• Instagram : la foire aux vanités

    Deux milliards d’utilisateurs actifs chaque mois, 100 millions de vidéos et photos partagées quotidiennement : lancé à l’automne 2010, au cœur de la Silicon Valley, par Kevin Systrom et Mike Krieger, deux étudiants de l’université de Stanford, le réseau Instagram a connu une ascension fulgurante. Surfant sur le développement de la photographie sur mobile, l’application, initialement conçue pour retoucher (grâce à ses fameux filtres) et partager des clichés, attire rapidement des célébrités et attise la convoitise des géants du numérique. En 2012, Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, qui flaire son potentiel commercial, la rachète pour la somme faramineuse de 1 milliard de dollars. La publicité y fait son apparition deux ans plus tard, favorisant l’explosion du marketing d’influence. Désormais, les marques se tournent vers les personnalités les plus suivies pour promouvoir leurs produits. Les stars aux millions d’abonnés, comme Cristiano Ronaldo ou Kim Kardashian, engrangent des revenus astronomiques, tandis qu’au bas de la hiérarchie, soumis à une concurrence impitoyable, les « nano-influenceurs » se contentent de contrats payés en nature ou d’avantages promotionnels. Transformé en gigantesque centre commercial, le réseau abreuve ses utilisateurs de visions modifiées de la réalité, entre corps jeunes et dénudés, spots touristiques aussitôt pris d’assaut et images esthétisées de nourriture, labellisées « food porn ». Conséquences : les opérations de chirurgie esthétique se multiplient chez les jeunes, enrichissant des praticiens peu scrupuleux, tandis que l’anxiété et la dépression progressent de façon inquiétante chez les adolescents, particulièrement perméables à ces idéaux standardisés.

    https://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/66132_0

    #film #documentaire #film_documentaire
    #réseaux_sociaux #Instagram #drogue #beauté #fanbook #Mark_Zuckerberg #esthétique #marketing_d'influence #influencer #foll-ow #mise_en_scène #fast_fashion #mode #corps #algorithme #nudité #misogynie #standardisation #dysmorphie #santé_mentale #chirurgie_esthétique #décès #food_porn #estime_de_soi #reconnaissance

  • Immigration : Ia politique publique la plus coût-inefficace ?

    Le 24 novembre 2021, au lendemain du naufrage d’une embarcation ayant causé la mort de vingt-sept exilés dans la Manche, le président de la République, tout en disant sa « compassion » pour les victimes, appelait à « un renforcement immédiat des moyens de l’agence Frontex aux frontières extérieures ».

    Alors qu’il dénonçait les « passeurs » qui organisent les traversées vers l’Angleterre, les organisations de droits humains critiquaient au contraire une politique qui, en rendant le périple plus périlleux, favorise le développement des réseaux mafieux. Et, tandis qu’il invoquait la nécessité d’agir dans la « dignité », les associations humanitaires qui viennent en aide aux exilés dans le Calaisis pointaient le démantèlement quasi quotidien, par les forces de l’ordre, des campements où s’abritent ces derniers et la destruction de leurs tentes et de leurs maigres effets.

    De semblables logiques sont à l’œuvre en Méditerranée, autre cimetière marin, dont les victimes sont bien plus nombreuses, et même littéralement innombrables, puisque le total de 23 000 morts comptabilisées par l’Office international des migrations est une sous-estimation d’ampleur inconnue. Bien que Frontex y conduise des opérations visant à « sécuriser les frontières » et « traquer les passeurs », l’Union européenne a largement externalisé le contrôle des entrées sur son territoire.

    Le don par le ministère des Armées français de six navires aux garde-côtes libyens, afin qu’ils puissent intercepter et ramener dans leur pays les réfugiés et les migrants qui tentent de rejoindre l’Europe, donne la mesure de cette politique. On sait en effet que les exilés ainsi reconduits sont emprisonnés, torturés, exploités, à la merci de la violence de l’Etat libyen autant que de groupes armés et de bandes criminelles.

    Une répression qui coûte très cher

    Au-delà des violations des droits humains et des principes humanitaires, la question se pose de l’efficacité de cette répression au regard de son coût. Un cas exemplaire est celui de la frontière entre l’Italie et la France, dans les Alpes, où, depuis six ans, le col de l’Echelle, puis le col de Montgenèvre sont les principaux points de passage entre les deux pays. Chaque année, ce sont en moyenne 3 000 personnes sans titre de séjour qui franchissent la frontière, hommes seuls et familles, en provenance du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et du Moyen Orient et pour lesquels la France n’est souvent qu’une étape vers l’Allemagne, l’Angleterre ou l’Europe du Nord.

