« Il arriva que le roi n’approchait plus sa dame depuis longtemps, et alors, que le roi était dans un château très proche de Montpellier, il aimait et avait pour amie une dame de grande condition, très belle ; son majordome, homme bon et loyal, -nommé semble-t-il Guillem d’Alcalà- et qui était au courant de ces affaires, était chargé de conduire cette dame au château.
Dame Marie de Montpellier l’apprit et fait appeler le majordome du roi ; une fois devant elle, elle lui dit : Ami, soyez le bienvenu ; je vous ai fait venir parce que je sais que vous êtes un homme loyal et bon en qui on peut avoir confiance ; je vous demande de m’aider pour ce que je vais vous dire. Vous savez bien que mon mari le roi ne veut plus de moi dans sa chambre, ce qui m’attriste beaucoup ; c’est pour cela que je n’ai pas eu encore un enfant de lui qui serait l’héritier de Montpellier. Je sais que le roi a une liaison avec une dame qui vient de temps en temps au château, et que vous êtes son homme de confiance. Je vous demande que, lorsque vous lui amènerez la dame, vous veniez me trouver en privé et que vous m’ameniez à la chambre à sa place, et que vous me mettiez dans son lit. Vous le ferez dans l’obscurité, c’est-à-dire sans qu’il n’y ait de la lumière ; vous direz au roi que la dame le veut ainsi pour ne pas être reconnue. Et je tiens foi en Dieu que cette nuit, j’engendrerai un enfant qui sera un grand bien et un grand honneur pour tout le royaume.
Madame, lui dit le majordome, je suis disposé à faire tout ce que vous m’avez demandé, surtout qu’il s’agit de votre honneur et profit. Soyez sûre que je ne dirai rien à personne sur tout ce que vous m’avez demandé, encore que j’ai peur de la colère du roi. Ami, lui dit la dame, n’ayez pas peur, car j’agirai de telle manière, que vous soyez récompensé comme vous ne l’avez jamais été auparavant.
Madame, lui répliqua le majordome, grand merci ! Sachez que je ferai tout ce que vous m’avez ordonné, et comme c’est ainsi, ne nous retardons pas davantage. Maintenant arrangez-vous parce que le roi m’a demandé que ce soir, je lui amène au château la dame que vous savez. Je viendrai vous chercher et secrètement, je vous porterai au château ; je vous conduirai dans sa chambre, et vous savez ce qu’il faudra faire. Ami, lui dit la dame, ce que vous me dites me satisfait pleinement. Allez donc et pensez à ce qu’il faut faire ; ce soir, venez me chercher. Le majordome s’en va.
Le soir, le roi lui demande de lui amener cette dame pour passer la nuit au lit avec lui. Seigneur, lui dit le majordome, tout de suite, mais je dois vous dire une chose qu’elle m’a demandée ; elle vous prie qu’elle ne soit vue par personne, que ce soit homme, dame, ou demoiselle. Le roi dit à son servant, faites du mieux que vous pouvez ; moi, je voudrai tout ce qu’elle voudra. L’homme loyal va chercher la souveraine avec une demoiselle et deux cavaliers, l’amène à la chambre du roi et la laisse seule. Elle se déshabille et se met dans le lit du roi, mais avant elle fait éteindre toutes les lumières. »