#Découverte : Le manque de moyens consacrés aux infirmiers a un impact direct sur la mortalité des patients aux soins intensifs Sophie Mergen - RTBF
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C’est le constat interpellant que dressent plusieurs chercheurs belges, suite à une vaste étude menée dans dix-sept hôpitaux du pays.
En filigrane, cette question : le montant investi par les hôpitaux dans leurs infirmiers a-t-il un impact sur la santé des patients ?
Durant un an, des chercheurs ont passé à la loupe pas moins de 18 000 séjours hospitaliers en soins intensifs, en comparant les hôpitaux qui investissent beaucoup dans leurs ressources infirmières à ceux qui investissent peu.
Les résultats sont sans appel : les hôpitaux qui dépensent le plus d’argent pour leurs infirmiers affichent un taux de mortalité significativement plus bas. Ce taux de mortalité chute même de 20% par rapport aux hôpitaux qui consacrent peu d’argent à leurs ressources infirmières.
C’est un message fort adressé à nos hôpitaux et nos politiques
A l’origine de l’étude, un collectif de chercheurs belges emmené par Arnaud Bruyneel, infirmier spécialisé en soins intensifs et doctorant en Santé publique à l’Université Libre de Bruxelles. "Plus le budget consacré aux infirmiers est important, plus l’hôpital peut engager, et plus le nombre d’équivalents temps plein par patient est donc élevé" explique-t-il. « On peut aussi supposer que là où le budget est le plus important, les infirmiers sont plus qualifiés, plus spécialisés et plus expérimentés, ce qui explique qu’ils coûtent plus cher à l’hôpital ».
Premier enseignement : moins il y a d’infirmiers par patient, plus le taux de mortalité est important. Cette étude vient donc confirmer d’autres études internationales, publiées dans des revues prestigieuses comme The Lancet. Ces études démontraient déjà que chaque patient ajouté à une infirmière augmentait de 7% le risque de mortalité.
« Quand le suivi n’y est pas, aux soins intensifs, on le paye cash »
Des résultats qui n’étonnent pas Thomas Persoons, infirmier SIAMU. Après avoir travaillé dix-huit ans aux soins intensifs, il a quitté le secteur des soins aigus suite à un burn-out. L’impact du manque de moyens sur la mortalité, il l’a vécu de près. "On n’est clairement pas assez nombreux pour suivre correctement les patients, vu la lourdeur des cas et le temps que demandent les nouvelles techniques de soins (ECMO, dialyses en continu, etc)".
Il y a eu des accidents. Des patients sont décédés parce qu’on ne savait pas être à deux endroits en même temps
« On a eu des cas où on ne savait plus où donner de la tête et clairement, il y a pu avoir des accidents, des patients qui sont décédés parce qu’on ne savait pas être à deux endroits en même temps ».
« Aux soins intensifs, quand le suivi n’est pas là, ça se paye cash » continue-t-il. « Si ça craque dans deux chambres en même temps et qu’on n’est pas assez, on ne sait pas être partout ».
« La Belgique est un très mauvais élève »
Pour Jérôme Tack, président de la SIZ Nursing, association francophone des infirmiers de soins intensifs, les résultats de l’étude peuvent aussi être expliqués comme tel : "Quand la charge de travail est trop importante, il y a toute une série de soins qu’on ne sait pas effectuer, et cela a un impact sur la mortalité. Par exemple, on n’a pas le temps de mobiliser les patients, ce qui entraîne des escarres".
« C’est ce qu’on appelle les soins manquants » ajoute Arnaud Bruyneel. "Ce sont des soins essentiels que les infirmiers omettent de réaliser par manque de temps. Ce manque de soins augmente le nombre de complications et a, in fine, un impact sur la mortalité".
On a des normes complètement obsolètes
Une récente étude du KCE, centre fédéral d’expertise des soins de santé, montrait que seuls 26% des infirmiers avaient pu réaliser l’ensemble des soins nécessaires durant leur dernière pause de travail. Autrement dit, trois infirmiers sur quatre avaient laissé des soins en suspens.
Pour Jérôme Tack, la Belgique est un très mauvais élève en ce qui concerne l’encadrement des patients en soins intensifs. "On a des normes complètement obsolètes. On est à 1 infirmier pour 3 patients quand d’autres pays européens sont à 1 pour 2 voire 1 pour 1 pour certains types de patients" dénonce-t-il.
Un mauvais calcul sur le long terme ?
L’étude qui vient d’être publiée montre encore que plus le budget alloué aux ressources infirmières est important, plus les durées d’hospitalisation diminuent. Pour Arnaud Bruyneel, "il est urgent d’investir dans la profession infirmière, car cela permet d’améliorer la qualité des soins, mais aussi d’économiser de l’argent à moyen et à long terme en diminuant la durée de séjour, les complications et le nombre de réadmissions à l’hôpital".
Pour cet expert, les hôpitaux et la société en général auraient donc un retour sur investissement, car cela permettrait à terme de diminuer les coûts liés à des durées d’hospitalisation plus longues et de réduire les coûts pris en charge par la sécurité sociale.
L’épineuse question des salaires
Par ailleurs, pour améliorer le ratio « patients par infirmier », l’une des clés est d’éviter que ces derniers ne quittent la profession prématurément. Or, la dernière étude du KCE montre qu’aux soins intensifs, un infirmier sur deux a l’intention d’abandonner le métier. "Plus on traîne, plus ce phénomène va s’amplifier" explique Arnaud Bruyneel. « Il est éminemment urgent de revaloriser la profession ».
Dans ce contexte, la question des salaires est centrale. Avec la réforme IFIC, de nombreux infirmiers spécialisés en soins intensifs perdent de l’argent par rapport à l’ancien système. "Si je prends mon cas, comme infirmier en soins intensifs avec quinze ans d’expérience, je perds 45 000 euros sur ma carrière en entrant dans le nouveau système, alors que je ne travaille qu’à mi-temps".
Je me suis dit ’stop, je vais à la catastrophe’
Pour Thomas Persoons, ce manque de valorisation, de considération et l’intensité de la charge de travail sont des facteurs de burn-out. "Le problème, c’est que quand vous êtes en burn-out, vous faites moins bien votre boulot. Moi, j’avais des trous de mémoire sur des dosages de médicaments ! Je n’en pouvais plus et je me suis dit ’stop, je vais à la catastrophe si je continue à travailler dans cet état-là’ ".
Un véritable cercle vicieux difficile à briser. Pour Arnaud Bruyneel, « il faudra des années ». En attendant, l’impact du manque de moyens sur la mortalité des patients est, lui, bien réel. Et désormais avéré dans les hôpitaux belges.
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