• Faux indépendants : #Deliveroo fait face à une pluie de #condamnations

    Plusieurs dizaines de décisions rendues récemment par la cour d’appel et les prud’hommes confirment que la plateforme de livraison aurait dû faire travailler les #livreurs en tant que #salariés, et non comme #autoentrepreneurs. L’entreprise assure que son modèle actuel est désormais légal.

    Année après année, et quel que soit le type de juridiction, la justice française dresse le même constat : la plateforme de livraison de repas Deliveroo aurait dû traiter comme des salarié·es les livreurs et livreuses qui, pendant des années, ont apporté leurs repas et leurs courses aux consommateurs et consommatrices.

    En les obligeant à exercer en tant qu’autoentrepreneurs alors qu’elle les maintenait dans une situation de #subordination, l’entreprise leur a fait porter le coût des #cotisations_sociales qu’elle aurait dû verser à l’Urssaf et les a privé·es des avantages liés à un #contrat_de_travail : paiement des heures supplémentaires, congés payés, droit au chômage, meilleure couverture sociale.

    Le 28 mai, la cour d’appel de Paris a rendu vingt-deux décisions donnant tort à Deliveroo et requalifiant en contrats de #travail les contrats liant l’entreprise à autant de livreurs ou livreuses. En première instance, l’entreprise avait été victorieuse dans plusieurs de ces dossiers. Neuf autres décisions, qui iront sans doute dans le même sens, sont attendues pour le mois de juillet.

    Interrogée par Mediapart, la société Deliveroo n’a pas indiqué qu’elle se pourvoirait en cassation, ces condamnations sont donc définitives. Tout comme vingt-quatre jugements prud’homaux de première instance, rendus en janvier dernier : Deliveroo avait fait appel des décisions, mais a renoncé à rendre ses conclusions à temps, laissant la procédure s’éteindre d’elle-même. Dans l’un de ces derniers dossiers, un livreur avait été licencié pour avoir fait grève, un droit pourtant à valeur constitutionnelle.

    La situation est embarrassante pour l’entreprise, dont la revente à #DoorDash, géant américain de la #livraison de repas, est en passe d’être finalisée, pour 3,4 milliards d’euros. En parallèle, une autre chambre de la cour d’appel a donné raison à quatre livreurs ayant travaillé pour #Foodora, une autre entreprise de livraison qui a quitté la France en 2018 et qui sera jugée au pénal courant 2026.

    L’avocat Kevin Mention, à la manœuvre dans tous ces dossiers, savoure en revanche le moment. « Ces décisions nous permettent d’affirmer que 100 % de nos recours sont favorables aux #coursiers après correction des quelques jugements de première instance, rendus par des juges non professionnels », se réjouit celui qui est un opposant historique à l’ubérisation des livreurs et coursiers.

    Il y a trois ans, le 22 avril 2022, Deliveroo avait été condamnée au pénal à 375 000 euros d’#amende pour les même faits : « le détournement planifié et généralisé » du #statut_d’indépendant entre 2015 et 2017, à une époque où l’entreprise s’installait en France et faisait donc travailler peu de monde – un peu plus de 2 000 personnes, contre au moins 60 000 aujourd’hui.

    En septembre 2022, trois des anciens dirigeants de l’entreprise ont vu leur #condamnation à des amendes confirmées en deuxième instance, tandis que leurs peines de prison ont été annulées. Deliveroo avait, elle, renoncé à faire appel.

    Volonté d’échapper aux cotisations

    Les jugements d’appel rendus fin mai concernent cette fois des dossiers individuels. « La cour d’appel a fait un travail énorme, en citant explicitement dans chaque cas plusieurs pièces issues des dossiers, là où des affirmations plus générales auraient été suffisantes, souligne Kevin Mention. J’y vois une volonté de montrer qu’elle accorde une importance à ces dossiers et que tout a été analysé avec précision. »

    Au fil des décisions, les juges ont pointé un à un les nombreux critères montrant que les livreurs n’étaient pas de vrais #travailleurs_indépendants.

    « Le livreur ne fixe pas librement ses tarifs, ne se constitue aucune clientèle propre, n’organise pas son travail, est contrôlé et est sanctionné dans le choix de ses horaires. Il est en outre soumis à une régularité de travail, sans qu’aucun élément ne permette d’établir qu’il choisisse lui-même ses horaires de connexion », écrivent-ils par exemple.

    « Les éléments relevés dénotent la direction et le contrôle exercés sur les livreurs qui font de ces derniers des #salariés », soulignent-ils ailleurs. Et ils rappellent les conséquences financières de cette stratégie, maintenue année après année : « L’évolution des contrats de prestations au fil des années alors que le fonctionnement de la société est resté le même établit la volonté de la société Deliveroo d’échapper au paiement des cotisations pour les livreurs qui étaient sous la subordination juridique de l’entreprise. »

    L’entreprise est donc tenue de payer elle-même les dizaines de milliers d’euros de cotisations sociales qu’elle s’était épargné de régler jusque-là. Quant aux livreurs et livreuses, ils et elles obtiennent chacun·e des dizaines de milliers d’euros – avec un record à presque 130 000 euros – sous forme de rattrapage d’heures supplémentaires non payées, de congés payés, de préavis de licenciement et d’indemnités diverses.

    « C’est une forme de #reconnaissance. J’ai été victimisée pendant des années, et là, la justice reconnaît notre souffrance », souffle Marie*, une intermittente du spectacle qui, la soixantaine passée, a enfourché son vélo en région parisienne de 2017 à 2021 « pour gagner des clopinettes ». Pendant plusieurs mois, elle a travaillé plus de quatre-vingts heures par semaine, « juste pour gagner le Smic », pleinement consciente de vivre « un #cauchemar ». Un mot qui revient avec insistance dans son témoignage.

    « Vous devenez une #esclave pour 30 euros par jour, vous entrez dans un #engrenage où vous bossez tout le temps, la nuit, le week-end. Tout en sachant que la manière dont l’entreprise vous fait travailler est illégale, témoigne-t-elle. Ils voulaient que je sois autoentrepreneuse pour ne pas payer de charges, mais ils me maintenaient en même temps dans une forme de #dépendance vis-à-vis d’eux. Ils voulaient gagner sur tous les tableaux. »

    Marie avait été déboutée aux prud’hommes, mais a gagné en appel, « très contente qu’ils se fassent démolir par la justice ». Plus flegmatique, Marc* est dans la même situation. Lui travaillait à scooter dans le Sud-Ouest, entre 2017 et 2021. « Le soir où ils ont supprimé mon compte de livreur, soi-disant parce que j’avais fait des doubles courses pour Deliveroo et Uber en même temps, j’ai écrit à Me Mention, dont j’avais repéré les messages dans les groupes de messageries de livreurs, raconte-t-il. J’étais confiant, la condamnation de l’entreprise est amplement méritée. »

    L’administration a validé le modèle actuel de Deliveroo

    Si elle ne s’étend pas sur les décisions de justice, Deliveroo insiste sur le fait que « les livreurs concernés par cette décision opéraient, pour l’essentiel, via un contrat historique », ancien. Depuis, assure la société, « le modèle opérationnel de Deliveroo a profondément changé et a été reconnu par les pouvoirs publics comme reposant sur une collaboration avec de véritables prestataires indépendants ».

    Cette question est au cœur du débat. Pour la plateforme de livraison, les raisons pour lesquelles elle a été condamnée pour ses pratiques de 2016 et 2017 ont disparu, et il n’existe plus de lien de subordination, et donc de contrat de travail entre elle et les livreurs et livreuses. Depuis 2020, elle a notamment supprimé les plannings et les différentes catégories de livreurs et livreuses qui pouvaient s’y inscrire en priorité ou non.

    Les sanctions en cas de refus de course ou de retards ont aussi officiellement disparu, tout comme les instructions directes pendant une course. C’est d’ailleurs ce qu’attestent des constats d’huissiers, établis en 2023, qu’elle a présentés dans les dossiers jugés par la cour d’appel – ils n’ont pas été pris en compte puisqu’ils concernent une époque postérieure aux faits qui étaient jugés.

    Mais l’avocat Kevin Mention prend ces affirmations avec circonspection. « Les jugements que nous avons obtenus concernent des faits qui se sont déroulés bien après ceux qui ont été jugés au pénal, et qui concernaient les débuts de l’entreprise jusqu’en 2017, rappelle-t-il. Nous parlons de coursiers qui ont commencé à travailler en 2018 ou 2019, et ils disposent de nombreux éléments montrant qu’au fond, les pratiques de Deliveroo n’ont pas changé. Les contrôles sur la vitesse et le parcours perdurent, par exemple. »

    Sur ce point, Deliveroo est ferme et met en avant un soutien de poids : « L’administration a reconnu que le modèle actuel de Deliveroo proposait bien un véritable #travail_indépendant, ce dont nous nous réjouissons », déclare la plateforme. Selon nos informations, elle a en effet obtenu que l’#Urssaf donne officiellement son accord concernant son modèle actuel, comme elle l’a affirmé à plusieurs reprises lors de diverses audiences.

    Cette prise de position de l’Urssaf est un revirement spectaculaire. C’est en effet cette administration qui avait lancé la procédure ayant finalement abouti au procès pénal de 2022. Et comme Mediapart l’avait raconté, elle avait aussi adressé au parquet de Paris un signalement pour la période postérieure. Elle avait aussi envoyé à l’entreprise une très lourde demande de redressement d’au moins 100 millions d’euros, visant à lui faire payer les cotisations sociales pour les dizaines de milliers de livreurs et livreuses dont elle estimait à l’époque qu’ils et elles auraient dû être salarié·es.

    Une menace existentielle pour Deliveroo, qui avait entamé avec l’Urssaf des négociations sous haute tension, embauchant comme avocat le maire de Meaux et ancien ministre Jean-François Copé et nommant une administratrice judiciaire pour mener les discussions en toute confidentialité.

    L’entreprise a désormais clos ce chapitre et envisage l’avenir de manière bien plus sereine. Elle se prépare tout de même à affronter d’autres épisodes judiciaires : d’ici l’automne prochain, une centaine de décisions concernant des livreurs et livreuses auront été rendues par les prud’hommes et la cour d’appel. Et surtout, Kevin Mention prépare le dépôt d’une #plainte pénale sur les pratiques de Deliveroo pour la période post-2017. Il annonce avoir réuni plus de cent ex-forçats des livraisons, prêts à unir leurs forces contre la plateforme.

    https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/090625/faux-independants-deliveroo-fait-face-une-pluie-de-condamnations
    #ubérisation #justice #droit_du_travail #exploitation

  • #Droit_de_l’environnement : entre espoirs et reculs

    Alors que le débat autour de l’autorisation du chantier de l’A69 bat son plein, des chercheuses expliquent en quoi le droit de l’environnement motive de plus en plus d’actions citoyennes en justice et comment il peut constituer l’une des réponses à l’urgence écologique.

    L’A69 verra-t-elle le jour ? On ne sait pas encore comment se terminera ce feuilleton juridico-politique autour du projet d’autoroute de 50 km destiné à relier Toulouse à Castres. Il illustre en tout cas la difficulté du droit de l’environnement, pourtant en plein essor, à s’imposer.

    Le 27 février 2025, sept ans après la déclaration d’utilité publique, le tribunal administratif de Toulouse (à la demande des associations de défense de l’environnement qui dénonçaient la destruction illégale de 169 espèces protégées animales et végétales) a ordonné l’arrêt immédiat des travaux de l’A691. Le tribunal a jugé infondée « la raison impérative d’intérêt public majeur » ayant motivé une autorisation préfectorale de déroger au droit de l’environnement, alors même que le juge des référés avait à plusieurs reprises rejeté la demande de suspension des travaux en cours.

    Saluée comme « historique » par les défenseurs de l’environnement, la victoire des opposants à l’A69 devait marquer un tournant. Mais, le 24 mars, le ministre en charge des Transports, Philippe Tabarot, soutenu par une large partie des élus des départements concernés, faisait appel de la décision. Et, le 3 juin, la cour administrative de Toulouse autorisait la reprise du chantier2… en attendant que le Conseil d’État donne son avis, en 2026 !

    Sans se soucier de ce calendrier judiciaire, une proposition de loi dite « de validation3 » a été déposée à l’initiative de Jean Terlier, député Ensemble pour la République du Tarn, qui reviendrait à légaliser de fait cette autoroute…

    Le débat autour de l’A69 est un exemple parmi d’autres. Car il ne se passe plus un mois sans qu’un nouveau contentieux en justice lié à la dégradation accélérée de l’environnement ne surgisse dans l’actualité – internationale ou locale.
    L’espoir d’une jurisprudence

    En mars 2025 encore, tandis que les associations Bloom et Foodwatch assignaient le groupe Carrefour devant le tribunal de Paris pour « manquement au devoir de vigilance » dans sa filière thonière4, s’est ouvert en Allemagne le procès intenté par un agriculteur péruvien, soutenu par l’ONG Germanwatch, à l’un des plus gros producteurs d’énergie du pays, RWE. Le conglomérat, pourtant, n’opère pas au Pérou. Mais il compte parmi les plus gros émetteurs européens de gaz à effet de serre (GES). Saúl Luciano Lliuya lui réclame 17 000 €, soit 0,47 % (la contribution de RWE aux émissions mondiales de GES) du coût des aménagements nécessaires pour préserver sa maison, et des dizaines de milliers d’euros en plus pour les conséquences de la fonte des glaciers andins.

