L’alcool, cause majeure mais sous-estimée de la violence ordinaire | Luc Bronner
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Sur plus de huit cents dossiers de #violences volontaires étudiés dans le ressort du tribunal [de Béziers], il apparaît que, dans les trois quarts des cas, les auteurs avaient consommé de l’#alcool, des stupéfiants ou les deux. « La place de l’alcool et des stupéfiants dans ces violences est inversement proportionnelle à celle qu’elle occupe dans les débats publics, insiste le procureur. En matière de #délinquance, on ne regarde que les conséquences, on s’intéresse peu aux causes profondes. »
L’OPA intellectuelle et politique réalisée par la droite et l’extrême droite sur les sujets de sécurité en France depuis deux décennies a popularisé l’idée que le pays était soumis à un niveau inédit de violences provoquées, pêle-mêle, par les jeunes, les jeux vidéo, le cannabis, l’immigration, l’islam radical, etc. Après une série de faits divers, en mai 2023, le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, avait lui-même repris l’idée d’un processus de « décivilisation » pour expliquer la montée des délits et des crimes en France. Or, une des constantes de ces violences réside plutôt dans un des piliers, de fait, de notre « civilisation » : les addictions et leurs conséquences (en particulier pour l’alcool), banalisées au point d’en être devenues presque invisibles alors que cette circonstance aggravante remplit les cellules de garde à vue, les tribunaux puis les prisons, que ce soit à Béziers, autoproclamée « capitale mondiale du #vin », une des villes où l’extrême droite a triomphé au premier tour des législatives (68 %), ou dans le reste du territoire.
Les premiers à en témoigner sont ceux qui prennent des coups. Selon une enquête de victimation publiée fin 2023 par le ministère de l’intérieur, 27 % des personnes #victimes de violences physiques estimaient que leurs agresseurs étaient sous l’emprise d’alcool ou de drogue. Dans son programme de travail, la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (#Mildeca) a retenu le chiffre de 30 % à 40 % des cas de condamnations pour violences dans lesquels l’alcool serait impliqué. « On est certain que c’est un cofacteur très important des violences du quotidien », relève Nicolas Prisse, président de la Mildeca.
Le tableau est particulièrement sombre pour les violences intrafamiliales. Au centre de formation à la police judiciaire de la gendarmerie, à Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), l’adjudante-cheffe Sophie Merle fait parler la vingtaine de gendarmes appelés à devenir des référents dans ce domaine. C’est sur l’alcool qu’ils s’arrêtent le plus longuement pour témoigner de leur expérience. « A un moment, pour les interventions de nuit, on s’est dit qu’on allait noter chaque fois que l’alcool était impliqué. Finalement, c’est l’inverse, on relève plutôt quand il n’y a pas d’addictions tellement c’est rare », pointe une officière en poste dans l’Oise. « La nuit, c’est présent dans 90 % de nos interventions », souligne la militaire. « Ça désinhibe complètement », ajoute un gendarme. « C’est massif, parce que c’est un produit en vente libre et pas cher », complète l’adjudante-cheffe.
Les scientifiques constatent, dépités, le peu d’échos des discours sur la #prévention. « Les responsables politiques ne s’attaquent pas à ce sujet. Ils savent très bien que le coût social des #addictions est élevé. Mais ils font le calcul que le coût électoral l’est aussi », relève Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS. « Bien qu’il représente le #psychotrope le plus fortement associé aux violences, on attend toujours une opération “place nette XXL” pour l’alcool dans l’un des pays les plus consommateurs du monde, ajoute le professeur en psychologie sociale, Laurent Bègue-Shankland. Le coût astronomique de l’alcool pour la société française devrait réveiller le monde politique et pousser à une cure collective de désintoxication. » Un coût social et sanitaire annuel évalué par l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) à 102 milliards d’euros pour l’alcool, contre un peu moins de 8 milliards pour les #drogues illégales. Une différence due à l’impact sanitaire de l’alcool avec plus de 40 000 morts de maladie par an.