La #maison_en_A : une solide, pas chère et à construire seul
À 65 ans, #Elizabeth_Faure a construit quasiment toute seule sa #maison_en_forme_de_A, pour 40 000 euros. Une alternative féministe, écologiste et peu chère, qui essaime grâce à ses conseils.
Le long de la route bordée de merisiers, les champs s’étalent à perte de vue dans le vallon, sous un ciel azur. Puis, derrière quelques maisons, un grand triangle apparaît dans le paysage tout vert. En se rapprochant, au fond d’un lotissement, la figure est, en réalité, une maison. Une maison en forme de A.
Bienvenue chez Elizabeth Faure. C’est dans le village de Lusignac, en Dordogne, qu’elle a construit sa maison quasiment toute seule, en 2013, à 65 ans, pour 40 000 euros. Une « maison pour les fauchés », comme elle le dit, dans laquelle on a rapidement envie de rester.
L’édifice en bois de 180 m2 sur deux étages est doté d’une terrasse donnant sur un petit bois. L’autre côté s’ouvre sur un jardin peuplé de bananiers du Japon, d’aeoniums, de yuccas et d’un potager. Posée sur des piliers, la bâtisse a peu d’emprise au sol.
▻https://www.youtube.com/watch?v=t6-DCuS4fSY
« J’ai fait au moins cher »
En train de cueillir quelques herbes aromatiques pour le repas, Elizabeth avait proposé, avant même notre rencontre, de venir dormir la veille dans le dortoir des invités au premier étage, puis de rester déjeuner. La « vieille hippie », comme elle se surnomme, aime recevoir du monde et a rendu sa maison conviviale.
Malgré l’inclinaison des murs formée par le toit à double pente, on ne se sent pas du tout écrasé, au contraire, la hauteur sous plafond est confortable. La cuisine et le salon forment une large pièce éclairée grâce à plusieurs grandes fenêtres. Les poutres apparentes, les murs sont ornés de calligraphies et, à côté des chaises en bambou, une balançoire trône au milieu du séjour.
« Ces meubles, c’est de la récup’. Dans cette maison, j’ai fait au moins cher », dit la septuagénaire aux yeux bleus perçants derrière ses lunettes. Elizabeth explique n’avoir « rien inventé » : « Les maisons en forme de A existent depuis la nuit des temps, c’est la forme la plus solide et la plus simple, donc la moins chère, à construire soi-même. »
Autodidacte
Lorsqu’elle a démarré son projet en 2013, Elizabeth vivait du RSA, le revenu de solidarité active : « Je n’ai jamais cherché à faire du fric dans ma vie. Si j’ai voulu être bâtisseuse, c’était pour aider les pauvres, les riches n’avaient pas besoin de moi. »
Après une enfance au Maroc, Elizabeth est arrivée en France à l’adolescence. Rapidement, elle a cherché à partir, d’abord au Canada, puis en Angleterre. « Mon père a refusé de payer mes études d’architecte, il trouvait que ça ne servait à rien, car j’étais une fille. Je me suis débrouillée seule pour les financer et je suis allée à Londres. »
À la fin des années 1960, elle a vécu dans des maisons menacées de démolition par la construction d’une autoroute autour de la capitale britannique, et en parallèle, elle en a rénovées plusieurs pour des familles dans le besoin. « En occupant ces squats, on a gagné la lutte contre l’autoroute. Des gens y habitent encore pour 1 livre par mois [près de 1,20 euro] », sourit-elle, avant d’allumer sa cigarette roulée et de se servir un verre de vin rouge.
Après s’être mariée à un Anglais et avoir donné naissance à sa fille en 1975, Elizabeth a multiplié les chantiers de rénovation à New York, Paris ou en Dordogne, souvent gracieusement.
En 2003, une idée lui est venue en regardant un reportage sur des cabanes pour SDF, réalisées par l’association Emmaüs. « C’était vraiment pas terrible, se souvient-elle. On peut être pauvre, sans être obligé de vivre dans la misère. Je me suis dit que je pouvais faire mieux. » Elle a proposé à l’association de fabriquer des maisons en A de 25 m2 pour 6 000 euros. Sans succès.
« On me disait que je n’y arriverais jamais »
Pas de quoi lui faire perdre sa détermination pour autant. « Je me suis dit qu’un jour, je la construirais pour moi. L’idée était de montrer que si une vieille de 65 ans sans trop de moyens pouvait construire sa maison, tout le monde pouvait le faire. » En 2013, la désormais célibataire a sauté le pas et a acheté le terrain à la mairie de Lusignac.
« À la base, un ami devait m’aider, mais il a préféré partir en vacances et je me suis retrouvée toute seule. » Malgré les critiques — « les gens me disaient que j’étais folle, que je n’y arriverais jamais » —, elle a démarré en février 2013 par la construction d’une cabane de jardin afin de vivre sur le chantier.