    Au bout de 10 ans et après enquête sur place, un tribunal allemand a certes rejeté la demande du paysan péruvien, mais, dans le même temps, a reconnu la responsabilité civile des entreprises pour des dommages climatiques résultant de leurs émissions passées de gaz à effet de serre, quel que soit le lieu de leur survenance. Les émetteurs de GES pourraient être obligés de prendre des mesures pour prévenir les dégradations et, en cas de refus, être condamnés à les réparer proportionnellement à leur part dans les émissions.

    Cette décision fera sans doute jurisprudence, ouvrant la voie à cette justice climatique mondiale que les ONG et les pays du Sud réclament aux entreprises, mais aussi aux États les plus riches et les plus polluants.
    De la marginalité à la maturité

    Discipline en plein essor que les jeunes générations sont de plus en plus nombreuses à vouloir étudier, le droit de l’environnement, seul, s’est jusqu’à présent révélé assez impuissant à enrayer la dégradation accélérée de la nature. Même s’il se diffuse au sein d’autres branches du droit (tel le droit commercial), il doit composer avec les intérêts protégés par ces dernières, dont les activités sont largement susceptibles de porter atteinte à l’environnement.

    Chercheuse en droit international de l’environnement et du climat, Marion Lemoine-Schonne5 reconnaît que son efficacité demeure donc en deçà des urgences. Elle ne l’estime pas moins fondamental : « D’abord, sans le droit international de l’environnement, la situation serait encore pire. Il joue un rôle référentiel et incitatif très important pour les décideurs. Ensuite, la force du droit, c’est de dire ce qui doit être. Quand bien même il est insuffisamment respecté, cela ne grève en rien son effet levier sur les plans sociopolitiques. » Selon elle, la multiplication des contentieux, de plus en plus souvent tranchés en faveur des défenseurs de la nature, fait fonction d’« accélérateur » d’un droit de l’environnement passé depuis les années 1980 « de la marginalité à la maturité ».

    Comme la chercheuse l’a résumé dans un livre collectif6, les premiers textes destinés à protéger la santé humaine des effets de la pollution sont adoptés au XIXe siècle. Le droit de l’environnement se construit d’abord à l’échelle internationale, avec les premières conventions multinationales de protection de grands espaces naturels, dans les années 1930, puis les accords multilatéraux cherchant deux décennies plus tard à prévenir les ravages dus à l’intensification de l’activité industrielle.

    En 1972, la déclaration onusienne de Stockholm7 fait de l’environnement une priorité mondiale indissociable des droits humains, à penser en articulation avec le développement économique et le bien-être des populations. Elle pose ainsi les fondations du droit de l’environnement. Vingt ans plus tard, lors du sommet de Rio, en 1992, la prise de conscience des changements globaux qui menacent directement la survie de l’humanité débouche sur trois conventions-cadres8 majeures concernant les changements climatiques, la désertification et la biodiversité.
    Obliger les États à coopérer

    « Depuis, précise Marion Lemoine-Schonne, le droit de l’environnement se construit tous azimuts, en lien étroit avec les évolutions des connaissances scientifiques. Nous savons que les processus de dégradation sont profondément connectés et interdépendants (climat, biodiversité, océans, pollution chimique, etc.) et qu’il est vain de lutter en silo contre les sources de pollution. Au nombre de neuf, les ”limites planétaires“ à ne pas dépasser sans compromettre gravement la stabilité de la biosphère9 sont désormais intégrées dans le droit de l’environnement. Les États sont obligés de les prendre en compte. Et cela permet à un nombre croissant de citoyens de saisir la justice sur une grande diversité de sujets. »

    En outre, le débat sur la reconnaissance de certains droits aux éléments naturels (rivières, forêts ou sols) a vu émerger dans un petit nombre de pays un véritable droit de la nature, qui reste marginal, mais n’en influence pas moins tout le champ juridique.
    La justice européenne à l’œuvre

    Une vitalité attestée aussi par Alexandra Langlais10 et Magali Dreyfus11, chercheuses au CNRS, spécialistes respectivement des droits européen et français. Ces derniers temps, à l’échelle de l’Europe, précise Alexandra Langlais, c’est plutôt devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) que ces plaintes citoyennes sont déposées, au nom notamment du « droit à la vie ». Ont ainsi eu gain de cause, en janvier 2025, des habitants des environs de Naples qui dénonçaient l’inaction de l’État italien face à la multiplication des cancers causés par les dépôts mafieux de déchets toxiques, et qui avaient été déboutés par toutes les juridictions de leur pays12.

    Alexandra Langlais cite également une décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui a pris de court différents États membres, dont la France, en annulant une dérogation qu’ils tenaient pour acquise autorisant l’usage en plein champ de produits néonicotinoïdes. « Alors que la Commission avait elle-même laissé passer ces manquements répétés à son propre règlement d’exécution, la décision de la CJUE est venue rappeler que le droit européen prime sur celui des États membres », commente la juriste.

    En France aussi, la réglementation environnementale, largement issue du droit européen, n’a cessé de s’étoffer pour pénétrer d’autres branches du droit, et notamment celui de l’aménagement et de l’urbanisme. « Les acteurs publics ou privés ne peuvent plus ignorer son existence, précise Magali Dreyfus. Tenter de passer outre comporte un réel risque financier, comme l’atteste la réaction des acteurs économiques à la suite de l’arrêt du chantier de l’A69. De même, quand le Conseil d’État ou une autre juridiction rend un arrêt, le gouvernement doit s’y conformer. Mais le rapport de force global continue de favoriser l’économie au détriment de l’environnement. D’autant plus qu’aller en justice exige des ressources importantes. »
    Le contre-pouvoir des juges

    Les actions en justice intentées contre des États ou de grands groupes privés en raison de l’insuffisance de leur effort contre le changement climatique dans le respect de l’Accord de Paris sont en constante augmentation. Et sont les plus emblématiques de l’évolution du droit de l’environnement, estiment les trois chercheuses. On ne compte plus le nombre de contentieux devant des juridictions nationales ou internationales.

    Par exemple, en France, à la suite d’une requête de la commune de Grande-Synthe (Nord), le Conseil d’État (la plus haute juridiction administrative) a enjoint en 2024 au gouvernement de prendre toutes les mesures permettant d’atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre13. En 2021, L’Affaire du siècle, une coalition d’ONG14, voit reconnaître la « responsabilité pour carence fautive de l’État français du fait du non-respect de la trajectoire de lutte contre le changement climatique qu’il s’était fixé »15. Considérant que la condamnation n’a pas été exécutée, elle relance même une action fin 2024.

    Autre jurisprudence, celle rendue par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) à la suite d’une plainte de l’association suisse Aînées pour la protection du climat. Parce que les conséquences du réchauffement touchent davantage les personnes âgées, en particulier les femmes, la requête introduite porte sur le fait que la Suisse ne remplit pas son devoir de protection qui découle du « droit à la vie » et du « droit au respect de la vie privée et familiale ». En avril 2024, la CEDH a reconnu la responsabilité particulière de la Suisse dans l’aggravation du préjudice causé aux membres de cette association en matière de droits humains et a rappelé le « droit à un environnement sain »16.
    « On ouvre des brèches »

    « Parfois, on perd pour des questions de procédure, mais le fait que le procès ait lieu constitue déjà une forme de victoire, commente Alexandra Langlais. Notamment parce qu’on ouvre des brèches pour ceux qui suivront, et qui connaîtront les failles à éviter, les ouvertures possibles. »

    Dans un récent rapport17, le Grantham Institute on Climate Change and the Environment, à Londres, qui recense plus de 200 contentieux climatiques à travers le monde pour la seule année 2023, prévoyait que les « grands-mères suisses » ouvriraient la voie à de nouveaux litiges. Avec raison, puisqu’en avril 2025, 14 citoyens français, soutenus par 3 ONG, ont demandé à l’État français de renforcer sa politique d’adaptation au changement climatique.

    « En estimant que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme s’applique au climat et que les citoyens sont donc en droit d’agir en justice, les juges européens ont franchi un pas très important, analyse Marion Lemoine-Schonne. Très attendu, l’avis que la Cour interaméricaine des droits de l’Homme, saisie par la Colombie pour statuer sur l’effet irréversible et systémique du changement climatique quant au devenir de l’espèce humaine comme espèce vivant parmi les autres espèces, peut aussi à l’avenir influencer fortement le droit. »
    Dialogue entre juges

    Surtout, rappelle Marion Lemoine-Schonne, la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye doit rendre courant 2025 un avis consultatif précisant le contenu des obligations juridiques internationales étatiques en matière de protection climatique et les sanctions que peuvent encourir les États.

    De façon générale, conclut-elle, « on constate un dialogue entre juges des différents pays, mais aussi une influence certaine entre les juges internationaux, européens et nationaux, notamment parce qu’ils se fondent tous sur les mêmes documents scientifiques, comme les rapports du Giec et l’Accord de Paris. Les États-Unis ont été les premiers à montrer le recours démocratique qu’offrait le recours en justice. Aujourd’hui, les juges européens sont devenus des contre-pouvoirs prépondérants pour rappeler les États à leurs obligations. Le droit international garde une portée limitée, puisqu’il est négocié et mis en œuvre par les États eux-mêmes – et donc conditionné à leur volonté. Le contexte politique américain, entre autres, constitue un cas d’école en termes de dérégulation climatique. »

    Magali Dreyfus, elle, pointe une autre limite : « Toute victoire arrive toujours un peu trop tard, puisque le mal est déjà fait. L’A69 constitue un cas exemplaire, la décision étant intervenue alors que les destructions d’habitats, d’arbres et de terres agricoles étaient déjà accomplies, et les GES pour la construction, émis. »
    Les États-Unis se retirent à nouveau de l’Accord de Paris

    Comme promis, le président Trump a engagé pour la deuxième fois le retrait américain de l’Accord de Paris sur le climat, conclu en 2015. Peu après, Lee Zeldin, représentant de New York climatosceptique nommé à la tête de l’Agence pour la protection de l’environnement (EPA), annonçait l’abrogation imminente des « entraves » limitant la croissance économique, à commencer par des mesures destinées à réduire drastiquement les émissions de CO2.

    Il est néanmoins trop tôt pour préjuger des conséquences à long terme des coups de force et intimidations de la nouvelle administration, estime Marion Lemoine-Schonne, car « l’édifice du droit du climat, qui avait déjà bien résisté au premier retrait américain de l’Accord de Paris, n’a cessé de se solidifier depuis ».

    Ce nouveau retrait entraîne par exemple l’arrêt de toutes les subventions états-uniennes aux instances des Nations unies œuvrant pour l’environnement – soit un quart de budget en moins pour le climat, concède la chercheuse. « Mais il n’y aura pas forcément d’effet d’entraînement sur les autres États. L’Accord de Paris, qu’on dénonçait comme peu contraignant, a tenu bon autour d’une logique de progressivité des engagements. On peut imaginer que les tensions géopolitiques actuelles conduisent certains États, comme les grands pays émergents que sont la Chine, l’Inde, le Brésil ou le Mexique, à réaffirmer leurs engagements climatiques pour renforcer leur position dans d’autres enceintes diplomatiques. »
    « Vents politiques contraires »

    Certes, l’objectif le plus ambitieux de l’Accord, celui de maintenir l’augmentation globale de la température terrestre au-dessous de +1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle, a d’ores et déjà été dépassé. Mais, affirme la chercheuse, la « « flexibilité » du texte lui permet pour l’instant de résister aux chocs. Reste que des « vents politiques contraires » soufflent aussi en Europe. Et, comme ses consœurs, Marion Lemoine-Schonne reconnaît que « la menace de détricoter ce que l’on pouvait croire acquis n’a jamais été aussi forte ».

    Ce « détricotage » a largement débuté pour le Pacte vert européen, le plan présenté en 2019 par la Commission européenne pour décarboner l’économie de l’Union européenne d’ici à 2050, déplore Alexandra Langlais : « Il s’agissait d’une avancée extraordinaire. Outre cette promesse de neutralité carbone, le plan englobait les enjeux de pollution et de biodiversité, dans une perspective de transition équitable qui devait se traduire rapidement dans des textes juridiques. Et c’est là que ça a déraillé. »

    Par exemple, détaille-t-elle, un projet de règlement européen sur l’utilisation durable des pesticides est devenu encore moins contraignant que la directive européenne préexistante. Les députés qui le soutenaient ont dû ainsi se résigner à voter contre, fin 2023. « Quant au règlement européen censé mettre en place un système d’alimentation durable, il n’a même pas vu le jour… »
    Reculs en série sur la Politique agricole commune

    Cet affaiblissement du Pacte vert, conséquence aussi de la colère des agriculteurs qui a secoué l’Europe entre 2022 et 2024, inverse une tendance de fond, poursuit la chercheuse : « Depuis que la Politique agricole commune (Pac) a été adoptée, en 1962, cette politique s’est construite en prenant de plus en plus en compte la nécessité de préserver l’environnement. C’est la première fois qu’elle recule, et c’est complètement fou quand on connaît le prix à payer – y compris pour le secteur agricole – si l’on n’agit pas. »

    En France, le principe de non-régression, introduit dans le Code de l’environnement par la loi Biodiversité de 2016, interdit théoriquement tout retour en arrière, précise Magali Dreyfus. Mais elle rappelle que le modèle d’agriculture intensive continue de faire obstacle à tout progrès décisif en la matière : « Alors que les agriculteurs sont les premières victimes de ce système, et qu’en changer représente un défi immense, le syndicat majoritaire, sous couvert d’un besoin de simplification, continue de désigner le droit de l’environnement comme la source de leurs problèmes. Il y a là quelque chose d’irrationnel. »
    Glyphosate : nouvelle action en justice

    Emblématique de ces tensions, l’autorisation du glyphosate (herbicide reconnu comme « cancérogène probable », dont Emmanuel Macron s’était engagé en 2017 à proscrire l’usage « au plus tard dans trois ans ») a été renouvelée pour 10 ans, fin 2023, par la Commission européenne, à l’issue d’un vote crucial des Vingt-Sept lors duquel la France a choisi de s’abstenir.

