• Politiser la #haine

    Impossible de déjouer l’ascension électorale du #Rassemblement_national sans comprendre le #soutien que lui apportent un ensemble d’organisations non partisanes, extraparlementaires, d’intellectuels ou encore d’influenceurs, bref sans regarder du côté de cette nébuleuse identitaire qui lui sert de marchepied. Restés en marge de l’arène électorale, les #identitaires se sont progressivement placés au cœur d’un écosystème médiatique en se fondant dans les cadres du #néolibéralisme pour gagner en #respectabilité. Par la politisation des affects, ils construisent une #altérité_radicale entre un « nous » (les Français « de souche », les hommes, le vrai peuple) et un « eux » (les musulmans, les féministes, les trans, les « #woke »), qui contribue à rendre populaires les #idées_réactionnaires.
    Ce livre est le fruit d’une enquête au long cours. Débutée par une immersion chez les identitaires en 2010, elle est enrichie par l’analyse sociologique de leur #médiatisation, de leurs filiations idéologiques et de leurs #réseaux.

    https://ladispute.fr/catalogue/politiser-les-affects

    #livre #RN #médias #extrême_droite

    ping @karine4

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    Extraits publiés sur le site de acrimed :
    https://www.acrimed.org/Politiser-la-haine-la-strategie-du-buzz

    Se placer du côté des « gens respectables »

    Dans leur rôle de cadrage des problèmes publics, les identitaires associent un langage propre à chacune de leurs actions : « Français de souche », « racisme antiblancs », « francocide » ou encore « grand remplacement ». Ces mots constituent un moyen pour eux de fabriquer des raccourcis interprétatifs. Les musulmans sont notamment associés à l’insécurité (ils sont assimilés à des « racailles ») en même temps qu’à des mauvais pauvres (ils viendraient bénéficier des aides sociales). Surtout, les immigrés sont rendus responsables de leur sort, puisque leur comportement serait imputable à leur essence (leur culture, leur religion, leur personnalité) plutôt qu’à des logiques sociales, collectives et structurales. De cette façon, les actions médiatiques des identitaires opèrent un acte de minoration des populations musulmanes, qui sont construites comme des altérités radicales [1], infériorisées par rapport à la population majoritaire. En relayant ces actions, les médias participent à la diffusion de ces chaînes de causalité et à la construction de la stigmatisation des populations musulmanes, dans un contexte où celles-ci sont invisibilisées dans l’espace public, en particulier les femmes, plus encore lorsqu’elles portent le voile [2].

    Mais ces raccourcis interprétatifs auraient peu de chances de s’imposer s’ils n’étaient pas alignés sur certains présupposés idéologiques déjà présents dans les médias grand public. Les journaux télévisés ont tendance à parler des minorités – comme c’est le cas des habitants racisés des banlieues – pour y souligner, souvent à partir des cas les plus extrêmes, les supposés problèmes d’insécurité (vols, drogue, rodéos, etc.) et de communautarisme religieux [3]. Cette médiatisation des banlieues offre un miroir saisissant de celle, folkloriste, proposée par le JT de 13 heures de TF1, des villages « authentiques » d’une France rurale des terroirs et des traditions [4]. Le cadrage audiovisuel des territoires populaires place insidieusement le normal du côté du peuple blanc, par opposition à des minorités racisées qui sont présentées par rapport à un écart avec la norme majoritaire et blanche. Certes, la réception de ces programmes télévisés ne vaut pas automatiquement adhésion et l’on sait que leur réception induit parfois des formes de résistance ou d’attention oblique [5]. Toutefois, ce constat n’empêche pas d’interroger la place des médias dans la construction des rapports sociaux de classe [6] et de race et la façon dont ils donnent la possibilité au public de réaffirmer ses positions au sein de cette structure sociale et raciale [7]. En cela, l’audiovisuel n’offre pas tant des idéologies racistes explicites que des principes de vision et de division du monde social et racial qui concordent avec les impensés de la population majoritaire [8] et qui concordent avec les visions du monde des identitaires.

    À l’inverse, dans l’audiovisuel privé en particulier, la gauche, bien plus que l’extrême droite, semble nager à contre-courant. Les journaux télévisés de ces chaînes fournissent un cadre normatif propice à la mise à distance des formes jugées illégitimes d’expression de l’injustice. Les mouvements de grève sont d’autant plus disqualifiés lorsqu’ils troublent l’ordre économique – blocage des raffineries, grève des transports, etc. – ou l’ordre sécuritaire – « violences » des manifestants, etc. [9] Le micro-trottoir auprès des voyageurs restés en gare du fait d’une grève des cheminots ou les porte-parole sommés de condamner les dégâts matériels causés par des manifestants apparaissent comme autant d’invitations à ce que le public s’identifie davantage aux usagers et consommateurs des biens et des services qu’aux travailleurs dont les motivations et la colère restent souvent incomprises.

    Les programmes de divertissement suivent une logique similaire, offrant des conseils pour optimiser ses achats, acquérir un logement, mais aussi l’aménager et le décorer. Ils enseignent également comment cuisiner, s’habiller ou éduquer ses enfants, participant ainsi à définir les bonnes normes et à dessiner les contours de la respectabilité sociale. Cette offre médiatique matérialise des distances entre groupes sociaux au sein des classes populaires, en valorisant plutôt les propriétaires par rapport aux locataires, ceux qui travaillent par rapport à ceux qui font grève, etc. La construction symbolique des groupes sociaux qu’opère cette offre médiatique et politique incline bien plus le public à regarder vers le bas, c’est-à-dire vers les fractions des classes populaires plus vulnérables, auprès desquelles il faut maintenir coûte que coûte une distance économique et culturelle, au détriment d’un regard porté vers le haut, c’est-à-dire vers les groupes sociaux mieux dotés, et qui semblent plus figurer comme des modèles à suivre que comme des modèles à éviter [10]. Or, sur les territoires où le vote RN semble être le mieux installé, être du côté de Marine Le Pen revient à se placer du côté des gens respectables, si bien qu’il n’est plus du tout un vote indicible, mais au contraire un motif de fierté [11]. À l’inverse, voter à gauche revient à se placer du côté des « cassos » – les fractions les plus fragilisées des classes populaires – et des immigrés, perçus comme des groupes moins respectables que le sien. Pour ces sympathisants RN, ils viendraient en France et feraient des enfants pour profiter des aides sociales, vendraient ou consommeraient de la drogue, commettraient des vols, auraient une hygiène douteuse [12].

