Corée du Sud : le Parlement contraint le président Yoon Suk Yeol à lever la loi martiale
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Quelques heures après avoir déclaré vouloir « protéger » le pays « de la menace des forces communistes nord-coréennes », le chef de l’Etat est revenu en arrière, après un vote des députés hostiles à sa décision. De nombreux appels à sa démission se font entendre après cet épisode confus.
Le Monde avec AP, AFP et Reuters
Publié hier à 20h52, modifié à 10h52 (republication de l’article du 03 décembre 2024 à 15h15)
La Corée du Sud a connu, dans la nuit du mardi 3 au mercredi 4 décembre, une crise politique inédite depuis plus de quarante ans. Pendant six heures, le pays a vécu au rythme de la loi martiale : dans un discours télévisé non annoncé tard dans la soirée de mardi, le président sud-coréen, Yoon Suk Yeol, a annoncé sa promulgation affirmant que cette mesure était nécessaire pour protéger le pays.
Dans la foulée, l’armée a pris position autour du Kuk Hoe, le Parlement monocaméral de la Corée du Sud, dans lequel étaient retranchés près de 200 parlementaires. Mais ces derniers ont voté le blocage de la loi martiale, contraignant le président à renoncer à sa décision. Retour sur le déroulé des événements.
*Loi martiale contre les « forces communistes nord-coréennes »
A 22 h 25 (à Séoul, 14 h 25 à Paris), mardi, le président Yoon Suk Yeol est apparu à la télévision. « Je déclare la loi martiale pour protéger la République de Corée libre de la menace des forces communistes nord-coréennes, pour éradiquer les abjectes forces antiétatiques pro-nord-coréennes qui mettent à sac la liberté et le bonheur de notre peuple, et pour protéger l’ordre constitutionnel libre », a-t-il déclaré, faisant usage de l’article 77 de la Constitution.
« Sans se soucier des moyens de subsistance du peuple, le parti d’opposition a paralysé le gouvernement, à des fins de #destitution, d’enquêtes spéciales et pour protéger son leader de poursuites judiciaires », a poursuivi le président au pouvoir depuis son élection en mars 2022.
Il n’a pas cité de menace spécifique de la part de la Corée du Nord, dotée de l’arme nucléaire, se concentrant plutôt sur ses adversaires politiques sur le plan intérieur. L’allocution surprise du président est intervenue alors que le Parti du pouvoir populaire (PPP) de M. Yoon bataille avec le principal parti d’opposition, le Parti démocrate, majoritaire au Parlement, sur le projet de #budget de l’année prochaine.
La loi martiale avait été décrétée pour la dernière fois le 17 mai 1980, lors du coup d’Etat militaire du général Chun Doo-hwan.
Activités politiques interdites, Parlement sous scellés
Après la décision du président, toutes les activités politiques ont été interdites et les médias placés sous la surveillance du gouvernement, comme l’a déclaré Park An-su, le chef de l’armée. Selon un communiqué, « toute personne violant la loi martiale peut être arrêtée sans mandat ».
Des hélicoptères ont atterri sur le toit du Parlement, des militaires sont brièvement entrés dans l’Assemblée avant d’en ressortir et de quitter les lieux, tandis que des centaines de manifestants affluaient vers le Parlement.
Le Parlement bloque la loi martiale, l’armée refuse
Cette décision a suscité l’opposition immédiate des responsables politiques, notamment celle de Han Dong-hoon, chef du PPP dont est issu le président qui a qualifié la décision de « mauvaise » et a promis de « mettre un terme à cela avec le peuple ». Lee Jae-myung, le chef du Parti démocratique, qui a perdu de justesse l’élection présidentielle contre M. Yoon en 2022, a qualifié l’annonce du chef de l’Etat d’« illégale et inconstitutionnelle ».
Dans la soirée (mercredi à Séoul), l’Assemblée nationale a voté pour demander au président Yoon Suk Yeol de lever la loi martiale. Selon la Constitution, celle-ci doit être levée lorsqu’une majorité parlementaire le demande. Sur les 300 membres du parlement, 190 étaient présents et tous ont voté en faveur d’une motion demandant la levée de la loi martiale : 18 élus du PPP – le parti du président – et 172 députés du Parti démocrate. Woo Won-shik, président de l’Assemblée nationale, a déclaré que la proclamation de la loi martiale du président Yoon était devenue « nulle et non avenue ».
