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    La Suède prévoit de relever le salaire minimum exigé pour les visas de travail
    Par La rédaction Publié le : 16/02/2024
    En Suède, les travailleurs non-européens devront désormais démontrer qu’ils gagnent plus de 34 200 couronnes (3 000 euros) pour obtenir un visa de travail et rester dans le pays. Auparavant, le montant demandé était de 27 360 couronnes (2 400 euros). Les secteurs du nettoyage et de la restauration - qui emploient de nombreux étrangers - dénoncent une mesure qui pourrait nuire à l’économie nationale. La Suède « a avant tout besoin d’une main-d’œuvre étrangère qualifiée et hautement qualifiée », a déclaré jeudi 15 février la ministre suédoise des Migrations, Maria Malmer Stenergard, lors d’un point presse. Or, le pays connaît « une forte immigration vers des emplois » peu qualifiés et faiblement rémunérés a-t-elle ajouté. Pour tenter de renverser la tendance, Stockholm prend des mesures drastiques. Le gouvernement, soutenu par le parti d’extrême-droite des Démocrates de Suède, veut augmenter le salaire minimum exigé pour obtenir un visa de travail pour les migrants qui ne viennent pas de l’Union européenne (UE). Une commission d’enquête, nommée par l’exécutif, propose d’établir le plafond demandé aux étrangers à 34 200 couronnes (3 000 euros), soit l’équivalent du salaire médian. Le gouvernement compte sur une entrée en vigueur du texte au 1er juin 2025.
    La restauration et le nettoyage, deux secteurs les plus affectés
    En novembre 2023 déjà, le montant exigé des personnes hors espace Schengen ou UE avait été doublé, passant de 13 000 couronnes (1 150 euros) à 27 360 couronnes (2 400 euros) – soit 80% du salaire médian. Les confédérations syndicales et les organisations d’employeurs avaient alors dénoncé une mesure qui risque non seulement de nuire à l’économie suédoise, mais qui met aussi à mal l’un des principes fondateurs de ce pays.
    Les étrangers se retrouveront-ils écartés du marché du travail parce que son accès est trop cher  ? Les entreprises pourront-elles vraiment s’en passer  ? Les deux secteurs les plus affectés par cette hausse du salaire minimum sont la restauration et le nettoyage. « Dans beaucoup de cas, il s’agit d’emplois qui doivent être occupés par des personnes qui vivent déjà en Suède », a défendu la ministre : c’est-à-dire des citoyens suédois ou des personnes d’origine étrangère ayant obtenu l’asile ou arrivés en Suède grâce au rapprochement familial, entre autres.
    Mais dans ces domaines, qui manquent cruellement de main-d’œuvre, les étrangers sont indispensables pour faire tourner l’activité. Maria Malmer Stenergard veut permettre des exceptions à la règle dans les cas où il existerait une pénurie des compétences, sur la base d’une liste élaborée par l’Agence des migrations.
    Et pour promouvoir l’arrivée de travailleurs qualifiés, la commission d’enquête souhaite que les chercheurs ne soient pas tenus de remplir ce nouveau niveau de salaire. Idem pour les médecins, infirmières ou dentistes étrangers qui occupent un emploi faiblement rémunéré dans l’attente de la reconnaissance de leur diplôme.
    La Suède, longtemps considérée comme une terre d’accueil et d’intégration pour les réfugiés, notamment syriens, affiche depuis 2022, et l’arrivée du nouveau gouvernement allié de l’extrême-droite, sa volonté de réduire drastiquement l’immigration et la criminalité. En octobre, une autre mesure avait donné le ton de la nouvelle politique de Stockholm. Les autorités avaient annoncé leur volonté de restreindre l’accès aux prestations sociales aux migrants non originaires d’un pays de l’UE. Le gouvernement souhaitait également introduire un plafond pour le cumul des aides, et imposer un délai entre l’arrivée de ces migrants en Suède et le moment où ils pourront toucher les allocations.
    « Depuis 2012, plus de 770 000 personnes ont immigré en Suède de pays hors de l’Union européenne et de l’Espace économique européen », rappelaient alors le Premier ministre Ulf Kristersson et les trois autres dirigeants des partis de la coalition. « Avec une politique d’intégration qui n’a pratiquement aucune exigence [envers les migrants] et aucune incitation à s’intégrer à la société, cette forte immigration a créé une Suède divisée », avaient-ils estimé.
    Pour ces responsables politiques, le pays scandinave a « d’importants problèmes » avec les personnes nées à l’étranger qui vivent de prestations sociales, sans pour autant fournir de données officielles étayant leurs propos.

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  • Aux Pays-Bas, le dirigeant populiste Wilders reçoit l’appui inattendu d’un rapport suggérant de limiter l’immigration
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    Aux Pays-Bas, le dirigeant populiste Wilders reçoit l’appui inattendu d’un rapport suggérant de limiter l’immigration
    Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, correspondant)
    Les Pays-Bas « débordent » : sur le réseau social X, le populiste néerlandais Geert Wilders a repris et adapté, lundi 15 janvier, le slogan de son prédécesseur Pim Fortuyn, qui, en 2002, avait lancé : « Les Pays-Bas sont pleins », et inauguré ainsi un débat qui perdure sur l’immigration et l’identité nationale. Un thème qui a d’ailleurs été au cœur des élections législatives du 22 novembre 2023, marquées par la victoire du dirigeant d’extrême droite et de son Parti pour la liberté (PVV), arrivé en tête avec 37 sièges sur les 150 de la Deuxième Chambre.
    Alors qu’il tente de former une coalition avec trois autres partis, M. Wilders a reçu, lundi 15 janvier, l’aide inattendue d’une instance indépendante, mandatée en 2022 par les députés pour étudier la situation démographique du royaume. La commission d’Etat pour les développements démographiques 2050 a rendu un rapport prônant « une augmentation limitée de la population » afin de préserver le bien-être du pays. Elle suggère essentiellement une forte limitation de l’immigration, avec notamment davantage de sélectivité pour la main-d’œuvre étrangère et un frein au regroupement familial. Le nombre des naissances ne joue pas dans l’accroissement de la population du pays : le taux de natalité était de 1,49 en 2022 (1,55 pour les mères d’origine étrangère).
    Le rapport estime aussi que les autorités devraient obtenir une dérogation aux règles européennes sur l’asile et la libre circulation des personnes, a fortiori si l’Union devait s’ouvrir à de nouveaux pays, comme l’Ukraine. Les Pays-Bas ont, depuis 2015, accueilli annuellement quelque 100 000 migrants avec, en 2022, un pic à 150 000 (outre 113 000 Ukrainiens). Si cette évolution devait se poursuivre, le pays, peuplé actuellement de 17,9 millions de personnes, pourrait en compter jusqu’à quelque 23 millions en 2050, prédit la commission, dirigée par Richard van Zwol, un membre du Conseil d’Etat.
    Dans ce scénario, le plus extrême des cinq retenus, 45 % de la population serait alors d’origine étrangère, contre 26 % si l’immigration était plus contrôlée. La commission suggère, en tout état de cause, une limitation à 40 000, ou 60 000 au maximum, du nombre d’étrangers admis chaque année. Selon les experts, le royaume ne devrait pas totaliser plus de 19 ou 20 millions d’habitants s’il veut s’épargner « pénurie, nuisances et exaspération ». Un nombre trop élevé de résidents entraînerait par ailleurs un accroissement des inégalités et des tensions, nuirait à la nécessaire confiance dans l’Etat et mettrait en danger le système de sécurité sociale, affirme le rapport. Il met aussi en exergue l’exiguïté du pays, qui est le plus densément peuplé d’Europe après Malte, avec 529 habitants par kilomètre carré. Les Pays-Bas connaissent, par ailleurs, un problème criant de manque de logements : il faudrait en construire 100 000 par an au cours de la prochaine décennie, et un afflux supplémentaire de population rendrait la situation plus critique encore.
    La limitation du nombre d’étrangers recueillerait, selon les auteurs de l’étude, l’approbation de 87 % des Néerlandais. Une aubaine pour Geert Wilders, qui espère toujours former une coalition avec le Mouvement agriculteur-citoyen de Caroline van der Plas, le Nouveau Contrat social de Pieter Omtzigt et le Parti populaire pour la liberté et la démocratie de Dilan Yesilgöz, la ministre démissionnaire de la justice. Les quatre dirigeants, retirés dans un domaine proche d’Hilversum, dans la province de Hollande septentrionale, poursuivent des débats difficiles, même si le chef du PVV a gelé ses propositions les plus extrêmes, comme l’interdiction du Coran, la fermeture des mosquées ou la sortie des Pays-Bas de l’Union européenne. Il a aussi accepté de soumettre le reste de son programme à un examen portant sur la légalité de celui-ci. Et la rumeur indique qu’il serait même prêt à confier le poste de chef du gouvernement à une autre personnalité.
    Rien n’est toutefois réglé. Sur l’immigration, par exemple, M. Omtzigt évoque un quota annuel de 50 000 personnes, tandis que le parti agrarien en tolérerait 15 000 au maximum. Mardi 16 janvier, M. Wilders a par ailleurs déclaré : « Nous avons un problème », dans une allusion à un vote intervenu la veille au Sénat. Les élus libéraux de la Première Chambre ont, contre l’avis de la direction de leur parti, approuvé un projet de répartition obligatoire des demandeurs d’asile dans toutes les communes du royaume. Un texte fermement combattu par les populistes et condamné par Mme Yesilgöz.
    L’épisode démontre que celle-ci, qui a succédé à Mark Rutte à la tête de la formation libérale, ne contrôle pas ses élus, par ailleurs divisés quant à une participation gouvernementale avec le PVV. Mme Yesilgöz entretient dès lors le flou : acceptera-t-elle un accord gouvernemental, fera-t-elle capoter les discussions, ou apportera-t-elle un soutien à la carte à une éventuelle coalition à trois ?
    La relance spectaculaire de la thématique migratoire inquiète, en tout cas, les milieux économiques, qui évoquent depuis des années un manque criant de main-d’œuvre, impossible à régler, selon les patrons, sans le recours à des travailleurs étrangers. La commission sur la démographie prône, pour l’avenir, l’acceptation d’étrangers disposant d’un niveau de formation élevé, mais ce sont les secteurs de la logistique, de la distribution ou du transport qui recherchent des collaborateurs, en général faiblement qualifiés. L’éducation et la santé recherchent toutefois également de nombreux travailleurs migrants.

