La contribution des « peasant studies »
C’est dans les années 1950 que les peasant studies ("études du paysannat"), nouvelle discipline sociologique, ont vu le jour. Cette branche de la sociologie reposait sur le présupposé anthropologique et ethnologique qu’il fallait appréhender le mode de vie des gens tel qu’il se présentait, contrairement à la sociologie centrée autour du développement qui avait pour ambition de découvrir les causes d’un prétendu sous-développement et les solutions pour en sortir.
Le dissident russe Alexandre Chayanov a joué un rôle essentiel dans ce domaine : dans les années 1920, il a élaboré une théorie autour de l’indépendance de l’économie paysanne, système qui possède sa propre logique sociale et culturelle. S’opposant à la ligne officielle du communisme prolétarien qui cherchait à transformer les paysans en salariés du kolkoze, Chayanov défendait l’économie paysanne en raison de ses capacités d’adaptation écologique et sociale. Sa vision des choses lui coûta la vie dans l’archipel du Goulag, mais sa théorie est depuis lors devenue le fondement des peasant studies. Comme il l’expliquait, l’économie paysanne n’est pas centrée sur la maximisation du profit, mais sur les besoins ; elle fait preuve de prudence et se tient à l’écart des risques inutiles. Une ferme ne cesse pas toute activité si elle n’atteint pas un certain niveau de profit, et son capital n’est pas non plus transféré dans un autre secteur dont on attend plus de gains. Quand les temps sont durs, les gens se serrent la ceinture, travaillent plus et consomment moins. Les périodes favorables laissent place à plus de loisirs et le surplus dégagé n’est pas réinvesti, mais dépensé dans des festivités. L’essentiel est de maintenir ce qui existe déjà, tant au niveau économique qu’au niveau social.
Entre autre choses, les peasant studies nous apprennent que les structures de l’économie paysanne sont les mêmes dans le monde entier et que, quelques soient les différences locales et régionales, on observe le même genre de caractéristiques culturelles. En ce qui concerne la démarche de la subsistance, ce sont des conclusions plus que probantes. Les gens doivent se nourrir et se reproduire dans un processus d’échange avec la nature. S’ils le font sous la forme d’une agriculture sédentaire, leur constitution physique et les processus naturels liés à la naissance et à la mort n’offrent guère de possibilités de variations.
Outre la théorie de la subsistance, notre principale contribution au débat sur l’économie et la culture paysannes consiste à affirmer que la position sociale accordée aux paysans depuis le début des temps modernes est semblable à celle des femmes vues comme des femmes au foyer. C’est cela qui nous a permis de comprendre la relation particulière qu’entretient la modernité avec la production de nourriture et de choses indispensables à la vie (et donc avec la subsistance), et aussi de saisir le lien entre subordination sociales et proximité à la nature (ce qui est loin d’être le seul cas des femmes). Puisque les paysans comme les femmes s’occupent des besoins immédiats et quotidiens des êtres humains, ils n’ont pas beaucoup de poids dans un monde où le dépassement du domaine de la nécessité est censé ouvrir les portes de la liberté. On retrouve cette attitude aussi bien à gauche qu’à droite, chez des féministes telles que Simone de Beauvoir aussi bien que chez des misogynes notoires.
La subsistance, une perspective écoféministe, Maria Mies & Veronika Bennholdt
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