Toujours à propos de la façon dont on désigne les choses (voir ▻https://seenthis.net/messages/1021010#message1021580), j’appartiens à une culture politique et à une génération qui s’efforçait d’éviter l’emploi des termes « terrorisme » ou « terroristes » pour rendre compte des « mouvements de lutte armée » (c’est ainsi que nous les désignions), tels que la RAF, les BR, AD, etc. ou les organisations de lutte de libération nationale palestinienne, irlandaise, basque, etc.
Ces différents mouvements, même dans leurs aspects militaristes débiles les plus caricaturaux, représentaient une sorte de folklore largement compatible avec diverses versions du récit insurrectionnel et révolutionnaire commun à une large partie de l’extrême-gauche voire de la « gauche ».
On n’est pas du tout fasciné par les armes, comme c’est mon cas. On est même clairement antimilitariste, mais on sait que le pouvoir ne disparaîtra pas de lui-même (à la suite d’une élection) et que, même si l’on n’adhère pas au schéma « prise du palais d’hiver », on a conscience que la révolution émancipatrice est nécessairement violente. Cette problématique (qui demande beaucoup de développements dans l’explication, donc ce ne sera pas ici) représente même, selon moi, l’une de ses principales contradictions que les futurs révolutionnaires auront à traiter (cela m’étonnerait que je vois ça).
Pour ce qui me concerne, très souvent, je n’approuvais ni les objectifs ni les modes d’action de ces « mouvements de lutte armée » des années 70, mais il me semblait assez évident qu’ils participaient globalement d’un même champ (camp ?) d’émancipation en lutte contre la domination capitaliste, champ dans lequel je m’inscrivais aussi. Naïveté ? Peut-être.
Nous disions, plus ou moins facilement, à propos de ces « mouvements de lutte armée », qu’ils ne s’agissait pas de « terroristes » mais de « militants révolutionnaires ».
Il semblait important de ne pas reprendre le langage avec lequel nos adversaires communs criminalisaient ces mouvements, sachant que le pouvoir d’État (puisqu’il s’agit essentiellement de lui, ici) procède toujours par amalgame et par dissociation, lorsqu’il s’agit de désigner ses ennemis, et que personne n’est à l’abri de l’anathème dès lors qu’on s’affirme un tant soit peu en une position de lutte contre lui. Un constat, une fois de plus vérifié ces jours-ci.
Je considère que ces repères politiques, idéologiques et sémantiques, ont été modifiés radicalement quand des organisations, telles que Al-Qaïda se sont efforcées, contrairement aux mouvement de lutte armées des années 70, de montrer qu’elles adopteraient désormais tous les signes distinctifs du « terrorisme » et des « terroristes », tel que le pouvoir aime à le théoriser et à le représenter, notamment au travers du concept de « guerre des civilisations ». L’art de la mise en scène hollywoodien de ce « terrorisme » spectaculaire et assumé ayant atteint son apogée avec le « 9/11 ».
Il ne s’agit plus du tout des mêmes catégories que les mouvements des années 70 évoqués plus haut. Certaines actions de ces mouvements « gauchistes » étaient parfois difficiles à défendre mais avec le « 9/11 » on est clairement dans l’indéfendable. Déjà il est difficile de reconnaître qu’il puisse y avoir de « bonnes guerres » (certains concepts tels que « guerre sociale » ou « guerre de classe » me semblent quelque peu fumeux) mais avec les actes tels que ceux d’Al-Qaïda, il est clair qu’il ne s’agit en rien de « notre guerre ».
Ces mouvements, du type Al-Qaïda, s’assument sans aucun complexe comme étant « terroristes » dans leur stratégie et dans leur modalités. La plupart du temps, ces organisations ne sont guidés que par des motifs religieux et, au nom de ces objectifs, elles pratiquent systématiquement des carnages aveugles, adoptant, de surcroît, une posture idéologique, sans équivoque, du combattant suicidaire. Il m’est impossible d’envisager que ces actions puissent avoir le moindre rapport avec la lutte pour l’émancipation humaine, sociale et politique, etc.
Pour ce qui concerne l’attaque du Hamas du 7 octobre, nous ne sommes pas dans la même caractérisation que les mouvements tels qu’Al-Qaïda. D’une part, comme indiqué dans le fil du message référencé ci-dessus, il s’agit réellement d’une guerre entre deux entités pour un même territoire. Alors, certes, toutes les guerre sont criminelles, méprisables et condamnables mais celle-ci est imposée et il est impossible d’y échapper si on est du mauvais côté du manche ; c’est à dire, si on est Palestinien. C’est même la première chose à dire pour caractériser cette guerre : admettre qu’il y a ici un dominé et un dominant. Il faut rappeler que cette guerre est totalement disproportionnée et asymétrique. À ce titre, il est insupportable, comme on l’entend si souvent, de renvoyer dos à dos Israël et Palestine, comme s’il s’agissait d’un conflit entre le France et l’Allemagne pour récupérer l’Alsace–Lorraine.
Aucune issue politique n’est donnée aux Palestiniens depuis plusieurs décennies, si ce n’est leur disparition pure et simple en tant que peuple, ou leur dissolution dans les autres nations arabes et la situation s’empire. Il ne reste plus que l’énergie du désespoir et l’expression de celle-ci est parfois aveugle, sur le plan humain, tant on inflige à ce peuple, une situation inhumaine dans les territoires occupés. La différence avec Al-Qaïda, de ce point de vue, peu sembler ténue, mais elle existe et il est essentiel de la rappeler : c’est l’ancrage réel des protagonistes palestiniens dans un territoire en guerre et subissant les pires conditions humanitaires. Comment attendre d’eux qu’ils adoptent parfois, dans leurs révoltes, d’autres comportements que « criminels », quand ils n’ont eux-mêmes que d’autres crimes de guerre comme seules réponses à leur revendications et qu’ils vivent, depuis plusieurs générations leur extermination ?
Le Hamas est la créature monstrueuse du pouvoir d’État Israélien. Ce pouvoir, après avoir transformé sa guerre coloniale en guerre religieuse, pensait qu’il maîtrisait sa créature et qu’elle lui permettrait tranquillement de pourrir la cause palestinienne en discréditant toute issue politique. Mais la créature est sortie pour attaquer de façon indiscriminée tout ce qui vit en dehors de sa cage.
Et maintenant le pouvoir israélien dit qu’il faut abattre la créature monstrueuse, sachant qu’elle est devenue, avec la contribution active de l’État d’Israël, la seule représentation politique crédible du peuple Palestinien. On peut s’attendre au pire et le pire a déjà commencé dans la réplique de l’armée d’Israël, ces derniers jours, contrer la population civile gazaouie.
Les diplomates occidentaux, sont au summum de l’hypocrisie quand on les voit tous au garde-à vous derrière la « démocratie israélienne », alors que son gouvernement d’extrême droite, homophobe, religieux et raciste (qui n’est jamais nommé parmi la liste des « pays populistes ») continue de mener sa sale guerre contre la Palestine et que cela ne pouvait que conduire à l’attaque du 7 octobre.