    La justice viendra-t-elle une fois encore au secours de ceux qui dénoncent les ravages du glyphosate sur l’environnement ? Fin 2024, plusieurs associations ont déposé une plainte devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) contre ce renouvellement.

    La recrudescence des actions en justice est proportionnelle à la montée des « vents contraires ». Raison de plus pour travailler à renforcer le droit de l’environnement à toutes les échelles. « Il reste absolument indispensable, a fortiori aujourd’hui, à l’heure où une désinformation croissante travaille à brouiller la prise en compte des connaissances scientifiques sur les enjeux de transition socio-écologique et climatique, conclut Marion Lemoine. La gravité des changements à l’œuvre, dont nous avons maintenant toutes les preuves scientifiques, ainsi que le coût de l’inaction nous obligent à nous emparer de tous les moyens juridiques disponibles pour conserver les acquis du droit de l’environnement et continuer à le protéger, pour la santé et le bien-être humain des générations actuelles et futures. »

    https://lejournal.cnrs.fr/articles/droit-de-lenvironnement-entre-espoirs-et-reculs

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    • Un monde commun. Les savoirs des sciences humaines et sociales

      Philosophie, sociologie, anthropologie, études littéraires, linguistique, histoire, géographie, psychologie, musicologie, esthétique, histoire de l’art, économie, sciences politiques, droit, archéologie… : les disciplines couvertes par les #sciences_humaines_et_sociales sont vastes et variées. À toutes incombent d’analyser, comprendre, décrire le monde et la façon dont les hommes, les femmes et plus largement le vivant l’ont habité, l’habitent et l’habiteront. Toutes partagent une réflexion sur un sujet rendu majeur par la crise environnementale, les bouleversements numériques, les inégalités sociales et les conflits : comment faire « #monde_commun », pour reprendre la formule de Hannah Arendt ?

      L’ouvrage propose une centaine de contributions portant sur des questions contemporaines, qui font écho aux objectifs de développement durable identifiés par l’Organisation des Nations unies (la réduction de la pauvreté, des inégalités éducatives, la protection de la planète, etc.) et explorent la manière dont la recherche actuelle en sciences humaines et sociales y répond. Méthodes, hypothèses et théorisations, mesures et approches ethnographiques, analyses et exégèses constituent autant d’outils permettant aux lecteurs de penser, d’habiter, de réparer ou de transformer nos univers communs.
      Un ouvrage richement illustré qui incarne une communauté de recherche dans toute sa diversité.

      https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/un-monde-commun
      #livre

  • Appel au don de publications

    3 juin 2025

    L’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne connaît, en 2025, une réduction notable de son budget. Cette baisse affecte directement les #crédits de fonctionnement du Service Commun de la Documentation, contraint de restreindre certaines de ses activités. Si l’accès aux #revues et #ressources_numériques est maintenu en raison des engagements pris en 2024, les #achats de #livres ont été quasiment suspendus au premier semestre et reprendront avec des moyens limités au second.

    Dans cette perspective inédite pour le SCD, nous sollicitons votre soutien : si vous avez récemment publié un ouvrage, nous vous serions très reconnaissants de bien vouloir en offrir un exemplaire à l’une de nos bibliothèques.

    Ce geste contribuera à :

    - Maintenir l’accès à une documentation riche et actuelle,
    – Renforcer la visibilité de vos travaux auprès de la communauté universitaire,
    - Valoriser la recherche menée au sein de notre établissement.

    https://bibliotheques.pantheonsorbonne.fr/actualite/appel-don-publications
    #it_has_begun #ESR #université #France #université_Paris_1_Panthéon-Sorbonne #budget #dons #appel_à_don #bibliothèque #bibliothèque_universitaire #enseignement_supérieur

  • #Marie_Cosnay : « Dans l’#imaginaire_collectif pour la migration, la #fosse_commune, c’est la #Méditerranée »

    L’écrivaine et activiste Marie Cosnay a consacré aux routes migratoires une trilologie - Des îles, parue aux éditions de l’Ogre - qui replace l’océan en son centre. Et pourtant, l’Atlantique reste un #impensé dans nos représentations de la mer-cimetière, en dépit des évidences et des chiffres.

    Marie Cosnay, pourquoi dites-vous qu’on résiste à penser l’#océan_Atlantique lorsqu’on parle de la #mer-cimetière, et des routes migratoires maritimes ?

    Quand on parle des morts en mer et des morts de la migration - et on n’en parle pas souvent -, la fosse commune, c’est la Méditerranée. C’est à la Méditerranée qu’on est sans cesse ramené. Or c’est quand même étrange, parce que le plus grand nombre de morts ce sont ceux de l’Atlantique, en tout cas depuis 2018. Or cela invisibilise des choses, des imaginaires, mais aussi du réel. Car la route la plus empruntée, c’est celle des #Canaries. Il y a un mort toutes les demi-heures : en 2024, on compte sur cette route-là, de la façade atlantique depuis le #Sénégal jusqu’au #Sahara_occidental, au #Maroc, vers les Canaries - rien que ça -, un mort toutes les demi-heures l’année dernière. C’est énorme. Alors, invisibiliser l’océan atlantique ça veut dire que ces morts qui sont les plus nombreuses, personne n’en parle jamais. Ce sont les morts de l’#Afrique_de_l'Ouest.

    Comment décririez-vous cette route migratoire atlantique ?

    Depuis le Sénégal, ce sont des bateaux en bois, des #pateras, qui contiennent cinquante, soixante personnes, parfois davantage. Tous les gens qui connaissent cette route-là, jusqu’aux Canaries, c’est-à-dire les militants espagnols, et aussi, évidemment, les gens qui prennent cette route et leurs familles, tout comme la Croix-Rouge, appellent ça des “#convois”. Ces convois sont nommés par le nombre de personnes à l’intérieur. Le nombre de femmes, le nombre d’enfants. C’est pour pouvoir savoir nommer le bateau, par exemple : “Convoi 56, huit femmes, deux bébés, Tan-Tan” ; “Convoi 62, quatre femmes, trois enfants, Dakhla”... C’est comme ça que la Croix-Rouge peut savoir qui est arrivé.

    Dans quelle mesure l’imaginaire de ces convois a-t-il quelque chose à voir spécifiquement avec l’Atlantique ?

    Cette question m’évoque l’exemple d’un dessin d’enfant aux Canaries. Un enfant qui était arrivé par un de ces convois. Les gens qui s’en occupaient, la Croix-Rouge, et d’autres, et qui s’en occupaient plutôt pas mal, lui avaient demandé de dessiner son voyage, son exil, parce qu’il avait été extrêmement chahuté. Durant sa traversée, il y avait eu des morts, et notamment des enfants morts sur ce bateau. Et cet enfant qui avait survécu avait dessiné un bateau incroyablement ressemblant à un bateau négrier. C’est de cette histoire-là, et de cette mémoire-là aussi, qu’on se prive quand on ignore cette route-là, quand on habite à Marseille ou à Paris, et en tout cas en France.

    C’est spécifiquement français ?

    Ce qui est étrange, c’est que les militants en Espagne savent très bien l’importance de la route atlantique, et en Espagne, cette perception n’a rien à voir. On n’est pas du tout déconnecté, comme en France.

    Comment est venue l’écriture sur ces routes migratoires, et notamment de raconter la migration depuis les Canaries ?

    Au départ, je faisais de l’activisme aux frontières, à la frontière basque notamment. Je vivais au Pays basque et les gens passaient par là. J’écrivais des choses qui étaient plutôt de l’ordre de la chronique, du petit texte informatif. Lorsque j’avais une grosse colère ou quelque chose que je n’arrivais pas à démêler, c’était le texte qui m’aidait à démêler. J’appelais ça des chroniques. Par exemple, j’ai beaucoup écrit sur les mineurs isolés, sur le non accueil, et puis des réflexions sur : qu’est ce que l’enfance ? Est-ce que l’âge protège ? Et pourquoi l’âge protégerait-il plus qu’autre chose, en fait ?

    Auparavant, j’avais une autre activité d’écriture qui était beaucoup plus fictionnelle ou documentaire, mais davantage tournée vers le passé. Mais la question migratoire était devenue tellement prégnante, tellement importante dans ma vie, que je ne pouvais plus séparer les deux. Ce sont les morts qui m’ont poussée à écrire sur eux. Car avant d’aller aux Canaries pour rencontrer les gens, je me trouve à l’endroit où ils arrivent en fait, c’est-à-dire exactement à Irun, en Espagne, à côté de Bayonne, à la frontière basque. C’est là que je rencontre des gens pour qui je mets en place qu’il faut mettre en place comme militante. Je ne suis pas encore certaine d’écrire, je me dis même que j’écrivais si ça vient à moi. Et là, je rencontre des gens qui attendent des gens. Et ces gens qu’ils attendent n’arrivent pas. Alors on commence à me demander : “Mais va ! Va sur les îles ! Va chercher ma sœur, va chercher mon frère, va chercher ma fille. Ils sont arrivés tel jour dans le convoi 57, trois enfants, quatre femmes et et trois morts…” Parce qu’on sait un peu. C’est comme ça que les morts arrivent à la porte. Les premiers morts, ceux dont je me rends compte. Et donc j’y vais. Je vais sur les îles Canaries et il y a urgence.

    On est en 2019 et le premier tome de cette série qui s’intitulera “Des îles” (aux éditions de l’Ogre”) démarre…

    J’ai des noms, j’ai des photos, j’ai quelquefois des vidéos. Je ne suis pas toute seule, évidemment : il y a des relais. Et je cherche. J’ai des noms, j’ai des dates de naissance, j’ai des lieux de départ. J’ai des choses comme : “la dernière fois qu’on l’a vu”. Alors je cherche et je me rends compte assez vite que je ne trouverai pas. Car les gens meurent énormément. On sait, mais en fait concrètement, on ne sait pas. Je me rappelle de ce garçon qui s’appelle Amadou, qui m’a le premier demandé d’aller chercher sa sœur sur les îles Canaries. Selon lui, elle était arrivée tel jour, à tel endroit, etc. Cinq ou six ans après, lui dont je racontais l’histoire dans le premier volume de la trilogie Des îles, il la cherche encore. J’ai encore reçu la photo de sa sœur récemment sur Whatsapp. La même photo.

    Vous vous mettez donc à chercher des disparus, avant d’écrire l’histoire de ces gens qui voyagent sans visa…

    J’ai trouvé une petite fille qui avait disparu. Une seule : Fatou. Elle était donnée pour disparue sur un bateau sur lequel on disait qu’il y avait eu beaucoup d’enfants morts sur ce bateau qui avait tourné dans l’océan très longtemps. Et donc on m’avait dit de ne pas donner d’espoir à la maman. Mais la maman m’avait donné sa photo et j’étais sur les îles Canaries pour essayer, pour voir, au cas où… J’ai montré la photo de cette petite fille à un médecin urgentiste qui intervenait à l’arrivée des bateaux, parce que beaucoup de gens sont dans des états incroyables. Ils ont bu de l’eau de mer, ils ont perdu la tête, ils ne savent plus qui ils sont… Je lui ai montré la photo, et ce médecin-là, Alban, a poussé un cri : “Mais elle est arrivée, elle est vivante !” Après, on a mis un an à ce qu’elle puisse se rapprocher de sa maman. C’est très compliqué, mais c’est la seule histoire qui soit heureuse.

    Quelle empreinte l’Atlantique a-t-il laissé sur ces années d’enquête à remonter le fil d’histoires qui passent par l’océan ?

    Certaines images de l’océan m’ont beaucoup hantée. Notamment cet imaginaire, d’être seul sur l’océan en fait. Car même si on peu d’histoires, même si parfois les gens sont morts les uns après les autres, on a quelques images, et même quelques vidéos. Parce que c’est l’Atlantique ! C’est-à-dire que si on rate les Canaries, on arrive aux Etats-Unis ! “#Bosa”, ça veut dire quitter son pays, et rater les Canaries, ça s’appelle “Bosa États-Unis”. Si on rase les Canaries, on fait “#Bosa_Amérique” et en effet, on a retrouvé des bateaux complètement de l’autre côté de l’Atlantique, avec des corps desséchés, avec des squelettes. Mais on a trouvé aussi des bateaux vides ou alors avec un survivant. Vous imaginez ? Un seul survivant, au milieu de l’Atlantique. Comment on survit à ça, quand on est avec sa bouée et que finalement le secours maritime espagnol vient te sauver sur ta bouée ? Tu as vu mourir les uns après les autres tous tes copains.

    On a cherché comme cela un jeune Marocain, à la demande de sa sœur. Nous étions deux ou trois, à le chercher, ensemble, parce qu’on entendait dire qu’il était vivant or il n’apparaissait pas. En général, quand les gens n’apparaissent pas, ils ne vont pas apparaître trois mois après… mais il peut y avoir des exceptions, comme pour Fatou, la petite fille retrouvée aux Canaries. Donc, on cherche.

