

    Il y a beaucoup de reprises, parce que notre parti pris est de privilégier la logique documentaire, les supports. Gustave Roud pour son journal utilisait des cahiers, et aussi des carnets, des feuilles volantes, des agendas. Puisant dans son journal pour écrire des textes, souvent il recopie certaines phrases issues d’années différentes, parfois il dactylographie de grands ensembles de notes, donc on dispose de dactylogrammes. Cela montre que Roud reprenait ce matériau de manière continue. L’atelier de création de Roud, c’est très souvent de la reprise. Il donne lui-même le titre de « Rhapsodie », en 1931, à une sélection de textes réunis, ce qu’aujourd’hui on appellerait le couper-coller. Il aime beaucoup rassembler des textes anciens, ôter quelquefois juste deux phrases et les intégrer dans un nouveau contexte, il fait ça constamment.

    Pour revenir à la #poésie, n’y a-t-il pas un tournant du lyrisme à partir du recueil Adieu ?

    Adieu est très particulier, Roud est encore sous l’influence de la grande poésie symboliste française, il a eu de la dévotion pour #Mallarmé autour de l’âge de 20 ans. Adieu se sent encore de cette influence, la poésie comme haut langage, à la limite de l’hermétisme et puis il se défait de cette influence, il voit que cette pureté ne lui convient pas. Il a abandonné assez vite le vers et adopté cette prose lyrique qui ne va pas vraiment changer. Il y a une signature stylistique de Roud, des phrases amples, mélodieuses, syntaxiquement charpentées, qui produisent un effet de lenteur et de douceur. Je ne fais que redire ce que beaucoup de critiques de l’époque ont dit, l’un d’eux parlait d’une prose d’une obsédante douceur. Il y a aussi une gravité du ton constante. La phrase roudienne, est souvent longue, avec des subordonnées qui s’enchaînent et qui retombent bien, on observe aussi de fréquents jeux avec les sonorités. Même si l’œuvre évolue, si le contenu change, si le lyrisme se modifie, cette voix particulière est reconnaissable du début à la fin.

    #journal_intime #poète #suisse_romande #poésie #littérature

  • 13 mars 1954 : les combattants vietnamiens attaquent le camp retranché de Diên-Biên-Phu

    À lire sur cet événement ce #chef_d'oeuvre de la #littérature contemporaine : « Une sortie honorable », d’Eric Vuillard (Actes Sud)

    Vuillard, au-delà de l’histoire (par Hugo Pradelle)

    Une sortie honorable, le nouveau livre d’#Éric_Vuillard consacré à l’#Indochine française, se lit avec ses autres récits. C’est d’une relation cohérente de ses livres les uns avec les autres qu’émerge une manière singulière, décalée et obstinée de raconter l’histoire et de penser un geste littéraire et moral assurément fort.

    https://www.en-attendant-nadeau.fr/2022/01/19/vuillard-histoire

    « Une sortie honorable », d’Eric Vuillard (par Camille Laurens)

    « L’histoire est un roman vrai », disait l’historien Paul Veyne. Une telle assertion, floutant la frontière désormais poreuse entre fiction et non-fiction, pourrait justifier la mention « roman » sur le nouveau livre d’Eric Vuillard, Une sortie honorable. Celui-ci lui a pourtant préféré, comme pour ses précédents ouvrages fondés sur des faits historiques, le mot « récit ». Sans doute est-ce pour souligner à la fois la relative brièveté du texte eu égard à l’ampleur des événements racontés – la guerre d’Indochine –, la place qu’y tient l’auteur et le refus de toute invention. Le récit, loin d’une vaste fresque à la Tolstoï, choisit de mettre en perspective quelques journées et personnages en déplaçant la focale et la lumière sur des moments obscurs, néanmoins décisifs. Congo et 14 juillet (Actes Sud, 2012 et 2016) proposaient déjà ce choix narratif, tout comme L’Ordre du jour (Actes Sud, prix Goncourt 2017), qui montrait l’ascension du pouvoir nazi dans les années 1930 à travers différents épisodes méconnus ou apparemment anecdotiques.

