• Statement of the Board of the German Association of Social and Cultural Anthropology (GASCA) on Academic Freedom in Germany

    As the Executive Board of the German Society of Social and Cultural Anthropology (GASCA), we would like to voice our grave concern over the fact that researchers working in Germany are finding their fundamental rights to academic freedom and freedom of expression increasingly restricted. Both, research and international academic exchange are at risk of being impaired if renowned researchers who work internationally and who come to Germany with different political commitments and persuasions are told that they cannot freely pursue their work or make public statements in Germany.

    We emphasize the absolute necessity of combating antisemitism, racism and islamophobia in Germany and worldwide. However, this cannot be achieved through the surveillance of academics, their academic work or statements they make as private persons, as has now been brought to our attention in several cases from Germany, Austria and Switzerland. We are concerned to see how academics, in particular those who come to Germany from contexts where political discussions are held differently, and/or those who are precariously employed, have to fear for their reputation or feel restricted in their freedom of expression when they comment on the Israel/Palestine conflict. Disputes over the Israel/Palestine conflict cannot be understood exclusively by means of theories of critiques of antisemitism. It is necessary and legitimate to take into account the historical, political, religious, cultural, economic, ethnic and nationalist dimensions of the conflict. The marginalization of academics who exercise their academic freedom and freedom of opinion as enshrined in German Basic Law must not become the vehicle through which debates are shaped in this country; on the contrary, these acts of marginalization prevent necessary debates.

    The terror, war and destruction in Israel/Palestine and the immeasurable suffering on all sides has provoked an intensification of political positioning and polarized public debate. This is particularly true of debates on social media platforms such as Facebook and X (formerly known as Twitter). These intensifications can become problematic if they reduce complex discussions to a few characters and are instrumentalized for simplistic, often tendentious attacks. We are seeing our public sphere shaped by reductionist judgements of socially complex conflict dynamics and indiscriminate accusations of antisemitism that lead increasingly to the breakdown of conversations. This is why we insist that one of the core tasks of universities, research institutes and cultural institutions must be to maintain spaces for difficult discussions in highly polarized social moments. Linked to these tasks is the responsibility to take a stand against all forms of antisemitism, racism and islamophobia, all of which destroy the foundations of democratic coexistence and cooperation. If universities and research institutions do not succeed in cultivating spaces for discussion, including also discussions where we might disagree with each other, and if they cannot counter hasty condemnations with open debates, they contribute to destroying trust in democratic publics and play right into the hands of extremist populism.

    We are deeply concerned over the attacks that renowned and internationally respected intellectuals such as Masha Gessen and Ghassan Hage are facing in Germany. As social and cultural anthropologists in Germany, we are convinced that debates in academic and civil society circles need to renew their commitment to discussion, dissent, and cooperation across difference in order to enable constant shifts in perspective and to challenge epistemic and political certainties. We urge universities and research institutions to commit themselves to building and maintaining spaces for discussion and encounter, which welcome plurality and contradiction. Only in such spaces can variously positioned, carefully reasoned and empirically founded perspectives be developed and mutually criticised, in order for us to learn from each other.

    https://www.dgska.de/stellungnahme-des-vorstands-zur-wissenschaftsfreiheit-in-deutschland
    #liberté_d'expression #Allemagne #liberté_académique #libertés_académiques #recherche #université #Autriche #Suisse #Israël #Palestine #peur #réputation #marginalisation #réseaux_sociaux #Masha_Gessen #Ghassan_Hage

  • Au Maroc, « la #montagne a été trop longtemps marginalisée »

    La géographe marocaine #Fatima_Gebrati, spécialiste du Haut Atlas de Marrakech, souligne l’insuffisance de l’#aménagement_du_territoire dans les zones les plus violemment frappées par le #séisme. Une #marginalisation qui commence dès la période coloniale.

    Autour d’elle, le décor est apocalyptique. Lundi 11 septembre, la géographe marocaine Fatima Gebrati roule en direction de Talat N’Yacoub, une commune de la province d’#El-Haouz, pulvérisée par le séisme – même les bâtiments construits aux normes antisismiques. Elle y achemine de l’aide humanitaire aux victimes livrées à elles-mêmes.

    Elle est aussi l’autrice d’une thèse sur la mobilisation territoriale des acteurs du développement local dans le Haut Atlas de Marrakech, soutenue en 2004. Un travail qu’elle a poursuivi depuis, à l’université Cadi Ayyad. Dans un entretien à Mediapart, elle déplore les efforts insuffisants de l’État marocain pour aménager les territoires de montagne, particulièrement meurtris par le séisme.

    Mediapart : Quelles leçons tirez-vous du séisme survenu vendredi 8 septembre ?

    Fatima Gebrati : Il faut revoir l’aménagement du territoire au #Maroc principalement dans les #zones_de_montagne. L’État a fourni des efforts qui restent insuffisants. Ce séisme nous l’apprend encore de manière dramatique. J’espère qu’il va y avoir une prise de conscience et une vraie volonté au sein du gouvernement pour repenser les politiques publiques et l’aménagement du territoire.

    La montagne a été trop longtemps marginalisée en matière d’aménagements du territoire. Les raisons sont multiples et la première a à voir avec la #colonisation du Maroc par la #France. Bien avant l’indépendance, dès la colonisation, l’État a concentré ses efforts de développements dans les plaines. Comme la Tunisie ou l’Algérie, le Maroc a constitué un laboratoire d’#expérimentations. Des #barrages ont été créés pour alimenter la France, « le territoire mère », en matière agricole, industrielle, pas pour les beaux yeux des Marocains.

    Seul le « #Maroc_utile » et non « l’inutile » comptait pour la France, comme l’affirmait le maréchal #Lyautey [le grand artisan de la #colonisation_française – ndlr]. Ce Maroc « inutile », c’était la montagne, la #marge qui a une connotation politique. C’est dans les montagnes que la lutte contre la colonisation a été la plus farouche.

    Après l’indépendance, l’État a fait des efforts dans plusieurs domaines mais les sédiments hérités de la colonisation demeurent très lourds, jusqu’à aujourd’hui. Malgré les nombreux programmes dédiés, on n’a pas réussi à combler le vide et les failles qui existent sur ces territoires.

    Le plus grand déficit demeure l’aménagement du territoire. L’état des routes est catastrophique, il n’y a pas assez de routes, pas assez de connexions. Il faut renforcer le tissu routier, construire d’autres routes, désenclaver. Au niveau du bâti, les politiques ne sont pas à la hauteur. Des villages entiers se sont effondrés comme des châteaux de cartes.

    On ne s’est jamais posé la question au Maroc de savoir comment construire les maisons en montagne. Faut-il le faire en béton et autres matériaux modernes ou inventer un modèle qui préserve la spécificité des zones montagneuses et les protège des catastrophes naturelles ? C’est d’autant plus invraisemblable que les montagnes du Haut #Atlas de Marrakech sont un berceau de la civilisation marocaine à l’époque des Almoravides et des Almohades.

    Comment expliquez-vous que ce soit la société civile qui pallie depuis des années au Maroc, tout particulièrement dans les zones les plus marginalisées, les défaillances de l’État jusqu’à l’électrification ou l’aménagement des routes ?

    À la fin des années 1990, alors qu’émergeait la notion de développement durable, on a assisté à une certaine effervescence de la société civile, d’associations locales, et à une forte mobilisation d’ONG nationales et internationales. Elles ont commencé à intervenir dans le #Haut_Atlas. Dans certaines vallées, des développements touristiques ont vu le jour comme dans la vallée de Rheraya dans la province d’El-Haouz. Des microprojets locaux ont permis de ramener l’électricité avec un groupe électrogène, puis d’électrifier un douar [village – ndlr], comme Tachdirt, bien avant l’électrification menée par l’État.

    De nombreuses études ont été réalisées pour comprendre la réalité de la montagne et orienter l’État. Malheureusement, les universitaires marocains n’ont pas l’oreille du gouvernement. Nos travaux de recherche sont restés dans les tiroirs de nos universités. Deux programmes essentiels ont été investis par l’État à partir des années 1990 – l’électrification du monde rural et l’accès à l’eau potable, deux nécessités vitales –, puis dans un autre temps, la scolarisation. Des efforts colossaux ont été réalisés mais ils restent insuffisants.

    Ces régions rurales et montagneuses sont-elles marginalisées parce qu’elles sont #berbères ou plutôt #amazighes – « berbère » étant un terme colonial ?

    C’est très difficile de vous répondre. Je considère que la marginalisation de ces territoires est plus économique que politique. Après l’indépendance, le Maroc s’est retrouvé considérablement affaibli. L’État colonial a tout pompé, volé, les caisses étaient vides.

    Le Maroc s’est retrouvé sans ressources financières ou humaines puisque de nombreux hommes ont donné leur sang pour libérer le pays. Il fallait orienter l’#économie du Maroc. Le choix s’est porté sur l’#industrie et l’#agriculture. Ce fut un échec. Puis le Maroc a ciblé l’essor économique par le #tourisme. À la fin des années 60, les premières infrastructures ont été construites, des hôtels, des aéroports, des personnels ont été formés.

    Mais ces piliers restent fragiles, l’agriculture, par exemple, est soumise aux précipitations. Si une saison est sèche, le Maroc souffre. Quant au tourisme, on a vu la fragilité du secteur avec le tourisme quand, notamment, Marrakech est devenue une ville fantôme pendant la pandémie de Covid-19. Il faut créer d’autres pôles économiques aux alentours des pôles régionaux, créer de l’infrastructure de base, renforcer le tissu économique pour limiter le taux de chômage, insérer les jeunes. Le tourisme en fait partie mais il ne doit pas être tout.

    https://www.mediapart.fr/journal/international/110923/au-maroc-la-montagne-ete-trop-longtemps-marginalisee

    • Séisme. Maroc : le silence gênant de Mohammed VI
      https://www.courrierinternational.com/article/seisme-maroc-le-silence-genant-de-mohammed-vi

      Depuis Paris, où il séjournait, Mohammed VI a tardé à s’exprimer après le terrible tremblement de terre qui a frappé son pays, s’étonne la presse internationale.

      Depuis la France, où il séjournait, le monarque marocain s’est exprimé le 9 septembre au soir, à travers une déclaration officielle dans laquelle il décrétait trois jours de deuil et ordonnait le déploiement d’un programme d’urgence pour venir en aide aux victimes.

      Mais jusqu’à la publication, détaille l’hebdomadaire espagnol, le royal silence a contraint toutes les autres autorités marocaines à adopter la même attitude. Ni le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, pourtant originaire de la région touchée, ni le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, ne se sont exprimés ni ne se sont rendus dans les endroits les plus durement touchés par le tremblement de terre. À l’échelon local, même absence de réaction et attentisme des autorités.
      Le seul membre de la famille royale à avoir dérogé à cette réserve du roi a été le prince Moulay Hicham, son cousin germain. Le “Prince rouge”, son surnom en raison de ses positions réformatrices sur la monarchie, a exprimé sa solidarité avec le peuple marocain depuis sa résidence de Boston.

  • A #Tataouine, ville des #candidats_à_l’exil : « Toute la #Tunisie souffre, mais ici, c’est pire »

    L’#exode des #jeunes de Tataouine, ce sont les parents qui en parlent le mieux. Le père de Wajdi porte beau, mais son costume élimé raconte aussi bien l’usure du tissu que celle de son propriétaire : « Tout nous est interdit. Les places dans les entreprises publiques et les compagnies pétrolières sont toujours pour les autres. Même commercer avec la Libye est devenu compliqué. Mon fils est parti l’an dernier pour la France. Je lui souhaite d’être heureux, car ici, c’est difficile. »

    Installé à la terrasse du café Ennour, donnant sur le principal rond-point de la ville, à 540 km au sud de Tunis, l’homme de 56 ans, qui refuse de donner son nom, résume en cinq minutes des décennies de marginalisation. A l’horizon, les collines rocailleuses entourant la ville accentuent le sentiment d’oppression. Tataouine est connue pour avoir donné son nom à la planète Tatooine dans la saga Star Wars. Dans la réalité, la région bascule du côté obscur de la Force. Quelque 12 000 jeunes, soit 8% du gouvernorat (équivalent d’une préfecture), sont partis en 2022 pour l’Europe, selon le sociologue du cru Mohamed Nejib Boutaleb, ancien professeur de l’Université de Tunis.

    Les Tataouinois ne sont pas les seuls à s’exiler. Selon le ministère italien de l’Intérieur, l’arrivée de clandestins tunisiens a augmenté de 55% depuis le début de l’année. En 2023, la Tunisie est même devenue le principal pays de départ des migrants souhaitant traverser la Méditerranée, devant la Libye voisine. Une hausse qui inquiète les Européens, en particulier l’Italie, qui redoute qu’un effondrement économique de la Tunisie, très endettée (80% du PIB), amplifie ce phénomène.

    La crise est telle qu’elle a conduit la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, accompagnée de la cheffe du gouvernement italien et du Premier ministre néerlandais, à se rendre à Tunis le week-end dernier. L’objectif : proposer une aide financière de plus d’1 milliard d’euros à long terme, dont 100 millions d’euros pour le « contrôle » de ses frontières. Un outil supplémentaire qui permet à l’Union européenne d’externaliser ses frontières, en déléguant la gestion des flux migratoires à des pays tiers, souvent peu réputés pour le respect des droits humains.
    De solides réseaux

    Pour éviter la dangereuse traversée de la Méditerranée et ses contrôles renforcés, Tataouine a donc cherché une autre route, celle des Balkans. Jusqu’au 20 novembre, les Tunisiens n’avaient pas besoin de visa pour se rendre en Serbie. Ils arrivaient donc à Belgrade en avion avant de franchir illégalement la frontière avec la Hongrie. Dans ses travaux, Mohamed Nejib Boutaleb a ainsi recensé, en 2022, 11 200 demandes d’autorisation parentale de voyage émanant du gouvernorat. Pour juguler le départ de combattants jihadistes dans les zones de combat, les autorités ont rendu ce document obligatoire pour les citoyens de moins de 35 ans.

    Une place dans un bateau pour traverser la Méditerranée coûte pourtant bien moins cher : 1 000 dinars (300 euros) contre environ 25 000 dinars (7 500 euros) pour le trajet de l’aéroport de Tunis à la France, via les Balkans. D’autant que la région méridionale est l’une des plus pauvres du pays, avec un chômage autour de 30%, deux fois supérieur au niveau national. Mais ses habitants s’appuient sur la solidarité régionale. Le père de Wajdi précise qu’il a contracté un prêt à la consommation de 3 500 dinars pour le départ de son fils. Un de ses amis, venu le rejoindre au café, embraye : « Moi, j’ai vendu 35 000 dinars un terrain de 400 m² pour payer le trajet à mon fils. C’est beaucoup plus sûr que de prendre la mer. » Et si les parents ne peuvent pas, la diaspora prend le relais.

    Depuis les années 60 et la première vague d’émigration, lancée par la France désireuse de main-d’œuvre bon marché, les Tataouinois ont eu le temps de construire de solides réseaux. Des entrepreneurs dans le secteur du bâtiment et de la boulangerie-pâtisserie acceptent de payer une partie des frais de leurs futurs employés. Rafik sort du coiffeur après avoir rafraîchi sa coupe, car il s’apprête à travailler dans un hôtel de Djerba pour la saison touristique. Sa famille a préféré miser sur son petit frère pour le grand départ : « Son patron lui a avancé de l’argent. Moi, je lui ai filé 4 000 dinars. Il bosse maintenant dans une boulangerie en région parisienne. »

    L’exode se ressent visuellement dans la ville. Les personnes âgées y sont plus visibles, bien que le gouvernorat possède le taux de fécondité le plus élevé du pays – 4,6 enfants par femme contre 3,4 au niveau national. Ce jour-là, les rues sont animées. L’équipe de football locale rencontre le Club africain, une des deux équipes phares de la capitale, Tunis. Une occasion rare d’échapper au quotidien. Au stade, dans la tribune des locaux, des supporteurs célèbrent aussi les buts des adversaires. Ils sont fiers d’être d’ici, mais au football comme dans la vie, ils aiment aller droit au but : l’US Tataouine peut difficilement prétendre au titre, tout comme les jeunes du coin à une vie meilleure. Sedki, un supporteur du Club africain qui a fait le déplacement, confirme à sa manière : « C’est mort cette ville. Même à Médenine, Gafsa ou Ben Guerdane [des villes marginalisées du sud, ndlr], tu peux faire du shopping. »

    Chaque été, quand les Tataouinois de France débarquent, les locaux ressentent plus profondément la déréliction dans laquelle ils vivent le reste de l’année : « Cette coutume de la diaspora de revenir avec une belle voiture, des vêtements à la mode et les accessoires faussement indispensables exacerbe la frustration des jeunes », avance l’anthropologue Mohamed Bettaieb. Vêtu d’un maillot de l’Espérance sportive de Tunis, l’autre grand club de la capitale, Amir Maiez a déjà tenté deux fois de se rendre en Europe. « Toute la Tunisie souffre, mais à Tataouine, c’est pire. On n’a rien alors qu’on devrait être riche ! » Pour l’athlète aux larges épaules, comme pour la majorité des jeunes rencontrés, la source de l’hémorragie se nomme « el-Kamour », du nom de la région pétrolière à proximité.

    « Kaïs Saïed n’est jamais venu écouter les doléances de notre jeunesse »

    Contrairement à ses voisins algériens et libyens, la Tunisie n’est pas une grande productrice de pétrole, mais, à l’échelle du pays, c’est une manne précieuse : le déficit de la balance commerciale énergétique pèse lourd (6,8% du PIB en 2022). Et environ la moitié du pétrole produit vient de Tataouine. Au printemps 2017, les jeunes ont organisé à el-Kamour un sit-in et ont fermé les vannes des oléoducs pour exiger que les revenus de l’or noir bénéficient directement au reste de la région. Plusieurs accords ont été signés, dont le dernier en novembre 2020. Il prévoyait notamment la création de deux fonds de développement et d’investissement régionaux pour l’équivalent de 48 millions d’euros, le recrutement de 125 locaux dans les compagnies pétrolières ou encore une enveloppe de 2,2 millions de dinars pour financer les projets entrepreneuriaux des jeunes. Les résultats se font encore attendre.

    Mardi 13 juin, le personnel de l’hôpital s’est mis en grève pour dénoncer le manque de moyens : « Il n’y a pas de réanimateur, les cardiologues viennent de Sfax [à 290 km au nord, ndlr] seulement quelques jours par semaine et il n’y a pas assez de gynécologues à la maternité », énumère un médecin. « Les jeunes ont acté l’échec du projet socio-économique du gouvernement qui n’a pas réussi à les inclure, analyse Mohamed Nejib Boutaleb, qui a intitulé son étude “D’el-Kamour à l’Europe, via les Balkans”. Ils ont vieilli aussi. Ils pensent à leur vie personnelle. »

    « Si je veux partir, c’est parce que je veux me marier. Et il faut de l’argent [il est de tradition pour l’homme de payer une dot]. Je me fais 600 dinars [180 euros] par mois comme livreur, ce n’est pas assez », explique Malik, pour qui la migration est une étape de la vie. Le jeune homme a déjà atteint deux fois l’Europe par les Balkans, en 2021 et 2022, avant d’être expulsé. A chacun de ses retours à l’aéroport de Tunis, les policiers l’ont laissé repartir chez lui sans formalité.

    Une mansuétude surprenante dans un pays qui aime ficher ses jeunes, mais que Mosbah Chnib, membre du bureau politique du parti d’opposition al-Joumhouri (centre) et Tataouinois, explique : « Il est manifeste que les autorités favorisent le départ des jeunes de la région pour éviter une nouvelle contestation d’envergure. Malgré les promesses, Kaïs Saïed n’est jamais venu pour écouter les doléances de notre jeunesse. » Malik partira une troisième fois. La route des Balkans s’est fermée avec l’instauration de visas, mais d’autres voies s’ouvrent, comme celle du Royaume-Uni.

    Chedly (1) est l’un des premiers à l’avoir empruntée, avec une facilité déconcertante et moyennant 7 000 euros. Un contact lui a promis un visa de six mois pour l’Angleterre, puis de s’occuper de sa traversée de la Manche par camion. « Après une semaine, on me dit de venir à Tunis, à côté de TLS [une société internationale qui gère les demandes de visas pour de nombreux pays]. Un homme masqué me remet des documents. Je les dépose directement et, un mois après, j’ai mon visa. Un vrai, j’insiste. » Après dix jours à attendre outre-Manche que le camion se remplisse de dix migrants, il arrive en France, « sans un contrôle ».
    Mutation de la population

    La société tunisienne dépérit d’« anémie sociale », selon Mohamed Nejib Boutaleb. L’émigration a appauvri les familles et l’heure du retour sur investissement – l’envoi d’euros – tarde. Notamment à cause des difficultés des émigrés à se faire une place dans une Europe de plus en plus fermée. Une difficulté économique qui s’ajoute à l’inflation (9,6 % en mai) et à la difficulté accrue de recourir au marché informel. Historiquement, les familles de la région avaient l’habitude d’arrondir les fins de mois en ramenant de Libye climatiseurs, écrans plats, bidons d’essence, etc. Mais, depuis l’édification en 2016 d’obstacles (fossés et murs de sable) à la frontière, seuls les 4x4 des gros trafiquants peuvent circuler.

    Les colons français ont développé la ville pour fixer la population nomade et enfermer civils et militaires récalcitrants dans le célèbre bagne, à l’origine de l’expression « partir à Tataouine » (partir dans un lieu hostile). Les citadins d’aujourd’hui veulent « partir de Tataouine ». La population a irrémédiablement mué. Les jeunes qui « font » la ville viennent dorénavant des régions limitrophes (Gafsa, Médenine), des villages reculés, voire de pays subsahariens pour pallier le déficit de main-d’œuvre.

    Entouré d’hibiscus en fleurs et dégustant un café avec sa fiancée sous un kiosque, Lotfi (1) savoure cet instant précieux. Originaire du très conservateur village de Remada, 80 km plus au sud, il apprécie les avantages liés à la ville : « Ici, on peut s’installer dans un parc sans que personne ne vérifie ce que tu fais, ni avec qui. » Ce même jardin public est moqué par les locaux qui pointent, eux, les jeux d’enfants cassés, les installations vieillottes et l’ennui. Malgré tout, la ville n’est pas exempte de distractions. La piscine est très utilisée, et pas seulement par l’association militaire. « Récemment une quarantaine de jeunes m’ont demandé de leur apprendre à nager », raconte Farouk Haddad, un des maîtres-nageurs. Ils s’apprêtent à traverser la Méditerranée.

    (1) Le prénom a été changé.

    https://www.liberation.fr/international/afrique/a-tataouine-ville-des-candidats-a-lexil-toute-la-tunisie-souffre-mais-ici

    #migrations #émigration #marginalisation #oppression #facteurs_push #facteurs-push #push-factors #route_des_Balkans #visa #Serbie #autorisation_parentale #pauvreté #chômage #prêt #prix #coût #frustration #pétrole #industrie_pétrolière #anémie_sociale

  • Avant qu’il ne passe à l’acte, l’errance du réfugié syrien à #Annecy

    L’assaillant de l’#attaque au couteau d’Annecy a été mis en examen pour « tentatives d’assassinats » et « rébellion avec armes ». Pour l’heure, ses motivations restent sans explication. Depuis quelques mois, ce réfugié syrien chrétien venu de Suède passait ses nuits dans une rue du centre-ville et ses journées près du lac. De nombreux témoins décrivent un homme marginalisé, « calme » et « discret ».

    Les caméras des chaînes de télévision ont défilé, au lendemain du drame, rue Royale à Annecy, attirant les regards des curieux venus se promener ou faire des achats. C’est ici, sous le porche d’un immeuble situé entre deux magasins de vêtements, que l’assaillant de l’attaque au couteau ayant blessé six personnes, dont quatre enfants en bas âge, jeudi au Pâquier, avait ses habitudes à la nuit tombée. Le jour de l’attaque, les forces de l’ordre sont venues en nombre pour interroger les commerçant·es et habitant·es du secteur.

    « On le voyait tous les soirs et il avait ses rituels, il venait à 19 heures à la fermeture », confie le responsable d’un magasin situé en face de l’immeuble. L’homme se couchait sur des cartons et disposait d’un sac de couchage, poursuit-il, mettait ses écouteurs dans les oreilles avant de s’endormir, assez tôt. Le commerçant se dit encore « choqué » de savoir qu’il a pu commettre une telle horreur la veille. « Il était très propre. Je n’ai jamais remarqué un comportement étrange. Je me suis demandé plusieurs fois comment il en était arrivé là car il avait l’air jeune. »

    En fin de matinée, Paul*, un habitant de l’immeuble, peine toujours à croire que le sans-abri de 32 ans qui dormait en bas de chez lui et avec lequel il avait des « échanges cordiaux » ait pu commettre l’innommable. Alors qu’il rentre à son domicile, il raconte l’avoir vu chaque soir sous ce porche, depuis l’hiver dernier. Il décrit un homme « assez poli et très discret », solitaire, souvent sur son téléphone. « Il était respectueux, ne laissait pas ses affaires traîner et gardait l’endroit propre. Je ne l’ai jamais vu alcoolisé ou drogué, il ne montrait aucun signe religieux. »

    Lorsqu’il lui arrivait de ressortir après 19 h 30 ou 20 heures, le réfugié syrien dormait déjà. « [Le matin], je pense qu’il partait assez tôt car il n’était plus là quand je partais au boulot. » Constatant qu’il ne venait là que pour dormir, Paul était persuadé qu’il était en parcours d’insertion, voire qu’il travaillait. « Il s’entretenait, aussi. Il se brossait les dents et recrachait l’eau dans la bouche d’égouts, se coupait les ongles… » Parmi tous les sans-abris présents dans le quartier, lui était « celui qui ne faisait pas de bruit ». Son acte en est d’autant plus incompréhensible. « On est complètement sous le choc, c’est glaçant », confie-t-il en précisant avoir un petit enfant.
    Repéré par de nombreux habitants

    L’un des voisins de Paul a tenté de créer du lien avec le réfugié syrien chrétien venu de Suède. Il savait qu’il avait une famille là-bas. « On savait qu’il était en demande d’asile. Mais si on laisse les gens sept mois à la rue, si on ne s’en occupe pas, c’est une machine à drames… Surtout pour des personnes ayant un passé en Syrie, qui viennent potentiellement avec des traumatismes », estime Paul sans pour autant justifier l’acte de l’assaillant.

    Thierry, un habitant d’Annecy, partage lui aussi son incompréhension face à l’horreur. Son père avait repéré l’homme depuis une dizaine de jours, sur le secteur du Pâquier en journée, tout comme les patrons de location de pédalos situés au bord du lac ou les vendeurs de glaces postés près du pont des Amours. « Mon père est cycliste et emprunte ce trajet un jour sur deux, il l’a vu à chaque fois. Il était assis sur un banc avec son sac, il regardait en direction du lac. Il se lavait dans le lac. » Encore en état de choc, ce dernier a préféré ne pas témoigner.

    Il aurait éprouvé une forme de culpabilité à n’avoir pas agi. Mais pour quoi faire ? Signaler un homme dont le comportement n’était pas problématique ? « Il s’est posé beaucoup de questions, s’étonnant d’être parfois arrêté et contrôlé à vélo et lui pas. » La folie humaine ne doit pas « nous diviser », ajoute Thierry, et un acte comme celui-ci ne doit pas remettre en cause « notre accueil des réfugiés ». Il suggère la création d’une brigade spécialisée au sein de la police municipale, qui serait chargée des personnes en situation de rue et irait à leur rencontre.

    « On ne peut pas attendre que ces gens viennent à nous puisqu’ils sont isolés. Leur état psychologique fait parfois qu’ils se replient sur eux-mêmes. Il faut des capacités d’écoute pour créer du lien », dit encore Thierry. Une tendance que confirme Bertrand de Fleurian, délégué départemental de l’Ordre de Malte et chef de maraudes à Annecy, qui a lui aussi repéré l’homme syrien lors de distributions au centre-ville. Ce dernier ne figurait pas parmi leurs « habitués », mais une aide lui avait été proposée lors de différentes maraudes.

    « Il ne voulait jamais rien, il répondait de manière calme et polie le soir bien qu’il dormait parfois. » Certains refusent le contact, soit parce qu’il y a un problème « psy », soit parce qu’ils reçoivent déjà de l’aide en journée. « Dans ces cas-là, poursuit Bertrand, on n’insiste pas, on repasse le lendemain. » A-t-il été pris par un coup de folie ?, s’interroge-t-il. « On pouvait difficilement s’attendre à un tel acte venant de ce profil. » D’autres associations venant en aide aux sans-abris, comme les Suspendus d’Annecy, n’ont pas croisé sa route.
    Précarité matérielle et déclassement social

    Pour l’heure, les raisons et la motivation de la terrible attaque de jeudi matin restent sans explication. Alors que sa garde à vue s’achevait samedi 10 juin, le réfugié syrien a été mis en examen pour « tentatives d’assassinats » et « rébellion avec armes » après avoir été déféré devant deux juges d’instruction, a annoncé la procureure de la République, Line Bonnet-Mathis. L’homme, qui a également été présenté à un juge des libertés et de la détention samedi matin, a été placé en détention provisoire.

    La garde à vue du réfugié syrien n’a pas permis d’en savoir davantage sur son mobile, l’intéressé se montrant très agité et peu coopératif avec les enquêteurs. On en sait toutefois un peu plus sur son parcours depuis le dépôt de sa demande d’asile en France, en novembre 2022.

    Reconnu réfugié en Suède depuis dix ans, où il a une femme et un enfant, il aurait quitté le pays après avoir essuyé deux refus pour une demande de naturalisation. Libre de circuler dans l’espace Schengen, il serait passé par l’Italie et la Suisse avant de gagner la France, et aurait déposé une nouvelle demande d’asile à Grenoble, bien qu’on en ignore encore le motif. « Il y a un côté un peu bizarre » à cela, a souligné le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, sur BFMTV. Le 4 juin, sa demande a été jugée irrecevable.

    Karine Gatelier, anthropologue chargée d’action recherche dans l’association Modus Operandi (Modop), tente de « comprendre pourquoi, à un moment donné, des personnes se saisissent de [la] violence ». Elle envisage qu’après dix ans en Suède, l’assaillant ait pu ensuite être projeté dans une précarité matérielle et un déclassement social très forts. Un phénomène courant pour les demandeurs et demandeuses d’asile.

    « On leur réserve une certaine misère », analyse celle qui est aussi bénévole auprès de l’association Accueil demandeurs d’asile (ADA) à Grenoble. « Cette misère ne correspond pas à la vie qu’ils et elles avaient au pays. On observe depuis plusieurs années que la santé mentale des personnes en demande d’asile se dégrade, des rapports d’associations en témoignent. Et le suivi est très insuffisant. »

    Non-hébergement, interdiction de travail, perte d’autonomie, allocation pour demandeur d’asile en deçà du seuil de pauvreté qui n’est pas toujours versée… Même avec une prise en charge, de nombreux acteurs pointent souvent une forme de « contrôle social », qui limite les mouvements et la prise de décision des demandeurs d’asile.

    Pour Nicolas*, un travailleur social dans la demande d’asile, les réfugiés survivent parfois à la rue après avoir vécu la route de l’exil, les violences physiques et sexuelles, la torture ou l’esclavagisme, charriant des séquelles non soignées, et font un « grand plongeon dans la précarité », confrontés à un système administratif particulièrement complexe. « On peut voir des cas de dépression chronique ou de décompensation. »

    Que la réponse à leur demande de protection soit positive ou négative, les réactions peuvent varier : « Je compare souvent ça à un examen, avec un enjeu encore plus fort. Après avoir tout donné, le corps relâche et n’a plus d’énergie. Et s’il y a des fragilités psychiques chez quelqu’un, c’est là qu’elles s’expriment. » En cas de rejet, détaille-t-il, il peut y avoir beaucoup d’incompréhension, un fort sentiment de rejet, un gros passage à vide ou une remise en question du parcours.

    Dans le cas du réfugié syrien ayant commis l’attaque au couteau, Nicolas estime que les mois passés en situation de rue ont pu avoir une incidence sur son état physique et mental. « Il n’est jamais rentré dans le dispositif national d’accueil, ce qui montre un déficit lié au nombre de places d’hébergement. Les hommes isolés sont davantage laissés à la rue. » Selon la mère de l’assaillant, qui s’est confiée à l’AFP, celui-ci souffrait d’une « grave dépression » et ses échecs pour obtenir un passeport suédois avaient aggravé son état. Au moment du drame, il n’était « ni sous l’emprise de stupéfiant ni sous l’emprise d’alcool », a indiqué la procureure d’Annecy.

    Cela étant dit, tous ceux qui obtiennent un hébergement n’iront pas « forcément bien », poursuit Nicolas. « Ça reste un élément favorisant pour qu’ils aillent mieux. Mais le morcellement du parcours, la pression du système d’asile, la rupture avec la communauté de vie ou la non-prise en compte de besoins essentiels sont autant de facteurs qui peuvent jouer. » Cela pourrait être le cas, songe-t-il, du réfugié soudanais ayant tué deux personnes en avril 2020 lors d’un attentat à Romans-sur-Isère – le mobile terroriste avait été retenu. « Il allait bien jusqu’à ce qu’il se retrouve isolé, loin de ses amis. Il voulait aussi que sa femme puisse le rejoindre mais la procédure était trop longue. »
    D’autres exilés en situation d’errance à Annecy

    Vendredi après-midi, avenue du Stand à Annecy, un groupe de quatre jeunes Afghans patientent devant les bureaux de la Structure de premier accueil des demandeurs d’asile (Spada), gérée par la Fédération des œuvres laïques, mandatée par l’État pour cette mission. Les portes restent closes et pourtant, personne ne bouge. Ils disent avoir appris à « attendre » ; ce mot qui revient sans cesse lorsqu’ils réclament leur droit à l’hébergement ou l’état d’avancement de leur dossier.

    Depuis jeudi et l’attaque au couteau, ils sont inquiets. « Ce qu’il a fait est si terrible, on a peur que les gens n’aiment plus les réfugiés à cause de ça. De tels actes vont rendre la vie des immigrés très difficile en France », soupire l’un d’eux. À 28 ans et après avoir fui l’Afghanistan, il reconnaît du bout des lèvres survivre dans la rue, dormant dans les parcs ou la gare à la nuit tombée. « Que peut-on faire ? » Sa demande d’asile est toujours en cours.

    « Moi, c’est pareil », lâche son voisin, honteux, plongeant ses grands yeux verts dans le vide. Un troisième a vu sa demande d’asile définitivement rejetée. « Pas de logement, pas de travail, pas d’allocation, pas de papiers », résume-t-il.

    Non loin de là, en fin d’après-midi, Erwin, Junior et leurs amis tuent le temps, près de leur tente, en face du canal. Ils auraient préféré, disent-ils, que l’assaillant vienne les attaquer eux plutôt que les enfants. « C’est une grande faiblesse de s’en prendre à des gamins. On ne cautionne pas ça. »

    La veille, une bénévole du quartier est venue les prévenir que des groupes d’extrême droite se réuniraient à Annecy dans la soirée. « Donc on dort dans notre tente la nuit et ils peuvent venir nous faire du mal, juste parce qu’ils généralisent et qu’ils sont racistes », déplore Erwin. L’un de leurs amis, qui se surnomme Tupac, déboule complètement ivre.

    « Tous les jeunes isolés ici deviennent des légumes parce que les autorités refusent de les aider », commente son voisin, originaire de Seine-Saint-Denis, qui a tout perdu après un divorce. « Aujourd’hui, quelqu’un arrive et va bien, demain il rigole tout seul dans la rue. » Pour Junior, ancien mineur non accompagné pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance qui leur rend visite régulièrement, les gens « pètent un câble » parce qu’ils sacrifient tout ce qu’ils ont pour fuir leur pays. « Ils viennent en Europe et espèrent y avoir une certaine vie, mais ils se retrouvent à la rue, sans travail. Ils ne s’attendent pas à ça. »

    Ilham, une ancienne bénévole de la Ligue des droits de l’homme (LDH) d’Annecy, confirme que « de nombreuses personnes » sont en situation d’errance dans la ville, y compris des femmes avec enfants contraintes de vivre dans la rue. Elle est le contact de référence pour les demandeurs et demandeuses d’asile et réfugié·es, et bien qu’elle ait cessé ses activités auprès de la LDH, beaucoup de jeunes continuent de l’appeler en cas d’ennui. Elle confirme un déficit de places d’hébergement et de prise en charge pour ce public.

    Près de la gare en fin de journée, des réfugiés soudanais et érythréens partagent le même sentiment. Arrivé à Paris en 2018, Muhammad* a vécu dans la rue avant d’être réorienté par la préfecture vers la Haute-Savoie. Il explique avoir dû affronter le racisme. « Je demandais aux gens en anglais de m’aider, ils s’éloignaient de moi comme s’ils avaient peur. Leur chien avait plus de valeur que moi. »

    Il rencontre une assistante sociale qui mélange les papiers des uns et des autres parce qu’elle les confond. « J’ai mis quatre ans à avoir mes papiers. Et dès le départ, ils ont fait une erreur sur mon âge, me donnant dix ans de moins, ce qui m’a posé des problèmes pour tout. »

    Mais surtout, il désespère de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de sa femme et de son fils coincés en Égypte, faute d’autorisation de travail jusqu’à l’obtention de son statut de réfugié. « Ça m’a rongé l’esprit. Tu ajoutes à ça le stress et le racisme, il y a de quoi te rendre fou. » Il dit avoir appris le français seul – « qu’est-ce qu’on peut faire avec 50 heures dispensées par l’Office français de l’immigration et de l’intégration ? » – et travailler là où il le peut : BTP, peinture, restauration… Aujourd’hui, le trentenaire fait aussi du bénévolat auprès de la LDH et d’une association qui vient en aide aux personnes âgées.

    Repenser à tout ce qu’il a traversé lui « serre le cœur », dit-il en arabe. Il espère pouvoir avancer sereinement, mais ne cache pas cette forme de ressentiment à l’égard d’un État qui a tout fait pour lui faire comprendre qu’il n’était pas le bienvenue. « On est venus légalement ici. Il y a des lois. S’ils ne veulent plus de ces lois, qu’ils les retirent, et on partira. »

    Muhammad dit avoir tout quitté – une belle villa, un hôtel dont il était propriétaire, un travail et des proches – pour fuir un dictateur et recouvrer la liberté qu’il chérissait tant. « Liberté, égalité, fraternité ; c’est uniquement sur le papier », regrette-t-il. Il ignore pourquoi l’auteur de l’attaque au couteau a agi ainsi. Lui et ses amis ne l’avaient jamais croisé. Mais, insiste-t-il, « il faut s’occuper des gens ».

    https://www.mediapart.fr/journal/france/100623/avant-qu-il-ne-passe-l-acte-l-errance-du-refugie-syrien-annecy

    #réfugiés #asile #migrations #marginalisation #précarisation #SDF #migrerrance #attaque_au_couteau #déclassement_social #précarité_matérielle #violence #misère #santé_mentale

    • Drame d’Annecy : une ville face au venin de la #xénophobie

      L’attaque de six personnes, dont quatre enfants, par un réfugié syrien à Annecy a libéré la parole raciste. Ciblée, la Ligue des droits de l’homme est contrainte d’annuler son prochain événement. Le maire écologiste #François_Astorg, également menacé parce que métis, annonce à Mediapart qu’il a porté plainte.

      Trois jours après le drame, Annecy a vécu, dimanche 11 juin, son moment « cathartique », résume son maire écologiste François Astorg. À l’appel de la municipalité, plusieurs milliers de personnes, dont beaucoup de familles, se sont rassemblées dans le calme sur l’esplanade du Pâquier, à quelques encablures du parc de jeu où un réfugié syrien de 31 ans, qui vivait seul et dans la rue depuis plusieurs mois, a blessé six personnes le 8 juin.

      Ses victimes – quatre enfants en bas âge et deux septuagénaires, de quatre nationalités différentes – sont toujours hospitalisées, mais leur pronostic vital n’est plus engagé. L’assaillant, qui n’a fourni aucune explication à son geste à ce jour, a lui été mis en examen samedi pour « tentatives d’assassinat » et « rébellion avec armes », et placé en détention provisoire.

      « On avait besoin de se retrouver, de mettre les mots sur ce qui s’est passé, de se parler, et aussi d’affirmer la ligne dans laquelle on compte avancer demain », synthétise François Astorg, après avoir proclamé un discours sobre et fortement applaudi. Sur scène, le maire était entouré de représentants des autorités civiles et militaires, mais aussi de personnels municipaux et d’anonymes intervenus sur les lieux du drame.

      Après avoir dénoncé la « barbarie » et la « lâcheté » de l’acte « inqualifiable » commis jeudi, l’élu s’est adressé à la foule : « Votre inquiétude, je la ressens, je la partage […], mais il n’y a pas d’autre réponse que la #communion, la #solidarité et l’#espoir. Pas d’autre choix que de bâtir plutôt qu’haïr. » Il a aussi invité la population à ce que la « vie reprenne ses droits ». Le festival international du film d’animation, événement culturel majeur dont la séance inaugurale a été décalée de quelques heures, va justement ouvrir ses portes dès lundi sur le site du Pâquier.