    Jusqu’en 2015, le poste de la police aux frontières avait une activité réduite puisque l’espace Schengen permet la circulation libre des personnes. Mais le contrôle aux frontières est rétabli suite aux attentats du 13 novembre à Paris et Saint-Denis. Les effectifs s’accroissent alors avec l’adjonction de deux équipes de nuit. Il y a aujourd’hui une soixantaine d’agents.

    En 2018, à la suite d’une opération hostile aux exilés conduite par le groupe d’extrême droite Génération identitaire et d’une manifestation citoyenne en réaction, un escadron de gendarmes mobiles est ajouté au dispositif, puis un deuxième. Chacun d’eux compte 70 agents.

    Fin 2020, après une attaque au couteau ayant causé la mort de trois personnes à Nice, le président de la République annonce le doublement des forces de l’ordre aux frontières. Dans le Briançonnais, 30 militaires de l’opération Sentinelle sont envoyés.

    Début 2022, ce sont donc 230 agents, auxquels s’ajoutent un état-major sous les ordres d’un colonel et trois gendarmes réservistes, qui sont spécifiquement affectés au contrôle de la frontière.

    En novembre dernier, une commission d’enquête parlementaire présidée par le député LREM Sébastien Nadot avait fourni dans son rapport une évaluation des coûts, pour une année, des forces de l’ordre mobilisées dans le Calaisis pour y gérer la « présence de migrants ». Suivant la même méthode, on peut estimer à 60 millions d’euros, soit 256 000 euros par agent, les dépenses occasionnées par les efforts pour empêcher les exilés de pénétrer sur le territoire français dans le Briançonnais. C’est là une estimation basse, qui ne prend pas en compte certains frais spécifiques au contexte montagneux.
    Une politique inefficace

    Au regard de ce coût élevé, quelle est l’efficacité du dispositif mis en place ? Une manière de la mesurer est de compter les non-admissions, c’est-à-dire les reconduites à la frontière. Il y en a eu 3 594 en 2018, 1 576 en 2019 et 273 au premier semestre 2020. Mais, comme l’explique la préfecture des Hautes-Alpes, ces chiffres indiquent une activité, et non une efficacité, car de nombreux migrants et réfugiés tentent plusieurs fois de franchir la frontière, et sont comptabilisés à chaque arrestation et reconduite.

    Bien plus significatives sont les données recueillies à Oulx, en Italie, où le centre d’hébergement constate que presque toutes les personnes renvoyées tentent à nouveau de passer, quitte à emprunter des voies plus dangereuses, et à Briançon, où le refuge solidaire reçoit la quasi-totalité de celles qui ont réussi à franchir la frontière. Elles étaient 5 202 en 2018, 1 968 en 2019 et 2 280 en 2020. Les chiffres provisoires de 2021 montrent une augmentation des passages liée surtout à une arrivée de familles afghanes.

    Les policiers et les gendarmes en conviennent, non sans amertume : tous les exilés finissent par passer. On ne saurait s’en étonner. Beaucoup ont quitté plusieurs années auparavant leur pays pour échapper à la violence ou à la misère. Les uns ont parcouru le Sahara, vécu l’internement forcé en Libye, affronté au péril de leur vie la Méditerranée. Les autres ont été menacés en Afghanistan, enfermés dans un camp à Lesbos, battus et dépouillés à la frontière de la Croatie. Comment imaginer que le franchissement d’un col, même en hiver, pourrait les arrêter ?

    Le constat est donc le suivant. Malgré un coût considérable – auquel il faudrait ajouter celui, difficilement mesurable, de la souffrance, des blessures, des amputations et des décès causés par les risques pris dans la montagne – la politique visant à interdire à quelques milliers d’exilés l’entrée sur le territoire français a une efficacité proche de zéro. Elle est probablement la plus coût-inefficace des politiques publiques menées par l’Etat français, sans même parler des multiples irrégularités commises, à commencer par le refus fréquent d’enregistrer les demandes d’asile.