    Et de ce garçon, on a trouvé une vidéo, parce qu’on avait des photos de lui et on comparait avec les vidéos qu’on trouvait sur les réseaux. Sur cette vidéo, il parle en arabe sur un bateau au milieu de l’Atlantique. Le bateau n’était pas très loin des Canaries, mais perdu. On a fait traduire cette vidéo. C’était très compliqué de comprendre ce qu’il disait avec le bruit de l’océan mais on voyait sur la vidéo qu’il se passait un truc très important, sans savoir dire si c’était intense d’euphorie ou de désespoir. C’était impossible à dire. Et lui est là, il est debout, et il parle, avec intensité. En fait, il disait le nom de toutes les victimes du bateau. Il était en fait l’avant-dernier témoin, puisque le dernier, c’est celui qui va mettre la vidéo sur internet. Ce garçon n’est pas arrivé. Ça veut dire que ce garçon, debout, qui parle, est mort alors même qu’il était en train de nommer, lui, les gens qui venaient de mourir au milieu de l’océan.

    Puis l’écriture s’est poursuivie, et un deuxième volume, puis un troisième, sont venus compléter cette triologie, Des îles… Mais l’écriture s’est un peu déplacée, entre-temps…

    En 2022, la frontière entre la France et l’Espagne se ferme complètement suite à une attaque dans une église, près de Nice, par un jeune homme tunisien qui sortait de Lampedusa et qui a attaqué le curé d’une paroisse. Or ce moment où la frontière avec l’Espagne se ferme a coïncidé exactement avec le moment où les gens quittaient les #île_ Canaries pour remonter vers la France. Pendant un an, elle est restée fermée. Et pendant un an, il y a eu dix morts.

    Alors ce n’était plus des disparus qu’on cherchait, puisque l’on avait des corps. C’était exactement le contraire. On avait des #corps, mais pas de nom, pas d’histoire. Juste des corps ramassés dans la #Bidassoa alors qu’avant, j’avais des histoires mais pas de corps. Si bien qu’il fallait faire le chemin opposé. Malgré tout, il y a toujours quelqu’un qui a vu quelqu’un qui sait que quelqu’un est passé par là ce jour-là. Mais c’est très difficile d’être le témoin de cela et de vouloir bien en témoigner.

    Les gens ne voulaient pas, même les amis les plus proches. Parce que tu ne vas pas commencer à arriver dans un pays que tu essaies de rejoindre depuis trois ans en arrivant avec des problèmes. Des problèmes avec la police, avec la justice… alors que tu as passé ton temps à essayer de te désidentifier, tu ne vas pas t’identifier immédiatement, et surtout pas pour arriver avec un mort. Arriver avec un mort, c’est compliqué. Et donc même les amis qui passaient et qui, eux, avaient survécu, ne parlaient pas. C’était très compliqué de remonter le fil de ces histoires.

    Qu’est-ce qui a changé dans l’écriture de ces histoires, au fil des tomes et des enquêtes ?

    Moi, j’ai changé. C’est surtout moi. La manière de travailler a changé entre le tome un, le deux, et le trois de la trilogie, mais je m’en rends compte après coup. Dans le un, il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup d’histoires. Beaucoup de récits, parce que beaucoup de gens parlent, prennent la parole. C’est beaucoup d’oralité et moi, j’essaye de prendre tout ça et de suivre les fils pour pour accompagner, pour aider, pour suivre et donc faire l’enquête.

    Dans le deuxième tome, Des Iles 2, c’est plutôt une question : comment on rend un corps qui est non-identifié par un juge espagnol, à un papa guinéen ? Et comment on le fait franchir l’Atlantique jusqu’en Guinée, mais en avion, et mort. On a réussi. Le travail change parce qu’il est d’un extrême piétinement. C’est le contraire des histoires qui arrivent. C’est beaucoup plus d’écrit puisque ce doit être conforme, signé à l’ambassade de ceci, de cela en Guinée, en Espagne, etc.

    Et donc c’est forcément une autre façon d’écrire puisqu’elle suit l’archive. L’archives qui est en train de se faire, qui est en train de s’écrire, qui est en train de s’élaborer. Il faut écrire sans céder à la simplification parce que c’est hyper complexe. L’écriture suit le réel, et donc elle panique parfois parce que le réel panique tout le temps. Parce que quand on a tous les papiers pour que le corps reparte en Guinée, et bien il manque le certificat de non-Covid et donc tout va foirer. L’écriture suit ça, et donc elle change de forme parce qu’elle est bousculée tout le temps par le réel. Tout le temps.

    Et puis vient l’écriture du troisième volume de la trilogie. Et là encore, l’écriture change…

    Oui, elle change de forme aussi, un peu volontairement, un peu à dessein, parce que je suis épuisée. Je me dis alors qu’il faut faire un pas de côté. Et ce pas de côté, c’est de dire qu’il y a en effet les bateaux qui arrivent qu’en ce moment depuis l’Algérie. mais aussi ces bateaux qui ont traversé dans l’autre sens. Evidemment, au moment de la chute de Séville, pendant la guerre civile, puisque des bateaux sont partis en Algérie, à Oran, et c’était exactement la même route, les mêmes ports. Mais cette route-là en appelle une autre : celle de l’exil morisque du début du XVIIᵉ siècle.

    En fait, ce pas de côté historique me garantit quelque chose. Ce pas de côté m’intéresse parce qu’il montre aussi que ce n’est pas toujours du Sud vers le Nord que vont les exils et qu’il y a eu d’autres histoires et d’autres bateaux sur ces routes-là. Tout ça m’intéresse politiquement, historiquement, mais aussi me déplace moi dans l’écriture. Cela me calme, c’est-à-dire je suis obligée de suivre un autre rythme qui est le rythme historique. Le rythme du document qui est déjà écrit, de l’archive que je n’ai pas besoin d’écrire moi, et qui n’est pas en train de se créer sous mes yeux, mais qui est déjà là : c’est celle des historiens, c’est celle des récits antérieurs. Et ça, ça me sauve un peu, un peu.

    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/comme-personne/marie-cosnay-dans-l-imaginaire-collectif-pour-la-migration-la-fosse-comm
    #migrations #mourir_aux_frontières #route_atlantique #mourir_en_mer #morts_aux_frontières #livre
    #podcast #audio
    ping @6donie
    via @isskein

  • Deliveroo à nouveau contraint à la requalification de ses livreurs en tant que salariés
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/06/06/deliveroo-a-nouveau-contraint-a-la-requalification-de-ses-livreurs-en-tant-q


    Un livreur Deliveroo, à Toulouse, le 18 mars 2025. ED JONES/AFP
    ... Ces décisions interviennent au moment où une directive européenne favorable aux livreurs doit être transposée en droit français.

    C’est une nouvelle victoire pour les livreurs contre les plateformes : 46 coursiers #autoentrepreneurs de la plateforme #Deliveroo ont récemment été requalifiés comme salariés. 24 d’entre eux ont obtenu ce jugement en première instance en janvier, décision admise de fait par la plateforme puisqu’elle a abandonné son appel faute de conclusions envoyées à temps. Les 22 autres livreurs ont gagné en appel fin mai.
    Deliveroo avait déjà été condamnée, par le passé, aux prud’hommes et en appel pour le même motif, mais c’est la première fois qu’un groupe de #livreurs aussi conséquent l’emporte. Ces derniers ne travaillent plus pour la plateforme et sont indemnisés comme s’ils avaient été licenciés. Une soixantaine de dossiers supplémentaires sont en attente de décision d’ici début juillet.

    https://archive.ph/MSoi5

    #travail #travail_indépendant #droit_du_travail

  • BROCHURE : Eviter les pièges du libéralisme : repenser le monde en anarchiste
    https://ricochets.cc/BROCHURE-Eviter-les-pieges-du-liberalisme-repenser-le-monde-en-anarchiste-

    [BROCHURE] Eviter les pièges du libéralisme : repenser le monde en anarchiste [BROCHURE] Eviter les pièges du libéralisme : repenser le monde en anarchiste Qu’est-ce qu’on entend par « dérives libérales » ? Mot devenu un peu fourre-tout et utilisé parfois un peu facilement lorsqu’il s’agit de gagner un débat, il nous semblait important de définir ce que sont des « dérives libérales » notamment dans cette période confusionniste où les mots semblent être vidés de leur sens. A travers cette (...) #Les_Articles

    / #Livres,_revues

    https://rebellyon.info/BROCHURE-Eviter-les-pieges-du-liberalisme-29583

  • Lecture d’un extrait du livre « Membres fantômes / Temps mêlés » de Claude Favre

    https://liminaire.fr/creation/radio-marelle/article/membres-fantomes-temps-meles-de-claude-favre

    Ce livre regroupe deux textes de Claude Favre qui se font écho. « Temps mêlés » confronte éclats du présent et réminiscences personnelles, tandis que « Membres fantômes » entremêle trois voix (publique, intime et poétique). Écriture de l’urgence et de la lucidité blessée, ses textes refusent l’apathie ambiante, les postures esthétisantes ou les silences complices. Claude Favre y affronte de plein fouet guerres, exils, ravages écologiques, et les fait entrer dans le langage. Elle écrit depuis un trop-plein du réel, une saturation d’horreurs où la poésie demeure pourtant un espace de résistance, de vérité, voire de consolation. Sa voix, radicale et dissidente, en colère, refuse de détourner le regard. Un appel vibrant à une parole vivante, risquée, essentielle, qui engage le corps, le souffle, et rend à la poésie sa puissance d’agir.

    (...) #Radio_Marelle, #Écriture, #Livre, #Lecture, #En_lisant_en_écrivant, #Podcast, #Littérature, #Mémoire, #Histoire, #Politique, #Guerre (...)

    https://liminaire.fr/IMG/mp4/en_lisant_membres_fanto_mes_temps_me_le_s_claude_favre.mp4

    https://editions-lanskine.fr/membres-fantomes-temps-meles

  • #Magdalena. Femmes du fleuve

    Magdalena. Femmes du fleuve est un #roman_graphique issu d’un processus de #recherche-création sur la vie des paysannes habitant sur les rives du fleuve Magdalena en Colombie. Le #livre part de la source dans les #montagnes andines et suit le cours du fleuve jusqu’à son embouchure dans la mer des Caraïbes. Il parcourt les histoires de huit femmes et les récits qu’elles tissent en relation avec les gens du fleuve, l’eau, la #faune, la #flore. Le roman montre également les résistances de ces femmes face aux projets d’aménagement et extractifs qui interrompent le cours de l’eau, ainsi que les voies parallèles de réexistence pour réinventer la vie après certaines conséquences irréparables. L’objectif de ce livre, au croisement de la recherche scientifique en géographie et de la création artistique, est de mettre en lumière des #histoires_de_vie qui ne sont pas souvent racontées, des réalités invisibilisées par des récits sur le fleuve essentiellement utilitaristes ou portés par des voix masculines. Magdalena souhaite faire exister non seulement les pluralités de formes selon lesquelles les femmes vivent sur et avec le fleuve Magdalena, ainsi que les continuités écologiques et culturelles qui unissent ce grand territoire de terre et d’eau.

    https://www.ateliermele.com/projets/magdalena-femmes-du-fleuve
    #fleuve #eau #Colombie #récit #femmes #histoires #lutte #résistance #Andes
    #BD #bande-dessinée

  • Terricide de Moira Millan : le combat du peuple mapuche
    Marguerite Catton| 31 mai 2025 | France Culture
    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/france-culture-va-plus-loin-le-samedi/terricide-de-moira-millan-le-combat-du-peuple-mapuche-8997110

    Moira Millan est militante mapuche, militante des peuples indigènes et de l’environnement et publie un essai autant biographique que politique intitulé « Terricide, sagesse ancestrale pour un monde alterNATIF », aux éditions Des femmes-Antoinette Fouque. Elle est l’invitée de Marguerite Catton.
    Avec

    Moira Millán, écrivaine et militante mapuche argentine

    #Terricide #Mapuche

    • Terricide. Sagesse ancestrale pour un monde alterNATIF

      Moira Millán dénonce le Terricide : l’extermination de toute forme de vie et de transmission.
      Moira Millán, militante indigène mapuche d’Argentine, a vu ses terres pillées et son peuple violenté par les gouvernements chilien et argentin. Dans ce manifeste, elle écrit sur le Terricide, concept qu’elle a inventé et qui va au-delà de l’écocide puisqu’il inclut non seulement la destruction de la terre, mais également celle de tous les êtres vivants ainsi que toute possibilité de transmission des cultures autochtones. Leader du Mouvement des Femmes et des Diversités Indigènes pour le Bien Vivre, elle propose une pensée décoloniale d’avenir menant à la solidarité et à l’autonomie pour les peuples opprimés. S’appuyant sur sa propre expérience ainsi que sur des témoignages recueillis au long de ses voyages, l’autrice décrit la lutte et les revendications des communautés telluriques, mais aussi leurs traditions, en lien étroit avec la spiritualité et l’attachement à la terre.
      Dans cet essai poignant, Moira Millán nous invite à une révolution de la pensée ainsi que de nos modèles sociaux, économiques et politiques, promouvant une nouvelle ontologie de l’humain fondée sur d’autres manières d’habiter la terre.

      https://www.desfemmes.fr/essai/terricide

      #Moira_Millan #peuples_autochtones #livre

    • Une autre émission récente de France Culture, littéraire celle-ci, sur la forêt Lacandone et le site de Bonampak.
      Mexique : de l‘exploration au pillage, avec Laetitia Bianchi
      https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-book-club/mexique-de-l-exploration-au-pillage-avec-laetitia-bianchi-1029560

      Dans son récit en forme d’enquête, notre invitée Laetitia Bianchi remonte le fil de l’histoire du site maya de Bonampak, au Mexique, célèbre pour ses fresques. Elle y examine la disparition progressive de la culture maya et la dévastation de la forêt par des explorateurs devenus exploitants.