    C’est pourquoi, dans les faits divers qu’ils politisent, les identitaires se placent toujours du côté des « gens respectables », de la majorité blanche. Dans un atelier consacré à la construction d’actions pour attirer l’attention des médias, on apprend à les accompagner d’une sémantique racialisante. Le formateur-militant fait état de quatre piliers que tout bon militant devrait avoir en tête lorsqu’il imagine une future action : « l’originalité, l’audace, la finesse et l’insolence ». « Surtout, évitez d’énoncer directement des généralités et préférez partir d’un fait. » Les identitaires aiment en effet s’appuyer sur des faits divers placés sous les feux de l’actualité, qui suscitent une vive émotion : l’affaire René Galinier, le décès de soldats français en Afghanistan, etc.

    « Par exemple, le restaurant "Chez papa" emploie des clandestins alors qu’il sert des produits du terroir [13]. Réfléchissez à l’angle. Qu’est-ce que vous voulez dénoncer ? Qu’est-ce que vous voulez faire ressortir ? Dans ce cas, dénoncer le patronat c’est trop vague, mais on peut préciser de quels patrons on parle. Réfléchissez aussi à qui revendiquera l’action : une association ? Les jeunes identitaires ? Le Bloc identitaire ? Ayez à l’esprit que l’objectif d’une action est double. Elle a comme objectif premier de faire interdire des concerts, comme dans le cas de la campagne contre Sniper (un groupe de rap), ou de dénoncer la malbouffe. Mais il y a un enjeu secondaire qui consiste à faire entrer une idée ou un concept dans la tête, comme "sanctuarisation du domicile" dans le cas de l’affaire Galinier [14]. Enfin, réfléchissez à la façon de médiatiser, à travers un communiqué de presse, des photos ou des vidéos, en sachant qu’il faut toujours publier avant le lendemain. Dans le cas d’une prise vidéo, réfléchissez à tout, à filmer le cadre de l’action et à faire des plans généraux, à bien positionner la banderole par rapport à la caméra. Travaillez une mise en scène, comme on l’avait fait pour l’action du Quick halal : "Vous ne servez pas de cochon, ils vont venir à vous !". Donc prévoyez des slogans, des banderoles, des tracts. La banderole est intéressante parce qu’elle fixe le message. N’oubliez pas en la réalisant que le plus important, c’est la vidéo, pas les gens qui sont là. Et ne cherchez pas non plus à copier ou à faire du réchauffé. Essayez toujours d’innover. »

    De cette façon, l’immigration devient dans le sens commun la principale cause des maux sociaux, éclipsant les cadrages concurrents de la gauche. Cette dernière est rendue inaudible sur les questions d’immigration, dont l’extrême droite est devenue propriétaire. Elle parvient plus difficilement à exposer ses propres chaînes de causalité dans les médias, et notamment la façon dont les rapports de pouvoir se perpétuent. Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi. Jusque dans les années 1970, le discours dominant à propos de l’immigration reposait sur un cadrage « humanitaire », mettant l’accent sur la vulnérabilité d’immigrés qui bénéficient de peu de droits et qui subissent des discriminations racistes. Mais il est concurrencé à partir des années 1990 par un discours conservateur qui associe l’immigration à un trouble à l’ordre public et à une menace pour l’unité de la nation [15]. De personnes à défendre, les immigrés deviennent ainsi progressivement des individus à combattre. Militants et sympathisants d’extrême droite se mobilisent pour faire valoir leur point de vue, et quand les médias relaient le cadrage conservateur du phénomène migratoire, ils participent dans le même temps à invisibiliser le cadrage « humanitaire » concurrent.

    Pour le Rassemblement national, l’activité médiatique des identitaires est une aubaine. Le parti se propose de « remettre en ordre » la nation, en l’épurant de ses membres dont il présume qu’ils menacent son équilibre. La prise en charge politique du problème – moins de tolérance, sécurisation du territoire, etc. – est alignée sur le cadrage des identitaires, qui constituent ainsi des alliés objectifs du RN. Plus encore, les identitaires contraignent les politiques à se situer par rapport à un problème qu’ils sont parvenus à formuler et à imposer dans l’espace médiatique. La droite, et parfois au-delà, en concurrence avec le RN pour le même électorat, peut alors être tentée de reprendre la rhétorique de l’extrême droite et les propositions qu’elle formule pour tirer un bénéfice politique de ce cadrage médiatique. Indirectement, la stratégie métapolitique des identitaires contribue ainsi à tirer vers elle le débat public. On voit toute l’importance pour l’extrême droite positionnée dans le champ politique, principalement le Rassemblement national, d’être indirectement soutenue par des alliés positionnés de façon homologue dans le champ médiatique.

  • La preuve en images ?

    En suivant le procès de #Mazan, je perçois un parallèle avec les meurtres de masse à #Gaza, en Cisjordanie et au Liban : dans les deux cas, nous assistons à un échec des idéaux de #justice que nos sociétés revendiquent, échec accentué par l’abondance d’#images incriminantes. Je tente ici d’examiner comment cette #crise_de_la_preuve se déroule sous nos yeux et le miroir qu’elle nous tend.

    Dans un texte publié cette semaine, Mona Chollet (https://www.la-meridienne.info/Le-genocide-invisible) écrit :

    « Le découpage minutieux par lequel les médias et les dirigeants occidentaux distinguent les victimes dignes d’être pleurées de celles qui ne méritent pas une seconde d’attention me fait penser à ces vieilles #photos de l’URSS sur lesquelles la #censure effaçait soigneusement les contours des dignitaires tombés en disgrâce. »

    Je n’aurais pas pu trouver meilleure introduction à mon propos.

    L’historienne de formation (et de l’URSS, justement) que je suis est forcément débordée par l’actualité : ayant exercé mes recherches dans un milieu par définition déserté par les preuves matérielles, j’ai étudié dans le sillage d’historiens comme Iouri Dmitriev et Dmitri Yurasov qui ont couru leur vie durant après des traces de massacres et leur dissimulation par les perpétrateurs (et les autorités), et me suis principalement employée à reconstituer des récits de violences de masse à partir d’éléments rares et lacunaires.

    Depuis plusieurs années, c’est l’inverse qui se produit : pour enquêter, on est au contraire contraint de fouiller dans la masse de documents disponibles en ligne et de constituer des outils à même d’isoler le signal du bruit, le vrai du manufacturé et l’aiguille de la botte de foin. Nous investissons donc des terrains où les #preuves abondent. Pour autant, force est de constater qu’elles ne sont pas nécessairement retenues contre les auteurs des #crimes. J’ai pour ma part le sentiment que nous vivons collectivement une inversion paradoxale du #rapport_à_la_preuve, par lequel des #preuves_visuelles accablantes accompagnent des #violences pourtant ignorées ou niées.