    Mais, peut-être l’efficacité n’est-elle pas à évaluer en matière de passages empêchés et de personnes non admises. Ce qui est recherché relève plutôt de la performance face à l’opinion. Il s’agit, pour l’Etat, de mettre en scène le problème de l’immigration irrégulière et de donner le spectacle de son action pour l’endiguer.

    Dans cette perspective, la militarisation de la frontière a bien alors une efficacité : elle est purement politique.

    https://www.alternatives-economiques.fr/didier-fassin/immigration-ia-politique-publique-plus-cout-inefficace/00102098

    #efficacité #migrations #inefficacité #Didier_Fassin #coût #budget #Briançon #frontières #Italie #France #Hautes-Alpes #frontière_sud-alpine #PAF #contrôles_frontaliers #militarisation_des_frontières #gendarmerie_mobile #opération_sentinelle #état-major #performance #spectacle #mise_en_scène

  • De l’usage des #campements dans les #politiques_migratoires

    La litanie des #expulsions de migrants se poursuit, après Paris place de la République fin novembre, les associations alertent sur l’accélération du phénomène à #Calais au cours du mois écoulé. Alors que l’expérience longue pourrait informer de nouvelles pratiques, pourquoi ce recours systématique à l’expulsion perdure-t-il ? Parce que les campements sont un répertoire des politiques migratoires, et non la conséquence d’un trop plein auquel nos capacités d’accueil ne pourraient plus faire face.

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    Lundi 23 novembre 2020, vers 19h, plusieurs centaines de personnes exilées issues du campement de St-Denis n’ayant pu bénéficier de “la #mise_à_l’abri” organisée par la préfecture de Paris la semaine précédente, accompagnées d’associations de soutien, d’avocats, d’élus et de journalistes, déploient 200 tentes sur la #place_de_la_République. Malgré la résistance des exilés et de leurs soutiens, la place sera évacuée le soir même. La police pourchassera jusque tard dans la nuit et en dehors de #Paris celles et ceux qui n’ont plus où aller. La #violence déployée fera l’objet de nombreuses images sur les réseaux sociaux.

    Cette opération est loin d’être inhabituelle, contrairement à ce que laisse penser la médiatisation inédite à laquelle elle a donné lieu et qui s’explique par une conjonction de facteurs : le lieu de la scène (le centre de Paris), le moment (montée des critiques sur les violences policières et adoption d’une loi interdisant de les filmer), les acteurs (des journalistes et des élus violentés et non plus seulement des exilés et leurs soutiens). Depuis le 2 juin 2015 et l’évacuation d’un campement dans Paris (sous le métro la Chapelle), on dénombre soixante-six opérations de ce type dans la capitale et sa petite couronne (une moyenne d’un par mois). Dans le Calaisis, elles relèvent de la routine.

    Les évacuations de campement sont ainsi devenues courantes, relayées par des articles de presse qui se suivent et se ressemblent, préférant souvent à l’analyse un alignement de faits bruts immédiats, peu éloignés des communiqués de la préfecture de police. Que révèle donc la litanie dans laquelle s’inscrit cet énième épisode ? Que cristallise-t-il comme phénomènes ?

    Pour le comprendre, nous proposons de revenir sur la manière dont sont fabriqués ces campements et mises en scène ces évacuations en faisant l’effort d’inverser le regard, de le diriger vers les coulisses que la lumière des projecteurs laisse dans l’ombre.

    La fabrique des campements

    À première vue, le campement apparaît comme le signe d’un #trop_plein, preuve que les étrangers seraient trop nombreux et que nous aurions atteint les limites de nos #capacités_d’accueil, d’un point de vue économique comme social. Les campements sont en réalité davantage fabriqués par les choix de politiques migratoires de l’État, que par une submersion par le nombre.

    Ceux qui survivent dans les campements du Nord de Paris sont majoritairement en demande d’asile, certains attendent une réponse, d’autres de pouvoir simplement déposer une demande, une minorité a été déboutée. Ils sont majoritairement Afghans et Soudanais, mais aussi Ethiopiens et Erythréens et dans une moindre mesure Guinéens et Ivoiriens. Pas de Chinois, de Sri-Lankais, de Maliens… qui sont accueillis – bien ou mal – par des compatriotes installés de longue date. Pas non plus de Syriens – qui sont peu venus en France.