    La guerre d’Indochine de 1946 à 1954, rebaptisée « guerre du Vietnam » de 1955 à 1975, très long conflit dans lequel deux grandes puissances mondiales furent vaincues par un tout petit pays, est peu étudiée dans les programmes scolaires. La pédagogie de Vuillard, qu’on sent à l’œuvre – parfois un peu trop –, consiste à expliquer le déroulement des faits en juxtaposant des scènes qui rendent lisibles causes et conséquences. Ainsi, les premières pages décrivent une plantation de caoutchouc en 1928 et la torture de trois coolies, ligotés par un contremaître avec du fil de fer, après avoir tenté d’échapper aux cadences infernales. « C’était une scène d’épouvante », surligne l’auteur. Puis il enchaîne avec la réunion, quelques années plus tard, d’André Michelin et de F. W. Taylor, le théoricien du management industriel. Une troisième scène montre le président de l’Assemblée nationale, Edouard Herriot, rendant hommage à « nos héroïques soldats » en Indochine.

    L’efficacité de ce montage est redoutable. Le dispositif repose essentiellement sur une opposition entre nantis et dominés, soutenue par une idée simple et juste : l’histoire bâtit toujours « cet immense édifice qu’est le pouvoir » grâce à la même « immense communauté de poncifs, d’intérêts et de carrières ». Aussi Vuillard présente-t-il tous les puissants – ceux qui savent qu’ils auront « des rues à [leur] nom » – par une sorte de fiche généalogique où les alliances ont quelque chose d’incestueux et où « un bel héritage est pris pour un destin ». L’une des dernières scènes du récit dépeint les membres du conseil d’administration de la Banque de l’Indochine, le « fil d’or » qui les lie à la fin de la guerre après qu’ils ont « spéculé sur la mort » : « On perdait en gagnant et en gagnant prodigieusement », « le dividende était multiplié par trois. Il était rigoureusement proportionnel au nombre de morts. » [...]

    Reste que la #guerre, d’être décrite en coulisse plus que sur le terrain, froide mécanique d’intérêts, n’en est que plus terrifiante. Certes, à #Dien_Bien_Phu, « on crève de partout. On recule de trou en trou, on empile des cadavres pour se protéger ». Mais « si l’on veut vraiment connaître l’horreur (…), il faudrait pouvoir pénétrer en silence dans le bureau où causent Eisenhower et Dulles ». Vuillard nous invite à prolonger notre réflexion en mettant son tressage subtil en regard des tragédies contemporaines. Car l’histoire n’est pas du passé, c’est d’ailleurs souvent au présent qu’il nous la raconte. Déjà, La Guerre des pauvres (Actes Sud, 2019) suggérait un parallèle entre le soulèvement des paysans allemands au XVIe siècle et le mouvement des « gilets jaunes ». De même, Une sortie honorable, dont le titre ironique reprend un syntagme figé cher aux politiques et aux militaires, interroge tacitement la façon dont la France négocie son retrait de conflits sanglants – au Mali, en Afghanistan… – au mépris de toutes les valeurs humaines et tout particulièrement de l’honneur. Le récit d’Eric Vuillard, par sa force de conviction, tient allumé en nous « ce petit lampadaire qu’on appelle la conscience ».

    https://www.lemonde.fr/livres/article/2022/01/13/une-sortie-honorable-d-eric-vuillard-le-feuilleton-litteraire-de-camille-lau

    #impérialisme #colonialisme #crétinerie #armée_française #Diên-Biên-Phu

    • Dien Bien Phu (Lutte de classe n°61 - 12 mars 1963)

      Le 13 mars 1954, le premier jour de l’attaque du camp retranché de Dien Bien Phu.

      Ce nom, mais personne ne le savait encore, devait devenir le symbole de la défaite de l’impérialisme français par le mouvement de libération nationale du peuple vietnamien. Effectivement, l’imprenable Dien Bien Phu dont l’armée française était si fière devait capituler après 55 jours de combats.

      En fait l’armée française et le commandant de Castries, commandant de la place attendaient cette attaque et même la souhaitaient, persuadés que le Vietminh ne pourrait concentrer suffisamment de forces pour sortir victorieux d’une bataille rangée « classique ».

