Je vais vous étonner mais je suis assez d’accord avec la critique de Julien Gautier... et avec le bouquin de Serres. Pour moi, Gautier, qui prétend démolir l’opuscule de Serres, le complète utilement. Le livre de Serres est court, très court. On ne peut pas exiger de son auteur qu’il couvre tous les cas et toutes les nuances. Aujourd’hui, dans la sphère médiatique (les autorités, ceux que Serres appelle les semi-conducteurs car leur discours ne va que dans un seul sens, celui du danger de l’Internet, de l’informatique, des nouvelles technologies, qu’il faudrait absolument civiliser). Il est donc tout à fait justifié de frapper fort en sens inverse, comme le fait Serres. Son livre est un manifeste. Reproche t-on à Marx que son Manifeste du Parti Communiste était tellement court et virant souvent au schématique et au caricatural ? Le but d’un manifeste est de réveiller. Serres proclame que les technologies de l’information et de la communication ne sont pas forcément négatives et que les inquiétudes des semi-conducteurs sont avant tout dues à leurs peurs d’être dépossédés de leur pouvoir (un aspect très concret des « conditions concrètes dominantes dans lesquelles se développent aujourd’hui les technologies numériques » dont Gautier oublie complètement de parler).
Alors, bien sûr, c’est plus compliqué que cela, Serres est trop unilatéral, etc. C’est pour cela que j’apprécie qu’on complète et nuance sa pensée. Mais Serres a raison sur le point principal : les vieilles institutions craquent de partout et nous avons une occasion de les changer.
Enfin, sur l’éducation, Gautier est aussi caricatural que Serres. Serres laisse en effet entendre que l’éducation peut se faire juste en laissant Petite Poucette et sa tablette devant le Web. Mais Gautier, en critiquant cette vision, défend une vision tout aussi unilatérale (et franchement corporatiste), un monde merveilleux où tous les enseignants seraient parfaits, passionnants et auraient tous à cœur le progrès de leurs élèves, vers l’état de bon citoyen heureux. Que l’école puisse servir à l’endoctrinement, à l’abrutissement, à l’apprentissage de la haine (l’école de Jules Ferry tournée vers la ligne bleue des Vosges) est complètement oublié.
(J’ajoute que, si l’article de Gautier est bien écrit et argumenté, la grande majorité des commentaires sont ahurissants de nullité, tendance « vieux con », à faire passer Finkielkraut pour un fana d’Internet et Topaze pour un pédagogue. Involontairement, ces commentaires participent bien à la démonstration de Serres comme quoi les semi-conducteurs ont peur de la remise en cause de leur position.)