    Au cours de mes recherches ou en pratiquant l’#OSINT sur plusieurs épisodes de #violence ces dernières années, je suis travaillée par cette réflexion sur le #statut_de_l’image — notamment dans ce qu’elle change dans notre rapport à l’événement historique — et de la preuve ; l’affaiblissement paradoxal de la #charge_de_la_preuve par la pléthore d’images s’est vérifié tous les jours en Syrie, sur le front ukrainien, etc.

    En ce moment, deux événements d’ordres en apparence très différents alimentent en continu cette réflexion : les crimes de guerre conduits par l’armée israélienne, et le #procès_de_Mazan.

    PREUVES ET #DÉNI

    Dans ces deux contextes, les vidéos provoquent une crise collective de notre rapport aux images et de notre rapport à la justice, philosophiquement, socialement mais aussi et surtout, c’est en tout cas l’enjeu, dans le cadre très précis du #droit_international et du #droit_pénal français, respectivement. On assiste à la rupture avec un paradigme dans lequel l’#absence_de_preuve justifiait que soient laissés impunis des actes, qu’il s’agisse de #crimes_sexuels ou de #crimes_de_guerre, dont la matérialité était suspendue aux déclarations des victimes, victimes qui, faute de preuves, n’étaient pas ou rarement crues.

    Mais que se passe-t-il alors face à des faits amplement documentés ?

    Alors qu’on pourrait s’attendre à ce que la #vérité éclate au grand jour, on vérifie tous les jours que ce n’est pas le cas. Le sort fait aux images y est pour beaucoup : selon le narratif qu’elles peuvent appuyer, elles verront leur circulation entravée ou encouragée et leur contenu validé ou discrédité. C’est de cette façon que des images propres à susciter l’#indignation se heurtent paradoxalement à l’#indifférence voire au #doute, qui sont bien sûr de puissants facteurs de #démobilisation.

    Plusieurs dispositifs agissent dans ce sens, que renseigne abondamment une longue tradition de théorie de l’information et de critique des médias : d’une part, l’accès à l’information limité et cloisonné, de la bulle de filtres à la censure délibérée. D’autre part, face à l’impossibilité de contrôler le flux désormais intarissable des informations, se mettent en place des réponses cognitives telles que la #fatigue_de_compassion ou la #surcharge_cognitive, qui paralysent au lieu de mobiliser. Enfin, les médias d’#information_en_continu, la concentration des titres de presse et en général le fonctionnement des médias moderne est propice à l’#entropie, la #manipulation de l’information, la perméabilité à la #propagande. Face à ces phénomènes de d’#altération de l’information, l’émergence croissante de médias de #fact-checking ou de #debunk est salutaire mais à la fois insuffisante (c’est la fameuse loi dite de Brandolini) et sujette à caution, ces plateformes qui s’érigent en instances de neutralité devenant potentiellement des agents de contrôle de l’information.

    Je parle souvent de notre usage des #réseaux_sociaux en politique, et notamment le dispositif de #spectacle par lequel nous assistons en live sur nos téléphones à des massacres filmés, et l’#impuissance acquise à laquelle nous cela nous réduit, dans une sorte de #conscientisation_sans_action. L’idée que des images puisse provoquer une #prise_de_conscience en même temps qu’une #distance_émotionnelle est au coeur de la réflexion de #Susan_Sontag dans Regarding the Pain of Others, et plus récemment dans le livre de #Samah_Karaki L’Empathie est politique (https://www.editions-jclattes.fr/livre/lempathie-est-politique-9782709672504), paru au début de ce mois.

    Une forme de #militantisme_compassionnel consiste alors à liker, partager, s’indigner à longueur de stories (moi la première) en se raccrochant à l’idée de « faire quelque chose ». J’ai depuis appris qu’un mot existe en réalité depuis longtemps pour désigner ce phénomène : le #slacktivisme, autrement dit un #activisme_paresseux pratiqué depuis son canapé. Bien entendu, si ce qui se joue relevait de la seule paresse, cela ne vaudrait pas pour moi une minute de peine.

    Je voudrais revenir sur la nature et le rôle du « spectacle » en question, c’est-à-dire ce que nous regardons : les images, en quantité désormais infinies, et leur caractère de preuve.

    Si tout ce qui précède tend à montrer que la #démobilisation est un effet pervers de l’inflation des images, je pense qu’est également à l’œuvre un mécanisme délibéré de #disqualification de ces images. En effet, si l’#indifférence est une des conditions de l’#impunité, le #doute en est une autre et c’est ce qui m’intéresse plus particulièrement.

    DU DÉNI AU #NÉGATIONNISME

    Le procès Pélicot et les vidéos de Gaza présentent selon moi un point commun très fort et symptomatique de l’époque en ce qui concerne notre rapport aux images : dans ces deux cas de figure nous sommes en présence d’images qui se retrouvent au cœur du #débat_public.

    Ce sont notamment des contextes de production d’images par les auteurs mêmes des crimes, et dans les deux cas, la controverse repose sur l’idée que ces images ne constituent pas des preuves. Dominique Pélicot, qui a drogué son épouse afin que plusieurs dizaines d’inconnus puissent la violer à son insu pendant des années, a tout filmé ; c’est même cette collection visuelle monumentale qui a conduit à la mise en examen des accusés. On peut aussi relever que c’est déjà le fait de filmer ses victimes, en public cette fois (sous les jupes de clientes d’une grande surface), qui a attiré l’attention des autorités sur lui et mené à la découverte du reste. La documentation systématique de ses propres agissements constitue donc une part fondamentale desdits agissements (dans un but principalement pornographique en l’occurrence). À l’issue de la fouille de son matériel, cette archive devient logiquement une #pièce_à_conviction.

    Pourtant, depuis le début des audiences, s’est joué un retournement du rôle de ces images : les plaidoiries des avocats des accusés mobilisent massivement les vidéos incriminantes pour au contraire les dédouaner. Il a pu être ainsi avancé que ces images montraient en fait que la victime était consentante ; qu’elle faisait semblant de dormir ; que rien ne prouvait qu’elle n’avait pas sollicité ces actes.

    Dans le cas de Mazan, le paradoxe est consommé : sans ces vidéos, les accusés auraient probablement continué leur vie sans être inquiétés, mais sur ces vidéos se construit désormais un #récit_alternatif visant à les disculper.

    Depuis un an, une autre catégorie de vidéos sature nos écrans : les images en provenance de Gaza. Depuis un an Israël a imposé une interdiction stricte sur l’accès indépendant à Gaza pour les médias internationaux ; les vidéos qui nous parviennent sont donc nécessairement le fait d’individus impliqués dans les événements. Certaines sont filmées avec les téléphones des victimes ; d’autres sont, comme dans le cas de Dominique Pélicot, tournées par les auteurs des crimes : des soldats israéliens enregistrant des crimes de guerre en zone occupée, soit par souci nationaliste, soit par fanfaronnade individuelle pour se mettre en valeur sur Tiktok et Tinder. On note au passage qu’à Mazan comme à Gaza, la compilation des actes criminels par leurs auteurs dit quelque chose de leur #sentiment_d’impunité.