      C’est délibérément que le commandement français avait choisi la cuvette de Dien Bien Phu dans cet arrière-pays montagneux. Il voulait obliger Giap, commandant les troupes #Vietminh à attaquer de front. Sa cécité politique l’empêchait de voir la croissance de l’armée vietminh. Pour nos militaires bornés, la « guérilla » était la forme spécifique de la guerre révolutionnaire. Dans leur esprit, il suffirait d’obliger les « rebelles » à abandonner cette tactique, à changer de méthodes de combat et alors la supériorité technique de l’armée française les écraserait.

      Mais la « guérilla » n’est pas une tactique relevant d’une idéologie particulière. C’est tout simplement un mode de combat utilisé contre un adversaire plus fort militairement que l’on ne peut affronter directement. Même Duguesclin n’avait pas « inventé » la guérilla.

      Toutes les populations occupées par des forces étrangères ont utilisé la « #guérilla » qui consiste à se battre avec ce qu’on a, à faire de sa faiblesse une force, à attaquer par surprise avec des forces faibles mais rapides, très mobiles, échappant à l’adversaire dès le coup de main réalisé. C’est une tactique de harcèlement qui rend une occupation de territoire invisible lorsque toute la population s’en mêle mais qui n’est pas spécifique des révolutionnaires, tout au plus caractérise-t-elle le début des insurrections populaires en particulier dans les pays coloniaux. Mais dès qu’un mouvement peut disposer d’armées ressemblant à celles de l’adversaire, il le fait. C’est ainsi que le mouvement vietminh essaya de renforcer ses troupes. Dès 1950-51 lorsqu’il eut un peu de matériel du la Chine, notamment des camions, les longs cortèges de coolies-soldats se modernisèrent. Les canons, mortiers, armes lourdes, essentiellement pris dans des coups de main contre l’armée française, plus les armements fabriqués par le Vietmninh dans le pays commencèrent à faire des forces vietminh non plus des corps de guerilleros, mais une armée capable d’attaquer des places fortifiées.

      L’armée vietminh n’avait encore jamais attaqué une place forte de l’importance de Dien Bien Phu, mais, alors que le commandement français s’imaginait avoir construit un piège pour le Vietminh, un observateur attentif aurait pu pressentir la vanité de ce piège. Dien Bien Phu n’était cependant pas si facile à prendre. Et il fallut l’héroïsme et l’enthousiasme des troupes combattant pour leur libération pour vaincre dans un tel combat.

      Dien Bien Phu est une cuvette de 10 km de long et de 3 à 6 km de large, au milieu d’une chaise de très hautes montagnes, bordée de petites collines à la base. Dans la cuvette, le village de Muong Thanh et deux camps d’aviation. Au Nord, trois postes fortifiés avec chacun un bataillon. Au centre et à l’est, deux sous-secteurs, à l’ouest 30 points fortifiés. Au Nord le poste de Him Lambarre l’unique voie carrossable jusqu’à Muong Thanh. Le commandement français comptait essentiellement sur l’aviation.

      Pour le Vietminh il était impossible de ne pas attaquer cette place fortifiée en plein coeur du pays. Et ce fut le long travail de préparation en vue de l’épreuve de force déterminante.

      Les unités vietminh venues du Delta tonkinois durent effectuer 400 km pour approcher du camp. Il fallut quinze nuits de marche, en essayant de perdre le moins d’hommes et d’armement possible. Il y avait des récompenses pour l’unité qui arriverait au complet (un taureau).

      C’était la première campagne où les Viets engageaient des batteries de 105 et de la D.C.A. Les pièces de deux tonnes, remorquées derrière des camions sur roues, devaient, dans les montagnes, être tirées à bras, le poste d’Him Lam barrant la route 41, il fallut creuser à flan de montagne des routes carrossables pour les camions, ceci sur douze kilomètres, en passant trois cols. Il fallut sept nuits pour hisser sur les cols ces tonnes d’acier. La descente des cols fut encore plus pénible et exigea vingt nuits. Comme l’aviation française patrouillait le jour, bombardant et arrosant de Napalm les montagnes, pour les soldats Viets, il fallait rester dans son trou individuel toute la journée pour se protéger des bombardements, et, la nuit, creuser la terre et assurer le camouflage. Ils avançaient de 500 mètres ou un kilomètre par nuit, sur la fin.