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  • « Faire appel à davantage de main-d’œuvre étrangère est devenu une nécessité vitale »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/08/faire-appel-a-davantage-de-main-d-uvre-etrangere-est-devenu-une-necessite-vi

    « Faire appel à davantage de main-d’œuvre étrangère est devenu une nécessité vitale »
    Gianmarco Monsellato
    Président de Deloitte France et Afrique francophone
    Alors que la loi française sur l’immigration adoptée le 19 décembre est très restrictive, l’avocat Gianmarco Monsellato explique, dans une tribune au « Monde », pourquoi la France a besoin des compétences étrangères pour préparer l’économie de demain.
    Les débats actuels l’illustrent : l’immigration tend à être abordée exclusivement à travers un prisme social et politique, et beaucoup trop peu à travers un prisme économique. Parasitées par les débats sécuritaires et identitaires, les discussions qui ont entouré l’examen puis le vote du projet de loi au Parlement n’ont pas fait toute sa place à une question pourtant centrale : comment former et attirer les talents qui occuperont les emplois que va créer l’économie de demain ?
    Nous nous trouvons face à un déficit de main-d’œuvre, sur fond de ralentissement démographique, avec une raréfaction de la ressource travail et une pénurie de compétences dont souffrent déjà les entreprises aujourd’hui. Une pénurie qui se constate à tous les niveaux : dans des grands groupes, mais plus largement sur l’ensemble du tissu économique.
    Une étude récente du Lab de Bpifrance sur la pénurie de talents dans les PME et les ETI (entreprises de taille intermédiaire) industrielles posait ainsi les bases d’un débat serein sur l’immigration économique, de manière globale et chiffrée, en montrant les besoins colossaux d’emplois à pourvoir (400 000 emplois supplémentaires d’ici à 2035 dans l’industrie).
    Faire appel à davantage de main-d’œuvre étrangère est devenu une nécessité vitale. On peut regretter que la discussion sur les fameux « métiers en tension » soit restée trop focalisée sur les emplois – souvent peu qualifiés – à pourvoir aujourd’hui. Mais les métiers en tension de demain, dont il faut se préoccuper vite, ce sont aussi tous ces emplois hautement qualifiés qui n’existent pas encore ! Ceux induits par les révolutions technologiques, par la mutation climatique, et ceux qui serviront à faire le lien entre toutes ces transitions, par leur capacité à synthétiser et mettre en perspective les nouvelles problématiques.
    Nous sommes d’ores et déjà entrés dans une compétition mondiale pour attirer ces talents. Or, force est de constater que notre système actuel n’y parvient pas suffisamment.Deux indicateurs éloquents pour s’en rendre compte : d’après le Conseil d’analyse économique, seulement 10 % de l’immigration en France est liée aux compétences – un chiffre bien inférieur à celui de nos voisins européens. Et sur l’index mondial de compétitivité des talents publiée par l’Insead, la France figure au 19e rang, loin derrière l’Allemagne. Il y a donc bien un sujet fondamental d’attractivité !
    La compétition est particulièrement marquée dans la tech. La transformation numérique et l’automatisation modifient la nature du travail, augmentant la demande pour des compétences en informatique, en analyse de données ou en intelligence artificielle. Il y a un écart entre les compétences enseignées et celles demandées par le marché du travail.
    L’immigration de main-d’œuvre qualifiée peut et doit aider à combler cet écart. En 2050, la moitié des jeunes diplômés seront originaires d’Afrique ; le niveau des étudiants africains en mathématiques est souvent supérieur à celui observé en France au lycée… Ignorer ce réservoir de talents serait une erreur stratégique majeure pour notre économie.
    L’enjeu devrait donc être de plus en plus de créer des régimes fiscaux et sociaux favorables, d’abaisser le coût du travail pour attirer cette main-d’œuvre étrangère. De nombreux pays l’ont fait. Les Etats-Unis, le Canada, l’Australie et l’Allemagne et même, récemment, le Japon, ont adopté des politiques ambitieuses en matière d’immigration. En France, ces politiques résolument volontaristes n’existent pas, ou peu. La question de l’immigration ne doit pas se limiter à un – légitime – débat politique. Elle est au cœur de la stratégie économique des Etats. Attirer des talents au-delà de ses frontières, c’est pour l’Europe une des conditions pour rester compétitive. L’apport des talents étrangers à l’économie française n’est pas seulement une question d’inclusion, c’est un levier de performance – et, in fine, une source de souveraineté.

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  • « Le régime d’immigration français, prisonnier du passé, tourne le dos à ses intérêts »
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/12/30/le-regime-d-immigration-francais-prisonnier-du-passe-tourne-le-dos-a-ses-int

    « Le régime d’immigration français, prisonnier du passé, tourne le dos à ses intérêts »
    L’économiste El Mouhoub Mouhoud, président de l’université Paris Dauphine-PSL, estime, dans un entretien au « Monde », que la France « n’a pas été capable de faire la transition vers une politique ouverte et positive de l’immigration ».
    Le Parlement a adopté définitivement, mardi 19 décembre, la loi sur l’immigration. La veille, El Mouhoub Mouhoud, membre du cercle des économistes, spécialiste des migrations internationales et de la mondialisation, a signé la lettre ouverte des dirigeants de grandes écoles et d’universités du pays pour déplorer le durcissement à l’égard des étudiants internationaux.
    Vous appelez à un discours global sur l’immigration et pas seulement orienté vers les plus qualifiés. Quels peuvent être les effets économiques de la loi votée ?
    –On assiste à un recul inquiétant des arguments rationnels sur le sujet. J’ai signé l’appel des présidents d’universités car envoyer des signaux négatifs aux étudiants internationaux, c’est se couper de la possibilité de puiser dans les compétences mondiales, pour un gain économique nul. Jusqu’ici, le discours politique français dominant visait à disjoindre les mauvaises migrations des bonnes : d’un côté les migrants non qualifiés, irréguliers ou issus du regroupement familial ; de l’autre, les talents qu’on disait encore vouloir attirer ou garder. Cela n’a pas marché : en dépit des progrès des entrées liées aux « passeports talents », l’attractivité de la France en matière de compétences mondiales reste en deçà des grands pays industrialisés.Faire l’hypothèse qu’on peut tenir un discours de rejet de l’immigration tout en restant attractif pour les talents est illusoire. Plus les compétences sont élevées, plus les migrants choisissent leur pays d’accueil et sont sensibles aux discours politiques sur le sujet. La loi remet en cause des mécanismes d’intégration qui faisaient consensus, avec des effets qui seront négatifs.
    La droite craignait que les régularisations ne créent un appel d’air incitatif. Qu’en est-il ?
    –Pas un seul papier sérieux d’économiste ou de démographe ne confirme cette idée. Les flux d’immigration à l’échelle mondiale sont déterminés par des facteurs structurels comme la mondialisation des échanges, les écarts démographiques, les crises géopolitiques et humanitaires ou les chocs technologiques.Depuis une dizaine d’années, les délocalisations vers les pays à bas salaires ralentissent, tandis que les Etats promeuvent les relocalisations et la réindustrialisation. Plus une entreprise relocalise, plus elle va chercher des territoires à fort avantage technologique et de recherche et développement, plus elle va avoir besoin de compétences. La réindustrialisation est étroitement liée aux politiques de formation, mais aussi à l’attractivité des étudiants internationaux et de migrations qualifiées. Les pays qui tirent leur épingle du jeu sont ceux qui parviennent à puiser dans le stock mondial de connaissance. Et cela passe largement par l’attraction et la rétention des étudiants internationaux. Plus de 60 % des diplômés étrangers restent au Canada, aux Etats-Unis, en Allemagne, pour y être employés. La France se distingue par un taux de rétention environ deux fois plus faible.
    Le gouvernement considère que, à 7 % de chômage, il faut d’abord ramener une partie des actifs vers le marché du travail et miser sur la formation. Qu’en pensez-vous ?
    –Cela ne suffit pas. Les migrations internationales ne peuvent certes pas régler les problèmes du marché du travail à long terme, mais les politiques de formation prennent du temps. Or les secteurs qui sont dans la compétition mondiale ont des besoins de court terme. Si vous ne puisez pas dans les talents, à long terme vous êtes perdants, y compris dans les processus de formation, car les avantages comparatifs ne sont pas statiques, ils bougent en permanence.L’intelligence artificielle générative est par exemple un défi majeur qui va transformer la plupart des métiers et des secteurs. Le sous-estimer, c’est comme sous-estimer les effets du réchauffement climatique. Or la France n’offre pas assez de formations et devra davantage puiser dans les compétences mondiales. La politique d’attractivité des migrants et la politique de formation ne s’excluent pas mutuellement.
    Peut-on résoudre les pénuries de main-d’œuvre dans les métiers en tension en augmentant les salaires ?
    –La dépendance à l’immigration dans les métiers les moins qualifiés n’est pas seulement liée aux problématiques salariales. C’est une vulgate néolibérale, ainsi qu’une vieille idée faussement marxiste. La complémentarité entre immigrés et autochtones est une réalité à l’intérieur même des catégories socioprofessionnelles. Certaines tâches extrêmement pénibles, par exemple dans le BTP, n’attireront pas les autochtones même en augmentant les salaires de 15 %.
    Les travaux montrent que les effets de substitution ne jouent que pour des tâches peu qualifiées et automatisables. Par ailleurs, les entreprises ne peuvent pas décréter du jour au lendemain qu’elles augmentent les salaires de 15 %, cela prend du temps. Il ne s’agit évidemment pas d’ouvrir les frontières tous azimuts. Mais ce « débat » cache une obsession liée aux impacts sécuritaires et culturels de l’immigration, perçus comme néfastes à la société.
    Emmanuel Macron a mené une politique très offensive sur l’attractivité de la France depuis 2017. S’est-elle traduite dans les flux migratoires ?
    – Quand Donald Trump s’est retiré de la COP21 et a restreint l’immigration à partir de 2017, le président Macron avait lancé un appel pour attirer en France les chercheurs étrangers, notamment américains, dans le but de sauver le climat. Il y avait cette idée d’une France en mode start-up qui pouvait être fécondée par les talents internationaux. On ne la retrouve pas dans cette loi sur l’immigration. Emmanuel Macron a toutefois reconnu que la caution pour les étudiants internationaux était une erreur et qu’elle aurait des effets dissuasifs. Certaines entreprises satisfont leurs besoins de main-d’œuvre en recourant à l’immigration irrégulière dans des secteurs en tension. Soit les chefs d’entreprise ont besoin de régulariser et c’était l’occasion de le dire, ce que certains ont fait. Soit ils ont une préférence pour l’immigration irrégulière, qui les arrange, ou du fait de la forte pression sur les prix. Quand les difficultés de recrutement seront telles que la production sera gênée, le discours changera. Et on reverra peut-être des patrons de PME manifester avec leurs salariés.
    Qu’est-ce qui singularise la France en matière d’immigration ?
    – La France n’a pas une culture de l’immigration qualifiée, bien payée, raisonnée. Du fait de son histoire coloniale, elle a eu tendance à privilégier l’immigration peu qualifiée, comme elle importait les matières premières. Elle a du coup un « stock global » d’immigrés peu qualifiés. Mais depuis les années 1990-2000, ceux qui arrivent sont en moyenne plus diplômés que les autochtones.
    Le régime d’immigration français, parce qu’il est prisonnier du passé, y compris en matière de représentations liées à la colonisation, tourne le dos à ses intérêts. Il n’a pas été capable de faire la transition vers une politique ouverte et positive de l’immigration à l’échelle mondiale. La France a une représentation de l’immigration réduite à ses deux extrêmes : les stars du football et les délinquants, ignorant tous ceux qui se sont intégrés par l’école et qui sont très nombreux. Ce qui la caractérise aussi, c’est sa préférence pour une régulation du marché du travail par l’immigration irrégulière. Tout le monde était d’accord pour régulariser dans les métiers en tension. Mais c’est bien utile de pouvoir utiliser de la main-d’œuvre immigrée dont on peut se défaire facilement. Elsa Conesa