      Depuis jeudi, la ville était suspendue au sort des victimes, dont l’état de santé s’est amélioré au fil des jours, mais aussi imprégnée d’une atmosphère inhabituelle dans cet écrin calme et bourgeois de 135 000 habitant·es. François Astorg lui-même, élu en 2020 à la tête d’une alliance baroque entre Europe Écologie-Les Verts (EELV) et La République en marche (LREM), a été la cible d’attaques racistes auxquelles il n’avait jamais été confronté depuis son accession à la mairie.

      La raison ? Il est métis – sa mère est sénégalaise – et défend des positions – pourtant consensuelles – rappelant qu’Annecy est une terre d’accueil. Suffisant pour déchaîner la fachosphère, qui l’insulte et l’intimide massivement depuis trois jours. « J’ai vu ces attaques, mais le plus dur, cela reste ce qu’il s’est passé avec les enfants. D’avoir vu ces gamins dans le parc … Ça, c’est le plus prenant », recentre François Astorg, encore ému par la scène à laquelle il a été confronté en se rendant sur place juste après l’attaque.

      Le maire s’avoue toutefois « dégoûté » par les menaces qu’il reçoit depuis. « Je ne vais pas dire que j’ai l’habitude du racisme, mais quand même… Cela me rappelle quand j’étais à Paris, pendant les années Pasqua », ajoute l’élu, né il y a soixante-deux ans en Seine-Saint-Denis. Craignant une agression physique, il a porté plainte contre plusieurs auteurs de menaces en ligne. « La police a ouvert une enquête. » Sa fille est aussi été injuriée sur les réseaux sociaux. « Ma fille, ça, ça me… », lâche François Astorg, la gorge nouée, sans finir sa phrase.

      La présidente de l’agglomération violemment prise à partie

      Les attaques contre le maire et sa famille ont provoqué des débats, jusqu’au sein de sa propre majorité municipale. Faut-il y répondre à chaud, au risque d’amplifier les menaces ? Ou alors passer à autre chose, au risque de les banaliser ?

      La présidente de l’agglomération, l’ancienne députée LREM Frédérique Lardet, alliée de François Astorg, admet s’interroger sur le sujet. « On sait qu’il y a un soutien en interne, il n’y a pas de sujet là-dessus. Mais on s’est posé la question vendredi soir de ce qu’il fallait faire publiquement, en se disant qu’il fallait aussi faire attention aux réseaux sociaux, à ne pas justement alimenter les propos racistes », indique-t-elle à Mediapart.

      Elle aussi a d’ailleurs été violemment prise à partie après l’attaque. Son tort ? Avoir annoncé qu’il s’agissait d’un « acte isolé », et être une femme. « J’ai immédiatement reçu des tas d’insultes, témoigne-t-elle. Des “grosse salope”, “grosse pute”. Mon collaborateur m’a dit : “Il faut retirer le message [sur ses réseaux sociaux]”. Je lui ai répondu : “Non, ce qu’il faut retirer, ce sont les insultes.” » Depuis, l’élue dit faire « très attention à [elle] » : « Je regarde autour de moi, je vérifie que je ferme bien la porte chez moi. Cela ne m’était jamais arrivé avant, même quand j’étais députée. Je n’avais jamais eu peur. »

      Frédérique Lardet, « Annécienne pure souche » de 56 ans, reconnaît aussi avoir beaucoup hésité à intervenir dans les médias après l’attaque. « Pour moi, c’était trop intrusif, et j’avais peur que l’on pense que je voulais utiliser la situation à mon profit. » Mais rapidement, « on m’a donné un coup de pied aux fesses », indique la présidente de l’agglomération : « Il y avait une dissonance complète entre ce que l’on vivait et ce brouhaha dans les médias et sur les réseaux sociaux, avec des partis politiques qui dès la première heure se sont jetés comme des corbeaux sur ce drame. »

      « Je me suis dit que mon rôle était de remettre les choses en place », précise encore Frédérique Lardet. Depuis, la présidente de l’agglomération reconnaît être « perdue » face à un drame pour lequel elle estime qu’il est à ce stade complexe de tirer des conclusions. « En tant qu’élus, on n’a pas toujours les réponses non plus, justifie-t-elle. Je sais bien que ce n’est pas toujours entendable pour pas mal de personnes, mais c’est la réalité. »

      Les besoins de réponse simple et immédiate, associé à un discours de haine, Sabine*, Annécienne de 31 ans, en a été témoin dès les premiers moments après l’annonce du drame. Cette travailleuse sociale, qui effectuait des maraudes auprès de réfugié·es isolé·es il y a quelques années, se trouvait dans un bus de la ville quand l’information a commencé à circuler.

      « Il y avait plein d’ados qui regardaient les vidéos. Et au milieu, des adultes qui ne se connaissaient pas mais qui disaient fort : “Jusqu’où ça va aller ?!’’, “Jusqu’où on va les laisser ?!” » Un autre élément l’a stupéfaite : « On ne savait pas que le gars n’était pas musulman, mais dans les discussions, il l’était forcément. C’était automatique, on ne se pose même pas la question. » Sabine observe alors la scène : « Je me suis dit : “Là, maintenant, dans ce bus, on est en train de créer du racisme de toutes pièces…” »

      Deux heures plus tard, elle se retrouve dans une salle d’attente d’un cabinet médical. « Deux femmes, la soixantaine, partent dans un monologue sur l’immigration et sur le fait que le réfugié n’avait rien à faire là… J’ai eu beau dire que ça n’avait rien à voir, elles n’ont pas compris, elles ne s’imaginaient même pas que je ne puisse pas être d’accord. »

      D’après Sabine, « personne ne [lui] aurait parlé comme ça avant ». Ces dernières années, avec l’élection d’un écologiste dans un territoire historiquement à droite, elle « avai[t] même l’impression qu’on prenait le chemin inverse ici, d’autant que c’est une ville avec une grande mixité ». « Là, une brèche a été ouverte, je pense que ça va être très compliqué ensuite », craint-elle, en anticipant des conséquences néfastes pour les réfugié·es.

      Cette inquiétude est renforcée par le traitement médiatique de l’affaire. « Après l’attaque d’Annecy : le droit d’asile en question », titrait en une, dimanche, Le JDD (groupe Lagardère, bientôt absorbé par le groupe Vivendi de Bolloré), interview de l’ancien ministre de l’intérieur (1997-2000) Jean-Pierre Chevènement à la clé.

      « Pour moi, c’est vingt ans de travail qui s’écroulent », tranche également Yves La Barbera, 70 ans. Ce retraité, ancien directeur de la MJC (maison des jeunes et de la culture) d’un quartier d’Annecy, est toujours engagé dans la vie culturelle de la cité. « On travaille au cœur d’un quartier, on œuvre pour le vivre ensemble, on avance pas à pas, on réussit… Et puis, avec un drame comme ça, c’est le repli. Tout le monde a peur, c’est dramatique », déplore-t-il.
      Un climat inquiétant

      En relevant que l’extrême droite « fait 20 % [aux élections] dans des quartiers difficiles », Yves La Barbera sent qu’un « certain racisme s’est installé » ces dernières années. « Cet événement ne va faire que l’exacerber », considère-t-il, en se fiant aux réactions depuis jeudi. « Même des gens que je côtoie ont besoin de se défouler. Cela ne va pas se calmer tout de suite, c’est un traumatisme qui va s’installer. »

      Plus inquiétante encore, selon lui, est l’apparition de manifestant·es identitaires ces derniers temps. Après une première manifestation non déclarée le 18 mai — une première dans la ville —, des néonazis se sont également mobilisés, dès le soir de l’attaque. Les militants gravitent autour du « syndicat des fleuristes », à Annecy (en référence à la fleur de lys royaliste), mais aussi d’Edelweiss (Chambéry), comme l’a révélé Street Press, ou de groupuscules genevois ou lyonnais.

      Deux femmes du collectif d’extrême droite Nemesis se sont rendues à Annecy pour afficher dans l’aire de jeu, dès jeudi après-midi, des pancartes, dont l’une disait : « Ouvrir les frontières, c’est fermer nos cercueils. » Le soir, près de 50 personnes ont pris part à une manifestation identitaire.

      Yves La Barbera avoue son incrédulité face à ce phénomène : « Qu’est-ce que ça veut dire tout ça à Annecy ? C’est une ville tranquille. J’espère que c’est un mouvement extrêmement minoritaire qui ne va pas se développer, mais c’est aussi une petite graine qui peut pousser. »

      Au local de la Ligue des droits de l’homme (LDH) personne n’avait vu les signes avant-coureurs d’un tel climat. « Je les ai vus jeudi soir, leur regard, tous bodybuildés, des nazis sortis de la dernière guerre mondiale… C’est du jamais-vu. On savait qu’il y avait l’ultradroite mais on n’y était pas confronté », affirme Josette Tardivelle. La présidente de l’antenne locale de la LDH relève juste qu’il « y a eu beaucoup de collages du temps de la campagne de Zemmour ».

      Le représentant local de Reconquête, Vincent Lecaillon, ancien chef de fil du Rassemblement national (RN), est élu au conseil régional. Jeudi après-midi, il a vécu son heure de gloire en prenant à partie la première ministre Élisabeth Borne lors de son déplacement à la préfecture de Haute-Savoie.

      Depuis l’attaque, la LDH d’Annecy est prise à partie sur les réseaux sociaux, après un tweet du militant identitaire Damien Rieu ayant repéré l’organisation d’un apéro solidaire, le 19 juin, pour les mineurs étrangers isolés. « Ça faisait un moment qu’on l’avait annoncé, et ça ne posait de problème à personne », relève Josette Tardivelle. Mais après le drame, le sujet devient inflammable.

      Sur les réseaux sociaux, les messages pleuvent : « Je pense qu’il va falloir passer au stade suivant avec ces collabos », « À vos armes citoyens, faut éliminer ces associations qui font venir avec nos impôts nos assassins », « Les fils de pute, c’est immonde, c’est honteux, provocateur. Ils jubilent. Profitez-en bien ça ne va pas durer. On va s’occuper de vous. Avec précision, ciblé, et détermination nationale »…

      « Les gens ne se cachent même pas, certains le font avec leur photo, leur nom », s’étonne Josette Tardivelle, en faisant défiler sur son portable les messages archivés. Décision est alors rapidement prise en interne d’annuler l’événement. « On ne veut pas aller au clash avec ces gens-là et se mettre en danger », justifie la présidente. L’apéro sera organisé plus tard, avec une autre affiche, « plus neutre », ou même « en faisant passer l’information par téléphone ». « Effectivement, reconnaît la présidente de la LDH, cela signifie que l’on cède, et que leur méthode marche. »

      https://www.mediapart.fr/journal/france/110623/drame-d-annecy-une-ville-face-au-venin-de-la-xenophobie
      #racisme #extrême_droite #récupération #menace #syndicat_des_fleuristes #Edelweiss #Nemesis #néo-nazis

  • Le président tunisien prône des « #mesures_urgentes » contre l’immigration subsaharienne

    Lors d’une réunion, mardi, du Conseil de sécurité nationale, le président tunisien, #Kaïs_Saïed, a tenu un discours très dur au sujet de « #hordes des #migrants_clandestins » en provenance d’Afrique subsaharienne, dont la présence est selon lui source de « #violence, de #crimes et d’#actes_inacceptables », insistant sur « la nécessité de mettre rapidement fin » à cette immigration.

    Il a en outre soutenu que cette immigration clandestine relevait d’une « entreprise criminelle ourdie à l’orée de ce siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie », afin de la transformer en un pays « africain seulement » et estomper son caractère « arabo-musulman ».

    Il a appelé les autorités à agir « à tous les niveaux, diplomatiques sécuritaires et militaires » pour faire face à cette immigration et à « une application stricte de la loi sur le statut des étrangers en Tunisie et sur le franchissement illégal des frontières ». « Ceux qui sont à l’origine de ce phénomène font de la traite d’êtres humains tout en prétendant défendre les droits humains », a-t-il encore dit, selon le communiqué de la présidence.

    « Discours haineux »

    Cette charge de Kaïs Saïed contre les migrants subsahariens survient quelques jours après qu’une vingtaine d’ONG tunisiennes ont dénoncé jeudi la montée d’un « #discours_haineux » et du racisme à leur égard. Selon ces organisations « l’État tunisien fait la sourde oreille sur la montée du discours haineux et raciste sur les réseaux sociaux et dans certains médias ». Ce discours « est même porté par certains partis politiques, qui mènent des actions de propagande sur le terrain, facilitées par les autorités régionales », ont-elles ajouté.

    Dénonçant « les violations des droits humains » dont sont victimes les migrants, les ONG ont appelé les autorités tunisiennes « à lutter contre les discours de #haine, la #discrimination et le #racisme envers eux et à intervenir en cas d’urgence pour garantir la dignité et les droits des migrants ».

    La Tunisie, dont certaines portions de littoral se trouvent à moins de 150 kilomètres de l’île italienne de Lampedusa, enregistre très régulièrement des tentatives de départ de migrants, en grande partie des Africains subsahariens, vers l’Italie.

    https://www.infomigrants.net/fr/post/47002/le-president-tunisien-prone-des-mesures-urgentes-contre-limmigration-s
    #Tunisie #migrations #migrants_sub-sahariens #anti-migrants #grand_remplacement #démographie

    ping @_kg_

    • Dans un contexte tendu, certains Tunisiens viennent en aide aux migrants subsahariens

      Après les propos du président Kaïs Saïed, les autorités ont averti : toute personne qui hébergerait des personnes étrangères sans carte de résidence ou déclaration au commissariat violerait la loi. L’avertissement vaut aussi pour les employeurs qui font appel à des travailleurs étrangers non déclarés. Ainsi, de nombreux migrants subsahariens en situation irrégulière se retrouvent expulsés et sans travail du jour au lendemain. Des Tunisiens tentent de les aider en organisant des collectes.

      Samia, dont le prénom a été changé pour préserver son anonymat, est en train de charger une voiture de vêtements et repas, résultats de collectes auprès de Tunisiens, solidaires avec les Subsahariens mis à la rue ces derniers jours.

      « Pour les personnes mises à la rue, malheureusement, il faut des repas prêts. Pour les personnes qui sont chez elles, de la viande des pâtes, du riz, des féculents… Des choses pour tenir, surtout qu’il fait un peu froid. Et puis, du lait pour les bébés, des couches et des lingettes, des produits d’hygiène intime… »

      Un geste de solidarité qui passe par le bouche-à-oreille et les réseaux sociaux, afin d’aider à la fois les migrants en attente d’un rapatriement chez eux et ceux qui restent cloîtrés sans pouvoir aller au travail.

      « La situation, elle, est très alarmante. Elle est très alarmante et elle peut dégénérer rapidement. Alors, j’entends et je comprends très bien que les gens sont contraints d’appliquer la loi. Mais c’est un peu court comme analyse. On peut donner un peu de temps aux personnes pour s’organiser. On peut leur donner une trêve parce qu’il fait froid, et on ne peut pas jeter des familles à la rue. Ça, c’est vraiment affligeant, parce qu’il y a des bébés en très bas âge qui sont à la rue avec les températures qu’il fait », poursuit Samia.

      Elle et son association aident une centaine de personnes, dont des migrants en sit-in depuis deux jours, devant l’organisation internationale pour les migrations.

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      L’analyse de l’historienne Sophie Bessis

      RFI : Comment le pays en est arrivé là ?

      Sophie Bessis : « La première chose, c’est, pour remonter loin dans l’histoire, il y a quand même une vieille tradition raciste anti-Noir en Tunisie qui n’a pas disparu, même si dans les années 1960 et 1970, le panafricanisme qui était à l’honneur avait un petit mis sous boisseau cette vieille tradition qui vient d’une tradition esclavagiste et du fait que les populations noires nationales ont toujours été marginalisées. La Tunisie est en crise actuellement. La recherche de bouc-émissaire est toujours un compagnon d’une population en crise. Nous avons en Tunisie un parti nationaliste, il faudrait se poser la question sur ce qu’il représente et pourquoi. Et la question la plus importante est pourquoi les plus hautes autorités de l’État ont repris cette rhétorique qui est d’un racisme absolument primaire. Ce sont les stéréotypes racistes les plus éculés que l’on retrouve dans toutes les extrêmes droites du monde. »

      À quel point l’externalisation de la sécurité des frontières européennes a-t-elle joué dans le discours des autorités ?

      Il y a une progression des droites européennes qui est tout à fait alarmante en ce qui concerne la question migratoire et il y a une influence réelle disons et les moyens de pression des pays européens sur des pays comme la Tunisie dont vous connaissez l’ampleur de la crise économique, monétaire, financière et sociale donc il n’est pas impossible du tout qu’une partie de cette chasse anti-migrants soient dues aussi à ces pressions anti-européennes. En revanche, là où il faut se poser une question, c’est pourquoi cette violence ? Parce que malheureusement, la politique anti-migrants est devenue quelque chose de banale dans le monde d’aujourd’hui, mais la violence à la fois de la parole publique et la violence des gens contre les Subsahariens oblige aujourd’hui à se poser des questions, sur l’État de la société tunisienne et de son appareil dirigeant.

      L’Union africaine a réagi, qualifiant les propos du président de « choquants » et appelant au calme, mais quel impact pourrait avoir ces déclarations sur la diplomatie tunisienne en Afrique ?

      Il y a une boussole qui a été perdue, il y a une boussole qui est cassée aujourd’hui en Tunisie et j’espère que les pairs africains de la Tunisie et en particulier les pays dont sont originaires une bonne partie des migrants Subsahariens, sera plus ferme à l’égard de la Tunisie.

      https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230228-dans-un-contexte-tendu-certains-tunisiens-viennent-en-aide-aux-migrants

    • Étudiant congolais en Tunisie : « Je ne sors plus, je reste confiné chez moi »

      Marc* a 22 ans et vit en Tunisie depuis un an. Muni d’un visa étudiant, ce jeune homme congolais s’est installé à Tunis dans l’espoir de finaliser son cursus universitaire avant de rentrer dans son pays d’origine. Mais depuis le discours anti-migrants du président tunisien, Marc ne sort plus de chez lui de peur de se faire agresser ou embarquer par la police.

      Le 21 février, le président tunisien Kaïs Saïed n’a pas mâché ses mots à l’égard des quelque 21 000 Africains subsahariens vivant en Tunisie. Les accusant d’être source de « violence, de crimes et d’actes inacceptables », le chef de l’État a évoqué la mise en place de « mesures urgentes » pour lutter contre ces « clandestins ». Depuis, dans ce pays frappé par une grave crise économique, un vent de panique souffle parmi les personnes noires - tunisiennes comme immigrées, avec ou sans papiers. Ces derniers jours, les cas de personnes victimes d’attaques verbales et physiques, expulsées manu militari de leur appartement ou arrêtées arbitrairement dans la rue par les forces de l’ordre, se sont multipliées.

      Marc est, pour l’heure, épargné. Étudiant depuis un an à Tunis, installé dans un quartier résidentiel de la capitale et muni d’un titre de séjour étudiant, Marc n’est pas un « clandestin ». Pourtant, son statut ne le protège pas des agressions.
      « Je suis à l’abri chez moi, mais jusqu’à quand ? »

      "Je ne sors plus de chez moi. Je reste confiné. Ces derniers jours, je ne vais plus en cours. J’ai trop peur. Dans la rue, on entend souvent les mêmes phrases : ’Rentrez chez vous ! Rentrez chez vous !’. Comment voulez-vous que j’arrive à l’arrêt de bus ou au métro [au tramway, ndlr] pour aller étudier ? J’ai peur de me faire agresser verbalement ou physiquement sur le trajet.

      J’ai entendu parler de camarades expulsés de chez eux, juste à cause de leur couleur de peau. Certains étaient en règle, d’autres non. Ce n’est pas un papier administratif, mon statut d’étudiant, qui va me protéger. Moi, pour l’instant, on ne me jette pas dehors. Je vis en colocation avec trois autres étudiants congolais. Je suis à l’abri, mais jusqu’à quand ?

      Des dizaines de Subsahariens, dont des familles avec enfants, campent actuellement devant les ambassades de leur pays. Certains y ont trouvé refuge après avoir été chassés de chez eux. Selon les chiffres cités par les ONG, plus 20 000 ressortissants d’Afrique subsaharienne vivent en Tunisie, soit moins de 0,2% de la population totale.

      Il y a eu des attaques à l’arme blanche aussi. Un de mes amis a reçu un coup de couteau alors qu’il sortait d’une épicerie.

      Le discours du président a eu un retentissement terrible. Il y a toujours eu du racisme en Tunisie. Il y a toujours eu des arrestations, il y a toujours eu des contrôles dans la rue de manière arbitraire, mais c’était moins violent. Par exemple, moi, avant, les autorités pouvaient m’arrêter dans la rue, des agents contrôlaient mon identité sur place et ils me laissaient repartir cinq minutes après.
      « On ne prend plus les transports en commun, on prend des taxis »

      Désormais, on arrête les gens et on les embarque directement au poste de police, on peut les mettre en cellule plusieurs jours sans raison. Pour la première fois, il y a quelques jours, des agents m’ont arrêté dans la rue, ils n’ont pas voulu me laisser aller en cours, alors que je leur montrais mes papiers en règle. Ils m’ont embarqué au poste. J’ai eu tellement peur. Ils ont vérifié mon passeport, ma carte d’étudiant et ils m’ont laissé repartir. J’ai eu de la chance.

      Pour d’autres Noirs, ça se passe moins bien. Ils peuvent rester 3, 4, 5 jours au poste.

      Pour vous dire la vérité, pour aller travailler ou aller étudier, les ressortissants noirs ne marchent plus sur les trottoirs, ne prennent plus les transports en commun. Ils prennent des taxis.

      Cette situation a poussé des centaines de personnes à vouloir rentrer dans leurs pays. L’ambassade de Côte d’Ivoire a lancé une campagne de recensement de ses ressortissants souhaitant rentrer au pays. L’ambassade du Mali propose également à ses ressortissants de s’inscrire pour un « retour volontaire ». L’ambassade du Cameroun a, elle aussi, indiqué, dans un communiqué, que ses ressortissants pouvaient se « rapprocher de la chancellerie pour tout besoin d’information ou procédure dans le cadre d’un retour volontaire ». Marc souhaite, lui aussi, rentrer dans son pays.

      J’ai tellement peur que j’ai contacté les agents de l’OIM (Organisation internationale pour les migrations) pour qu’ils m’aident à rentrer chez moi [via le programme de ’retours volontaires’, ndlr], mais pour l’instant personne ne m’a répondu. Je ne comprends pas… En cette période difficile, on devrait avoir le soutien des instances internationales. Mais on n’a rien. C’est le silence radio."

      Si certains migrants ont réussi à rentrer chez eux via leurs ambassades ces dernières heures, des dizaines d’autres errent entre les bureaux du Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR) et ceux de l’OIM, à Tunis. Beaucoup sont de Sierra Leone, de Guinée Conakry, du Cameroun, du Tchad ou du Soudan, des pays parfois sans ambassade dans la capitale tunisienne. Arrivés illégalement, ils se sont retrouvés, après les propos de Kaïs Saïed, soudainement à la rue et privés des emplois informels grâce auxquels ils survivaient.

      *Le prénom a été changé

      https://www.infomigrants.net/fr/post/47231/etudiant-congolais-en-tunisie--je-ne-sors-plus-je-reste-confine-chez-m

    • Racisme en Tunisie. « Le président a éveillé un monstre »

      Depuis quelques jours, la Tunisie est le théâtre d’une furieuse poussée de racisme contre les populations subsahariennes, déclenchée notamment par les récentes déclarations du président Kaïs Saïed. Du sud du pays à la capitale, Tunis, la crainte d’une escalade est grande.

      « Regarde ce qu’ils nous font, c’est terrible ! Comme si on n’était pas vraiment des hommes. » Sur l’écran du smartphone que me tend l’homme qui s’indigne ainsi, Adewale, deux hommes à la peau noire recroquevillés sur un canapé sont menacés par des assaillants encapuchonnés, armés de ce qui ressemble à des couteaux. Les victimes roulent des yeux terrifiés et psalmodient des suppliques. En réponse, leurs agresseurs hurlent, miment des coups. Puis la vidéo TikTok s’arrête et laisse place à une autre : elle montre des hommes et des femmes qui marchent dans la rue en criant des slogans, la mine hostile. « Ça ce sont des gens qui manifestaient contre la présence des Subsahariens dans le pays. Je ne comprends pas pourquoi ils nous détestent tant. »

      Adewale parle d’une voix lasse. Il l’a dit plusieurs fois pendant l’entretien : il n’en peut plus. De sa situation bloquée. De sa vie fracturée. De l’atmosphère viciée de ces derniers jours. Ce jeune Nigérian né à Benin City a beau avoir tout juste 30 ans, il a déjà derrière lui tout un passé de drames. Plus tôt, il m’avait raconté les larmes aux yeux comment sa femme est morte lors d’une tentative de fuir la Libye et de rejoindre l’Europe en bateau. Diminuée par les mauvais traitements endurés en Libye, malade, elle est décédée après un jour de traversée. « C’était le 27 mai 2017, je ne l’oublierai jamais », répète-t-il. Il explique avoir dû faire croire qu’elle s’était assoupie sur ses genoux pour éviter que son corps ne soit jeté à la mer par les autres voyageurs.

      Lui a été récupéré deux jours plus tard par un navire de gardes-côtes tunisiens alors qu’il dérivait au large de Sfax avec ses compagnons d’infortune. Depuis, il survit dans ce pays, obsédé par la perte de sa compagne dont il visite et fleurit régulièrement la tombe. Impossible pour lui de rentrer au Nigeria : la famille de sa compagne décédée le tient pour responsable et lui aurait signifié son arrêt de mort.

      À plusieurs reprises, Adewale me montre des photos personnelles pour mieux illustrer son propos. Défilent des portraits de sa défunte femme souriante, barrés d’un grand « RIP » coloré, suivis de clichés de sa tombe en béton ornée de fleurs. Puis ce sont des images où on le voit travailler sur un chantier de Zarzis, la ville où il réside désormais. Adewale me prend à témoin : c’est un bon travailleur, un ouvrier du bâtiment acharné, levé à l’aube, qui accepte de bosser au noir pour un salaire de misère. Depuis six ans qu’il réside en Tunisie, il n’a pas démérité. Comme tous ses camarades, ajoute-t-il. Alors aujourd’hui il tombe des nues : « Il y a peu de temps, j’ai été agressé dans la rue, à côté de chez moi. Un homme m’a donné un coup de poing dans l’estomac en me disant de rentrer dans mon pays. Tu imagines ? Dans ces cas-là, il ne faut surtout pas répondre sinon tout le monde se rue sur toi. C’est pour ça que je n’ai pas réagi. Mais je ne comprends pas cette haine. »

      Une version arabe du « #grand_remplacement »

      Zarzis n’est pourtant pas l’épicentre des violences racistes qui se déchaînent en Tunisie depuis plusieurs jours. Située dans le sud-est de la Tunisie, à moins de 100 kilomètres de la frontière libyenne, cette ville côtière d’environ 70 000 habitants est réputée plutôt « ouverte », avec une communauté de pêcheurs qui se sont parfois distingués par leur aide apportée aux embarcations de personnes exilées en détresse. Elle abrite aussi depuis peu un cimetière verdoyant nommé « Jardin d’Afrique », ou « Paradis d’Afrique », inauguré en 2021, qui se veut le symbole du respect accordé aux dépouilles des personnes décédées en mer.

      Mais à Zarzis comme ailleurs en Tunisie, la situation est tendue. Le déclencheur ? Un discours du président Kaïs Saïed le mardi 21 février 2023 lors d’une réunion du Conseil de sécurité nationale, qui a déchaîné ou réveillé chez certains une forme de racisme latent. Entre deux saillies sur les « violences, [...] crimes et actes inacceptables » prétendument commis par les « hordes » de personnes exilées clandestines, celui qui, depuis juillet 2021, s’est arrogé tous les pouvoirs, a déclaré que la migration correspondait à une « entreprise criminelle [...] visant à changer la composition démographique de la Tunisie ». L’objectif du complot ? En faire un pays « africain seulement » afin de dénaturer son fond identitaire « arabo-musulman ». Une traduction en arabe de la théorie du « grand remplacement » prônée en France par Renaud Camus, Éric Zemmour et leurs émules. Rodant déjà sur les réseaux sociaux, et portées par le Parti nationaliste tunisien, un mouvement relativement confidentiel jusqu’à ce début d’année, ces thèses ont soudain jailli au grand jour, entraînant une vague de violences qui s’est ressentie jusqu’à Zarzis.

      Adewale raconte ainsi qu’il se fait régulièrement insulter, qu’il ne peut plus se rendre au travail, et que plusieurs de ses amis subsahariens ont été mis à la porte de chez eux par leurs bailleurs pour la seule raison qu’ils étaient noirs. Il ajoute que lui a de chance : le sien est venu toquer à sa porte pour lui dire de le prévenir s’il avait des problèmes. Il n’empêche : il se terre chez lui. Et de dégainer encore une fois son smartphone pour me montrer une énième vidéo TikTok, ce réseau social devenu avec Facebook le vecteur principal du racisme – mais aussi la première source d’information des exilés. « Ça c’était à Sfax hier, explique Adewale, des jeunes ont attaqué un immeuble où vivaient des Subsahariens, et tout le monde a été mis dehors. » Sur l’écran, des hommes, des femmes et des enfants sont assis sur le trottoir avec leurs affaires, l’air désemparé. « Il y a des gens terribles ici », ajoute Adewale.

      « Une forme de psychose qui s’installe »

      Rencontrés à Zarzis, Samuel et Jalil vivent eux aussi dans la peur depuis le discours du 21 février. Ils ne sont pas d’origine subsaharienne, mais ils craignent que les temps à venir soient dramatiques pour les personnes exilées vivant en ville : « On conseille aux migrants qu’on suit de ne pas sortir, ou alors seulement au petit matin, pour aller faire les courses, parce qu’on ne sait pas comment ça peut tourner », explique Jalil. Il ne cache pas craindre une criminalisation de leur activité : « Les policiers savent qu’on assiste les personnes en transit ici. Dans le climat politique actuel, il y a forcément une forme de psychose qui s’installe. »

      L’entretien avec ces deux militants locaux a été fixé par WhatsApp, après vérification de ma situation : est-ce que les autorités savent que je suis journaliste ? Non ? J’en suis bien sûr ? Rendez-vous est finalement donné dans une sorte de villa touristique baroque, à quelques kilomètres du centre-ville. « C’est un peu notre cachette », dit Jalil, souriant de ce terme incongru. Tous deux expliquent en s’excusant que la situation politique les force à prendre des précautions dont ils préféreraient se passer. Âgés d’une quarantaine d’années, Samuel et Jalil s’emploient depuis des années à assister les nombreuses personnes exilées qui atterrissent dans la ville. Ils ont constaté que, bien avant l’envolée raciste du président, les personnes subsahariennes se voyaient déjà appliquer un traitement différencié : « On les accompagne s’ils doivent aller à l’hôpital, car sinon on ne les prend pas en charge. Et quand ils se font agresser, ce n’est même pas la peine pour eux de se rendre à la police, car elle n’enregistrera pas leur plainte. »

      C’est par le biais de ces deux militants que je rencontre leurs amis Yacine et Nathan. Le premier vient du Mali, le second de Côte d’Ivoire. Tous les deux sont passés par la Libye, qu’ils décrivent comme un enfer, entre sévices physiques et travail forcé. Interrogés sur la période passée là-bas, ils éclatent d’un rire nerveux. « C’est notre manière d’évacuer ces moments, explique Yacine. Personne ne peut comprendre l’horreur de ce pays pour un Noir s’il ne l’a pas vécu. »

      Quand ils ont finalement réussi à prendre la mer, après de longs mois d’errance et de labeur, ils ont été récupérés par un navire des gardes-côtes tunisiens, qui les a déposés à Zarzis. Ils ont ensuite été convoyés à Médenine puis à Djerba, où ils ont travaillé dans le bâtiment. De retour à Zarzis, ils ne pensent qu’à une chose : prendre la mer pour l’Europe. Et tant pis si pour cela ils doivent tenter la traversée sur un « iron boat », ces bateaux de métal conçus à la va-vite et qui ont sur certains rivages remplacé les navires en bois ou en résine – une évolution des conditions de navigation qui a provoqué de nombreux drames, ces embarcations de fortune prenant l’eau à la moindre vague.
      Des centaines de morts dans l’indifférence

      Plus de 580 personnes sont mortes en 2022 après avoir pris la mer depuis la Tunisie, dans l’indifférence de la communauté internationale. Pour Yacine et Nathan, qui ont déjà tenté la traversée depuis la Tunisie trois fois – pour se voir à chaque fois ramenés à quai par les gendarmes tunisiens des mers –, il existerait cependant des moyens concrets pour assurer une traversée plus sûre : « Il suffit de bien s’organiser, d’utiliser des applications pour connaître la météo dans les trois jours qui arrivent, et de regarder la hauteur des vagues. Après, tu te confies à Dieu. » Davantage que les éléments, ils craignent les hommes : « Le vrai problème, ce sont les gardes-côtes, qui se montrent violents et dangereux, au point de parfois faire couler les bateaux ».

      À Zarzis, une ville endeuillée par le terrible naufrage du 21 septembre 2022 au cours duquel 18 Tunisiens se sont noyés dans des circonstances troubles semblant impliquer les gardes-côtes, la question ne laisse pas la population insensible. De nombreuses manifestations ont eu lieu, notamment pour exiger des enquêtes sur les circonstances du drame. Début septembre a également été organisée une « commémorAction » réunissant Tunisiens et familles de disparus venus de divers pays africains. Mais dans le contexte actuel, la critique des politiques migratoires se retourne parfois contre les migrants, explique Jalil : « Certains disent que les jeunes Tunisiens sont morts à cause des Subsahariens, parce que le comportement violent des gardes-côtes serait dû à la volonté d’endiguer avant tout le départ des personnes noires. »

      Après plusieurs années passées en Tunisie, Yacine et Nathan assurent que le racisme était déjà sensible avant le discours du président. Refoulements à l’hôpital, loyers plus chers, charges d’électricité gonflées et travail sous-payé les poussent à considérer qu’eux et leurs camarades seraient en fait de pures aubaines pour ce pays. Pas dupes, ils font mine de s’étonner d’un traitement différencié avec des étrangers plus clairs de peau : « On s’est rendu compte que certains étrangers n’étaient pas concernés par les insultes et les mauvais traitements, notamment les Syriens, les Bangladais ou les Marocains. Peut-être que c’est la couleur de peau qui fait la différence ? Il faut dire qu’on est plus visuels ! »

      « Ici, c’est chez nous »

      Si l’ironie est de mise, la gravité aussi. Car les deux amis s’accordent à dire que le discours de Kaïs Saïed a jeté de l’huile sur le feu. Selon Nathan, « jouer sur la haine peut être très efficace, il suffit de voir ce qui se passe sur les réseaux sociaux ». Il s’inquiète logiquement du ralliement d’une partie de la population à cette croisade numérique. S’il a l’habitude de craindre la police, ne pas pouvoir marcher dans la rue ou se rendre à la boutique pour faire ses courses lui semble bien plus grave. Quant aux débordements, ils sont déjà là, s’indigne Yacine :

      Depuis le discours du président, on entend des insultes tout le temps. On te dit : « Ici, c’est chez nous. » Ça peut aussi passer par des petits gestes, quelqu’un à l’arrière d’un taxi qui s’étale de tout son long et ne te laisse qu’un bout de banquette, sans que tu puisses rien dire. Et parfois c’est grave : il y a quelques mois, un jeune Guinéen a été lapidé pour avoir changé une chaîne de télé dans un café. Des jeunes Tunisiens l’ont attendu à l’extérieur. Il a perdu un œil. J’ai peur que ce genre d’événements se reproduise bien plus souvent.

      Aux environs de Zarzis et dans la ville même, la plupart des personnes subsahariennes sont clandestines, n’ont aucune intention de rester en Tunisie et ont les yeux rivés sur la mer – à l’image d’Adewale, de Yacine et de Nathan. Pour beaucoup de celles et ceux passés par la Libye, ils n’ont de toute façon plus de papiers d’identité, les divers exploiteurs de misère croisés dans ce pays les leur ont confisqués. Mais les 21 000 ressortissants de pays subsahariens qui vivent en Tunisie sont tous plus ou moins logés à la même enseigne, qu’ils soient « légaux » ou « illégaux ».

      À Sfax, deuxième ville du pays secouée par plusieurs nuits de violences racistes dont le bilan est encore incertain, la tension imprègne les rues. Interrogés sur les derniers événements, certains Tunisiens déplorent les violences qu’ils attribuent à des jeunes écervelés agissant en bandes. « Ce sont des crétins qui se montent la tête sur Internet », estime un vieil homme rencontré à la terrasse d’un café. Mais d’autres assument un discours dont il ressort qu’il n’y a pas de fumée sans feu et que les victimes l’ont sans doute un peu cherché.

      Quant aux principaux concernés qui osent sortir de chez eux, certains ne croient plus vraiment au dialogue. À l’extérieur de la casbah de Sfax, en bordure de la large avenue des Martyrs, quelques exilés ont dressé les étals d’un petit marché africain – épices, fruits et légumes du pays. Interrogé, un jeune homme aux yeux tristes confie avoir « très peur des jours qui arrivent ». Il me renvoie vers un trio de femmes, apparemment chargées des communications. Tout en remballant leurs sacs de provisions, elles assurent ne pas vouloir témoigner : « On ne veut plus parler, on a trop parlé ! Et ça ne change rien ! C’est de pire en pire ! »

      « Les Noirs n’ont plus de valeur ici ! »

      Devant l’ambassade de Côte d’Ivoire à Tunis, par contre, les langues se délient. Cela fait quelques jours que le lieu excentré en banlieue est un point de rassemblement pour les Ivoiriens désemparés. Certaines familles dorment même sous des tentes, dressées sur un terre-plein à proximité du bâtiment, après qu’elles ont été expulsées de leur habitation. Tous ici affirment être arrivés par avion en Tunisie, donc par la voie légale. Leur désenchantement est immense.

      Parmi la grosse cinquantaine de présents, certains sont venus tenter de faire avancer leur situation administrative – qu’il s’agisse de rester dans le pays ou de le quitter. Beaucoup s’indignent de la question des « pénalités » que le gouvernement tunisien entend faire payer aux personnes désirant rentrer chez elles – et qui, selon la durée du séjour, peuvent atteindre de fortes sommes. Les autorités marchent sur la tête, s’accordent-ils : elles veulent qu’ils partent mais font tout pour que ce ne soit pas possible…

      Au-delà des épineuses questions administratives, les discours tenus ici sont unanimes : le racisme a explosé dans des proportions effrayantes. Prendre les transports en commun revient ainsi à s’exposer à de forts risques d’agression. Les témoignages s’enchaînent. « Moi je suis terrée chez moi depuis bientôt une semaine. C’est la première fois que je sors », dit l’une. « Des jeunes ont cassé ma porte en pleine nuit pour m’expulser de chez moi », s’émeut un autre, qui montre les contusions sur son visage et sur son cou en expliquant avoir été frappé. « J’étais dans le métro avec mes deux enfants quand des jeunes nous ont crié : “Rentrez chez vous, les singes !” », déplore une mère de famille, le petit dernier agrippé à son dos.

      Alors que plusieurs d’entre eux évoquent les rafles policières menées jusqu’à la sortie des crèches et la situation des personnes maintenues en prison, l’un d’eux sort un smartphone pour montrer les images passablement floues d’un homme noir insulté et frappé par ce qui ressemble à des policiers – « ils le torturent ». Puis c’est une autre où des Tunisiens crient « on n’est pas des Africains ! ». Enfin, une dernière qui déclenche des cris outrés quand l’orateur déclare : « Les Noirs n’ont plus de valeur ici ! »
      « Le feu vert à tous les débordements racistes »

      Face à ce déferlement de haine en ligne, les réactions sont contrastées. Un homme me déclare que le jour où il rentrera au pays il s’en prendra aux riches Tunisiens installés en Côte d’Ivoire – œil pour œil. Mais d’autres insistent pour imputer la responsabilité des violences à une minorité haineuse. « Beaucoup de Tunisiens m’ont aidé depuis que je suis arrivé », tient à témoigner Ismaël, jeune étudiant en informatique. Il parle d’une voix posée, évoque en souriant les délires administratifs qu’il a rencontrés jusqu’ici pour tenter de régulariser sa situation. Comme d’autres, il tempère, tente d’entrevoir une porte de sortie pour continuer à vivre dans ce pays qu’il dit aimer. Puis il se ravise : « En fait, je ne sais plus trop quoi penser. Le président a éveillé un monstre, et les derniers jours ont fait trop mal. »

      Une certitude : en pleine dérive autoritaire, le régime de Kaïs Saïed a libéré un fléau qui laissera des traces. « Il a donné le feu vert à tous les débordements racistes, qu’ils soient l’œuvre de la population ou des forces armées », explique un opposant tunisien, vétéran du renversement de Zine El-Abidine Ben Ali, en 2011, qui parle de « fascisme » pour désigner le pouvoir en place. « C’est un basculement très dangereux, contre lequel il va falloir lutter de toutes nos forces. »

      Inquiets, quelques centaines de manifestants se sont donné rendez-vous le 25 février pour dénoncer les discours et les violences racistes dans les rues de Tunis. Une initiative qui ne pèse pour l’instant pas lourd face à l’alliance de la parole présidentielle et des emballements racistes sur les réseaux sociaux.

      https://afriquexxi.info/Racisme-en-Tunisie-Le-president-a-eveille-un-monstre

    • Tunisie : des centaines de ressortissants d’Afrique subsaharienne rapatriés vers le #Mali et la #Côte_d’Ivoire

      Le président de la République tunisienne, Kaïs Saïed, a affirmé, le 21 février, que la présence dans le pays de « hordes » d’immigrés clandestins provenant d’Afrique subsaharienne était source de « violence et de crimes ».