      « Un Lacandon aux longs cheveux noirs, debout sur sa pirogue, vêtu d’une tunique blanche, creusant la transparence émeraude de la rivière d’une pagaie en bois. MÉXICO AUTÉNTICO. BONAMPAK. CHIAPAS. C’est peut-être le jour où j’ai vu, à l’aéroport de Mexico, sur un écran géant, cette publicité pour une agence de voyages, ce fantasme pour touriste en quête de bons sauvages, que ce livre est né. Un Lacandon ! Bonampak ! Authentique ! Vrai de vrai, à portée de main ! À portée de notre monde, à portée de nos yeux, là, pour nous, pour vous ! Et à ces visiteurs d’un jour qui achèteraient un petit jaguar en bois, il n’était donné qu’une image. Il n’était donné que le mensonge. »

    • Mexique : un défenseur des peuples indigènes à la tête de la Cour suprême
      https://www.leshumanites-media.com/post/mexique-un-défenseur-des-peuples-indigènes-à-la-tête-de-la-cour-

      Le prochain président de la Cour suprême (la plus haute instance judiciaire au #Mexique) sera Hugo Aguilar Ortiz (photo en tête d’article). Avocat d’origine mixteque, né en 1973 dans la région de #Oaxaca, il s’est distingué comme défenseur des droits des peuples autochtones : ancien avocat de l’Armée zapatiste de libération nationale (#EZLN), il a représenté plus de 25 communautés indigènes dans des litiges fonciers et politiques entre 1996 et 2010, obtenant des précédents importants devant les tribunaux locaux et fédéraux. Il a occupé le poste de coordinateur national des droits des peuples indigènes à l’Institut National des Peuples Indigènes (INPI), et a également travaillé comme consultant pour le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.

      #Amérique_latine

  • Le commun comme mode de production

    Jusqu’à une époque récente, public et privé apparaissaient comme les deux pôles exclusifs de l’organisation économique et sociale et des formes de #propriété. Tout se résumait à l’ancienne question de l’arbitrage entre « plus de #marché » ou « plus d’État ». Puis le commun et les #biens_communs ont fait à nouveau irruption dans l’espace public et ont remis en cause une donne qui semblait immuable. Pourtant la problématique du commun s’est développée à travers une pluralité d’approches théoriques et d’interprétations très différentes du rôle qu’il pourrait jouer dans un processus de #transformation_sociale. Dans cette perspective, cet ouvrage propose une thèse novatrice. Le commun n’est pas un simple tiers intrus entre #public et #privé, ni un pur principe politique. Il doit être pensé comme un véritable « #mode_de_production » susceptible de constituer une #alternative à l’hégémonie de la logique de l’État comme à celle de l’#économie capitaliste de marché. En mobilisant l’économie politique, le droit, l’histoire, la sociologie, la philosophie, les sciences de l’information et de la communication, les auteurs montrent que le commun contient ces potentialités, sans manquer d’analyser les faiblesses et les contradictions auxquelles se heurte son développement, jusque dans la nouvelle économie du net où, face au pouvoir des plateformes, s’amorce la possibilité d’un renversement de perspective.

    https://www.lyber-eclat.net/livres/le-commun-comme-mode-de-production
    #livre #commun #communs #Etat #capitalisme

  • Lecture d’un extrait du livre « Le cours secret du monde », d’Hugues Jallon, paru aux Éditions Verticales en 2025

    https://liminaire.fr/creation/radio-marelle/article/le-cours-secret-du-monde-d-hugues-jallon

    Dans "Le cours secret du monde", Hugues Jallon dresse un panorama déroutant de figures marginales ou influentes, ésotéristes, gourous, ingénieurs illuminés, agents doubles, spécialistes du développement personnel, pour explorer les zones troubles où l’occultisme, l’économie et le pouvoir s’entrelacent. À travers un montage d’anecdotes, d’extraits et de réflexions, il interroge le capitalisme comme système ésotérique, construit sur des promesses opaques et des récits à décrypter. Derrière les histoires singulières de ces « chercheurs de vérité » se dessine une logique du secret devenu norme. Le livre, constitué d’une juxtaposition d’éléments différents, nourri de colère et d’humour noir, évolue comme un labyrinthe mental où la lucidité politique flirte avec la paranoïa. Hugues Jallon y esquisse une critique du monde contemporain et un appel à rompre avec ses injonctions absurdes.

    (...) #Radio_Marelle, #Écriture, #Livre, #Lecture, #En_lisant_en_écrivant, #Podcast, #Littérature, #Mémoire, #Histoire, #Politique, #Capitalisme, #Occultisme, (...)

    https://liminaire.fr/IMG/mp4/en_lisant_le_cours_secret_du_monde_hugues_jallon.mp4

    http://www.editions-verticales.com/fiche_ouvrage.php?id=500

  • #inventaire

    - Faites l’inventaire de vos livres
    – Partagez vos inventaires entre ami⋅es et communautés
    – Garder la trace des livres que vous prêtez et empruntez

    https://inventaire.io

    Mis en ligne en 2015, Inventaire, outil de partage de livres basé sur les données de #Wikidata, fête ses 10 ans ! L’occasion de faire un point d’étape et de parler du futur du projet.

    Avec les années, le projet a trouvé sa place au service des bibliothèques associatives et militantes, et des amateur·ice·s de livres et de savoir libre. Comme d’autres projets libres, Inventaire peine néanmoins à atteindre un public plus large. Quoique l’on soit déjà très heureux·ses de servir ces usages restreints, mais qui ont toute notre sympathie, cela pose des questions sur le mode de financement à plus long terme. Nous avons pu bénéficier ces dernières années des financements NGI/NLnet, mais ceux-ci ne seront pas éternels.

    Né comme un projet centralisé sur la seule instance #inventaire.io, 2025 marque le début d’une nouvelle ère pour le projet, avec l’invitation qui est faites à toutes les personnes versées dans les bibliothèques amateurs et l’auto-hébergement à lancer leur propre instance !

    La fédération d’instance est encore partielle et le terme même de fédération pourrait prêter à débat : les derniers développements permettent à une instance d’avoir ses propres bases de données d’utilisateur·ice·s et d’inventaires de livres, tout en se basant sur les données bibliographiques mutualisées sur inventaire.io. L’étape d’après serait de pouvoir fédérer les #inventaires eux-mêmes : afficher les inventaires d’autres instances et pouvoir faire des demandes d’échanges, pouvoir constituer des groupes sans êtres tou·te·s sur la même instance, etc.

    L’année passée a été également riche en termes de développements autour du modèle de données bibliographiques : construire un service web autour des données d’un wiki tel que Wikidata requière une résilience, une créativité et un zen à toutes épreuves. Typage des entités, couche de données locale, outils de réconciliation avec des bases de données tierces (OpenLibrary, BNF, etc), les sujets ne manque pas, mais on n’aura pas le temps de tout traiter : on ira vers ce qui intéresse les personnes présentes !

    https://pretalx.jdll.org/jdll2025/talk/TBC7YS

    #prêt #vente #livres #quartier #inventaire #cartographie #OSM #partage #échange #voisins #bibliothèques

  • « C’est vers eux que va tout le budget » : chez #Fayard, l’#extrême_droite a gagné entre les lignes

    Bardella, Ciotti ou une figure identitaire d’un côté. Les égéries de CNews de l’autre. Depuis un an et la reprise de Fayard par Vincent #Bolloré, la maison d’édition s’oriente irrémédiablement vers l’extrême droite, malgré ce qu’en dit la com’.

    https://www.streetpress.com/sujet/1747390312-fayard-edition-extreme-droite-lise-boell-bollore-bardella-ma

    #édition
    #livres

  • Magdalena. Femmes du fleuve

    Magdalena. Femmes du fleuve est un roman graphique issu d’un processus de #recherche-création sur la vie des paysannes habitant sur les rives du #fleuve_Magdalena en #Colombie. Le livre part de la source dans les #montagnes andines et suit le cours du fleuve jusqu’à son embouchure dans la mer des Caraïbes. Il parcourt les histoires de huit #femmes et les #récits qu’elles tissent en relation avec les #gens_du_fleuve, l’#eau, la #faune, la #flore. Le roman montre également les #résistances de ces femmes face aux projets d’aménagement et extractifs qui interrompent le cours de l’eau, ainsi que les voies parallèles de réexistence pour réinventer la vie après certaines conséquences irréparables. L’objectif de ce livre, au croisement de la recherche scientifique en géographie et de la création artistique, est de mettre en lumière des #histoires_de_vie qui ne sont pas souvent racontées, des réalités invisibilisées par des récits sur le #fleuve essentiellement utilitaristes ou portés par des voix masculines. Magdalena souhaite faire exister non seulement les pluralités de formes selon lesquelles les femmes vivent sur et avec le fleuve Magdalena, ainsi que les continuités écologiques et culturelles qui unissent ce grand territoire de terre et d’eau.

    https://www.lcdpu.fr/books/56262F9A-AA2F-4EB3-B417-6E4660FC8A84
    #BD #livre #bande-dessinée #aménagement_du_territoire #extractivisme

  • La #colère pour s’affirmer ?
    https://www.youtube.com/watch?v=edN_QLbJrYU

    La colère est un sentiment que l’on attribue plus volontiers aux hommes. Chez les femmes, elle passe souvent pour de l’#hystérie, un manque de sang-froid ou la marque d’une #personnalité_difficile. Pourtant, elles auraient tellement de raisons de se fâcher : domination, discrimination, injustice, etc. « Twist » rencontre des artistes qui transforment leur colère en #énergie_créatrice.

    Égérie des #Femen, l’activiste ukrainienne #Inna_Shevchenko a trouvé en Paris une terre d’accueil il y a dix ans. Au péril de sa vie, elle lutte pour les droits des femmes et la liberté d’expression, bravant les condamnations et les persécutions. Dans son nouveau livre, elle donne une voix aux femmes ukrainiennes.

    #Tara-Louise_Wittwer, autrice et productrice de vidéos, combat le machisme à grand renfort d’humour. La Berlinoise compte des centaines de milliers de followers sur TikTok.

    Celles qui expriment publiquement leur colère doivent s’attendre à des réactions virulentes. Le collectif de tagueuses LGBTQI #PMS_Ultras en sait quelque chose. Armées de bombes de peinture, ces activistes s’approprient le paysage urbain berlinois et défendent les minorités contre le patriarcat et les idées d’extrême droite.

    L’artiste #Joséphine_Sagna lutte contre le stéréotype de la « femme noire agressive » avec des œuvres aussi colorées qu’expressives. La Germano-Sénégalaise dénonce le racisme quotidien et les préjugés à travers son art.

    Originaire de Hambourg, la rappeuse #Finna est membre du collectif hip-hop #Fe*Male_Treasure. Celle qui se décrit comme une « mère queer translesbienne body-positive » a la rage au ventre. C’est là qu’elle puise la force de hurler ses textes politiques en public.

    #rage #femmes #féminisme #colère_féminine #art #art_et_politique #solidarité #vidéo #female_rage #misogynie #ironie #sarcasme #espace_public #art_de_rue #street-art #rage_féministe

  • Le dernier costume n’a pas de poche

    En 2018, #Chamesddine_Marzoug, pêcheur et bénévole au Croissant Rouge, a lancé un appel au parlement européen de Strasbourg pour faire preuve d’humanité face à ceux qui fuient leur pays pour avoir un avenir. Insistant sur la mort d’un enfant âgé de 5 ans, il a demandé à l’auditoire : « Quelle erreur a-t-il commise, à son âge ? »
    Ce livre est l’histoire d’un homme qui s’est donné pour mission d’enterrer « dignement » les migrants morts au large de la #Tunisie en tentant de rejoindre l’Europe. Laurent Galandon a tiré de sa rencontre avec Chamesddine Marzoug une fiction émouvante, inspirée des faits, lieux et situations réels, qui laisse une place à l’espoir.

    Chamesddine Marzoug. Bénévole au Croissant Rouge, ce pêcheur quinquagénaire de #Zarzis, au sud de la Tunisie, offre aux migrants anonymes morts en Méditerranée une sépulture dans le #cimetière_des_inconnus qu’il a lui-même créé. Ce matin de mars 2022, à bord d’un bateau de pêche, il est à nouveau témoin de corps flottants au large de la méditerranée. Le même jour, il fait la connaissance d’un adolescent perdu, Abdoulaye, qui est arrivé sur la plage sans savoir où il était exactement. Encore un migrant, parti de Lybie. Perdu en mer, sans vivres, il a survécu, dit-il, emporté par des tortues géantes jusqu’au rivage tunisien.
    Pour connaitre la misère des migrants, Chamesddine n’en est pas moins confronté à une autre réalité, celle de sa famille, à qui on refuse des visas, alors que l’Europe facilite l’arrivée des réfugiés d’Ukraine et ses amis, devenus passeurs.

    https://www.futuropolis.fr/9782754835817/le-dernier-costume-n-a-pas-de-poche.html
    #cimetière #mourir_aux_frontières #migrations #morts_aux_frontières #dignité #enterrement
    #livre #BD #bande-dessinée

    ping @6donie @isskein

  • Les #parcs africains ou l’histoire d’un #colonialisme_vert

    Derrière le mythe d’une Afrique #sauvage et fascinante se cache une histoire méconnue : celle de la mise sous cloche de la #nature au mépris des populations, orchestrée par des experts occidentaux. L’historien #Guillaume_Blanc raconte.