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  • « Le manque d’immigration de travail handicape la France »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/17/le-manque-d-immigration-de-travail-handicape-la-france_6200707_3232.html

    « Le manque d’immigration de travail handicape la France »
    Tribune Emmanuelle Auriol Madeleine Péron Economistes
    A l’occasion du projet de loi déposé par le gouvernement, le débat sur l’immigration a resurgi dans l’actualité. Sans surprise, les volets sécuritaire et identitaire y tiennent une place prépondérante, éclipsant certaines réalités économiques qu’il faudrait pourtant prendre en compte pour permettre un véritable débat démocratique. Car l’immigration pour motif économique est portion congrue en France, et notre pays se prive, pour de mauvaises raisons, d’un fort potentiel de croissance à long terme et, à court terme, de substantiels bénéfices économiques et sociaux.
    Contrairement à une idée reçue, la France est un pays de faible immigration ! Le flux annuel d’immigrés entrants était de 316 174 personnes en 2022, selon le ministère de l’intérieur, soit environ 0,45 % de la population française. En dehors des regroupements familiaux, les possibilités d’une immigration de travail sont réduites pour les ressortissants extracommunautaires.
    De ce fait, l’immigration pour motif économique est négligeable dans notre pays : en 2022, elle représentait seulement 16 % des nouveaux visas délivrés, souvent au prix de batailles administratives à l’issue incertaine pour le candidat à l’immigration et pour son potentiel employeur. Et ce, alors même que, selon l’enquête « Besoins en main-d’œuvre 2023 » de Pôle emploi, 61 % des recrutements sont jugés difficiles, principalement par manque de candidats et de compétences adéquates.
    Les bienfaits d’une immigration de travail sont considérables à court terme, pour répondre à des tensions fortes et persistantes dans certains secteurs cruciaux tant pour notre économie que pour notre vie quotidienne. Les métiers dits « en tension » s’observent ainsi à tous les niveaux de qualification : il nous manque aussi bien des ouvriers spécialisés que des médecins, des cuisiniers, des infirmiers, des banquiers ou encore des informaticiens. Dès lors, la faible immigration de travail en France est un problème économique majeur. Faute de personnels, des services d’urgences ferment, des citoyens âgés dépendants sont privés de soins, des entreprises renoncent à créer de l’activité, voire ferment ou se délocalisent.
    Pourtant, les études réalisées par le Conseil d’analyse économique montrent que l’immigration de travail a, à court terme, un impact négligeable sur les finances publiques, dans la mesure où les immigrés travaillent, cotisent et paient des impôts. A long terme, l’immigration de travail, en particulier qualifiée, stimule la croissance en favorisant l’innovation, l’entrepreneuriat et l’insertion dans l’économie mondiale. Comment imaginer que les politiques de réindustrialisation et d’adaptation au changement climatique pourront se faire dans une économie fermée, notamment à la recherche internationale ? Les idées et les innovations ne circulent pas dans l’éther, elles sont portées par des personnes.
    La France n’a pas de politique d’immigration, notamment économique. Notre pays subit de plein fouet une pénurie de main-d’œuvre et se prive des bienfaits à long terme de l’immigration de travail. A l’instar de ce qu’ont fait des pays comme le Canada, l’Australie ou l’Allemagne, il est grand temps de changer nos législations et de mettre en œuvre une véritable politique d’immigration économique. Le Conseil d’analyse économique avait déjà, en novembre 2021, formulé plusieurs recommandations visant à mettre en place une politique migratoire ambitieuse au service de la croissance. On peut citer la poursuite des efforts destinés à numériser, centraliser et systématiser le traitement des visas de travail émanant des entreprises avec des critères d’admissibilité clairs et prévisibles, une évaluation du dispositif « Passeport talent » afin de renforcer son efficacité et d’intensifier son octroi, et la facilitation de la transition études-emploi en fluidifiant et en étendant l’accès à des titres de séjour pour les étudiants, sans y adjoindre de critères de salaire minimum, ni d’adéquation du travail
    Le débat sur l’immigration est monopolisé par des partis politiques qui ont fait de la lutte contre l’immigration leur fonds de commerce. En faisant des amalgames entre immigration, perte d’identité, délinquance et terrorisme, ils laissent à penser que l’immigration est un fardeau. Le faible volume d’immigration de travail et l’absence d’un discours politique clair sur le sujet contribuent à la confusion générale. Il est, de ce point de vue, frappant de constater que le nouveau projet de loi sur l’immigration aborde pêle-mêle accueil des réfugiés, expulsion de délinquants, immigrés en situation irrégulière et tension sur le marché du travail.
    En abandonnant le débat à des partis politiques dont l’objectif n’est pas, de toute évidence, la croissance, on projette l’image d’une opinion publique uniformément hostile à toute forme d’immigration. Or les Français ne sont pas dupes : ils sont même favorables à l’immigration intracommunautaire et n’ont pas de problème avec l’immigration de travail. Ainsi, dans le baromètre 2022 de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, 83 % des personnes interrogées affirment que les immigrés de travail doivent être considérés comme chez eux en France.
    On manque de bras et de compétences partout sur le territoire. Cette situation constitue un frein à notre économie et, quand il s’agit de médecins et d’infirmiers, un péril pour la sécurité et la santé des Français. Alors que même la Hongrie de Viktor Orban s’organise pour accueillir des travailleurs étrangers, et que l’Italie de Giorgia Meloni prévoit d’accorder 122 705 visas extracommunautaires en 2023, la classe politique française est paralysée. Il est grand temps que l’Etat reprenne la main sur la politique migratoire. Les enjeux, tant de court terme pour les secteurs en tension que de long terme pour la croissance et l’innovation, sont vitaux pour notre pays.
    Emmanuelle Auriol est professeure à la Toulouse School of Economics et à l’université Toulouse-I-Capitole ; Madeleine Péron est économiste au Conseil d’analyse économique. Elles ont participé aux travaux de la note du Conseil d’analyse économique de novembre 2021 consacrée à l’immigration qualifiée, « Un visa pour la croissance ».

    #Covid-19#migrant#migration#france#economie#politiquemigratoire#immigration#visas#croissance#innovation#migrationqualifiee

  • Étude supérieure : Plus de 5300 étudiants sénégalais s’envolent pour la France en 2023
    https://www.seneweb.com/news/Education/etude-superieure-plus-de-5300-etudiants-_n_425390.html

    Étude supérieure : Plus de 5300 étudiants sénégalais s’envolent pour la France en 2023
    Par : Moustapha TOUMBOU - Seneweb.com | 11 novembre, 2023 à
    L’ambassade de France au Sénégal a révélé via un tweet, que l’année 2023 a été marquée par la réussite de plus de 5300 étudiants sénégalais qui ont concrétisé leurs études en France. Ces chiffres, selon le corps diplomatique français, témoignent de l’étroitesse des liens éducatifs entre la France et le Sénégal.Au total, plus de 15 000 étudiants sénégalais sont actuellement inscrits dans l’enseignement supérieur français, plaçant le Sénégal en tête dans la région Afrique subsaharienne en France et figurant parmi les cinq premiers au niveau mondial. L’ambassade ajoute que cette statistique représente une augmentation de 62% au cours des cinq dernières années, surpassant largement la moyenne de 40% en Afrique subsaharienne et 21% dans le monde.

    #Covid-19#migrant#migration#france#senegal#etudiant#emigration#migrationqualifiee

  • Immigration : l’attrait grandissant des entreprises françaises pour les travailleurs marocains qualifiés
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/11/03/immigration-l-attrait-grandissant-des-entreprises-francaises-pour-les-travai

    Immigration : l’attrait grandissant des entreprises françaises pour les travailleurs marocains qualifiés
    Société recherche installateur de fibre optique, chaudronnier, garçon boucher… Au Maroc, de plus en plus de travailleurs qualifiés migrent en France pour combler les déficits de main-d’œuvre. Ils étaient près de 1 900 salariés ainsi recrutés en CDI en 2022, contre à peine 300 en 2013. Une immigration professionnelle facilitée par l’antenne marocaine de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), à Casablanca, où les dossiers de demandes de visa sont constitués avant d’être soumis au consulat.
    Parmi les effectifs salariés qui transitent ici, 65 % sont des ingénieurs informaticiens, à l’image de Houssem Zammali, rencontré à l’OFII. Le jeune homme de 28 ans, de nationalité tunisienne mais installé au Maroc, développe des logiciels pour les services de ressources humaines. Sur le réseau social LinkedIn, où il navigue souvent « à la recherche d’opportunités professionnelles », il a répondu à une annonce d’une société basée dans le quartier d’affaires de la Défense (Hauts-de-Seine). Et a décroché une promesse d’embauche. Houssem Zammali a déjà « beaucoup d’amis et d’anciens collègues installés à Paris ». Si le visa lui est accordé, il va pouvoir gagner 42 000 euros par an, soit environ 3 500 euros par mois brut « contre 20 000 dirhams brut par mois aujourd’hui [1 836 euros] ».
    « Globalement, un ingénieur débutant qui s’expatrie en France gagne 1 000 à 1 500 euros net de plus que son salaire mensuel au Maroc », jauge Ahmed Chtaibat, le directeur de l’OFII à Casablanca. Outre les ingénieurs informaticiens, les techniciens intermédiaires du secteur industriel sont aussi prisés et représentent 20 % des flux de migrants qualifiés en provenance du Maroc. (...) C’est peu ou prou le gain financier qu’ambitionne également Youssef Mbarki, boucher à Fès depuis cinq ans et recruté par l’entreprise bretonne Presta Breizh comme « boucher désosseur ». « Je vais améliorer mon français, mes pratiques et ma situation financière », déclare le jeune homme de 25 ans, qui vit toujours chez ses parents mais qui s’est vu promettre par son employeur un logement en Ille-et-Vilaine à raison de 250 euros par mois. Si Youssef Mbarki n’a jamais été en France, Abdellah Sfar, 40 ans, lui, a déjà sillonné une bonne partie de l’Europe. Chauffeur routier dans le transport de produits alimentaires depuis quatre ans, il a souvent fait escale à Rungis (Val-de-Marne), à Rotterdam ou encore à Hambourg. Repéré par un employeur au port de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) – premier port fluvial de France –, il s’est vu proposer un poste payé 1 000 euros de mieux que ce qu’il gagne aujourd’hui. « Je vais faire du transport pour Amazon dans toute la France », a-t-il compris. Il ne sait pas encore s’il voudra que sa femme et ses enfants de 2 ans et 7 ans le rejoignent. Si tel est le cas, c’est aussi à l’OFII que ces derniers devront se présenter.
    Le droit au regroupement familial est soumis notamment à des conditions de séjour – pour y avoir droit, il faut résider en France de manière régulière depuis dix-huit mois au moins –, de ressources et de logement. En 2022, près de 2 400 conjoints de Marocains ont ainsi bénéficié de ce regroupement - des femmes majoritairement -, alors qu’ils étaient près de 3 200 en 2019. Un chiffre en recul, sous l’effet notamment de la politique de restriction des visas entre la France et le Maroc.