    Dans les deux cas de figure, un enjeu fondamental est donc l’existence d’une #documentation_visuelle d’actes qui dans d’autres contextes restent impunis, précisément faute de preuves.

    Tout l’argumentaire de notre idée de la justice est fondé sur la preuve, soit le fait que le flagrant délit ou la prise sur le fait rend les faits indéniables. C’est même ce qui justifie la #surveillance_de_masse.

    Ici, cet argumentaire se retrouve mis à mal et les images font l’objet d’une entreprise de #disqualification : les victimes sont des menteurs et les vidéos sont fake. Nous le savons bien : dans le monde « #post-vérité », les faits ne sont plus aussi têtus.
 Ainsi encore tout récemment des images des frappes qui ont ciblé les patients d’un hôpital en ruines à Deir al Balah et notamment vu périr dans les flammes le jeune Shaban al-Dalou sur plusieurs vidéos ont suscité une émotion virale. Mais très rapidement en réponse à ces images se met en place une rhétorique de #négation d’ordre conspirationniste : les vidéos seraient le fruit de « #Pallywood », invention raciste et révisionniste qui prétend que les Palestiniens disposent d’une industrie cinématographique dédiée à la production « hollywoodienne » de films victimaires. Ainsi l’épisode très choquant de la mort de #Shaban_al-Dalou a été remis en question en ciblant l’auteur d’une des vidéos de l’attaque de l’hôpital ; dans ces contenus, le jeune Gazaoui est présenté comme un « acteur » et accusé de créer de faux contenu destinés à attirer la compassion. Bien que les vidéos aient été vérifiées comme bien réelles et la conspiration Pallywood largement debunkée, et notamment sur l’épisode précis en question, les tweets relayant cette opération de propagande autant par les comptes officiels de l’état israélien que de l’influenceur d’extrême-droite et ex-policier Bruno Attal mais aussi la vice-Présidente du CRIF, n’ont pas, à ce jour, été supprimés.
    Ce #discrédit jeté sur la preuve peut sembler tellement grossier qu’on aurait du mal à le prendre au sérieux, mais il fonctionne très bien sur les spectateurs de bonne foi qui ne veulent pas croire aux images “choc” qui leur parviennent. Il a même pu être dit que ces images étaient "trop choquantes pour être réelles".

    Ainsi, en présence d’images, la négation doit simplement passer par d’autres canaux : ces images prouveraient en fait le contraire de ce qu’elles montrent explicitement ; seraient fausses ou trafiquées ; les victimes seraient en fait consentantes, ou ne seraient que des acteurs jouant la comédie.

    La #fictionnalisation des images documentaires participe donc de la mise en place d’un #déni_de_preuve. Priver les images de leur #charge_probatoire est alors un enjeu capital pour les perpétrateurs.

    VICTIME PARFAITE, PARFAIT COUPABLE

    Revenons sur Mazan.

    Gisèle Pélicot, soumise chimiquement par son mari et livrée à des centaines d’hommes pour qu’ils la violent pendant qu’elle était inconsciente, pourrait incarner l’archétype de la "bonne victime" de viol : les preuves sont accablantes, les faits indiscutables.

    Cette idée de "#bonne_victime" se retrouve chez Giulia Fois, qui évoque le viol dont elle a été victime comme un “bon viol”, expliquant qu’elle a été considérée comme une victime recevable parce que son viol a eu lieu dans un contexte conforme à l’idée qu’on veut se faire du viol à l’échelle de la société : un inconnu la nuit sur un parking sombre — cliché bien utile pour recouvrir complètement la réalité qui est toute autre : puisque 90% des #viols sont commis par un homme connu de la victime.

    Pourtant, Gisèle Pélicot se voit harcelée par les avocats de la défense qui s’acharnent à démontrer qu’elle aurait été consentante, et par là mettre en doute son statut même de victime. On le voit bien : l’image, soit le plus haut niveau de preuve, dans ce contexte, ne sert plus à rien. Si ce n’est éventuellement à se retourner contre les victimes : on est même allé chercher des photographies érotiques réalisées par la victime pour étayer le portrait d’une femme lascive et libertine, donc essentiellement une femme qui a bien cherché à se faire passer dessus et certainement pas une « bonne victime ».

    On voit donc la facilité avec laquelle, en dépit des preuves, la victime légitime peut être rétrogradée au statut d’irrecevable.

    Dans le même ordre d’idées, Mona Chollet, toujours dans son texte si bien nommé « le génocide invisible », relève ceci (et je souligne) :

    « Au fil des mois, déjà, on avait pu mesurer l’ampleur du “deux poids, deux mesures”. Les massacres, les viols : au vu de l’indignation générale soulevée, à juste titre, quand des Israélien·nes en ont été victimes, on avait pu en déduire, naïvement, que ces crimes étaient condamnables en eux-mêmes. Mais l’indifférence, voire l’approbation, rencontrées quand des Palestinien·nes en sont victimes à leur tour nous force à en déduire que ce qui est réellement terrifiant, ce n’est pas d’être violé·e, décapité·e, massacré·e : c’est de l’être par des Arabes ».

    La #recevabilité du #statut_de_victime légitime semble donc moins inféodée au faisceau de preuves dont on dispose qu’au statut de l’auteur des actes dont elle est victime. En gros : dis-moi qui t’a agressé·e, je te dirai si c’est vrai.

    En effet, la question de savoir qui est la "bonne victime" sert à détourner l’attention du véritable problème : celui des "#bons_coupables", ceux que la justice désigne comme des cibles légitimes — migrants, pauvres, minorités de race et de genre… (et il va de soi que ces coupables idéaux ne peuvent pas constituer à leur tour des victimes parfaites). Pour le dire simplement, le système protège les agresseurs quand ils correspondent à un certain profil.

    Nous avons à Mazan un procès accablant pour les auteurs (avec 10 ans de vidéos à charge) mais comme comme ce sont des coupables irréprochables — un « #bon_père_de_famille » et des « monsieur tout-le-monde » —, on est en train de nous expliquer que c’est plus compliqué que ça, qu’ils n’ont pas fait grand chose de mal, qu’ils ont souffert dans leur enfance et que Gisèle Pélicot a peut-être un peu cherché ce qui lui est arrivé. La médiatisation du procès de Mazan rompt l’illusion et montre au grand jour l’arbitraire de la séparation entre bons et mauvais hommes, et entre vrais et faux coupables.

