• « La situation demande une réponse de l’Etat qui ne saurait se réduire à la criminalisation des révoltes et à la répression »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/04/la-situation-demande-une-reponse-de-l-etat-qui-ne-saurait-se-reduire-a-la-cr

    Le mardi 27 juin, alors que le jeune Nahel M., 17 ans, était tué par un policier à Nanterre, nous, membres du collectif de recherche Pop-Part, étions alors réunis pour prolonger une recherche participative portant sur dix quartiers populaires de la région parisienne, qui nous a occupés pendant cinq ans. Au cours de ces années, l’activité de notre collectif, composé de jeunes de quartiers populaires, de professionnels de la jeunesse, d’enseignants, de chercheurs et d’artistes, a mis en évidence la complexité et la diversité des expériences des jeunes des quartiers.

    Au-delà des images caricaturales, cette expérience est faite d’engagements, de projets d’avenir, de solidarité. Le rapport à la violence, les relations à la police, les discriminations y sont aussi prégnantes, sans que l’expérience des jeunes ne s’y réduise. Pourtant, l’actualité et son traitement médiatique et politique nous y renvoient de nouveau.

    Nous sommes profondément attristés par la mort tragique de Nahel qui est symptomatique du contexte d’inégalités et d’injustice, de mépris social et de non-écoute dans lequel nous, jeunes, vivons et avons grandi, dans lequel, nous, professionnels, chercheurs et artistes, travaillons et que nous avons analysé ensemble.

    Rétablir les conditions du dialogue

    Nous sommes choqués et inquiets de la réponse politique uniquement répressive et judiciaire apportée à ce drame. Quand prendra-t-on enfin au sérieux la colère qui s’exprime dans ces affrontements ? Il est urgent de rétablir les conditions du dialogue.

    A la veille des commémorations des 40 ans de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, près de vingt ans après les révoltes urbaines de 2005 qui ont fait suite à la mort de Zyed et Bouna, quelques années après la mort d’Adama Traoré, quelques semaines après celle du jeune Guinéen de 19 ans Alhoussein Camara, tué par un tir de policier en Charente, le 14 juin, le même scénario se répète.

    Outre certaines figures connues, qui marquent la mémoire des jeunes générations, combien de Nahel n’ont pas été filmés ? Combien d’autres injustices et actes illégaux ont été étouffés ? La violence policière a été légitimée comme mode opératoire dans les quartiers populaires, sans que les responsables ne soient systématiquement condamnés et, une fois encore, c’est la victime qui est criminalisée dans beaucoup des discours publics.

    La violence de la rénovation urbaine imposée

    Nous, jeunes de quartiers populaires, vivons au quotidien l’expérience de la discrimination, le sentiment de ne jamais avoir une place, d’être tout simplement illégitimes dans cette société. Dans les médias, à l’école, au travail, dans les rapports aux institutions et notamment à la police, nous sommes trop souvent stigmatisés. Il est alors bien difficile de se projeter dans un avenir commun.

    Nous, professionnels de la jeunesse, sommes toujours soumis à l’injonction d’éteindre le feu pour rétablir la paix sociale. Mais un seuil a été franchi. Sans dialogue ni assurance d’un véritable changement, cette mission est impossible à remplir. Les politiques publiques restent largement en deçà des enjeux et sont pensées et menées sans, voire contre, les principaux concernés.

    Nous, jeunes de quartier, avons subi la violence de la rénovation urbaine imposée, incarnée par les démolitions, les déménagements, la déstructuration de nos réseaux de solidarité. Tout au long de notre enfance et de notre adolescence, nous avons vécu la montée de l’islamophobie et la stigmatisation, aggravées depuis les attentats de 2015 par les discours médiatiques et les mesures politiques. Combien de temps allons-nous continuer à craindre pour nos vies, celles de nos amis, de nos frères et de nos sœurs ?
    Une crise sociale et démocratique profonde

    Nous, professionnels, avons été pris dans des carcans administratifs et idéologiques sourds aux expériences des jeunes, qui n’ont eu comme effet que de limiter nos initiatives. Nos associations, qui prennent le relais sur le terrain pour pallier l’absence d’action publique, ne sont pas soutenues à la hauteur de leur engagement, voient leurs moyens diminués voire supprimés, quand leurs actions ne sont pas tout simplement réprimées.