    Les campements sont le résultat de #politiques_publiques qui ont précarisé les demandeurs d’asile au lieu de les laisser doucement s’intégrer au tissu économique et social de notre pays. Car en vertu d’une loi adoptée en 1991, les demandeurs d’asile n’ont pas le droit de travailler. En contrepartie, ils sont censés bénéficier d’un #hébergement, d’une #allocation et de l’#accès_aux_soins. En leur interdisant l’accès au marché de l’emploi, on les assigne à une #dépendance, qui leur est ensuite reprochée. Et qui s’est transformée en #précarité extrême – jusqu’à la rue pour certains – à mesure que les réformes successives ont introduit de nombreuses conditions pour accéder et se maintenir dans le #dispositif_d’aide. Des aides par ailleurs attribuées dans la pratique de manière toujours plus tardive, incomplète et fréquemment suspendues sous divers motifs, ou simplement par erreur.

    Les campements sont également fabriqués par le #choix_politique de sous-dimensionner de manière structurelle le #dispositif_d’hébergement dédié aux demandeurs d’asile. Ce choix, car il s’agit bien d’un choix et non d’une fatalité, est spécifiquement français. On ne trouve en effet aucun campement dans les rues des pays européens comparables à la France. Les seuls pays confrontés à ce phénomène sont ceux qui, situés aux portes de l’Europe, conjuguent arrivées massives et contexte économique dégradé, tels la Grèce, la Bulgarie ou l’Italie.

    Au plus fort des mouvements migratoires vers l’Europe en 2015, la France ne recensait que 79 000 demandeurs d’asile (soit 0,1% de sa population) là où l’Allemagne en comptabilisait un million, mais aucun camp de rue. L’#Allemagne a en effet choisi d’ouvrir des #hébergements, réquisitionner des centaines de gymnases et même un ancien aéroport, plutôt que de laisser les exilés dehors. En France, c’est la théorie de l’#appel_d’air, selon laquelle des conditions favorables risqueraient d’attirer les migrants et des conditions défavorables de les dissuader de venir, qui explique le choix de privilégier une politique basée sur l’#insuffisance_structurelle.

    À la fois issu de dynamiques spontanées (des personnes à la rue qui se regroupent pour passer la nuit) et organisées (des soutiens qui apportent nourritures, tentes et vêtements puis qui exigent des pouvoirs publics l’installation de points d’eau et de WC), les campements apparaissent et s’étendent jusqu’au jour où, jugés trop gros et/ou trop visibles, les autorités décident d’une opération d’évacuation. Ces évacuations laissent cependant toujours dans leur sillage les germes du prochain campement.

    Car si une partie des personnes est effectivement mise à l’abri dans des #hôtels pour entrer dans le #dispositif_national_d’accueil, d’autres sont placées dans des #gymnases avant d’être remises à la rue une ou deux semaines plus tard. Un dernier groupe est systématiquement laissé sur le trottoir sans aucune solution, pas même celle de retourner au campement puisque celui-ci a été détruit pour des raisons sanitaires.

    Un sondage organisé par des associations en 2020 a montré qu’une évacuation laisse en moyenne un quart des personnes sans solution le jour même et que près de la moitié de ceux qui sont mis à l’abri se retrouvent à la rue le mois suivant. Les deux-tiers des personnes évacuées l’auraient ainsi déjà été plusieurs fois.

    Rien d’étonnant donc à ce que les campements succèdent aux opérations de mise à l’abri, et inversement. Cela n’empêche pas la préfecture d’annoncer à chaque évacuation, que cette fois c’est la dernière.

    Une question se pose alors. À la soixante-sixième évacuation, alors que l’expérience longue pourrait informer de nouvelles pratiques, pourquoi rien ne change ?

    Est-ce de l’impuissance ? De l’impréparation ? Et si le campement et l’évacuation constituaient des répertoires de l’#action_publique, plutôt que les manifestations d’un phénomène qui la dépassent ? Ils serviraient alors à cadrer le débat en mettant en scène et en image l’immigration comme un problème, un « trop-plein », justifiant selon la théorie – jamais démontrée – de l’appel d’air, une politique de fermeté.

    Le campement : invisible mais pas trop

    Le campement doit pouvoir servir d’illustration sans cependant prendre trop d’ampleur. D’où une gestion subtile par l’État de la visibilité des campements qui nécessite de naviguer habilement entre la #mise_en_scène du débordement et la maîtrise du #désordre.