      Des migrants subsahariens en attente de prendre un vol de rapatriement vers leur pays d’origine, au consul du Mali à Tunis, le 4 mars 2023. FETHI BELAID / AFP

      Quelque 300 Maliens et Ivoiriens ont quitté la Tunisie, samedi 4 mars, à bord de deux avions rapatriant des ressortissants d’Afrique subsaharienne cherchant à fuir des agressions et des manifestations d’hostilité après une violente charge du président, Kaïs Saïed, contre les migrants en situation irrégulière.

      Le 21 février, M. Saïed a affirmé que la présence en Tunisie de « hordes » d’immigrés clandestins provenant d’Afrique subsaharienne était source de « violence et de crimes » et relevait d’une « entreprise criminelle » visant à « changer la composition démographique » du pays.

      Samedi, « on a fait embarquer 133 personnes » parmi lesquelles « 25 femmes et 9 enfants ainsi que 25 étudiants » dans l’avion qui a quitté la Tunisie vers 11 heures, a déclaré à l’Agence France-Presse (AFP) un diplomate malien. Deux heures plus tard, un autre appareil devant rapatrier 145 Ivoiriens a décollé de Tunis, selon l’ambassadeur ivoirien en Tunisie, Ibrahim Sy Savané.

      Discours « raciste et haineux »

      Le discours présidentiel, condamné par des ONG comme « raciste et haineux », a provoqué un tollé en Tunisie, où les personnes d’Afrique subsaharienne font état depuis d’une recrudescence des agressions les visant et se sont précipitées par dizaines à leurs ambassades pour être rapatriées.

      Devant l’ambassade du Mali, surchargés de valises et ballots, tous ont dit fuir un climat lourd de menaces. « Les Tunisiens ne nous aiment pas, donc on est obligés de partir, mais les Tunisiens qui sont chez nous doivent partir aussi », a dit à l’AFP Bagresou Sego, avant de grimper dans un bus affrété par l’ambassade pour l’aéroport.

      Arrivé il y a quatre ans, Abdrahmen Dombia a interrompu ses études de mastère en pleine année universitaire : « La situation est critique ici, je rentre parce que je ne suis pas en sécurité. » Baril, un « migrant légal », s’est dit inquiet pour ceux qui restent. « On demande au président, Kaïs Saïed, avec beaucoup de respect de penser à nos frères et de bien les traiter », explique-t-il.
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      Selon le gouvernement ivoirien, 1 300 ressortissants ont été recensés en Tunisie pour un retour volontaire. Il s’agit d’une part importante de la communauté ivoirienne, qui, avec environ 7 000 personnes, est la plus importante d’Afrique subsaharienne en Tunisie, à la faveur d’une exemption de visa à l’arrivée.

      Quelque trente étudiants ivoiriens, en situation régulière, font partie des rapatriés. « Ils ne se sentent pas à l’aise, certains ont été victimes d’actes racistes, certains sont en fin d’études, d’autres les ont interrompues », a précisé à l’AFP par téléphone depuis l’aéroport Michael Elie Bio Vamet, président de l’Association des étudiants ivoiriens en Tunisie. « Il y a des agressions presque tous les jours, des menaces, ou bien ils sont mis dehors par leurs bailleurs, ou agressés physiquement », a-t-il ajouté.

      « Déferlement de haine »

      Pour la plupart issus de familles aisées, des dizaines d’étudiants d’Afrique subsaharienne étaient inscrits dans des universités ou des centres de formation en Tunisie. Apeurés, beaucoup sont déjà repartis par leurs propres moyens, selon leurs représentants.

      L’Association des étudiants et stagiaires africains en Tunisie (AESAT) a documenté l’agression, le 26 février, de « quatre étudiantes ivoiriennes à la sortie de leur foyer universitaire » et d’« une étudiante gabonaise devant son domicile ». Dès le lendemain du discours de M. Saïed, l’AESAT avait donné comme consigne aux étudiants subsahariens « de rester chez eux » et de ne plus « aller en cours ». Cette directive a été prolongée au moins jusqu’au 6 mars.

      Des Guinéens rentrés par le tout premier vol de rapatriement mercredi ont témoigné auprès de l’AFP d’un « déferlement de haine » après le discours de M. Saïed.
      Lire aussi : Article réservé à nos abonnés En Tunisie, le tournant répressif du régime de Kaïs Saïed

      Bon nombre des 21 000 ressortissants d’Afrique subsaharienne recensés officiellement en Tunisie, pour la plupart en situation irrégulière, ont perdu du jour au lendemain leur travail et leur logement. Des dizaines ont été arrêtés lors de contrôles policiers, certains sont encore en détention. D’autres ont témoigné auprès d’ONG de l’existence de « milices »qui les pourchassent et les détroussent.

      Cette situation a provoqué l’afflux de centaines de personnes à leurs ambassades pour être rapatriées. D’autres, encore plus vulnérables car issues de pays sans ambassade à Tunis, ont rejoint un campement improvisé devant le siège de l’Office international pour les migrations (OIM), où elles dorment dans des conditions insalubres.

      Selon l’ambassadeur ivoirien, la Tunisie a promis de renoncer à réclamer aux personnes en situation irrégulière des pénalités (80 dinars, soit 25 euros par mois de séjour irrégulier) qui, pour certains, dépassaient 1 000 euros

      https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/03/04/des-centaines-de-ressortissants-d-afrique-subsaharienne-rapatries-de-tunisie
      #renvois #expulsions #rapatriement #retour_au_pays

    • La Tunisie rongée par les démons du racisme

      L’éruption d’hostilité aux Africains subsahariens encouragée par le président Kaïs Saïed s’ajoute à la régression autocratique et entache encore un peu plus l’image de la Tunisie à l’étranger.

      Il est bien loin, le temps où la Tunisie inspirait hors de ses frontières respect et admiration. Chaque semaine qui passe entache un peu plus l’image de ce pays qui brilla jadis d’une flamme singulière dans le monde arabo-musulman. Que reste-t-il du prestige que lui conférait son statut d’avant-garde en matière de libertés publiques, de pluralisme politique, de droits de femmes et de respect des minorités ? Le chef de l’Etat, Kaïs Saïed, qui s’est arrogé les pleins pouvoirs à la faveur d’un coup de force en juillet 2021, lui impose désormais un tournant répressif, conservateur et xénophobe des plus préoccupants. La Tunisie en devient méconnaissable.

      Dans cette affaire, tout est lié : le retour à l’autocratie va de pair avec la crispation identitaire, les deux se nourrissant d’un prétendu « complot » contre l’Etat et la patrie. L’une des illustrations les plus déprimantes de cette régression est la récente vague de racisme anti-Noirs qui secoue le pays. Dans la foulée de la déclaration du 21 février du président Saïed, qui a fustigé des « hordes de migrants clandestins » associées à ses yeux à un « plan criminel » visant à « modifier la composition démographique » du pays en rupture avec son « appartenance arabo-islamique », l’hostilité se déchaîne contre les étudiants et les immigrés issus de l’Afrique subsaharienne.

      Ces derniers sont chaque jour victimes d’agressions physiques et verbales à Tunis et dans d’autres centres urbains. Le discours conspirationniste du chef de l’Etat, aux accents de type « grand remplacement », a libéré un racisme enfoui au tréfonds de la société tunisienne, héritage de l’esclavage en Afrique du Nord, aux séquelles psychologiques durables.
      L’embarras prévaut

      L’éruption de cette xénophobie cautionnée au plus haut niveau de l’Etat a obscurci la perception de la Tunisie à l’étranger. M. Saïed a beau avoir tenté de nuancer ses propos en précisant qu’il visait les immigrants en situation irrégulière, le mal est fait. Ses brigades de fidèles, dont certains sont affiliés à un Parti nationaliste tunisien aux discours et aux méthodes dignes de l’extrême droite européenne, traquent les Subsahariens. Les Tunisiens les plus progressistes avouent leur « honte » et tentent d’organiser dans l’adversité un front « antifasciste ». La consternation règne aussi dans de nombreuses capitales du continent. L’Union africaine a « condamné » les « déclarations choquantes » du président Saïed.
      Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « Le régime de Kaïs Saïed en Tunisie n’a pas changé de nature, mais de degré de répression »

      Dans les capitales européennes, c’est plutôt l’embarras qui prévaut. Si les chancelleries ne manquent pas d’exprimer occasionnellement leur « préoccupation » face au recul de l’Etat de droit en Tunisie, elles n’ont pas réagi à la charge présidentielle contre les migrants subsahariens. Et pour cause : M. Saïed répond plutôt positivement aux appels de l’Europe – au premier chef de l’Italie – à mieux verrouiller ses frontières maritimes afin d’endiguer les traversées de la Méditerranée.

      Le cadenassage de « l’Europe forteresse », qui contribue à fixer en Afrique du Nord des candidats à l’exil européen, n’est pas étranger aux tensions migratoires dont cette région est le théâtre. Cherche-t-on à ménager M. Saïed afin d’éviter qu’il « lève le pied » sur la surveillance de son littoral ? Si telle était l’arrière-pensée, elle ajouterait le cynisme à un dossier déjà suffisamment dramatique.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/04/la-tunisie-rongee-par-les-demons-du-racisme_6164127_3232.html

    • En Tunisie, le douloureux retour au pays des exilées subsahariennes

      Elles ont tout quitté pour venir en Tunisie, trouver un travail et subvenir aux besoins de leur famille dans leur pays. Souvent exploitées ou livrées à elles-mêmes durant leur parcours de vie en Tunisie, des femmes migrantes subsahariennes racontent comment elles ont quitté ou vont quitter le pays, après les propos du président Kaïs Saïed sur son intention de contrer le phénomène migratoire, source de violences et de crimes selon ses mots. Témoignages.

      À l’entrée de l’aéroport de Tunis Carthage, ce samedi 4 mars, l’aube commence à pointer et Mireille fait les cent pas. Emmitouflée dans une écharpe rouge pour se réchauffer, elle se confie : « J’ai vraiment hâte que tout ça se finisse. » Ivoirienne, elle attend, fébrile, avec une centaine d’autres de ses compatriotes en file indienne, valises à la main, le premier vol de rapatriement vers Abidjan, une opération lancée par l’ambassade peu après les propos polémiques de Kaïs Saïed du 21 février sur les migrants subsahariens.

      Dimanche soir, la Présidence de la République et celle du gouvernement tunisien ont tenté d’apaiser le ton tout en disant s’étonner de la « campagne liée au prétendu racisme en Tunisie » et rejette ces accusations. Mais elles ajoutent mettre en place des mesures pour les résidents subsahariens en Tunisie, notamment avec l’octroi de cartes de séjour d’un an pour les étudiants. Le gouvernement a également annoncé faciliter les départs volontaires pour ceux qui le souhaitent et un numéro vert pour signaler les violations de leurs droits.

      Après ses déclarations, qualifiées de « racistes » par de nombreuses associations, beaucoup de migrants ont été expulsés de chez eux par leur propriétaire, et ont perdu leur travail. Les agressions dans la rue se sont multipliées et les chancelleries de plusieurs pays ont décidé d’affréter des avions pour permettre des rapatriements à leurs ressortissants. Près de 2 000 Ivoiriens candidats au départ ont déjà été recensés en moins d’une semaine par l’ambassade et, chaque jour, la liste s’allonge. La Guinée a rapatrié une cinquantaine de ressortissants. Le Mali, 154.

      Depuis 2020, une étude de l’Observatoire national pour la lutte contre la violence à l’égard des femmes en partenariat avec le Fonds des Nations unies pour les questions de santé sexuelle et reproductive (UNFPA), note une « recrudescence » de la présence des femmes migrantes dans les centres d’accueil de femmes victimes de violences. « Les violences faites aux femmes migrantes sont difficilement condamnées et prises en charge par l’État en raison du statut irrégulier des femmes, de leur accès limité aux services en raison de la peur d’être dénoncées ou encore d’être expulsées du pays », peut-on lire dans le rapport.

      Aujourd’hui, le retour précipité au pays, le risque d’une expulsion brutale de leur logement ou d’une agression sont devenus une préoccupation quotidienne de la grande majorité des femmes subsahariennes en Tunisie, déjà souvent exposées à des violences et à la vulnérabilité économique. Mediapart a donné la parole à trois d’entre elles.
      Quatre ans en Tunisie et un traumatisme

      Mireille a été particulièrement choquée par ses derniers jours passés dans le pays. Cette coiffeuse de formation qui avait laissé, quatre ans plus tôt, ses trois enfants en Côte d’Ivoire pour tenter de soutenir financièrement sa famille, n’a vécu que des désillusions. « Dès que je suis arrivée, mes contacts sur place m’ont mise dans le circuit de femmes de ménage. Je gagnais 450 dinars par mois (135 euros) et je travaillais 12 heures par jour, j’ai eu sans arrêt des problèmes de santé à cause des produits nettoyants qu’on nous faisait utiliser et je ne sens plus mon dos », raconte-t-elle.

      Très vite, elle regrette d’être venue mais se rend compte que les pénalités pour avoir excédé sa durée de séjour dans le pays sont lourdes, 80 dinars par mois, à payer à la police des frontières. Ces pénalités sont plafonnées à 3 000 dinars (900 euros) depuis 2017. « Alors, comme d’autres, je me suis retrouvée coincée et j’ai continué de travailler pour tenter d’économiser et de payer mon retour », dit-elle.

      Dans une étude publiée en 2020 par l’ONG Terre d’asile en Tunisie sur le parcours des femmes migrantes, la précarité et la vulnérabilité de femmes comme Mireille étaient déjà dénoncées. L’une des conclusions de l’étude invitait l’État tunisien à « travailler au développement de conditions d’accueil pour les femmes migrantes qui leur permettraient de s’autonomiser, notamment au moyen de l’accès à un travail décent et à un séjour régulier, et d’accéder véritablement à leurs droits », peut-on lire dans la conclusion de l’étude basée sur les témoignages d’une vingtaine de femmes. « Cette autonomisation leur permettra d’être moins vulnérables aux violences, aux arnaques et à la précarité, tout en leur donnant toutes les chances de s’intégrer au sein de la société tunisienne. »

      Pour Mireille, l’intégration a fini en traumatisme. Deux jours après le communiqué de la présidence sur les Subsahariens, sa maison a été mise à sac par deux jeunes Tunisiens dans la nuit du 23 février. « J’étais en train de cuisiner et j’ai entendu des coups à la fenêtre, avec des hommes qui criaient des mots en arabe, au début je n’ai pas compris », raconte-t-elle. Puis elle entend en français : « Les Africains, sortez, on veut plus de vous. »

      Elle prend peur et appelle son employeur, une femme tunisienne avec qui elle s’entend bien. « Elle a tenté de m’aider, raconte-t-elle. Elle voulait que je m’échappe sur la route principale pour passer la nuit chez elle, mais les agresseurs étaient devant ma porte. Il n’y avait aucune échappatoire et mes voisins au-dessus m’ont crié qu’ils étaient armés. »

      La police, alertée aussi par les Subsahariens vivant au-dessus de chez Mireille, arrive sur les lieux mais près d’une heure plus tard. Les deux jeunes ont pu rentrer et saccager toutes les affaires de Mireille, lui voler également une somme de 6 000 dinars (1 800 euros), l’argent qu’elle avait économisé pour rentrer chez elle et pour l’envoyer à sa famille.

      Les migrants en situation irrégulière ne peuvent pas ouvrir de compte en banque et transférer de l’argent à leur famille. L’envoi d’argent se fait surtout par des connaissances qui font des allers-retours, et certains migrants sont obligés d’emmagasiner de l’argent en espèces chez eux, faute de mieux.

      Juste avant que les agresseurs enfoncent la porte, Mireille est hissée par ses voisins à l’aide d’un drap au premier étage de la résidence, en passant par une fenêtre de la cour intérieure qui ne donne pas sur la rue. Jointe au téléphone un jour après son arrivée à Abidjan, elle se rappelle avec émotion ce moment. « Je n’arrête pas de penser jusqu’à maintenant à ce qu’ils m’auraient fait s’ils m’avaient trouvée sur place », témoigne-t-elle d’une voix tremblante.

      Aujourd’hui, elle attend de pouvoir revoir ses enfants dans un centre à Abidjan où ont été dispatchés les premiers rapatriés. « Je ne les ai pas vus depuis quatre ans, le plus important pour moi, c’est de les retrouver, ensuite je réfléchirai à l’après », dit-elle. Elle est partie avec seulement quelques affaires achetées juste avant le départ grâce à des dons.
      L’attente d’un retour, après avoir tout perdu

      Les vidéos de l’incident ont fait le tour des réseaux sociaux et ont alerté sur la recrudescence des agressions envers les Noirs en Tunisie après les propos de Kaïs Saïed, poussant de nombreux migrants à se cloîtrer chez eux ou à tenter de partir au plus vite.

      Devant l’ambassade de Côte d’Ivoire le vendredi 3 mars, Fortune, 33 ans, attend encore d’être convoquée pour faire partie des prochains vols de rapatriement mais un document lui manque, l’extrait de naissance de son enfant, né en Tunisie en 2019. « Lors de sa naissance, je n’ai pas eu l’extrait de naissance, il fallait payer et je n’avais pas d’argent, et ensuite j’avais passé le délai donc j’ai déposé une demande à l’OIM [l’Organisation internationale pour les migrations qui dépend des Nations unies – ndlr] et jusqu’à présent je n’ai pas le document. »

      Elle ne peut pas laisser son fils sur place mais elle se préparait au départ bien avant les propos de Kaïs Saïed. « Dès mon départ vers la Tunisie en 2018, des amies m’avaient avertie du racisme et des mauvais traitements que subissent les Noirs, mais je voulais quand même essayer pour gagner un peu d’argent et financer mes études au pays », dit-elle.

      Elle explique avoir eu de bons employeurs en Tunisie mais, pour elle, les propos de Kaïs Saïed, sont inacceptables. « Il y a différentes manières de dire qu’il faut mieux gérer les flux migratoires irréguliers, je peux comprendre que ça gêne vu que nous sommes tous sans statut légal ici, mais là, dans ses déclarations, j’avais l’impression d’avoir été traité comme un animal », commente-t-elle.

      À ses côtés Naomi, 33 ans, ronge son frein, déprimée. Elle avait investi toutes les économies de son salaire de coiffeuse en Tunisie pour ouvrir son propre salon. Près de 7 000 dinars (2 100 euros) dépensés dans du matériel et une location. « Je comptais sur l’été et les mariages pour gagner de l’argent et l’envoyer au pays », dit-elle. Comme Fortune, elle a tout perdu, la propriétaire lui a demandé de fermer boutique et elle attend devant l’ambassade pour s’enregistrer et partir au plus vite.
      L’impossible régularisation

      Ces deux femmes ont reçu des délais très courts de leurs propriétaires pour quitter leur logement, car les autorités ont annoncé une application stricte de la loi. Un Tunisien ne peut pas louer à un étranger sans lui demander sa carte de résidence ou bien le déclarer dans un commissariat. Une situation d’urgence à laquelle s’ajoute la peur d’être agressée.

      « Là, dès que l’on sort de chez nous, on regarde derrière nous de peur qu’un gosse nous jette des pierres. Cela m’était déjà arrivé avant les propos de Kaïs Saïed mais, désormais, c’est devenu une menace quotidienne », explique Évelyne, 30 ans, qui avait ouvert une crèche dans le quartier de l’Ariana au nord de Tunis pour permettre aux familles subsahariennes qui travaillent de laisser leurs enfants en journée. « Bien sûr que ce n’était pas déclaré, mais comment voulez-vous qu’on fasse ?, demande Évelyne. On dépense de l’argent dans des procédures pour avoir des papiers, et jamais nous n’arrivons à obtenir la carte de résidence. Tout se fait au noir parce que nous n’avons pas d’autre choix, et pendant des années personne n’y a trouvé à redire. »

      La loi tunisienne met sous conditions l’embauche d’un étranger avec la préférence nationale et très peu de migrants arrivent à se régulariser, à l’exception des étudiants.
      Rester et vivre dans la rue, le nouveau fardeau d’Aïcha

      Alors que ces femmes attendent un retour imminent vers leur pays, d’autres n’ont pas d’autre choix que de rester, dans des conditions parfois plus que précaires. Aïcha, 23 ans et originaire de la Sierra Leone, campe avec une centaine d’autres migrants devant le siège de l’OIM depuis une semaine, après avoir été expulsée de son logement.

      Son voyage pour venir en Tunisie en août 2022 par voie terrestre a pris presque trois mois. Durant son périple, elle dit avoir égaré son passeport. « Donc au final, je n’ai jamais pu travailler ici, ou alors des petits jobs ponctuels. En plus je ne parle qu’anglais donc la barrière de la langue était problématique », explique-t-elle. Elle dit attendre que la situation se calme pour voir comment rester dans le pays.

      « Au pire des cas, je rentrerai, mais vraiment j’aimerais bien rester ici, c’est difficile de repartir après avoir tout laissé dans son pays. J’étais étudiante mais je voulais tenter ma chance ailleurs et beaucoup d’amis m’ont dit qu’en Tunisie il y aurait du travail et des conditions de vie meilleures que chez nous », dit-elle. Son rêve est de suivre une formation pour devenir journaliste.

      « Au pays, on voulait que je me marie avec un homme plus âgé, moi je voulais vraiment avoir une carrière et un avenir », poursuit-elle. Mais en attendant, elle vit dans la rue avec d’autres migrants, cherchant des cafés aux alentours qui acceptent qu’elle utilise leurs toilettes. « Jamais je n’aurais imaginé me retrouver dans une telle situation, j’espère que l’OIM va nous trouver une solution ou au moins un abri. » La Tunisie n’a pas de loi régissant les demandeurs d’asile donc de nombreux migrants dans le cas d’Aïcha ne peuvent se tourner que vers les représentants des Nations unies pour demander un statut de réfugié ou demandeur d’asile.

      Depuis le début de la crise déclenchée par le communiqué de la présidence, les associations et organisations internationales disent être submergées par les appels et situations d’urgence. Une chaîne de solidarité organisée par des Tunisiens a été mise en place sur les réseaux sociaux et via le bouche-à-oreille pour apporter des denrées alimentaires à ces migrants et tenter de trouver des logements provisoires pour certains. Mais ce réseau reste discret de peur de tomber dans le viseur des autorités.

      Face à l’ampleur de la crise, les autorités tunisiennes ont indiqué ce week-end, exonérer des pénalités de séjour les migrants en situation irrégulière souhaitant rentrer dans leur pays « assistés par une instance diplomatique, une organisation internationale ou onusienne », un système qui existe déjà depuis 2018 mais avec une clause d’interdiction de retour sur le territoire tunisien.

      https://www.mediapart.fr/journal/international/050323/en-tunisie-le-douloureux-retour-au-pays-des-exilees-subsahariennes

    • On the racist events in Tunisia – Background and Overview

      Current Situation

      “For several months, a racist campaign against Sub-Saharans in Tunisia has been growing. The president himself subscribed to these racist and conspiracy theories and pointed the finger at the Sub-Saharans, accusing them of being ‚hordes‘ and that sub-Saharan immigration is a ‚criminal enterprise‘ whose goal would be to ‚change the demographic composition of Tunisia‘.“ In the press statement published on the 21 February 2023 following a National Security Council meeting, president Kais Saied resurrected many racist and xenophobic tropes used by other fascist movements. He „ordered security forces to take ‚urgent measures‘. … Many „of the estimated 21,000 sub-Saharan African people in Tunisia – most of whom are undocumented – lost their jobs and housing overnight.“ The Association of African Students and Interns in Tunisia highlights that there is an „ongoing systemic campaign of control and arrests targeting [Black immigration], independently from their status, who are not carrying their residency card with them.“ „In the first three weeks of February, at least 1,540 people were detained, mostly in Tunis and provinces near the Algerian border“.

      The situation has become increasingly violent in the last weeks. In addition to the government forces targeting Black people, „violent attacks perpetrated by citizens, who taunt their victims with racial slurs“ are taking place. Attacked people report about fleeing „pogroming mobs consisting of, they said, 20+ Tunisian young men. ‚We were absolutely running for our lives,‘ said Latisha, who screamed at their son to run faster.“ There are accounts about „[a]rmed mobs“ and rape ‚by these mobs’“. On social media torture videos circulate. „In the suburbs of Tunis, a group of Sub-Saharan Africans have been attacked by young Tunisians who have broken down their doors and set fire to their building. Houses were ransacked.“

      „Everyone who falls under the socially constructed category of ‘African’ – those with or without jobs, those with university classes to attend – are too scared to leave their homes because the racist violence has spread to every street in Tunisia.“ A law from 1968 that criminalizes assistance to „illegal residence“ in Tunisia, is now being applied. Patricia Gnahoré explains „that the evictions started around February 9, when alarmist messages began circulating on social networks: landlords would be facing fines and prison sentences if they housed undocumented Sub-Saharans“. While some people are being supported by friends and activists who try to organize support, many have no choice but to sleep outside, with more than 100 people camping at the International Organization for Migration and in front of different embassies.

      „Guinea [and Mali] and Cote d’Ivoire are repatriating their citizens from Tunisia.“ „However, many people living irregularly in Tunisia have accumulated large sums of outstanding fees over the years, too much for them to pay. While Tunisian authorities are themselves pushing migrants to leave, they still insist on cashing in on those who desperately want to.“

      The African Union highlights that they are in „deep shock and concern at the form and substance of the statement targeting fellow Africans, notwithstanding their legal status in the country.“ The events of the last days strongly impacted Tunisia’s image in the African continent and within the African Union. Furthermore, an AU pan-African conference scheduled for mid-March in Tunis has been postponed. Former Senegalese Prime Minister Aminata Touré even called for Tunisia’s AU membership to be suspended and for the country to be excluded from the Africa Cup.
      Solidarity

      Multiple protests have been taking place in Tunisia with demonstrators denouncing the racist and fascist violence. Already on February 25th „over 1,000 people marched through downtown Tunis to protest what they called Saied’s fascist overtures.“ „Henda Chennaoui, one of the principal figures in the country’s new Front Antifasciste … [highlights that this] ‚the first time in the history of the republic that the president used fascist and racist speech to discriminate against the most vulnerable and the marginalised.’“ Protests in front of Tunisian embassies are being organized around the world, such as in Paris, Berlin as well as Canada.

      In the Front antifasciste – Tunisie activists and associations gather to organize support for Black people in the country. „Tunisian and foreign volunteers brought donations of food, water and blankets, along with some tents to help those displaced. … [However,] associations collecting donations [for migrants] are receiving threats.“
      Political Level

      President Saied is distracting from the political and economic situation in the country. He was elected in Fall 2019 and his governing style has become increasingly authoritarian. „Over the last two weeks, a spate of high-profile arrests has rocked Tunisia, as over a dozen political figures, trade unionists and members of the media have been taken into custody on security or graft charges. Some have been dragged from their homes without warrants; others, put on trial before military courts, despite being civilians. Many are being held in what their lawyers say are inhumane conditions, crammed in cells with scores of prisoners and without beds.“ A terrorism law allows the authorities to hold people „for a maximum of 15 days without charge or consultation with a lawyer“.

      In addition, „Saied has neutered parliament and pushed through a new constitution that gives him near-unlimited control and makes it almost impossible to impeach him.“ This was preceded and enabled by a very volatile situation in the country, as „there was increasing fragmentation within the executive branch, among state institutions, within and between political parties, within civil society, and even between regions of the country.“ The political and economic instability in the country, resulted in wide-spread support of his presidency, which has increasingly shifted to repressive centralization of power.

      The statement and development are connecting to a growing populist discourse. „Saied’s crackdown on undocumented sub-Saharan immigrants has taken place in the context of the rise of the hitherto unknown Parti Nationaliste Tunisien, which has been pushing a racist agenda relentlessly since early February. The party has flooded social media with conspiracy theories and dubiously edited videos that have encouraged Tunisians to report on undocumented neighbours before they can ‚colonise‘ the country – the same conspiratorial language adopted by Saied.“
      Economic Level

      Tunisia „is struggling under crippling inflation and debt worth around 80 percent of its gross domestic product (GDP)“. In addition, there is a shortage of basic foods such as rice, which is putting a lot of pressure on the population. ‘Les Africains’ are used as a scapegoat for the lack of products such as rice. „The rice-crisis is not the first time that populations racialized as ‘African’ are blamed for a social and economic disaster in Tunisia, which in reality is a direct consequence of the state’s abandonment of marginalized communities and the pressures of global capitalism.“ However, since the racist tropes are connecting to a familiar discourse, the „crackdown on immigrants and Saied’s political opponents has … won him favour among many in his working-class political base, who have been at the sharp end of a dire economic crisis.“

      The current events seem to have triggered international responses since Italy now supports Tunisia as it „is seeking to obtain a loan from the IMF due to a severe economic crisis.“ This is being explicitly connected to Europe’s border interests (see section on Externalization & Immigration).

      Ultimately these actions are enhancing the dependencies to Europe and weaken pan-African ties. „Kaïs Saied’s economic incompetence – as well as the refusal of North African governments to prioritize regional and inner-African trade which would allow evading dictates from the Global North and its proxies such as the IMF more effectively – are now once more fueling dynamics that in fact counter pan-African cooperation.“ In fact, the „president’s comments could also have direct consequences for Tunisian companies, which have increasingly expanded into other African countries in recent years. Guinean media report that several wholesalers have suspended imports of Tunisian products. Senegalese and Ivoirian importers want to join the boycott.“

      In addition, according to Human Rights Watch „at least 40 students have been detained so far“. This will have a detrimental impact on the education market, since „[f]or Tunisian private universities, students from other African countries are an essential part of their business model.“

      These factors might have contributed to ​​​​​​the statement posted by the government on Facebook on March 5th, attempting to backpedal the racist campaign and highlighting their „astonishment“ about the violence in the last weeks. Apart from now emphasising „Tunisia’s African identity“ and the significance of the anti-discrimination law from 2018, it announces plans to enhance the legal security of African migrants in Tunisia. Whether and how the statement will be implemented remains to be seen, „It appears likely that Tunisia is now also facing a considerable radicalization of its migration policies. […] Saied’s future migration policies, however, are likely to go beyond the ongoing wave of arrests, and in a worst-case scenario, will go even far beyond.“
      Externalization & Immigration

      „While the European Union’s violent securitization apparatus is indeed responsible for the oppression and murder of sub-Saharan migrants (and Tunisians) in Tunisia, the Tunisian state also contributes to their oppression and murder.“ Many people try to travel to Europe via and from Tunisia. „Its proximity to the EU’s external border has made Tunisia a major hub for migrants. Italy’s coasts are only around 150 kilometers (90 miles) away. Tunisia relaxed visa requirements in 2015, allowing many sub-Saharan and North Africans migrants to move to the country and work. … Authorities frequently turned a blind eye to workers without permits who were saving for a journey to Europe.“ This renders Black migrants very vulnerable to exploitation as well as policy changes.

      Already prior to the current escalation Black people experienced discrimination; Shreya Parikh highlighted in August 2022 that „Sub-Saharan women and men who depend on the labour market have spoken to me of persistent exploitation and racialised violence (both verbal and physical) at workplace.“ This is enhanced and enabled by the uncertain legal situation. „In the case of Tunisia, an im/migration non-policy is deliberately maintained by institutional actors at different levels (border police, internal affairs ministry, private legal agencies promising paper-work) because, among others, it is a lucrative site for corruption.“ This affects mostly Black people. „Most sub-Saharan migrants (like Western European migrants) enter Tunisia as legal migrants because of 3-month visa-free policies; but the Tunisian state forces all migrants to become illegal by its refusal to deliver legal documentation. This means that Tunisia also has European migrants living ‘illegally.’ But in the social and political construction of the ‘illegal migrant,’ white bodies never fit. It is the Black and dark-skinned bodies that are assumed to be illegal and criminal, as is clear from arrests of sub-Saharan migrants who carry residence permits, as well as absence of arrests of European ‘illegal’ migrants.“

      The current developments have to be understood in the context of the externalization of the European border. The Tunisian Forum for Social and Economic Rights (FTDES) highlights that the „European border outsourcing policies have contributed for years to transform Tunisia into a key player in the surveillance of Mediterranean migration routes, including the interception of migrant boats outside territorial waters and their transfer to Tunisia. Discriminatory and restrictive policies in Algeria also contribute to pushing migrants to flee to Tunisia. These policies deepen the human tragedy of migrants in a Tunisia in political and socio-economic crisis.“ Sofian Philip Naceur analyses that „[a]s Saieds government continues to play along as the watchdog for the European border regime, though not without ostentatiously displaying its self-interest in migration control, the Italian government is suddenly soliciting financial support for Tunisia’s deeply troubled public coffers from the EU and the International Monetary Fund (IMF). Interesting timing.“

      So far, the President’s statement has only provoked supportive reactions from European politicians. The French far-right politician, Eric Zemmour, who is one of the most prominent supporters of the conspiracy theory of the „Great Replacement“, supported the statement on Twitter. And the Italian foreign minister Antonio Tajani expressed in a phone call with his Tunisian counterpart that „the Italian government is at the forefront of supporting Tunisia in its border control activities, in the fight against human trafficking, as well as in the creation of legal channels to Italy for Tunisian workers and in the creation of training opportunities as an alternative to migration“ without mentioning the current violence at all. Furthermore, Italy is sending 100 more pick-ups worth more than 3.6 million Euro to reinforce the Tunisian Ministry of the Interior in the fight against ‚irregular‘ immigration.

      Or how Le Monde summarizes: „[The chancelleries] have not reacted to the presidential charge against sub-Saharan migrants. And for good reason: Mr. Said is responding rather positively to calls from Europe – primarily Italy – to better lock its maritime borders in order to stem the flow of migrants across the Mediterranean.“

      https://migration-control.info/on-the-racist-events-in-tunisia-background-overview

      via @_kg_

    • Aggressioni razziste e arresti: così la Tunisia diventa un “hotspot informale” dell’Europa

      I discorsi d’odio del presidente tunisino Saied contro presunte “orde di subsahariani irregolari” che minaccerebbero l’identità “arabo-musulmana” del Paese hanno fatto esplodere la tensione accumulata negli ultimi mesi, tra inflazione e penuria di generi di prima necessità. La “Fortezza Europa”, intanto, gongola. Il reportage

      Ogni mattina a Nadège vengono dati dieci dinari per la spesa. Esce di casa, si incammina fino all’alimentari più vicino e compra il necessario per la famiglia per cui lavora. È l’unico momento in cui le è consentito uscire. Altrimenti, Nadège vive e lavora 24 ore su 24, sette giorni su sette, tra le mura della casa di due persone anziane in un quartiere benestante di Tunisi. La sua paga mensile come domestica è di settecento dinari (225 euro), che diventeranno ottocento (240 euro) se “lavorerà bene”.

      Nadège, assicura, è qui per questo: “Sono venuta in Tunisia per metter da parte qualche soldo da mandare ai miei figli, in Costa d’Avorio”, racconta. Suo cugino, però, lavora nei campi di pomodori in Calabria. Le ha consigliato di partire per l’Italia e cercare lavoro lì. “Il cambio euro-franco Cfa è più conveniente di quello dinaro tunisino-franco Cfa. Guadagnando qualche soldo in Europa posso far vivere degnamente i miei due figli, metter da parte qualcosa e poi tornare da loro una volta che ci saremo sistemati”, spiega la trentenne ivoriana. Tre anni fa, Nadège vendeva sigarette lungo la sterrata che dal suo villaggio portava a Abidjan, ma con i lavori del governo per asfaltare la strada, il suo gabbiotto è stato abbattuto e mai più ricostruito. E lei è rimasta senza nulla.

      Nel 2022 anche Nadège ha tentato di imbarcarsi per Lampedusa da una spiaggia del Sud tunisino. A metà strada, però, la guardia costiera ha intercettato la sua barca e l’ha riportata a riva, nel porto di Sfax. Ha perso tutti i soldi che aveva messo da parte e si è ritrovata punto a capo, in Tunisia, a cercar di nuovo lavoro.

      Come nel caso di buona parte dei cittadini subsahariani presenti nel Paese, molti dei quali -a differenza di Nadège- hanno rinunciato all’idea di imbarcarsi, nessuno le ha mai proposto un contratto. Una volta scaduti i tre mesi di visto, il limite massimo per rimanere in Tunisia, tanti di loro rimangono in situazione di irregolarità accumulando una multa per la permanenza oltre i limiti del visto che aumenta di mese in mese. Dopo anni a lavorare, spesso con paghe misere e giornaliere, molti subsahariani rimangono intrappolati nelle maglie della burocrazia tunisina e, pur volendo tentare di regolarizzarsi e ottenere un permesso di soggiorno per rimanere nel Paese, non ci riescono perché non sono in grado di pagare la multa per lo sforamento del visto, che raggiunge un massimo di 3.000 dinari, mille euro. Ecco come i subsahariani finiscono in una sorta di limbo, bloccati in Tunisia, senza poter raggiungere l’Europa, senza poter tornare indietro. Si ritrovano così a costituire la manodopera in nero di aziende tunisine o estere presenti nel Paese, o di famiglie benestanti, che sfruttano la loro posizione precaria di irregolari per sottopagarli.

      Da metà febbraio di quest’anno Nadège ha dovuto rinunciare anche alla spesa quotidiana per paura di uscire dal cortile di casa. Lei, senza documenti, è oggetto di una campagna d’odio che si diffonde a macchia d’olio in Tunisia. È il 21 febbraio quando, dopo giorni di arresti di esponenti dell’opposizione alle politiche di Kais Saied, un comunicato della presidenza tunisina fa il punto sulla “lotta all’immigrazione irregolare nel Paese”, tema che è stato al centro della visita in Tunisia dei ministeri degli Esteri Antonio Tajani e dell’Interno Matteo Piantedosi di fine gennaio.

      Secondo quel comunicato, la Tunisia sarebbe invasa da “orde di subsahariani irregolari” che minaccerebbero “demograficamente” il Paese e la sua identità “arabo-musulmana”. È stata la miccia che ha fatto esplodere la tensione accumulata negli ultimi mesi, tra inflazione galoppante, impoverimento generale della popolazione e penurie continue di generi di prima necessità. A diffondere queste teorie xenofobe da fine 2022 è il cosiddetto Partito nazionalista tunisino, un gruppo di nicchia riconosciuto nel 2018, che ha intensificato la propria campagna sui social network prendendosela con le persone nere presenti in Tunisia. Non solo potenziali persone migranti in situazione di irregolarità che vorrebbero tentare di imbarcarsi verso l’Italia (come dichiarato dalle autorità), ma anche richiedenti asilo e rifugiati, studenti e lavoratori residenti nel Paese, accusati di “rubare il lavoro”, riprendendo gli slogan classici delle destre europee, spesso usati contro i tunisini stessi.

      Da allora in Tunisia si sono moltiplicate non solo le aggressioni razziste, ma anche gli arresti di cittadini subsahariani senza alcun criterio. Secondo un comunicato della Lega tunisina dei diritti umani, per esempio, otto studenti subsahariani regolarmente residenti nel Paese e iscritti nelle università tunisine sarebbero trattenuti senza alcun motivo nel centro di El-Wuardia, un centro gestito dalle autorità tunisine, non regolamentato, dove è complicato monitorare chi entra e chi esce. L’Associazione degli stagisti ivoriani e l’Aesat, la principale organizzazione degli studenti subsahariani in Tunisia, hanno consigliato alle proprie comunità di non uscire.

      Almeno cinquecento subsahariani si troverebbero invece nella prigione di Bouchoucha (Tunisi), senza che si conoscano le accuse nei loro confronti. A seguito delle misure prese dalla presidenza, molti proprietari di alloggi affittati a cittadini subsahariani hanno chiesto loro di lasciare casa, così come diversi datori di lavoro li hanno licenziati da un giorno all’altro per timore di ritorsioni da parte della polizia nei loro confronti. Centinaia di persone si sono così ritrovate per strada, senza stipendio e senza assistenza, rischiando l’arresto arbitrario, esposti a violenze e aggressioni nelle grandi città.

      In centinaia stanno optando per il rimpatrio nel Paese d’origine chiedendo assistenza per il cosiddetto ritorno volontario, che spesso di volontario ha ben poco. “Torniamo indietro per paura”, è il ritornello che ripetono in molti. Le liste per le richieste dei ritorni volontari gestiti dall’Organizzazione internazionale per le migrazioni (Oim) erano già lunghe prima del 21 febbraio, tanto che decine di persone che si sono registrate mesi fa attendono in tende di fortuna costruite con sacchi di plastica lungo la via che porta alla sede dell’Oim, nel quartiere di Lac 1, dove hanno sede diverse organizzazioni internazionali.