    Nous ne pouvons et nous ne voulons plus continuer à mettre ainsi des rustines. Nous, enseignants, chercheurs, avons documenté ces dérives. Nos propos ont souvent été caricaturés et dénoncés, quand nous n’avons pas été simplement insultés et étiquetés comme idéologues.

    Aujourd’hui, les quartiers populaires subissent de plein fouet l’inflation, la crise du logement, la casse des services publics, qui s’accélère dans l’éducation nationale, dans la santé, et, de manière plus générale, dans la prise en charge des besoins des populations. Ces constats et ces interrogations renvoient à une crise sociale et démocratique profonde qui ne concerne pas les seuls quartiers populaires.

    Ouvrir des espaces publics de débat

    Nous ne sommes plus en 2005. La situation s’est aggravée. Les révoltes, qui partent des quartiers, n’y restent pas confinées, géographiquement et socialement. Ces territoires ne sont ni des îles, ni des déserts politiques. Ils catalysent des enjeux qui traversent l’ensemble de la société française. Les mouvements sociaux récents, qu’il s’agisse des « gilets jaunes », des mobilisations contre la réforme des retraites ou des luttes écologiques, ont montré la surdité du président de la République et des gouvernements, qui n’y ont répondu que par la répression.

    Cette situation demande une réponse de l’Etat qui ne saurait se réduire à la criminalisation des révoltes et à la répression. Aucun bilan ne semble avoir été tiré de la gestion catastrophique des révoltes de 2005, qui n’avait conduit qu’à accentuer les tensions. Les perspectives d’avenir des jeunes accusés et condamnés à la suite de ces évènements ont été détruites, fragilisant par effet domino leurs familles et leurs cercles amicaux, alors qu’aucune solution de fond n’a été mise en œuvre.
    Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Emmanuel Blanchard, politiste : « La France a une histoire longue de racialisation de l’emprise policière »

    Nous espérons que les habitants des quartiers populaires, nos collègues, les forces sociales du pays, entendant cette colère, sauront construire ensemble, à partir des quartiers populaires et au-delà, un mouvement social porteur de propositions. Ouvrons des espaces publics de débat, entendons les paroles et les demandes portées par les révoltes urbaines et les mouvements sociaux, construisons et imposons ensemble un monde de justice sociale.

    Parmi les signataires : Louiza Aoufi, étudiante ; Marie-Hélène Bacqué, enseignante-chercheuse en études urbaines, université Paris-Nanterre ; Mehdi Bigaderne, cofondateur du collectif AC-Lefeu, adjoint à la maire de Clichy-sous-Bois ; Djeneba Comté, étudiante ; Jeanne Demoulin, enseignante-chercheuse en sciences de l’éducation, université Paris-Nanterre ; Mamadou Diallo, responsable de l’association Zy’Va, Nanterre ; Zineddine Nouioua, acteur, membre du collectif AC-Lefeu ; Hawa Traoré, étudiante ; Lassana Traoré, président de l’association Culture et loisirs pour tous, Corbeil-Essonnes ; Karim Yazi, comédien, producteur et metteur en scène, Kygel Théâtre.

    La liste complète des signataires est accessible sur ce lien

    Le collectif Pop-Part est un collectif scientifique qui regroupe les chercheurs, les professionnels et les jeunes ayant pris part à la recherche « Les quartiers populaires au prisme de la jeunesse : une recherche participative » (ANR Pop-Part), conduite de 2017 à 2022 dans dix villes et quartiers franciliens. La démarche et les résultats sont notamment restitués sur le site Jeunes de quartier. Le collectif a publié l’ouvrage Jeunes de quartier. Le pouvoir des mots (C & F Editions, 2021). Il intègre aujourd’hui le Kygel Théâtre, qui a monté la pièce de théâtre Vivaces, mettant en scène les textes de l’ouvrage. La pièce a été jouée une vingtaine de fois et continue à circuler.