    Les campements existent de longue date en France (campements Rroms, campements du Calaisis depuis la fin des années 1990) ainsi que les regroupements informels (à Paris, gare de l’Est au début des années 2000, puis à Austerlitz en 2014) mais ne surgissent dans l’espace médiatique qu’à partir de l’été 2015. Leurs images, relayées par les médias et les réseaux sociaux, entrent en résonance avec les messages, différents selon les publics, que les autorités souhaitent faire passer sur l’immigration.

    Aux citoyens français, on montre l’immigration comme problème en mettant en #spectacle des migrants non seulement trop nombreux mais aussi affamés, sales, malades qui suscitent dès lors un mélange d’#empathie, de #dégoût et de #crainte. La persistance des campements malgré les évacuations fait apparaître l’immigration comme un puits sans fond en donnant l’impression qu’on écume, mais que l’inondation est trop importante.

    Aux migrants, c’est le message du #non-accueil (« il n’y a pas de place pour vous ») qu’on espère faire passer par ces images dans l’objectif de faire fuir ceux qui sont déjà là et décourager ceux qui pourraient vouloir venir.

    Mais les campements ne doivent pas non plus être trop visibles car ils peuvent susciter une #solidarité susceptible de se mettre en travers des politiques migratoires restrictives. Pour peu qu’ils soient au cœur des villes, ils peuvent devenir lieux de rencontre, d’apprentissages, d’engagement et de mobilisation. La quasi-totalité des #collectifs_solidaires est ainsi née dans les campements. Leur recrutement dans les milieux non militants et leur mode de fonctionnement agile et horizontal ont largement renouvelé et même bousculé le champ du soutien aux étrangers.

    Les campements, lieux où personne a priori ne souhaite se retrouver, sont ainsi devenus, dans un renversement, un objectif, un moyen d’obtenir quelque chose pour les exilés et leur soutien. Car, paradoxalement, alors que les évacuations avaient pour objectif affiché de faire disparaître les campements, elles ont abouti à en faire une modalité d’accès à l’hébergement, bien souvent la seule.

    « Faire tenir » un campement est devenu dès lors stratégique pour les personnes exilées et les militants. Il constitue non seulement une solution immédiate bien que précaire mais il permet aussi de rendre visible la situation des exilés et susciter par là une solution plus pérenne. Ce n’est dès lors plus seulement le campement mais aussi sa visibilité qui est devenue une ressource, pour les exilés et leurs soutiens. Et c’est bien en retour la lutte contre cette visibilité qui est devenue un enjeu pour les pouvoirs publics.

    D’où l’ambivalence du traitement étatique à l’égard des campements : les laisser se former tant qu’ils restent de petite taille et peu visibles, les évacuer mais jamais complètement ; les tolérer mais pas n’importe où. Surtout pas au centre, à Paris : depuis 2016, la politique de la préfecture de police de la capitale, appuyée en cela par la Mairie, consiste à repousser les campements à la périphérie puis à l’extérieur de la ville. Les consignes des policiers auprès des personnes exilées sont sans ambiguïté : pour espérer poser sa couverture quelque part, il faut partir en dehors de Paris.

    Le campement revient néanmoins sous les feu des projecteurs au moment de l’évacuation organisée comme un spectacle.

    L’évacuation : le spectacle… et ensuite

    L’évacuation est autant une opération de #maintien_de_l’ordre que de #communication. C’est le moment où l’État met en scène sa #responsabilité et sa #fermeté. Son #humanité aussi. Il doit laisser voir un subtil mélange de deux facettes : non, il n’est pas laxiste en matière d’immigration mais oui, il respecte les valeurs républicaines et humanistes. Il doit aussi faire croire aux habitants du campement, comme aux médias, que tout le monde va être mis à l’abri… tout en ayant prévu un nombre de places insuffisant.

    D’où les deux moments de l’évacuation : celui visible du spectacle sur une scène centrale sous les projecteurs, en présence de nombreux acteurs ; puis quand ces derniers sont partis, la suite en coulisses, où la violence peut se déployer à l’abri des regards.

    Après 66 évacuations parisiennes, il est possible d’identifier un #rituel respecté à la lettre. Les mêmes gestes sont répétés avec précision et minutie, sans presque aucune variation.