      La construction des voies de communication nécessitait un gros effort car pour cela les soldats terrassiers n’avaient pas d’outillage. Pourtant, il fallait combler des rivières de quarante à cinquante mètres, attaquer des parois rocheuses, abattre d’énormes arbres. L’ingéniosité était indispensable. Pour abattre les arbres, ils mettaient à nu les racines puis les tranchaient avec des coupe-coupes, afin que l’arbre déraciné s’abatte tout seul.

      Le ravitaillement posait un gros problème. L’armée Vietminh avait des fourneaux spéciaux brûlant sans fumée pour ne pas être repérables de jour par l’aviation, mais, la nuit, ils l’étaient par la clarté du foyer et sous le bombardement, le riz était consommé cru ou brûlé, mais jamais cuit. L’armée se nourrissait en forêt de racines d’ignames, (les paysans pauvres étaient les « meilleurs spécialistes » pour les trouver). Un chantier de pêche fut créé.

      Pendant ce temps, les troupes françaises pilonnaient et incendiaient les forêts. Des bataillons attaquaient un peu dans toutes les directions. La colline 75 changea onze fois de camp, Mais l’encerclement Vietminh se poursuivait.

      La victoire ne fut arrachée qu’au prix d’énormes travaux de retranchement. Tout le front Vietminh n’était qu’une immense tranchée, Le mot d’ordre était « sans tranchée pas de combat ». Le camouflage posait un gros problème de par les grosses quantités de bois qu’il fallait aller chercher à des kilomètres dans la forêt. Mais, peu à peu, le front Vietminh s’approchait auprès des fortifications françaises, malgré les sorties des paras français, sorties effectuées plusieurs fois par jour, sous la protection des blindés, pour essayer de combler les boyaux ou de les piéger. Malgré cela, l’étau se resserrait de plus en plus.

      Le 13 mars 1954 l’attaque est déclenchée par le vietminh. l’assaut à lieu contre le poste de him lam (béatrice) occupé par le 3e bataillon de la division blindée et de la légion etrangère. c’est un poste clé pour la protection des terrains d’aviation de muong thanh. il comprend trois collines derrière un réseau de barbelés large de trente à quarante mètres. a 16 heures l’armée vietminh ouvre le feu. a la tombée de la nuit les groupes de choc vont avec les explosifs faire sauter les barbelés. après 6 heures de combats hin lam est occupé par le vietminh. doc lap (gabrielle) sera attaquée et occupée le 14 avril. l’ultime assaut sera donné à partir du 18 avril, et le 7 mai, la bataille de dien bien phu prendra fin.

      Dans ce combat où l’inégalité de l’armement et du matériel est frappante, malgré les quelques pièces lourdes de l’armée Vietminh, la participation et le dévouement des masses vietnamiennes fut l’élément déterminant de leur victoire, D’une part, l’armée vietminh était numériquement bien plus importante que les troupes stationnées en Indochine (150 000 hommes) et, d’autre part, chaque paysan et paysanne vietnamien, constituait un soutien à l’armée de libération. L’héroïsme et le dévouement du peuple vietnamien luttant pour son indépendance étaient reconnus même par la presse réactionnaire de métropole.

      Par contre, les troupes françaises, elles, se battaient pour une « sale guerre » vomie par une partie de plus en plus grande de la population française et leur combat était à l’avance désespéré.

      Après Dien Bien Phu l’armée française était loin d’être rejetée à la mer, mais la métropole ne pouvait supporter de transformer son « opération de police » assurée par l’armée de métier et les volontaires en guerre ouverte et y envoyer le contingent,

      Ce fut la raison pour laquelle Dien Bien Phu sonna le glas du colonialisme français.

      https://mensuel.lutte-ouvriere.org/documents/archives/la-revue-lutte-de-classe/serie-1960-1963/article/dien-bien-phu

      #archiveLO

  • Roman vrai

    David Joy trace les dessins de vies sans espoir autre que les paradis artificiels pour faire semblant de vivre. Comment survivre dans les Appalaches ? Le désespoir se niche dans les paysages, dans ces contrées étranges où le monde lui-même semble avoir disparu, englouti dans on ne sait quel puits dont la trace s’est perdue. La solidarité, l’amour n’ont pas perdu leurs droits mais ils restent dilués dans des silences serrés comme si les mots restaient collés à la terre, désespérés eux aussi.