      “Non ci è stato messo a disposizione un foyer per l’accoglienza”, si giustifica una fonte interna all’organizzazione puntando il dito contro le autorità tunisine. La tendopoli di Lac 1 era già stata smantellata dalle forze di polizia a giugno 2022 ma alle persone migranti non è stata data un’alternativa. Qualche settimana dopo, infatti, si è riformata poco lontano. Oggi si ingrandisce di giorno in giorno.

      È qui che da fine febbraio un gruppo di volontari si fa carico di fornire acqua e cibo alle duecento persone presenti, rimaste senza assistenza. L’Oim è l’unica alternativa per chi non dispone di documenti validi, chi si trova nell’impossibilità di pagare la multa di 3.000 dinari o chi non ha un’ambasciata in Tunisia a cui rivolgersi, come per esempio i cittadini della Sierra Leone, la cui rappresentanza è stata delegata all’ambasciata d’Egitto.

      Chi può, invece, ha tentato di chiedere aiuto alla propria ambasciata di riferimento, accampandosi di fronte all’entrata. Il primo marzo è atterrato in Tunisia il ministro degli Esteri della Guinea, che ha promesso ai propri cittadini di stanziare fondi per voli di rimpatrio. Il primo aereo a decollare è stato quello della Costa d’Avorio, partito sabato 4 marzo alle 7 del mattino dall’aeroporto di Tunisi con a bordo 145 persone.

      Era giugno 2018 quando la Commissione europea proponeva ad alcuni Paesi africani, tra cui la Tunisia, l’istituzione di piattaforme regionali di sbarco dove smistare, fuori dai confini europei, le richieste di asilo. La risposta all’epoca fu “No, non abbiamo né le capacità né i mezzi”, per citare l’ambasciatore tunisino a Bruxelles Tahar Chérif. Cinque anni più tardi, l’Ue sembra esser riuscita nella propria missione di trasformare la Tunisia in un informale hotspot europeo.

      https://altreconomia.it/aggressioni-razziste-e-arresti-cosi-la-tunisia-diventa-un-hotspot-infor

    • As the disturbing scenes in Tunisia show, anti-migrant sentiments have gone global

      President Saied is scapegoating his country’s small black migrant population to distract from political failings. Does this sound familiar?

      A little more than 10 years ago, calls for freedom and human rights in Tunisia triggered the Arab spring. Today, black migrants in the country are being attacked, spat at and evicted from their homes. The country’s racism crisis is so severe that hundreds of black migrants have been repatriated.

      It all happened quickly, triggered by a speech by the Tunisian president, Kais Saied, at the end of February. He urged security forces to take urgent measures against migrants from sub-Saharan Africa, who he claimed were moving to the country and creating an “unnatural” situation as part of a criminal plan designed to “change the demographic makeup” and turn Tunisia into “just another African country that doesn’t belong to the Arab and Islamic nations any more”. “Hordes of irregular migrants from sub-Saharan Africa” had come to Tunisia, he added, “with all the violence, crime and unacceptable practices that entails”.

      For scale, the black migrant population in Tunisia is about 21,000 out of a population of 12 million, and yet a sudden fixation with their presence has taken over. A general hysteria has unleashed a pogrom on a tiny migrant population whose members have little impact on the country’s economics or politics – reports from human rights organisations tell of night-time raids and daylight stabbings. Hundreds of migrants, now homeless, are encamped, cowering, outside the International Organization for Migration’s offices in Tunis as provocation against them continues to swirl.

      Josephus Thomas, a political refugee from Sierra Leone, spoke to me from the camp, where he is sheltering with his wife and child after they were evicted from their home and his life savings were stolen. They sleep in the cold rain, wash in a nearby park’s public toilet and sleep around a bonfire with one eye open in anticipation of night-time ambushes by Tunisian youths. So far, they have been attacked twice. “There are three pregnant women here, and one who miscarried as she was running for her life.” Due to the poor sanitation, “all the ladies are having infections”, he says. “Even those who have a UNHCR card”, who are formally recognised as legitimate refugees, are not receiving the help they are entitled to. “The system is not working.”

      Behind this manufactured crisis is economic failure and political dereliction. “The president of the country is basically crafting state policy based on conspiracy theories sloshing around dark corners of the internet basement,” Monica Marks, , a professor of Middle East studies and an expert on Tunisia, tells me. The gist of his speech was essentially the “great replacement” theory, but with a local twist. In this version of the myth, Europeans are using black people from sub-Saharan Africa to make Tunisia a black-inhabited settler colony.

      Confecting an immigration crisis is useful, not only as a distraction from Saied’s failures, but as a political strategy to hijack state and media institutions, and direct them away from meaningful political opposition or scrutiny.

      The speed with which the hysteria spread shows that these attitudes had been near the surface all along. Racism towards black Arabs and black sub-Saharan Africans is entrenched in the Arab world – a legacy of slavery and a fetishised Arab ethnic supremacy. In Arab north Africa, racism towards black people is complicated even further by a paranoia of proximity – being situated on the African continent means there is an extreme sensitivity to being considered African at all, or God forbid, black. In popular culture, racist tropes against other black Arabs or Africans are widespread, portraying them as thick, vulgar and unable to speak Arabic without a heavy accent.

      The movement of refugees from and through the global south has further inflamed bigotries and pushed governments, democratic or otherwise, towards extinguishing these people’s human rights. Local histories and international policies create a perfect storm in which it becomes acceptable to attack a migrant in their home because of “legitimate concerns” about economic insecurity and cultural dilution.

      Globally, there is a grim procession of countries that have made scapegoating disempowered outsiders a central plank of government policy. But there is a new and ruthless cruelty to it in the UK and Europe. The European Union tells the British prime minister, Rishi Sunak, that his small boat plans violate international law, but the EU has for years followed an inhumane migrant securitisation policy that captures and detains migrants heading to its shores in brutal prisons run by militias for profit. Among them are a “hellhole” in Libya and heavily funded joint ventures with the human rights-abusing dictatorship in Sudan.

      Only last week, in the middle of this storm, the Italian prime minister, Giorgia Meloni, had a warm call with her Tunisian counterpart, Najla Bouden Romdhane, on, among other topics, “the migration emergency and possible solutions, following an integrated approach”. This sort of bloodless talk of enforcement at all costs, Marks says, “speaks to the ease with which political elites, state officials, can render fascism part of the everyday political present”.

      So where do you turn if you are fleeing war, genocide and sexual violence? If you want to exercise a human right, agreed upon in principle more than 70 years ago, “to seek and enjoy in other countries asylum from persecution”? The answer is anywhere, because no hypothetical deterrent is more terrifying than an unsafe present.

      You will embark on an inhuman odyssey that might end with a midnight raid on your home in Tunis, a drowning in the Channel, or, if you’re lucky, a stay in Sunak and Macron’s newly agreed super-detention centres. People in jeopardy will move. That is certain. All that we guarantee through cynical deterrent policies is that we will make their already fraught journey even more dangerous.

      https://www.theguardian.com/commentisfree/2023/mar/13/tunisia-anti-migrant-sentiments-president-saied

    • Immigrés subsahariens, boucs émissaires pour faire oublier l’hémorragie maghrébine

      Les autorités tunisiennes mènent depuis début juillet une campagne contre les immigrés subsahariens accusés d’« envahir » le pays, allant jusqu’à les déporter en plein désert, à la frontière libyenne. Une politique répressive partagée par les pays voisins qui sert surtout à dissimuler l’émigration maghrébine massive et tout aussi « irrégulière », et à justifier le soutien des Européens.

      La #chasse_à_l’homme à laquelle font face les immigrés subsahariens en Tunisie, stigmatisés depuis le mois de février par le discours officiel, a une nouvelle fois mis en lumière le flux migratoire subsaharien vers ce pays du Maghreb, en plus d’ouvrir les vannes d’un discours raciste décomplexé. Une ville en particulier est devenue l’objet de tous les regards : Sfax, la capitale économique (270 km au sud de Tunis).

      Le président tunisien Kaïs Saïed s’est publiquement interrogé sur le « choix » fait par les immigrés subsahariens de se concentrer à Sfax, laissant flotter comme à son habitude l’impression d’un complot ourdi. En réalité et avant même de devenir une zone de départ vers l’Europe en raison de la proximité de celle-ci, l’explication se trouve dans le relatif dynamisme économique de la ville et le caractère de son tissu industriel constitué de petites entreprises familiales pour une part informelles, qui ont trouvé, dès le début de la décennie 2000, une opportunité de rentabilité dans l’emploi d’immigrés subsahariens moins chers, plus flexibles et employables occasionnellement. Au milieu de la décennie, la présence de ces travailleurs, devenue très visible, a bénéficié de la tolérance d’un État pourtant policier, mais surtout soucieux de la pérennité d’un secteur exportateur dont il a fait une de ses vitrines.
      L’arbre qui ne cache pas la forêt

      Or, focaliser sur la présence d’immigrés subsahariens pousse à occulter une autre réalité, dont l’évolution est autrement significative. Le paysage migratoire et social tunisien a connu une évolution radicale, et le nombre de Tunisiens ayant quitté illégalement le pays a explosé, les plaçant en tête des contingents vers l’Europe, aux côtés des Syriens et des Afghans comme l’attestent les dernières #statistiques. Proportionnellement à sa population, la Tunisie deviendrait ainsi, et de loin, le premier pays pourvoyeur de migrants « irréguliers », ce qui donne la mesure de la crise dans laquelle le pays est plongé. En effet, sur les deux principales routes migratoires, celle des Balkans et celle de Méditerranée centrale qui totalisent près de 80 % des flux avec près de 250 000 migrants irréguliers sur un total de 320 000, les Tunisiens se placent parmi les nationalités en tête. Avec les Syriens, les Afghans et les Turcs sur la première route et en seconde position après les Égyptiens et avant les Bengalais et les Syriens sur la deuxième.

      La situation n’est pas nouvelle. Durant les années 2000 — 2004 durant lesquelles les traversées « irrégulières » se sont multipliées, les Marocains à eux seuls étaient onze fois plus nombreux que tous les autres migrants africains réunis. Les Algériens, dix fois moins nombreux que leurs voisins, arrivaient en deuxième position. Lorsque la surveillance des côtes espagnoles s’est renforcée, les migrations « irrégulières » se sont rabattues vers le sud de l’Italie, mais cette répartition s’est maintenue. Ainsi en 2006 et en 2008, les deux années de pics de débarquement en Sicile, l’essentiel des migrants (près de 80 %) est constitué de Maghrébins (les Marocains à eux seuls représentant 40 %), suivis de Proche-Orientaux, alors que la part des subsahariens reste minime.

      La chose est encore plus vraie aujourd’hui. À l’échelle des trois pays du Maghreb, la migration « irrégulière » des nationaux dépasse de loin celle des Subsahariens, qui est pourtant mise en avant et surévaluée par les régimes, pour occulter celle de leurs citoyens et ce qu’elle dit de l’échec de leur politique. Ainsi, les Subsahariens, qui ne figurent au premier plan d’aucune des routes partant du Maghreb, que ce soit au départ de la Tunisie et de la Libye ou sur la route de Méditerranée occidentale (départ depuis l’Algérie et le Maroc), où l’essentiel des migrants est originaire de ces deux pays et de la Syrie. C’est seulement sur la route dite d’Afrique de l’Ouest (qui inclut des départs depuis la façade atlantique de la Mauritanie et du Sahara occidental) que les migrants subsahariens constituent d’importants effectifs, même s’ils restent moins nombreux que les Marocains.
      Négocier une rente géopolitique

      L’année 2022 est celle qui a connu la plus forte augmentation de migrants irréguliers vers l’Europe depuis 2016. Mais c’est aussi celle qui a vu les Tunisiens se placer dorénavant parmi les nationalités en tête de ce mouvement migratoire, alors même que la population tunisienne est bien moins importante que celle des autres nationalités, syrienne ou afghane, avec lesquelles elle partage ce sinistre record.

      Ce n’est donc pas un effet du hasard si le président tunisien s’est attaqué aux immigrés subsahariens au moment où son pays traverse une crise politique et économique qui amène les Tunisiens à quitter leur pays dans des proportions inédites. Il s’agit de dissimuler ainsi l’ampleur du désastre.

      De plus, en se présentant comme victimes, les dirigeants maghrébins font de la présence des immigrés subsahariens un moyen de pression pour négocier une rente géopolitique de protection de l’Europe et pour se prémunir contre les critiques.

      Reproduisant ce qu’avait fait vingt ans plus tôt le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi avec l’Italie pour négocier sa réintégration dans la communauté internationale, le Maroc en a fait un outil de sa guerre diplomatique contre l’Espagne, encourageant les départs vers la péninsule jusqu’à ce que Madrid finisse par s’aligner sur ses thèses concernant le Sahara occidental. Le raidissement ultranationaliste que connait le Maghreb, entre xénophobie d’État visant les migrants et surenchère populiste de défiance à l’égard de l’Europe, veut faire de la question migratoire un nouveau symbole de souverainisme, avec les Subsahariens comme victimes expiatoires.
      Déni de réalité

      Quand il leur faut justifier la répression de ces immigrés, les régimes maghrébins parlent de « flots », de « hordes » et d’« invasion ». Ils insistent complaisamment sur la mendicité, particulièrement celle des enfants. Une image qui parle à bon nombre de Maghrébins, car c’est la plus fréquemment visible, et cette mendicité, parfois harcelante, peut susciter de l’irritation et nourrir le discours raciste.

      Cette image-épouvantail cache la réalité d’une importante immigration de travail qui, en jouant sur les complémentarités, a su trouver des ancrages dans les économies locales, et permettre une sorte d’« intégration marginale » dans leurs structures. Plusieurs décennies avant que n’apparaisse l’immigration « irrégulière » vers l’Europe, elle était déjà présente et importante au Sahara et au Maghreb.

      Depuis les années 1970, l’immigration subsaharienne fournit l’écrasante majorité de la main-d’œuvre, tous secteurs confondus, dans les régions sahariennes maghrébines, peu peuplées alors, mais devenues cependant essentielles en raison de leurs richesses minières (pétrole, fer, phosphate, or, uranium) et de leur profondeur stratégique. Ces régions ont connu de ce fait un développement et une urbanisation exceptionnels impulsés par des États soucieux de quadriller des territoires devenus stratégiques et souvent objets de litiges. Cette émigration s’est étendue à tout le Sahel à mesure du développement et du désenclavement de ces régions sahariennes où ont fini par émerger d’importants pôles urbains et de développement, construits essentiellement par des Subsahariens. Ceux-ci y résident et, quand ils n’y sont pas majoritaires, forment de très fortes minorités qui font de ces villes sahariennes de véritables « tours de Babel » africaines.

      À partir de cette matrice saharienne, cette immigration s’est diffusée graduellement au nord, tout en demeurant prépondérante au Sahara, jusqu’aux villes littorales où elle s’est intégrée à tous les secteurs sans exception : des services à l’agriculture et à la domesticité, en passant par le bâtiment. Ce secteur est en effet en pleine expansion et connait une tension globale en main-d’œuvre qualifiée, en plus des pénuries ponctuelles ou locales au gré de la fluctuation des chantiers. Ses plus petites entreprises notamment ont recours aux Subsahariens, nombreux à avoir les qualifications requises. Même chose pour l’agriculture dont l’activité est pour une part saisonnière alors que les campagnes se vident, dans un Maghreb de plus en plus urbanisé.

      On retrouve dorénavant ces populations dans d’autres secteurs importants comme le tourisme au Maroc et en Tunisie où après les chantiers de construction touristiques, elles sont recrutées dans les travaux ponctuels d’entretien ou de service, ou pour effectuer des tâches pénibles et invisibles comme la plonge. Elles sont également présentes dans d’autres activités caractérisées par l’informel, la flexibilité et la précarité comme la domesticité et certaines activités artisanales ou de service.
      Ambivalence et duplicité

      Mais c’est par la duplicité que les pouvoirs maghrébins font face à cette migration de travail tolérée, voire sollicitée, mais jamais reconnue et maintenue dans un état de précarité favorisant sa réversibilité. C’est sur les hauteurs prisées d’Alger qu’on la retrouve. C’est là qu’elle construit les villas des nouveaux arrivants de la nomenklatura, mais c’est là aussi qu’on la rafle. C’est dans les familles maghrébines aisées qu’est employée la domestique noire africaine, choisie pour sa francophonie, marqueur culturel des élites dirigeantes. On la retrouve dans le bassin algéro-tunisien du bas Sahara là où se cultivent les précieuses dattes Deglet Nour, exportées par les puissants groupes agrolimentaires. Dans le cœur battant du tourisme marocain à Marrakech et ses arrière-pays et dans les périmètres irrigués marocains destinés à l’exportation. À Nouadhibou, cœur et capitale de l’économie mauritanienne où elle constitue un tiers de la population. Et au Sahara, obsession territoriale de tous les régimes maghrébins, dans ces pôles d’urbanisation et de développement conçus par chacun des pays maghrébins comme des postes avancés de leur nationalisme, mais qui, paradoxalement, doivent leur viabilité à une forte présence subsaharienne. En Libye, dont l’économie rentière dépend totalement de l’immigration, où les Subsahariens ont toujours été explicitement sollicités, mais pourtant en permanence stigmatisés et régulièrement refoulés.

      Enfin, parmi les milliers d’étudiants subsahariens captés par un marché de l’enseignement supérieur qui en a fait sa cible, notamment au Maroc et en Tunisie et qui, maitrisant mieux le français ou l’anglais, deviennent des recrues pour les services informatiques, la communication, la comptabilité du secteur privé national ou des multinationales et les centres d’appel.
      Un enjeu national

      Entre la reconnaissance de leur utilité et le refus d’admettre une installation durable de ces populations, les autorités maghrébines alternent des phases de tolérance et de répression, ou de maintien dans les espaces de marge, en l’occurrence au Sahara.

      La négation de la réalité de l’immigration subsaharienne par les pays maghrébins ne s’explique pas seulement par le refus de donner des droits juridiques et sociaux auxquels obligerait une reconnaissance, ni par les considérations économiques, d’autant que la vie économique et sociale reste régie par l’informel au Maghreb. Cette négation se légitime aussi du besoin de faire face à une volonté de l’Europe d’amener les pays du Maghreb à assumer, à sa place, les fonctions policières et humanitaires d’accueil et de régulation d’une part d’exilés dont ils ne sont pas toujours destinataires. Mais le véritable motif consiste à éviter de poser la question de la présence de ces migrants sur le terrain du droit. C’est encore plus vrai pour les réfugiés et les demandeurs d’asile. Reconnaître des droits aux réfugiés, mais surtout reconnaitre leur présence au nom des droits humains pose en soi la question de ces droits, souvent non reconnus dans le cadre national. Tous les pays maghrébins ont signé la convention de Genève et accueilli des antennes locales du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (UNHCR), mais aucun d’entre eux n’a voulu reconnaître en tant que tels des immigrés subsahariens qui ont pourtant obtenu le statut de réfugié auprès de ces antennes.

      En 2013, entre la pression d’une société civile galvanisée par le Mouvement du 20 février et le désir du Palais de projeter une influence en Afrique pour obtenir des soutiens à sa position sur le Sahara occidental, le Maroc avait promulgué une loi qui a permis temporairement de régulariser quelques dizaines de milliers de migrants. Elle devait aboutir à la promulgation d’un statut national du droit d’asile qui n’a finalement pas vu le jour. Un tel statut, fondé sur le principe de la protection contre la persécution de la liberté d’opinion, protègerait également les citoyens maghrébins eux-mêmes. Or, c’est l’absence d’un tel statut qui a permis à la Tunisie de livrer à l’Algérie l’opposant Slimane Bouhafs, malgré sa qualité de réfugié reconnue par l’antenne locale du HCR. C’est cette même lacune qui menace son compatriote, Zaki Hannache, de connaître le même sort.

      https://orientxxi.info/magazine/immigres-subsahariens-boucs-emissaires-pour-faire-oublier-l-hemorragie,6

      #répression #Sfax #migrants_tunisiens #rente_géopolitique #souverainisme #afflux #invasion #mendicité #économie #travail #émigration #immigration #précarité #précarisation #marginalisation

    • Tunisie : Pas un lieu sûr pour les migrants et réfugiés africains noirs

      Des forces de sécurité maltraitent des migrants ; l’Union européenne devrait suspendre son soutien au contrôle des migrations

      - La police, l’armée et la garde nationale tunisiennes, y compris les garde-côtes, ont commis de graves abus à l’encontre de migrants, de réfugiés et de demandeurs d’asile africains noirs.
      - Pour les Africains noirs, la Tunisie n’est ni un lieu sûr pour le débarquement de ressortissants de pays tiers interceptés ou sauvés en mer, ni un « pays tiers sûr » pour les transferts de demandeurs d’asile.
      - La Tunisie devrait mener des réformes de façon à respecter les droits humains et mettre fin à la discrimination raciale. L’Union européenne devrait suspendre le financement des forces de sécurité destiné au contrôle des migrations, et fixer des critères de référence en matière de droits humains auxquels conditionner son soutien futur.

      La police, l’armée et la garde nationale tunisiennes, y compris les garde-côtes, ont commis de graves abus à l’encontre de migrants, de réfugiés et de demandeurs d’asile africains noirs, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Parmi les abus documentés figurent des passages à tabac, le recours à une force excessive, certains cas de torture, des arrestations et détentions arbitraires, des expulsions collectives, des actions dangereuses en mer, des évictions forcées, ainsi que des vols d’argent et d’effets personnels.

      Pourtant, le 16 juillet, l’Union européenne (UE) a annoncé la signature d’un protocole d’accord avec la Tunisie, portant sur un nouveau « partenariat stratégique » et un financement allant jusqu’à un milliard d’euros, dont 105 millions d’euros sont destinés à « la gestion des frontières, [...] des opérations de recherche et sauvetage, […] la lutte contre le trafic de migrants et [...] la politique de retour ». Le Premier ministre néerlandais Mark Rutte a souligné que le partenariat porterait notamment sur « le renforcement des efforts visant à mettre un terme à la migration clandestine ». Le protocole d’accord, qui doit être formellement approuvé par les États membres de l’UE, ne prévoit aucune garantie sérieuse que les autorités tunisiennes empêcheront les violations des droits des migrants et des demandeurs d’asile, et que le soutien financier ou matériel de l’UE ne parviendra pas à des entités responsables de violations des droits humains.

      « Les autorités tunisiennes ont maltraité des étrangers africains noirs, alimenté des attitudes racistes et xénophobes, et renvoyé de force des personnes fuyant par bateau qui risquent de subir de graves préjudices en Tunisie », a déclaré Lauren Seibert, chercheuse au sein de la division Droits des réfugiés et migrants de Human Rights Watch. « En finançant les forces de sécurité qui commettent des abus lors de contrôles migratoires, l’UE partage la responsabilité de la souffrance des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile en Tunisie ».

      Au total, entre 2015 et 2022, l’UE a consacré à la Tunisie entre 93 et 178 millions d’euros pour des objectifs liés aux migrations, dont une partie a renforcé et équipé les forces de sécurité afin de prévenir les migrations irrégulières et d’arrêter les bateaux à destination de l’Europe. L’UE devrait suspendre le financement des forces de sécurité tunisiennes destiné au contrôle des migrations et soumettre tout nouveau soutien à des critères clairs en matière de droits humains, a déclaré Human Rights Watch. Les États membres de l’UE devraient suspendre leur soutien à la gestion des migrations et des frontières dans le cadre du protocole d’accord récemment signé avec la Tunisie, jusqu’à ce qu’une évaluation approfondie de son impact sur les droits humains soit réalisée.

      Outre les abus attestés des forces de sécurité, les autorités tunisiennes n’ont pas assuré de manière adéquate une protection, une justice ou un soutien aux nombreuses victimes d’évictions forcées et d’attaques racistes, et ont même parfois bloqué ces efforts. C’est pourquoi, pour les Africains noirs, la Tunisie n’est ni un lieu sûr pour le débarquement de ressortissants de pays tiers interceptées ou sauvées en mer, ni un « pays tiers sûr » pour les transferts de demandeurs d’asile.

      Depuis mars, Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques et en personne avec 24 personnes — 22 hommes, ainsi qu’une femme et une fille — qui vivaient en Tunisie, dont 19 migrant·e·s, quatre demandeur·euse·s d’asile et un réfugié, originaires du Sénégal, du Mali, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée, de la Sierra Leone, du Cameroun et du Soudan. Dix-neuf personnes étaient entrées en Tunisie entre 2017 et 2022 : douze de manière irrégulière et sept de manière régulière. Pour cinq personnes interrogées, la date et le mode d’entrée n’étaient pas connus. Certaines des personnes interrogées ne sont pas nommées pour des raisons de sécurité ou à leur demande.

      Human Rights Watch a également mené des entretiens avec quatre représentants de groupes de la société civile en Tunisie — le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), Avocats sans frontières (ASF), EuroMed Rights et Alarm Phone, un réseau de lignes téléphoniques d’urgence —, ainsi qu’un volontaire qui a aidé des réfugiés à Tunis ; Elizia Volkmann, journaliste basée à Tunis ; et Monica Marks, professeure d’université et spécialiste de la Tunisie. Tous les sept avaient interrogé ou aidé des dizaines de migrants, de demandeurs d’asile et de réfugiés en Tunisie, et étaient informés des cas d’abus commis par la police ou les garde-côtes ou les avaient documentés.

      Parmi les migrants, demandeurs d’asile et réfugiés interrogés, neuf étaient rentrés dans leur pays à bord de vols de rapatriement d’urgence en mars, tandis que huit étaient restés à Tunis, la capitale tunisienne, ou à Sfax, une ville portuaire située au sud-est de Tunis. Sept d’entre eux faisaient partie des quelque 1 200 Africains noirs expulsés ou transférés de force par les forces de sécurité tunisiennes aux frontières terrestres avec la Libye et l’Algérie au début du mois de juillet.

      Au total, 22 personnes interrogées ont été victimes de violations de leurs droits humains commises par les autorités tunisiennes.

      Bien que les violations documentées aient eu lieu entre 2019 et 2023, elles se sont majoritairement produites après que le président Kais Saied, en février 2023, a ordonné aux forces de sécurité de réprimer la migration irrégulière, associant les migrants africains sans papiers à la criminalité et à un « complot » visant à modifier la structure démographique de la Tunisie. Le discours du président, qualifié de raciste par les experts des Nations Unies, a été suivi d’un déferlement de discours de haine, de discrimination et d’agressions.

      Quinze personnes interrogées ont déclaré avoir subi des violences de la part de la police, de l’armée ou de la garde nationale y compris des garde-côtes. Parmi ces personnes figurent un réfugié et un demandeur d’asile qui ont été battus et ont reçu des décharges électriques lors de leur détention par la police à Tunis. Cinq personnes ont déclaré que les autorités avaient confisqué leur argent ou leurs effets personnels et ne les leur avaient jamais rendus.

      Les sept personnes interrogées expulsées vers les zones frontalières en juillet ont déclaré que l’armée et la garde nationale les avaient laissées dans le désert avec des quantités insuffisantes de nourriture et d’eau. Si certaines ont été réinstallées en Tunisie une semaine plus tard par les autorités tunisiennes, d’autres avaient encore besoin d’aide ou étaient portés disparus.

      Au moins neuf personnes interrogées ont été arrêtées et détenues arbitrairement par la police à Tunis, Ariana et Sfax, apparemment au faciès, en raison de leur couleur de peau. Ces personnes ont déclaré que les policiers n’avaient pas vérifié leurs papiers avant de les arrêter et que, dans la plupart des cas, ils n’avaient pas procédé à une évaluation individuelle de leur statut légal et ne leur avaient pas permis de contester leur arrestation.

      Un Malien de 31 ans interrogé avait une carte de séjour valide lorsque la police l’a arrêté arbitrairement à la mi-2022 à Ariana. « Ils ne m’ont pas demandé si j’avais des documents ou non », a-t-il déclaré. « Mon ami a été arrêté avec moi [...], [c’est] un militaire guinéen venu en Tunisie pour se faire soigner. Il avait un passeport avec un cachet d’entrée [valide] ».

      Cinq personnes ont décrit des abus commis pendant ou après des interceptions et des sauvetages en mer près de Sfax, apparemment par la garde nationale maritime, également appelée garde côtière. Il s’agit notamment de passages à tabac, de vols, de l’abandon d’un bateau à la dérive sans moteur, du renversement d’un bateau, d’insultes et de crachats à l’encontre des survivants.

      Trois représentants de groupes de la société civile interrogés ont également décrit les pratiques de plus en plus problématiques des garde-côtes depuis 2022, notamment des passages à tabac, l’utilisation dangereuse de gaz lacrymogènes, des tirs en l’air, le fait de prendre ou d’endommager les moteurs des bateaux et de laisser les gens bloqués en mer, la création de vagues qui font chavirer les bateaux, des retards dans les sauvetages, et des vols d’argent et de téléphones.

      Human Rights Watch a écrit aux ministères tunisiens des Affaires étrangères et de l’Intérieur le 28 juin pour leur faire part des résultats de ses recherches et leur poser des questions, mais n’a reçu aucune réponse.

      Outre les abus des forces de sécurité, au moins 12 hommes interrogés ont déclaré avoir été victimes d’abus de la part de civils tunisiens : parmi eux, dix ont été agressés ou victimes de vols, et cinq ont été victimes d’évictions forcées par des propriétaires civils. Hormis deux de ces incidents, tous se sont produits après le discours de février du président Saeid.

      Dans les mois qui ont suivi ce discours, et dans le contexte de la détérioration de la situation économique de la Tunisie, de l’aggravation de la répression et de la violence xénophobe, et de l’augmentation des départs de bateaux et des décès en mer, plus d’une dizaine de responsables européens se sont rendues en Tunisie pour discuter d’économie, de sécurité et de migration avec des responsables politiques tunisiens. Le ministre de l’Intérieur allemand a évoqué l’importance des « droits humains des réfugiés » et la « création de voies d’immigration légales », mais peu d’autres ont mentionné publiquement les préoccupations en matière de droits humains. Le ministre de l’Intérieur français a déclaré que la France offrirait à la Tunisie 25,8 millions d’euros pour l’aider à « contenir le flux irrégulier de migrants ».

      Des millions d’euros de financements de l’UE et de financements bilatéraux — notamment de la part de l’Italie — ont déjà permis de soutenir, d’équiper et de former les garde-côtes tunisiens, les « forces de sécurité intérieure » et les « institutions de gestion des frontières terrestres ».

      L’« externalisation » des frontières, qui consiste à empêcher les arrivées irrégulières en confiant les contrôles migratoires à des pays tiers, est devenue un élément central de la réponse de l’UE aux migrations mixtes et a donné lieu à des violations flagrantes des droits humains. De plus, le soutien aux forces de sécurité qui commettent des abus ne fait qu’exacerber les violations des droits humains qui sont à l’origine des migrations.

      « L’UE et le gouvernement tunisien devraient réorienter fondamentalement leur manière d’aborder les défis migratoires », a déclaré Lauren Seibert. « Le contrôle des frontières ne justifie aucunement que les droits soient bafoués et les responsabilités en matière de protection internationale ignorées ».

      Contexte des migrations et de la situation des réfugiés en Tunisie

      La Tunisie est un pays d’origine, de destination et de transit pour les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile. Au premier semestre 2023, elle a dépassé la Libye comme point de départ des bateaux accostant en Italie. Selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), sur les 69 599 personnes arrivées en Italie entre le 1er janvier et le 9 juillet par la mer Méditerranée, 37 720 étaient parties de Tunisie, 28 558 de Libye, et les autres de Turquie et d’Algérie.

      Les pays d’origine les plus courants pour les personnes arrivant en Italie étaient, par ordre décroissant, la Côte d’Ivoire, l’Égypte, la Guinée, le Pakistan, le Bangladesh, la Tunisie, la Syrie, le Burkina Faso, le Cameroun et le Mali. Le Cameroun, le Burkina Faso, le Mali et la Guinée ont été confrontés ces dernières années à des violations généralisées des droits humains liées à des conflits, à des coups d’État ou à des mesures de répression gouvernementales.

      Selon une estimation officielle datant de 2021, 21 000 étrangers originaires de pays africains non maghrébins se trouvent en Tunisie, dont la population est de 12 millions d’habitants. Depuis janvier, le pays a accueilli 9 000 réfugiés et demandeurs d’asile enregistrés. La Tunisie est un État partie aux Conventions des Nations Unies et de l’Afrique relatives au statut des réfugiés, et sa Constitution prévoit le droit à l’asile politique. Cependant, elle ne dispose pas d’une loi ou d’un système national d’asile. C’est le HCR qui effectue l’enregistrement des réfugiés et détermine leur statut.

      Bien que les normes internationales en matière de droits humains découragent la criminalisation de la migration irrégulière, les lois tunisiennes datant de 1968 et de 2004 criminalisent l’entrée, le séjour et la sortie irréguliers d’étrangers, ainsi que l’organisation ou l’aide à l’entrée ou à la sortie irrégulières, sanctionnées par des peines d’emprisonnement et des amendes. La Tunisie n’a pas de base légale explicite pour la détention administrative des immigrants, mais de nombreuses organisations ont documenté des cas de détention arbitraire de migrants africains. Pour plusieurs nationalités africaines, la Tunisie autorise les séjours de 90 jours sans visa avec tampon d’entrée, mais l’obtention d’une carte de séjour peut se révéler difficile.

      Selon le FTDES (un forum non gouvernemental), entre janvier et mai 2023, les autorités tunisiennes ont arrêté plus de 3 500 migrants pour « séjour irrégulier » et intercepté plus de 23 000 personnes tentant de quitter la Tunisie de manière irrégulière. Romdhane Ben Amor, porte-parole du FTDES, a déclaré à Human Rights Watch que la plupart des arrestations de migrants enregistrées ont eu lieu aux abords de la frontière algérienne, mais qu’après le discours du président, des centaines d’entre elles ont également eu lieu à Tunis, à Sfax et dans d’autres villes.

      Expulsions collectives aux frontières avec la Libye et l’Algérie

      Entre le 2 et le 5 juillet 2023, la police, la garde nationale et l’armée tunisiennes ont mené des raids à Sfax et dans ses environs, arrêtant arbitrairement des centaines d’étrangers africains noirs de nombreuses nationalités, en situation régulière ou irrégulière. La garde nationale et l’armée ont expulsé ou transféré de force, sans aucun respect des procédures légales, jusqu’à 1 200 personnes, réparties en plusieurs groupes, vers les frontières libyenne et algérienne.

      Selon cinq personnes interrogées qui ont été expulsées, les autorités ont conduit environ 600 à 700 personnes vers le sud jusqu’à la frontière libyenne, non loin de la ville de Ben Guerdane. Elles en ont conduit des centaines d’autres vers l’ouest, à divers endroits le long de la frontière algérienne, dans les gouvernorats de Tozeur, Gafsa et Kasserine, selon deux personnes expulsées, des représentants des Nations Unies, le FTDES et le réseau Alarm Phone.

      Parmi les centaines de personnes expulsées vers une zone éloignée et militarisée située à la frontière entre la Tunisie et la Libye, se trouvaient au moins 29 enfants et trois femmes enceintes. Au moins six d’entre elles étaient des demandeurs d’asile enregistrés auprès du HCR. Les personnes interrogées ont déclaré avoir été battues et agressées par des membres de la garde nationale ou des militaires pendant leur expulsion ; une jeune fille de 16 ans, notamment, a affirmé avoir été agressée sexuellement. Ces personnes ont ajouté que les agents de sécurité avaient jeté leur nourriture, détruit leurs téléphones et les avaient laissées dans une zone d’où, repoussées par les forces de sécurité des deux pays, elles ne pouvaient ni entrer en Libye ni retourner en Tunisie. Elles ont fourni les positions GPS des endroits où elles se trouvaient du 2 au 4 juillet, ainsi que des vidéos et des photos des personnes expulsées, de leurs blessures, des téléphones brisés, des passeports, des cartes consulaires et des cartes de demandeur d’asile.

      Le 7 juillet, Human Rights Watch a interrogé deux personnes qui avaient été expulsées ou transférées de force vers ou près de la frontière algérienne les 4 et 5 juillet. Elles se trouvaient dans deux groupes différents totalisant 15 personnes dont sept femmes — y compris deux femmes enceintes — et un enfant. Selon leurs dires, elles ont été transportées depuis Sfax dans des bus, forcées de marcher dans le désert sans nourriture ni eau suffisantes, et repoussées par les forces de sécurité algériennes et tunisiennes. Une demandeuse d’asile guinéenne a communiqué la position GPS de son groupe, dans le gouvernorat de Gafsa, tandis qu’un Ivoirien a partagé la position du sien, dans le gouvernorat de Kasserine. Ils ont également fourni des vidéos de leurs groupes marchant dans le désert.

      Dans une déclaration du 8 juillet, le président Saied a qualifié les accusations d’abus commis par les forces de sécurité à l’encontre des migrants de « mensonges » et de « fausses informations ». Le week-end du 8 juillet, les équipes du Croissant-Rouge tunisien ont fourni de la nourriture, de l’eau et une aide médicale à quelques migrants qui se trouvaient aux frontières de l’Algérie et de la Libye, ou à proximité. Il s’agit du seul groupe d’aide humanitaire que les autorités tunisiennes ont autorisé à pénétrer dans la zone frontalière avec la Libye.

      Le 10 juillet, les autorités tunisiennes ont finalement transféré plus de 600 personnes de la frontière libyenne vers des abris de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et d’autres installations à Ben Guerdane, Medenine et Tataouine, selon des représentants des Nations Unies et un Ivoirien qui se trouvait parmi les personnes emmenées à Medenine, qui a fourni sa localisation. Cependant, le 11 juillet, Human Rights Watch s’est entretenu avec deux migrants affirmant qu’ils faisaient partie d’un groupe de plus de cent personnes expulsées toujours bloquées à la frontière libyenne. Ils ont fourni des vidéos et leur localisation.
      Des migrant·e·s aux deux frontières ont déclaré à Human Rights Watch et à d’autres que plusieurs avaient péri ou avaient été tués à la suite d’une expulsion, bien que Human Rights Watch n’ait pas pu confirmer leurs récits de manière indépendante. Le 11 juillet, l’Agence France-Presse a indiqué que les corps de deux migrants avaient été retrouvés dans le désert près de la frontière entre la Tunisie et l’Algérie. Al Jazeera, qui s’est rendu à plusieurs reprises dans la zone frontalière entre la Tunisie et la Libye, a publié des images du 11 juillet montrant deux groupes de migrant·e·s africain·e·s toujours bloqué·e·s — plus de 150 personnes au total — et le corps d’un migrant décédé.

      La Tunisie est un État partie à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale ; à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, qui interdit les expulsions collectives ; ainsi qu’aux Conventions des Nations Unies et de l’Afrique relatives au statut des réfugiés, à la Convention contre la torture et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui interdisent les retours forcés ou les expulsions vers des pays où les personnes risquent d’être torturées, de voir leur vie ou leur liberté menacées, ou de subir d’autres préjudices graves.

      Abus commis par la police

      Outre les personnes expulsées, onze personnes interrogées ont été victimes d’abus de la part de la police à Tunis, à Sfax, à Ariana et dans une ville proche de la frontière algérienne ; parmi celles-ci, au moins huit ont subi des violences. Deux ont déclaré que la police les avait expulsées de force de leur logement. Sept ont fait état d’insultes racistes de la part de la police et l’une d’entre elles a été menacée de mort.

      Sidy Mbaye, un Sénégalais de 25 ans rapatrié en mars, était entré en Tunisie de manière irrégulière en 2021 et travaillait comme vendeur ambulant. Il a décrit les abus commis par la police à Tunis :

      [Le 25 février], je suis allé en ville pour vendre des téléphones, des T-shirts et des tissus au marché [...]. Trois policiers se sont approchés de moi et m’ont demandé ma nationalité. Ils ont dit : « Tu as entendu ce que le président a dit ? Tu dois partir [...] ». Ils ne m’ont demandé aucun document. Ils ont pris toute ma marchandise [...]. J’ai [résisté] [...] ils m’ont durement battu, me donnant des coups de poing et me frappant avec des matraques. Du sang coulait de mon nez [...].

      Ils m’ont emmené au poste de police, m’ont mis dans une cellule et ont continué à me frapper et à m’insulter [...]. Ils ont dit quelque chose sur le fait que j’étais noir [...]. Ils ne m’ont toujours pas demandé de documents. J’y ai passé une journée. Je refusais de partir parce que je voulais récupérer mes affaires, mais j’ai fini par partir. Ils m’ont menacé et m’ont dit : « Si tu reviens et que tu vends encore ces choses, on va te tuer. Quittez le pays immédiatement ». [...] Là où je vivais avec cinq autres Sénégalais, le propriétaire était un policier [...] En revenant, nous avons trouvé nos affaires dehors.

      Papi Sakho, un Sénégalais de 29 ans qui est venu à Tunis de manière irrégulière pour travailler, a été victime de violences et d’une éviction forcée par la police avant d’être rapatrié, en mars :

      Fin février [...], cinq officiers de police sont venus [...]. Nous étions quatre en train de travailler au garage-lavage, moi, deux Gambiens et un Ivoirien. [...] Ils ne nous ont pas demandé nos papiers [...]. Ils nous criaient dessus, nous insultaient [...] Ils m’ont battu durement avec des matraques [...]. L’Ivoirien était blessé et saignait [...] ils ont fermé notre garage [...]. Et c’est nous qui lavions habituellement leurs voitures de police !