    Vous avez longuement enquêté sur les politiques de #protection_de_la_nature mises en place en #Afrique depuis la fin du XIXe siècle. Comment, dans l’esprit des experts occidentaux de la conservation de la nature, a germé cette idée que le continent africain constituait le dernier éden sauvage de la planète, qu’il s’agissait de préserver à tout prix ?

    Guillaume Blanc1 Mon enquête historique s’appuie en effet sur plus de 130 000 pages de documents issus de 8 fonds d’archives répartis entre l’Europe et l’Afrique. Pour comprendre ce mythe de la nature sauvage, il faut se mettre à la place des #botanistes et des #forestiers qui partent tenter l’aventure dans les #colonies à la fin du XIXe siècle, et laissent derrière eux une Europe radicalement transformée par l’industrialisation et l’urbanisation. En arrivant en Afrique, ils sont persuadés d’y retrouver la nature qu’ils ont perdue chez eux.

    Cette vision est en outre soutenue par un ensemble d’œuvres relayées par la grande presse. C’est par exemple #Winston_Churchill qui, en 1907, publie Mon voyage en Afrique, dans lequel il décrit le continent africain comme un « vaste jardin naturel » malheureusement peuplé d’« êtres malhabiles ». Dans les années 1930, c’est ensuite #Ernest_Hemingway qui évoque, dans Les Neiges du Kilimandjaro, un continent où les #big_five – ces mammifères emblématiques de l’Afrique que sont le #lion, le #léopard, l’#éléphant, le #rhinocéros noir et le #buffle – régneraient en maîtres. Depuis, le #mythe de cette Afrique édénique a perduré à travers les reportages du #National_Geographic et de la BBC ou, plus récemment, avec la sortie du célèbre film d’animation #Le_Roi_Lion.

    Qui sont les principaux acteurs des politiques de protection de la nature en Afrique, depuis les premières réserves de faune sauvage jusqu’à la création des parcs nationaux ?
    G. B. En Afrique, la création des #réserves_de_chasse à la fin du XIXe siècle par les colonisateurs européens vise surtout à protéger le commerce des troupeaux d’éléphants, déjà largement décimés par la #chasse. À partir des années 1940, ces #réserves deviennent ensuite des espaces dédiés presque exclusivement à la contemplation de la #faune_sauvage – une évolution qui témoigne d’une prise de conscience de l’opinion publique, qui considère comme immoral le massacre de la grande #faune.

    Les principaux acteurs de cette transformation sont des écologues administrateurs, à l’image de #Julian_Huxley, le tout premier directeur de l’#Unesco, nommé en 1946. On peut également citer #Edgar_Worthington, qui fut directeur scientifique adjoint du #Nature_Conservancy (une orga­ni­sa­tion gouvernementale britannique), ou l’ornithologue #Edward_Max_Nicholson, l’un des fondateurs du #World_Wildlife_Fund, le fameux #WWF. À partir des années 1950, ces scientifiques issus de l’administration impériale britannique vont s’efforcer de mettre la #science au service du gouvernement, de la nature et des hommes.

    À l’époque coloniale, la nature africaine semble toutefois moins menacée qu’elle ne l’est aujourd’hui. N’y a-t-il pas comme une forme de contradiction de la part des experts de la conservation à vouloir présenter ce continent comme le dernier éden sauvage sur Terre et, dans le même temps, à alerter sur le risque d’extinction de certaines espèces ?
    G. B. Si on prend l’exemple des éléphants, ce sont tout de même 65 000 animaux qui sont abattus chaque année à la fin du XIXe siècle en Afrique de l’Est pour alimenter le commerce de l’#ivoire. À cette époque, les administrateurs coloniaux sont pourtant incapables de réaliser que le massacre auquel ils assistent relève de leur propre responsabilité. Car, tout autour des espaces de protection qu’ils mettent en place pour protéger la nature, la destruction des #ressources_naturelles se poursuit – ce sont les #plantations de #cacao en #Côte_d’Ivoire qui empiètent toujours plus sur la #forêt_tropicale, ou le développement à grande échelle de la culture du #café en #Tanzanie et au #Kenya.

    À mesure que ce #capitalisme_extractiviste s’intensifie, la protection de la faune et de la flore se renforce via la multiplication des #zones_protégées. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ceux qui entendent préserver la nature en établissant des réserves de chasse, puis des parcs nationaux, sont aussi ceux qui la détruisent en dehors de ces espaces de protection.

    Une initiative baptisée « #Projet_spécial_africain » illustre bien cette vision de la nature africaine. En quoi consiste cette grande #mission_écologique, largement promue par les experts internationaux de la conservation ?
    G. B. Le Projet spécial africain est lancé à Varsovie en 1960 par l’#Union_internationale_pour_la_conservation_de_la_nature (#UICN), sous l’égide des Nations unies. En septembre 1961, une grande conférence internationale est organisée à Arusha, en Tanzanie, afin de promouvoir les programmes de conservation auprès des dirigeants africains arrivés au pouvoir après les indépendances. Elle réunit une centaine d’experts occidentaux ainsi qu’une trentaine de dirigeants africains.

    D’un commun accord, ces derniers déclarent vouloir poursuivre les efforts accomplis par les colons européens dans les parcs nationaux africains qui ont vu le jour depuis la fin des années 1920. Pour, je cite, « aider les gouvernements africains à s’aider eux-mêmes », des experts internationaux sont alors envoyés en Afrique. Le Projet spécial africain, qui se poursuivra jusqu’à la fin des années 1970, prend donc la forme d’une alliance entre les dirigeants africains et les experts internationaux.

    Dans le livre que vous avez publié il y a peu, La Nature des hommes, vous rappelez que les institutions internationales ont fortement incité les pays africains à exclure leurs populations des territoires de ce qui allait devenir les parcs nationaux…
    G. B. Parmi les institutions impliquées, il y a, d’un côté, les agences des Nations unies comme l’Unesco et la FAO, mais aussi des organisations non gouvernementales comme l’UICN, le WWF ou la Fauna & Flora International (FFI). Ces deux grandes catégories d’institutions ont tout d’abord servi de machine à reconvertir les administrateurs coloniaux en experts internationaux de la conservation. Ce sont elles qui vont ensuite imposer les mesures conservationnistes à l’intérieur des parcs.

    La FAO va, par exemple, conditionner son aide au Kenya, à l’Éthiopie ou à la Tanzanie pour l’achat de matériel agricole à l’acceptation des règles édictées par l’Unesco – à savoir que soient expulsées les populations qui vivent dans les parcs pour préserver les grands mammifères. C’est donc un véritable système international qui se met en place, dans lequel les agences des Nations unies vont avoir recours à des experts qu’elles vont mandater auprès de l’UICN, du WWF ou de la #FFI.

    Dans les années qui suivent la #décolonisation, les dirigeants africains participent eux aussi à cette #mythification d’un continent foisonnant de vie, car préservé des activités humaines. Quelle est leur part de responsabilité dans la construction de cet #imaginaire ?
    G. B. S’ils n’ont pas choisi ce cadre culturel imposé par les experts internationaux de la conservation, selon lequel l’Afrique serait le dernier refuge mondial de la faune sauvage, ils savent en revanche le mettre au service de leurs propres intérêts. Au #Congo, rebaptisé Zaïre en 1971 par le président Mobutu, ce dernier explique lors d’une conférence de l’UICN qui se tient à Kinshasa que son pays a créé bien plus de parcs que le colonisateur belge qui l’a précédé.

    En 1970, soit près de 10 ans après son indépendance, la Tanzanie a de son côté quadruplé son budget dédié aux parcs nationaux, sous l’impulsion de son Premier ministre #Julius_Nyerere, bien conscient que le parc national représente une véritable #opportunité_économique. Si Julius Nyerere n’envisage pas de « passer (s)es vacances à regarder des crocodiles barboter dans l’eau », comme il l’explique lui-même dans la presse tanzanienne, il assure que les Occidentaux sont prêts à dépenser des millions de dollars pour observer la faune exceptionnelle de son pays. Julius Nyerere entend alors faire de la nature la plus grande ressource économique de la Tanzanie.

    Certains responsables politiques africains mettent aussi à profit le statut de parc national pour contrôler une partie de leur population…
    G. B. Pour une nation comme l’Éthiopie d’#Hailé_Sélassié, la mise en parc de la nature donne la #légitimité et les moyens financiers pour aller planter le drapeau national dans des territoires qui échappent à son contrôle. Lorsque l’UICN et le WWF suggèrent à l’empereur d’Éthiopie de mettre en parc différentes régions de son pays, il choisit ainsi le #Simien, dans le Nord, une zone de maquis contestant le pouvoir central d’Addis-Abeba, l’#Awash, dans l’Est, qui regroupe des semi-nomades vivant avec leurs propres organisations politiques, et la #vallée_de_l’Omo, dans le Sud, où des populations circulent librement entre l’Éthiopie et le Kenya sans reconnaître les frontières nationales.

    En Afrique, la mise sous protection de la nature sauvage se traduit souvent par l’#expulsion des peuples qui vivent dans les zones visées. Quelles sont les conséquences pour ces hommes et ces femmes ?
    G. B. Ce #déplacement_forcé s’apparente à un véritable tremblement de terre, pour reprendre l’expression du sociologue américain Michael Cernes, qui a suivi les projets de #déplacement_de_populations menés par les Nations unies. Pour les personnes concernées, c’est la double peine, puisqu’en étant expulsées, elles sont directement impactées par la création des parcs nationaux, sans en tirer ensuite le moindre bénéfice. Une fois réinstallées, elles perdent en effet leurs réseaux d’entraide pour l’alimentation et les échanges socio-économiques.

    Sur le plan environnemental, c’est aussi une catastrophe pour le territoire d’accueil de ces expulsés. Car, là où la terre était en mesure de supporter une certaine densité de bétail et un certain niveau d’extraction des ressources naturelles, la #surpopulation et la #surexploitation de l’#environnement dont parlent les experts de la conservation deviennent réalité. Dans une étude publiée en 20012, deux chercheurs américain et mozambicain ont tenté d’évaluer le nombre de ces expulsés pour l’ensemble des parcs nationaux d’Afrique. En tenant compte des lacunes statistiques des archives historiques à ce sujet, les chercheurs ont estimé qu’entre 1 et 14 millions de personnes avaient été contraintes de quitter ces espaces de conservation au cours du XXe siècle.

    Depuis la fin des années 1990, les politiques globales de la #conservation_de_la_nature s’efforcent d’associer les populations qui vivent dans ou à côté des #aires_protégées. Comment se matérialise cette nouvelle philosophie de la conservation pour les populations ?
    G. B. Cette nouvelle doctrine se traduit de différentes manières. Si l’on prend l’exemple de l’#Ouganda, la population va désormais pouvoir bénéficier des revenus du #tourisme lié aux parcs nationaux. Mais ceux qui tirent réellement profit de cette ouverture des politiques globales de conservation sont souvent des citadins qui acceptent de devenir entrepreneurs ou guides touristiques. Les habitants des parcs n’ont pour leur part aucun droit de regard sur la gestion de ces espaces protégés et continuent de s’y opposer, parfois avec virulence.

    En associant les populations qui vivent dans ou à proximité des parcs à la gestion de la grande faune qu’ils abritent, la conservation communautaire les incite à attribuer une valeur monétaire à ces animaux. C’est ce qui s’est produit en #Namibie. Plus un mammifère est prisé des touristes, comme l’éléphant ou le lion, plus sa valeur pécuniaire augmente et, avec elle, le niveau de protection que lui accorde la population. Mais quid d’une pandémie comme le Covid-19, provoquant l’arrêt de toute activité touristique pendant deux ans ? Eh bien, la faune n’est plus protégée, puisqu’elle n’a plus aucune valeur. Parce qu’il nie la singularité des sociétés auxquelles il prétend vouloir s’adapter, le modèle de la #conservation_communautaire, qui prétend associer les #populations_locales, se révèle donc souvent inefficace.

    Des mesures destinées à exclure les humains des espaces naturels protégés continuent-elles d’être prises par certains gouvernements africains ?
    G. B. De telles décisions restent malheureusement d’actualité. Les travaux de l’association Survival International l’ont très bien documenté au #Cameroun, en #République_démocratique_du_Congo ou en Tanzanie. En Éthiopie, dans le #parc_du_Simien, où je me suis rendu à plusieurs reprises, les dernières #expulsions datent de 2016. Cette année-là, plus de 2 500 villageois ont été expulsés de force à 35 km du parc. Dans les années 2010, le géographe américain Roderick Neumann a pour sa part recensé jusqu’à 800 #meurtres liés à la politique de « #shoot_on_sight (tir à vue) » appliquée dans plusieurs parcs nationaux d’Afrique de l’Est. Selon cette doctrine, toute personne qui se trouve à l’intérieur du parc est soupçonnée de #braconnage et peut donc être abattue par les éco-gardes. Dans des pays où le braconnage n’est pourtant pas passible de peine de mort, de simples chasseurs de petit gibier sont ainsi exécutés sans sommation.

    En Europe, les règles de fonctionnement des parcs nationaux diffèrent de celles qui s’appliquent aux espaces de protection africains. Si on prend l’exemple du parc national des Cévennes, l’agriculture traditionnelle et le pastoralisme n’y sont pas prohibés, mais valorisés en tant qu’éléments de la culture locale. Comment expliquer ce « deux poids, deux mesures » dans la façon d’appréhender les espaces de protection de la nature en Europe et en Afrique ?
    G. B. Le parc national des Cévennes, créé en 1970, abrite plus de 70 % du site des Causses et Cévennes, inscrit sur la liste du Patrimoine mondial depuis 2011. Or la valeur universelle exceptionnelle qui conditionne un tel classement est, selon l’Unesco, « l’agropastoralisme, une tradition qui a façonné le paysage cévenol ». C’est d’ailleurs à l’appui de cet argumentaire que l’État français alloue des subventions au parc pour que la transhumance des bergers s’effectue à pied et non pas en camions, ou bien encore qu’il finance la rénovation des toitures et des murs de bergeries à partir de matériaux dits « traditionnels ».

