De nombreux éléments montrent en effet que la direction du ministère de la culture pouvait difficilement ignorer le profil problématique de ce haut fonctionnaire. La plupart des femmes au sein de son service étaient averties dès leur embauche qu’il fallait s’en méfier. « Tout le monde le surnommait “le photographe” et toutes les femmes avaient pour consigne de se mettre en pantalon lorsqu’elles avaient des réunions en sa présence », témoigne Sandra*, une ancienne salariée du ministère. Un témoignage largement confirmé en interne.
Le ministère de la culture n’a rien mis en place pour arrêter les agissements de Christian N. alors qu’il en avait connaissance.
Des victimes devant le tribunal administratif
« Lors d’une réunion en 2009 ou 2010, il jouait avec son téléphone sur ses genoux. C’est là que j’ai vu que l’appareil était en mode photo. En face de lui était assise une femme en jupe. À partir de cet épisode, tout le service le surnommait “le photographe” », racontait Thierry à Libération. Contacté de nouveau par Mediapart, cet ancien salarié du ministère ne retire pas un mot. Christian N. enchaînait les entretiens avec des jeunes femmes et partait régulièrement à l’extérieur avec elles sans le cacher à sa hiérarchie. « Comment comprendre que ses supérieurs l’aient laissé faire ? Si je partais une heure chaque jour avec une jeune fille, on me demanderait rapidement des explications », lâche un salarié du ministère.
Des alertes restées lettre morte
En 2016, Marie, une autre victime, avait fait parvenir deux courriers aux ministres de la culture d’alors, Fleur Pellerin, puis Audrey Azoulay, signalant les agissements de Christian N. Sans jamais obtenir de réponse. Plus troublant encore, une autre salariée du ministère assurait avoir alerté la médecine du travail la même année lorsque l’une de ses proches avait passé un entretien. Elle dénonçait le « comportement déplacé » de Christian N. et révélait qu’il lui avait « proposé d’uriner sur la voie publique ». Aucune suite n’avait pourtant été donnée.
© Document Mediapart
Interrogé après les révélations de ce scandale en 2019, Franck Riester, alors ministre de la culture, temporisait pourtant et s’en remettait à la justice pénale, sans jamais vouloir interroger la responsabilité de ses propres services. « Quand j’ai appris la nouvelle, j’étais évidemment atterré, c’est absolument scandaleux. La justice va prendre les décisions qui s’imposent », déclarait-il sur Europe 1. Lors d’un discours prononcé en interne une semaine après, il se félicitait même : « Les faits ont pu être signalés à la fois parce qu’une prise de conscience s’est produite dans la société, et parce que le ministère s’est résolument engagé à mieux accompagner les victimes. »
Pourtant, aucune enquête interne n’a été diligentée depuis. Aucune des nombreuses victimes et aucun des salariés du ministère disant avoir dénoncé à de nombreuses reprises le comportement de Christian N. n’ont été auditionné·es. En clair, aucune instance administrative n’a tenté de savoir si cet agent a pu être couvert. « Je n’ai jamais entendu parler d’une enquête interne et je n’ai jamais été sollicitée, confirme une représentante du personnel du ministère. Et c’est aberrant ! On a plus de 200 victimes sur dix ans, de nombreuses alertes et pas d’enquête pour savoir qui savait et qui n’a rien fait ? »
Sollicité par Mediapart, le ministère de la culture n’explique pas pourquoi aucune investigation poussée n’a été menée. « En décembre 2019, une mission d’audit et de conseil a été confiée à l’Inspection générale des affaires culturelles portant sur les procédures de prévention, d’identification et de traitement des situations liées aux agissements sexistes et aux violences sexuelles », se contente-t-il de répondre.
Le rapporteur public reconnaît seulement le préjudice moral
Si quatre ans après l’enquête pénale patine, ce n’est pas le cas pour la procédure engagée devant le tribunal administratif. Dénonçant l’attitude du ministère de la culture, sept victimes ont formé en 2020 une demande préalable indemnitaire pour réparer le préjudice subi du fait de la faute du ministère. Ce dernier ayant refusé de les dédommager, les victimes, accompagnées par la Fondation des femmes, ont toutes sollicité l’annulation de cette décision auprès du tribunal administratif et demandé des dommages et intérêts avoisinant les 100 000 euros.
Le personnel du tribunal administratif était d’ailleurs un peu déstabilisé ce vendredi, les audiences de l’institution étant d’habitude bien plus confidentielles. La Fondation des femmes a en effet tenu à marquer le coup et à venir en force investir le bâtiment installé dans le IVe arrondissement de Paris. Les cinq avocates (Mes des Ligneris, Chamberland-Poulin, Toloudi, Delrieu et Kurz) et une quinzaine de victimes attendaient avec impatience ce premier rendez-vous judiciaire.
Les sept victimes estiment en effet que « le ministère de la culture n’a rien mis en place pour arrêter les agissements de Christian N. alors qu’il en avait connaissance » et souhaitent que sa faute soit reconnue.