L’Allemagne rétablit des contrôles à l’ensemble de ses frontières terrestres contre l’immigration irrégulière
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L’Allemagne rétablit des contrôles à l’ensemble de ses frontières terrestres contre l’immigration irrégulière
Par Elsa Conesa (Berlin, correspondante) et Philippe Jacqué
Pourrait-on encore voir des images comme celles de l’été 2015, montrant des Allemands en liesse à l’arrivée des premiers réfugiés syriens ? Neuf ans plus tard, ce sont les interrogations sur la capacité du pays à intégrer les réfugiés qui accaparent une grande partie du débat public, alors que l’Allemagne a été frappée ces dernières années par plusieurs attentats meurtriers perpétrés par des personnes radicalisées. Dernier en date : l’attaque au couteau, dans la nuit du 23 au 24 août, à Solingen, dans l’ouest de l’Allemagne, par un réfugié syrien de 26 ans sous le coup d’une mesure d’expulsion, qui a fait trois morts et huit blessés. Une tentative d’attentat contre le consulat israélien a également été déjouée à Munich le 5 septembre.
Alors que des scrutins régionaux ont été dominés par une forte poussée de l’extrême droite, le gouvernement d’Olaf Scholz multiplie les mesures de fermeté. Lundi 9 septembre, la ministre de l’intérieur, Nancy Faeser (SPD), a annoncé son intention de restaurer, à partir du 16 septembre, des contrôles temporaires à l’ensemble des frontières terrestres de l’Allemagne, dans le cadre du renforcement de la lutte contre l’immigration illégale. Les réfugiés entrés illégalement pourront être refoulés, a-t-elle indiqué. Les mesures, présentées comme temporaires, ne dureront dans un premier temps que six mois. Mme Faeser a dit avoir informé la Commission européenne de son initiative.
Les contrôles aux frontières intérieures sont en principe proscrits au sein de l’Union européenne, mais la révision du code Schengen, début 2024, permet, en cas de menaces prévisibles pour l’ordre public ou la sécurité, de les mettre en place pour une durée de six mois, après l’avoir notifié à la Commission, aux Etats membres et au Parlement européen. Ils peuvent être prolongés par périodes de six mois pour une durée n’excédant pas deux ans.
Des contrôles temporaires sont déjà en place depuis un an aux frontières allemandes avec la Pologne, la République tchèque, l’Autriche et la Suisse. Ceux-ci seront durcis et complétés par des contrôles aux frontières française, luxembourgeoise, néerlandaise, belge et danoise, a annoncé Mme Faeser. La police fédérale se verra dotée de postes et de moyens supplémentaires. « Ce sont des contrôles intelligents, précise le député Nils Schmid (SPD), on ne va pas arrêter chaque voiture, ni fermer les frontières comme au temps du Covid. La police des frontières va observer plus attentivement les passages. » Des mesures additionnelles visant à accroître le nombre des migrants refoulés aux frontières allemandes sont en cours de discussion avec l’opposition et devaient être annoncées mardi.
L’Allemagne estime ces dispositions nécessaires pour « la protection de la sécurité intérieure contre les menaces actuelles du terrorisme islamiste et de la criminalité transfrontalière ». Nancy Faeser a rappelé que les contrôles effectués jusqu’à présent avec la Pologne, la République tchèque, la Suisse et l’Autriche avaient déjà permis de refouler plus de trente mille personnes depuis octobre 2023. L’Autriche a toutefois déjà fait savoir qu’elle n’accueillerait pas de migrants refoulés par l’Allemagne.
Le gouvernement d’Olaf Scholz multiplie les mesures volontaristes en matière d’immigration dans un contexte électoral difficile pour sa coalition. A l’approche d’un nouveau scrutin régional dans le Brandebourg, le 22 septembre, qui devrait, comme en Saxe et en Thuringe le 1er septembre, être dominé par l’extrême droite, la nervosité de l’exécutif allemand, fragilisé, est grande. Celui-ci se trouve non seulement sous la pression des conservateurs de la CDU/CSU, mais aussi de l’extrême droite (AfD) et du nouveau parti de gauche (BSW) mené par la députée Sahra Wagenknecht, très offensive sur l’immigration. Dans un entretien au Taggespiegel paru le 7 septembre, Olaf Scholz vantait son bilan, estimant avoir opéré « grâce à des lois de grande envergure (…) le plus grand tournant de ces vingt dernières années dans la gestion de l’immigration irrégulière ».
Cinq jours après l’attaque de Solingen, le 29 août, la coalition présentait un dispositif visant à renforcer à la fois le contrôle de l’immigration, en particulier du droit d’asile, avec une restriction des prestations sociales pour certains réfugiés, et celui des armes, sujet remis au cœur des débats par la tuerie. Le lendemain, il annonçait l’expulsion de vingt-huit réfugiés afghans, tous condamnés pour des crimes commis en Allemagne, pour la première fois depuis le retour au pouvoir des talibans, en août 2021. « L’Allemagne avait jusqu’en 2015 une culture d’accueil et d’ouverture en matière d’immigration, rappelle Hans Vorländer, professeur de sciences et d’histoire politiques à l’université de Dresde et président du Conseil d’experts indépendants sur l’intégration et la migration. Il y a eu une bascule après l’attaque du marché de Noël à Berlin en 2016. Depuis, les gens s’opposent à l’immigration non contrôlée, qu’ils sont deux tiers à vouloir restreindre. »
Depuis 2015, l’Allemagne a accueilli plus de deux millions de personnes, auxquelles s’ajoutent 1,2 million de réfugiés ukrainiens, rappelle le chercheur, soit plus de trois millions de personnes. « Cela a posé des difficultés en matière de logement, d’éducation, d’intégration sur le marché du travail, et a représenté un effort considérable pour l’administration allemande, décrypte-t-il. Les gens en sont conscients et considèrent qu’il faut restreindre l’accès, pour intégrer ceux qui sont déjà là. »
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