#logique_de_la_contradiction

  • Lorsqu’il n’y a pas de possibilité d’ajuster les contraires, une chose terrifiante se produit : ceux qui incarnaient l’attachement inconditionnel à l’immuable, qui proclamaient la nécessaire permanence de leurs valeurs traditionnelles face à ce qui est autre qu’eux, qui les mets en question, qui les oblige à porter sur eux-mêmes un regard différent, ce sont ceux-là mêmes, les identitaires, les citoyens grecs sûrs de leur supériorité, qui basculent dans l’altérité absolue, dans l’horreur, et le monstrueux. Quant aux femmes thébaines, irréprochables dans leur comportement, modèles de réserve et de modestie dans leur vie domestique, toutes, Agavé en tête, la reine mère qui tue son fils, le dépèce, brandit sa tête comme un trophée, toutes, d’un coup, prennent la figure de Gorgone Méduse : elles portent la mort dans leurs yeux. Penthée, lui, périt d’une manière effroyable, déchiré vivant comme un animal sauvage, lui le civilisé, le Grec toujours maître de soi, qui a cédé à la fascination de ce qu’il pensait être l’autre et qu’il condamnait. L’horreur vient se projeter sur la face du même qui n’a pas su faire sa place à l’autre.

    Après ses événements, Agavé s’exile, Cadmos également, et Dyonisos poursuit ses voyages à la surface de la terre, son statut au ciel assuré. Il va avoir à Thèbes même un culte, il a conquis la ville, non pas pour en chasser les autres dieux, non pas pour imposer sa religion contre les autres, mais pour qu’au centre de Thèbes, au cœur de la cité, soient représentés, par son temple, ses fêtes, son culte, le marginal, le vagabond, l’étranger, l’anomique. Comme si, dans la mesure où un groupe humain refuse de reconnaître l’autre, de lui faire sa part, c’est ce groupe lui-même qui devenait monstrueusement autre.

    J.P Vernant in L’univers, les Dieux, les Hommes
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