    #Covid-19#migration#migrant#france#maroc#migrationqualifiee#politiquemigratoire#OFII#visas#regroupementfamilial#migrationprofessionnelle

  • Le Portugal reste une terre d’émigration
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/10/20/le-portugal-reste-une-terre-d-emigration_6195604_3234.html

    Le Portugal reste une terre d’émigration
    En dépit du plein-emploi et du dynamisme d’une économie portée par le tourisme, nombre de jeunes diplômés continuent de quitter le Portugal, en quête de meilleurs salaires et perspectives de carrière.
    Par Marie Charrel
    Ana Santos s’était promis de ne pas suivre la voie de son frère. De ne jamais faire pleurer sa mère comme lui lorsque, ce matin de septembre 2012, Antonio prit l’avion pour le Brésil. « Elle savait qu’il ne reviendrait sûrement jamais et, surtout, qu’il n’avait pas le choix : c’était la crise, les ingénieurs ne trouvaient plus de travail à Lisbonne », raconte d’une voix douce la jeune femme de 21 ans. A l’époque, elle en avait 10. « Moi, j’étais la fille qui resterait au pays et ne ferait jamais couler les larmes de notre mère. »
    Cet été, pourtant, elle s’est résolue à faire ses valises à son tour pour intégrer un cursus de biologie à Londres. « Depuis la crise due au Covid-19, je rêve de travailler dans la recherche », confie-t-elle. Mais les laboratoires où elle aimerait postuler un jour sont tous en Europe du Nord ou aux Etats-Unis. « Pour réussir, il me fallait partir. »
    Monica Marques, elle, s’est installée à Sydney, en Australie, à la fin de la pandémie. Là où ses parents avaient émigré avant elle dans les années 1970, avant de revenir à Setubal, la petite ville au sud de Lisbonne où elle a grandi. « J’adore mon pays et il me manque, raconte cette professeure de portugais de 33 ans. Mais un salaire y suffit à peine pour payer les factures. Je voulais offrir à mon fils de meilleures opportunités d’avenir. »
    En 2021, 60 000 Portugais sont partis vivre à l’étranger, soit 15 000 de plus qu’en 2020, selon les derniers chiffres de l’Observatoire de l’émigration portugais. Après la pause liée à la crise sanitaire, les départs ont repris, principalement vers le Royaume-Uni, la Suisse, l’Espagne ou la Scandinavie. « Malgré la reprise économique, nos jeunes continuent de partir », se désole Armindo Monteiro, le patron de la Confédération portugaise des entreprises.
    Certes, le rythme est inférieur à celui observé pendant la crise de 2010, où plus de 80 000 personnes faisaient leurs valises chaque année. Mais il reste préoccupant pour ce petit pays vieillissant de 10 millions d’habitants. Selon les Nations unies, il est celui qui, en Europe occidentale, recense le plus d’émigrés (deux millions de personnes au total) en proportion de sa population résidente. Et pour cause : « L’émigration est une constante structurelle de son histoire, rappelle Victor Ferreira, chercheur à l’Institut d’histoire contemporaine de l’Université nouvelle de Lisbonne. Longtemps, le Portugal n’a pas eu suffisamment de ressources pour nourrir toute sa population. »
    Sous l’empire, du XVe au XXe siècle, déjà, beaucoup partent vers les colonies, comme le Brésil ou l’Angola. Au début du XXe siècle, d’autres vont travailler dans les usines françaises, qui manquent de bras. Durant la dictature de Salazar (1933-1974), jusqu’à 100 000 Portugais fuient tous les ans la pauvreté rurale ou le régime politique. « Entre 1969 et 1971, 350 000 se sont rendus dans l’Hexagone, dont certains illégalement », précise Victor Ferreira. « C’est un pan d’histoire assez méconnu en France, y compris par les enfants de ces émigrés », ajoute Mario Queda Gomes, professeur à Rouen, qui évoque le voyage de son père dans un roman (Une odyssée portugaise, Cadamoste Editions).
    Après la « révolution des œillets » et la démocratisation du pays, en 1974, les départs diminuent, sans jamais vraiment s’interrompre. « Quand je suis parti, en 1992, le pays était encore dans une passe difficile, se souvient Nuno Mendes, né en 1973. Je voulais étudier la cuisine, mais il n’existait pas d’école pour cela à Lisbonne. » Après un cursus à l’Académie culinaire de Californie, à San Francisco, il est devenu un chef cuisinier reconnu aux Etats-Unis, puis au Royaume-Uni.Lors de la crise des dettes souveraines, en 2011, le Portugal sombre dans une récession brutale. Face à l’envolée des taux d’emprunt, il est contraint d’appeler le Fonds monétaire international à l’aide. En échange d’un prêt de 78 milliards d’euros, le gouvernement instaure une politique de rigueur. Le taux de chômage des moins de 25 ans flambe jusqu’à 40 % de la population active. En juillet 2012, lors d’un discours qui restera dans les mémoires, le premier ministre de l’époque, Pedro Passos Coelho (centre droit), appelle les jeunes à émigrer pour tenter leur chance ailleurs. Un traumatisme. « Contrairement aux vagues précédentes, peu qualifiées, ce sont cette fois les diplômés et les classes moyennes qui ont été contraints de partir aussi », souligne Ricardo Reis, économiste à l’Ecole d’économie de Londres.
    Alexandre Gouveia est de ceux-là. Après quelques années passées dans un cabinet médical dans le nord du pays, ce médecin généraliste est venu s’installer à Lausanne (Suisse), avec sa femme, également médecin. « Parce que les conditions de travail des professions médicales et la qualité de vie se dégradaient », explique-t-il.Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques, les généralistes portugais gagnent en moyenne 3 510 euros mensuels brut. En Suisse – où le coût de la vie est plus élevé –, ils touchent au moins trois fois plus. « Bien plus que les salaires, ce sont surtout les possibilités de formation et de progression de carrière qui nous ont attirés ici », explique Alexandre Gouveia.Aujourd’hui responsable de la Policlinique de médecine générale Unisanté, il a ainsi décroché un doctorat à l’université de Lausanne et suit un master en pédagogie médicale depuis quelques mois. En 2015, il a fondé l’association LusoSanté, qui regroupe une centaine de professionnels de santé lusophones de Suisse romande. Au total, 257 800 Portugais vivent aujourd’hui dans la Confédération suisse, dont 175 000 dans les cantons francophones. Et ils sont près de 600 000 en France (plus du double en comptant les descendants des précédentes vagues), 165 000 au Royaume-Uni ou encore 93 600 au Luxembourg – soit près de 15 % de la population totale du Grand-Duché.
    Le Portugal a néanmoins beaucoup changé depuis qu’Alexandre Gouveia l’a quitté. En 2015, l’arrivée au pouvoir du premier ministre socialiste, Antonio Costa, marque le début d’un renouveau. En 2017, la croissance bondit de 3,5 %, portée par l’essor du tourisme. Le centre de Lisbonne est retapé et pris d’assaut par les investisseurs. Le taux de chômage redescend : il est aujourd’hui au plus bas, à 6,2 %, selon Eurostat. Et beaucoup d’émigrés reviennent. (...) Désormais, le pays attire également des immigrés peu qualifiés – phénomène nouveau –, notamment d’Europe de l’Est, d’Inde ou du Népal, travaillant dans la restauration ou le BTP.Pourtant, ses jeunes diplômés continuent de regarder vers l’étranger. (...)« Les diplômés comme elles partent en raison de la spécialisation choisie par l’économie portugaise après la crise : le tourisme crée des emplois peu qualifiés, mal payés et précaires », explique Ricardo Reis. Le salaire minimum mensuel est de 760 euros brut, et 65 % des jeunes gagnent moins de 1 000 euros par mois. Beaucoup sont obligés de cumuler deux boulots pour boucler leurs fins de mois. « De plus, les loyers lisboètes sont devenus inaccessibles aux classes moyennes à cause de la folie Airbnb », ajoute Vicente Ferreira, doctorant en économie à l’université Sapienza, à Rome. Lui a déjà travaillé à Bruxelles et aimerait rentrer au Portugal après son diplôme. Mais, s’il n’y trouve pas de poste, il n’hésitera pas à chercher ailleurs.« Il est normal que nos étudiants aient une expérience internationale, mais beaucoup resteraient s’ils avaient les mêmes opportunités de carrière et salaire ici », regrette Pedro Oliveira, doyen de la Nova School of Business and Economics (NovaSBE), une prestigieuse école de commerce, située près de Lisbonne. « Cette fuite des cerveaux pèse sur nos entreprises qui peinent à recruter et perdent en capacité d’innovation », ajoute Pedro Martins, économiste à la NovaSBE.
    Elle pénalise aussi les services publics, comme la santé. « Entre 2020 et 2022, 3 000 infirmières ont quitté le pays, l’équivalent du nombre de celles qui décrochent leur diplôme au Portugal chaque année », déplore Luis Filipe Barreira, vice-président de l’ordre des infirmiers. La pénurie de personnels de santé est telle que certains services sont contraints de fermer des lits, explique-t-il. Et la qualité des soins ne cesse de se dégrader. « La plupart des infirmières des hôpitaux publics travaillent soixante-dix heures par semaine alors qu’elles devraient en travailler trente-cinq et sont en épuisement professionnel », dit-il. Depuis quelques années, le gouvernement multiplie les mesures dans l’espoir de freiner le mouvement. Lancé en 2019, le programme « Regressar » (« rentrer », en portugais) propose ainsi 3 363 euros aux jeunes rentrant pour un contrat à durée indéterminée ou pour créer une entreprise, ainsi que des aides fiscales. « C’est bien, mais un peu dérisoire par rapport à ce que je peux construire ici », juge Henrique Pinto, 25 ans, développeur, installé à New York depuis deux ans. Le Portugal a néanmoins d’autres cartes à jouer pour retenir ses jeunes. « Ce ne sont plus les émigrés d’autrefois qui faisaient définitivement leur vie ailleurs, ils sont mobiles et reviendront facilement avec les politiques publiques adaptées », estime Ricardo Reis. A savoir celles qui réduiront la précarité du travail. « Et surtout, celles qui permettront à notre économie de monter en gamme », ajoute Armindo Monteiro. Comme des investissements pour soutenir les énergies renouvelables ou l’hydrogène vert, secteur dans lequel le Portugal développe une industrie de pointe, riche en emplois de qualité, depuis quelques années.