    Le contraste est saisissant avec typiquement le battage médiatique tout récent autour de l’inculpé désigné sous la seule appellation de « Marocain sous OQTF » qui a tué la jeune Philippine, créant immédiatement une panique d’extrême-droite — extrême-droite qu’on a pas beaucoup vu s’émouvoir du procès Mazan.

    Il apparaît clairement qu’on ne prend fait et cause pour les victimes qu’en fonction de qui les agresse, en faisant en réalité peu de cas de ces victimes.

    CACHEZ CES VICTIMES QUI NE SAURAIENT EXISTER

    Dans ce contexte, le huis clos judiciaire joue d’ailleurs un rôle clé : il devient le pilier d’un système qui, sous couvert de protéger les victimes, protège en réalité les coupables. Le refus du #huis_clos par Gisèle Pélicot est un enjeu de société car il expose publiquement ce qui était auparavant relégué à l’imaginaire sordide des « affaires de mœurs » et recouvert d’un voile pudique.

    Dans le même ordre d’idées, les #smartphones utilisés par les populations ciblées ont en quelque sorte brisé le huis clos symbolique des scènes de crimes de guerre d’habitude considérés comme essentiellement incompréhensibles, exotiques, ambigus et frappés d’un flou artistique.

    En ce moment, le monde traverse donc une #médiatisation_des_violences qui fait vaciller les conceptions de la justice des gens qui y assistent. Si l’idée d’une #justice_à_deux_vitesses n’est certes pas nouvelle, les niveaux d’impunité et de cynisme déployés dans ces deux contextes ont suscité des indignations très larges.

    S’y pose à nouveaux frais la question centrale : qui a le droit d’exercer la #violence ?

    
Mythe fondateur de l’état de droit, le #monopole_de_la_violence_légitime réservé aux agents du pouvoir exécutif prouve jour après jour non seulement son échec à protéger les plus vulnérables, mais sa tendance croissante et de plus en plus manifeste à s’exercer contre eux, des violences policières aux persécutions institutionnelles contre les minorités. Je vois pour ma part dans l’acharnement à innocenter les violeurs de Mazan une extension tacite et conditionnelle de ce monopole de la violence à certaines catégories sociales (plutôt dominantes) pourvu qu’elles limitent leur action violente à certaines autres catégories (plutôt minoritaires).

    Les images de Gaza et de Mazan concourent au même mouvement de révélation à grande échelle de l’étendue de l’arnaque d’un régime profondément illégaliste, au sens foucaldien : la gestion de la légalité ou de l’illégalité de certains phénomènes en fonction de qui en sont les acteurs.

    S’y dévoile en fait la matrice d’un système fondé sur la #négation_des_victimes : face à l’impunité acquise de certains, selon une organisation finalement tout à fait suprémaciste, on le voit aujourd’hui : les preuves ne valent pas grand chose ; face à des perpétrateurs qui bénéficient à d’un totem d’#immunité, ou à minima de nombreux points d’avance, il n’y a pas de victime assez parfaite pour établir la #culpabilité de leur bourreau.

    Le #victim_blaming (terme qui désigne l’attribution d’un acte malveillant à la responsabilité de la victime) est en fait le mode par défaut du parcours de la victime vers la reconnaissance de son statut et l’éventuelle réparation du préjudice et participe d’une #impunité_institutionnelle. Le huis clos que les images viennent briser n’est pas seulement géographique, mais aussi moral et idéologique : il est celui d’une société internationale qui refuse de reconnaître la pleine humanité des victimes, car cela impliquerait de remettre en question les structures de pouvoir qui la sous-tendent.

    Si comme le veut l’adage le vieux monde peine à mourir, les monstres qui surgissent prennent pour l’instant la forme d’une ère post-factuelle où l’émotion et l’opinion remplacent les faits, et dans laquelle les spectateurs sont complices par leur inaction. Et si un nouveau monde tarde à apparaître c’est aussi parce l’#indifférence et le #déni prédominent et autorisent l’impunité à prospérer.

    J’ai l’optimisme de penser que l’indignation suscitée par décalage entre les déclarations des pouvoirs publics et les actes qui sont documentés ne n’est pas vouée à tourner dans une boucle stérile et fera à terme bouger les lignes. Je caresse même la chimère que par le spectacle qui se donne de cas d’impunité tellement patents, après l’indignation incrédule se produise un déclic des consciences même chez les gens les plus enclins à avoir confiance en la justice nationale et internationale. Le régime actuel de coexistence des #récits_dominants avec les images qui les contredisent est en train de creuser une faille qui expose les processus par lesquels les systèmes de justice et les systèmes d’information sont à la fois régis par les #rapports_de_pouvoir qui traversent nos sociétés et producteurs de #récits dominants. Chaque jour qui passe montre un peu davantage combien le roi est nu.

    Omar El Akkad tweetait il y a un an : “One day, when it’s safe, when there’s no personal downside to calling a thing what it is, when it’s too late to hold anyone accountable, everyone will have always been against this.” Ce tweet a été vu plus de 10 millions de fois. Pouvons-nous vraiment attendre que trois générations s’écoulent ?

    https://blogs.mediapart.fr/cerisuelo/blog/171024/la-preuve-en-images
    #viols_de_Mazan

  • Troisième et dernier billet sur la maternité des Lilas
    (version disponible aussi en PDF - 26 pages A4)
    Pas seulement dans ton jardin
    - La maternité des Lilas : une lutte locale ?
    - On aime la mater et ça fait du bien de l’aimer
    - À propos du collectif de soutien
    - Les limites de la stratégie communicationnelle
    - La maternité des Lilas, c’est quoi, en fait ?
    - Service d’orthogénie et d’accouchement physiologique
    - Les modalités financières et les objectifs sociaux du service
    - Les salarié·es
    - Le représentant légal, angle mort et boulet
    - La proposition d’une maternité des Lilas de service publique
    - Les conséquences d’une intégration en service public
    - À propos des usines à bébés
    - Sanctuaire ou partage ?

    Pas seulement dans ton jardin – Sortant du village
    https://sortantduvillage.info/2022/11/14/pas-seulement-dans-ton-jardin

    On aime la mater et ça fait du bien de l’aimer

    Revenons en juin 2011, quand l’ARS refuse de donner son accord au projet de construction d’une nouvelle maternité aux Lilas, sur le terrain Güterman.

    L’urgence était à « l’action ». Tout le monde sait que pour agir rapidement, il faut se faire connaître et, pour cela, quoi de mieux que l’action spectaculaire ?

    Ça tombe bien : la mater, avec son ambiance bienveillante et ses nourrissons, est plutôt photogénique. Elle attire la lumière. Elle retourne une image rassurante et consensuelle. C’est un bon départ pour se faire connaître, surtout quand on appartient à un secteur d’activité qui renvoie, globalement, une vision de la réalité beaucoup moins glamour.