    En revanche, dans le parc éthiopien du Simien, la valeur universelle exceptionnelle qui a justifié le classement de ce territoire par l’Unesco est « ses #paysages spectaculaires ». Mais si les #montagnes du Simien ont été classées « en péril3 » et les populations qui y vivaient ont été expulsées, c’est, selon les archives de cette même organisation internationale, parce que « l’#agropastoralisme menace la valeur du bien ».

    À travers ces deux exemples, on comprend que l’appréciation des rapports homme-nature n’est pas univoque en matière de conservation : il y a une lecture selon laquelle, en Europe, l’homme façonne la nature, et une lecture selon laquelle, en Afrique, il la dégrade. En vertu de ce dualisme, les activités agropastorales relèvent ainsi d’une #tradition à protéger en Europe, et d’une pratique destructrice à éliminer en Afrique.

    https://lejournal.cnrs.fr/articles/parcs-Afrique-colonialisme-histoire-nature-faune
    #colonialisme #animaux #ingénierie_démographique

    • La nature des hommes. Une mission écologique pour « sauver » l’Afrique

      Pendant la colonisation, pour sauver en Afrique la nature déjà disparue en Europe, les colons créent des parcs en expulsant brutalement ceux qui cultivent la terre. Et au lendemain des indépendances, avec l’Unesco ou le WWF, les dirigeants africains « protègent » la même nature, une nature que le monde entier veut vierge, sauvage, sans hommes.
      Les suites de cette histoire sont connues : des millions de paysans africains expulsés et violentés, aujourd’hui encore. Mais comment a-t-elle pu advenir ? Qui a bien pu organiser cette continuité entre le temps des colonies et le temps des indépendances ? Guillaume Blanc répond à ces questions en plongeant le lecteur au cœur d’une étrange mission écologique mondiale, lancée en 1961 : le « Projet spécial africain ».
      L’auteur raconte l’histoire de ce Projet, mais, plutôt que de suivre un seul fil narratif, il redonne vie à quatre mondes, que l’on découvre l’un après l’autre : le monde des experts-gentlemen qui pensent l’Afrique comme le dernier refuge naturel du monde ; celui des colons d’Afrique de l’Est qui se reconvertissent en experts internationaux ; celui des dirigeants africains qui entendent contrôler leurs peuples tout en satisfaisant les exigences de leurs partenaires occidentaux ; celui, enfin, de paysans auxquels il est demandé de s’adapter ou de disparaître. Ces hommes ne parlent pas de la même nature, mais, pas à pas, leurs mondes se rapprochent, et ils se rencontrent, pour de bon. Ici naît la violence. Car c’est la nature des hommes que d’échanger, pour le meilleur et pour le pire.

      https://www.editionsladecouverte.fr/la_nature_des_hommes-9782348081750
      #livre

  • La Terre en tête - imago mundi
    https://www.imagomundi.fr/article107.html

    Avec une photographie prise à environ 29 000 kilomètres de la Terre, l’équipage de la mission Apollo 17 assurait la tâche que lui avait assignée la NASA lors de son voyage vers la Lune en décembre 1972 : rapporter une photographie du globe terrestre parfaitement rond et plein cadre. Ce cliché accédera au statut d’icône en devenant « La Bille bleue » (« The Blue Marble) ». Dans November. November. En route pour la Lune, la Terre en tête, paru en janvier 2025 aux Éditions La Baconnière, le géographe et écrivain Alexandre Chollier nous livre un récit passionnant et soigneusement documenté des circonstances de la réalisation de l’image parfaite de notre planète.
    par la rédaction
    #The_Blue_Marble #La_Bille_bleue #espace #Terre #Lune #mission_spatiale #cartographie #image #livre #Alexandre_Chollier

    • RIFIUTI ? UNA RISORSA

      Questo volume rappresenta un riassunto di carattere divulgativo di problematiche ambientali ben note e già studiate in maniera approfondita; vuole essere semplicemente uno strumento di diffusione della cultura ambientale e un aiuto, suggerimento per le Amministrazioni Locali ed i cittadini, affinché possano sensibilizzarsi ulteriormente di fronte alle problematiche sorte con la società consumistica. Questo libretto potrebbe essere uno strumento per i Comuni per realizzare incontri partecipativi estesi alla cittadinanza, in maniera tale da spingere il singolo a dare il proprio contributo nel corretto comportamento riguardo la questione dei rifiuti, generando, sul medio lungo periodo, un beneficio sulla collettività in termine di salute e di risparmio economico. Il problema ambientale è un problema che riguarda tutti, per cui la responsabilità è collettiva e non individuale; a tal proposito la politica in genere ha un ruolo determinante come motore che inneschi e regoli comportamenti virtuosi nei cittadini, che a loro volta devono prendere coscienza di trattare l’ambiente come la propria persona o la propria casa.

      https://libri.editorialedelfino.it/prodotto/rifiuti-una-risorsa

      #livre

  • Les Irresponsables - Mon blog sur l’écologie politique
    https://blog.ecologie-politique.eu/post/Les-Irresponsables

    « Comme on le sait, Hitler a été élu démocratiquement », lisais-je il y a quelques jours à peine dans un article par ailleurs très fin sur la montée du fascisme. Voilà un topos auquel on espère échapper maintenant que l’historien Johann Chapoutot, une référence sur la période nazie, s’est attaqué aux mois qui ont précédé l’accession au pouvoir de Hitler.

    #recension #livre #Johann_Chapoutot #Aude_Vidal #nazi #Hitler #démocratie #élection #Allemagne #Histoire

    • Merci d’attirer l’attention vers un livre qui en finit avec le mensonge qu’on nous a enseigné dès l’école primaire. On ne le répète jamais assez souvent : Hilter n’a pas été élu démocratiquement. Il n’a même pas été élu du tout mais nommé par le représentant de la fraction la plus réactionnaire des riches, les Junker propriétaires de grandes terres à l’Est de l’Elbe (ostelbiischer Adel). L’élection qui a consolidé son pouvoir n’a eu lieu qu"après le coup d’état nazi après l’incendie du Reichstag le 27 février 1933 deux moi après la nomination d’Hitler comme Reichskanzler par le président allemand, le général dément Hindenburg.

      A mon avis nos enseignants nous ont enseigné le mythe de l’élection légale d’Hitler afin de se disculper eux-mêmes et toute leur génération qui suivant ce récit n’a pu se rendre compte de ce qui se passait qu’une fois qu’il a été trop tard pour encore s’opposer aux hordes nazies désormais au pouvoir.

      Si ce mythe fait partie des « vérités » enseignées en France aussi c’est sans doute pour éviter de parler des classes sociales qui ont porté au pouvoir les nazis. Il faut bien donner une explication quelconque si on veut embrouiller les faits historiques.

      #Allemagne #nazis #histoire

    • Ici, ce n’est pas ce qui est dans les manuels où le fait qu’il soit nommé est souligné. Mais à simplifier abusivement, ou à régurgiter les cours suivis des décennies plus tôt, dire "Hitler élu" (on l’entend y compris de la part de profs d’histoire "de gauche") épargne pas mal d’efforts. (On peut aussi entendre dans un cours de 3ème sur la Guerre de 14 que la Révolution de 1905 était une sorte de révolution bourgeoise, un peu comme notre 1789).

      Sans être de gauche, on peut aller beaucoup plus loin.

      Non, François Bayrou, Hitler n’a pas vraiment été « élu » avec plus de 90% des voix (2017)
      https://www.liberation.fr/desintox/2017/02/06/non-francois-bayrou-hitler-n-a-pas-vraiment-ete-elu-avec-plus-de-90-des-v

      Sinon, Chapoutot est mentionné ici 19 fois depuis 2020, flux en crue depuis son dernier ouvrage.

      #au_pays_des_lumières_éteintes

    • J’ai souvent lu ou entendu ce mythe des nazis arrivés au pouvoir par les urnes utilisé comme un argument, en période électorale, pour encourager le vote contre le FN/RN. En mode : « allez voter pour faire barrage, souvenez vous qu’en Allemagne etc. »

    • Il serait presque tentant de faire un parallèle avec ce qui se passe actuellement en France et plus généralement en Europe. L’Histoire, la tragédie, la farce, toussa ... Toujours les mêmes enjeux (capitalistes) avec des dynasties de propriétaires (du foncier, de la finance ou de l’appareil de production) qui rechignent à lâcher le bout de gras et s’accrochent comme des morbacs à leurs prérogatives et à leurs « notoriétés ».

    • Je crois que l’intention de Chapoutot est de considérer l’histoire de la montée du nazisme du point de vue contemporain, c’est-à-dire depuis le monde d’aujourd’hui, il s’agit de parler du présent aussi et de ce qui pourrait être évité.

      Aussi, c’est intéressant de démontrer - ou de rappeller car la thèse n’est pas nouvelle - que le nazisme résulte d’un choix de la bourgeosie mais le parti nazi n’était pas rien sur le plan électoral et il me semble, mais je ne suis pas spécialiste, que la gauche - parti communiste stalinisé et soc-dems penchant vers le centre - peinait à s’unir.

      Les travaux de Chapoutot sont brillants. Mais je me demande quelle utilité cela peut avoir face à l’extrême droite, ses moyens, ses soutiens, son électorat, sa façon de falsifier, détourner, inverser, récupérer, ignorer, moquer les faits.

      L’histoire consiste à établir un récit en interrogeant, critiquant et croisant archives, objets, témoignages, sources etc. C’est une méthode d’investigation critique. Mais son usage est souvent politique, en un sens l’histoire est celle de l’État.

      En 1988, Debord commentait :

      On croyait savoir que l’histoire était apparue, en Grèce, avec la démocratie. On peut vérifier qu’elle disparaît du monde avec elle.

      Il faut pourtant ajouter, à cette liste des triomphes du pouvoir, un résultat pour lui négatif : un État, dans la gestion duquel s’installe durablement un grand déficit de connaissances historiques, ne peut plus être conduit stratégiquement.

      Un article du Monde s’alarme des lacunes de l’enseignement de l’histoire de la guerre civile et de la dictature franquiste en Espagne :

      https://www.lemonde.fr/international/article/2025/04/02/en-espagne-l-ecole-fait-l-impasse-sur-franco_6589695_3210.html

      En France, l’histoire de la guerre d’Algérie est un sujet de grands débats.

      Hier Macron laissait le soin aux historiens de dire si c’était bien un génocide qui se déroulait à Gaza. Il s’indignait mais ne proposait ni sanction contre Israël ni reconnaissance de la Palestine :

      https://www.humanite.fr/monde/bande-de-gaza/sur-la-situation-a-gaza-macron-laisse-aux-historiens-le-soin-de-parler-de-g

  • Lecture d’un extrait du livre « Bassoléa ou de l’herbe dans le ventre » de Juliette Mézenc, paru aux Editions La Contre Allée en 2025.

    https://liminaire.fr/creation/radio-marelle/article/bassolea-ou-de-l-herbe-dans-le-ventre-de-juliette-mezenc

    Bassoléa, c’est la voix d’une jeune femme « mise au vert » contre son gré. En colère contre le monde et ses absurdités, elle trouve refuge dans une véranda sous terre. Là, elle contemple champignons, bactéries, racines, protozoaires. Elle respire enfin. Curieuse, elle cherche « à traduire dans le monde des humains l’art de vivre des microbes. » Ce monologue haletant, à la croisée du récit initiatique et d’une forme de manifeste écopoétique, critique frontalement notre société du tout-travail, destructrice du vivant, et imagine un corps recyclable, sans trace, en célébrant l’élan vital d’une jeunesse en quête d’alternatives. De sa fureur naît un enthousiasme contagieux, une curiosité pour ce qui pousse, pour ce qui échappe à l’ordre dominant. Un chant vibrant, une parole libre, incarnée, profondément vivante.

    (...) #Radio_Marelle, #Écriture, #Livre, #Lecture, #En_lisant_en_écrivant, #Podcast, #Littérature, #Mémoire, #Histoire, #Nature, #Écologie, (...)

    https://liminaire.fr/IMG/mp4/en_lisant_bassole_a_juliette_me_zenc.mp4

    https://lacontreallee.com/catalogue/bassolea

  • Editions Allia - Livre - L’Art d’en sortir
    https://www.editions-allia.com/fr/livre/1069/l-art-d-en-sortir

    Tour à tour cinéaste, metteur en scène, chef de troupe et tête chercheuse : ces entretiens nous embarquent à la poursuite de l’insaisissable Marc’O !

    Marc-Gilbert Guillaumin, dit Marc’O avait 6 ans de moins en 2019 soit 92 ans.
    https://seenthis.net/messages/790992
    #histoire #Allia

  • Une odyssée cartographique en #BD

    Dans "Geographia", l’historienne Emmanuelle Vagnon et le dessinateur et géographe Jean Leveugle retracent en BD l’histoire de la cartographie, de l’Antiquité à nos jours. En faisant revivre #Ptolémée, fondateur de la cartographie moderne, ils invitent à une épopée fantastique dans l’espace et le temps.