    #Covid-19#migrant#migration#portugal#emigration#retour#economie#sante#maindoeuvre#migrationqualifiee

  • En Ethiopie, l’exode des médecins du Tigré, épuisés par deux ans de guerre civile
    https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/09/14/en-ethiopie-l-exode-des-medecins-du-tigre-epuises-par-deux-ans-de-guerre-civ

    En Ethiopie, l’exode des médecins du Tigré, épuisés par deux ans de guerre civile
    Après avoir travaillé sans relâche et sans salaire pendant le conflit, de nombreux soignants abandonnent les hôpitaux de la région pour exercer dans des cliniques à l’étranger ou rejoindre des ONG.
    Par Noé Hochet-Bodin(Addis-Abeba, envoyé spécial)
    A l’entrée de l’hôpital Ayder de Makalé, le plus grand du Tigré, les listes accrochées sur un tableau en liège ne sont pas des annonces d’embauche. Les hôpitaux de cette région du nord de l’Ethiopie auraient pourtant bien besoin de renfort en ces temps de reconstruction d’après-guerre. Hélas, il s’agit au contraire des noms de la centaine de médecins qui ont démissionné, abandonné l’hôpital et, le plus souvent, quitté la province.
    Après deux années de guerre civile (2020-2022) marquées par le blocus de la région, les pénuries de médicaments, l’occupation et la destruction de l’ensemble des structures de santé, le Tigré en paix fait face à une nouvelle menace : l’exode de ses soignants. La faculté de médecine de l’hôpital Ayder indique que 67 des 190 chirurgiens spécialisés de la région ont profité de la réouverture des frontières, après les accords de paix de novembre 2022, pour fuir un Tigré en ruines. Soit plus d’un tiers. En tout, 221 médecins ont quitté leur poste.« Le personnel de l’hôpital Ayder a travaillé sans relâche pendant deux ans sans être payé. Il a fait preuve d’un dévouement et d’une compassion incroyables, mais il est maintenant à bout. Tous sont épuisés, démoralisés et commencent à quitter l’hôpital », constate le directeur de l’établissement, Kibrom Gebreselassie, en guise d’appel à l’aide.
    Après le temps des dévastations, le Tigré se relève à peine. Pendant la guerre, l’hôpital Ayder fonctionnait « à 15 % de ses capacités », selon Kibrom Gebreselassie. Plus généralement, 70 % des structures de santé ont été « pillées » à travers la région, d’après Médecins sans frontières (MSF). Si, depuis les accords de paix, une partie du budget, dont les salaires, est de nouveau versée par le gouvernement fédéral, les médecins n’ont pas cessé de fuir.« C’est une tendance que nous avons du mal à contrôler », reconnaît Amanuel Haile, directeur du bureau régional de santé, qui date à janvier le début de l’exode, suite à la reprise des liaisons aériennes à Makalé, la capitale du Tigré : « Certains de nos meilleurs spécialistes partent pour travailler dans des cliniques privées en Europe et aux Etats-Unis ou dans des ONG, notamment au Somaliland, au Rwanda et au Soudan du Sud. »
    Les médecins choisissent l’exil avant tout pour des considérations financières, afin de régler leurs dettes après dix-huit mois sans revenus ni compensations. Kahsay Hailu (à sa demande, son identité a été changée) fut chirurgien pendant plus de douze ans à Ayder. Formé à Makalé, il doit tout à cet hôpital. Il a pourtant fait le choix de fuir au Canada, en mars, accompagné de sa femme et de ses trois enfants. « J’ai une famille à charge, je ne peux pas rester sans salaire ou presque dans un établissement qui ne fonctionne plus », justifie-t-il. En Ethiopie, un chirurgien du secteur public gagne en moyenne 230 euros par mois, mais jusqu’à 20 fois plus s’il travaille pour des agences onusiennes ou des ONG.
    Certes, il y a la culpabilité de laisser une province au bord du précipice, confrontée à une recrudescence de cas de violences sexuelles, de cancers et de VIH. Mais ces médecins déserteurs font aussi face à un constat d’impuissance. « J’ai le sentiment de m’être sacrifié deux ans pour soigner les miens alors que nous n’avions rien, pas de salaire, pas d’électricité, même pas de gants en plastique, ni de nourriture pour les patients », précise Kahsay Hailu.« Je ne les juge absolument pas », rassure Amanuel Haile, qui prétend que tout sera fait pour accueillir de nouveau les médecins en exil qui souhaitent retrouver leur poste. En attendant, la qualité des soins en pâtit. L’unique spécialiste de chirurgie abdominale étant parti, il faut se rendre à Addis-Abeba pour recevoir ce type de soins. De même pour la chirurgie vasculaire. « On fait du bricolage, ironise le chirurgien Fasika Amdeselassie. On est sous l’eau, ma liste d’attente a triplé depuis le départ de mes collègues. »
    Ce cadre de l’hôpital Ayder sait que les troubles de stress post-traumatique constituent une autre raison du départ des médecins tigréens. Pour les traiter, il a mis en place une petite structure, baptisée « Haqi », qui propose un soutien psychologique à l’attention des professionnels de santé qui se trouvaient en première ligne pendant la guerre. « Les dégâts psychologiques sont colossaux, la pression intense, et nous n’avons quasiment personne pour en parler, car le Tigré ne compte que trois psychiatres pour 6 millions d’habitants », dit-il.Si les acteurs humanitaires ont fait leur retour au Tigré pour soutenir un système de santé chancelant, il y a peu de chances que les médecins exilés reviennent rapidement. « Le budget alloué par le ministère de la santé a diminué d’un tiers par rapport au niveau d’avant-guerre », confie, désabusé, un médecin qui souhaite garder l’anonymat. De plus, la lente démobilisation des forces armées du Tigré et l’état d’urgence dans la région voisine de l’Amhara font craindre la résurgence des affrontements. « Les perspectives politiques sont trop sombres pour espérer le retour de nos collègues, assure Fasika Amdeselassie. Si la paix n’est pas entérinée prochainement, nous n’avons aucune chance de voir nos médecins rentrer. »
    Noé Hochet-Bodin(Addis-Abeba, envoyé spécial)

    #COvid-19#migrant#migration#tigre#ethiopie#conflit#crise#humanitaire#medecin#migrationqualifiee#santementale#exil#postcovid

  • Au Nigeria, l’exode des médecins vers l’Occident
    https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/04/25/au-nigeria-l-exode-des-medecins-vers-l-occident_6170984_3212.html

    Au Nigeria, l’exode des médecins vers l’Occident
    Une proposition de loi visant à retenir les jeunes praticiens au moins cinq ans dans le pays provoque une fronde de la profession. Mais le malaise est réel.
    Par Liza Fabbian(Lagos, correspondance)
    Publié le 25 avril 2023 à 19h30
    (...) Poussés à l’exil par une économie à la dérive – l’inflation a dépassé les 22 % en mars au Nigeria –, l’insécurité généralisée, les infrastructures défaillantes et des salaires trop bas, entre 100 et 200 médecins quittent le pays chaque mois. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a émis une alerte en mars sur le nombre de travailleurs médicaux disponibles au Nigeria. Pour tenter de les retenir, un député a déposé début avril une proposition de loi qui les forcerait à pratiquer pendant cinq ans au Nigeria avant d’obtenir leur diplôme. Alors que l’OMS recommande un ratio d’un médecin pour 600 patients, le pays le plus peuplé d’Afrique (plus de 216 millions d’habitants) en compte seulement un pour 10 000 patients, officiellement. Mais la crise pourrait être bien plus grave selon le président de l’Association nigériane des médecins résidents (NARD), qui avance plutôt le chiffre d’un médecin pour 30 000 patients. « C’est un énorme déficit. Il faut parfois attendre des jours pour voir quelqu’un lorsqu’on est malade. Cette situation retarde évidemment les traitements et accroît les tensions à l’hôpital », s’alarme le docteur Emeka Orji.
    Pourtant, ce dernier juge la proposition de loi « contre la fuite des cerveaux », « draconienne et impossible à mettre en œuvre » et demande son retrait immédiat. Lui préférerait que le « problème soit traité à la source », avec l’amélioration des conditions de travail et des salaires pour les personnels de santé au Nigeria. Dans le pays, les médecins ne bénéficient pas d’assurance ou d’autres avantages liés aux risques professionnels, accrus par le manque d’équipements de protection dans les hôpitaux publics. Mais les désertions sont tout aussi élevées dans les établissements privés où les salaires ne sont souvent guère meilleurs. « Nous avons perdu énormément de membres au pic de la pandémie de Covid-19 et encore plus parmi les médecins au contact de patients infectés par la fièvre de Lassa. Mais il n’y a eu aucune compensation pour les familles », se remémore Okhuaihesuyi Uyilawa, qui était président de la NARD en 2020. (...) A bout, les médecins cherchent toutes les portes de sorties possibles. Chucks, 38 ans, a d’abord pensé à enseigner la médecine dans les Caraïbes, puis il a envisagé de s’installer en Arabie saoudite. Avant d’opter finalement pour l’examen d’équivalence pour le Royaume-Uni. Depuis août 2021, il travaille dans l’hôpital d’une ville moyenne du nord de l’Angleterre, où il s’est installé avec sa femme et ses deux enfants. Son salaire est « dix fois supérieur » à celui qu’il gagnait au Nigeria.« Je pense que mes collègues qui pratiquent la médecine au pays perdent leur temps et gâchent leurs diplômes », lance-t-il, sans regrets. L’expatrié blâme aussi l’hypocrisie des dirigeants nigérians, bien conscients de la situation catastrophique dans lequel se trouve le secteur de la santé au Nigeria, « puisque eux-mêmes refusent de se faire soigner dans leur propre pays ».