    Tapez dans votre moteur de recherche « maternité des Lilas » et observez les vidéos associées à votre requête.

    Vous constaterez alors que les mots clés « maternité des Lilas » correspondent à un objet médiatique et politique qui ne cadre pas vraiment avec la réalité des services de santé en France.

    Une réalité qui est accessible à tout à chacun, dès lors qu’on se rend à l’hôpital pour une urgence : des lits installés dans les couloirs, le déficit d’équipements et de moyens médicaux, le manque de personnel, l’exaspération du public, les agressions des agent·es… sans parler de la partie immergée de l’iceberg, qui remonte périodiquement à la surface, par blocs entiers, tels que – tiens, parlons-en justement – les violences obstétricales, la fermeture des maternités et des services de pédiatrie, la pénurie d’infirmières et de médecins de villes, la maltraitance des patient·es souffrant de troubles psychiatriques et des personnes en situation de handicap, les systèmes informatiques des hôpitaux qui sont à l’origine de la diffusion d’informations confidentielles des usagers, après avoir été hackés… soit, autant de situations parmi d’autres, caractérisant l’état des services publics de santé, à laquelle il faudrait, bien entendu, ajouter la gestion de la crise du COVID19 qui représente, à elle seule, un dossier à charge qui vaut largement son pesant de cacahouètes.

    Toutes ces images anxiogènes s’évaporent au contact de la maternité des Lilas, y compris quand il est question des péripéties qui l’opposent à l’ARS. Parfois, même, c’est rigolo aux Lilas. On voit des jeunes femmes sympas, plein d’énergie, avec de jolies couleurs, qui chantent et qui dansent. Et puis toutes ces vidéos disponibles sur Youtube, dix après. Vraiment cool.

    Quand l’objet politique et médiatique « maternité des lilas » rencontre le sujet de société « service public de santé en France », ce dernier joue presque toujours le rôle de figure repoussoir. Le discours, surtout porté par les usag.ères des Lilas et relayé par les médias, pourrait presque toujours se résumer à ce type de propos : Aux Lilas, ce n’est pas comme les autres maternités. On prend vraiment soin des patientes. Ce n’est pas une usine à bébés et on ne veut pas qu’elle le devienne. C’est pour cela qu’il faut la soutenir.

    Pour conclure, sur le registre de l’activisme, rappelons que le simple terme de « La maternité des Lilas » représente, à lui seul, un symbole fort au-delà même de la sphère militante féministe. Il n’est pas nécessaire de déployer tout un argumentaire pour convaincre. Il suffit de lancer le message essentiel « Attention, la maternité des Lilas est en danger ! » pour voir arriver le beau monde et inciter tout à chacun·e ayant une conscience progressiste de lui venir en aide, surtout quand cela ne consiste qu’à signer une pétition en ligne.

    Décidément, on aime la mater et ça fait du bien de l’aimer.

    La maternité des Lilas a la chance de bénéficier d’un réseau de célébrités qui servent de précieux relais auprès des grands médias, ce qui accentue d’autant l’effet charismatique évoqué ci-dessus.

    Contentons-nous, pour l’instant, du constat suivant : la mobilisation de la maternité des Lilas fait l’objet d’un accompagnement médiatique assez exceptionnel et plutôt bienveillant.

    Il semble que, dès le départ, la visibilité médiatique, sous sa forme parfois la plus caricaturale, a représenté la stratégie prioritaire adoptée par le collectif de soutien. La maternité des Lilas s’est souvent mise en scène à l’écran, voire dans la rue.

    La stratégie de communication s’est emballée et, bingo, le truc a fonctionné.

    Tant que la mayonnaise prenait il n’y avait aucune nécessité de savoir et de faire savoir que l’objet « la maternité des Lilas » ne se limitait pas aux images d’Épinal retournées par les écrans. Il n’était nullement nécessaire de préciser que cet objet embarquait un représentant légal, totalement invisible, qui allait s’avérer plutôt encombrant. Hors de question, aussi, d’étaler au grand jour le fait que les principales porte-paroles, sous couvert d’un discours unitaire, étaient en réalité porteuses de tensions internes, représentant, des intérêts spécifiques, voire divergeant.

    La priorité, au début, était d’obtenir le maintien de « la maternité des Lilas aux Lilas ». Incontestablement, cette stratégie pouvait s’avérer gagnante.

    Après le succès de la manif de septembre 2011, l’ARS a été contrainte de faire marche arrière, moyennant quelques concessions, à première vue, mineures. Personne n’avait vu que l’État menait tout son petit monde en bateau, mais là n’est pas la question. La stratégie de com avait été vraiment super canon successful, tu vois, et ça faisait du bien d’y croire. Tout semblait réglé. Nous y avons presque cru.

    Et alors, où est le problème ? Me direz-vous.

    Le problème ne porte pas sur la médiatisation elle-même. On sait qu’il faut faire avec, même si le sujet mériterait d’être approfondi.

    Par contre, le soucis vient quand on en reste à l’image laissée par les médias et, d’autant plus, quand cette image plaisante et simplificatrice, qui s’avère totalement erronée, est intégrée par les protagonistes de la lutte elles-mêmes et eux-mêmes : salarié·es, collectif de soutien et sympathisant·es.

    #maternité_des_Lilas #accouchement_physiologique #féminisme #lutte_sociale #lutte_syndicale #lutte_locale #lutte_globale #usines_à_bébés #santé_publique #savoir-faire_professionel #médiatisation_lutte_sociale #service_public #biens_communs #sanctuariser_vs_partager #logiques_industrielles #sens_donné_au_travail #automatisation #dématérialisation_services #dégradation_qualité_service_rendu

  • Les nouvelles héroïnes françaises (mais seulement à l’étranger – et sur les réseaux sociaux…).
    « Assa Traoré fait la une de Time ; une couverture que l’on ne verra pas en France dont les dirigeants politiques et les médias prétendent que le racisme systémique n’existe pas et qui couvrent les violences de la police. Une telle injustice ne passe pas inaperçu à l’étranger. »

    https://time.com/guardians-of-the-year-2020-racial-justice-organizers

  • [must see] Médias : les quartiers vous regardent : Clichy-sous-bois, Amiens-Nord, Beaumont-sur-Oise, Grenoble & Marseille : un série documentaire en co-production La Friche / Collectif ŒIL à voir ou à revoir, à réfléchir surtout...

    via FUMIGENE MAG :
    https://www.fumigene.org/2019/10/28/medias-les-quartiers-vous-regardent-serie-documentaire

    1/ Clichy-sous-bois, la rupture
    2/ Amiens-Nord, le fossé
    3/ Beaumont-sur-Oise, le rapport de force
    4/ Grenoble, la réplique
    5/ Marseille, l’alternative

    Il n’est pas rare, lorsqu’on est journaliste et qu’on travaille dans les quartiers populaires, d’entendre des critiques sur le traitement médiatique qui est fait d’un quartier et de ses histoires. Il n’est pas rare non plus de discuter entre collègues du fossé toujours plus abyssal entre les “banlieues” et la profession de journaliste. Et pourtant, rien ne change. La défiance grandit. Chacun d’entre nous a en tête ces moments où la parole s’est pourtant libérée : “les journalistes, c’est des gros DJ, ils remixent tout ! » ; “les journalistes viennent ici, nous parlent, et après, on ne les revoit plus jamais…” ou encore « vous voulez faire de l’audimat, ça intéresse personne, les gens sympas ». Rancoeur accumulée par des citoyens qui se sentent dévalués, dans la presse, en raison de leur simple appartenance à un territoire, qui nous laissent, eux et nous, avec une profonde impression d’impuissance.