Seconde étape, les fondations sous la pluie : « C’était difficile, il y avait de la boue partout et le sol était très dur, je devais creuser à la pelleteuse puis terminer au marteau-piqueur », retrace Elizabeth. Elle s’est ensuite occupée de l’installation de la fosse septique, « le plus important dans une maison ! »
Pour lever les premiers des dix-huit triangles formant la structure de la maison, Elizabeth a fait appel à « [s]on meilleur pote anglais Hugues et le cantonnier du village, qui est venu avec un ami ». Pour le reste, « je devais trouver des astuces pour porter des choses lourdes. Quand tu es seul, tu dois être malin. Tu te construis toi-même, tu apprends tes limites et tu te dépasses, c’est super pour l’estime de soi ! »
Le plancher posé, Elizabeth a installé les panneaux constitués de copeaux de bois, pour avoir une bonne isolation thermique. « Pour les fixer sur la structure, il a fallu 15 kilos de clous ! » Elle a également utilisé de la laine de verre et du polystyrène extrudé à l’extérieur. Pour la toiture, elle a posé des tuiles en bitume pour éventuellement installer des panneaux solaires. « Je l’aurais bien fait, mais je n’ai pas les sous. »
Sept mois plus tard, la structure a été terminée et Elizabeth a emménagé dans sa maison. Restait l’isolation avant la chute des températures à l’automne. En juin 2014, un an et demi après le début des travaux, « je prenais ma douche dans ma salle de bain, l’essentiel était là ».
La levée des triangles, les pauses dans la piscine gonflable avec Hugues autour d’un verre de vin rouge, l’installation de l’électricité et de la plomberie… tout est raconté dans le documentaire La Maison en A de Morgane Launay, une amie d’Elizabeth qui a tout plaqué pour suivre le chantier pendant un an. Présenté dans des cinémas de la région, puis mis en accès libre sur internet en 2018, le documentaire a été repéré par les magasins de bricolage Castorama, qui feront un reportage sur la maison en A en 2020. De quoi créer un boom.
Des tutos pour essaimer
« Malgré le Covid et les restrictions sanitaires, des centaines de gens défilaient chez moi pour voir la maison, ils avaient plein de questions pour construire la leur, se rappelle Elizabeth. J’ai reçu aussi des appels de personnes au Canada, aux Comores, en Nouvelle-Calédonie… C’était fou. »
L’affluence est devenue telle qu’elle a limité les visites au samedi. « Je recevais encore 50 personnes toutes les semaines. Mon amie Morgane a proposé de créer une chaîne YouTube avec des tutoriels, pour éviter de répéter tout le temps la même chose. »
Leur chaîne sobrement intitulée La Maison en A propose ainsi une cinquantaine de vidéos détaillant toutes les étapes du projet, du permis de construire à l’étude thermique en passant par l’assemblage de l’ossature. À l’image, on y voit par exemple Elizabeth expliquer, un décamètre et un crayon à la main, comment gérer les imprévus : « Là, on va être obligé de raccourcir ce madrier pour que ça passe, je suis nulle à chier à la tronçonneuse, mais on s’en fout, on fait ce que l’on peut ! » s’exclame-t-elle, toujours avec un franc-parler naturel.
Malgré les plus de 800 000 vues sur le documentaire et les 3 millions de personnes qui suivent sa chaîne YouTube et ses réseaux sociaux, Elizabeth n’a pas touché d’argent. « Ce n’était pas le but, j’ai réalisé le rêve de ma vie : permettre aux gens de faire leur maison tout seul, pour pas cher. »
Depuis, une centaine de maisons en A ont été construites en France, y compris une en Russie, et 200 autres sont en construction dans l’Hexagone. En Dordogne, une dizaine de personnes se sont installées pour cette raison. Face à l’engouement, dans le territoire du Ribéracois où elle habite, « on ne délivre plus de permis de construire pour les maisons en A, sous prétexte qu’elles dénaturent le paysage rural, c’est lamentable », souffle Elizabeth.
Parmi les membres de la communauté de la maison en A, « il y a des jeunes et des vieux de tous les milieux sociaux, plusieurs sont devenus des amis ». En revanche, Elizabeth ne supporte pas ceux qui lui disent comment elle aurait dû faire telle ou telle chose. « Face à ces mecs-là, je n’ai plus la patience. La dernière fois, un type me dit que mes conseils pour faire de la peinture à la farine ne fonctionnent pas. Évidemment, il avait sauté des étapes... », raconte celle qui a toute sa vie fait face à la présomption d’incompétence sur les chantiers.
C’est pour cette raison qu’Elizabeth préfère travailler avec des femmes, à l’exception de son meilleur ami Hugues. Que ce soit Morgane Launay, la réalisatrice du documentaire, ou Ambre Chatelain, qui écrit une bande dessinée en aquarelle sur Elizabeth, cette dernière préfère parler de leurs talents plutôt que des siens. « L’idée de cette BD, c’est de s’adresser aux petites filles, pour leur montrer qu’elles aussi pourraient construire leur maison. On a tout de même décidé de garder quelques gros mots, ça permet d’être plus libre ! »
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