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  • L’exil paisible des Black Panthers de Normandie
    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2020/10/02/l-exil-paisible-des-black-panthers-de-normandie_6054539_4500055.html

    RécitLe 31 juillet 1972, un commando de Black Panthers détourne un avion de ligne américain. La France fera un relatif bon accueil à ces militants des droits civiques en refusant leur extradition et en offrant une seconde chance à deux d’entre eux, Melvin et Jean McNair, qui se sont bâti une nouvelle vie à Caen.

    Sur les cartes postales distribuées en plein Paris figurent les « Quatre de Fleury », référence à la plus grande prison d’Europe, en banlieue parisienne. Un surnom pour quatre visages, tous afro-américains : Joyce Tillerson, 25 ans ; George Brown, 32 ans ; Jean et Melvin McNair, 30 et 28 ans, en couple. Nous sommes fin 1976, ces membres des Black Panthers, des militants radicaux des droits civiques, sont emprisonnés depuis mai, en attente de leur procès. L’« opération cartes postales » est une idée de leur comité de soutien qui vient tout juste de voir le jour. « Depuis la prison, Jean et moi avons écrit à plus d’une centaine de personnalités en vue », raconte aujourd’hui Melvin McNair, 72 ans.

    Plusieurs répondent à l’appel, comme le président d’Amnesty International, ou les leaders du Parti socialiste unifié (PSU). A leurs côtés, de nombreuses célébrités : Yves Montand, Jean-Paul Sartre, James Baldwin et même Guy Bedos. Ils activent leurs réseaux, lèvent des fonds, glissent des encouragements par médias interposés et soutiennent Melvin McNair et ses « collègues » dans l’écriture d’un livre pour les éditions du Seuil, depuis la prison. Nous, Noirs américains évadés du ghetto…, annoncera la couverture à sa sortie, en 1978.

    La France tient bon

    L’Amérique veut juger Melvin, Jean, Joyce et George, qui risquent là-bas la peine de mort. Au mieux, la prison à vie. Pour Washington, ce sont des « criminels dangereux ». Pour Paris, ce sont des Black Panthers. Loin des premiers discours pacifistes de Martin Luther King, ces activistes sont prêts à prendre les armes pour se défendre face à un Etat américain jugé raciste et violent.

    L’administration du président républicain Gerald Ford insiste auprès du ministre français de l’intérieur de l’époque, Michel Poniatowski : un an plus tôt, la France avait refusé l’extradition vers les Etats-Unis de deux autres pirates de l’air, Roger Holder et Cathy Kerkow, passés à l’acte en 1972 afin d’obtenir la libération d’Angela Davis – soupçonnée d’avoir fourni les armes d’une prise d’otages visant à libérer George Jackson, un autre membre des Black Panthers, elle fut acquittée en 1972. En l’espace de quelques années, plus d’une centaine d’avions seront détournés aux Etats-Unis pour des raisons politiques.

    « Je disais aux jeunes : “Attendez, on peut s’en sortir. Moi, j’ai fait de plus grosses conneries que vous, et ils ne me croyaient pas au début ! » Melvin McNair

    Si la gauche défend les « Quatre de Fleury » publiquement, la droite le fait plus discrètement. Des diplomates français s’immiscent dans certaines tractations à l’étranger, pour tenter d’alléger la pression exercée sur les dirigeants français. « On m’avait dit que le président Valéry Giscard d’Estaing nous soutenait », insiste Melvin.

    Lors du procès, leur avocat Jean-Jacques de Félice détaille longuement les conséquences du racisme institutionnel sur la vie quotidienne de ses clients, les brimades subies et l’absence totale de perspectives dans un pays fracturé par des siècles de discriminations. Les quatre mis en cause sont des « symboles de la répression », pointe-t-il. La salle d’audience est émue et le juge refuse l’extradition, acceptant la valeur politique de leur action. Pour Melvin McNair, c’est « une première victoire ».

    Engagés auprès de la jeunesse de Caen

    Place Jean-Letellier, centre-ville de Caen. Ce vendredi 18 septembre 2020, plusieurs dizaines de personnes sont réunies par l’association « Caen à ELLES » pour la présentation de leur nouveau projet : renommer des rues de la ville d’après des personnalités féminines qui ont marqué la région.

    Parmi les plaques – « la seule vissée », indique en souriant Pauline, la présidente du groupe – on lit « Jean McNair, Black Panther et médiatrice de quartier à Caen, 1946-2014 ». Dans l’exposition prévue par l’association, les poèmes de l’ancienne militante, décédée prématurément des suites d’un AVC, s’étalent sur un pan de mur accompagnés d’une illustration représentant son visage souriant. « Elle était incroyable », s’éclaire Melvin McNair.

    « Quand on arrive, j’embrasse la terre », se rappelle Melvin McNair. Le rêve se craquelle lorsque les autorités algériennes contraignent Melvin et ses compagnons à rendre l’argent de la rançon ainsi que l’avion aux Etats-Unis. Les alliances géopolitiques sont mouvantes et le président Houari Boumediene aimerait recoller les morceaux avec Richard Nixon. Les tensions montent entre la petite dizaine de Black Panthers encore sur place.

    Melvin est convoqué par le ministre des affaires étrangères de l’époque, Abdelaziz Bouteflika, qui le met en garde : lui et ses amis se feraient manipuler par leurs propres leaders et risqueraient d’être extradés aux Etats-Unis. Dans la foulée, Johari et Ayana, les enfants, sont renvoyés chez leurs grands-parents et, pour Melvin et Jean, le retour à la réalité est rude : « Finalement, c’était dangereux. Il fallait partir. »

    Grâce à l’organisation Solidarité, dirigée par Henri Curiel, fils d’un banquier du Caire devenu communiste et militant des luttes d’indépendance, Jean et Melvin se faufilent en France après un crochet aux Pays-Bas, à l’aide de faux passeports. Solidarité sert de soutien logistique à des « groupes victimes de discriminations », grâce à des journalistes, des médecins ou des hauts fonctionnaires qui ont rejoint ses rangs.

    Une époque où la droite elle-même avait un sens de l’État, de l’engagement ou de la fraternité qui a pleinement disparu. Même Hollande (la droite de gauche), tout à sa trouille devant l’Amerikkke n’a rien fait pour Snowden.

    En détention provisoire, les « Quatre de Fleury » sont désormais au centre de l’attention : ils reçoivent de l’argent de la part de leurs soutiens pour acheter du café et les sœurs de l’aumônerie passent les voir très régulièrement. Elles mettent même Melvin et Jean McNair en contact avec des gens qui pourraient les aider quand ils sortiront de prison. Parmi eux, le haut fonctionnaire Yves Chaigneau, bientôt un « père spirituel » pour le jeune Melvin.

    L’économiste, successivement en poste auprès de plusieurs ministres et secrétaires d’Etat comme Jacques Chaban-Delmas, Lionel Stoléru ou Jacques Delors, ne laissera jamais tomber les anciens Black Panthers. « Dès que j’avais un problème, je l’appelais, se souvient Melvin, et comme il était haut gradé tout s’arrangeait. » Plus tard, Rémy Pautrat sera un autre protecteur. Le directeur de la DST de 1985 à 1986 – surnommé le « James Bond français » par la CIA, qui l’a formé – prendra soin des McNair.

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