    Pourquoi est-il intéressant de retracer l’histoire de la cartographie ?
    Jean Leveugle1 Plonger dans cette histoire d’une extraordinaire richesse permet de rappeler qu’il a existé d’autres formes pertinentes de cartographies que celles que nous connaissons aujourd’hui. Dès l’émergence de l’écriture, les hommes ont tenté de représenter l’espace où ils vivaient dans des cartes locales. En Bretagne, par exemple, la dalle gravée de Saint-Bélec, datant de l’âge du bronze (1900-1600 avant notre ère), témoigne déjà d’une transcription graphique de la vallée de l’Odet.

    Nous faisons démarrer notre récit dans l’Antiquité, au VIIIe siècle av. J.-C., avec une carte mésopotamienne gravée sur une tablette d’argile, parce que les Babyloniens sont parmi les premiers à tenter de représenter le monde. Ils placent Babylone au centre, avec des localités qui gravitent autour, des fleuves et des toponymes assez précis, et plus on s’en éloigne, plus les mythes prennent le relais.

    Emmanuelle Vagnon2 Il ne s’agit pas d’une histoire linéaire, de l’ignorance à la connaissance. Si beaucoup de témoignages ont été perdus, et peut-être des cartes plus anciennes encore que celles de la Mésopotamie, on sait désormais que tous les peuples ont produit des modes intéressants de représentations spatiales, reflets de leur culture. Avec cette traversée, de l’Antiquité à nos jours, nous avons voulu montrer que d’autres cartographies que celles du modèle occidental ont été possibles. Elles proposaient un point de vue plus proche de la Terre et des humains, en prenant en compte l’histoire, la culture et les croyances des peuples. L’idée était d’expliquer ces différentes représentations du monde.

    Pourquoi avoir choisi Ptolémée pour raconter cette histoire ?
    J. L. Astronome, géographe et mathématicien, Claude Ptolémée (100-168), qui a vécu sous l’Empire romain mais a compilé les savoirs de l’Antiquité grecque, est une figure célèbre de la cartographie, dont le traité manuscrit nous est parvenu, même si ce n’est pas l’autographe. Il est considéré comme le père fondateur de la cartographie mathématique, qui s’appuie sur une projection de la sphère terrestre sur un plan et des calculs mathématiques. Son modèle n’est plus utilisé, mais la cartographie moderne reste son héritière.

    Suivre la Géographie de Ptolémée permettait ainsi de traverser plusieurs espaces-temps, dont le Moyen Âge, période au cours de laquelle elle a beaucoup circulé dans le monde arabo-musulman – la BD fait une seule entorse à la réalité en partant sur ses traces en Chine, où elle n’était pas connue. Copiée, traduite, amendée, annotée, elle a fini par émerger à nouveau à la Renaissance en Italie, à un moment d’ouverture sur le monde qu’elle pouvait représenter.

    E. V. À travers mes recherches sur les manuscrits cartographiques de la Bibliothèque nationale de France (BnF), j’ai eu l’occasion d’étudier Ptolémée, qui a plus été un passeur qu’un inventeur. Il a collecté et synthétisé une foule de savoirs, et placé 8 000 toponymes du monde connu dans son traité, une œuvre considérable au IIe siècle apr. J.-C. ! Ptolémée a exposé deux principes fondamentaux : la projection de la sphère terrestre sur un plan, base de la cartographie moderne, scientifique et vue du ciel ; et le système des coordonnées en latitudes et longitudes, déjà utilisé par les astronomes, mais qu’il a appliqué à la Terre.

    Comment avez-vous travaillé ensemble ?
    J. L. Depuis plusieurs années, je travaille en tant qu’auteur-illustrateur de bandes dessinées de vulgarisation scientifique. Ce qui m’intéressait surtout, c’était de montrer ce que les cartes révèlent d’une époque et de sa perception du monde, avec une vraie ambition narrative au fil d’un scénario plein de rebondissements. Géographe de formation, j’avais besoin d’une approche historique et je me suis rapproché d’Emmanuelle, médiéviste et commissaire de l’exposition L’Âge d’or des cartes marines, présentée à la Bibliothèque nationale de France en 2012. Nous avons travaillé pendant deux ans avec des constants allers-retours.

    E. V. Pour les sources et les cartes, nous avons puisé dans les collections de la BnF. Toutes les cartes ont été redessinées dans la BD pour mieux s’intégrer au récit, et leurs originaux reproduits dans un cahier final. J’avais déjà participé à des projets de médiation, mais la BD est un formidable support, et le graphisme de Jean parvient à mettre en scène simplement des enjeux de cartographie très complexes. Loin du cours d’histoire ou de géographie, cet album plein d’humour embarque le lecteur dans une fabuleuse odyssée.

    Les cartes médiévales présentent une extraordinaire richesse…
    J. L. Au Moyen Âge, on sait que la Terre est ronde. On met au centre des cartes les espaces connus ou jugés importants : la péninsule Arabique et l’océan Indien pour le califat abbasside de Bagdad (750 à 1258), avec l’Europe un peu excentrée ; alors que pour les cartes chrétiennes, on place des grands lieux, des épisodes bibliques, etc. Plus on s’éloigne du local, du quotidien, plus on place des éléments relevant du mythe. Pour décrire le monde, les cartes médiévales comportent des indications et savoirs de tous ordres : philosophique, théologique, commercial, diplomatique, et pas seulement topographique avec un trait de côte.

    Finalement, celles d’aujourd’hui, axées sur la seule exactitude topographique ou hydrographique, paraissent presque plus pauvres. Dans la BD, il y a notamment cette mappemonde de Lambert de Saint-Omer, du XIIe siècle, avec les trois continents connus, l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Le monde est divisé en zones plus ou moins chaudes et habitables, selon une théorie héritée de l’Antiquité, avec une « zone torride » équatoriale réputée infranchissable et une quatrième partie habitable dans l’hémisphère Sud. Cette représentation de la sphère contient des considérations scientifiques sur les antipodes et la circulation du soleil, mais aussi bibliques, avec un message d’évangélisation. La croyance n’obscurcit pas la science, tout cohabite en une tentative de cohérence.

    Qu’est-ce exactement que l’œkoumène (ou écoumène) ?
    E. V. Ce terme, du grec oikos (la maison), désigne l’espace habité ou habitable, dont on sait aujourd’hui qu’il recouvre moins de 30 % de notre planète. Dans l’histoire, ses dimensions ont varié selon les auteurs, qui interprètent des spéculations mathématiques et des rapports de voyageurs. Pour Ptolémée, il couvre 180° de la sphère terrestre, soit la moitié, mais plus encore pour son rival le géographe Marin de Tyr (225°), avec d’énormes conséquences. Car, en s’inspirant de Marin de Tyr, Christophe Colomb, dans son espoir d’atteindre le Japon et la Chine, ne pense pas que l’océan séparant l’Europe de l’Asie est si étendu. Et comme on sait, il tombe sur l’Amérique. Il existe ainsi des cartes qui rapportent des faits, à partir d’expériences de voyageurs et des mesures, et d’autres spéculatives, qui, portant des hypothèses, ont vocation à convaincre les puissants de l’époque, comme les souverains d’Espagne et du Portugal, de financer des expéditions, dont celle de Colomb.

    J. L. Le globe terrestre de l’explorateur et géographe allemand Martin Behaim, cartographié vers 1492 , illustre bien cette histoire : l’œkoumène couvrant les deux tiers, voire les trois quarts de la surface de la Terre, l’Europe et l’Asie ne semblent pas si éloignées, et l’Amérique n’y figure pas encore. Instruments de pouvoir politique, religieux ou commercial, les cartes sont toujours au cœur de conquêtes coloniales ou militaires. Le golfe du Mexique, que le président Trump vient de rebaptiser « golfe de l’Amérique », en fournit aujourd’hui un exemple magistral : derrière ce pouvoir toponymique se cache toute une représentation. C’est un sujet très moderne.

    En quoi l’imprimerie transforme-t-elle la cartographie ?
    E. V. Cette innovation, au milieu du XVe siècle, avec Gutenberg, converge avec un goût croissant pour les cartes en Europe, en lien avec les connaissances, les explorations et les conquêtes. Jusque-là, ces objets rares sont réservés à une élite et on ne conserve que les plus belles, celles qui nous sont parvenues. Ces œuvres d’art sur parchemin, avec des enluminures, figurent dans des collections, dont les bibliothèques des souverains.

    Mais, avec l’imprimerie, les cartes, simplifiées, sont diffusées en masse, comme les récits de voyages. L’Atlas de Mercator, auquel le récit accorde une large place, connaît un grand succès. Avec son ami Abraham Ortelius, Gérard Mercator, géographe flamand du XVIe siècle et auteur de la fameuse projection du même nom, planisphère de référence pour la navigation, réunit une somme colossale de cartes du monde connu et y ajoute des textes traitant de toute une géographie culturelle. Ce livre précieux, d’une grande rigueur scientifique, révise la Géographie de Ptolémée et lui adjoint de nouvelles représentations cartographiques, toujours basées sur des coordonnées mathématiques.

    Pour revenir en France, qu’a apporté la « dynastie » des Cassini ?
    J. L. Sur quatre générations, ces ingénieurs cartographes français, d’origine italienne, procèdent à partir du XVIIe au relevé cartographique, systématique et mathématique, de tout le territoire hexagonal grâce à de nouveaux instruments de précision. C’est le premier usage massif, coordonné à l’échelle d’un pays, de la triangulation, déjà utilisée dans l’Antiquité grecque – une série de triangles joints les uns aux autres le long d’un méridien et d’un axe structurant Nord-Sud.

    E. V. La prouesse, c’est que le moindre village ou hameau est représenté avec sa topographie, sa toponymie et des détails minuscules qui restent d’actualité.

    Pourquoi la cartographie ne peut-elle prétendre à l’exactitude ?
    E. V. La vérité de la carte, c’est une question de mesure, et on sait que même avec les satellites et le GPS, on n’atteint jamais l’exactitude absolue, puisque représenter une sphère sur un plan plat déforme déjà inévitablement. De plus, de nos jours, on utilise surtout des cartes thématiques, composées à partir de statistiques qui peuvent être biaisées selon la rigueur de la méthode utilisée pour les collecter. Les informations, y compris le tracé des frontières, qui peut susciter des désaccords, dépendent d’un point de vue et de sources : la base de données à laquelle on recourt influe sur la qualité, comme les couleurs et les symboles utilisés. Une carte ne dépend pas seulement de l’exactitude de mesure, mais de toutes les informations implicites qu’elle porte.

    J. L. L’exemple le plus flagrant, selon moi, concerne la carte des résultats électoraux, avec ces gros aplats de couleurs par circonscription et tendance politique. La surface écrase la densité de population, faussant la lecture et l’interprétation du scrutin : le vote de la Seine-Saint-Denis, très peuplée, est ainsi sous-représenté sur la carte par rapport à celui de départements ruraux.

    En quoi cette plongée dans l’histoire cartographique est éclairante pour le monde contemporain ?
    J. L. Par sa complexité, le sujet invite à interroger l’acuité de notre cartographie et à réfléchir à des formes alternatives, comme celle évoquée à la fin de la BD, dite « radicale » qui, depuis les années 2000, entend documenter, dans un esprit contestataire, d’autres réalités, sociales, politiques, économiques ou environnementales, d’un territoire en mêlant sciences, art et activisme. Je pense aussi aux cartes sensibles, absolument pas scientifiques, qui cherchent à renseigner le ressenti d’un territoire – la perception de l’univers sonore, par exemple – pour mieux éclairer sa compréhension et la manière de (le) vivre.

    E. V. Le regard historique nous rappelle que la carte, quelle qu’elle soit, est « fabriquée » et reste toujours la production de son époque. L’étude des cartes anciennes permet ainsi de mieux comprendre la cartographie d’aujourd’hui, mais aussi de relativiser sa représentation exacte prétendue du réel. Et, à l’heure où les outils technologiques remplacent la carte papier – que la nouvelle génération n’utilise quasiment plus –, celle-ci devient aussi un objet historique qu’il est intéressant d’inscrire dans cette longue chronologie. ♦

    https://lejournal.cnrs.fr/articles/une-odyssee-cartographique-en-bd
    #cartographie #bande-dessinée #livre #histoire #cartographie_historique
    ping @reka @visionscarto

    • Geographia. L’odyssée cartographique de Ptolémée

      Claudius Ptolémée arrive, avec près de 2000 ans de retard, sur l’Anti-Terre, paradis ou vivent - entre autres - les humains dont l’histoire a retenu le nom. Convaincu que l’œuvre de sa vie, la Géographie, a marqué l’histoire des sciences après lui, Ptolémée tombe des nues : non seulement son nom est peu connu, mais surtout, son rival de toujours, Marin de Tyr, a reçu le titre de meilleur géographe de l’antiquité Latine.
      À l’aide d’Ota, une panotéenne, créature légendaire aux longues oreilles pendantes, Ptolémée entreprend donc de retrouver la trace de sa Géographie à travers le temps et l’espace pour faire la preuve de son succès. Mais tout le monde n’a pas intérêt à le voir revenir et ce qui devait être un simple voyage se transforme en une odyssée bien mouvementée...

      Jean Leveugle est auteur et géographe. Il a imaginé ce récit avec l’appui scientifique d’Emmanuelle Vagnon, professeure agrégée et docteure en histoire médiévale, chargée de recherche au CNRS. En suivant les pérégrinations imaginaires de Ptolémée au paradis, à la rencontre des spécialistes du domaine, cette bande dessinée érudite et humoristique raconte l’épopée de cet art.
      Un dossier pédagogique reprenant de nombreuses cartes anciennes provenant de la BNF, complète ce livre publié en coproduction avec la Bibliothèque nationale de France.

      https://www.futuropolis.fr/9782754834889/geographia.html