#meslectures

  • Moi-même, qui suis Limousin, j’ai complètement raté mon couple parce que j’ai épousé une non-Limousine. Une Vendéenne. Les Vendéens ne sont pas des gens comme nous. Il y a le barrage des patois, fort lointains. Et puis nos coutumes divergent et divergent c’est énorme.

    Voilà une femme qui mange du poisson le vendredi en tailleur Chanel. Moi je mange de la viande le mardi en pantalon de coton. Il n’y a pas de compréhension possible.

    Nous avons notre sensibilité limousine. Nous avons bien sûr notre humour limousin qui n’appartient qu’à nous. Nous partageons entre nous une certaine angoisse de la porcelaine peu perméable aux Chouans.
    Il faut avoir souffert à Limoges pour comprendre.

    Pierre Desproges, «Les Juifs», Textes de scène, Seuil, 1988.

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  • Je serais plutôt dégagé qu’engagé, en tant qu’artiste. Mes combats humanistes, je les mène dans le privé. J’ai pas de message, pas de credo, pas d’espoir, pas de colère. Je suis très content de tout ce qui se passe dans le monde. Je n’ai personne à convaincre. Je n’aime pas la chaleur humaine. Et puis j’ai sommeil...

    Pierre Desproges, «SOS-Racisme», Fonds de tiroir, Seuil « Points », 1990, p. 140.

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  • Jean Giraudoux

    Jean Giraudoux, de son vrai nom Jean Giraudoux, est né à Bellac le 13 octobre 1882, à deux heures et quart du matin, à six mois près, ne chipotons pas.

    Il est mort au printemps 1944, alors même que les Allemands tentaient encore d’entrer à Moscou.

    Giraudoux nous a quittés au moment même où Hitler se demandait si finalement il aurait pas dû se faire peintre. Pour la France des Lettres et des Arts, la perte de Giraudoux fut un coup terrible. Moi-même, je n’arrive pas à m’en remettre. Alors je bois, et pour tuer le temps j’attends l’ouverture du gérant Nicolas.

    Pierre Desproges, «Jean Giraudoux», Fonds de tiroir, Seuil « Points », 1990, p. 73-74.

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  • Serge Gainsbourg

    Quand j’étais petit garçon il y avait, dans le village limousin où je passais mes vacances, un homme à tout et à ne rien faire qui s’appelait Chaminade. Chaminade tout court. Au reste, il était trop seul au monde pour qu’un prénom lui fût utile.

    C’était un homme simple, au bord d’être fruste. Il vivait dans une cabane sous les châtaigniers des bosquets vallonnés de par chez nous. Sur une paillasse de crin, avec un chien jaune, du pain dur et du lard. L’été, il se louait aux moissons, et bricolait l’hiver à de menus ouvrages dans les maisons bourgeoises. À période fixe, comme on a ses règles ou comme on change de lune, Chaminade entrait en ivrognerie, par la grâce d’une immonde vinasse que M. Préfontaines lui-même n’eût pas confiée à ses citernes. Il s’abreuvait alors jusqu’à devenir violet, spongieux, sourd et comateux. Après sept ou huit jours, sa vieille mère, qui passait par là, le tirait de sa litière et le calait dehors sous la pompe à eau, pour le nettoyer d’une semaine de merde et de vomis conglomérés.

    La plupart du temps, Chaminade n’avait pas le sou pour se détruire. Les petites gens du bourg se mêlaient alors de l’aider. Il faut chercher autour des stades pour trouver plus con qu’un quarteron de ploucs désœuvrés aux abords d’un bistrot.

    – Ah, putain con, les hommes, regardez qui voilà-t-y pas sur son vélo ? Ho, Chaminade, viens-tu causer avec nous autres, fi de garce ? Chaminade ne refusait pas. Quand il rasait ainsi les tavernes à bicyclette, c’est qu’il était en manque.