Shin Chang-sik, un député de l’opposition, a expliqué à l’Agence France-Presse que du fait du blocage de l’entrée du Parlement, certains de ses collègues ont été contraints d’escalader la clôture pour voter la résolution.
Mercredi, peu après 4 h 40 du matin (20 h 40 à Paris), le président Yoon s’est finalement exprimé à la télévision, déclarant : « Il y a eu une demande de l’Assemblée nationale pour lever l’état d’urgence, et nous avons procédé au retrait des militaires qui avaient été déployés pour les opérations de loi martiale. » Son gouvernement a finalement approuvé la levée de la loi martiale, mettant fin à plusieurs heures de confusion.
Des appels à la démission du président Yoon
L’épisode risque de ne pas en rester là. Dans l’après-midi (tôt mercredi matin en France), les partis d’opposition ont annoncé avoir déposé une motion en destitution contre M. Yoon. Un peu plus tôt dans la journée, le principal parti d’opposition avait déjà demandé le départ du président sud-coréen, dont la cote de popularité était déjà extrêmement faible. Si M. Yoon « ne démissionne pas immédiatement, le Parti démocrate engagera instantanément une procédure en destitution, en accord avec la volonté populaire », avait prévenu la formation dans un communiqué. « Nous allons porter plainte pour rébellion » contre M. Yoon, ses ministres de la défense et de l’intérieur et des « personnalités-clés de l’armée et de la police, telles que le commandant de la loi martiale [le général de l’armée] et le chef de la police », avait annoncé le Parti démocrate.
« Le président doit expliquer cette situation tragique tout de suite et en détail », a déclaré de son côté le chef du PPP au pouvoir, Han Dong-hoon, ajoutant que « tous les responsables devront rendre des comptes ».
La plus importante intersyndicale de Corée du Sud a appelé, elle, à une « #grève_générale illimitée » jusqu’à la démission du président Yoon Suk Yeol. La Confédération des syndicats coréenne, qui compte quelque 1,2 million de membres, a qualifié la tentative de M. Yoon de « mesure irrationnelle et antidémocratique », estimant qu’il avait « signé sa propre fin au pouvoir ». A la mi-journée, le dirigeant n’était toujours pas réapparu en public.
Dans le même temps, signe de la nervosité des investisseurs, stupéfiés par les événements, la Bourse de Séoul a chuté de 2 % dans la matinée, et le won a brièvement plongé dans la nuit au plus bas niveau depuis deux ans face au dollar avant de limiter ses pertes. Dans la foulée, les autorités sud-coréennes ont promis mercredi d’injecter des « liquidités suffisantes » pour soutenir les marchés financiers.
Mercredi, c’est le ministre sud-coréen de la défense, Kim Yong-hyun, qui a présenté ses excuses et a proposé de démissionner. « Je regrette profondément et j’assume l’entière responsabilité de la confusion et de la préoccupation causées au public par la loi martiale », a-t-il précisé dans un communiqué.
Une situation scrutée à l’international, notamment à Washington
La Maison Blanche a exprimé sa satisfaction quant au dénouement. « Nous sommes soulagés que le président Yoon soit revenu sur sa déclaration de loi martiale inquiétante et qu’il ait respecté le vote de l’Assemblée nationale pour y mettre fin », a déclaré un porte-parole du Conseil de sécurité nationale dans un communiqué.
Séoul est un allié-clé des Etats-Unis en Asie, particulièrement dans un contexte de rivalités accrues avec la Chine : quelque 28 500 soldats américains sont stationnés en Corée du Sud pour la protéger du Nord. Washington a affirmé ne pas être au courant des intentions de M. Yoon.
Le Japon a dit surveiller la situation politique à Séoul avec « une préoccupation exceptionnelle et sérieuse », selon le premier ministre, Shigeru Ishiba.
Les Nations unies, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont aussi fait part de leur inquiétude, tandis que la Chine a appelé ses ressortissants en Corée du Sud à la prudence. Moscou, qui a resserré ses liens avec la Corée du Nord pour sa guerre en Ukraine, a jugé la situation « alarmante ».*
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