      La police nous a alors conduits à notre logement et a averti le propriétaire que nous n’avions plus le droit d’y rester. [...]. Ils ont pris nos bagages et les ont mis dehors [...]. Mon passeport est resté à l’intérieur. La police a pris mes deux téléphones [...]. Les autres m’ont dit que la police avait pris une partie de leur argent.

      Moussa Baldé, mécanicien sénégalais de 30 ans, a déclaré être arrivé en Tunisie en 2021 avec un visa de travail. Il s’est rendu à Tunis en février 2023 pour acheter des pièces détachées. « Un policier a arrêté mon taxi, m’a fait descendre et m’a poussé. Il m’a dit : “Tu es noir, tu n’as pas le droit d’être ici [...]”. Il ne m’a pas demandé mes papiers, il m’a juste indexé à cause de la couleur de ma peau. [Au poste de police,] deux policiers m’ont donné des coups de poing et m’ont frappé. Ils ne m’ont donné à manger qu’une seule fois pendant les deux jours [de détention], et j’ai dormi par terre ». La police ne lui a posé aucune question sur son statut juridique. « Ils m’ont dit : “Nous allons te libérer, mais tu dois quitter le pays” ».

      Abdoulaye Ba, 27 ans, également originaire du Sénégal, vivait à Tunis depuis 2022. En février 2023, la police est venue sur le chantier où il travaillait et a arrêté au moins dix travailleurs, certains avec papiers et certains sans papiers, originaires d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale :

      Il y avait des Tunisiens et des Marocains, mais ils n’ont arrêté que des personnes à la peau noire. Ils nous ont demandé de quel pays nous venions mais n’ont pas demandé nos papiers [...]. Nous avons résisté à l’arrestation et une partie de la ville est sortie [...] et nous jetait des pierres [...]. La police nous a frappés avec des matraques [...] Ils nous ont emmenés dans un poste de police à Tunis et nous ont détenus pendant cinq heures, sans demander à voir nos papiers [...]. Ils nous ont ensuite relâchés et nous ont demandé de quitter la Tunisie. [...] La police a également volé mon iPhone 12, et d’autres ont dit que la police avait pris leur argent.

      Un Malien de 24 ans sans papiers a déclaré qu’avant son rapatriement en mars, il travaillait dans un restaurant à Tunis. En février, la police l’a arrêté alors qu’il rentrait du travail avec un autre Malien, mais n’a procédé à aucune vérification légale. Il a raconté :

      Ils ne m’ont pas demandé mes papiers [...]. S’ils voient un Noir, ils le prennent et l’emmènent dans leur voiture. Pendant l’arrestation, des Tunisiens regardaient et criaient : « Vous, les Noirs, vous devez partir… ». La police a pris l’argent [de mon ami] [...], environ 600 dinars [...]. Ils nous ont gardés pendant quatre jours [au poste de police]. [...] Nous dormions par terre [...]. Ils ne nous donnaient que du pain et de l’eau deux fois par jour. [...] [...] Nous avons trouvé une centaine d’Africains [détenus] là-bas [...]. Ils nous considéraient comme si nous n’étions pas des humains.

      Un Camerounais de 24 ans vivant à Sfax sans papiers a déclaré qu’à plusieurs reprises, début 2023, la police avait fait des descentes dans la maison qu’il partageait avec plusieurs migrants et avait pris leurs téléphones et leur argent.

      Les abus commis par la police ne datent pas seulement de 2023. Un Malien de 31 ans a déclaré qu’en décembre 2021, un groupe de 6 à 8 policiers l’avait trouvé endormi dans une gare et l’avait agressé avant de l’arrêter pour entrée irrégulière, dans une ville proche de la frontière algérienne : « Ils m’ont frappé à plusieurs reprises avec leurs matraques, jusqu’à ce que je tombe, puis ils m’ont donné des coups de pied ».

      Un Malien de 32 ans, rapatrié en mars, a déclaré que la police de Sfax lui avait pris deux de ses téléphones à la mi-2022, en plus de l’argent que transportait son ami. « Les policiers, s’ils voient une personne noire avec un petit sac, ils fouillent le sac. Lorsqu’ils trouvent de l’argent [ou des objets de valeur], ils le prennent », a-t-il témoigné.

      Répression policière contre des réfugiés participant à des manifestations

      Après le discours du président Saeid un grand nombre de réfugiés, de demandeurs d’asile et d’autres personnes devenues sans abri à la suite d’évictions ou craignant pour leur sécurité ont campé devant les bureaux du HCR et de l’OIM au Lac 1, à Tunis. Parmi les personnes qui se trouvaient devant le HCR, certaines ont barricadé la zone et ont commencé à protester. Le 11 avril, après l’entrée de force de plusieurs personnes dans une partie des locaux du HCR, la police est arrivée pour disperser le camp. La police a fait usage de gaz lacrymogènes et de la force, et certaines personnes ont jeté des pierres sur des voitures ou la police.

      « En réaction, la police a fait un usage disproportionné de la violence [...], en particulier compte tenu du fait que des personnes vulnérables se trouvaient là, ainsi que des familles et des jeunes enfants », a déclaré Elizia Volkmann, une journaliste qui s’est rendue sur les lieux plus tard dans la journée. Human Rights Watch a écouté un entretien enregistré par Elizia Volkmann le 11 avril avec un témoin des événements, qui a déclaré avoir vu la police gifler une Soudanaise avant que la situation ne dégénère, et que la police avait battu les gens avec des bâtons et tiré « de nombreux coups de gaz lacrymogène ».

      Un demandeur d’asile soudanais, qui campait devant le bureau du HCR depuis novembre 2022, a déclaré à Human Rights Watch que lui et d’autres avaient barricadé la zone pour se protéger, et que le 10 avril, ils étaient entrés dans les locaux du HCR « pour boire de l’eau et utiliser les toilettes ». Selon ses dires, le 11 avril, « C’est la police qui a commencé les violences. Ils [...] sont venus et ont tiré des gaz [lacrymogènes] sur nous. Et c’était la première fois que les policiers nous jetaient des pierres — j’ai vu deux d’entre eux le faire ». Il a raconté avoir ensuite vu des personnes jeter à leur tour des pierres sur la police. Il a précisé qu’après avoir fui la zone, lui et d’autres ont été battus et arrêtés dans la rue par la police.

      La police a d’abord placé 80 à 100 personnes — dont des femmes et des enfants — en garde à vue au poste de police de Lac 1 et détruit le camp. Plus tard dans la journée, ils ont libéré le demandeur d’asile soudanais, entre autres, mais selon un représentant d’Avocats sans frontières (ASF), ils ont transféré 31 hommes à la prison de Mornaguia au titre de divers chefs d’accusation, notamment pour désobéissance et agression. ASF a fourni une assistance juridique aux accusés, qui ont été libérés fin avril, les charges ayant été abandonnées pour la moitié du groupe et l’autre moitié étant en attente d’une audience en septembre, a déclaré le représentant d’ASF.

      Un demandeur d’asile sierra-léonais, qui campait devant l’OIM et le HCR depuis son expulsion de son appartement en février, figurait parmi les personnes arrêtées. Human Rights Watch a examiné un document officiel confirmant sa libération de la prison de Mornaguia fin avril. Lors de la répression du camp le 11 avril, il a déclaré avoir « vu un [demandeur d’asile] libérien se faire battre par la police [...] il y avait tellement de sang ». Il affirme ne pas avoir participé à des actes de violence, mais a enregistré des vidéos et passé des appels téléphoniques. Il a raconté que la police l’avait attrapé, arrêté et torturé en détention :

      Dans le véhicule de police, un [agent] a commencé à m’étrangler pour me forcer à ouvrir mon téléphone. [...] Ils m’ont emmené au poste de police de Lac 1. Ils ont séparé trois d’entre nous, moi, un [demandeur d’asile] sierra-léonais et le Libérien [blessé] [...].

      [Ils] nous ont placé dans une pièce non ouverte au public, où ils nous ont torturés. Deux [agents en uniforme] ont utilisé [...] un bâton en bois [...] pour nous frapper à la tête, aux chevilles, là où se trouvent les os [...]. Deux [autres agents en uniforme] nous ont transmis des chocs électriques avec des appareils comme des tasers [...]. Un [homme en civil] [...] m’a dit en anglais : « Vous [...]dites que la Tunisie n’est pas sûre [...]. Vous êtes des putains d’immigrés et de réfugiés, vous voulez gâcher notre image » [...] ». Les autres policiers nous ont insultés en arabe [...]. Ils nous ont torturés [...] pendant environ 45 minutes.

      Un réfugié soudanais a également déclaré à Human Rights Watch avoir été battu et avoir reçu des chocs électriques au poste de police de Lac 1, avant d’être transféré à la prison de Mornaguia.

      Un Tunisois qui a aidé plusieurs hommes à obtenir une aide médicale après leur libération de la prison de Mornaguia en mai, a déclaré que deux réfugiés, un Érythréen et un Centrafricain, avaient fait état de l’usage d’armes électriques, telles que des tasers, par la police à leur encontre lors de leur arrestation. Selon ses dires, deux réfugiés érythréens lui avaient également raconté qu’au poste de Lac 1, « la police les [avait] battus [...] hors du champ de la caméra ».

      Le demandeur d’asile soudanais qui a été détenu puis relâché le même jour a déclaré avoir vu plusieurs détenus africains emmenés dans une autre pièce du commissariat et les avoir entendus pleurer de douleur ; plus tard, certains lui ont dit que la police avait utilisé des appareils pour leur administrer des chocs électriques. Les violences policières l’ont convaincu de quitter la Tunisie : « Je demande à des personnes que je connais de m’aider à traverser la mer, à m’éloigner de ce pays ».

      Abus des garde-côtes et interceptions en mer

      Sur les six personnes interrogées par Human Rights Watch qui avaient tenté une ou plusieurs traversées en bateau vers l’Europe, cinq avaient subi des retours forcés de leurs bateaux. De telles mesures de rétention ou de retour forcé des personnes, appelées « pullbacks » en anglais – des actions des autorités visant à empêcher les gens de quitter un pays en dehors des points de passage officiels de la frontière, y compris les retours forcés de bateaux en partance – peuvent constituer une atteinte au droit des personnes à demander l’asile et à quitter tout pays, qu’il s’agisse du leur ou d’un autre, et les piéger dans des situations abusives.

      Cinq personnes interrogées ont également décrit des abus commis par les autorités tunisiennes près de Sfax entre 2019 et 2023, pendant ou après des interceptions en mer (quatre personnes) ou des sauvetages (une personne).

      Salif Keita, un Malien de 28 ans rapatrié en mars, a déclaré avoir tenté une traversée en bateau depuis Sfax en 2019. « Les garde-côtes nationaux ont pris notre moteur et nous ont laissés bloqués en mer », a-t-il relaté. « Nous avons dû casser des morceaux de bois du bateau [...] pour revenir en pagayant ».

      Un Ivoirien de Sfax a tenté un voyage en mer en janvier 2022. Il a déclaré que les garde-côtes avaient intercepté le bateau et avaient frappé les passagers à coups de bâton. Pendant qu’il était en mer, il a également vu un bateau de migrants, qui transportait également des enfants, renversé par des vagues que provoquait un bateau des garde-côtes.

      Un Malien de 32 ans avait également tenté un voyage en mer. Il était entré régulièrement en Tunisie, mais son tampon d’entrée avait expiré. Ne pouvant obtenir de carte de séjour, il a embarqué en décembre 2021 près de Sfax, sur un bateau qui transportait une cinquantaine d’Africains de l’Ouest et du Centre. Les autorités les ont interceptés dans les 15 minutes qui ont suivi leur départ. Il a raconté : « Ils ont pris l’argent ou les téléphones des gens [...]. Ceux qui n’avaient ni l’un ni l’autre, ils ont frappés et insultés. J’ai même vu un [agent] frapper une des femmes [...]. Ils ont pris mon téléphone ».

      Un Camerounais de 24 ans a déclaré qu’en avril 2023, après le retournement de leur bateau près de Sfax, lui et d’autres personnes avaient été secourus par des garde-côtes qui, une fois à terre, s’étaient mis à les insulter, à leur cracher de dessus et à les battre avant de les relâcher.

      Moussa Kamara, un Malien de 28 ans vivant à Sfax, était entré en Tunisie en mai 2022. En décembre 2022, il a embarqué près de Sfax avec environ 25 Africain·e·s de l’Ouest. « Au bout de 30 minutes à peine, les garde-côtes sont arrivés [en positionnant leur bateau à côté du nôtre] et ont dit “Stop !”. Nous ne nous sommes pas arrêtés, alors l’un des gardes a commencé à nous frapper avec un bâton [...]. Ils ont frappé trois hommes, dont moi… Un de mes amis a été blessé ». Les autorités les ont emmenés à Sfax puis les ont relâchés.

      Après cette expérience, Kamara est resté en Tunisie, mais le discours du président Saied et ses conséquences l’ont fait changer d’avis : « J’ai décidé d’essayer encore [un voyage en mer]. Le président nous a dit de quitter le pays. Si je ne pars pas, je ne trouverai pas une maison ou un travail ».

      « Le président a créé un climat d’horreur pour les migrants en Tunisie, si bien que beaucoup se précipitent pour partir », a expliqué Ben Amor, du Forum tunisien, FTDES. « Ces derniers mois, les garde-côtes ont commencé à utiliser des gaz lacrymogènes pour obliger [les bateaux] à s’arrêter [...]. Ils se sont visés sur les migrants qui essaient de les filmer [...] ; ils confisquent les téléphones après chaque opération ».

      Une bénévole d’Alarm Phone à Tunis a déclaré que son équipe avait recueilli des témoignages similaires : « Depuis 2022, il y a des comportements récurrents des garde-côtes tunisiens en attaquant des bateaux[...] ; ils utilisent des bâtons pour frapper les gens, dans certains cas, des gaz lacrymogènes, [...] ils tirent en l’air ou en direction du moteur [...] et parfois [...] ils laissent les gens bloqués [en mer dans des bateaux hors d’usage] ». De nombreuses pratiques de ce type ont été citées dans une déclaration de décembre de plus de 50 groupes en Tunisie, et à nouveau en avril.

      Soutien au contrôle des migrations de l’Union européenne

      Entre 2015 et 2021, l’Union européenne a alloué 93,5 millions d’euros à la Tunisie sur son « Fonds d’affectation spéciale d’urgence pour l’Afrique » (EUTF), qui vise à lutter contre la migration irrégulière, les déplacements et l’instabilité. Ce montant comprend 37,6 millions d’euros destinés à la « gestion des frontières » et à la lutte contre le « trafic de migrants et la traite des êtres humains ». Un document de l’UE de février 2022 indiquait que le financement de la lutte contre le trafic et la traite de migrants « [prévoyait] l’équipement et la formation des agents des forces de sécurité intérieure, ainsi que de la douane tunisienne ».

      Ce document indiquait également que l’UE « désignerait » jusqu’à 85 millions d’euros en tant que somme à allouer à des projets liés à la migration en Tunisie en 2021 et 2022. Il ne précisait pas ce qui avait déjà été dépensé ; cependant, selon un document de l’UE de février 2021, « un programme de soutien très important, financé par l’UE et bénéficiant aux garde-côtes tunisiens, [était] en cours de mise en œuvre ». Sur les 85 millions d’euros, 55 millions auraient pu être alloués au soutien du contrôle des migrations en Tunisie, selon la répartition fournie dans le document de 2022, à savoir : 25 millions d’euros pour la gestion des frontières, y compris le soutien aux garde-côtes ; 6-10 millions d’euros pour le « gouvernance » des migrations et la protection ; 20-25 millions d’euros pour la migration légale et la mobilité du travail ; 12-20 millions d’euro pour la lutte contre le trafic et la traite de migrants ; et 5 millions d’euros pour des retours.

      Le document de 2022 détaille également le soutien bilatéral important apporté à la Tunisie par l’Italie, l’Espagne, la France, l’Allemagne et d’autres États membres de l’UE. En plus de son « fonds pour la coopération migratoire (environ 10 millions d’euros) », l’Italie a fourni des équipements (véhicules, bateaux, etc.) « pour une valeur totale de 138 millions d’euros depuis 2011 », ainsi qu’une « assistance technique liée au contrôle des frontières (2017-2018) [...] pour un total de 12 millions d’euros », qui comprenait un soutien à la police et à la garde nationale tunisiennes. L’Allemagne a également fourni des bateaux et des véhicules, et l’Espagne du matériel informatique.

      Le Programme plurinational 2021 - 2027 sur les migrations pour le voisinage méridional de l’UE, qui englobe la Tunisie, comporte des éléments positifs tels que le soutien à l’élaboration de politiques d’asile, des voies légales de migration et le dialogue avec la société civile, mais il met toujours l’accent sur le soutien aux « mesures répressives » et aux « autorités frontalières et garde-côtes » pour le contrôle des frontières. De plus, les indicateurs de projet sont problématiques, puisqu’ils confondent interceptions et sauvetages en mer (« nombre de migrants interceptés/secourus grâce à des opérations de recherche et de sauvetage en mer » et « sur terre »).

      Les responsables politiques européens ont proposé à plusieurs reprises divers partenariats migratoires à la Tunisie visant notamment à mettre en place des centres de traitement délocalisés et à conclure des accords avec des « pays tiers sûrs », ainsi que des accords susceptibles de permettre le retour des ressortissants de pays tiers ayant transité par la Tunisie.

      Le droit international reconnaît la possibilité de désigner un pays tiers sûr, ce qui permet aux pays d’accueil de transférer des demandeurs d’asile vers un pays de transit ou vers un autre pays qui est en mesure d’examiner équitablement leurs demandes de statut de réfugié et de les protéger de façon adéquate. Les lignes directrices du HCR énumèrent les conditions de ces transferts, y compris le respect des normes du droit des réfugiés et des droits humains et « la protection contre les menaces à leur sécurité physique ou à leur liberté ». La directive sur les procédures d’asile de l’UE exige que les États non-membres de l’UE remplissent des critères spécifiques pour être désignés comme « sûrs », notamment « l’absence de risque de préjudice grave ».

      Compte tenu des abus documentés commis par les forces de sécurité et des attaques xénophobes contre les migrants, les demandeurs d’asile et les réfugiés en Tunisie, ainsi que de l’absence d’une loi nationale sur l’asile, il semble que la Tunisie ne réponde pas aux critères de l’UE définissant un pays tiers sûr. Les Africains noirs, en particulier, ne devraient pas être renvoyés ou transférés de force en Tunisie.

      Recommandations

      - Le Parlement européen, dans ses négociations avec le Conseil de l’UE sur le Pacte européen sur la migration et l’asile, devrait chercher à limiter l’utilisation discrétionnaire du concept de « pays tiers sûr » par les différents États membres de l’UE. Les institutions européennes et les États membres devraient convenir de critères clairs pour désigner un pays comme « pays tiers sûr » aux fins du retour ou du transfert de ressortissants de pays tiers, afin de garantir que les États membres de l’UE n’érodent pas les critères de protection dans leur application du concept, et déterminer publiquement si la Tunisie répond à ces critères, en tenant compte des agressions et des abus dont les Africains noirs sont continuellement la cible dans ce pays.
      - L’UE et les États membres concernés devraient suspendre le financement et les autres formes de soutien aux forces de sécurité tunisiennes destinées au contrôle des frontières et de l’immigration, et conditionner toute aide future à des critères vérifiables en matière de droits humains.
      – Le gouvernement tunisien devrait enquêter sur tous les abus signalés à l’encontre des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés commis par les autorités ou les civils ; veiller à ce que les responsables rendent des comptes, notamment par le biais d’actions en justice appropriées ; et mettre en œuvre des réformes et des systèmes de surveillance au sein de la police, de la garde nationale (y compris les garde-côtes) et de l’armée afin de garantir le respect des droits humains, de mettre fin à la discrimination raciale ou à la violence, et de s’abstenir d’attiser la haine raciale ou la discrimination à l’encontre des Africains noirs.

      https://www.hrw.org/fr/news/2023/07/19/tunisie-pas-un-lieu-sur-pour-les-migrants-et-refugies-africains-noirs

      #rapport #HRW #human_rights_watch

    • Von Angst getrieben

      Rassistische Ausschreitungen gegen Schwarze Menschen zwingen immer mehr auf die lebensgefährliche Reise über das Mittelmeer.

      Die Bedingungen, unter denen Schwarze Menschen in Tunesien leben, sind prekär. Insbesondere wenn sie in das Land migriert sind und dort illegalisiert leben, also ohne offiziellen Aufenthaltsstatus und damit meist ohne Zugang zu sozialen Dienstleistungen. Der zunehmend rassistische Diskurs im Land, lässt ihre Situation noch unsicherer werden. Im Herbst 2022 hatte die Nationalistische Partei Tunesiens ihre rassistischen Äußerungen in sozialen Medien massiv verstärkt. Auf ihrer Website spricht sie von „einer Millionen Migranten“ die sich im Land befänden und auf europäisches Geheiß hin vorhätten, das Land zu übernehmen. Die Partei und ihre Hetze spielten bis kürzlich in der politischen Landschaft Tunesiens keine große Rolle. Laut Angaben ihres Vorsitzenden Sofien Ben Sghaïer hat die 2018 gegründete Partei derzeit nur drei Mitglieder. Relevant wurde ihr politisches Denken erst, als es vom tunesischen Präsidenten Kaïs Saïed aufgegriffen und zur Regierungslinie erklärt wurde.

      Ein Verständnis dafür, wie dies geschehen konnte, ist möglich, wenn man die politisch-ökonomische Lage betrachtet, die sich seit Juli 2021 stark verändert hatte: Präsident Kaïs Saïed löste damals die Regierung und die Versammlung der Volksvertreter*innen per Staatsstreich auf. Die sozioökonomische Lage ist in Tunesien extrem angespannt. Der Staat steht angesichts gescheiterter Verhandlungen mit dem IWF vor dem Bankrott, die Inflation liegt bei 10 Prozent, die Arbeitslosigkeit bei 15 Prozent und die Jugendarbeitslosigkeit noch weit höher. In diesem Klima finden rassistische Thesen wie die der Nationalistischen Partei Tunesiens Anklang.

      Als der Anti-Schwarze Rassismus in Tunesien dann in Form einer Pressemitteilung von Präsident Saïed am 21. Februar 2023 aufgegriffen wurde – so sprach er von einem „Plan“, der aufgesetzt worden sei, um die „demographische Zusammensetzung Tunesiens zu verändern“ und rief zu „dringenden Maßnahmen“ auf, „um dieses Phänomen zu stoppen“ – eskalierte die Situation. In den Tagen nach der Erklärung griffen vor allem Gruppen marginalisierter junger Männer in verschiedenen Städten gezielt Schwarze Menschen an. Einige wurden schwer verletzt, als ihre Wohnungen oder Häuser angezündet wurden. Eine bis heute unbekannte Zahl von Menschen ist in diesen Tagen verschwunden. Schwarze Menschen verloren von heute auf morgen ihre Arbeit und wurden von ihren Vermieter*innen vor die Tür gesetzt. Viele verließen ihre Wohnungen über Tage nicht mehr, aus Angst, ebenfalls Opfer der Angriffe zu werden. Auch gültige Aufenthaltspapiere schützten Schwarze Menschen nicht vor der Gewalt, zahlreiche Menschen wurden unabhängig von ihrem Aufenthaltsstatus verhaftet, die Angst vor Polizeikontrollen und willkürlichen Festnahmen besteht bis heute.

      Aya Koffi* aus Côte d’Ivoire („Elfenbeinküste“), die seit mehreren Jahren in Tunesien lebt, hat die Angriffe in der Hauptstadt Tunis miterlebt: „Sie griffen die Häuser an, sie griffen die Familien an, sie griffen die Kindertagesstätten an, dort wo die Kinder der Schwarzen waren. Es gab Leute, die mit Babys im Gefängnis landeten, Kinder, die im Gefängnis landeten. Es gab Frauen, die vergewaltigt wurden. Die Tunesier haben die Häuser und Wohnungen der Schwarzen in Brand gesetzt. Jeder versteckte sich. Ich habe mich zwei Wochen lang zu Hause eingesperrt und keinen Fuß vor die Tür gesetzt, weil ich so viel Angst hatte.“
      Schiffsunglücke, Leichen am Strand und anonyme Grabsteine

      Aus Angst um ihr Leben und weil ihnen infolge der rassistischen Übergriffe jede Lebensgrundlage entzogen wurde, haben sich seit Februar 2023 viele illegalisierte und nach Tunesien migrierte Personen aus subsaharischen Ländern für eine Überquerung des Mittelmeers entschieden. Die italienische Insel Lampedusa ist von Teilen der tunesischen Küste nur 150 Kilometer entfernt. Vor allem aus der Hafenstadt Sfax haben die Abfahrten stark zugenommen – und mit ihnen die Todeszahlen. Seit Kaïs Saïed Erklärung sind mehrere Hundert Menschen nach einer Abfahrt von Tunesien im Mittelmeer ertrunken, viele weitere werden vermisst. Immer wieder werden Leichen aus dem Wasser geborgen oder an den Stränden angespült.

      Laut Faouzi Masmoudi, Sprecher des Gerichts in Sfax, hat das Universitätskrankenhaus der Stadt keine Kapazitäten mehr: Allein am 25 April wurden fast 200 Leichen in das Krankenhaus gebracht. Nur wenige Tote können identifiziert werden. Einige von ihnen sind auf dem christlichen Friedhof in Sfax begraben. Die meisten jedoch bleiben anonym: manche bekommen einen Grabstein, auf dem nur das Datum des Leichenfundes steht.

      Aya hat ein solches Schiffsunglück überlebt, ihr Mann kam dabei ums Leben. Eine Mitarbeiterin der Internationalen Organisation für Migration (IOM) bestätigte, dass der Körper ihres Mannes geborgen wurde. Doch trotz Nachfragen bei der IOM und der Botschaft der Côte d’Ivoire und trotz Protesten vor der Leichenhalle konnte Aya den Körper ihres Mannes nicht mehr sehen. Bis heute ist nicht klar, was mit ihm passiert ist. Kein Einzelfall. Aya erzählt von ihrer Nachbarsfamilie in Tunis: „Viele sind aus Angst, nicht mehr in Tunesien bleiben zu können, auf das Meer hinausgefahren. Ganze Familien sind bei Schiffbrüchen ums Leben gekommen. Die Tür meiner Nachbarin, mit der ich alle Freuden geteilt, mit der ich zusammen gegessen habe, bleibt verschlossen. Sie, ihr Mann und ihr Baby werden vermisst. Wir wissen, dass sie mit dem Boot aufgebrochen sind.“

      Infolge der rassistischen Ausschreitungen haben viele Menschen Wohnung und Einkommen verloren. Rund 250 Menschen, hauptsächlich aus subsaharischen Herkunftsländern, hatten deshalb ein Lager vor dem Gebäude des UN-Flüchtlingskommissariats UNHCR in der Hauptstadt Tunis aufgeschlagen. Sie nennen sich „Refugees in Tunisia“ und fordern bis heute ihre Evakuierung in ein sicheres Land. Am 11. April wurde das Protestcamp vor dem UNHCR-Gebäude gewaltvoll durch die tunesische Polizei geräumt und bis zu 150 Menschen festgenommen. Die Räumung wurde nach Angaben des tunesischen Innenministeriums durch das UNHCR-Büro selbst veranlasst. Dabei wurden mehrere Menschen, darunter auch Kinder, durch den Einsatz von Tränengas verletzt. 30 Personen wurden der „öffentlichen Unruhe“ beschuldigt und für mehrere Wochen inhaftiert. Die Festgenommenen berichteten von Schlägen und Folter mit Elektroschocks. Die meisten der Protestierenden harren seit der Räumung des UNHCR-Camps nun vor dem Gebäude der IOM aus, wo sie ohne Zugang zu Wasser und Sanitäranlagen weiterhin für ihre Evakuierung kämpfen.
      Europas Verantwortung

      Am 25. Juli 2022, ein Jahr nach dem Staatsstreich Präsident Kaïs Saïeds, wurde zwar eine neue Verfassung per Referendum bestätigt. Laut Expertise eines tunesischen Juristen mit Spezialisierung auf Menschenrechte, der aus Sicherheitsgründen anonym bleiben will, ähnelt die neue Konstitution im Bereich der kollektiven und individuellen Freiheiten formell der vorherigen, doch in der Praxis werden diese Rechte aktuell stark eingeschränkt: „Der Beweis dafür sind Oppositionelle und Journalist*innen, die derzeit im Gefängnis sitzen, und Menschenrechtsverletzungen im Zusammenhang mit sehr vulnerablen Personen, insbesondere Menschen die nach Tunesien migriert sind. Zusammenfassend kann man also sagen, dass es eine Beschränkung der Menschenrechte gibt.“

      Eine zentrale Rolle für die rassistische Eskalation spielen aber auch die EU und ihre Mitgliedstaaten. Als wichtigste Handelspartnerin beeinflusst die EU die Regierungen der Maghreb-Länder erheblich und nimmt besonders Einfluss auf die Gestaltung ihrer Migrationspolitiken. Bereits seit den 1990er Jahren liegt der Fokus auf Tunesien und seit 2011 übt die EU zunehmend Druck aus, um das Land noch stärker in das EU-Grenzregime zu integrieren und Migrationsbewegungen durch und aus Tunesien langfristig zu beenden. Im Rahmen immer wieder neu aufgelegter Programme wurden seitdem 3 Milliarden Euro gezahlt. Schwerpunkte sind unter anderem der Aufbau „engerer Beziehungen zwischen den beiden Ufern des Mittelmeers und die Steuerung von Migration und Mobilität“. Von 2014 bis 2020 wurden zum Beispiel 94 Millionen ausschließlich für migrationsbezogene Aktivitäten gezahlt, unter anderem für Tunesiens Grenzschutzsystem. Der aktuelle „EU Action Plan“ für das zentrale Mittelmeer aus dem Jahr 2022 nennt als drittes Ziel die „Stärkung der Kapazitäten Tunesiens, Ägyptens und Libyens insbesondere zur Entwicklung gemeinsamer gezielter Maßnahmen zur Verhinderung der irregulären Ausreise, zur Unterstützung eines wirksameren Grenz- und Migrationsmanagements und zur Stärkung der Such- und Rettungskapazitäten unter uneingeschränkter Achtung der Grundrechte und internationalen Verpflichtungen“.

      Von einer „Achtung der Grundrechte“ ist in der Realität wenig zu sehen. Stattdessen unterstützt die EU ein immer autoritäreres Regime, für das die Leben von Menschen, die über das Meer wollen, nichts zählen. Immer wieder sterben Menschen infolge sogenannter „Rettungsaktionen“. Bei diesen fährt die tunesische Küstenwache aus, um Boote zu „retten“, rammt diese jedoch oft, wodurch Menschen ins Meer fallen und ertrinken. Zudem gibt es vermehrt Berichte, denen zufolge Motoren von der Küstenwache konfisziert werden, die Boote mit den Menschen aber weitere Tage auf dem Wasser treiben gelassen werden, wodurch die Todeszahlen steigen. Zugleich sind rassistische Diskurse in Tunesien immer auch von Europa beeinflusst. Es wird wahrgenommen, wie Salvini, Meloni, Le Pen und auch Zemmour sprechen. „It was not Saïed who introduced anti-Black racism to Tunisia“, schreibt Haythem Guesmi, ein tunesischer Wissenschaftler und Schriftsteller in einem Artikel für Al Jazeera. Nicht nur das europäische Grenzregime wird externalisiert, sondern auch der rassistische Diskurs.

      https://www.medico.de/blog/von-angst-getrieben-19095

      #peur

  • La Sous-Classe Virale | Steven Thrasher, Charlotte Rosen
    https://cabrioles.substack.com/p/la-sous-classe-virale-steven-trasher
    https://substackcdn.com/image/fetch/w_1200,h_600,c_limit,f_jpg,q_auto:good,fl_progressive:steep/https%3A%2F%2Fbucketeer-e05bbc84-baa3-437e-9518-adb32be77984.s3.amazona

    Steven Thrasher : L’expression « sous-classe virale » aide à comprendre pourquoi les groupes de personnes marginalisées sont infectés et subissent les dommages des #virus de manière disproportionnée. Le fait d’être #pauvre et/ou d’appartenir à une classe sociale stigmatisée ou criminalisée rend une personne plus susceptible d’être infectée par des virus, car elle est plus susceptible de vivre dans des conditions qui accélèrent la #transmission virale mais aussi de ne pas avoir les ressources nécessaires pour se soigner si elle est infectée.

    La « sous-classe virale » fait également référence à la façon dont les virus aggravent la #marginalisation et créent un groupe de personnes nettement défavorisées. Le fait d’être infecté par un virus rend les gens plus susceptibles de tomber dans la pauvreté, de subir des privations et d’être confronté·es à la #violence de l’État.

    Le terme lui-même a été inventé par un homme appelé Sean Strub, qui l’a utilisé à l’origine pour décrire la criminalisation du VIH. Il a écrit sur la façon dont, lorsque les gens deviennent séropositifs, iels acquièrent soudainement un statut de seconde #classe aux yeux de la loi. Aujourd’hui, la plupart des lois ne disent pas franchement qu’une réalité biologique vous place dans un statut de seconde zone, mais les lois sur le VIH le font. Une fois qu’une personne est séropositive, elle est soumise à cet autre ensemble de lois, y compris les enfants nés avec le VIH, qui portent ce statut avec elleux toute leur vie.

    Lorsque le coronavirus a éclaté, j’ai réalisé que la sous-classe virale était une analyse que je pouvais utiliser pour expliquer comment les virus exposaient et reproduisaient l’inégalité dans toute la société - assurément selon les lignes raciales, mais aussi en dehors de la division traditionnelle noir/blanc centrée sur les États-Unis, comme les lignes de citoyenneté, de sexualité et de classe.

    #covid #inégalités #abandon

  • 5 questions à Roland Riachi. Comprendre la #dépendance_alimentaire du #monde_arabe

    Économiste et géographe, Roland Riachi s’est spécialisé dans l’économie politique, et plus particulièrement dans le domaine de l’écologie politique. Dans cet entretien, il décrypte pour nous la crise alimentaire qui touche le monde arabe en la posant comme une crise éminemment politique. Il nous invite à regarder au-delà de l’aspect agricole pour cerner les choix politiques et économiques qui sont à son origine.

    https://www.carep-paris.org/5-questions-a/5-questions-a-roland-riachi
    #agriculture #alimentation #colonialisme #céréales #autosuffisance_alimentaire #nationalisation #néolibéralisme #Egypte #Soudan #Liban #Syrie #exportation #Maghreb #crise #post-colonialisme #souveraineté_nationale #panarabisme #militarisme #paysannerie #subventions #cash_crop #devises #capitalisme #blé #valeur_ajoutée #avocats #mangues #mondialisation #globalisation #néolibéralisme_autoritaire #révolution_verte #ouverture_du_marché #programmes_d'ajustement_structurels #intensification #machinisation #exode_rural #monopole #intrants #industrie_agro-alimentaire #biotechnologie #phosphates #extractivisme #agriculture_intensive #paysans #propriété_foncière #foncier #terres #morcellement_foncier #pauvreté #marginalisation #monoculture #goût #goûts #blé_tendre #pain #couscous #aide_humanitaire #blé_dur #durum #libre-échange #nourriture #diète_néolibérale #diète_méditerranéenne #bléification #importation #santé_publique #diabète #obésité #surpoids #accaparement_des_terres #eau #MENA #FMI #banque_mondiale #projets_hydrauliques #crise_alimentaire #foreign_direct_investment #emploi #Russie #Ukraine #sécurité_alimentaire #souveraineté_alimentaire

    #ressources_pédagogiques

    ping @odilon

  • Le quartier #Chaffit à #Valence, une histoire à l’écart (1950-1990)

    Chaffit, c’est au sud de Valence : 30 hectares bordés par l’A7, le Rhône, qui abritent la caserne des pompiers, la Clinique générale et l’aire des gens du voyage. On pourrait presque croire que ce quartier n’a pas d’identité, pas de #mémoire. Et pourtant… L’historienne Linda Guerry nous présente son histoire après la Seconde Guerre mondiale.

    https://lecpa.hypotheses.org/1961
    #histoire #gens_du_voyage #aire_d'accueil #village_chaffit #marginalisation #stigmatisation #nationalisme #xénophobie #travailleurs_étrangers #travailleurs_algériens

  • Des autodafés et des bonnes intentions … Benedikt ARDEN
    https://www.legrandsoir.info/des-autodafes-et-des-bonnes-intentions.html

    Ça a fait un badbuzz monumental et qui a résonné bien au-delà du pays. Près de 5000 livres jeunesse ont été retirés des bibliothèques de 30 écoles francophones d’Ontario pour servir de combustible à des cérémonies symboliques d’intérêts « éducatifs », dans le cadre de la réconciliation entre peuples autochtones et non autochtones du Canada.

    Au centre de cette controverse, Suzy Kies, présentée comme une gardienne du savoir autochtone et accessoirement coprésidente de la Commission des peuples autochtones du Parti libéral du Canada. Celle-ci souligne que cette « cérémonie » a pour but d’enterrer « les cendres du racisme, de la discrimination et des stéréotypes dans l’espoir que nous grandirons dans un pays inclusif où tous pourront vivre en prospérité et en sécurité ». Le feu ayant pour objet d’engendrer l’engrais d’implantation d’un arbre et ainsi « tourner du négatif en positif ».

    Sans tenir compte du fait autrement plus symbolique de brûler des livres, qui ne va pas sans rappeler une époque que les Allemands aimeraient bien oublier, ce scandale est surtout lié aux critères douteux de cette sélection et surtout par la lecture particulièrement décontextualisée des œuvres choisies par ce fameux comité. Pour qu’un livre fasse partie du bûcher, à peu près toutes les raisons y sont passées. Des termes et appellations d’une autre époque, à la non-historicité des représentations en passant par la sexualisation des dessins, toutes les cases ont été cochées. Sans faire grand cas du format (bande dessinée et histoire pour enfants) ou des contextes historiques, les membres du comité n’ont même pas tenu compte des intentions des auteur(e)s et ont même reproché à des BD les propos de ses antagonistes[1]. En somme, ce comité de relecture cherchait des stéréotypes et des expressions anachroniques et les a trouvés là exactement où ils devaient en trouver, c’est-à-dire dans les livres de notre enfance.

    Évidemment, la chasse aux préjugés et aux stéréotypes ne s’est pas limitée aux BD, mais s’est aussi attaquée aux livres qui traitent des Premières Nations en général, mais qui n’ont pas été écrits ou révisé par des Autochtones « pure souche » ou des œuvres qui sont qualifiés « d’appropriations culturelles », ce qui est assez ironique quand on sait que madame Suzy Kies se présente comme une Abénakis d’Odanak alors qu’elle ne fait visiblement pas partie de cette communauté. Le fait d’avoir adopté la culture abénakis n’est pas une pratique que je condamne, tant s’en faut, mais quand on brûle les livres des auteur(e)s qui font briller cette culture au nom de l’appropriation culturelle, on devrait faire attention à ne pas parler au nom d’une communauté dont on s’approprie le nom ! D’autant plus que, comme commente l’ethnologue huronne-wendat Isabelle Picard, à propos des autodafés dans la culture autochtone, « C’est bien peu connaitre nos cérémonies et en avoir peu de respect ».

    Comme vous le constatez, l’événement parle de lui-même et ils sont assez rares à défendre ce qu’il faut bien appeler un « dérapage woke ». Je déteste réellement cette expression (woke), puisqu’il est employé à tort et à travers par la droite, mais ici je vais faire une exception, car l’expression est désormais connue et je ne souhaite pas mettre de gants blancs, même si on devrait plutôt parler de progressisme postmoderne pour parler de ce courant. Toutefois, peu importe le nom qu’on lui donne, on ne peut que constater que ce courant atteint dorénavant des sommets en termes de dérapage. Celui-ci en vient même à avoir des impacts négatifs bien réels sur l’image que se fait la majorité des gens des minorités et des Premières Nations, puisque ces dérapages engendrent objectivement beaucoup plus de préjugés que la seule lecture de Pocahontas ou de Tintin en Amérique !

    Néanmoins, la source du problème n’est pourtant pas issue des thèses les plus problématiques des plus controversés chercheurs/chercheuses postmodernes et encore moins des demandes de respects et d’égalité des groupes minoritaires et immigrants, mais bien de la popularisation d’un corpus doctrinal ouvertement irrationnel et qui est actuellement en phase accrue de radicalisation.

    Comme le mentionne Pierre Valentin dans son étude sur le courant « Woke » : https://www.fondapol.org/etude/lideologie-woke-1-anatomie-du-wokisme

    Le mouvement woke repose sur une approche postmoderne du savoir caractérisée par « un scepticisme radical quant à la possibilité d’obtenir une connaissance ou une vérité objective. »

    C’est pour cette raison que les courants postmodernistes se détachent à ce point des autres doctrines issues des Lumières et de l’universalisme. Pour ces derniers, il existe bien évidemment des dominants et des dominés ainsi que des systèmes qui provoques ces dominations, mais leur recherche de la justice passe par des connaissances objectives et des principes universels, alors que les postmodernistes rejettent carrément ces notions pour se centrer sur le ressenti des individus.

