S’émouvoir durablement pour #Abdou_Ngom
Abdou Ngom, le jeune homme de l’accolade (sic) est décédé la semaine dernière. Dans un relatif silence, il est mort dans une chambre partagée avec d’autres travailleurs migrants et après un bref passage par les urgences locales. Depuis quelques mois, Abdou Ngom travaillait comme maçon à Malaga (Espagne) tout en y résidant de façon irrégulière.
L’annonce de son décès ne suscitera certainement pas la même émotion que l’image de cette fameuse accolade avec Luna, une volontaire de la Croix-Rouge, quatre ans plus tôt sur une plage de l’enclave espagnole de Ceuta. La #photo de ce geste avait alors fait le tour du monde. Une polémique s’en était suivie suite au déferlement de haine en ligne. Et une campagne de soutien #GraciasLuna avait répondu à la polémique.
L’accolade s’inscrivait dans un contexte de tension entre l’Espagne et le Maroc suite au passage irrégulier de plusieurs milliers de personnes à la mi-mai 2021. Abdou faisait partie de celles et ceux qui avaient traversé - à la nage ou à pied - les quelques centaines de mètres qui séparent le Maroc de l’Espagne. Il était accompagné au départ de son frère qui, tragiquement, avait disparu lors de ces événements.
En Espagne et au-delà, l’émotion était manifeste. Mais, rapidement chassés par d’autres images, Abdou était retombé dans l’#oubli. De retour au Maroc, il avait finalement décidé de rejoindre l’Espagne en 2024 via les Canaries, empruntant une des routes migratoires les plus longues et périlleuses.
Orphelin de père et de mère, Abdou Ngom avait été élevé par sa grand mère à #Malika, une localité située à l’Est de Dakar au #Sénégal. Jeune vingtenaire, il s’était rendu au Maroc où il avait travaillé dans le secteur de la construction avant de tenter par deux fois (2021, 2024) de rejoindre l’Espagne.
Aussi bien au Maroc qu’en Espagne, il avait manifestement eu une certaine aisance à trouver du travail, le secteur du bâtiment étant notoirement gourmand en main d’oeuvre immigrée, qui plus est lorsqu’elle est en situation irrégulière. Le « travailleur en situation irrégulière » est plus docile, accepte des conditions de travail plus pénibles, des heures supplémentaires non rémunérées. En cas de douleurs, « il » est mois enclin à solliciter une assistance médicale, dut-il mettre en danger sa santé. Trop souvent, lorsqu’il se rend aux urgences ou consulte un avis médical, il est trop tard.
L’histoire d’Abdou Ngom n’est finalement pas si singulière. Elle caractérise une réalité partagée par de nombreuses économies contemporaines, « développées » ou non. La marchandisation du travailleur, notamment dans les secteurs à faible rémunération. Et l’#émotion suscitée par certaines images n’y fait finalement rien. Comme le suggérait Amin Maalouf il y a quelques années, une des caractéristiques de notre époque consiste à « s’émouvoir instantanément de tout pour ne s’occuper durablement de rien ».
Abdou Ngom et bien d’autres méritent que nous nous interrogions aujourd’hui sur la portée de certaines politiques publiques dont les conséquences létales ont été largement documentées. Nous pouvons continuer à nous émouvoir, mais n’y voyons pas un prétexte pour une inaction meurtrière.
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