    #Covid-19#migrant#migration#nigeria#emigration#migrationqualifiee#medecin#OMS#exode

  • « Que les pays du Nord puissent faire appel à une main-d’œuvre des pays du Sud inépuisable, bon marché et prête à migrer, est aujourd’hui plus que questionnable » Tribune de Jamal Bouoiyour
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/27/que-les-pays-du-nord-puissent-faire-appel-a-une-main-d-uvre-des-pays-du-sud-

    La migration de travail a toujours navigué entre des besoins de qualification de plus en plus pressants du marché du travail et les atermoiements à répétition des responsables politiques. Il est vrai que ces derniers sont soumis à la pression d’une opinion publique généralement peu favorable au recours à la main-d’œuvre étrangère. Mais avec l’accélération du vieillissement de la population, sous le double effet d’une natalité chancelante et d’une espérance de vie qui n’en finit pas d’augmenter, cet équilibre devient fragile. Le gouvernement, en proposant un projet de loi instaurant la création d’un titre de séjour des « métiers sous tension », réactive un vieux débat, celui de la fuite des cerveaux. Si certaines des branches qui souffrent d’un manque structurel de main-d’œuvre (BTP, hôtellerie-restauration, transport routier, infirmiers, aides à domicile, sans oublier le secteur agricole) donnent l’impression que les besoins se font sentir principalement dans des secteurs où la main-d’œuvre est peu ou moyennement qualifiée, il s’avère que les pénuries sont aussi persistantes dans les secteurs demandant du personnel hautement qualifié (ingénieurs, médecins…). Ce phénomène n’est pas propre à la France, il concerne pratiquement tous les pays du Nord. On assiste dès lors à une vraie bataille entre ces pays afin d’attirer les talents, surtout ceux, plus nombreux, originaires des pays du Sud. Cette course aux talents est exacerbée par les mutations technologiques et la double transition verte et numérique. (...)
    Le recours à la main-d’œuvre étrangère paraît dès lors comme une évidence malgré les réticences de l’opinion publique. Ce qui nous renvoie à une question éthique : la migration de personnes hautement qualifiées apparaît en effet comme une action qui peut nuire au pays d’origine. Le schéma classique, qui repose sur l’hypothèse que les pays du Nord puissent faire appel à une main-d’œuvre des pays du Sud inépuisable, bon marché et prête à migrer, est aujourd’hui plus que questionnable. La littérature économique est unanime sur le rôle primordial du capital humain dans l’accélération de la croissance économique et du développement des pays. Puiser sans contrepartie dans le vivier des talents des pays du Sud, c’est leur ôter leur facteur de production le plus important. C’est économiquement coûteux, politiquement indéfendable et éthiquement impardonnable.
    Certains économistes avaient proposé, dans les années 1970, de taxer les travailleurs qualifiés des expatriés au bénéfice de leur pays d’origine (la « taxe Bhagwati », du nom de l’économiste indo-américain Jagdish Natwarlal Bhagwati), afin de compenser la perte causée par leur émigration et les coûts de leur éducation supportés par ces pays pauvres.(...) Ce raisonnement nous semble aujourd’hui suranné : la mobilité est un droit, et on ne peut pas empêcher une personne, surtout si elle est éduquée et bien informée, de choisir sa destinée librement. Mais, compte tenu du manque à gagner des pays d’origine et du coût de formation des futurs migrants, surtout les plus diplômés (la formation d’un ingénieur peut coûter la bagatelle de 150 000 euros), on ne peut faire l’économie d’une réflexion sereine sur la question de la « fuite des cerveaux » : ......

    #Covid-19#migrant#migration#postcovid#politiquemigratoire#migrationqualifiée#diaspora#retour#circulation#maindoeuvre#formation#Nord#Sud

  • L’Allemagne, nouvelle destination rêvée des jeunes Tunisiens
    https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/12/05/l-allemagne-nouvelle-destination-revee-des-jeunes-tunisiens_6152993_3212.htm

    L’Allemagne, nouvelle destination rêvée des jeunes Tunisiens
    Le pays européen, en manque criant de main-d’œuvre, a délivré près de 5 500 autorisations de travail à des Tunisiens depuis le début de l’année.
    Le Monde avec AFP
    Publié le 05 décembre 2022 à 10h36 Mis à jour le 05 décembre 2022 à 10h36
    FETHI BELAID / AFP
    France, Canada, pays du Golfe et dorénavant Allemagne. Malgré la barrière de la langue, les jeunes Tunisiens sont de plus en plus nombreux à vouloir émigrer légalement vers la première économie européenne, en manque criant de main-d’œuvre. Cet exode croissant (avec 5 474 autorisations de travail accordées par l’Allemagne à des Tunisiens de janvier à octobre, après 4 462 en 2021 et 2 558 en 2020) est stimulé par une absence de quotas et une reconnaissance accrue ces dernières années des diplômes étrangers, y compris pour les qualifications d’avant bac.
    L’Allemagne, pays à très faible natalité, a « d’énormes besoins de main-d’œuvre, pas seulement dans la santé ou l’informatique, mais aussi dans l’hôtellerie-restauration, le bâtiment, la pose de fibre optique ou la conduite de poids lourds », explique à l’AFP Narjess Rahmani, directrice de l’agence d’aide à l’émigration Get in Germany. Dans les secteurs sous tension, certains employeurs procurent au candidat un contrat d’embauche ou d’apprentissage pour faciliter l’obtention du visa et financent même sa formation linguistique de base (niveau B1, environ six mois d’allemand).
    Yeft Benazzouz, directeur de l’école de langue Yeft, a vu la demande de cours d’allemand exploser depuis 2020. « Avant, j’avais des groupes d’une ou deux personnes et c’est monté à six ou sept », dit-il. Même si depuis l’été, le rythme s’est ralenti à cause d’une forte inflation et de la chute du pouvoir d’achat en Tunisie. Outre la langue, M. Benazzouz enseigne les comportements de base à adopter, utilisant volontiers des proverbes pour marquer les esprits, comme « Pünktlich ist schon spät » (« à l’heure, c’est déjà tard »).« Pour aller en Allemagne, il faut comprendre la mentalité : ce sont des bosseurs et ils misent beaucoup sur la motivation des jeunes, le sérieux du travail », souligne Mme Rahmani. Selon elle, les Tunisiens s’intègrent très facilement : « Parce qu’on a eu la colonisation française, les jeunes sont habitués aux langues étrangères. On est aussi très ouvert aux autres cultures à travers le tourisme et le mélange culturel tout au long de notre histoire. »
    Les étudiants de Yeft sont souvent très qualifiés, dans un pays où la formation initiale est réputée et où le chômage des jeunes diplômés atteint des sommets : environ 30 %.L’ingénieure hydraulique Nermine Madssia, 25 ans, a opté pour l’Allemagne – comme sa sœur, future infirmière –, délaissant des offres en France, « où il y a du racisme » antimusulman, selon cette jeune fille qui porte le voile. Elle pense y trouver « du respect et de la considération, avec un bon salaire », contrairement à la Tunisie, où la rémunération moyenne plafonne à 1 000 dinars (environ 300 euros) et où même un ingénieur informaticien – métier très prisé – touche à peine deux fois ce montant en début de carrière.
    La Tunisie traverse de graves difficultés économiques, avec une croissance poussive (moins de 3 %) et une dette publique énorme, creusée par le Covid-19 puis la guerre en Ukraine. Le tout doublé d’une crise politique depuis que le président Kaïs Saïed s’est emparé de tous les pouvoirs en juillet 2021. Résultat : un jeune sur deux veut partir, que ce soit légalement (plus de 40 000 ingénieurs ont émigré ces cinq dernières années, plus de 3 300 médecins…) ou illégalement, avec 16 000 Tunisiens arrivés clandestinement en Italie depuis début 2022.Elyes Jelassi, 28 ans, boucle sa valise en prenant soin d’y insérer de l’huile d’olive et des épices, « un bout de Tunisie », avant de s’envoler pour l’Allemagne. Sous les yeux de sa famille, rassemblée dans leur ville de Korba, cet infirmier assure qu’initialement, « il ne pensait pas quitter le pays ». « Après trois ans d’études et stages dans plusieurs hôpitaux, j’ai décidé de ne pas faire carrière en Tunisie. A l’étranger, ce sera mieux », dit-il à l’AFP. Recruté à distance, M. Jelassi a décroché un contrat de travail en Allemagne dans une clinique de Wiesbaden (ouest), qui le logera gratuitement les six premiers mois. Outre l’argument salarial, il est convaincu d’y trouver des conditions plus propices qu’en Tunisie, où « les hôpitaux souffrent d’un manque de matériel, ce qui provoque des conflits avec les citoyens et rend le travail stressant ». Mais il n’imagine pas « rester à vie » dans ce pays et aimerait « revenir en Tunisie à l’âge de 50 ans ».

    #Covid-19#migrant#migration#allemagne#tunisie#politiquemigratoire#postcovid#economie#penuriemaindoeuvre#sante#migrationqualifiee

  • Les infirmières françaises découvrent l’eldorado québecois
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/02/15/les-infirmieres-francaises-decouvrent-l-eldorado-au-quebec_6113762_3234.html

