En Méditerranée, dix ans de tâtonnements de la politique migratoire européenne
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En Méditerranée, dix ans de tâtonnements de la politique migratoire européenne
Par Julia Pascual
Publié le 22 septembre 2023 à 14h00, modifié le 22 septembre 2023 à
Dix ans se sont écoulés depuis que le pape François s’est rendu à Lampedusa, en 2013, pour y dénoncer l’« indifférence » du monde au sort des migrants. Dix ans, et Lampedusa est de nouveau le symbole d’une Europe qui se débat politiquement avec les flux d’arrivées en Méditerranée. Vendredi 22 septembre, c’est à Marseille que le souverain pontife devait élever une prière aux migrants disparus en mer : 30 000 y ont perdu la vie depuis 2014, d’après les données incomplètes de l’Organisation internationale pour les migrations.« On a entendu beaucoup de “plus jamais”, mais les drames vont continuer, dans la mesure où la mer devient le seul espace sans frontières claires », prédit, fataliste, Vincent Cochetel, envoyé spécial du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies pour la Méditerranée occidentale et centrale. Alors que l’Union européenne (UE) a annoncé un plan pour aider l’Italie face à l’afflux actuel sur ses côtes, les réponses restent axées sur l’endiguement des arrivées, contribuant à déplacer depuis dix ans les routes autour du bassin méditerranéen.
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Au gré des contextes politiques et économiques dans les pays d’origine et de transit, l’ampleur des déplacements a elle aussi varié, avec un pic à plus de un million d’arrivées en 2015 (dont 850 000 personnes débarquées en Grèce), retombées dès 2016 à 360 000 (réparties entre la Grèce et l’Italie), puis à moins de 100 000 en 2019, et qui, pour la seule Italie, atteignent 130 000 depuis janvier. Ce sont tour à tour des Syriens, des Afghans, mais aussi des Tunisiens, des Nigérians, des Egyptiens ou des Guinéens, qui ont les premiers pris la mer. Face à ces dynamiques complexes, « l’Union européenne est dans un objectif de clôture à court terme, regrette Flavio Di Giacomo, porte-parole de l’l’Organisation internationale pour les migrations pour la Méditerranée. On aurait besoin de politiques plus équilibrées et ouvertes ».
Le ministre de l’intérieur français, Gérald Darmanin, a affirmé, le 19 septembre, que les migrants subsahariens arrivés à Lampedusa ne relèvent pas de l’asile. « Beaucoup de personnes subissent des violations dans les pays de transit, et cela met à mal la distinction entre migrant économique et réfugié », fait remarquer M. Di Giacomo.« Nombreux sont ceux qui ont vécu des mois, voire des années, en Tunisie et qui ne s’y sentent plus en sûreté. Il y a toujours eu des mouvements mixtes vers l’Europe, souligne M. Cochetel. On va donner plus d’argent à la Tunisie pour bloquer les départs, mais les flux sont dynamiques. En outre, la guerre au Soudan provoque des déplacements massifs de population. Le Tchad a ainsi reçu plus de 400 000 réfugiés depuis la mi-avril. Au Niger, les trafics de biens et de personnes redémarrent depuis le coup d’Etat. Au Mali, les combats reprennent. Il ne faut pas croire – même si la majorité des migrations se font entre pays du Sud – que toutes ces crises ne vont pas affecter l’Europe. Il y a une nécessité de partager l’accueil de ceux en besoin de protection. »
En matière de politique européenne, l’un des héritages de la décennie aura été l’initiative de ce que l’on appelle les « hot spots », appliquée en Italie et surtout en Grèce dès 2015, et censée permettre d’enregistrer les migrants à leur arrivée pour trier les indésirables des réfugiés. Cette approche se voulait aussi – par un mécanisme volontaire de relocalisations entre Etats membres – une façon de corriger l’inadaptation du règlement européen de Dublin, qui impose au seul pays d’arrivée en Europe la responsabilité en matière d’instruction de la demande d’asile. « Jusqu’en 2013, la question de la solidarité entre Etats membres ne se posait pas, le nombre des demandes d’asile était très faible », rappelle Jérôme Vignon, conseiller migrations de l’Institut Jacques Delors. Alors que moins de 300 000 demandes avaient été enregistrées sur le continent en 2010, elles sont montées à plus de 600 000 en 2014, atteignant un pic en 2015 (1,3 million), avant de s’établir autour de 900 000 aujourd’hui.
Les « hot spots » ont été un échec : les engagements de relocalisation n’ont pas été tenus, les administrations nationales et les centres ont été embolisés, les retours n’ont pas fonctionné, et les Etats sont régulièrement accusés de refoulements illégaux. En dépit de cela, « le pacte asile et immigration en discussion est une généralisation de ce modèle », analyse Matthieu Tardis, cofondateur de Synergie Migrations.
Ce pacte, qui doit être entièrement adopté d’ici à juin 2024, prévoit que les migrants sont identifiés aux frontières de l’Europe et qu’il est décidé en quelques semaines s’ils relèvent de l’asile ou s’ils doivent être reconduits dans leur pays d’origine ou dans un pays tiers « sûr ». Cette notion de « pays tiers sûr », concrétisée à travers l’accord UE-Turquie de 2016 qui prévoit que les migrants dont la demande d’asile est jugée infondée sont renvoyés en Turquie, n’a cessé de progresser sous la pression d’Etats favorables à des procédures d’externalisation de la demande d’asile.
Les accords avec les pays de la rive sud de la Méditerranée (Libye, Maroc et Tunisie) ont prospéré, parallèlement à ceux passés avec les pays d’origine, visant principalement à renforcer les capacités de contrôle des départs, et qui laissent peu de place aux considérations relatives au respect des droits fondamentaux. Dans le même temps, sur fond de résurgence du risque terroriste, la libre circulation dans l’espace Schengen est entravée par le rétablissement de contrôles aux frontières intérieures de l’Europe depuis 2015.
« Il y a un effritement des valeurs communes », constate un diplomate européen. « C’est une brèche dans le système d’hospitalité européenne, fruit du compromis trouvé entre les pays de première entrée et les pays de seconde ligne, considère M. Vignon. En 2013, l’opinion publique était majoritairement compatissante. La marine italienne sauvait plus de 150 000 personnes en mer en un an à travers l’opération “Mare Nostrum”. Il y a eu depuis un retournement. »
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En cas d’afflux majeur, le pacte en discussion prévoit un système de répartition vers les Etats volontaires, les réfractaires devant s’acquitter d’une contrepartie financière. En l’espace d’une décennie, avec des partis d’extrême droite au pouvoir en Italie, en Suède, en Finlande, l’UE n’a pas réussi à produire plus de consensus – à l’exception notable de la montée en puissance de l’agence Frontex ou de l’accueil harmonisé de huit millions de réfugiés ukrainiens. « Il reste à construire une politique d’immigration légale », ajoute M. Vignon. Face à la pénurie croissante de main-d’œuvre, sa nécessité s’impose à l’Europe.