    Le philosophe Michel Foucault justifiait cette vision du monde en ces termes :

    [...] Il faut admettre que le pouvoir produit du savoir ; que pouvoir et savoir s’impliquent directement l’un l’autre ; qu’il n’y a pas de relation de pouvoir sans constitution corrélative d’un champ de savoir, ni de savoir qui ne suppose et ne constitue en même temps des relations de pouvoir.[2]

    Autrement dit, le savoir issu des progrès de la connaissance serait en réalité une expression du pouvoir (des dominants), d’où ce scepticisme si radical quant à la possibilité de produire des connaissances objective.

    Ces idées en provenance de ce que les universitaires américains appelaient la « French Theory » https://fr.wikipedia.org/wiki/French_Theory ont eu leur part de pertinence à gauche, notamment dans les années 70, à l’époque où certains penseurs avaient tendance à effectivement tout ramener à la rationalité économique. Y compris les aspects qui ne s’y collent pas complètement. Notamment en ce qui touche le féminisme et le nationalisme de libération, qui ont des aspects culturels forts.

    Aujourd’hui ce courant de pensée tombe dans des excès inverses. Jusqu’à prétendre que la subjectivité des individus devrait être considérée comme un fait normatif et devrait être traitée comme tel. C’est-à-dire de manière politique. Dès lors c’est le « sentiment d’injustice » et non le système qui provoque ces injustices qui devient le centre des préoccupations « woke ». On en arrive donc à des absurdités comme de voir des bourgeois de la haute société qui se la jouent victime puisque, autiste, femme, homosexuel, noir, etc., alors qu’ils sont objectivement des dominants de par leur statut social ou bien ces histoires de langues et de symbole, à des années lumières de ce qui provoque concrètement la #marginalisation des minorités que l’on souhaite émanciper.

    Pour eux, le fait essentiel n’est donc pas l’injustice ou la réalité de l’oppression, mais le ressenti de celle-ci, ce qui fait que la sécurisation des catégories de gens jugés opprimés passe bien avant la lutte contre le système qui engendre les discriminations[3]. C’est pour cette raison qu’il n’est pas contradictoire pour un « woke » de propager les pires généralisations sur les groupes dits dominants et, en revanche, de ne rien tolérer de ce qui touche (ou qui pourrait toucher) ceux qualifiés de dominés. Même si dans les faits les définitions de ces groupes sont toutes sauf scientifiques (surtout pour ce qui est des soit distantes races) et que les discriminations décriées sont pratiquement toujours #intersectionnelles [4]. Tout ce qui compte c’est l’état d’esprit du moment et de ce que l’on qualifie d’acceptable à l’instant T.

    Comme je l’ai évoqué précédemment, cette pensée est en perpétuel mouvement et n’est pas limitée par le savoir objectif, alors ce qui est « acceptable » aujourd’hui ne le sera pas nécessairement demain. Un livre du 19e siècle comme « Nord contre Sud » (Jules Verne) dénonçant l’esclavage, mais qui utilise les termes de son époque sera inévitablement mis un jour à l’index, puisqu’il utilise le mot en « N » et utilise des stéréotypes. Je l’affirme, car c’est à peu près ce qui s’est passé pour la peinture « Life of Washington » https://www.monde-diplomatique.fr/2019/08/HALIMI/60163 , qui est une peinture dénonçant l’esclavage, mais qui fut éliminé du lycée George Washington, parce que jugé raciste ! On en vient à censurer le fond en raison de la forme, puisque ce qui est recherché n’est pas la dénonciation de l’injustice, mais le #maternage de population que l’on souhaite protéger de la société par l’illusion et le #subterfuge (« les safes spaces »).

    C’est probablement cet état d’esprit qui guide les choix des militantes comme Suzy Kies. Un livre comme Tintin en Amérique (1932) ne sera donc pas jugé sur son contenu (somme tout positif envers les Premières Nations, si nous tenons compte de l’époque), mais sur l’usage de termes et d’illustrations désormais jugés offensants. La question de l’appropriation culturelle et des déguisements ne sera pas non plus jugée sur la base de principes universels, mais sur la seule sensibilité des personnes touchées, même si celles-ci ne font pas partie de ces communautés d’après leurs propres principes.

    Disons-le tout net, le « wokisme » est en phase de désintégration et ses propres contradictions sont en train de détruire le mouvement de l’intérieur, alors il n’est nul besoin d’en faire des tonnes sur les scandales estivaux et autres faits divers. Non, le problème réside dans l’effet « backslash » qui profite à la droite et surtout à l’extrême droite, puisqu’elles se donnent de la légitimité sur leurs dérapages tout en récupérant des concepts qu’elle méprise, comme l’universalisme et l’antiracisme.

    Non, il n’est pas normal que le racialisme de la soi-disant « théorie critique de la race » (entre autres exemples) soit uniquement et hypocritement dénoncé que par les réactionnaires. Je sais qu’il est parfois difficile de critiquer son propre camp, sans se faire malmener par les adeptes de ces idées. Néanmoins, cela reste absolument nécessaire pour la salubrité idéologique des organisations progressistes, en plus de les aider à rester en phase avec les masses laborieuses qui ne suivent pas ce genre d’évolution sociétale (du moins, pas à cette vitesse).

    Rappelons que les principes du socialisme ont pris du galon en 150 ans et si moi-même je ne suis rien, j’hérite de siècles d’universalisme et de science, alors j’ai moins besoin de me référer à mon propre ressenti et à mes intérêts individuels, pour juger une situation, que d’une grille d’analyse doctrinale efficace et de connaissances scientifiques solides. Est-ce que quelque chose est juste ou vrai ? Et surtout, est-ce que ça l’est pour tous les humains et dans tous les cas ? Voici le genre de questions qui doivent prédéterminer un avis éclairé et minimalement objectif.

    Brûler des livres ou recycler les pseudosciences, parce que ça serait sécurisant pour certains, n’est pas acceptable éthiquement et ne change de toute façon rien aux problèmes concrets vécus par les populations marginalisées. Les bulles de protection ne sont que des illusions qui nuisent au véritable combat pour l’émancipation, puisqu’il ne s’agit que d’une version 2.0 de la bonne vielle « opium du peuple », toujours aussi dommageable qu’auparavant.

    La vérité et la justice sont des concepts vaste et parfois flou, je l’admets sans problème, mais ils sont aussi porteurs d’objectivité et d’universalisme. S’il y a parfaitement lieu de traiter respectueusement les victimes systémiques de nos sociétés et d’adapter notre démarche en conséquence, il faut savoir se garder de catégoriser les humains dans des cases identitaires et ainsi leur présumer des caractères négatifs comme positifs, puisque le genre humain est équitablement dosé en défaut comme en qualité, peu importe les catégories duquel on parle[5].

    Reste à ce que le genre humain soit équitablement dosé en droit et justice sociale, car c’est bien par cette voie que nous éliminerons les stéréotypes et les préjugés et certainement pas en cachant ou en brulant les souvenirs du passé !

    Benedikt Arden, septembre 2021

    [1] C’est un peu comme si on reprochait à George Lukas, dans la première trilogie Star Wars, de ne pas avoir donné assez de place à la diversité dans les rangs de l’empire, alors que l’esthétique de celle-ci est directement calquée sur le 3e Reich (tous des hommes blancs), dans l’objectif plus qu’évident de créer un contraste avec les rebelles, qui eux sont mixtes (hommes, femmes, aliens, etc.).

    [2] Cité depuis l’étude « L’idéologie woke. Anatomie du wokisme (1) »

    [3] L’exemple typique est le concept de « pauvrophobie » ou de « classisme » qui entend protéger les pauvres des préjugés des riches, alors que c’est la conscience de classe, résultante de ce « classisme », qui est à l’origine de la lutte des classes, donc de l’émancipation des pauvres.

    [4] Les gens faisant partie d’une catégorie de dominés font généralement partie d’une des catégories dominantes et sont donc à la fois dominés et dominants. La réalité est plus complexe que les slogans.

    [5] Je parle ici des catégories identitaires et non pas des classes sociales, puisque celles-ci sont productrices d’intérêt de classe, donc de croyances idéologiques affiliées à ces classes.

    #wokisme #woke #dérapage #autodafé #discriminations #stéréotypes #racisme #index #école #catholiques #écoles_catholiques #bucher #purification #fanatisme #violence #épuration des #bibliothéques pour #enfants #asterix #tintin #stéréotypes #suzy_kies #Lucky_Luke #Ontario #badbuzz

  • Sexism, racism, prejudice, and bias: a literature review and synthesis of research surrounding student evaluations of courses and teaching

    This paper analyses the current research regarding student evaluations of courses and teaching. The article argues that student evaluations are influenced by racist, sexist and homophobic prejudices, and are biased against discipline and subject area. This paper’s findings are relevant to policymakers and academics as student evaluations are undertaken in over 16,000 higher education institutions at the end of each teaching period. The article’s purpose is to demonstrate to the higher education sector that the data informing student surveys is flawed and prejudiced against those being assessed. Evaluations have been shown to be heavily influenced by student demographics, the teaching academic’s culture and identity, and other aspects not associated with course quality or teaching effectiveness. Evaluations also include increasingly abusive comments which are mostly directed towards women and those from marginalised groups, and subsequently make student surveys a growing cause of stress and anxiety for these academics. Yet, student evaluations are used as a measure of performance and play a role in hiring, firing and promotional decisions. Student evaluations are openly prejudiced against the sector’s most underrepresented academics and they contribute to further marginalising the same groups universities declare to protect, value and are aiming to increase in their workforces.

    https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/02602938.2021.1888075?scroll=top&needAccess=true&journalCode=caeh20

    #sexisme #racisme #préjugés #évaluation #enseignement_supérieur #évaluation_des_étudiants #évaluation_des_cours #enseignement_universitaire #université #femmes #femmes_enseignantes #stress #anxiété #performance #marginalisation #évaluation_d'étudiants

    ping @_kg_

  • How the aid sector marginalises women refugees

    ‘No one understands the issues women from war zones face better than we do ourselves.’

    I am a woman, a refugee from Darfur, and the co-founder of an organisation committed to supporting other Sudanese refugee women in Kampala, Uganda. I have heard about the localisation process in humanitarian aid, but I do not feel its effect. What I do feel, and experience on a daily basis, are the numerous ways women – especially refugee women – are discriminated against in the humanitarian system.

    My experiences have taught me that, wherever we go, women need to stand up for ourselves and take #leadership because no one understands the issues women from war zones face better than we do ourselves.

    When I was 12 years old my family fled to Kalma camp, the largest camp for displaced people in Darfur, home to more than 120,000 people. The war and insecurity were reason enough for me to leave my country, but when I was 16 I started being a human rights activist and helping women who had been raped.

    My work at the time consisted of writing down the details of what happened to the women who came to Kalma from villages to escape fighting and violence – mostly mothers and young girls. It made me a target because talking about rape was taboo, and recording the women’s stories was evidence of the crimes being committed in the war.

    When I finished high school I decided to leave. I wanted to go to university, but people like me were not safe in Sudan. The government attacked women’s rights activists in universities and in their homes, and sometimes kidnapped them. I was scared and wanted a future, so I left.

    I spent one year in South Sudan, where I continued my work with women, before arriving in 2012 in Kampala, where I registered as a refugee and attended university, earning a degree in International Relations and Diplomatic Studies.

    The issues we face

    Sudanese women are often in a difficult situation when they arrive in Kampala. Many are alone with their children. Most don’t speak English – the language you need to start building a life here. Their husbands are either dead, in prison, or missing. The women struggle to find work and struggle to feed their children. The ones who live with their husbands often experience domestic abuse when the men lash out because of financial stress.

    Many women have also been subjected to circumcision. They want to go to the hospital to receive medical care, but they do not know where to go, and fear judgement from the Sudanese community.

    A Sudanese woman will never speak about her rape to a man. She will never tell a man that she is having difficulties giving birth because of circumcision or that her husband treats her badly. She will never speak to a man about early marriage or young girls getting married to older men.

    These topics are considered shameful and taboo. Men commit many of the acts women suffer from, and women are afraid that they will be further victimised if they speak up. If a woman tells a man she is being beaten by her husband, the man will often ask the husband if it is true and the husband will only beat his wife more. Many Sudanese men will say these issues should be solved within the family and discourage women from seeking outside support.

    At the same time, Sudanese women also struggle to talk about these topics with Ugandan and Western aid workers who come from different cultures and speak different languages. But they will talk about them with other women from their own community, women who understand their experiences and speak their language.
    Representing and helping ourselves

    This is why refugee-led organisations like the one that I founded with fellow Sudanese refugee women are so important. We know the needs of Sudanese people. We can offer support on sensitive and intimate issues in ways that other organisations cannot, and we can act as a bridge to international humanitarian organisations to make sure people in our community are receiving food, healthcare, and the other essential support they need.

    Unfortunately, however, the humanitarian system is replicating the inequalities we face in our private lives. As a Sudanese woman leading an organisation, I feel like I am being left behind and marginalised, not because I want to be, but because the humanitarian system doesn’t recognise the additional barriers I face and the responsibilities I carry in my daily life.

    In Sudanese society, women are expected to get married, have children, take care of the home and take a secondary role to men. We have to fight for opportunities to have a role outside of the house and to be in leadership positions. We need to get paid for the humanitarian work we do in order to make it sustainable.

    Most international humanitarian organisations offer voluntary positions to women like me, even if we do as much work as people who are given a salary. Some organisations offer allowances of around $150 per month as compensation to volunteers. That is not enough to even pay rent, let alone feed our children or cover healthcare and education expenses.

    The Grand Bargain was supposed to change this, but in my experience it hasn’t. Instead of focusing full time on humanitarian work, I had to open a bakery to earn money to support myself and my family.

    If we get paid for our humanitarian work, we will be able to increase the time we dedicate to it and take more control over our own lives. There is a saying in Arabic: “He who does not own his own fuel does not own his own decisions.”

    Having funding to open a nursery at our organisation would also be a good starting place to allow us to increase our working hours and an important recognition of the multiple responsibilities we have as women.

    International humanitarian organisations should dedicate a specific percentage of funding to build the capacity of refugee women-led organisations to help these basic goals become a reality.

    Instead, donors expect women refugee-led organisations to compete for the same grants male-led organisations apply for and report on them on the same schedule. This is not feasible. Men have women taking care of their children, cooking their meals, and cleaning their houses while they are working. Women are doing both.

    Even me, I am currently pregnant with my third child. When I give birth, I will need to stay close to my baby for at least the first three months to feed and care for them. I won’t be able to leave my child to put in an eight-hour work day. I will need more time to complete the work I usually do, and I will need donors to understand this and adjust accordingly.

    But the humanitarian sector does not make any accommodations for the realities we face as refugee women. As a result, it is difficult for women refugee-led organisations to reach the same level as organisations led by men. This means that we are often denied a seat at the table to talk about the situations we face and to propose solutions.

    Without being able to raise these issues ourselves, no one will fight for us because men cannot imagine what we experience. If the humanitarian sector truly wants to address our needs, it is time to address the structural inequalities in the sector that prevent refugee women from leading for ourselves.

    https://www.thenewhumanitarian.org/opinion/first-person/2021/3/15/How-the-aid-sector-marginalises-women-refugees

    #femmes #femmes_réfugiées #marginalisation #humanitaire #inégalités #inégalités_structurelles #réfugiés

    ping @_kg_ @karine4

  • En #France, les recherches sur la #question_raciale restent marginales

    Avec des relents de maccarthysme, une violente campagne politico-médiatique s’est abattue sur les chercheurs travaillant sur les questions raciales ou l’#intersectionnalité en France, les accusant de nourrir le « #séparatisme ». Dans les faits, ces recherches sont pourtant dramatiquement marginalisées.

    « L’université est une matrice intellectuelle, aujourd’hui traversée par des mouvements puissants et destructeurs qui s’appellent le #décolonialisme, le #racialisme, l’#indigénisme, l’intersectionnalité. » Lors de l’examen du projet de loi dit « séparatisme », à l’instar de la députée Les Républicains (LR) #Annie_Genevard, beaucoup d’élus se sont émus de cette nouvelle #menace pesant sur le monde académique.

    Que se passe-t-il donc à l’université ? Alors que des étudiants font aujourd’hui la queue pour obtenir des denrées alimentaires et que certains se défenestrent de désespoir, la classe politique a longuement débattu la semaine dernière de « l’#entrisme » de ces courants intellectuels aux contours pour le moins flous.

    Après les déclarations du ministre de l’éducation nationale Jean-Michel #Blanquer en novembre dernier – au lendemain de l’assassinat de #Samuel_Paty, il avait dénoncé pêle-mêle les « #thèses_intersectionnelles » et « l’#islamo-gauchisme » qui auraient fourni, selon lui, « le terreau d’une fragmentation de notre société et d’une vision du monde qui converge avec les intérêts des islamistes » –, Emmanuel #Macron a lui-même tancé, dans son discours des Mureaux (Yvelines), le discours « postcolonial », coupable, selon lui, de nourrir la haine de la République et le « séparatisme ».

    À l’Assemblée, Annie Genevard a invité à se référer aux « travaux » du tout récent #Observatoire_du_décolonialisme qui a publié son manifeste dans un dossier spécial du Point, le 14 janvier. Appelant à la « riposte », les signataires – des universitaires pour l’essentiel très éloignés du champ qu’ils évoquent et pour une grande partie à la retraite – décrivent ainsi le péril qui pèserait sur le monde académique français. « Un #mouvement_militant entend y imposer une critique radicale des sociétés démocratiques, au nom d’un prétendu “#décolonialisme” et d’une “intersectionnalité” qui croit combattre les #inégalités en assignant chaque personne à des identités de “#race” et de #religion, de #sexe et de “#genre”. » « Nous appelons à mettre un terme à l’#embrigadement de la recherche et de la #transmission_des_savoirs », affirment-ils.

    À Mediapart, une des figures de cette riposte, la sociologue de l’art #Nathalie_Heinich, explique ainsi que « nous assistons à la collusion des militants et des chercheurs autour d’une #conception_communautariste de la société ». Ces derniers mois, différents appels ont été publiés en ce sens, auxquels ont répondu d’autres appels. S’armant de son courage, Le Point a même, pour son dossier intitulé « Classe, race et genre à l’université », « infiltré une formation en sciences sociales à la Sorbonne, pour tenter de comprendre cette mutation ».

    Derrière le bruit et la fureur de ces débats, de quoi parle-t-on ? Quelle est la place réelle des recherches sur les questions raciales ou mobilisant les concepts d’intersectionnalité à l’université française ? La première difficulté réside dans un certain flou de l’objet incriminé – les critiques mélangent ainsi dans un grand maelström #études_de_genre, #postcolonialisme, etc.

    Pour ce qui est des recherches portant principalement sur les questions raciales, elles sont quantitativement très limitées. Lors d’un colloque qui s’est tenu à Sciences-Po le 6 mai 2020, Patrick Simon et Juliette Galonnier ont présenté les premiers résultats d’une étude ciblant une quinzaine de revues de sciences sociales. Les articles portant sur la « #race » – celle-ci étant entendue évidemment comme une construction sociale et non comme une donnée biologique, et comportant les termes habituellement utilisés par la théorie critique de la race, tels que « racisé », « #racisation », etc. – représentent de 1960 à 2020 seulement 2 % de la production.

    La tendance est certes à une nette augmentation, mais dans des proportions très limitées, montrent-ils, puisque, entre 2015 et 2020, ils comptabilisent 68 articles, soit environ 3 % de l’ensemble de la production publiée dans ces revues.

    Pour répondre à la critique souvent invoquée ces derniers temps, notamment dans le dernier livre de Gérard Noiriel et Stéphane Beaud, Race et sciences sociales (Agone), selon laquelle « race » et « genre » auraient pris le pas sur la « classe » dans les grilles d’analyses sociologiques, le sociologue #Abdellali_Hajjat a, de son côté, mené une recension des travaux de sciences sociales pour voir si la #classe était réellement détrônée au profit de la race ou du genre.

    Ce qu’il observe concernant ces deux dernières variables, c’est qu’il y a eu en France un lent rééquilibrage théorique sur ces notions, soit un timide rattrapage. « Les concepts de genre et de race n’ont pas occulté le concept de classe mais ce qui était auparavant marginalisé ou invisibilisé est en train de devenir (plus ou moins) légitime dans les revues de sciences sociales », relève-t-il.

    Plus difficile à cerner, et pourtant essentielle au débat : quelle est la place réelle des chercheurs travaillant sur la race dans le champ académique ? Dans un article publié en 2018 dans Mouvements, intitulé « Le sous-champ de la question raciale dans les sciences sociales française », la chercheuse #Inès_Bouzelmat montre, avec une importante base de données statistiques, que leur position reste très marginale et souligne qu’ils travaillent dans des laboratoires considérés comme périphériques ou moins prestigieux.

    « Les travaux sur la question minoritaire, la racialisation ou le #postcolonial demeurent des domaines de “niche”, largement circonscrits à des revues et des espaces académiques propres, considérés comme des objets scientifiques à la légitimité discutable et bénéficiant d’une faible audience dans le champ académique comme dans l’espace public – à l’exception de quelques productions vulgarisées », note-t-elle soulignant toutefois qu’ils commencent, encore très prudemment, à se frayer un chemin. « Si la question raciale ne semble pas près de devenir un champ d’étude légitime, son institutionnalisation a bel et bien commencé. »

    Un chemin vers la reconnaissance institutionnelle qu’ont déjà emprunté les études de genre dont la place – hormis par quelques groupuscules extrémistes – n’est plus vraiment contestée aujourd’hui dans le champ académique.

    Deux ans plus tard, Inès Bouzelmat observe que « les études raciales sortent de leur niche et [que] c’est une bonne chose ». « Le sommaire de certaines revues en témoigne. Aujourd’hui, de plus en plus, la variable de race est mobilisée de manière naturelle, ce qui n’était vraiment pas le cas il y a encore dix ans », dit-elle.

    Pour #Eric_Fassin, qui a beaucoup œuvré à la diffusion de ces travaux en France, « il y a une génération de chercheurs, ceux qui ont plus ou moins une quarantaine d’années, qui ne sursaute pas quand on utilise ces concepts ». « Il n’y a plus besoin, avec eux, de s’excuser pendant une demi-heure en expliquant qu’on ne parle pas de race au sens biologique. »

    #Fabrice_Dhume, un sociologue qui a longtemps été très seul sur le terrain des #discriminations_systémiques, confirme : « Il y a eu toute une époque où ces travaux-là ne trouvaient pas leur place, où il était impossible de faire carrière en travaillant sur ce sujet. » Ceux qui travaillent sur la question raciale et ceux qui ont été pionniers sur ces sujets, dans un pays si réticent à interroger la part d’ombre de son « #universalisme_républicain », l’ont souvent payé très cher.

    Les travaux de la sociologue #Colette_Guillaumin, autrice en 1972 de L’Idéologie raciste, genèse et langage actuel, et qui la première en France a étudié le #racisme_structurel et les #rapports_sociaux_de_race, ont longtemps été superbement ignorés par ses pairs.

    « Travailler sur la race n’est certainement pas la meilleure façon de faire carrière », euphémise Éric Fassin, professeur à Paris VIII. Lui n’a guère envie de s’attarder sur son propre cas, mais au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty, il a reçu des menaces de mort par un néonazi, condamné à quatre mois de prison avec sursis en décembre dernier. Il en avait déjà reçu à son domicile. Voilà pour le climat.

    Lorsqu’on regarde les trajectoires de ceux qui se sont confrontés à ces sujets, difficile de ne pas voir les mille et un obstacles qu’ils ou elles ont souvent dû surmonter. Si la raréfaction des postes, et l’intense compétition qui en découle, invite à la prudence, comment ne pas s’étonner du fait que pratiquement toutes les carrières des chercheurs travaillant sur la race, l’intersectionnalité, soient aussi chaotiques ?

    « La panique morale de tenants de la fausse opposition entre, d’un côté, les pseudo-“décoloniaux/postcoloniaux/racialistes” et, de l’autre, les pseudo-“universalistes” renvoie à une vision conspirationniste du monde de la recherche : les premiers seraient tout-puissants alors que la recherche qui semble être ciblée par ces vagues catégories est, globalement, tenue dans les marges », affirme le sociologue #Abdellali_Hajjat.

    Le parcours de ce pionnier, avec #Marwan_Mohammed, de l’étude de l’#islamophobie comme nouvelle forme de #racisme, ne peut là aussi qu’interroger. Recruté en 2010 à l’université Paris-Nanterre, avant d’avoir commencé à travailler la question de l’islamophobie, il a fini par quitter l’université française en 2019 après avoir fait l’expérience d’un climat de plus en plus hostile à ses travaux.

    « On ne mesure pas encore les effets des attentats terroristes de 2015 sur le champ intellectuel. Depuis 2015, on n’est plus dans la #disputatio académique. On est même passés au-delà du stade des obstacles à la recherche ou des critiques classiques de tout travail de recherche. On est plutôt passés au stade de la #censure et de l’établissement de “listes” d’universitaires à bannir », explique-t-il, égrenant la #liste des colloques sur l’islamophobie, l’intersectionnalité ou le racisme annulés ou menacés d’annulation, les demandes de financements refusées, etc.

    En 2016, il fait l’objet d’une accusation d’antisémitisme sur la liste de diffusion de l’#ANCMSP (#Association_nationale_des_candidats_aux_métiers_de_la_science_politique) en étant comparé à Dieudonné et à Houria Bouteldja. Certains universitaires l’accusent, par exemple, d’avoir participé en 2015 à un colloque sur les luttes de l’immigration à l’université Paris-Diderot, où étaient aussi invités des représentants du Parti des indigènes de la République. Qu’importe que ce chercheur n’ait aucun rapport avec ce mouvement et que ce dernier l’attaque publiquement depuis 2008… « Je suis devenu un indigéniste, dit-il en souriant. Pour moi, c’est une forme de racisme puisque, sans aucun lien avec la réalité de mes travaux, cela revient à m’assigner à une identité du musulman antisémite. »

    Abdellali Hajjat travaille aujourd’hui à l’Université libre de Bruxelles. « Lorsque l’on va à l’étranger, on se rend compte que, contrairement au monde académique français, l’on n’a pas constamment à se battre sur la #légitimité du champ des études sur les questions raciales ou l’islamophobie. Sachant bien que ce n’est pas satisfaisant d’un point de vue collectif, la solution que j’ai trouvée pour poursuivre mes recherches est l’exil », raconte-t-il.

    « Moi, j’ai choisi de m’autocensurer »

    #Fabrice_Dhume, qui mène depuis plus de 15 ans des recherches aussi originales que précieuses sur les #discriminations_raciales, notamment dans le milieu scolaire, a lui aussi un parcours assez révélateur. Après des années de statut précaire, jonglant avec des financements divers, celui qui a été un temps maître de conférences associé à Paris-Diderot, c’est-à-dire pas titulaire, est aujourd’hui redevenu « free lance ».

    Malgré la grande qualité de ses travaux, la sociologue #Sarah_Mazouz, autrice de Race (Anamosa, 2020) a, elle, enchaîné les post-doctorats, avant d’être finalement recrutée comme chargée de recherche au CNRS.

    Autrice d’une thèse remarquée en 2015, intitulée Lesbiennes de l’immigration. Construction de soi et relations familiales, publiée aux éditions du Croquant en 2018, #Salima_Amari n’a toujours pas trouvé de poste en France et est aujourd’hui chargée de cours à Lausanne (Suisse). Beaucoup de chercheurs nous ont cité le cas d’étudiants prometteurs préférant quitter l’Hexagone, à l’image de #Joao_Gabriel, qui travaille sur les questions raciales et le colonialisme, et qui poursuit aujourd’hui ses études à Baltimore (États-Unis).

    Derrière ces parcours semés d’obstacles, combien surtout se sont découragés ? Inès Bouzelmat a choisi de se réorienter, raconte-t-elle, lucide sur le peu de perspectives que lui ouvraient l’université et la recherche françaises.

    Certains adoptent une autre stratégie, elle aussi coûteuse. « Moi, j’ai choisi de m’autocensurer », nous raconte une chercheuse qui ne veut pas être citée car elle est encore en recherche de poste. « Dans ma thèse, je n’utilise jamais le mot “race”, je parle “d’origines”, de personnes “issues de l’immigration”… Alors que cela m’aurait été très utile de parler des rapports sociaux de race. Même le terme “intersectionnalité” – qui consiste simplement à réfléchir ensemble classe-race et genre –, je me le suis interdit. Je préfère parler “d’imbrication des rapports sociaux”. Cela revient au même, mais c’est moins immédiatement clivant », nous confie cette sociologue. « Le pire, c’est parler de “#Blancs”… Là, c’est carrément impossible ! Alors je dis “les Franco-Français”, ce qui n’est pas satisfaisant », s’amuse-t-elle.

    « Oui, il y a eu des générations d’étudiants découragés de travailler sur ces thématiques. On leur a dit : “Tu vas te griller !”… Déjà qu’il est très dur de trouver un poste mais alors si c’est pour, en plus, être face à une institution qui ne cesse de disqualifier votre objet, cela devient compliqué ! », raconte le socio-démographe Patrick Simon, qui dirige le projet Global Race de l’Agence nationale pour la recherche (ANR).

    La #double_peine des #chercheurs_racisés

    L’accès au financement lorsqu’on traite de la « race » est particulièrement ardu, l’important projet de Patrick Simon représentant, à cet égard, une récente exception. « On m’a accusé d’être financé par la French American Fondation : c’est faux. Mes recherches ont bénéficié exclusivement de financements publics – et ils sont plutôt rares dans nos domaines », indique Éric Fassin.

    « Il est difficile d’obtenir des financements pour des travaux portant explicitement sur les rapports sociaux de race. Concernant le genre, c’est désormais beaucoup plus admis. Travailler sur les rapports sociaux de race reste clivant, et souvent moins pris au sérieux. On va soupçonner systématiquement les chercheurs de parti-pris militant », affirme la sociologue Amélie Le Renard, qui se définit comme défendant une approche féministe et postcoloniale dans sa recherche. « Nous avons aussi du mal à accéder aux grandes maisons d’édition, ce qui contribue à renforcer la hiérarchisation sociale des chercheurs », ajoute-t-elle.

    https://www.youtube.com/watch?v=spfIKVjGkEo&feature=emb_logo

    Certains se tournent donc vers des #maisons_d’édition « militantes », ce qui, dans un milieu universitaire très concurrentiel, n’a pas du tout le même prestige… Et alimente le cercle vicieux de la #marginalisation de ces travaux comme leur procès en « #militantisme ».

    Pourquoi les signataires des différentes tribunes s’inquiétant d’un raz-de-marée d’universitaires travaillant sur la race, l’intersectionnalité, se sentent-ils donc assaillis, alors que factuellement ces chercheurs sont peu nombreux et pour la plupart largement marginalisés ?

    « J’ai tendance à analyser ces débats en termes de rapports sociaux. Quel est le groupe qui n’a pas intérêt à ce qu’émergent ces questions ? Ce sont ceux qui ne sont pas exposés au racisme, me semble-t-il », avance le sociologue Fabrice Dhume, pour qui les cris d’orfraie de ceux qui s’insurgent de l’émergence – timide – de ces sujets visent à faire taire des acteurs qui risqueraient d’interroger trop frontalement le fonctionnement de l’institution elle-même et son propre rapport à la racisation. « Dans ce débat, il s’agit soit de réduire ceux qui parlent au silence, soit de noyer leur parole par le bruit », affirme-t-il.

    « Il y a aussi une hiérarchie implicite : tant que ces recherches étaient cantonnées à Paris VIII, “chez les indigènes”, cela ne faisait peur à personne, mais qu’elles commencent à en sortir… », s’agace-t-il, en référence à une université historiquement marquée à gauche et fréquentée par beaucoup d’étudiants issus de l’immigration ou étrangers.

    Dans ce paysage, les chercheurs eux-mêmes racisés et travaillant sur les discriminations raciales subissent souvent une forme de double peine. « Ils sont soupçonnés d’être trop proches de leur objet. Comme si Bourdieu n’avait pas construit tout son parcours intellectuel autour de questions qui le concernent directement, lui, le fils de paysans », souligne Patrick Simon.

    La sociologue #Rachida_Brahim, autrice de La Race tue deux fois (Syllepse, 2021), raconte comment, lors de sa soutenance de doctorat, son directeur de thèse, Laurent Mucchielli, et le président du jury, Stéphane Beaud, lui ont expliqué qu’en allant sur le terrain racial, elle était « hors sujet ». « Le fait que je sois moi-même d’origine algérienne m’aurait empêchée de prendre de la distance avec mon sujet », écrit-elle.

    Au cours de notre enquête, nous avons recueilli plusieurs témoignages en ce sens de la part de chercheurs et singulièrement de chercheuses qui, pour être restés dans l’institution, ne souhaitent pas citer nommément leur cas (voir notre Boîte noire). « Ce sont des petites remarques, une façon insistante de vous demander de vous situer par rapport à votre sujet de recherche », raconte une chercheuse.

    De la même manière que les féministes ont longtemps dû répondre à l’accusation de confondre militantisme et sciences au sein des études de genres, les chercheurs racisés osant s’aventurer sur un terrain aussi miné que le « racisme systémique » doivent constamment montrer des gages de leur #objectivité et de leur #rigueur_scientifique.

    « Le procès en militantisme est un lieu commun de la manière dont ces travaux ont été disqualifiés. C’est la façon de traiter l’objet qui définit le clivage entre ce qui est militant et ce qui est académique. Sont en réalité qualifiés de “militants” les travaux qui entrent par effraction dans un champ qui ne reconnaît pas la légitimité de l’objet », analyse Patrick Simon.

    Comme les études de genre ont massivement été portées par des femmes, les questions raciales intéressent particulièrement ceux qui ont eu à connaître de près le racisme. Ce qui n’est pas, manifestement, sans inquiéter un monde universitaire encore ultra-majoritairement blanc. « Les chercheurs assignés à des identités minoritaires sont souvent discrédités au prétexte qu’ils seraient trop proches de leur sujet d’étude ; en miroir, la figure du chercheur homme blanc est, de manière implicite, considérée comme neutre et les effets sur l’enquête et l’analyse d’une position dominante dans plusieurs rapports sociaux sont rarement interrogés », souligne de son côté Amélie Le Renard.

    « Il y a eu des générations de chercheurs qui n’ont pas réussi à trouver leur place dans l’institution. Ce qui est intéressant, c’est que certains commencent à émerger et qu’ils appartiennent à des minorités. Et c’est à ce moment-là que des universitaires s’élèvent pour dire “ça suffit, c’est déjà trop”, alors qu’ils devraient dire “enfin !” », insiste Éric Fassin.

    Depuis quelques mois, et le tragique assassinat de Samuel Paty par un islamiste, les attaques à l’encontre de ces chercheurs ont pris un tour plus violent. Ceux qui travaillent sur l’islamophobie s’y sont presque habitués, mais c’est désormais tous ceux qui travaillent sur les discriminations ethno-raciales, la #colonisation, qui sont accusés d’entretenir un #esprit_victimaire et une rancœur à l’égard de l’État français qui armerait le terrorisme.

    « Quand le ministre de l’éducation nationale vous associe à des idéologues qui outillent intellectuellement les terroristes, c’est très violent », affirme une chercheuse qui a particulièrement travaillé sur la question de l’islamophobie et a, dans certains articles, été qualifiée de « décoloniale ».

    « Les termes employés sont intéressants. Qu’est-ce qu’on sous-entend quand on dit que les “décoloniaux infiltrent l’université” ou qu’on reprend le terme d’“entrisme” ? Cela dit que je n’y ai pas ma place. Alors que je suis pourtant un pur produit de l’université », analyse cette maîtresse de conférences d’origine maghrébine, qui ne souhaite plus intervenir dans les médias pour ne pas subir une campagne de dénigrement comme elle en a déjà connu. « C’est terrible parce qu’au fond, ils arrivent à nous réduire au #silence », ajoute-t-elle en référence à ceux qui demandent que le monde académique construise des digues pour les protéger.

    Le grand paradoxe est aussi l’immense intérêt des étudiants pour ces thématiques encore peu représentées dans l’institution. En attendant, l’université semble organiser – avec le soutien explicite du sommet de l’État – sa propre cécité sur les questions raciales. Comme si la France pouvait vraiment se payer encore longtemps le luxe d’un tel #aveuglement.

    https://www.mediapart.fr/journal/france/080221/en-france-les-recherches-sur-la-question-raciale-restent-marginales?onglet

    #recherche #université #auto-censure #autocensure #assignation_à_identité #neutralité #décolonial

    ping @karine4 @cede

    • La grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le boeuf

      Pendant ces dernières heures, j’ai pris le temps de tenter une approche purement « comptable » (urgh) concernant la fameuse et néanmoins ridicule polémique à propos de la supposée « gangrène islamogauchiste » qui serait à l’œuvre au sein de nos respectables universités. Ce billet de recherche sera simple, et je vais d’abord dire ce qu’il n’est pas, suite aux quelques échanges bienveillants que j’ai pu avoir avec certain.e.s collègues qui auront le plaisir de se reconnaître – et je les remercie d’ailleurs sincèrement pour leurs remarques.

      Disclaimer, donc (comme on dit en bon français) : cette mini-étude n’a pas pour vocation à consolider les arguments des pourfendeurs de l’islamogauchisme. Il part simplement de l’expression « gangrène » et tend à leur montrer, chiffres à l’appui, qu’on est très très loin d’une explosion de ces concepts qu’ils ne maîtrisent pas (comme « intersectionnalité » ou « décolonial », qui renvoient par exemple tous deux à des positionnements épistémologiques et des fondements théoriques bien précis, n’en déplaisent à ceux qui sont trop fainéants pour n’y voir qu’une bouillasse méprisable, là où se trouve un champ d’intérêt extrêmement fécond et inspirant). En gros, l’idée n’est pas de dire « ne vous alarmez pas, confrères conservateurs, c’est en fait une idéologie marginale« , mais plutôt de dire « 1. il n’y a pas d’idéologie, mais de la recherche et 2. si on s’amusait à la compter, on obtient des résultats ridicules qui n’autorisent ni vos invectives, ni votre inculture sur ces sujets ».

      Et au passage, la grenouille dans le titre (pour être clair), ce sont bien ceux qui accusent l’université de dérives idéologiques. Spoiler : tout est idéologie de toute manière puisque tout peut être politique, et tous les corps de métier sont d’ailleurs traversés par des expériences militantes – et heureusement, c’est ça la démocratie ! Il y a autant de militantisme possible à l’université que dans la culture, le milieu associatif, le journalisme et même (mais si si si) le monde de l’entreprise. Donc cessons d’agiter des fantômes pour nous faire peur, et surtout cessons les chasses aux sorcières qui visent précisément les universitaires – les régimes qui organisent cela n’ont rien de démocratique, et ma crainte principale se loge bien là, d’ailleurs. Ma démarche est donc la suivante : vous voulez du sérieux ? On va faire la base de la démarche scientifique : regarder les faits et compter. Cela ne devrait pas être si compliqué que cela, tout le monde peut suivre.

      Je l’exprime ici, en tant que chercheur : ce que des esprits mal intentionnés et peu curieux nomment « islamogauchisme » constitue un ensemble d’études interdisciplinaires que je vous encourage à aller explorer, au moins par pure curiosité intellectuelle – comme je m’évertue, autant que faire ce peut, à lire un maximum d’approches variées. C’est tout le principe de la recherche. Pour pouvoir effectuer mon étude arithmétique, j’ai choisi d’utiliser quelques mots-clé souvent réexploités pour accuser les universitaires d’islamogauchisme : « décolonial », « intersectionnel », « intersectionnalité », « racisé », « racialisé » – puis, pour la blague, « islamogauchisme » et « islamogauchiste ». Je suis donc allé voir ce que nous donnaient 4 des moteurs de recherche scientifiques les plus utilisés : theses.fr et HAL pour la partie générale, puis CAIRN et Open Edition pour la partie plus directement dédiée aux sciences humaines.

      Pourquoi les sciences humaines et pas la sociologie, arguera l’esprit pingre ? Parce que les études dites intersectionnelles ou décoloniales occupent en fait un champ interdisciplinaire très vaste : on y retrouve les études anglophones, la sociologie, la géographie, la démographie, le droit, les sciences du langage, la philosophie, l’anthropologie, les sciences de l’information et de la communication, l’économie, la psychologie, les études littéraires ou encore les arts. Bref, inutile de taper comme un sourd sur cette pauvre sociologie qui se donne pourtant beaucoup de mal (avec des moyens dérisoires) pour comprendre la société qui nous entoure. Nous autres, scientifiques des SHS, sommes donc toutes et tous coupables, rassurez-vous. Et pourquoi, comme on me l’a demandé, ne pas inclure les expressions « gender studies » ou « écriture inclusive » ? Parce que faut pas non plus exagérer : faites donc une liste de toutes les notions de sciences humaines que vous ne comprenez pas et que donc, par définition, il faudrait arrêter d’étudier, et ça sera plus simple. Et si vous ne comprenez pas pourquoi « race », « postcolonial » ou « islam » n’y figurent pas, j’ai des réponses, mais elles ne sont pas dignes d’un carnet de recherche.