    Les infirmières françaises découvrent l’eldorado québecois
    Pour faire face à la pénurie de personnel soignant au Québec, le ministère de la santé provincial a lancé une mission visant à recruter 3 500 infirmiers étrangers en 2022. Une occasion à saisir pour nombre d’infirmières en mal de reconnaissance dans l’Hexagone.
    Kenza Hadjiat, 24 ans, est arrivée à Montréal le 25 janvier, dûment équipée : double legging, double doudoune et chaussures fourrées. Car du Québec, où elle pose pour la première fois les pieds, tout juste sortie du cocon familial, cette jeune femme originaire de Seine-Saint-Denis ne sait que deux choses : il y fait froid l’hiver (– 30 °C à la sortie de l’aéroport), et la province lui ouvre grand les bras pour y exercer sa profession, infirmière.
    Diplômée de l’Ecole nationale d’infirmières française depuis juillet 2020 – « Je suis une diplômée Covid », dit-elle avec humour –, Kenza n’a qu’une courte expérience en clinique et en crèche, mais le goût de l’aventure l’a poussée à traverser l’Atlantique. « Il paraît qu’ici les infirmières sont plus autonomes dans leur travail », croit-elle savoir, avant même de débarquer à l’hôpital Jean-Talon, dans le centre-ville de Montréal, où va se dérouler son stage d’intégration. Il durera soixante-quinze jours, durée indispensable pour obtenir la reconnaissance définitive de son diplôme et être titularisée.
    Lire aussi Article réservé à nos abonnés Dans les hôpitaux, un « cercle vicieux de la désaffection » après la sortie de crise sanitaire
    La pénurie de personnel soignant est une réalité de longue date au Québec. Avant la pandémie de Covid-19, en avril 2019, le gouvernement estimait déjà qu’il lui faudrait recruter, sur cinq ans, 30 % de l’effectif global des 75 000 infirmières en poste à l’époque. La crise sanitaire a fait exploser le nombre de postes vacants et provoqué la quasi-embolie du système de santé : au plus fort de la vague Omicron, mi-janvier, il a manqué ponctuellement jusqu’à 20 000 travailleurs de santé dans les hôpitaux, sans possibilité de les remplacer.
    A coups de primes et d’assouplissements de leurs conditions de travail, le gouvernement québécois a tout fait pour convaincre les jeunes retraités et ceux qui avaient changé de voie de reprendre du service pour colmater les brèches. Mais à l’automne 2021, le ministère de la santé est passé à la vitesse supérieure en lançant une mission visant à recruter 3 500 infirmiers étrangers en 2022. Du jamais-vu. Même si, en 2019, un millier d’infirmiers et infirmières françaises avaient déjà fait le grand saut vers la Belle Province.
    Depuis novembre 2021, Florent Verjus, infirmier français installé au Québec depuis 2005, est responsable du tout nouveau Bureau de recrutement international créé par l’un des cinq grands centres hospitaliers de Montréal. Fort de l’expérience acquise en aidant d’abord à titre bénévole de jeunes collègues français débarqués à Montréal, parfois poussés à se reconvertir en vendeur de crêpes ou épicier avant de trouver une place dans un hôpital québécois, Florent Verjus a déjà recruté cent infirmiers en ce début d’année, dont quatre-vingts Français.
    Il ne compte pas s’arrêter là : le recrutement hors Canada devrait représenter la moitié des embauches totales de son groupe hospitalier. « Les infirmiers français ont une très bonne formation, nous sommes preneurs de leur expertise notamment en soins intensifs, au bloc opératoire ou encore dans tout ce qui a trait à la périnatalité », explique-t-il. Quant à ce qui les incite à venir au Québec, « ce sont des salaires plus attractifs, de l’ordre de 20 % à 30 % supérieurs à ce qu’ils sont en France, de meilleures conditions de travail avec près de moitié moins de patients par personnel soignant et, enfin, des opportunités d’évolution de carrière plus faciles ».
    Les annonces de recrutement se font sur les réseaux sociaux, Facebook principalement ; à charge, ensuite, pour Florent Verjus, de guider les postulants à travers le maquis des services d’immigration du Québec et du Canada. Aujourd’hui, la plupart des nouveaux professionnels arrivent avec un permis vacances travail leur donnant le droit de travailler n’importe où pendant deux ans, plus rapide encore à obtenir s’ils ont moins de 35 ans et une promesse d’embauche, avec un permis jeunes professionnels.
    Leslie Mourier, 31 ans, a quitté Saint-Etienne il y a tout juste quatre ans. Diplômée depuis 2012, elle avait travaillé en hôpital et tenté l’expérience en libéral avant d’oser l’aventure québécoise. « Je suis partie de l’hôpital français car j’étais à bout de ne pas être écoutée », confie-t-elle, heureuse aujourd’hui d’avoir découvert dans la province canadienne une tout autre relation entre médecins et infirmières. « La hiérarchie médicale existe aussi au Québec, mais, ici, je ne suis pas une simple exécutante, le médecin prend en considération mon jugement et mon expertise. » La prérogative d’ausculter les patients, réservée aux médecins en France, fait partie des nouvelles pratiques professionnelles qu’elle a acquises et dont elle se réjouit. Comme le fait de voir toutes ses heures supplémentaires payées.
    Mais être plongée dans un système étranger suppose aussi de surmonter quelques chocs culturels. Au-delà d’un jargon professionnel différent à acquérir – Leslie se souvient des yeux ronds de ses collègues lorsqu’elle a réclamé « le poteau » pour dire « pied à perfusion » −, de la découverte de métiers infirmiers inconnus en France, tel que les inhalothérapeutes (infirmier anesthésiste), c’est surtout l’énorme travail de paperasserie auquel les infirmières sont ici confrontées qui l’a surprise. « Pour chaque patient, il revient à l’infirmière de remplir un dossier complet, avec une évaluation de la tête au pied, respiratoire, neurologique, cardiaque, quelle que soit la raison pour laquelle il arrive à l’hôpital. Ce qui me prenait cinq minutes en France, m’en prend quinze ici. »Le sous-équipement en informatique dans les hôpitaux rend ces charges administratives particulièrement lourdes, et explique en partie que nombre d’infirmières québécoises aient jeté l’éponge et quitté le métier ces dernières années. Leslie Mourier, arrivée comme infirmière urgentiste, a été nommée chef de service dans un hôpital montréalais en décembre 2021. « Une telle évolution de carrière, sans être obligée de passer par l’Ecole des cadres infirmiers, est inimaginable en France », affirme-t-elle dans un mélange d’accent stéphanois et québécois qui dit à lui seul sa parfaite intégration.

    #Covid-19#migrant#migration#france#canada#quebec#personnelmedical#infirmier#penurie#migrationqualifiee#sante

  • Nurses bear brunt of Philippines Covid shambles - Asia Times
    https://asiatimes.com/2021/09/nurses-bear-brunt-of-philippines-covid-shambles

    Nurses bear brunt of Philippines Covid shambles
    Understaffed, underpaid and overworked to the point of exhaustion, staff battle on to care for virus victims. Exhausted nurses in the Philippines are struggling to care for patients as colleagues contract Covid-19 or quit a profession that was dangerously understaffed even before the pandemic.
    The country is enduring a record rise in infections, fuelled by the Delta variant, with the health department reporting a nursing shortfall of more than 100,000 – forcing those left to work long hours for little pay on often precarious short-term contracts.“They are tired and burned out,” nursing director Lourdes Banaga, at a private hospital south of Manila, said.
    “At the start of the pandemic we had almost 200 nurses. By September that will reduce to 63.”Official figures show 75,000 nurses are working in public and private Philippine hospitals but roughly 109,000 more are needed.
    The pandemic has exacerbated a lack of nurses, said Maristela Abenojar, president of Filipino Nurses United – a situation she describes as “ironic” in one of the world’s biggest exporters of healthcare workers. Chronic understaffing is down to inadequate salaries, she said.An entry-level nurse in a public hospital can earn 33,575 pesos ($670) per month, official data show.But Abenojar said most were on short-term contracts, earning 22,000 pesos with no benefits such as hazard pay. Those in the private sector were making as little as 8,000 pesos.And many have had enough. About 40 percent of private hospital nurses have resigned since the start of the pandemic, according to the Private Hospitals Association of the Philippines.
    More than 5,000 nurses have been given the green light to go abroad this year after a Covid-19 ban was replaced with a cap to ensure enough nurses were available in the Philippines.
    It hasn’t worked.“We can’t get additional nurses, we can’t compel them to apply,” said Jose Rene de Grano of the private hospitals association.
    ‘We feel exhausted’In recent weeks, health workers have protested over unpaid benefits, including a coronavirus special risk allowance. Abenojar said many were still waiting.President Rodrigo Duterte has asked for patience while the government tries to come up with the money.“We don’t feel cared for,” said Melbert Reyes of the Philippine Nurses Association.
    Many hospitals boosted their bed capacity after a virus surge earlier this year threatened to overwhelm them.Official data show coronavirus ward and ICU bed occupancy rates at more than 70 percent nationwide as daily cases often exceed 20,000, fuelled by the hyper-contagious Delta variant.A public hospital in Binan city, near Manila, turned a car park into a ward. “Many of our nurses are sick and in quarantine,” medical director Melbril Alonte said.
    “We feel exhausted… but we always keep in mind that we have to help our people because… no one else will.”But due to the nursing shortfall, some facilities such as the Lipa Medix Medical Center have had to slash their bed capacity and extend nurses’ shifts.Nurse Trixia Bautista said she works up to 15 hours per shift looking after mostly severe Covid-19 patients at a public referral hospital in the capital.At times, she has cared for as many as 30 patients on her own after nurses on her ward quit or got sick.
    But there are plenty of qualified nurses in the Philippines, said Abenojar of Filipino Nurses United.She estimated 200,000 to 250,000 were not working in the sector.Many healthcare workers enter the profession to try to secure better-paid jobs abroad, but the shortage is not due to overseas migration.
    “It’s because nurses have left the profession,” said Yasmin Ortiga, assistant professor of sociology at Singapore Management University, pointing to the dearth of stable jobs and dismal wages. A proliferation of nursing programs led to an oversupply, with many unable to get a permanent position in a local hospital – necessary to work abroad – and subsequently a drop in enrolments. Ortiga said: “People realised that if I am unable to leave the country it’s really not worth being a nurse at home.”

    #Covid-19#migrant#migration#sante#philippines#infirmière#personnelmedical#emigration#migrationqualifiee#care

  • « Au-delà de 2021, la pandémie continuera de bouleverser les flux migratoires »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/17/au-dela-de-2021-la-pandemie-continuera-de-bouleverser-les-flux-migratoires_6

    « Chronique. Lorsque les frontières se ferment, lorsque les avions restent au sol et les bateaux à quai, lorsque les économies sont mises à l’arrêt et lorsque les administrations qui délivrent des titres de séjour baissent le rideau, il devient très difficile de se déplacer. Historique, la chute des flux migratoires pendant la première année de pandémie de Covid-19 l’a donc été aussi, au même titre que la hausse de la mortalité, la baisse de la natalité et le plongeon des indicateurs économiques.« Une rupture formidable », constate le professeur François Héran, titulaire de la chaire « Migrations et sociétés » au Collège de France. Ce monde en mouvement du XXIe siècle, dont la dynamique migratoire augmentait depuis dix ans, s’est subitement figé, passé le premier moment d’un exode inédit, celui de millions de gens rentrant chez eux en catastrophe.
    En 2020, l’immigration vers les pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), qui regroupe les économies avancées, a été divisée par deux par rapport à 2019 : Jean-Christophe Dumont, qui dirige la division des migrations internationales à l’OCDE, évoque, lui, un « choc historique, avec des variations importantes selon les pays ».Ainsi aux Etats-Unis, qui ont cumulé l’effet Covid-19 avec l’effet Trump, l’impact a été très fort : toutes les filières d’immigration ont été mises à l’arrêt, à l’exception de celle, vitale, des travailleurs saisonniers agricoles. Le Japon et la Corée du Sud ont tout fermé. Pays construits sur l’immigration, le Canada et l’Australie ont accusé des chutes des entrées respectivement de 45 % et de 70 %. Pour compenser cet impact négatif sur son économie, Ottawa a lancé un programme de recrutement d’immigrés de 400 000 personnes en 2021, puis du même ordre de grandeur – sans précédent – en 2022 et en 2023.Les chiffres sont plus nuancés mais tout aussi remarquables dans les pays européens : en France, l’immigration économique a chuté de 30 % , le nombre d’étudiants étrangers de 20 %, l’attribution de visas touristiques de 80 %, les demandes d’asile de 40 %.
    Hors OCDE, les pays du Golfe, qui comptent quelque cinq millions d’immigrés originaires d’Asie, ont subi, eux, le double impact de la pandémie et de la baisse des prix du pétrole en raison du ralentissement de l’activité mondiale ; les entrées en Arabie saoudite ont été divisées par dix. Le phénomène se répercute inévitablement sur les pays où de nombreuses familles vivent des revenus envoyés par les émigrés : la Banque asiatique de développement (ADB) prévoyait pour 2020 une baisse de 11 % à 20 % des transferts financiers de ces travailleurs vers leur pays d’origine. Quant aux réfugiés, leur circulation a aussi été entravée.
    Que nous dit ce bouleversement migratoire ? Premier constat dont la pandémie a imposé l’évidence : dans les pays riches, observe Jean-Christophe Dumont, « des secteurs entiers ne peuvent fonctionner sans la main-d’œuvre immigrée ». Pour reprendre des termes du vocabulaire covidien, les « premiers de corvée » sont souvent immigrés, et les immigrés sont souvent « essentiels ».Cela va des récoltes agricoles, pour lesquelles il a fallu affréter, en dépit des restrictions, des charters d’étrangers, vers l’Australie, l’Allemagne ou la Corse, jusqu’au secteur hospitalier, dont un quart du personnel, dans l’OCDE, vient d’ailleurs. Particulièrement dépendant à cet égard, le Royaume-Uni (qui a cumulé l’effet Covid-19 et l’effet Brexit) a prolongé les visas dans le secteur de la santé jusqu’à fin 2021. « Il faut des gens pour manipuler les corps et la matière », relève François Héran, qui note que cette division décrite dans les années 1930 par le sociologue Maurice Halbwachs entre le monde ouvrier qui touche la matière et le monde intellectuel qui ne la touche pas est toujours valable.
    Pour les experts, au-delà de la crise sanitaire, la crise économique liée à la pandémie aura, après 2021, des effets durables sur les flux migratoires, comme la crise de 2007-2008 en avait eu sur les migrations intra-européennes.Une autre leçon de la pandémie à surveiller de près, à cet égard, concerne l’immigration hautement qualifiée. La demande de cette catégorie d’immigrés était très importante avant le Covid-19, souligne François Héran, et le niveau d’éducation des migrants progresse. Or ce monde intellectuel qui n’a pas besoin de « toucher la matière » peut travailler à distance : on le savait, mais la pandémie a montré à quelle échelle ce système pouvait être étendu et généralisé.Cette évolution aura inévitablement des conséquences sur la mobilité de la population hautement qualifiée. Etudiants, ingénieurs, chercheurs, professionnels de la santé de haut niveau… les pays riches se livrent une concurrence féroce sur ces cerveaux.Et l’impact de la pandémie sur la mobilité, avec le travail à distance, peut profondément changer les conditions de recrutement, de même que l’organisation physique de l’enseignement supérieur.Jean-Christophe Dumont songe déjà à toutes les questions qu’ouvre cette perspective : faut-il prévoir des titres de séjour pour le télétravail ? Quel sera le statut fiscal des immigrés hautement qualifiés, mais à distance ? On peut aussi imaginer les bénéfices politiques du ralentissement de la fuite des cerveaux, dans les pays où l’absence d’une société civile éduquée ne permet pas de contrer les dérives autoritaires. La généralisation de la vaccination pèsera évidemment sur la reprise des migrations. Mais une tendance, déjà à l’œuvre dans le monde d’avant, se confirme clairement : alors que le « baby-bust », sous l’effet de la baisse des naissances, semble se substituer au baby-boom, un moment espéré, l’immigration sera plus que jamais essentielle aux populations vieillissantes des pays riches.