    D’abord la date : un vrai-faux mystère est savamment entretenu autour du jour de l’évacuation. Certains acteurs, les structures d’hébergement mais aussi les journalistes, doivent être au courant. D’autres, les associations et les personnes exilées, doivent être tenus dans l’ignorance pour limiter les risques d’installations de dernière minute sur le campement. Les collectifs solidaires seront néanmoins les premiers sur place au petit matin pour distribuer boissons chaudes et informations, tenter de récupérer du matériel et surveiller les comportements des policiers.

    Les opérations proprement dites débutent à 5h du matin par l’encerclement du campement par des policiers lourdement équipés ; le préfet arrive, il ouvre la conférence de presse à laquelle assistent les journalistes, les élus et l’opérateur France Terre d’Asile. Il déclare qu’il convient de lutter contre les « #points_de_fixation » que constituent les campements parce qu’ils sont dangereux « pour les riverains comme pour les migrants », il annonce que suffisamment de places ont été mobilisées pour que tout le monde soit hébergé, que c’est la dernière évacuation et que le campement ne se reformera pas. Les journalistes relaient le nombre de places rendues disponibles et interviewent un exilé et un soutien.

    Les exilés montent dans les bus après avoir été fouillés un par un, pendant que leurs tentes, sacs de couchage et autres affaires sont détruites. Les soutiens profitent de la fenêtre d’attention médiatique pour déployer une banderole destinée à être photographiée et relayée sur les réseaux sociaux.

    Alors que les journalistes et les élus sont partis depuis longtemps, on « s’apercevra » qu’il n’y a pas assez de place. Commence alors la seconde partie de l’évacuation. La mise à l’abri prend un sens différent : il s’agit de mettre à l’abri des regards ceux qui demeurent à la rue. Les policiers laissés seuls face à cette pénurie organisée, ayant ordre de faire disparaître « le campement », piochent alors dans leur répertoire : violence verbale et physique, coups de matraque, coups de pied, gaz lacrymo… pour chasser les personnes vers un ailleurs indéfini. Ce que les exilés et les soutiens encore présents s’efforceront de rendre visible par des photos et films sur les réseaux sociaux.

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    Comme les « faux mineurs isolés » et les « étrangers qui abusent » (des allocations, du système de soin et d’asile), les campements et leur évacuation sont une figure centrale du #récit_médiatique sur le phénomène migratoire. Pourtant, ils n’en représentent qu’une toute petite partie et nous en disent moins sur ce dernier que sur nos choix politiques. Ce récit sert tout autant à raconter une histoire qu’à en taire une autre.

    Les campements et les évacuations racontent l’immigration comme #problème et les étrangers comme trop nombreux et trop coûteux pour pouvoir être bien accueillis. L’horizon des politiques migratoires est dès lors restreint à une seule question : comment réduire le nombre des arrivées et éviter les « appels d’airs » ? Ainsi racontée, l’histoire interdit de prendre le recul nécessaire à une compréhension fine du phénomène migratoire. Elle dirige toutes les ressources vers le #non_accueil, le #contrôle et la #répression et les détourne de l’investissement dans l’accueil, la formation, l’insertion et tous les autres outils permettant aux étrangers de construire leur place dans notre société.

    Ce #récit laisse dans l’ombre l’histoire d’un #État qui condamne à la misère les nouveaux arrivants en les privant du droit de travailler, substitué par un système d’accueil structurellement sous-dimensionné et de moins en moins accessible. Il permet enfin de continuer à ignorer les recherches qui depuis maintenant plus de 30 ans démontrent de manière presque unanime que l’immigration est très loin de constituer un problème, économique, social ou démographique.

    Les campements sont un répertoire des politiques migratoires et non la conséquence d’un #trop_plein. Ils perdurent jusqu’à ce jour car ils sont non seulement le résultat mais aussi une justification des politiques migratoires restrictives. À rebours du campement et des impasses qui nous tiennent aujourd’hui lieu de politique, les recherches et les pratiques de terrain, vivifiées par l’émergence en 2015 d’un mouvement solidaire inédit, inventent des #alternatives et dessinent des perspectives où l’immigration n’est ni un problème ni une solution, mais bien ce qu’on en fait.