    #Jeunes_de_quartier #Jeanne_Demoulin #Marie-Hélène_Bacqué #Emeutes

  • Recension : Jeunes de quartier. Le pouvoir des mots, Collectif Pop-Art, coordonné par Marie-Hélène Bacqué et Jeanne Demoulin, 2021, Caen, C&F éditions, 240 pages. | Cairn.info
    https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2023-1-page-220.htm

    Jeunes de quartiers est un ouvrage important, car il marque le tournant participatif dans la recherche urbaine. Créé en 2017, le collectif Pop-Art réunit l’ensemble des participants – jeunes, acteurs locaux (animateurs, etc.) et/ou chercheurs (surtout chercheuses) – à une recherche participative innovante, d’abord par sa durée (4 ans), ensuite et surtout, par les outils utilisés  : groupes de parole, ateliers d’écriture individuelle et collective, cartes mentales, photographies et films vidéo, etc. Son sous-titre – «  le pouvoir des mots  » – exprime bien l’objectif de l’ouvrage  : donner à entendre la parole de ces jeunes. Ce point est essentiel à la fois pour les jeunes et pour les destinataires de leurs paroles. Il est aussi en cohérence avec les outils qui ont été privilégiés. La recherche porte sur les «  jeunes de quartier  », expression qui a été préférée à celle de «  jeunes de banlieue  », réservée aux jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville, trop facilement présumés délinquants.

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    Ici, il s’agit de jeunes vivant dans des quartiers populaires qui ne relèvent pas tous de la politique de la ville, dans Paris (18e arrondissement), dans la première couronne de la banlieue parisienne, mais aussi dans la seconde, plus «  rurale  ». Il y a des filles et des garçons, une fraction a fait des études supérieures, elle n’est pas la plus nombreuse, mais elle reste très attachée à son quartier. De nombreux jeunes viennent de familles d’immigration ancienne ou récente. La cohabitation pluriethnique s’impose, mais tous se plaignent du racisme de leurs voisins et surtout des institutions. L’islam est la religion majoritaire, mais l’ignorance est grande  : une jeune chrétienne s’est convertie à l’islam car, pour elle, à la différence du christianisme qui est très divisé, «  dans la religion musulmane, tout le monde a la même version  » (p. 183)  ! Tous parlent d’eux, de leur famille, de leur quartier, de leurs projets d’avenir et de leurs visions du monde. Celles et ceux qui ont la double nationalité la considèrent comme un atout et non comme un handicap.

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    Le fond et la forme sont bien entendu liés, mais je les présente ici successivement. Ces jeunes ne sont pas très différents des autres, à la fois attachants et surprenants. Leur place dans la société se structure autour de couples d’oppositions  : fille et garçon, petit et grand, premier et dernier de la fratrie, etc. Tous sont très attachés à leur quartier, considéré comme une «  grande famille  », un «  petit village  » et même un «  refuge  ». Mais ils apprécient l’anonymat de la capitale pour leurs sorties. Le quartier est une sorte de «  tiers-lieu  » entre la famille et l’école. Le sport est très important pour être connu et reconnu, pour les garçons, mais aussi pour les filles. Certains ont des projets un peu fous, comme créer une entreprise de luxe ou s’installer à Dubaï. Mais la majorité est d’une grande lucidité et sait reconnaître ses erreurs de jeunesse, le rêve débouchant sur un projet plus réaliste. Par exemple, après avoir rêvé de devenir une star du football, des jeunes sont devenus animateurs sportifs. Tous ont également un sens aigu des solidarités familiales et de voisinage, tout en étant critiques, et oscillent entre attraction et répulsion. Tous tiennent à la solidarité qui leur a été enseignée avec l’islam, mais ils, et surtout elles, aimeraient bien que leurs parents s’ouvrent à l’égalité entre les hommes et les femmes et ne leur imposent plus de mariage forcé. Tous expriment un fort désir d’engagement dans la cité, tout en craignant la «  récupération  » par la municipalité ou par les partis politiques. L’expression de Jacques Ion, «  l’engagement post-it  », n’est pas utilisée, mais correspond bien à leur démarche. Peut-être parce que la question de la santé n’était pas un problème majeur en 2017, elle est peu présente dans cet ouvrage.

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    Avec le collectif Pop-Art, Marie-Hélène Bacqué et Jeanne Demoulin s’affirment ainsi comme les pionnières du véritable «  tournant participatif  » dans la recherche urbaine et, plus largement, en sciences humaines et sociales. La contribution des participants dans la production et l’analyse des données est réelle et reconnue. Ce collectif innove aussi en matière de diffusion des résultats à la communauté scientifique, aux autres jeunes et au grand public. Espérons que d’autres suivront leur exemple.