    #Covid-19#migrant#migration#sante#fluxmigratoire#migrationqualifie#etudiant#travailleuressentiel#mobilite#vaccination#fecondite#concurrence

  • « La France pourrait aller chercher au Sahel le personnel médical dont elle a besoin »
    https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/11/13/la-france-pourrait-aller-chercher-au-sahel-le-personnel-medical-dont-elle-a-

    En ces temps de Covid-19, l’hôpital est sous tension. On se focalise beaucoup sur les budgets trop serrés et on oublie trop souvent que le personnel aussi fait défaut pour pouvoir augmenter le nombre de lits. Et pas de manière seulement conjoncturelle, même si son manque est plus criant aujourd’hui qu’hier. Avant l’épidémie déjà, il manquait plus de 1 000 infirmières et aides-soignantes en Ile-de-France. Chaque année, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (APHP) ferme des lits pour cette raison.
    Et pourtant, des infirmiers et infirmières formées pourraient les suppléer si on regardait vers le sud. Vers des pays d’Afrique subsaharienne, comme le Burkina Faso – que Res Publica, l’association que j’ai fondée il y a vingt ans, connaît très bien –, où plusieurs milliers de diplômés d’Etat attendent un emploi. Ils et elles ont réussi leur examen, à l’issue d’une formation suffisamment solide pour être capables d’ausculter, de faire un diagnostic et même d’établir l’ordonnance de patients qui ne verront jamais de médecin dans ce pays où ils font cruellement défaut. Ces jeunes professionnels attendent que l’Etat les recrute car, faute de couverture sociale, il n’existe évidemment pas de secteur libéral.Alors si d’un côté on manque de professionnels formés et si de l’autre ils sont trop nombreux pour avoir un travail, pourquoi ne pas accueillir ces renforts dans nos hôpitaux, après une formation complémentaire qui pourrait être mise en œuvre dans les nombreux dispensaires burkinabés ? Pourquoi ne pas accepter l’idée que nos infirmières sont au Sud ? D’ailleurs, ce questionnement pourrait être plus large, le confinement ayant montré que la main-d’œuvre ne manque pas seulement au sein du système médical. Au printemps, alors que 4 millions de personnes étaient au chômage et près de 8 millions au chômage technique en France, les agriculteurs n’ont pas trouvé suffisamment de monde pour ramasser toutes les fraises. Et plus récemment, début octobre, il a fallu organiser un pont aérien entre la Corse et le Maroc pour que la clémentine de Corse puisse être récoltée.
    On peut le regretter, mais c’est une réalité. Avec l’ouverture du marché du travail européen, la France, l’Allemagne et l’Italie ont pu compter sur la main-d’œuvre polonaise ou roumaine. Mais pour les mêmes raisons démographiques que dans le reste de l’Europe, cette main-d’œuvre n’est pas intarissable. Depuis une dizaine d’années, les entreprises technologiques de l’Union européenne (UE) se disputent les ingénieurs et informaticiens. L’Allemagne s’en sort pour l’heure en attirant les jeunes des pays méditerranéens : Portugal, Espagne, Italie, Grèce… Mais c’est plus au sud qu’est le véritable vivier.........

    #Covid-19#migration#migrant#afrique#france#europe#sahel#migrationchoisie#sante#personnelmedical#migrationqualifie#economie#demographie

  • En Espagne, le manque de médecins complique la lutte contre le Covid-19
    https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/28/en-espagne-le-manque-de-medecins-complique-la-lutte-contre-le-covid-19_60539

    Alors que Madrid est redevenu l’épicentre de la pandémie de Covid-19 en Europe − avec 25 % des capacités hospitalières de la capitale occupées par des malades et 40 % des soins intensifs de la région −, les soignants font tragiquement défaut en Espagne. Partout devant les portes des centres de santé, là où les médecins de famille et infirmiers reçoivent leurs patients, de longues files d’attente débordent sur les trottoirs. A l’intérieur, où, pour respecter le protocole, l’accès aux salles d’attente est limité à deux ou trois patients à la fois, le téléphone ne cesse de sonner. Pour obtenir un rendez-vous, il faut parfois insister pendant trois jours. Les malades non atteints par le Covid-19, dont le cas n’est pas considéré comme urgent, sont priés d’attendre des jours voire des semaines avant d’être pris en charge. Ils le sont la plupart du temps par téléphone, tout comme les patients atteints par le Covid-19, qui sont testés ici et suivis ensuite à distance. Epuisés et démoralisés, en sous-effectif et en colère, les médecins de famille de la région de Madrid ont finalement obtenu, dimanche 27 septembre, d’être déchargés des « activités non cliniques en lien avec le Covid-19 », telles que la communication des résultats des tests et le traçage des malades et de leur famille. Ils avaient menacé d’entamer une grève indéfinie lundi… En revanche, ils réclament toujours 750 nouveaux médecins de famille et 250 pédiatres de manière urgente dans la capitale, de façon à renforcer les effectifs, minés par des années de coupes budgétaires durant la dernière crise, et à remplacer tous ceux qui se trouvent en arrêt maladie de longue durée. Ils sont environ 350, selon les syndicats, les uns convalescents du Covid-19 − qui a frappé plus de 20 % de la profession −, les autres effondrés psychologiquement. Depuis des jours, cependant, la réponse de la présidente de la région, Isabel Diaz Ayuso (Parti populaire, droite), sonne comme un aveu d’impuissance : « L’Espagne manque de médecins et d’infirmiers, nous ne pouvons pas le nier », a-t-elle encore déclaré lundi 21 septembre. Pour faire face à cette pénurie, la région a demandé au ministère de la santé, jeudi 24 septembre, l’autorisation d’embaucher exceptionnellement trois cents médecins non européens bien que leur diplôme n’ait pas encore été homologué. L’Andalousie a fait de même le lendemain.
    Mais, pour les professionnels, une telle réponse ne fait qu’entériner un système défaillant qui écarte tous les ans des milliers de professionnels précarisés vers le chômage, vers d’autres régions d’Espagne ou d’autres pays d’Europe, qui offrent de meilleures conditions de travail et souvent des salaires plus élevés. Sur Twitter, les témoignages de soignants se sont multipliés sous le hashtag #porquénohaysanitarios (« pourquoi il n’y a pas de soignants ») : les contrats de vingt-quatre heures enchaînés pendant trois ans, les internes payés 700 euros par mois, les intérims qui durent quinze ans, avec licenciement avant chaque période de vacances…

    #Covid-19#migrant#migration#espagne#sante#personnelmedical#medecin#immigration#émigration#migrationqualifiée#diplome

  • L’enseignement supérieur bascule dans le monde post-Covid
    https://www.lemonde.fr/campus/article/2020/08/14/l-enseignement-superieur-bascule-dans-le-monde-post-covid_6048926_4401467.ht

    e Covid-19 a ébranlé les modèles de financement du secteur. A l’étranger, les universités anglo-saxonnes, très dépendantes des frais de scolarité payés par les étudiants, enregistrent des chutes d’inscriptions d’étudiants étrangers, mettant en péril leur viabilité économique. Aux Etats-Unis, avec l’annonce du basculement des cours en ligne pour l’année à venir, de plus en plus d’étudiants décident de reporter leurs études, refusant de payer des frais de scolarité astronomiques pour une expérience « dégradée ».
    Les universités françaises, financées essentiellement par l’argent public, semblent en partie préservées, même si la baisse du nombre d’étudiants étrangers, qui constituent jusqu’à la moitié des inscrits en master ou en doctorat, pourrait déstabiliser certains établissements. Dans l’Hexagone, c’est surtout l’enseignement supérieur privé, qui fonctionne essentiellement grâce aux frais de scolarité, qui est percuté de plein fouet. « Ces écoles sont en état d’alerte maximale », confirme Anne-Lucie Wack, présidente de la Conférence des grandes écoles. Dès la rentrée, et à moyen terme, les écoles privées anticipent une baisse du nombre d’étudiants étrangers, retenus par les fermetures de frontières ou par une frilosité générale à l’égard des déplacements. Elles craignent aussi une baisse du nombre d’étudiants tout court – des jeunes qui, en ces temps de crise économique, pourraient privilégier des études moins onéreuses à l’université, ou qui seraient réticents à l’idée de souscrire des prêts bancaires. Ces établissements redoutent notamment une diminution de leur nombre d’élèves en alternance (18 % des diplômés des grandes écoles), un système pourvoyeur de revenus pour de nombreuses écoles privées.

    #Covid-19#migrant#migration#etudiant#sante#université#migrationqualifiee#frontiere#economie#enseignementsuperieur