C’est certes Freud qui a popularisé ce mépris du clitoris vs. le vagin, mais il avait piqué cette idée à un marin français du XIXème siècle, médecin amateur, Pierre Garnier :
Contrairement à ce qu’affirme Thomas Laqueur, Freud n’est pas le premier à s’opposer radicalement à la tradition triséculaire du clitoris comme siège du plaisir. Il ne fait que reprendre à son compte des conceptions formulées dans les années 1880.
En France, Pierre Garnier est le premier médecin à se livrer à une sape consciencieuse de ce qu’il nomme la « doctrine de la toute puissance du clitoris ». Ce dernier a tellement été oublié de l’historiographie qu’il a été systématiquement confondu avec le médecin homonyme plus connu, Paul Garnier.
Pierre Garnier n’est pas un anatomiste, il n’a jamais réalisé une seule dissection. Après une carrière dans la marine marchande, il devient sur le tard un spécialiste des troubles de la sexualité qui s’appuie, du moins le prétend-il, sur des centaines d’observations personnelles. C’est aussi un vulgarisateur prolixe : il publie près de dix opus aux titres aguicheurs qui se répètent mutuellement et se vendent très bien.
De livre en livre, il réhabilite le vagin comme organe sensoriel et tend à diviser les femmes en deux catégories. C’est dans le vagin que « s’élabore toute la sensation progressivement accrue et de là aussi, [que] s’élance l’irradiation terminale du spasme vénérien sans que le clitoris paraisse y prendre aucune part ». Inversement, « faire de cet organe minuscule, véritable bouton insensible, le plus souvent tant qu’il n’a pas été touché, ébranlé artificiellement, le foyer érogène le plus actif, c’est accuser implicitement toutes les filles d’onanisme antérieur ou de libertinage plus tard ». Les tenants de cette thèse auraient « surtout vécu avec des femmes galantes, qui connaissent et emploient de préférence ce rudiment de l’amour » (1889).
Cette dualité orgasmique sera reprise ensuite par bien des auteurs, avec ou sans les jugements moraux afférents. À la fin du XIX e siècle, l’opinion médicale dominante est que la majorité des femmes se désintéressent du coït. « La frigidité est tellement fréquente chez la femme, qu’elle peut à peine être considérée comme un état morbide », résume par exemple Auguste Lutaud, médecin adjoint à Saint-Lazare puis à Lourcine.