    note sur : David Joy : Nos vies en flamme

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/03/11/roman-vrai

    #littérature #roman

  • Lecture d’un extrait du livre « Touché » de Pascalle Monnier, paru aux éditions P.O.L., en 2023.

    http://liminaire.fr/radio-marelle/article/touche-de-pascalle-monnier

    Lorsqu’on est réduit à plusieurs mois d’immobilité forcée, la rééducation est nécessaire. Aussi bien physique que morale dans cet ouvrage où l’infinitif repousse l’injonction. Un programme libre réunissant une variété de pensées, de désirs, d’aveux, de souvenirs, de souhaits et de résolutions. « Accomplir chaque jour sa to-do list de la veille. Renoncer à l’espoir de n’éprouver ni remords ni regrets. Ne plus se mesurer à chaque personnage dont on lit la biographie. Ce texte prend la forme d’une liste, rédigé à l’infinitif (un temps neutre, impersonnel, le temps de tout le monde) une manière de s’échapper du biographique et du psychologique, une introspection qui résonne en nous tous. »

    (...) #Radio_Marelle / #Écriture, #Langage, #Livre, #Lecture, #En_lisant_en_écrivant, #Podcast, #Littérature, #Liste, #Infinitif (...)

    http://liminaire.fr/IMG/mp4/en_lisant_touche_pascalle_monnier.mp4

    https://www.pol-editeur.com/index.php?spec=livre&ISBN=978-2-8180-5691-2

  • J-M. G. Le Clézio : l’écriture pour agir et faire savoir
    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/bienvenue-au-club/bienvenue-au-club-emission-du-mardi-07-fevrier-2023-5757113

    L’écrivain Jean-Marie Gustave Le Clézio, Prix Nobel de littérature (2008), publie Avers (Gallimard, février 2023), un recueil de nouvelles dédié aux « indésirables », aux invisibles que l’on ne veut pas voir.à ceux que l’on relègue aux marges.

    L’occasion de revenir sur son parcours d’écrivain voyageur ou sur les possibles de la littérature aujourd’hui.

    https://rf.proxycast.org/ae6c063c-145e-4e14-abbd-7056770e6866/12360-07.02.2023-ITEMA_23280891-2023C49161S0038-21.mp3

    #littérature #J.M.G._Le_Clézio #Le_Clézio #Olivia_Gesbert

  • Pour ceusses qui sont dans la BD SF etc : 3h avec Pierre Christin (1/3) | ARTE Radio
    https://www.arteradio.com/son/61675816/pierre_christin_1_3

    Le 2
    https://www.arteradio.com/son/61675828/pierre_christin_2_3

    Et le 3
    https://www.arteradio.com/son/61675840/pierre_christin_3_3

    Né en 1938 à Saint-Mandé (Val-de-Marne), Pierre Christin est l’un des scénaristes majeurs de la bande dessinée européenne. Souvenons-nous, en premier lieu, de sa saga spatio-temporelle au rayonnement international : « Valérian et Laureline », avec les dessins intersidéraux de Jean-Claude Mézières, dès la fin des années 60. Puis des premiers albums exceptionnels d’Enki Bilal, de « La Croisière des oubliés » à « Partie de chasse », en passant par son préféré : « Les Phalanges de l’Ordre noir », sur la réunion d’anciens membres des Brigades internationales pour un dernier baroud d’honneur contre des terroristes chrétiens.

    #Pierre_Christin #BD #bande_dessinée #littérature #interview

  • Lecture d’un extrait du livre « Le capital, c’est ta vie » de Hugues Jallon, paru aux éditions Verticales, en 2023.

    http://liminaire.fr/radio-marelle/article/le-capital-c-est-ta-vie-d-hugues-jallon

    Hugues Jallon raconte l’effondrement psychique d’un personnage pris entre des crises de panique et des accès de dépression, ravagé par l’emprise destructrice des logiques de marché, du libre-échange, du capital. C’est dans sa forme poétique et diffractée que ce roman parvient à saisir et dénoncer cette crise générale que nous traversons, en l’abordant d’un point de vue intime, s’opposant à l’uniformisation de la prose du monde, à la standardisation à laquelle l’économie nous condamne. En déstructurant son récit en différents fragments qui se font écho, Hugues Jallon parvient à le faire imploser de l’intérieur, par la variété de ses formes, qui oscillent entre récit et vers libres, évocation historique et considérations économiques, jusqu’à l’explosion de la scène finale qui offre une perceptive radicale. (...) #Radio_Marelle / #Écriture, #Langage, #Livre, #Lecture, #En_lisant_en_écrivant, #Podcast, #Littérature, #Capitalisme, #Politique, #Économie, #Société (...)

