• Climat : la chimère du 1,5°C

    http://www.lemonde.fr/planete/article/2016/08/22/la-chimere-du-1-5-c_4985913_3244.html

    Souvenez-vous : ce fut la surprise des négociations de l’accord de Paris, adopté le 12 décembre 2015. Alors que contenir le réchauffement en cours sous le seuil des 2°C au-dessus des niveaux préindustriels semble déjà presque impossible, la communauté internationale avait ajouté un objectif secondaire, plus ambitieux encore. Il faut, précise en effet le traité, contenir « l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels » mais aussi poursuivre l’action « pour limiter l’élévation des températures à 1,5°C » de réchauffement.

    Rappelons que les Etats-parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques ne se sont jusqu’à présent engagés qu’à des réductions de leurs émissions de gaz à effet de serre mettant le climat terrestre sur la voie d’un réchauffement d’environ 2,5°C – nous propulsant dans un monde où un été comme celui de l’année 2003 deviendrait relativement banal en Europe. Sauf à imaginer l’émergence rapide et inattendue d’un gouvernement mondial totalitaire d’obédience écologiste, on comprend que cette fameuse cible de 1,5°C tient au mieux du rêve, au pire de l’aimable supercherie.
    Près de 200 chefs d’Etat et de gouvernement auraient-ils collectivement paraphé un fantasme ? Une telle idée est intolérable. Il fallait donc donner de la solidité à cet objectif, l’épaissir un peu, lui donner une consistance. Le ripoliner au sérieux de la science. L’accord de Paris a donc invité le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) à plancher sur la question du 1,5°C.

    Déni de réalité

    Réuni du 15 au 18 août à Genève, le groupe d’experts, dont les volumineux rapports de synthèse font autorité sur la question climatique, a établi son agenda et ses modalités de travail. Le groupe a annoncé qu’environ 85 experts ont réfléchi aux contours et à la structure du nouveau rapport. Son titre – espérons-le provisoire – a été annoncé : ce sera le « Rapport spécial sur les impacts d’un réchauffement global de 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels et des trajectoires d’émissions mondiales de gaz à effet de serre associées, dans le contexte d’un renforcement de la réponse globale à la menace du changement climatique, du développement durable et des efforts pour éradiquer la pauvreté ».
    Tout cela sera présenté et discuté au cours de la prochaine réunion plénière de l’organisme onusien, fin octobre à Bangkok. Des chercheurs compétents seront ensuite appelés à participer à la rédaction du rapport et au travail préalable. Remise de la copie en 2018.

    C’est peu dire qu’on plaint les auteurs d’avoir à se colleter avec une expertise dont la commande constitue, en elle-même, un déni de réalité. Comment imaginer que nous pourrons arrêter le curseur à 1,5°C, alors que les six premiers mois de l’année en cours pointent déjà, selon la NASA, à 1,3°C au-dessus des niveaux préindustriels ? On frôle déjà, en 2016, le seuil fixé. Ainsi, sans même compter l’absence de volonté politique au niveau international pour traiter la question climatique, les seules inerties combinées des systèmes économique et climatique rendent clairement chimérique l’espoir de demeurer sous 1,5°C d’augmentation du mercure.
    Quant à en savoir plus sur les impacts attendus d’un tel niveau de réchauffement, est-ce vraiment nécessaire ? Ne suffit-il plus, désormais, de lire les journaux ?

    Où est le courage politique ?

    Au cours des trois derniers mois, l’hémisphère nord a vu s’accumuler des événements extrêmes dont les scientifiques savent, avec un haut niveau de confiance, qu’ils sont favorisés par le changement climatique en cours — feux de forêt ici, précipitations extrêmes là. Fin mai, près de 90 000 personnes étaient évacuées de Fort McMurray, au Canada, à la suite d’incendies inédits dans la région. Quant à ceux qui ravagent la Californie — frappée depuis plusieurs années par une sécheresse inédite depuis au moins quatre siècles —, ils ont conduit jusqu’à présent à des évacuations de même ampleur. Sur la côte est américaine, en Louisiane, près de 20 000 personnes ont dû quitter leur domicile à la suite, cette fois, d’inondations catastrophiques — provoquées par des pluies si intenses que la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) estime qu’il ne devrait s’en produire de semblables que tous les 500 ans.
    Souvenez-vous de l’ouragan Sandy, qui précipita l’Atlantique dans les rues de New York en 2012 : ce genre d’événement est, lui aussi, censé ne se produire que tous les 700 ans…

    Les records tombent donc comme à Gravelotte, et pas seulement de ce côté de l’Atlantique. En Russie, pendant que la Louisiane tentait de surnager et que la Californie affrontait les incendies, les précipitations les plus fortes jamais observées dans cette région submergeaient les rues de Moscou… Des pluies telles que le cumul des précipitations a été proche du double du dernier record, établi voilà… 130 ans. En Chine, en Macédoine, au Soudan, dans le sous-continent indien ou encore en France, des catastrophes alimentées par l’augmentation des températures ont touché cet été, en quelques semaines, plusieurs millions de personnes.

    La saisine du GIEC par la communauté internationale, sur l’objectif du 1,5°C, sous-entend essentiellement deux choses : d’abord, que nous avons encore suffisamment de temps devant nous pour échapper aux effets majeurs du réchauffement. Ensuite, que nous manquons de données scientifiques pour agir. Ces deux sous-entendus sont faux. La réalité est que les responsables politiques cherchent, à nouveau, à s’acheter du temps avec un énième rapport. Ils n’y trouveront ni la clairvoyance, ni le courage politique qui leur font défaut.