      Voici donc la première partie de cette rapide étude : elle est assez simple, puisqu’elle donne des données plutôt brutes. Pour chaque portail dédié à l’archivage des publications scientifiques, il s’est agi de rentrer simplement les mots-clé pour une simple recherche, puis de les transformer en pourcentage par rapport au total de publications répertoriées. De ce point de vue, on est loin du calcul statistique complexe (je rappelle à mon lectorat que je suis linguiste, que j’ai fait un Bac L à l’époque, et que je fais ce que je peux pour ne pas sombrer). Mais comme les pourfendeurs de l’islamogauchisme brandissent souvent la neutralité de la raison face à des chercheur.e.s qui, selon eux, auraient succombé à l’idéologie et à l’émotion, alors chiche : voici des chiffres, soit les représentants les plus aboutis du mythe de la prétendue neutralité scientifique et de l’objectivité rationnelle. Mieux : des données, de la data. Et le tout dans une infographie avec des couleurs et des dessins.

      Premier à passer sur le grill d’un simple comptage, le portail HAL répertorie un ensemble plutôt impressionnant de références scientifiques déposées. Toutes disciplines confondues, on arrive à un pourcentage excessivement faible concernant les mots-clés proposés. Ironie du sort : la seule publication qui sort lorsqu’on rentre le terme « islamogauchiste » est celle de Pierre-André Taguieff, à qui l’on attribue souvent à tort la naissance de cette expression bien connue des milieux d’extrême-droite (il n’en reste pas moins qu’il a largement participé à sa popularisation et à sa normalisation médiatique, sans être lui-même d’ailleurs sympathisant des milieux d’extrême-droite – je tiens ici à le préciser, avant qu’on ne m’accuse de manœuvre diffamatoire). Il convient également de signaler qu’on retrouve également dans ces publications des travaux qui critiquent justement les études décoloniales et intersectionnelles, ce qui fait monter artificiellement les chiffres – sans compter le fait que certaines publications cumulent plusieurs de ces mots-clés. Bref, pour le dire vite : ce pourcentage de 0,038 % est donc probablement surévalué.

      Sur Theses.fr, on remarque une légère augmentation des résultats en terme de pourcentages. Il faut dire ici, de surcroît, que le portail doctoral en question répertorie à la fois les thèses soutenues et les thèses démarrées, ce qui fait que là aussi, on se retrouve avec un cumul de travaux qui n’en sont pas tous au même stade – ce qui est à la fois heureux et bien normal, quand on connaît le processus doctoral, ses exigences et ses coups du sort. Quoiqu’il arrive, vous me direz (et vous aurez raison) que c’est bien gentil de mélanger des concepts de sciences humaines à des thèses de médecine ou de biologie moléculaire, mais qu’il faut être un peu sérieux – et que si pluridisciplinarité il y a, il faut donc aller regarder plus précisément du côté des domaines de recherche concernés. Je suis entièrement d’accord, donc allons-y.

      Et là, pas de surprise : sur CAIRN comme sur Open Edition, qui totalisent tous deux une masse non négligeable de publications répertoriées et accessibles pour les adeptes des sciences dites « molles » ou « subtiles », évidemment, le pourcentage augmente. Mais vous l’aurez remarqué : le pourcentage sur le total de publications répertoriées est très très loin d’être significatif, tout au contraire : on reste aux alentours des 2%, ce qui montre la faible représentativité des études décoloniales ou intersectionnelles. Et là, autre contre-argument : mais c’est facile de prendre le nombre de publications sur le total ! Evidemment, en 1992, on n’utilisait probablement pas ces notions en France ! Tout juste : attardons-nous donc sur l’évolution de ces mots-clé depuis 2011, histoire d’avoir une représentativité plus fine sur le total de publications. Mais même là, il faut se rendre à l’évidence : on est loin d’une écrasante hégémonie des études intersectionnelles, par exemple.

      CAIRN ne figure pas dans les résultats, tout simplement parce que son moteur de recherche ne permet pas de faire émerger des résultats annuels – sinon je l’aurais fait. Mais déjà, avec HAL, Theses.fr et Open Edition, on remarque les mots-clé incriminés sont bel et bien en augmentation depuis 2011, mais qu’ils rencontrent aussi un certain tassement depuis deux ans – ce qui est à vrai dire plutôt inquiétant, car cela souligne le retard de la France sur des questions de recherche qui sont assez largement investies ailleurs dans le monde (et pas qu’aux Etats-Unis, le grand Satan des néoréacs français) – sans pour autant que cela soit d’ailleurs associé à des postures militantes. Cela étant, le tassement de ces mots-clés depuis 2011 n’a de sens que si on regarde leur pourcentage total par rapport à l’évolution de l’ensemble des publications sur les portails en question. Regardons un peu.

      Les accusateurs d’islamogauchisme pourront se réjouir et pointer du doigt une tendance à la hausse ; cela dit, on remarque une dynamique différente en fonction du portail. Là où le nombre de thèses marque une augmentation qui reste régulière, par exemple, on ne peut que constater la faiblesse des pourcentages par an. C’est sur Open Edition que ce type de courbe reste le plus intéressant à analyser : on voit une évolution croissante, bien que timide, de l’intérêt pour les sujets que permettent d’analyser les études intersectionnelles et décoloniales, quelle que soit la discipline d’ancrage. Mais attention aussi : sur Open Edition, on se bat à coups de revues scientifiques notamment, et en regardant sur ce portail, vous trouverez une évolution nette des publications scientifiques qui critiquent en fait les études décoloniales et intersectionnelles – en d’autres termes, l’augmentation de publication n’est pas tant dû à l’ancrage épistémologique dans ces champs, mais aux débats interdisciplinaires qui surgissent en raison de leurs méthodes ou de leurs concepts. En bref, cette évolution montre plus une vitalité des débats (tiens tiens) qu’une homogénéisation des épistémologies et des méthodologies.

      Que dire après tout cela ? Qu’avant de juger un terme sur de simples rumeurs colportées sur une chaîne de télé trop racoleuse ou un réseau social trop électrique, il suffit d’aller lire. Parce que lire reste encore la meilleure réponse à apporter à l’ignorance, aux idées reçues, aux raccourcis commodes, aux paresses intellectuelles ou aux ignorances légitimes. Ne pas savoir, ce n’est pas grave : nous sommes toutes et tous ignares sur bien des sujets. Ne pas savoir et prétendre que l’on a pas besoin de savoir pour se faire une idée, c’est non seulement bête à manger du foin et dommage en général, mais c’est surtout dangereux pour nos fragiles régimes démocratiques – et surtout pour l’indépendance de la recherche. Au final, on a le droit de questionner, de débattre et de discuter autour de ces questions (et encore heureux) : mais faisons-le dignement.

      PS : Au passage, ce n’est plus la peine de commander une étude au CNRS concernant l’islamogauchisme, du coup.

      PS bis : Vous avez le droit de ne pas être d’accord avec ma démarche, bien entendu. Depuis la première publication de cette mini-étude sur Twitter, j’ai eu quelques messages un peu vifs : ceux qui disent que l’islamogauchisme n’aiment pas mes chiffres et m’accusent de ne pas mesurer « l’impact » par exemple, ou encore de ne pas vouloir voir la réalité derrière les chiffres (???). Et celles et ceux qui pensent qu’il ne faut pas donner du grain à moudre avec des chiffres. J’ai envie de répondre que dans ce genre de situation, il peut y avoir une pluralité de méthodes et de démarches, et que rien ne leur empêche de concorder à des moments opportuns. En tout cas, c’est ma modeste contribution, et ma modeste démarche.

      https://sysdiscours.hypotheses.org/352

      déjà signalé par @marielle ici :
      https://seenthis.net/messages/904269

  • Le #paria.
    Expulsion, refoulement, ghettos, cités, misère, exclusion, prison, incarcération, déportation, racisme, islamophobie, violence policière, état d’urgence, déchéance, identité nationale

    Le paria est une association créée en 2017 qui a pour principe d’allier l’#action_militante et politique, le registre scientifique et la #création_artistique dans la lutte contre toutes les formes l’#exclusion, de #marginalisation et de #discrimination, notamment liées à l’origine, à la religion, aux #préjugés xénophobes et racistes.

    https://leparia.fr

    #action_politique #art_et_politique #racisme #xénophobie #journal

  • DE LA TOUTE PUISSANCE DES PRÉDATEURS HAUT-PLACÉS

    [TW : #Violences_psychologiques]

    [TW : Mention de suicide]

    Ce texte est long, mais il mérite d’être lu. Il vous raconte ce que c’est que l’emprise.

    Vous êtes autorisé·es et même plus que bienvenu·es à le partager largement.

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    Novembre dernier, j’ai pris la décision de quitter ma thèse et la licence dans laquelle je donnais cours pour les mêmes raisons qui ont poussé mon amie, que nous allons appeler « Ewilan », à mettre fin à sa vie.

    J’ai rencontré cet enseignant — partons sur « M. Ts’liche » — en L3, quand j’étais enceinte, isolée dans une ville éloignée de Nancy et dans un couple qui battait déjà de l’aile, traumatisée par un premier accouchement assez violent. Vulnérable, donc, comme je l’avais déjà été souvent, avec mon profil psy assez lourd dont la tentative de suicide à 17 ans.

    Quelle bouffée d’air frais quand ce professeur, directeur de la licence, s’intéresse à vous ! Quel soulagement que ces longues heures passées à discuter par messenger, cette conversation presque ininterrompue et de plus ne plus intime alors que vous vous sentiez si perdue et désœuvrée. C’est même moi qui, un jour, ai initié un contact physique : je l’ai pris dans mes bras à la fin de l’année, si reconnaissante de cette attention qu’il m’offrait, un peu angoissée à l’idée de quitter la formation — et lui ! — pour l’été. Qu’est-ce que j’allais pouvoir faire dans ma vie si vide ?

    Mais ouf ! la conversation ne s’arrête pas à la faveur de l’été. Elle ne s’arrête jamais, en fait. Heureusement, parce qu’on en a besoin. De plus en plus, et très vite. Vous sentez bien que le ton devient un peu ambigu, un peu dragueur, mais ce n’est pas bien méchant que ce ton badin légèrement séducteur, et puis vous pouvez bien le supporter en échange de cette narcissisation dont vous aviez tant besoin. Ce n’est même pas désagréable en fait, vous êtes un peu « l’élue », la complice à qui on envoie des petits sms pendant les cours ou les colloques, à travers laquelle on fait passer des petites infos au reste de la promo. Celle si spéciale à qui il raconte toute sa vie, ses anciennes aventures, ses « casseroles » comme on dit. Il vous trouve merveilleuse quand vous vous êtes si souvent sentie indésirable. La gratitude pour toute cette attention vous fait donner ce qu’il attend, des mots et des gestes attentionnés. Vous êtes prête à tout pour continuer d’être « aimée ».

    Très vite, le prix à payer augmente. Le #chantage_affectif, les gestes ou propos hors limites que vous acceptez néanmoins tôt ou tard, la perspective d’être abandonnée étant bien plus terrible que celle de céder à la fin d’une scène durant laquelle on vous a reproché de dire non à une main un peu trop baladeuse, de mettre une photo de profil vous représentant avec votre conjoint, ou encore de prétendre boire un verre avec vos camarades à la fin des cours alors qu’il avait prévu ce créneau chaque semaine spécialement pour vous. Vous vous faites enfermer, prétendument sans qu’il y pense, dans une image de duo qu’il entretient férocement, en « chuchotant » à grand bruit devant la promo entière un compliment déplacé, en vous demandant devant elle si vous « allez bien » en plein cours ou pourquoi vous n’avez pas pensé à son café à lui quand vous revenez de la machine après la pause. Un jour, il vous demande même, devant toute votre bande de copines de fac, de lui mettre un morceau de gâteau dans la bouche sous le prétexte qu’il tient sa pipe dans une main et son paquet de tabac dans l’autre. Vous êtes gênée, mais c’est seulement de la maladresse, il ne se rend pas compte, vous n’allez pas le blesser pour ça, enfin ! Parallèlement, il supporte assez mal que vous vous entichiez de nouveaux·elles ami·es, et vous trouve des raisons de les considérer finalement assez nocif·ves. Cette copine que vous appréciez particulièrement, par exemple, essaie de vous « voler » votre sujet de mémoire, ne le réalisez-vous donc pas ? Et ce professeur qui vous a prêté un livre après une conversation sympathique, vous devriez vous en méfier, c’est un feignant obsédé par le pouvoir. D’ailleurs, vous entrez dans ses petites mesquineries, il se moque auprès de vous d’à peu près tout le monde et, flattée de cette marque d’intimité et de confiance, vous entrez dans ce petit jeu-là comme dans les autres. La confusion, quant à elle, s’est installée depuis un moment : si vous avez tant peur qu’il vous « quitte », c’est forcément que vous avez des sentiments que vous n’osez pas vous avouer.

    J’ai passé presque une année dans cette relation perverse qui m’étouffait chaque jour un peu plus, comme un moucheron dans une toile, l’étau d’autant mieux resserré grâce à cette impression donnée à tout notre entourage commun que nous étions une entité indéboulonnable — ainsi que l’impression que l’on couche ensemble, accessoirement.

    Le hasard de la vie m’a fait passer une soirée avec un amour passé : je me suis rappelé ce que c’était, justement, l’amour, et réalisé que cette relation qui me préoccupait et m’angoissait toujours davantage n’en était pas. C’est ce qui m’a donné le courage de mettre fin à tout ça.

    On ne se libère néanmoins pas de M. Ts’liche sans frais, et la vague de #violence verbale a été terrible. Je m’étais servie de lui, grâce à moi il savait « ce que l’étron ressent lorsqu’on tire la chasse », et quand il a été question de me faire participer à un colloque alors que j’étais en M1 seulement, j’ai été rassurée sur mes craintes d’être injustement avantagée : « t’as pas besoin de craindre que je te favorise, parce que là j’aurais plutôt envie de t’enfoncer la tête sous l’eau jusqu’à ce que tu te noies ».

    La vague de violence directe est passée, les vacances d’été aidant. Je suis arrivée en M2 le cœur serré d’angoisse, j’étais honteuse et dégoutée par cette histoire, je me sentais coupable, me disais que c’était un peu de ma faute, que j’avais pêché par narcissisme, que j’avais forcément, à un moment ou à un autre, laissé la porte ouverte, sinon il n’aurait pas pu s’y engouffrer si facilement. Et l’année suivante j’ai malgré tout fait une thèse avec lui. Parce que j’étais persuadée que c’était avec lui ou pas du tout — il avait tout fait pour construire cette certitude –, et j’avais travaillé si dur pour avoir des résultats excellents et des chances optimales d’obtenir ce contrat doctoral. On m’avait même dit que si je renonçais à mon projet de thèse à cause de lui, je le laissais gagner deux fois. Alors j’y suis allée. J’ai tâché de feindre une relation cordiale, de faire un effort pour que ce doctorat se passe au mieux. Je me suis convaincue qu’il n’avait pas réalisé le tort qu’il m’avait causé, aussi, et qu’une nouvelle page pouvait commencer, un retour à des échanges de travail normaux dans des conditions à peu près saines.

    Évidemment, c’était se voiler la face. Durant ces années de doctorat, je n’ai pas été encadrée, pas présentée, pas soutenue. J’ai été maltraitée. Ma tentative de relation à peu près cordiale le temps de cette thèse n’a pas vraiment rencontré de succès — au début, les petits reproches sur mon manque d’intérêt pour sa vie personnelle m’ont demandé un certain art de l’esquive ; après, j’ai été ballotée entre le fait d’être ignorée et celui de me faire décourager. Je me suis sentie marginalisée, mise de côté de tous les colloques, des pots et repas de doctorants, des événements où j’étais censée être intégrée. J’ai tenté d’en parler, il m’a alors laissé penser que c’était le fait des autres doctorant·es, décidé·es à activement m’exclure — surtout une parmi elleux, jalouse que soit arrivée une « autre jolie femme ». Une conversation à cœur ouvert avec la « jolie femme » nous aura permis de découvrir, bien plus tard malheureusement, la manière dont nous avions été roulées dans la farine, elle apprenant qu’elle était manipulatrice et jalouse, moi qu’il fallait se méfier de moi et de mes ambitions carriéristes me poussant à détruire tout et tout le monde sur mon passage. Diviser pour mieux régner. J’ai réalisé que je serai punie à jamais d’avoir osé m’extraire — dans une certaine mesure seulement pourtant — de cette emprise, et qu’il m’avait prise en thèse pour des raisons qui n’avaient pas l’air très bienveillantes.

    J’ai dû payer mes postures politiques, aussi. Subir des interventions grossières lors de mes communications (quelle désagréable expérience de se faire couper la parole pour entendre « Mais bien sûr, que les réalisatrices s’approprient les héroïnes, et après les noirs feront des films pour les noirs et les pédés (sic) feront des films pour les pédés ! »). La dernière année a été la pire : j’avais de plus ne plus de mal à rester de marbre, et on en est arrivé à une relation où M. Ts’liche ne se donne même plus la peine de ne pas répondre « Ah non ! » sur un ton similaire à « plutôt crever » quand on lui suggère de me convier à un repas d’après soutenance. Ce jour-là, j’ai compris qu’il fallait définitivement admettre que je n’avais plus droit à la moindre foutue considération ou once de respect. Mais aussi que, au fond, je n’étais jamais totalement sortie de cette emprise, que j’avais encore peur qu’il m’en veuille, et que j’attachais encore de l’importance à son regard sur moi. Qu’il était encore en mesure de me faire du mal. Je ne pouvais plus le supporter, faire semblant et fermer ma gueule, alors je me suis rendue à l’évidence : tant pis pour la thèse, il devenait vital de partir.

    Cette prise de conscience et de parole a son élément déclencheur, évidemment : j’ai tenu bon toutes ces années en me mettant comme limite que je réagirais et parlerais si je le vois faire ça à une autre. Je me disais qu’il y avait peu de risques : il n’est plus tout jeune, et puis il m’a après tout dit lui-même qu’il n’avait pas l’habitude de faire ça, que j’étais « exceptionnelle ».

    Il y a bien eu cette jeune masterante, un été pendant une semaine de colloque, qu’il avait fait venir et avec qui il entretenait une relation très visiblement malsaine. J’ai entendu alors des propos très déplacés de la part des autres universitaires . Certains ont même participé à la « fête » à coup de « blagues » dégradantes dans l’indifférence (presque) générale. Mais elle n’était là que pour la semaine et n’était pas son étudiante à lui. Je me suis rassurée, malgré mon écœurement, en me disant que son éloignement géographique la protégeait de lui.

    Et puis il y a eu Ewilan, sa nouvelle doctorante arrivée en 2019. On se connaissait déjà un peu et s’appréciait, partageant des affinités humaines et politiques, mais on s’est vraiment liées d’amitié en devenant collègues. Puis, peu de temps après la rentrée, j’ai été témoin d’une scène intrigante : j’ai vu M. Ts’liche arriver dans la pièce où nous étions, saluer bruyamment et ostensiblement son autre doctorante et tourner le dos à Ewilan, pourtant à deux mètres à peine, indifférent à ses timides tentatives de le saluer.

    « J’ai rêvé ou il ne t’a pas dit bonjour ?

    – Ah non tu n’as pas rêvé, il me fait la gueule et m’ignore depuis cet été. »

    Alors, elle m’a tout raconté. La relation malsaine qu’ils avaient depuis sa L3, où il l’emmenait et l’exhibait partout au début, lui envoyait des sms même dans la nuit, lui faisait des confidences intimes. Parfois lui criait dessus, mais finissait par lui mettre un bras autour des épaules en lui disant « Mais Ewilan, vous savez bien que si on se dispute tous les deux c’est parce qu’on s’aime trop. ». Jusqu’au jour, à la fin de son master, où, pour un prétexte bidon, il l’a « abandonnée » pour la punir de d’avoir « manqué de loyauté », ne lui offrant de l’attention plus que par miettes, suffisantes néanmoins pour qu’elle reste sous contrôle. Elle aussi, il l’a marginalisée après l’avoir rendue dépendante de son attention continuelle, profitant de la vulnérabilité psychologique qu’elle présentait également pour la malmener.

    Je crois que ça a été pire pour Ewilan. Elle était plus jeune et plus fragile que je ne l’avais été, et surtout elle n’a pas eu la chance d’être celle qui stoppe tout ça, de reprendre un peu de contrôle, de réinvestir au moins un peu une place de sujet après avoir été si longtemps un objet. Je peux imaginer, pour l’avoir tant craint, le sentiment d’abandon et de rejet insupportable qu’elle a dû ressentir.

    La voilà celle à qui il refaisait subir ça. La voilà, la fin de ma capacité à encaisser silencieusement ; en novembre dernier, j’ai commencé certaines démarches pour partir et pour dénoncer les agissements de M. Ts’liche — qui ont le plus souvent été bien peu entendues, mis à part par une personne qui m’a montré tout de suite le soutien dont j’avais désespérément besoin et que je remercie du fond du cœur.

    J’accuse M. Ts’liche, 6 ans après le début de toute cette histoire, de harcèlement moral, de violences psychologiques et d’abus de son pouvoir et de sa position hiérarchique, et ce notamment et dans les cas les plus graves pour mettre sous emprise des jeunes femmes vulnérables.

    Je reproche à un certain nombre de personnes une complaisance inacceptable face à tout cela. J’ai encaissé des « plaisanteries » pleines de sous-entendus sans que ces personnes ne se soucient de comment je vivais une relation dont les indices extérieurs semblaient plus les amuser que les inquiéter. J’ai raconté mon histoire, tâché de faire part de mon mal-être personnel et de mes inquiétudes pour les suivantes et souvent je n’ai trouvé qu’un mur, une minimisation des actes que j’avais subi ; on m’a demandé de me taire et de laisser tomber toute volonté de procédures pour éviter que ça rejaillisse sur toute l’équipe et porte préjudice à la licence. Certains de mes interlocuteurs ont admis le tempérament toxique de M. Ts’liche mais ne semblaient pas vouloir y faire quoi que ce soit. Il a même ses défenseur·euses acharné·es, qui semblent considérer que sa sympathie avec elleux prouve qu’il est sympathique avec tout le monde, loyaux·ales jusqu’au bout, qui trouvaient toutes les bonnes raisons de justifier ses comportements abusifs, qu’il est pour le coup loin de ne réserver qu’à ses proies : ses colères terribles quand il n’obtient pas ce qu’il veut, ses humiliations publiques, etc.

    Ce mail, je l’écris depuis des mois dans ma tête en en repoussant depuis autant de temps la rédaction. Je savais déjà comme je voulais le finir : « à partir de maintenant et pour la suite, vous ne pourrez plus faire comme si vous ne vous rendiez pas compte ». Ewilan m’a prise de court. Ewilan qui concentrait l’essentiel de mes inquiétudes, dont j’avais également fait part à certains enseignants de mon équipe pédagogique. Elle me parle depuis des mois de son mal-être, de ses idées noires. J’ai fait ce que j’ai pu pour qu’elle ne se sente pas seule, puis pour la convaincre qu’elle pouvait partir, qu’il n’était pas tout puissant en dépit de ses efforts pour nous en convaincre. « J’suis pas prête », qu’elle disait. Elle est partie finalement, pas comme je voulais, en me laissant une demande très claire que j’honorerai du mieux que je peux. Avec tout juste quelques mots en cadeau de départ, mon Ewilan peut se vanter d’avoir chez moi fait partir toute la colère, et d’avoir envoyé un gros stock de courage et de détermination.

    Car certains diront qu’elle est facile, ma place. Opportuniste, même. Aucun doute que je serai traînée dans la boue, taxée de manipulatrice. Je suis prête. Parce que c’est faux, elle n’est pas facile cette place, elle ne me fait et ne me fera rien gagner. Elle me demande d’être courageuse. Je ne veux punir personne, même pas M. Ts’liche. Je veux juste que les opportunités de recommencer lui soient retirées, je veux juste que soit refusé tout ça, qu’importe si ça demande de sortir de son confort ou de la facilité. Plus jamais de M. Ts’liche, plus jamais d’Ewilan. Ça suffit.

    J’aimerais bien que vous soyez courageux et courageuses, vous aussi.

    https://medium.com/@Camille_Thizbel/de-la-toute-puissance-des-pr%C3%A9dateurs-haut-plac%C3%A9s-d875001c28a6
    #suicide #ESR #enseignement_supérieur #témoignage #Camille_Zimmermann #culpabilité #harcèlement #contrat_doctoral #maltraitance #marginalisation #emprise #peur #sentiment_d'abandon #abus_de_pouvoir #harcèlement_psychologique #harcèlement_moral #complaisance #plaisanteries #manipulation #prédation

    • Omerta mode d’emploi

      Hier, jeudi 10 septembre 2020, nous avons republié sur Academia du texte émouvant de Camille Zimmermann à la mémoire de sa consœur doctorante qui avait mis fin à ses jours. Est-ce son témoignage ou plutôt la pression syndicale qui a pesé ? Ce matin, la présidence s’est fendu d’une lettre au personnel de l’Université de Lorraine.

      La lettre de Prof. Pierre Mutzenhardt, Président de l’Université de Lorraine, Président de la commission Recherche et Innovation de la CPU, a connu une large diffusion et n’était en rien confidentielle : nous la reproduisons en l’assortissant d’une petite explication de texte.

      –—

      À : « all-ncy-ens » <all-ncy-ens@univ-lorraine.fr>, « all-ncy-ater-ens » <all-ncy-ater-ens@univ-lorraine.fr>, « all-ncy-lecteur-ens » <all-ncy-lecteur-ens@univ-lorraine.fr>, all-ncy-biatss@univ-lorraine.fr
      Cc : « president » <president@univ-lorraine.fr>
      Envoyé : Vendredi 11 Septembre 2020 09:04:13
      Objet : [all-ncy] Evénement tragique

      Mesdames, Messieurs,

      Une doctorante de notre établissement a mis fin à ces jours au début du mois d’août. Il s’agit d’un événement plus que terrible et dramatique. Très rapidement, avec la directrice de l’école doctorale, nous avons été en contact avec la famille de la doctorante et avons, je l’espère, respecté au mieux ses volontés. Nous avons pu rencontrer ses parents à la fin du mois d’août.

      Il apparaît que ce drame pourrait être lié en partie aux conditions de sa thèse et à son environnement professionnel. En conséquence, l’ouverture d’une enquête du CHSCT sera proposée le vendredi 11 septembre lors d’un CHSCT exceptionnel de l’établissement pour examiner ces conditions de travail et faire des recommandations.

      Par ailleurs des témoignages récents, indépendants de ce que peuvent diffuser les réseaux sociaux, font état de faits qui pourraient être qualifiés de harcèlement. Ils m’ont amené à diligenter une enquête administrative rapide qui a pour but d’établir les faits de manière contradictoire et d’en tirer toutes les conséquences.

      J’ai également suspendu de manière conservatoire le professeur et directeur de thèse de la doctorante le temps de l’investigation administrative pour protéger l’ensemble des personnes y compris lui-même.

      Enfin, nous devons être attentifs également aux jugements hâtifs, à ne pas confondre ce qui relève de témoignages avec les accusations qui se propagent sur les réseaux sociaux. Si les réseaux sociaux peuvent être des révélateurs de situations, ils sont aussi devenus des armes qui blessent, harcèlent et propagent trop souvent la haine. Nous avons pu nous en rendre compte à d’autres occasions.

      Très attaché aux valeurs de notre établissement, je m’engage à prendre toutes les mesures qui apparaîtront nécessaires à l’issue de cette enquête pour s’assurer qu’une telle situation ne puisse pas se reproduire. Le doctorat est, en effet, une période très importante dans le développement de la carrière d’un chercheur. Il appartient à l’établissement de garantir que cette période soit la plus fructueuse possible dans un contexte professionnel favorable pour les doctorants.

      Bien cordialement,
      Prof. Pierre Mutzenhardt
      Président de l’Université de Lorraine
      Président de la commission Recherche et Innovation de la CPU

      –---

      Il me semble que cette correspondance est parfaitement exemplaire du fonctionnement de l’omerta qui pèse sur les violences faites aux femmes à l’Université, dans le cadre d’un fonctionnement universitaire analogue à l’emprise mafieuse, comme l’ont récemment argumentés des collègues anthropologues1.

      Considérons le courriel.

      En premier lieu le président met en cause directement la formation doctorale dispensée par l’université. Ce serait la famille — laisse entendre le président — qui s’est ouvert du lien fait le lien entre le suicide et la thèse. Au vu du bruit sur les réseaux sociaux, on se serait attendu à ce que le président s’adresse à l’ensemble de la communauté universitaire, étudiant·es inclus·es.

      –---

      Courriel adressé à l’ensemble des personnesl de l’Université de Lorraine, le 10 septembre 2020

      « Mesdames, Messieurs, cher(e)s collègues,

      Je vous prie de trouver ci-dessous l’ordre du jour du prochain CHSCT programmé le vendredi 11 septembre 2020 :
      Point 1 – Adaptation des conditions de rentrée et déroulement du 1er semestre 2020-2021 – mesures complémentaires (pour avis)
      Point 2 – Modification du programme 2020 des visites du CHSCT (pour avis)
      Point 3 – Procédure d’analyse à déterminer suite à l’événement grave survenu à l’Institut Régional du Travail (pour avis)
      Point 4 – Procédure à mettre en place suite à la survenue d’un événement grave susceptible de présenter un lien avec les conditions de travail (pour avis)

      Meilleures salutations,
      Pierre Mutzenhardt
      Président de l’UL »

      –----

      Que nenni ! Si le jeudi 10 septembre, les personnels de l’Université de Lorraine ont été informé de l’ordre du jour du CHSCT, seuls les personnels du site nancéen de l’UFR Arts Langages Littératures (ALL) se trouvent informés de ce que la présidence nomme pudiquement l’« événement tragique ». L’Université de Lorraine dans son entièreté n’est pas concernée par le suicide d’une de ses étudiant·es : ni les étudiant·es, ni même les autres enseignant·es-chercheur·ses, directeurices de thèses des UFR de médecine et de sciences ne sont alerté·es ou sensibilisé·es à l’idée que la présidence prend ce très grave problème à bras le corps. Presque personne ne sera donc informé avant qu’éventuellement la presse locale ou un blog de l’ESR ne s’en empare.

      Soit.

      Balkanisons les pratiques inappropriées vis-à-vis des femmes.

      Le message semble avoir été écrit à la va-vite, ce qui est pour le moins curieux pour ce type de communication présidentielle hautement sensible : coquilles, phrases contournées, expressions inappropriées. C’est davantage sous le coup de l’urgence que dans le cadre d’une politique plus large, mûrement réfléchie, qu’il a pris la décision d’écrire aux Nancéen·nes d’ALL. Le président a refusé de recourir à l’écriture inclusive, pourtant recommandée dans une affaire relevant des violences faites aux femmes. À ce titre, la formulation conclusive choisie pourrait heurter :

      « Très attaché aux valeurs de notre établissement, je m’engage à prendre toutes les mesures qui apparaîtront nécessaires à l’issue de cette enquête pour s’assurer qu’une telle situation ne puisse pas se reproduire. Le doctorat est, en effet, une période très importante dans le développement de la carrière d’un chercheur. Il appartient à l’établissement de garantir que cette période soit la plus fructueuse possible dans un contexte professionnel favorable pour les doctorants ».

      On peut s’étonner, puisque l’affaire a été ébruitée par une femme qui choisissait de mettre fin à sa thèse, que le seul masculin soit retenu pour désigner les hommes et les femmes qui se trouvent en situation de domination. On peut s’étonner de même — je pourrais même m’en offusquer si j’étais maîtresse de conférences à l’Université de Lorraine — du ton plus que maladroit employé. L’objet du message, la formule de salutation finales, l’usage de « blessures » portées par les réseaux sociaux, alors que c’est un suicide qui est à l’origine de la communication présidentielle. Sous la plume du président, il ne s’agit pas de prendre en charge avec tact et empathie la douleur, l’empathie, la colère, l’émotion qui pourrait saisir enseignant·es et étudiant·es. Un problème de plus à régler dans une rentrée très chargée, voire apocalyptique.


      *

      Venons-en aux faits.

      L’Université — soit la présidence et la directrice de l’École doctorale — a été informée du suicide de la doctorante. La famille, devine-t-on, fait connaître ses volontés, dont on ne saura rien, mais que le président espère « avoir respecté au mieux ». La famille, rencontrée fin août,a fait le lien entre le suicide et ce que le président désigne de manière euphémisée comme « aux conditions de sa thèse et à son environnement professionnel ». Il faut donc attendre le 11 septembre pour le Comité Hygiène Sécurité et Conditions de Travail (CHSCT) soit réuni, saisi quelques heures avant la publication par Camille de son texte sur Medium. Selon nos informations et la « formule magnifiquement trouvée par notre admin[istration] », il s’agit du point 4. « Procédure à mettre en place suite à la survenue d’un événement grave susceptible de présenter un lien avec les conditions de travail ». Le président suit ici strictement le droit : il informe le CHSCT du suicide à la rentrée, et inscrit le point concernant une enquête à l’ordre du jour.

      Le président ajoute cependant quelque chose de surprenant.

      « Par ailleurs des témoignages récents, indépendants de ce que peuvent diffuser les réseaux sociaux, font état de faits qui pourraient être qualifiés de harcèlement. Ils m’ont amené à diligenter une enquête administrative rapide qui a pour but d’établir les faits de manière contradictoire et d’en tirer toutes les conséquences ».

      Sortant du sujet de la correspondance, M. Pierre Mutzenhardt informe ses lecteurices de plusieurs choses : les témoignages de harcèlement ou, à tout le moins de conduite inappropriée, ont circulé sur les « réseaux sociaux » ; la parole se déliant, d’autres témoignages ont été portés avec insistance à ses oreilles. Cet ensemble, qui établirait quelque fondement à l’accusation grave de harcèlement, le font diligenter une enquête administrative. Il précise que l’enquête sera

      « rapide qui a pour but d’établir les faits de manière contradictoire et d’en tirer toutes les conséquences ».

      Il faut attendre longtemps pour apprendre que c’est le directeur de thèse qui est mis en cause. Nous savons par le recoupement du témoignage, qu’il s’agit du directeur de thèse de la doctorante qui est visé par les deux procédures, soit Christian Chelebourg2. Il n’est pourtant pas nommé ; mais désigné par son statut de professeur et sa fonction de direction de thèse. C’est le premier volet du dispositif du silencement : la responsabilité du professeur n’est engagée que dans le cadre de l’« environnement de travail » dans lequel il exerce, bien qu’il soit seul « suspendu à titre conservatoire ». Il ajoute qu’il prend cette mesure « pour protéger l’ensemble des personnes y compris lui-même ».

      L’environnement de travail est-il en cause ? Les témoignages qui ont paru sur Internet, les personnes qui se sont confiées à moi, font état de sérieux problèmes rencontrés par différentes étudiant·es et différentes enseignant·es titulaires et non-titulaires par la proximité professionnelle de M. Chelebourg. Elles n’ont pas mentionné d’autres comportements déviants. En revanche, ce qu’elles précisent, c’est qu’elles n’ont pas trouvé de soutien ou d’écoute de la part de certains collègues masculins, qui ont reconnu à demi-mot une certaine capacité de nuisance, s’empressant de préciser que « ce n’est pas un monstre ». D’autres enseignantes ont fait état d’une inquiétude, craignant des mesures de rétorsion si elles évoquaient la procédure à la demande des étudiant·es. Sans chercher à justifier pourquoi ce type de discours est tenu — ni à minimiser les responsabilités qu’il y aurait à n’avoir pas protégé les étudiant·es de comportements apparemment connus — je propose ainsi de voir dans l’environnement de travail le deuxième niveau de silencement : minimiser le comportement malfaisant ; faire comme si ce dernier n’était pas problématique, de la part des collègues dudit professeur.On comprend que les hordes féministes sont à la porte de l’Université et menaceraient l’ordre patriarchal qui y règne. Faisons-les taire.

      Le troisième dispositif de silencement est construit par le président lui-même. Plutôt que de reconnaître la souffrance vécue par des femmes sous la responsabilité de son Université, M. Pierre Mutzenhardt choisit une autre stratégie : la minimisation des faits, la dénonciation de rumeurs et, plus grave, la protection du mis en cause.

      « Enfin, conclut-il, nous devons être attentifs également aux jugements hâtifs, à ne pas confondre ce qui relève de témoignages avec les accusations qui se propagent sur les réseaux sociaux. Si les réseaux sociaux peuvent être des révélateurs de situations, ils sont aussi devenus des armes qui blessent, harcèlent et propagent trop souvent la haine. Nous avons pu nous en rendre compte à d’autres occasions ».

      À la lecture de ce paragraphe, je me suis étouffée3. Une femme est morte, peut-être à cause du comportement de son directeur de thèse, mais c’est ce dernier que le président de l’Université de Lorraine entend protéger. Il le fait en prenant une mesure conservatoire, au motif que « si les réseaux sociaux peuvent être des révélateurs de situations, ils sont aussi devenus des armes qui blessent, harcèlent et propagent trop souvent la haine ». Il le fait aussi en donner un signal aux agresseurs : ce sont vous, « victimes » d’une cabale publique, vous qui est le cœur et l’âme de l’Université qu’il me faut défendre ; celles et ceux qui se sentent « heurtées » par le courriel sont ainsi prévenu·es : l’Université de Lorraine n’a pas vocation à les prendre soin d’elleux.

      Balkanisation de l’information, ato-défense collective en formation de tortue romaine, mesure conservatoire à titre de protection : la stratégie est limpide et antithétique avec celles que plusieurs assocations féministe ou savantes, l’Association des sociologues des enseignant·es de l’enseignement supérieur en tête, préconisent. Il ne m’appartient pas de juger si c’est une façon de se protéger lui-même contre quelques mandarins qui grimperaient aux rideaux. Ce que je sais, depuis lundi, c’est que l’omerta, ce silencement patiemment construit au sein de l’Université de Lorraine, a pu tuer.

      Camille a souhaité être courageuse.

      Soyons désinvoltes. N’ayons l’air de rien.

      Addendum. Lundi 14 septembre 2020, vers 9h30, avant suppression entre 11h42 et 11h45.

      Sur Facebook et Twitter, l’Université de Lorraine écrit ton nom, professeur. Et le sien aussi.

      https://academia.hypotheses.org/25555

    • Un harcèlement peut en cacher un… ou deux autres

      Le 7 septembre 2020, Camille Zimmermann, université de Lorraine, explique sur Medium pourquoi elle a interrompu sa thèse, financée – le détail n’est pas anodin dans une discipline (les lettres) où les allocations doctorales sont très rares – : après des années de comportements toxiques, elle y a vu le seul moyen d’échapper à l’emprise de son directeur de thèse. Elle explique aussi pourquoi elle rend public ce témoignage : une autre doctorante, qui lui avait confié être victime d’agissements comparables, a mis fin à ses jours. Le texte utilise des pseudos, transparents pour ceux qui ont lu le cycle de romans sur lequel portait la thèse (La Quête d’Ewilan, de Pierre Bottero), et se termine par une accusation :

      « J’accuse M. Ts’liche, 6 ans après le début de toute cette histoire, de harcèlement moral, de violences psychologiques et d’abus de son pouvoir et de sa position hiérarchique, et ce notamment et dans les cas les plus graves pour mettre sous emprise des jeunes femmes vulnérables. »

      Academia republie le témoignage de Camille dans un billet le 10 septembre, avec une courte introduction qui permet de suivre un lien vers la plate-forme Thèses.fr si on veut connaître le nom du directeur désigné, ainsi qu’un autre lien vers une liste d’articles précédemment parus au sujet du harcèlement. Le court texte lâche également un mot : « omerta », parce qu’il ne s’agit pas d’une affaire isolée, et que ce qu’elle révèle est tout autant le harcèlement que la loi du silence qui lui permet de perdurer.

      Dès le 11 septembre, Academia a l’occasion de développer ce point : peut-être agité par la circualtion du texte de Camille sur les réseaux, le président de l’université de Lorraine écrit à certains de ses collègues. Oh, pas tous ! seulement ceux du domaine Arts Lettres Langues et Sciences Humaines et Sociales – ALL-SHS, dans nos jargons. Il ne faudrait quand même pas que tout le monde soit au courant. Le mail jette plutôt de l’huile sur le feu : il s’achève sur un indigne retournement de la charge contre Camille, et « les accusations qui se propagent sur les réseaux sociaux » dont il exhorte chacun·e à se méfier comme la peste. Le professeur est suspendu à titre conservatoire pour le protéger. On croit cauchemarder ; Camille Zimmermann se dit heurtée, Academia s’étouffe. Mais on n’a encore rien vu…

      Le 14 septembre, comme si de rien n’était, l’université de Lorraine touitte benoîtement une invitation à écouter le professeur, spécialiste des fictions d’apocalypse, sur un sujet qui attirera tous les regards : à quoi ressemblera le monde post-Covid ? Touitt’ supprimé quelques heures plus tard, ici cliché avant disparition. Des souffrances sont signalées, des drames surviennent, mais rien ne bouge ; une jeune femme brise ce mur du silence sur un réseau social, son témoignage circule, les réactions se font enfin entendre… mais c’est pour dévaloriser son témoignage, pendant qu’une « enquête » est évoquée, sous les opacités de la novlangue administrative, et sans aucune communication auprès du public ; le public, pendant ce temps, il continue d’être alimenté avec le ronronnement des travaux du principal intéressé, sans vergogne.