  • Aujourd’hui, acte 17, par André Gunthert
    https://scontent-cdg2-1.xx.fbcdn.net/v/t1.0-9/53738102_10156212891811623_1085783357519822848_o.jpg?_nc_c

    Dix-sept semaines d’un conflit social qui attend toujours sa résolution. Comment mieux dire, à l’heure où l’on évoque déjà les modalités de restitution du « Grand débat », que de #débat – c’est à dire de rencontre, de dialogue, de construction d’un consensus – il n’y en a pas eu ? Ou plutôt : il n’y en a pas eu avec Eux. Eux : les Gilets jaunes, les contestataires, les abrutis, les violents, les haineux. Les méchants. Ceux dont la #médiatisation a patiemment élaboré l’altérité. Macron, président de la politesse, a dicté la règle. On discute avec ceux qui disent bonjour, qui serrent la main, et qui ne coupent pas la parole au président. Les gentils. Ceux qui suivent les règles. Pas avec les Autres. Ceux qui les refusent. Comment contester cette équation repeinte aux couleurs du formalisme républicain ?

    C’est la magie performative du : « Vous ne m’avez pas serré la main ». Donc je suis légitimé à ne pas vous adresser la parole. Ne pas s’occuper du fond, répliquer sur la forme. Une technique de base du troll moyen. Je ne tiendrai pas compte de ce que vous venez d’énoncer, parce que vous n’avez pas respecté la bienséance. Magie d’une inversion qui glisse sous le tapis la colère. Et qui permet de dire : c’est de votre faute.

    On peut tourner et retourner dans tous les sens cette formule magique du formalisme : elle n’existe que pour faire taire. Débattre avec ceux qui sont déjà d’accord, ce n’est pas débattre. Ne pas écouter ceux qui protestent, et pire : les disqualifier justement parce qu’ils ont choisi de sortir du cadre qui étouffe toute #contestation, ce n’est pas un dialogue, mais un soliloque.

    Acte 17. On attend juste qu’ils s’essouflent. Logiquement, plus on se bouche les oreilles, plus ils se fatigueront. Ils vont bien finir par voir ça ne sert à rien. Cette attitude incarnée jusqu’au sommet de l’Etat n’a qu’un nom : le déni. Des violences policières, des blessés en pagaille, des malheureux fauchés sans la moindre raison ? Il est interdit d’en parler dans un Etat de droit, intime sans sourire le monarque républicain. N’ai-je pas été élu par tous les journaux de France ? Le débat c’est moi.

    Faire taire ceux qui crient et réserver la parole aux plus polis, est-ce encore la République ? Priver de #légitimité une partie du peuple parce qu’on est du bon côté de la caméra ou du fusil, ce n’est pas la démocratie, c’est la loi du plus fort. La démocratie ne résulte pas seulement d’un comptage des voix au moment du scrutin. Elle se construit fondamentalement sur l’élaboration d’une opinion commune, par les instruments du débat public : non pas le soliloque de l’autorité organisé pour annuler toute altérité, mais la libre expression de chacun répondant à chacun, armé de sa raison, et profitant d’un espace public qui est la condition du dialogue.

    La république de la politesse n’a plus de démocratique que le nom. Lorsqu’on refuse d’entendre ceux qui ont à se plaindre, lorsqu’on manipule la #violence tout en élevant un mur de #déni, lorsqu’on nomme débat le théâtre de la leçon magistrale du pouvoir, on se livre à une parodie autoritaire et méprisante. Souhaitons que l’Acte du jour ne soit pas obscurci par la barbarie de ceux qui portent le masque de l’Etat de droit.

  • Welcome to a new kind of war: the rise of endless urban conflict

    The traditional security paradigm in our western-style democracies fails to accommodate a key feature of today’s wars: when our major powers go to war, the enemies they now encounter are irregular combatants. Not troops, organised into armies; but “freedom” fighters, guerrillas, terrorists. Some are as easily grouped by common purpose as they are disbanded. Others engage in wars with no end in sight.

    What such irregular combatants tend to share is that they urbanise war. Cities are the space where they have a fighting chance, and where they can leave a mark likely to be picked up by the global media. This is to the disadvantage of cities – but also to the typical military apparatus of today’s major powers.

    Irregular combatants are at their most effective in cities. They cannot easily shoot down planes, nor fight tanks in open fields. Instead, they draw the enemy into cities, and undermine the key advantage of today’s major powers, whose mechanised weapons are of little use in dense and narrow urban spaces.
    Nor do contemporary urban wars even prioritise direct combat. Rather, they produce forced urbanisation and de-urbanisation. In many cases, such as Kosovo, displaced people swell urban populations. In other cases, such as Baghdad, ethnic cleansing expels people – in that case the “voluntary” departures of Sunnis, Christians and other religious groups, all of whom had long co-existed in Iraq’s large cities.

    Indeed, warring forces now often avoid battle. Their main strategy is to gain control over territory, through the expulsion of “the other” – often defined in terms of ethnicity, religion, tribal membership or political affiliation. Their main tactic is the terror of conspicuous atrocities, such as in South Sudan, home to a brutal and bloody war with no end in sight fought between two strongmen (and former collaborators), or the Congo, where irregular armies fighting for control of mining wealth have killed millions.

    The western military is learning. The US now has training camps featuring imitation “Arab” urban districts, and has picked up the Israeli practice of entering a dense neighbourhood not via the street, but by crossing through homes – a parallel pathway to the street, running from one interior room to another by carving holes in contiguous walls, and dealing with the inhabitants as they come across them.

    Global media certainly have an easier time reporting on major cities than on villages and fields. But even when those “remote” deaths are invoked, the shock and the engagement is not as strong as it is with terrorist attacks in cities. This engagement with the urban goes beyond attacks on people: when a major historic building or work of art is destroyed, it can generate huge responses of horror, pain, sadness, sense of loss – but 6 million killed in Congo? Nothing.