    Alors les hommes saoulaient Chaminade. Parce qu’on s’emmerde à la campagne, surtout l’hiver à l’heure du loup, et je vous parle d’un temps où la télé n’abêtissait que l’élite. Au bout de huit ou dix verres, Chaminade était fin saoul, il prêtait à rire. C’est pourquoi on l’appelait Chaminade tout court, comme on dit Fernandel.

    Quoi de plus aimablement divertissant, en effet, pour un pauvre honnête, que le spectacle irrésistible d’un être humain titubant dans sa propre pisse en chantant Le Temps des cerises ?

    On s’amusait vraiment de bon cœur, pour moins cher qu’un ticket de loto qui n’existait pas non plus. On lâchait l’ivrogne sur la place du Monument-aux-Morts où il se lançait alors dans un concours de pets avec le poilu cocardier. Parfois, il improvisait sur La Mort du cygne, tenant les pans de sa chemise comme on fait d’un tutu, avant de s’éclater dans la boue pour un grand écart effrayant. Et les hommes riaient comme des enfants.

    En apothéose finale, on remettait de force Chaminade sur son vélo et on lui faisait faire le tour du monument. À chaque tour sans tomber, il avait droit à un petit coup supplémentaire, direct au tonnelet.

    Un jour, Chaminade s’est empalé sur le pic de la grille métallique, mais il n’en est pas mort. « Il y a un Dieu pour les ivrognes », notèrent avec envie les bigotes aquaphiles, qui voguent à sec dans les bénitiers stériles de leur foi rabougrie.

    La dernière fois que j’ai vu Serge Gainsbourg en public, il suintait l’alcool pur par les pores et les yeux, et glissait par à-coups incertains sur la scène lisse d’un palais parisien, la bave aux commissures et l’œil en perdition, cet homme était mourant. Un parterre de nantis bagués et cliquetants l’encourageait bruyamment à tourner autour de rien en massacrant les plus belles chansons nées de son génie.

    Irrésistiblement, ces cuistres-là m’ont fait penser aux ploucs, et lui à Chaminade.

    Pierre Desproges, « Serge Gainsbourg », Fonds de tiroir, Seuil « Points », 1990, p. 65-67.

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  • Mon procès commence.
    Tout se passe entre l’Éternel, le rapporteur et moi. Les autres regardent.
    – Maurice Biraud. Né en 1922. Connu sous le nom de Bibi. Comédien, Meneur de jeu à Europe N° 1...
    – Passons, passons, coupe l’Éternel. Il y en a d’autres qui attendent derrière. D’où venez-vous ?
    – Il vient de la gare d’Austerlitz, répond le rapporteur qui ne me laisse pas en placer une.
    – Qu’est-ce que vous faisiez gare d’Austerlitz ?
    – Il revenait de Collonges, dit encore le rapporteur. Sa voiture était en panne.
    – Bon, finissons-en. Qu’avons-nous contre lui ?

    Maurice Biraud, « Angoisse à la gare d’Austerlitz », Faut l’faire, Solar, 1966, p. 51-52.

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  • « C’est bien fait pour moi, on ne garde pas un amant sept ans à mon âge. Sept ans ! Il m’a gâché ce qui restait de moi. De ces sept ans-là, je pouvais tirer deux ou trois petits bonheurs si commodes, au lieu d’un grand regret... Une liaison de sept ans, c’est comme de suivre un mari aux colonies : quand on en revient, personne ne vous reconnaît et on ne sait plus porter toilette. »

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  • Mais cet homme qui possédait les plus splendides qualités de l’homme [...] portait en lui la cause même de ses insuccès : une puissance d’illusion qui supprimait parfois le sens des réalités. L’idéologue neutralisait l’admirable effort de l’homme d’action en l’abusant sur la valeur des êtres, sur la portée des doctrines, sur les conséquences de telle ou telle décisions.

    #marcelle_tinayre #l_ombre_de_l_amour #citation #meslectures