« On va attendre des jours meilleurs, que Dieu ouvre le cœur de Donald Trump » : à Mexico, la désillusion des migrants après la fermeture de la frontière des Etats-Unis
Par Anne Vigna (Mexico, correspondante)
Partis du Venezuela, de Cuba ou d’ailleurs, des hommes, des femmes et des enfants qui se dirigeaient vers le nord, but d’un long périple, hésitent entre retourner dans leur pays d’origine ou demander un « visa humanitaire » au Mexique.
Dès le petit matin, une file se forme devant l’ambassade du Venezuela au Mexique, dans le quartier chic de Polanco, dans l’ouest de Mexico. Ceux qui la composent ont quitté leur pays depuis parfois plus d’une décennie et veulent désormais y retourner. Beaucoup poursuivaient le « rêve américain », comme ils le définissent, jusqu’au retour de Donald Trump à la Maison Blanche, le 20 janvier, et jusqu’à la fermeture de la frontière.
« Nous sommes épuisés de cette vie, nous voulons revoir nos familles, raconte Honorio Gutierrez, 29 ans, un enfant de deux ans dans les bras. Nous sommes restés huit ans en Colombie, puis nous avons pris la route jusqu’au Mexique, beaucoup à pied, un peu en bus. » La famille avait bien obtenu un rendez-vous fin janvier pour demander l’asile aux Etats-Unis, sur la défunte application CBP One de la police aux frontières américaine (US Customs and Border Protection), annulée par décret le 20 janvier. « Nous avons perdu les billets d’avion pour Ciudad Juarez et nous sommes restés à Mexico », ajoute son épouse de 26 ans.
Ils savent pourtant qu’ils ont aujourd’hui de la chance : l’ambassade vénézuélienne a mis l’enfant et sa mère dans un prochain « vol humanitaire » qui rapatrie gratuitement et sans passeport ces migrants qui n’ont plus ni argent ni papiers d’identité – perdus en chemin ou qu’ils n’ont jamais possédés. Mais seuls deux avions ont décollé de Mexico vers Caracas depuis le 20 janvier, rapatriant au total 553 personnes. Le Venezuela ne livre aucun chiffre sur le nombre de demandes de rapatriement mais, devant son ambassade au Mexique, la file d’attente s’allonge tous les jours.
Osmin Chirinos est arrivé la veille à Mexico et s’est rendu, à son réveil, à l’ambassade. A la différence des autres, il vient des Etats-Unis – il montre comme preuve son permis de conduire californien. Mais, après huit mois au pays du « rêve », il a déchanté, raconte-t-il au jeune Abraham qu’il vient de rencontrer, appuyé sur le panneau de l’ambassade. « Livreur pour un salaire de misère, un lit superposé dans une maison avec dix personnes pour 600 dollars [556 euros] par mois, de quel rêve parle-t-on ?, interroge-t-il. Je connais de nombreux Vénézuéliens aux Etats-Unis qui veulent aussi rentrer. »
Honorio Gutierrez, avec son épouse et sa fille, devant l’ambassade du Venezuela, dans le quartier de Polanco, à Mexico, le 20 mars 2025.
Osmin n’a jamais eu de passeport, il est parti à pied depuis la Colombie. Mais, pour rentrer en avion au Venezuela, il en a besoin : « Sans ambassade vénézuélienne aux Etats-Unis, la seule solution était de traverser par la frontière terrestre à Tijuana et de reprendre un bus jusqu’à Mexico. » Abraham n’en croit pas ses oreilles, lui qui a beaucoup sacrifié pour ce « rêve ». Il est parti à 16 ans du Venezuela et a vécu en Equateur, au Pérou et au Chili, avant de tenter le voyage jusqu’aux Etats-Unis. Il a été renvoyé quatre fois dans le sud du Mexique par la police migratoire mexicaine, alors qu’il était déjà proche de la frontière américaine. A 21 ans, il se dit aussi épuisé et, surtout, veut revoir sa famille : « Je ne leur ai encore rien dit, car je ne suis pas sûr d’y arriver, mais c’est mon projet. »
Devant les escaliers de l’ambassade, Pedro Soto, 44 ans, attend sa sœur, qui a obtenu un entretien. Il l’a accompagnée jusqu’au Mexique pour ne pas la laisser voyager seule avec sa fille de 4 ans, atteinte du syndrome de Down (dénommé aussi trisomie 21). Il ne voulait pas quitter le Venezuela. « On est pauvres mais on vit bien », dit-il dans un sourire. Sa sœur et sa nièce pourraient être rapatriées « prochainement », mais, pour lui, c’est plus difficile.