    #Jeunes_quartier #Marie-Hélène_Bacqué #Jeanne_Demoulin

  • « Penser le 9-3 » : un nouveau podcast veut changer la vision de la Seine-Saint-Denis
    https://www.ouest-france.fr/ile-de-france/seine-saint-denis/penser-le-9-3-un-nouveau-podcast-veut-changer-la-vision-de-la-seine-sai
    https://media.ouest-france.fr/v1/pictures/MjAyMzAxM2E4NWIwNTgyZTUzY2Y2YWUwN2Q4YTAxYjkzOTQyMDI?width=1260&he

    Le podcast « Penser le 9-3 » est officiellement sorti mercredi 25 janvier 2023 sur les plateformes de streaming. Créé par le réseau Profession banlieue, le programme ambitionne de changer la vision et les mentalités sur la Seine-Saint-Denis, afin de montrer le département « autrement ».

    Profession banlieue, réseau professionnel sur la politique de la ville, a lancé mercredi 25 janvier 2023 son podcast « Penser le 9-3 ». Avec quatre épisodes d’environ 35 minutes, le programme a pour ambition de « montrer la Seine-Saint-Denis autrement » via le regard de chercheurs et d’habitants.

    Le journaliste Antoine Tricot ira à la découverte d’Aubervilliers, Villetaneuse et Saint-Denis. Le podcast prend comme point de départ les travaux des chercheurs du conseil scientifique de l’association Profession banlieue. Dans le premier épisode, la sociologue Marie-Hélène Bacqué aborde le sujet des nouvelles formes de politisation des jeunes dans les quartiers populaires.

    Apporter un « regard contrasté » sur le département

    Le deuxième épisode est consacré à la rénovation urbaine avec le politiste Renaud Epstein et le troisième épisode porte sur les jardins avec la géographe Flaminia Paddeu. Dans le dernier épisode, la sociologue Christine Bellavoine rencontre le responsable de structure jeunesse Mamadou Soumaré sur le thème des animateurs.

    « La Seine-Saint-Denis est un territoire jeune, extrêmement bouillonnant et créatif. Cette dimension-là est rarement montrée, explique Marie-Hélène Bacqué à propos du département. On est pris entre deux écueils : d’un côté une forme de stigmatisation et de l’autre, quelques fois, un regard un peu naïf. […] La question est de donner à voir ce regard contrasté. »

    Un réseau de réflexion sur la politique urbaine

    Dans les épisodes, les chercheurs sont accompagnés d’habitants et d’associatifs. Le journaliste donne une description imagée des lieux de déambulation tandis que le chercheur rend accessible certains concepts. « On avait cette idée de montrer la Seine-Saint-Denis autrement », résume Vincent Havage, directeur de Profession banlieue, qui espère la production d’autres saisons.

    Créé en 1993, Profession Banlieue est un réseau professionnel des acteurs des quartiers populaires en Seine-Saint-Denis et un centre de ressources cherchant à contribuer à la réflexion nationale sur les questions de politique de la ville. L’association propose régulièrement des séminaires et visites sur les thématiques de transition urbaine, d’égalité ou encore de patrimoine


    (on retrouvera le livre complet à : https://cfeditions.com/jdq)

    #Jeunes_de_quartier #Marie-Hélène_Bacqué #Podcast

  • Pourquoi les gilets jaunes n’ont-ils pas vu la couleur des quartiers ?
    http://www.regards.fr/politique/article/pourquoi-les-gilets-jaunes-n-ont-ils-pas-vu-la-couleur-des-quartiers

    Inégalités territoriales et sociales, violences policières… Malgré des combats partagés, la convergence entre le mouvement des « gilets jaunes » et les mobilisations des banlieues populaires n’a pas eu lieu. Nos trois invités, impliqués dans ces luttes, discutent de l’isolement politique des « quartiers ». Entretien avec Assa Traoré, porte-parole du comité Vérité et justice pour Adama, Marie-Hélène Bacqué, qui participé à la création de la coordination nationale des quartiers populaires Pas sans nous, et Azzédine Taïbi, maire communiste de Stains et conseiller départemental de Seine-Saint-Denis. Source : Regards