      Ce touitt’ lamentable manifeste, au moins la surdité d’un service Communication fonctionnant en vase clos, où ne parvient pas un son des réseaux ou des couloirs de l’établissement, au pire le cynisme d’un programme de com’ qui se moquerait comme d’une guigne des plus graves accusations possibles pesant sur un auteur, et, dans tous les cas, d’une rhétorique qui confine à la faute morale.


      Aucune communication officielle de l’université de Lorraine, donc. C’est dans la presse régionale qu’il faudra aller lire le président de l’Université de Lorraine, Pierre Mutzenhardt : le 23 septembre, L’Est Républicain porte l’affaire sur la place publique – pas celle des réseaux, dont il faut se méfier comme la peste, rappelons-nous. Le journal publie deux articles aussi cloisonnés qu’ont pu l’être deux univers : celui des doctorantes victimes et celui d’une administration qui n’a pas su les aider.

      La mise en page, pour qui serait sensible à l’énonciation typographique, donne toutefois bien l’impression que le monsieur dont on voit la photo est un peu cerné par le texte qui se referme sur lui : c’est celui qui est consacré à Camille. La journaliste, quant à elle, adopte professionnellement l’anonymat de rigueur ; mais cette page exprime finalement bien plus que ce nom de l’enseignant-chercheur dont, désormais, tout le monde a pu prendre connaissance par soi-même.

      Rendons d’abord compte de l’article consacré à Camille Zimmermann : « Harcèlement à l’université : le “j’accuse” d’une doctorante » s’ouvre sur le résumé des deux affaires, puisqu’il y en a bien deux :

      Longtemps étudiante puis thésarde à la faculté de lettres, Camille Zimmermann a dénoncé, sur les réseaux sociaux, l’emprise son directeur de thèse, qui l’a poussée à quitter la fac. L’université a ouvert une double enquête interne suite au suicide d’une autre doctorante.

      L’article met ses pas dans ceux de Camille, et relate d’abord la manière dont les réseaux ont pu relayer sa parole :

      Dans ce récit largement partagé sur Facebook et Twitter, et repris sur divers blogs spécialisés…

      Le contraste est net avec la méfiance du président, indistinctement adressée aux « réseaux ». L’article se met ensuite à l’écoute de Camille et rapporte les grandes lignes de son témoignage publié sur Medium : la complexité du rapport de genre et de la relation pédagogique, et le caractère insidieusement toxique de la relation entre le professeur et l’étudiante. Les intertitres du journal soulignent le fonctionnement pervers de ce système binaire :

      « Processus de #marginalisation », pour résumer l’emprise, les abus du professeur, l’isolement de la victime ;
      https://academia.hypotheses.org/26261

      « Manque d’écoute de la “cellule harcèlement” », pour résumer la loi du silence dans – grâce à – laquelle tout cela peut continuer.

      Car le journal donne la parole à d’autres personnes, après avoir rapporté le témoignage de Camille :

      Depuis ce témoignage sur les réseaux, rapidement ébruité dans les couloirs et les amphis de la faculté, des langues se sont déliées. D’autres ont signalé les agissements du professeur mis en cause – suspendu actuellement, et présumé innnocent – autant que la nocivité d’une organisation plaçant parfois les thésards dans une impasse.

      “Quand cela se passe mal, il est compliqué de changer de directeur de thèse, de crainte d’être blacklisté. Un directeur a tous les pouvoirs, et il a un réseau. Parfois, c’est du chantage au poste”, témoigne cette autre ancienne doctorante, qui, elle aussi, était suivie par le professeur incriminé. Et a également abandonné sa thèse pour les mêmes raisons que Camille Zimmermann.

      On apprend donc ici, sous la plume d’un journal qui n’est pas né de la dernière pluie et sait parfaitement ce qu’il fait en imprimant ces mots, qu’une troisième affaire pourrait exister. Le touitt’ du 14/9 était révoltant ; cette information-ci est accablante : l’administration n’a pas voulu les aider.

      Pour ce qui est de l’administration, qu’apprend-on ? L’article titre sur les suites données aux affaires : « Double enquête et enseignant suspendu ». Pourquoi deux enquêtes ? Parce que deux affaires, en fait. Et peut-être même bien trois, comme la presse le suggère. L’une des enquêtes se fait sous l’égide du Comité Hygiène, Sécurité et Conditions de Travail (CHSCT) et n’a pas vocation à déboucher sur des sanctions mais sur des « préconisations ». En prenant son temps, prévient le président de l’université :

      « il semblerait que la relation entre cette jeune fille, décrite comme fragile, et son encadrant, n’était pas saine et pas normale », résume Pierre Mutzenhardt, président de l’Université de Lorraine. Ce possible « lien de causalité » étant à l’origine de l’enquête du CHSCT, qui devrait être « plutôt longue ». « Elle portera sur les conditions de travail ayant pu conduire la doctorante à mettre fin à ses jours, et devra déboucher sur des préconisations ».

      Au temps pour cette voie de prise en charge, la seule sur laquelle il existe actuellement des sources partageables et consultables, en l’espèce : l’ordre du jour du CHSCT du 11/9. C’est celle qui porte, je le rappelle, sur le suicide survenu pendant l’été. Tournons-nous vers l’autre enquête :

      Ce sont d’autres témoignages, écrits, émanant de deux autres doctorantes et mettant en cause ce même directeur, qui ont conduit à l’ouverture de l’enquête administrative. « Il s’agira, par des audits contradictoires, de voir s’il y a bien harcèlement ou pas », poursuit le président. « Néanmoins, il y avait assez d’éléments pour que cet enseignant soit suspendu, pour trois semaines car on ne peut pas suspendre quelqu’un plus d’un mois. » Les premières conclusions sont attendues fin septembre/début octobre. « J’aviserai alors s’il faut envisager des sanctions disciplinaires, qui peuvent aller du blâme à l’exclusion, ou ne pas donner suite. »

      On a donc bien trois affaires, si l’on compte toujours, et deux enquêtes : l’une portant très globalement sur les « conditions de travail », l’autre portant plus clairement sur l’enseignant-chercheur. Face à la presse, les témoignages écrits semblent désormais assez graves pour que le président Mutzenhardt ne fasse plus passer la décision de suspendre ce dernier pour une mesure de protection « y compris de lui-même », comme dans le mail du 11/9 qui avait heurté tant de monde. Il s’excuse même par avance de ne pas pouvoir le suspendre plus de 3 semaines ; mais que se passe-t-il après ? Des actions décidées par le président. On se demande si, comme dans une affaire récente, ça se passera « d’homme à homme »… Et un signalement au procureur ? La suite de l’article l’évoque : « Il ne faut pas hésiter à formaliser, en saisissant le procureur de la République. » Et l’article se clôt sur « il faut oser dire les choses ». Nous voilà rassuré·es !


      Eh bien peut-être faut-il rester patient·es quand même. Le 30 septembre, à 11h26, une semaine après la parution de ces deux articles, alors qu’on attend toujours les résultats de l’enquête administrative, le président Mutzenhardt envoie à nouveau un mail à ses collègues. Cette fois, c’est sur la liste de tous les personnels, pas que les ALL-SHS ; mais ça ne sort pas de l’université de Lorraine. Academia en reçoit une copie :

      J’ai vu que vous aviez suivi cette affaire avec intérêt. Donc pour votre information, voici ce que l’on a reçu aujourd’hui
      « Au début du mois d’août, une doctorante de l’Université de Lorraine a mis fin à ses jours à l’extérieur de l’université, en mettant en cause les modalités de direction de sa thèse au sein de son laboratoire de rattachement. Il s’agit, quelles que soient les circonstances, d’une tragédie. J’ai mobilisé les services de l’établissement dès sa réouverture le 17 août et j’ai proposé au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de réaliser une enquête sur les conditions de travail dans le laboratoire concerné. En parallèle, des témoignages sont parvenus à l’université début septembre (que je ne confonds pas avec des déclarations sur les réseaux sociaux). Ils m’ont amené à diligenter une enquête interne administrative et à suspendre de manière conservatoire le directeur de thèse concerné. Les enquêtes sont actuellement en cours. »

      Cette obsession pour les réseaux sociaux a quelque chose d’inquiétant. C’est pourtant bien l’un d’eux qui a mis en alerte la communauté universitaire, et non la communication de l’UL, qui s’obstine à rester dispersée, laconique, et surtout compartimentée.

      Quels sont donc ces « témoignages arrivés début septembre » ? Sont-ils ceux de Camille Zimmermann, enfin entendus, alors que ses premières plaintes remontent à 2019 ? Sont-ils ceux de cette troisième étudiante dont L’Est Républicain a retranscrit les paroles ?

      On est le 1er octobre : on en saura bientôt plus. Le président Mutzenhardt l’a promis…

    • Une #cagnotte en ligne pour récolter de l’argent pour les frais d’avocat de #Camille_Zimmermann :

      Il y un peu plus d’un an, je publiais sur les réseaux un texte qui dénonçait les violences que j’avais connues au sein de l’Université française et qui avaient poussé au suicide mon amie #Scylla. J’y ai « caché » le nom de mon ancien directeur, non pas pour le protéger, mais pour tendre à une forme d’"universalité" parce que je savais que ces violences n’étaient pas une exception mais monnaie courante dans le monde de la recherche. Des violences dont les victimes sont, comme souvent, principalement les personnes les plus en situation de précarité.

      Ma lettre ouverte a eu un fort retentissement dans le milieu, partagé plus d’un millier de fois, sans compter les envois par listes de diffusion internes. Il a, je crois, aidé la libération d’autres paroles qui ont suivi peu de temps après. J’ai reçu aussi plus d’une centaine de messages de soutien, de remerciement, de solidarité, d’assurance que ma voix avait eu un écho et que des projets avaient été montés.

      J’en ai été touchée et reconnaissante, car c’est là la raison pour laquelle j’ai fait cette démarche extrêmement couteuse émotionnellement : l’espoir qu’elle aide à bouger les lignes.

      Aujourd’hui, j’ai à nouveau besoin de votre soutien, économique cette fois-ci. Une procédure pénale a suivi celle interne, et je vais devoir être assistée d’un avocat pour continuer.

      Les raisons de ma cagnotte

      Ma démarche est depuis ses débuts pensée pour le collectif, pour qu’elle serve à un maximum de monde possible. Il n’a néanmoins pas toujours été facile d’en être le visage, et j’ai subi intimidations, plainte pour #diffamation, tentatives de me décrédibiliser, #slut-shaming etc. qui font qu’aujourd’hui je suis éreintée et ai plus que jamais besoin de vous, d’être moi aussi soutenue collectivement. J’ouvre ce pot commun car payer de ma propre poche ces frais me prendrait plusieurs mois et m’obligerait à renoncer à des projets d’avenir alors que j’ai déjà sacrifié beaucoup de choses depuis le début de cette affaire – mes espoirs de carrière et une part de ma santé mentale notamment. Je commence seulement à retrouver un horizon, et je ne me sens pas capable de le plomber par cette charge financière.

      Plus simplement et comme depuis le début, je ne peux pas avancer seule, émotionnellement mais aussi, désormais, financièrement.

      Le montant de ma cagnotte

      Mes besoins aujourd’hui sont de 500€. Cette première cagnotte permettra de couvrir les premières procédures et consultations.

      Si cette somme est dépassée, l’intégralité des fonds sera reversée au Cha-U, association qui s’est créée au cours de l’année passée au sein de l’#Université_de_Lorraine et qui œuvre à combattre le harcèlement dans l’enseignement supérieur mais aussi à en penser les origines et structures afin de mieux l’éradiquer.

      Si l’enquête débouche sur un procès, une nouvelle cagnotte sera ouverte pour couvrir les frais lui étant liés, qui s’élèveront à une somme entre 1200 et 1500€.

      Si vous en avez la possibilité et que vous souhaitez mettre votre contribution, quel que soit son montant, je vous envoie toute ma gratitude. Si vous êtes précaire et ne pouvez pas m’aider, votre soutien moral compte aussi énormément.

      https://www.onparticipe.fr/cagnottes/yAk2mVjD

  • De la dissolution de la normalité

    Louis

    http://en-finir-avec-ce-monde.over-blog.com/2020/07/de-la-dissolution-de-la-normalite.html

    https://lavoiedujaguar.net/De-la-dissolution-de-la-normalite

    Il y a moins d’un mois que ma mère est morte, et ce qui domine, ce n’est pas tant la peine et le chagrin, que le sentiment généralisé de l’absence de normalité, une saturation de l’esprit qui empêche de construire un contexte pouvant être perçu et décrit comme normal.

    Sans doute s’agit-il d’une fonction du deuil de construire ou de reconstruire le lien qui unit les humains et leurs morts, de réinsérer ce lien dans une dynamique, dans une continuité. Force est donc aussi de constater que l’affaiblissement de la fonction sociale du deuil va de pair avec l’affaiblissement de cette intégration de la mort dans la socialisation contemporaine, affaiblissement que l’on pourrait certainement caractériser comme une tendance lourde à la négation de la mort réelle au profit d’une mort fantasmée comme panne technique, qui, par cela même, peut idéologiquement être repoussée à l’infini…

    On ne peut ici faire l’impasse sur le contexte sanitaire de la pandémie résultant de la diffusion planétaire du Covid-19 : les morts remplissent jour après jour les cases des tableurs, mais la mort elle-même disparaît de la vie réellement vécue. (...)

    #normalité #mort #crise_sociale #coronavirus #confinement #marginalisation

  • Policing of European Covid-19 lockdowns shows racial bias – report | World news | The Guardian
    https://www.theguardian.com/world/2020/jun/24/policing-of-european-covid-19-lockdowns-shows-racial-bias-report
    https://i.guim.co.uk/img/media/13ba9cf347221b758d1ad32558f6eb72b4000c57/908_526_4564_2738/master/4564.jpg?width=1200&height=630&quality=85&auto=format&fit=crop&overlay-ali

    The report by Amnesty International, examining the enforcement of physical distancing measures in 12 European countries, concludes that the pandemic has led to greater “marginalisation, stigmatisation and violence”, echoing the long-standing concerns aired by the Black Lives Matter movement. An increase in the stopping and searching of black people in London – from 7.2 out of 1,000 in March to 9.3 out of 1,000 in April – is referenced in the report, along with the lengthy curfews imposed specifically in areas in France where black, Asian and minority ethnic communities live. In the département of Seine-Saint-Denis in Paris, home to a high proportion of black residents, the number of police checks was more than double the national average. The number of fines issued was also three times higher than in the rest of the country, despite respect of lockdown measures being comparable with other regions in France.

    #covid-19#migrant#migration#france#grandebretagne#europe#minorite#sante#marginalisation#stigmatisation#violence#communaute

  • Il Rapporto annuale 2020 del #Centro_Astalli

    Il Centro Astalli presenta il Rapporto annuale 2020: uno strumento per capire attraverso dati e statistiche quali sono le principali nazionalità degli oltre 20mila rifugiati e richiedenti asilo assistiti, di cui 11mila a Roma; quali le difficoltà che incontrano nel percorso per il riconoscimento della protezione e per l’accesso all’accoglienza o a percorsi di integrazione.

    Il quadro che ne emerge rivela quanto oggi sia alto il prezzo da pagare in termini di sicurezza sociale per non aver investito in protezione, accoglienza e integrazione dei migranti. E mostra come le politiche migratorie, restrittive, di chiusura – se non addirittura discriminatorie – che hanno caratterizzato l’ultimo anno, acuiscono precarietà di vita, esclusione e irregolarità, rendendo l’intera società più vulnerabile.

    Il Rapporto annuale 2020 descrive il Centro Astalli come una realtà che, grazie agli oltre 500 volontari che operano nelle sue 7 sedi territoriali (Roma, Catania, Palermo, Grumo Nevano-NA, Vicenza, Trento, Padova), si adegua e si adatta ai mutamenti sociali e legislativi di un Paese che fa fatica a dare la dovuta assistenza a chi, in fuga da guerre e persecuzioni, cerca di giungere in Italia.

    https://centroastalli.it/il-rapporto-annuale-2020-del-centro-astalli
    #Italie #asile #migrations #réfugiés #statistiques #chiffres #rapport #2019 #précarité #précarisation #protection_humanitaire #décret_salvini #decreto_salvini #accueil #femmes #marginalisation #Libye #externalisation #ceux_qui_n'arrivent_pas #arrivées #torture #santé_mentale #mauvais_traitements #traite_d'êtres_humains #permis_de_séjour #accès_aux_soins #siproimi #sprar #CAS #assistance_sociale #vulnérabilité #services_sociaux #intégration

    Synthèse du rapport :
    #pXXXLIEN12LIENXXX

    Rapport :


    https://centroastalli.it/wp-content/uploads/2020/04/astalli_RAPP_2020-completo-x-web.pdf

    ping @isskein @karine4

  • La politique des putes

    Océan réalise, avec « La #Politique_des_putes », une enquête en immersion dans laquelle il tend le micro à des travailleuses·rs du sexe. Elles disent le stigmate, la marginalisation, la précarité, les violences systémiques mais aussi les ressources et l’empowerment. Pour elles, l’intime est résistance. Dix épisodes de 30 mn pour briser les préjugés.



    La Politique des putes (1/10) - Travailler
    La Politique des putes (2/10) - Stigmatiser
    La Politique des putes (3/10) - Militer
    La Politique des putes (4/10) - Choisir
    La Politique des putes (5/10) - Désirer
    La Politique des putes (6/10) - Migrer
    La Politique des putes (7/10) - Soigner
    La Politique des putes (8/10) - S’échapper
    La Politique des putes (9/10) - Agir
    La Politique des putes (10/10) - Construire

    http://www.nouvellesecoutes.fr/podcasts/intime-politique

    #sex_work #prostitution #patriarchy #capitalism #feminism #wage_labor #whorephobe #whorephobia #pimping #stigma #bias #prejudice #stigmatization #discrimination #systemic_violence #instiutional_violence #heterosexual_concept #sexual_education #normalisation #abolotionism #black_and_white #subventions #decriminalisation #penalty #laws #rights #transphobia #domination #marginalisation #vulnerability #invisbility #undocumented #isolation #fear #police_harassment #physical_violence #rape #precarity #affirmation #empowerment #dignity #trust #solidarity #network #community #choice #perception #society #associations #seropositive #access_to_healthcare #suicidal_thought #debt #menace #voodoo #exploitation #trafficking #migration #borders #family_pressure #clients_image #mudered #testimony #interview #podcast #audio #France #Paris

    “sex work is not dirty - dirty are all the representations about sex work” (La politique des putes 7/10, min 7).

  • Diagrams of Power

    Art and design works using data, diagrams, maps and visualizations as ways of challenging dominant narratives and supporting the resilience of marginalized communities.


    https://www.onomatopee.net/exhibition/diagrams-of-power
    #pouvoir #cartographie #visualisation #art #art_et_politique #résilience #marginalisation #communautés_marginalisées

    –----

    Livre :
    Diagrams of Power

    We draw diagrams to help us think, communicate and put forth what we think is important or what we want to be true. While some diagrams are seen as statements of fact, they can also further agendas by discounting other realities beneath a cloak of perceived objectivity. Diagrams of power work against representations that claim omniscience by speaking from a position, and making visible what and who gets represented and who does the representing. They also make us consider how we create and maintain relations between producers and receivers of particular forms of knowledge.

    https://www.onomatopee.net/exhibition/diagrams-of-power/#publication_9025

    ping @reka @karine4 @mobileborders

  • #Minorités / #Majorités

    Des #villes coupées, couturées, rafistolées, des vies assignées, mais aussi émancipées : de l’analyse des #politiques_ségrégationnistes aux réflexions sur le caractère inclusif des #espaces_publics en passant par la #négociation des expériences minoritaires individuelles et collectives, les villes constituent des lieux privilégiés de l’analyse des relations entre #groupes_minoritaires et #groupes_majoritaires. La vive actualité scientifique sur le sujet en France comme ailleurs en témoigne. On peut notamment penser au colloque Question raciale / questions urbaines (https://www.pacte-grenoble.fr/actualites/question-raciale-questions-urbaines-frontieres-territoriales-et-racia) : frontières territoriales et #racialisation organisé en février 2019 à Grenoble, au dernier numéro de l’Information géographique (2019) consacré aux géographies de la #différence en ville, ou encore aux nombreuses sessions de la conférence annuelle de l’American Association of Geographers 2020 (https://aag.secure-abstracts.com/AAG%20Annual%20Meeting%202020/sessions-gallery) abordant des questions urbaines sous l’angle des #rapports_sociaux (perspectives féministes, marxistes, empruntant à la Critical Race Theory ou aux approches du Settler Colonialism). C’est dans la continuité de cette actualité que s’inscrit le #13 de la revue Urbanités. En refusant de donner a priori la primauté thématique d’un rapport social sur un autre tout en mettant l’accent sur les mécanismes de production du minoritaire et du majoritaire, ce numéro propose une pluralité de lectures des manières dont les contextes urbains participent à la (re)production des positionnements sociaux, et par conséquent, à la redéfinition du rapport entre minorités et majorités en ville.

    http://www.revue-urbanites.fr/13-edito

    Sommaire :

    Edito

    #Minorités_sexuelles en #exil : l’expérience minoritaire en ville à l’aune de #marginalisations multiples

    Les riverains contre le nourrissage des #pigeons à #Paris

    Construire sa place en #montagne quand on vient des #quartiers_populaires : un enjeu pour l’#éducation_populaire

    Mouvements de #résistance autochtones et #street-art décolonial aux #États-Unis. De la réserve de #Standing_Rock aux murs d’#Indian_Alley

    Hiérarchie sociale et politique pour la visibilité sur le territoire dans un espace ségrégé. Le cas des républicains nord-irlandais

    « L’infusion » d’approches genrées dans l’urbanisme parisien : métaphore d’une propagation aux échelles organisationnelles et individuelles

    Point(s) de rencontres dans les villes émiriennes : le partage d’espaces publics où les minorités sont majoritaires

    #revue #urban_matter #géographie_urbaine #ségrégation #genre #peuples_autochtones #Irlande_du_Nord #Emirats_Arabes_unis #USA

    –---

    Avec cette note :

    La revue Urbanités a la joie de vous annoncer la parution en ligne de son treizième numéro thématique, consacré à la question des rapports entre minorités et majorités en ville. Nous tenons également à souligner que ce numéro ne pourrait pas exister sans les apports précieux de chercheur·e·s aux statuts largement précaires. Sans elleux, ce numéro ne compterait qu’un article et sa direction serait amputée. Ces contributeur·trice·s essentiel·le·s au fonctionnement des revues méritent une plus grande visibilité et une plus grande stabilité professionnelle, garantes d’une recherche de qualité.

  • #Leslie_Chan

    In this regard it is interesting that you switched the term “developing countries” to “Global South” in your question. The term has multiple meanings but one of them refers to “spaces and peoples negatively impacted by contemporary capitalist globalization”.2 This usage focuses our attention on the nature of power and marginalization within global capitalism, and this is appropriate when it comes to the increasing control of the handful of oligarch publishers over the circulation of global public knowledge.

    https://www.openlibhums.org/news/314
    #terminologie #vocabulaire #mots #Global_South #sud_global #sud_globaux #développement #pays_en_développement #pouvoir #marginalisation #capitalisme

    ping @reka

    • #Anne_Garland_Mahler : Global South

      The Global South as a critical concept has three primary definitions. First, it has traditionally been used within intergovernmental development organizations—primarily those that originated in the Non-Aligned Movement—to refer to economically disadvantaged nation-states and as a post–Cold War alternative to “Third World.” However, within a variety of fields, and often within literary and cultural studies, the Global South has been employed in a postnational sense to address spaces and peoples negatively impacted by contemporary capitalist globalization. In this second definition, the Global South captures a deterritorialized geography of capitalism’s externalities and means to account for subjugated peoples within the borders of wealthier countries, such that there are Souths in the geographic North and Norths in the geographic South. While this usage relies on a longer tradition of analysis of the North’s geographic Souths—wherein the South represents an internal periphery and subaltern relational position—the epithet “global” is used to unhinge the South from a one-to-one relation to geography. It is through this deterritorial conceptualization that a third meaning is attributed to the Global South, in which it refers to the resistant imaginary of a transnational political subject that results from a shared experience of subjugation under contemporary global capitalism. This subject is forged when the world’s Souths mutually recognize one another and view their conditions as shared. The use of the Global South to refer to a transnational political subjectivity under contemporary capitalist globalization draws from the rhetoric of the so-called Third World Project, or the non-aligned and radical internationalist discourses of the Cold War. In this sense, the Global South may productively be considered a direct response to the category of postcoloniality in that it captures both a political subjectivity and ideological formulation that arises from lateral solidarities among the world’s multiple “Souths” and that moves beyond the analysis of colonial difference within postcolonial theory. Critical scholarship that falls under the rubric Global South is invested in the analysis of the formation of a Global South subjectivity, the study of power and racialization within global capitalism in ways that transcend the nation-state as the unit of comparative analysis, and in tracing contemporary South-South relations—or relations among subaltern groups across national, linguistic, racial, and ethnic lines—as well as the histories of those relations in prior forms of South-South exchange.

      https://www.oxfordbibliographies.com/view/document/obo-9780190221911/obo-9780190221911-0055.xml
      #ressources_pédagogiques

  • Wir alle sind #Bern

    Wir alle sind Bern ist eine Plattform, eine Bewegung, ein Netzwerk – Menschen, welche sich gemeinsam einsetzen für eine Solidarische Stadt Bern, in der Vielfalt und Migration als gesellschaftliche Realität anerkannt werden. Nicht die Herkunft, sondern der Lebensmittelpunkt und die gemeinsame Zukunft sollen im Zentrum stehen, wenn es darum geht, das Leben in der Stadt zu gestalten.

    Wir beziehen uns dabei auf «#Urban_Citizenship» oder «Stadtbürger*innenschaft»: Uns geht es um eine rechtliche, politische, soziale und kulturelle Teilhabe aller Bewohner*innen der Stadt. Die Gegenwart und Zukunft in Bern soll von allen Menschen, die hier leben, gleichberechtigt mitbestimmt und auf Augenhöhe mitgestaltet werden können – ohne Ausgrenzung und Diskriminierung.

    https://wirallesindbern.ch/about

    Manifeste (en français) :

    Pour une ville de Berne solidaire

    Nous nous engageons pour une ville de Berne solidaire, dans laquelle migration et diversité sont reconnues comme des réalités sociales et priment, non pas l’origine, mais le point d’attache et l’avenir commun.
    Pour tout.e.s celles.eux qui sont ici et celles.eux qui arrivent encore.

    Nous considérons que la décision d’une personne pour s’établir à Berne relève de son libre choix et prenons ce point de départ pour nos réflexions sur un vivre ensemble solidaire. La criminalisation du franchissement des frontières, ainsi que la distinction entre des groupes qui sont inclus et ceux qui sont exlus, sont des obstacles à ce but. Nous nous engageons pour une ville solidaire, qui fait activement abstraction du statut de séjour de ses habitant.e.s et qui s’oppose aux expulsions.

    Dépassement de la culture dominante et droit à la #participation pour tout.e.s

    En plus de la sécurité du #droit_de_séjour, une ville solidaire comprend selon nous un accès au #logement, un #travail et une #formation, ainsi que la garantie de tous les #droits_fondamentaux pour tout.e.s – indépendamment de tout statut de séjour. Nous revendiquons également la reconnaissance de la migration en tant que réalité sociale, ainsi que le démantèlement de la culture dominante existante, qui nous divise au moyen d’un racisme structurel entre « locaux » et « étrangers ». Les structures du pouvoir, qui empêchent les membres de notre société de vivre une vie autonome, se révèlent non seulement à travers le #racisme, mais également dans la #marginalisation par la #pauvreté et par la #discrimination genrée ou sexuelle. Afin de surpasser ces structures du #pouvoir, nous devons tout d’abord les rendre visible, afin de les remplacer finalement par une #participation_égalitaire pour tout.e.s.

    #Démocratisation de la #démocratie et un « Nous » solidaire

    Une participation égalitaire signifie en premier lieu qu’il n’existe pas de déséquilibre structurel du pouvoir entre les habitant.e.s de la ville. Cette égalité se réfère aux rapports interpersonnels et, ainsi, à quelque chose de commun. La nature de cette chose commune, à laquelle nous prenons tout.e.s. part, se traduit par un processus constant de négociation. Afin que cette dernière aboutisse, nous avons besoin d’une démocratisation de la démocratie afin de remplacer un modèle dépassé, dans lequel les privilégiés et les puissants décident du destin des exclu.e.s. Une démocratie égalitaire demande des espaces de rencontres, un #droit_de_vote pour tout.e.s les habitant.e.s de la ville et un réel droit de participation, au lieu de processus participatifs, qui se contentent de mettre en scène cette participation. De plus, nous devons concevoir la solidarité comme un « #Nous », qui va au-delà de notre propre famille, notre origine, notre classe, notre orientation sexuelle ou notre genre. Cette solidarité relève d’un « Nous » commun, qui défend la #liberté, l’#égalité et la #justice pour tout.e.s et qui ne s’arrête pas aux frontières de la ville, car : nous sommes tout.e.s Berne.

    https://wirallesindbern.ch/manifeste

    La question d’une #carte_citoyenne qu’ils appelle #city_card :
    https://wirallesindbern.ch/city-card

    #ville-refuge #asile #migrations #réfugiés #Suisse #solidarité #accueil #citoyenneté #citoyenneté_urbaine

    Ajouté à cette métaliste sur les #villes-refuge :
    https://seenthis.net/messages/759145#message801886

    ping @karine4 @isskein @cede

  • La #discrimination des #burakumin au #Japon

    La discrimination à l’encontre des burakumin dans le Japon contemporain s’est construite au fil des siècles. Elle s’avère particulièrement difficile à enrayer tant les formes que prend la #marginalisation de ces #Intouchables nippons se modifient d’une époque à l’autre.


    https://laviedesidees.fr/La-discrimination-des-burakumin-au-Japon.html
    #discriminations

  • Watching the clothes dry: How life in Greece’s refugee camps is changing family roles and expectations

    On the Greek Islands where refugees face long waiting times and a lack of adequate facilities, women are being pushed to the margins of camp society as children are deprived of education and safe places to play. While governments and the EU fail to provide satisfactory support, and NGOs fight to fill the gaps, how can we stop a generation of women and girls with high hopes of independence and careers from being forced back into domestic roles?

    “The days here are as long as a year.

    “In the camp I have to wash my clothes and dishes with cold water in the cold winter, and I have to watch my clothes dry because I lost almost all of my dresses and clothes after hanging them up.

    “As a woman I have to do these jobs – I mean because I am supposed to do them.”

    The boredom and hopelessness that Mariam* describes are, by now, common threads running through the messy, tragic tapestry of stories from the so called “migrant crisis” in Greece.

    Mariam is from Afghanistan, and had been studying business at university in Kabul, before increasing violence and threats from the Taliban meant that she was forced to flee the country with her husband. Soon after I met her, I began to notice that life in camp was throwing two distinct concepts of herself into conflict: one, as a young woman, ambitious to study and start a career, and the other, as a female asylum seeker in a camp with appallingly few facilities, and little freedom.

    While Mariam felt driven to continue her studies and love of reading, she could not escape the daily domestic chores in camp, a burden placed particularly on her because of her gender. I was familiar with Mariam the student: while managing the Alpha Centre, an activity centre run by Samos Volunteers, I would often come across Mariam sitting in a quiet spot, her head bent over a book for hours, or sitting diligently in language classes.

    The other side of her was one I rarely saw, but it was a life which dominated Mariam’s camp existence: hours and hours of her days spent cooking, cleaning, mending clothes, queuing for food, washing dishes, washing clothes, watching them dry.
    Women as caregivers

    Mariam’s experience of boredom and hardship in the camp on Samos is, unfortunately, not uncommon for any person living in the overcrowded and squalid facilities on the Greek islands.

    Many, many reports have been made, by newspapers, by Human Rights organisations such as Amnesty International, and NGOs such as Medécins Sans Frontières (MSF). All of them speak, to varying degrees, of the crushing boredom and despair faced by asylum-seekers in Greece, the dreadful conditions and lack of resources, and the mental health implications of living in such a situation. MSF describes the suffering on the Aegean islands as being on an “overwhelming scale.”

    While these issues apply indiscriminately to anyone enduring life in the island camps – and this undoubtedly includes men – there have been reports highlighting the particular hardships that women such as Mariam have to face while seeking asylum in Greece. In a 2018 report, “Uprooted women in Greece speak out,” Amnesty International comments on the additional pressures many women face in camp:

    The lack of facilities and the poor conditions in camps place a particularly heavy burden on women who often shoulder the majority of care responsibilities for children and other relatives. The psychological impact of prolonged stays in camps is profound. Women spoke of their anxiety, nightmares, lack of sleep and depression.

    The article recognises how much more likely women are than men to take on a caregiving role, an issue that is not unique to asylum-seeking populations. According to a report titled ‘Women’s Work’ released in 2016 by the Overseas Development Institute, women globally do on average over three times more unpaid work than men – work including childcare and domestic chores. This is across both ‘developed’ and ‘developing’ countries, and demonstrates inequality on a scale far beyond refugee and migrant populations.

    However, as Amnesty points out, it is not the perceived roles themselves which are the issue, but rather the glaring lack of facilities in camps – such as lack of food, ‘horrific’ sanitary conditions, and poor or non-existent washing facilities, as well as significant lack of access to education for children, and waiting times of up to two years. All of these factors exacerbate the gender divides which may or may not have been prevalent in the first place.

    The expectation for women to be primary caregivers was something I particularly noticed when running women’s activities on Samos. There was a stark difference between the daily classes – which would fill up with men attending alone, as agents distinct from their families in camp – and the women-only sessions, where accompanying children were almost always expected, and had to be considered in every session plan.

    The particular burden that I noticed so starkly in Mariam and many other women, was a constant battle to not be pushed to the margins of a society, which she desperately wanted to participate in, but had no opportunity to do so.

    Beyond lack of opportunities, many women speak of their great fear for themselves and their children in camp. Not only does a lack of facilities make life harder for people on the move, it also makes it incredibly dangerous in many ways, putting the most vulnerable at a severe disadvantage. This issue is particularly grave on Samos, where the camp only has one official doctor, one toilet per 70 people, and a gross lack of women-only bathrooms. This, alongside a volatile and violent environment – which is particularly dangerous at night – culminates in a widespread, and well-founded fear of violence.

    In an interview with Humans of Samos, Sawsan, a young woman from Syria, tells of the agonising kidney stones she experienced but was unable to treat, for fear of going to the toilet at night. “The doctor told me you need to drink a lot of water, but I can’t drink a lot of water, I am afraid to go outside in the night, is very dangerous,” she explained to my colleague.

    As Amnesty International reported last year, “women’s rights are being violated on a daily basis” in the Greek island hotspots. Their report features a list of ten demands from refugee women in Greece, including “full access to services,” “safe female only spaces,” and “livelihood opportunities.” All of these demands not only demonstrate a clear lack of such services currently, but also a real need and desire for the means to change their lives, as expressed by the women themselves.

    I remember the effect of this environment on Mariam, and the intense frustration she expressed at being forced to live an existence that she had not chosen. I have a vivid memory of sitting with her on a quiet afternoon in the centre: she was showing me photos on her phone of her and her friends at university in in Kabul. The photos were relatively recent but seemed another world away. I remember her looking up from the phone and telling me wearily, “life is so unexpected.”

    I remember her showing me the calluses on her hands, earned by washing her and her husband’s clothes in cold water; her gesturing in exasperation towards the camp beyond the walls of the centre. She never thought she’d be in this position, she told me, performing never ending domestic chores, while waiting out her days for an unknown life.

    Stolen childhoods

    Beyond speaking of their own difficulties, many people I approached told me of their intense concern for the children living in camps across Greece. As Mariam put it, “this situation snatches their childhoods by taking away their actual right to be children” – in many inhumane and degrading ways. And, as highlighted above, when children are affected, women are then far more likely to be impacted as a result, creating a calamitous domino effect among the most vulnerable.

    I also spoke to Abdul* from Iraq who said:

    The camp is a terrible place for children because they are used to going out playing, visiting their friends and relatives in the neighbourhood, and going to school but in the camp there is nothing. They can’t even play, and the environment is horrible.”

    Many asylum-seeking children do not have access to education in Greece. This is despite the government recognising the right of all children to access education, regardless of their status in a country, and even if they lack paperwork.

    UNHCR recently described educational opportunities for the 3,050 5-17 year olds living on Greece’s islands, as “slim.” They estimate that “most have missed between one and four years of school as a result of war and forced displacement” – and they continue to miss out as a result of life on the islands.

    There are several reasons why so many children are out of school, but Greek and EU policies are largely to blame. Based mistakenly on the grounds that people will only reside on the islands for brief periods before either being returned to Turkey or transferred to the mainland, the policies do not prioritise education. The reality of the situation is that many children end up waiting for months in the island camps before being moved, and during this time, have no access to formal education, subsequently losing their rights to play, learn, develop and integrate in a new society.

    In place of formal schooling, many children in camps rely on informal education and psychosocial activities provided by NGOs and grassroots organisations. While generally doing a commendable job in filling the numerous gaps, these provisions can sometimes be sporadic, and can depend on funding as well as groups being given access to camps and shelters.

    And while small organisations try their best to plug gaps in a faulty system, there will always, unfortunately, be children left behind. The ultimate result of Greek and EU policy is that the majority of children are spending months in limbo without education, waiting out their days in an unsafe and unstable environment.

    This not only deprives children of formative months, and sometimes years, of education and development, it can also put them at risk of exploitation and abuse. Reports by the RSA and Save the Children state that refugee children are at much higher risk of exploitation when they are out of school. Save the Children highlight that, particularly for Syrian refugee girls, “a lack of access to education is contributing to sexual exploitation, harassment, domestic violence and a significant rise in forced marriages”.

    There have also been numerous cases of children – often unaccompanied teenage boys – being forced into “survival sex,” selling sex to older, predatory men, for as little as €15 or even less, just in order to get by. The issue has been particularly prevalent in Greece’s major cities, Athens and Thessaloniki.

    While all children suffer in this situation, unaccompanied minors are especially at risk. The state has particular responsibilities to provide for unaccompanied and separated children under international guidelines, yet children in Greece, especially on Samos, are being failed. The failings are across the board, through lack of education, lack of psychological support, lack of appropriate guardians, and lack of adequate housing – many children are often placed in camps rather than in external shelters.

    This is a particular issue on Samos, as the designated area for unaccompanied minors in the reception centre, was not guarded at all until recently, and is regularly subject to chaos and violence from other camp residents, visitors or even police.

    Many refugee children in Greece are also at risk of violence not only as a result of state inactions, but at the hands of the state itself. Children are often subject to violent – and illegal – pushbacks at Greece’s border with Turkey.

    There have been multiple accounts of police beating migrants and confiscating belongings at the Evros river border, with one woman reporting that Greek authorities “took away her two young children’s shoes” in order to deter them from continuing their journey.

    The Council of Europe’s Committee for the Prevention of Torture and Inhuman or Degrading Treatment or Punishment (CPT) spoke out earlier this year, criticising treatment in Greek camps and detention facilities, stating that conditions were “inhuman and degrading.” They have called for an end to the detention of children with adults in police facilities, as well as the housing of unaccompanied minors in reception and identification centres, such as the hotspot on Samos.

    Smaller organisations are also making their voices heard: Still I Rise, a young NGO on Samos providing education for refugee children, has just filed a lawsuit against the camp management at the refugee hotspot, for their ill treatment of unaccompanied minors. The organisation states:

    We are in a unique position to witness the inhumane living conditions and experiences of our students in the refugee hotspot. With the support of Help Refugees, we gathered evidence, wrote affidavits, and build a class action on behalf of all the unaccompanied minors past and present who suffered abuse in the camp.

    After witnessing the many failings of the camp management to protect the unaccompanied minors, the NGO decided to take matters into their own hands, raising up the voices of their students, students whose childhoods have been stolen from them as they flee war and persecution.
    “Without love I would give up”

    Every day on Samos, I worked with people who were battling the ever-consuming crush of hardship and boredom. People came to the activity centre to overcome it, through learning languages, reading, socialising, exercising, teaching and volunteering. They demonstrated amazing commitment and perseverance, and this should not be forgotten in the face of everything discussed so far.

    Nadine*, a young woman from Cameroon whose help at the centre became invaluable, told me that she ‘always’ feels bored, and that “the worst is a closed camp,” but that she has managed to survive by teaching:

    I teach the alphabet and sounds, letters for them to be able to read. I teach adult beginners, it’s not easy because some of them didn’t go to school and they are not able to write in their own language. So it’s hard work, patience and love because without love I would give up.”

    The perseverance demonstrated by Nadine, Mariam, and other women like them, is extraordinary. This is not only considering the challenges they had to confront before even reaching Greece, but in the face of such adversity once reaching the EU.

    Those refugees who are most vulnerable – particularly women and children, but also the silent voices of this article, those who are disabled, LGBTQ+ or otherwise a minority – are being pushed to the margins of society by the despicable policies and practices being inflicted on migrants in Greece. Refugees and migrants are being forced to endure immense suffering simply for asking for a place of safety.

    Yet despite everything, even those at the most disadvantage are continuing to fight for their right to a future. And while I know that, especially in this climate, we need more than love alone, I hang onto Nadine’s words all the same: “without love I would give up.”

    https://lacuna.org.uk/migration/watching-the-clothes-dry-how-life-in-greeces-refugee-camps-is-changing-fa
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