Mille dollars pour rentrer
Les hommes en bonne santé, comme Osmin, Abraham et Pedro, ne sont pas prioritaires, expliquent les deux employés de l’ambassade à la porte d’entrée. A tous, ils proposent de s’inscrire au programme Vuelta a la Patria (« retour à la patrie »), en scannant un QR code collé sur le mur ; ils leur conseillent aussi de demander un passeport : 312 dollars et au moins quarante jours d’attente. « Rentrer sans l’aide du Venezuela coûte plus de 1 000 dollars, peste Osmin. Cela signifie des mois à Mexico, à chercher du travail et un endroit pour dormir. » Il tient comme un trésor son permis de conduire américain, qui peut lui éviter bien des problèmes avec la police. Dans cette petite foule, aucun n’a de résidence légale au Mexique. Pour l’obtenir, il faut demander l’asile au Mexique, alors que les migrants réservaient jusqu’ici cette demande pour les Etats-Unis.
Désormais, un cortège mêlant Haïtiens, Honduriens, Vénézuéliens, Cubains, Brésiliens… se forme tous les jours devant la Commission mexicaine d’aide aux réfugiés (Comar), installée à Naucalpan de Juarez, dans l’Etat de Mexico. Deux Vénézuéliens abordent les nouveaux venus avant qu’ils parviennent au bâtiment : « Notez vos noms et vos numéros de téléphone dans ce cahier. Vous pourrez revenir dans trois semaines, on vous préviendra. » Ce n’est pas l’institution mexicaine mais de jeunes volontaires qui organisent la file, en échange d’un « pourboire », précise le plus jeune : « Avant qu’on s’en occupe, les gens dormaient sur place pour ne pas perdre leur place.
La plupart des demandeurs n’en sont pas à leur premier séjour dans cette périphérie du nord-est de la capitale, dangereuse et mal desservie par les transports publics. Ils connaissent déjà le parcours du combattant pour obtenir ce « visa humanitaire » que délivre la Comar : des mois d’attente, puis il faut se rendre tous les dix jours dans le sud de Mexico, cette fois, pour attester de sa présence ; une manière pour les autorités migratoires de s’assurer qu’ils ne partent pas au Nord.
« Rester au Mexique n’a jamais été une option, mais rentrer à Cuba n’est plus envisageable », raconte un médecin cubain rencontré dans la file, qui travaille dans un marché de Mexico, pour une paie bien inférieure au salaire minimum mexicain. « Il faut remercier cependant le Mexique, sinon, je ne sais pas où on irait », ajoute son épouse. Pour partir de l’île, ils ont vendu tous leurs biens, dont leur maison, afin de réunir 6 000 dollars, le prix des billets d’avion de Cuba jusqu’au Nicaragua. Juste derrière eux, deux sœurs et un adolescent vénézuéliens ont vécu sept ans au Pérou, avant le Mexique. L’une des sœurs était infirmière, et l’autre gérante d’une banque au Venezuela. Elles vendent désormais du poulet dans la périphérie de Mexico. « On va attendre des jours meilleurs, que Dieu ouvre le cœur de Donald Trump, dit l’aînée, Genesis Fernandez. Nos parents continuent de vivre de notre aide, ils ne me disent pas de rentrer. »
Les migrants installés sur la place de la Soledad n’imaginent pas non plus de retour au pays ou n’ont plus la force de continuer. Ce campement de tentes et de quelque 200 minuscules cabanes – une structure en bois recouverte de bâches en plastique – existe depuis trois ans dans le centre historique de Mexico. Certains ont transformé leur cabane en échoppe et sont devenus barbiers, épiciers, cuisiniers. Juste devant le campement, le départ des bus pour le Chiapas (dans le sud du Mexique) dispose de douches et de toilettes payantes mais accessibles. La ville a installé un robinet d’eau, les enfants peuvent jouer devant l’église – des aspects qui ont compté pour s’installer ici. Le campement est désormais aussi organisé par un « leader », en échange, pour les « commerçants », d’un très modeste loyer. Des organisations évangéliques apportent chaque semaine des repas et des vêtements. Tout le monde vivote de cette charité ou parvient à se faire employer à la journée, chargeant des marchandises sur des diables, vendant des babioles chinoises qui encombrent les trottoirs du quartier de la Merced. « Parfois, on ne nous paie pas, on ne peut pas protester, personne n’a de papiers, ici », raconte une résidente vénézuélienne.
Le campement serait désormais menacé de démolition, selon ses résidents – une information que la ville se refuse à commenter. Mexico en a déjà détruit plusieurs, en fonction des plaintes des voisins, comme le 12 mars, près de la centrale de bus du Nord. La ville propose des places dans ses refuges et dans ceux gérés par des ONG ou des volontaires. La Casa Tochan, créée en 2011, a 54 places pour les hommes ; la Casa Frida s’occupe exclusivement de la population LGBTI depuis 2020. Ces refuges ont des services légaux pour accélérer les démarches auprès de la Comar et permettre à leurs pensionnaires de s’installer au plus vite, et au moins pour un temps, au Mexique.