    http://liminaire.fr/IMG/mp4/en_lisant_le_capital_c_est_ta_vie_hugues_jallon.mp4

    http://www.editions-verticales.com/fiche_ouvrage.php?id=475

  • Lire : Bruel, « L’aventure politique du livre jeunesse »
    https://www.unioncommunistelibertaire.org/?Lire-Bruel-L-aventure-politique-du-livre-jeunesse

    Concentration des entreprises éditoriales, frilosité des structures invitant des auteurs et autrices (et leur procurant d’indispensables revenus « accessoires »), crainte de mobilisations polémiques sur les réseaux sociaux, expliquent le « nivellement idéologique », « une autorégulation plus ou moins consciente tant chez celles et ceux qui créent qu’au sein des maisons d’édition qui n’apprécient pas toutes d’être vilipendées, fût-ce par des imbéciles ».

    Il établi le constat que « le mot politique étant un répulsif puissant, l’association jeunesse et politique hérisse. Elle convoque aussitôt une légion de spectres : la propagande, la sournoise persuasion, l’embrigadement viral… » Aujourd’hui, « l’évitement des enjeux de la politique dans les publications jeunesse et un “enseignement moral et civique” programmé dans le secondaire concourent à la pérennisation de la démocratie représentative, système politique présenté comme idéal et sans alternative. » Aussi, lorsque les productions jeunesse prétendent aborder la politique, elles traitent avant tout et essentiellement des institutions de la Vè République  !

    #littérature #livres_jeunesse #culture #politique #politiquement_correct

  • Quelque chose se tait qui coupe en deux l’existence de ceux qui restent

    « revenant – venant de loin, du fonds des cartons, des mémoires – revenant par des chemins creux, des échappées – et ensuite, et encore »

    Brigitte Mouchel tisse une histoire de famille avec des fils de prose-poèmes, « des silences et des plis », une histoire désaccordée à la chronologie dispersée. Des cartons ouverts, des documents jaunis, des photographies, des traces de vies, « les cailloux blancs sont restés au fond des poches ». Des enfants, des femmes, des hommes, quels liens pourraient être établis entre elles et eux ?

    Des indices, « trahir la loi qui cache ce qui tremble », des instants figés de mémoire, « la mémoire réfugiée dans les jardins », les marches d’une maison, des souvenirs « loin en avant », des images, des portraits, les fragiles et la fragilité, « ils n’ont de cesse de taire la part tragique / ils empêchent le possible de vivre / ils cachent le fragile ».

    note sur : Brigitte Mouchel : Déplier les silences

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/02/12/quelque-chose-se-tait-qui-coupe-en-deux-lexist

    #littérature

  • Lecture d’un extrait du livre « Double V » de Laura Ulonati, paru aux éditions Actes Sud, en 2023.

    http://liminaire.fr/radio-marelle/article/double-v-de-laura-ulonati

    Deux sœurs. Deux personnalités. Deux destins bien différents. Laura Ulonati explore dans ce récit subjectif les multiples facettes de la relation entre sœurs et plus précisément, celle qui unissait Vanessa et Virginia Stephen, plus connues sous les noms de Vanessa Bell et Virginia Woolf. Ce roman est centrée sur Vanessa, la peintre, la sœur ainée, sur sa difficulté à se faire une place et à la conserver auprès de Virginia Woolf qui va connaitre un succès grandissant. Vanessa connait en effet une carrière prolifique en tant que peintre et des débuts prometteurs mais tombe peu à peu dans l’oubli et surtout, dans l’ombre de sa cadette. (...) #Radio_Marelle / #Écriture, #Langage, #Livre, #Lecture, #En_lisant_en_écrivant, #Podcast, #Littérature, #Mémoire, #Art, #Angleterre, #Peinture, #VanessaBell, #VirginiaWoolf (...)

    http://liminaire.fr/IMG/mp4/en_lisant_double_v_laura_ulonati.mp4

    https://www.actes-sud.fr/catalogue/litterature/double-v