    We have gone from wars commanded by hegemonic powers that sought control over sea, air, and land, to wars fought in cities – either inside the war zone, or enacted in cities far away. The space for action can involve “the war”, or simply specific local issues; each attack has its own grievances and aims, seeking global projection or not. Localised actions by local armed groups, mostly acting independently from other such groups, let alone from actors in the war zone – this fragmented isolation has become a new kind of multi-sited war.

    In the old wars, there was the option of calling for an armistice. In today’s wars, there are no dominant powers who can decide to end it. Today’s urban wars, above all, are wars with no end in sight.


    https://www.theguardian.com/cities/2018/jan/30/new-war-rise-endless-urban-conflict-saskia-sassen?CMP=Share_AndroidApp_
    #villes #guerres #conflits #urban_matter #urbanisation_des_conflits #guerres_urbaines #médiatisation #milices #combattants #guérilla #Saskia_Sassen #villes_en_guerre

    cc @albertocampiphoto @reka @isskein @tchaala_la @fil @ville_en

  • Petits arrangements avec la #violence - La Vie des idées
    http://www.laviedesidees.fr/Petits-arrangements-avec-la-violence.html

    Le sous-titre du livre, « Et pourtant tout le monde savait », semble être une formule facile. La question est pourtant au centre du livre. Comme Léonore Le Caisne le démontre, la révélation de l’#inceste par la victime et les médias n’en est pas une pour le village, il n’y avait pas de « loi du #silence  ». La question n’est donc pas de déterminer si les habitants savaient ou pas, mais d’établir les modalités de ce savoir. Il ne faut pas surestimer l’importance de l’affaire au regard des enquêtés. Ceux-ci préfèrent parler à l’ethnographe de choses qui les concernent plus directement : des élections municipales ou du plan d’occupation des sols par exemple. Les positions des enquêtés déterminent leur savoir : ceux qui font partie du voisinage se sentent moins concernés que les autres ; les « anciens » savent plus que les nouveaux. Les jugements moraux prennent ainsi sens dans des partages et des intérêts locaux qu’ils produisent. L’affaire s’insère dans la série des autres histoires qui alimentent les commérages : « le “travesti” qui déboula un jour à la mairie un fusil à l’épaule pour se faire appeler Madame », la mère de famille qui « racolait dans les bois » (p. 86-87).

    Le fétichisme du fait violent permet finalement aux habitants de s’extraire de l’événement, soit en notant qu’ils ne connaissaient pas tout, et par exemple par les tortures ; soit en mettant en doute ce dont ils n’ont pas été les témoins : « c’est des on-dit, parce que j’y étais pas ! » (p. 96). Après la #médiatisation, c’est tout le village se retrouve coupable de n’avoir pas dénoncé. Les jeux du discrédit ne s’arrête pas là : l’indemnisation de Nelly font porter le soupçon sur ses intentions et sur celles de Sébastien. Pour certaines associations de lutte contre l’inceste, mettre en avant les conditions de logement, l’absence de nourriture, « ça n’apportait rien » (p. 327), en tous cas pas à la construction d’une cause collective : il ne faut pas seulement être une victime, il faut être une « bonne victime ». Les faits et les individus sont donc pris dans des logiques de qualifications qui aboutissent souvent à dénoncer la dénonciation de Nelly.

  • L’obsession Donald Trump
    http://www.lapresse.ca/international/etats-unis/201507/29/01-4888918-lobsession-donald-trump.php

    Si vous regardez CNN ou Fox News ces jours-ci, il y a de fortes chances que vous tombiez sur la tignasse rousse de Donald Trump. Les médias américains semblent obsédés par le candidat à l’investiture républicaine. De nombreux sondages le donnent en avance, mais The Donald a-t-il vraiment une chance de remporter la course ? Ou s’agit-il d’une bulle médiatique à la veille d’éclater ?

    #Donald_Trump #Médiatisation_(média) #Parti_républicain_(États-Unis) #Élection_présidentielle_américaine_de_2016 #États-Unis

  • « #envoyé_spécial », les #assises_du_journalisme et la responsabilité professionnelle : cherchez l’erreur…
    http://terrainsdeluttes.ouvaton.org/?p=4459

    Les rétrospectives médiatiques de l’année 2014 oublieront à coup sûr un événement pourtant inédit qui a eu lieu en mai : pour la première fois, des habitants d’un quartier populaire ont osé poursuivre au tribunal une chaîne de télévision nationale parce qu’ils se sont estimés « diffamés » par la représentation qu’elle avait …

    #Nos_enquêtes #Racisme_-_immigration #france_2 #journalisme #journaliste #la_villeneuve #médiatisation #stigmatisation

  • La Genèse de la Papa Grue Show
    Analyse de la couverture médiatique des perchés Nantais
    http://www.mascuwatch.org/infowar/la-genese-de-la-papa-grue-show

    Ce « dossier de presse critique » n’est ni exhaustif, ni objectif. De très nombreux articles ont été écrits durant le mois de février 2013, suite aux actions de Serge Charnay et Nicolas Moreno. L’exhaustivité aurait été quasi-impossible à atteindre, et de toutes manières peu intéressante. Nous nous sommes finalement basés sur une centaine d’articles de presse pour réaliser ce dossier.

    Durant les premiers jours d’occupation des grues, la presse a, de manière générale, été très complaisante vis-à-vis des « perchés nantais ». Ce n’est qu’au bout d’un certain temps qu’un ton plus critique a pu être entendu. Ce dossier cherche à mettre en avant ce ton critique.

    Les articles critiques du masculinisme et des masculinistes sont reproduits intégralement. Quelques modifications mineures et des précisions (entre crochets) y ont parfois été apportées, la plupart étant signalées dans les notes de bas de page. Seules certaines images ont été reproduites, de manière à rendre l’impression de ce dossier moins lourde. Le document est organisé de manière à éviter au maximum les redites. Certains faits nous semblant importants, et qui ne seraient pas mentionnés dans ces articles, sont mis en avant comme compléments d’informations à la fin du premier article de Guillaume Leroy, « Une opération médiatique du lobby masculiniste : ‘le show des grues’ », le plus précis des articles (du point de vue factuel) réunis dans ce dossier.

    Une rubrique Articles complaisants liste quelques articles s’étant distingués par leur approche pro-masculiniste. Quelques courtes remarques critiques, qui ne sauraient se substituer à un examen plus approfondi des thèses et des stratégies des masculinistes français, accompagnent cette courte recension.

    On trouvera à la fin du dossier une rubrique Ressources dans laquelle sont mentionnées quelques références de base permettant d’approfondir la question du masculinisme et des masculinistes.

    Ce travail concerne le mois de février 2013.

    #masculinisme #mediatisation