    https://aoc.media/analyse/2021/01/05/de-lusage-des-campements-dans-les-politiques-migratoires
    #campement #migrations #asile #réfugiés #Karen_Akoka #Aubépine_Dahan #précarisation #visibilité #in/visibilité #vide #plein #droit_au_travail #travail #SDF #sans-abris #sans-abrisme #destruction #ressources_pédagogiques

    ping @isskein @karine4

  • Petites considérations sociologiques sur le #confinement

    Cette période de confinement liée à l’épidémie du #Covid-19 constitue une #épreuve_sociale inédite, qu’on peut comparer à une expérience de laboratoire in vivo. Le grand historien médiéviste, Marc Bloch, qui avait fait la « grande guerre » et en avait été très marqué, a écrit peu après, en 1921 dans la Revue de synthèse historique, un célèbre article, « Réflexions d’un historien sur les fausses nouvelles de la guerre » (publié aux Éditions Allia en 1999). Il y décrivait la guerre de 14-18 « comme une sorte de vaste #expérience naturelle. On a le droit en effet de considérer comme telle la guerre européenne : une immense expérience de #psychologie_sociale, d’une richesse inouïe. Les conditions nouvelles d’existence, d’un caractère si étrange, avec des particularités si accentuées, où tant d’hommes à l’improviste se sont trouvés jetés, — la force singulière des sentiments qui agitèrent les peuples et les armées — tout ce bouleversement de la vie sociale, et, si l’on ose ainsi parler, ce grossissement de ses traits, comme à travers une lentille puissante, doivent, semble-t-il, permettre à l’observateur de saisir sans trop de peine entre les différents phénomènes les liaisons essentielles ».

    Indépendamment de la déclaration du Président Macron (« nous sommes en guerre… »), il peut être intéressant de tirer ce fil entre situation de #guerre_militaire et celle de confinement. Ce dernier impose de très fortes #privations et #contraintes aux individus qui, dans les sociétés occidentales, n’y sont guère habitués. Les premières questions qui viennent à l’esprit à ce sujet sont les suivantes : le confinement est-il respecté en France ? « Un peu, beaucoup, pas du tout » ? Par qui ? Comment ? Plus en campagne qu’en ville ? plus en centre-ville que dans les « quartiers » ? etc. Faute de données statistiques fiables, le premier réflexe qu’on doit avoir en la matière est celui de la prudence interprétative.

    Avant d’aborder la manière dont on peut procéder par la mobilisation d’une série d’indices, à même de nous guider vers des hypothèses de travail, commençons par un étonnement. Que voici. En fidèle téléspectateur du Journal télévisé (JT) de France 2 (défense du service public oblige…), on remarque que la question du #vécu du confinement dans les #quartiers_populaires y a été fort peu abordée, voire pas du tout. La fuite des Parisiens vers leurs #résidences_secondaires a été un sujet traité, mais la manière dont les jeunes et les familles, parfois nombreuses, vivent leur confinement dans leurs appartements #HLM semble avoir été oubliée. Est-ce un oubli volontaire ? Ou la simple trace médiatique de la moindre importance accordée aux conditions sociales d’existence des #classes_populaires dans le milieu des professionnels de l’information ? On ne saurait laisser de côté l’hypothèse du respect de l’« #union_nationale » requise en cette période de confinement. Celle-ci suppose une mobilisation de l’appareil d’information et l’opération d’un tri dans l’amoncellement des « nouvelles du front ». Priorité est donnée dans le #JT de la #télévision_publique au suivi des opérations dans les hôpitaux, à la découverte du travail de tous les soignants et de leur entier dévouement, à l’écoute des avis des grands professeurs de médecine (« infectiologues »). Bref, une #mise_en_scène télévisuelle de l’« #effort_national » — ce qui, en soi, n’est pas critiquable.
    Sur le versant des effets sociaux de cette #pandémie, les reportages sur les #familles face au confinement (#école_à_la_maison, #télétravail des parents, aménagements divers de cette nouvelle vie…) semblent surtout réservés aux familles de milieu favorisé. Sans doute parce qu’elles laissent entrer plus facilement les caméras à leur domicile. Il ne s’agit pas pour autant de crier tout de suite au complot d’Etat et/ou de dénoncer une chaine de télévision « aux ordres du gouvernement ». Sans doute peut-on penser que le #service_public_télévisé contribue à sa manière à l’union nationale en laissant prudemment dans l’ombre ce qui pourrait l’entacher.

    A géométrie variable

    Une fois examiné la manière dont le thème du confinement est traité à la télévision (publique), donnons un petit coup de projecteur sur la manière dont il est opéré en pratique. Procéder à une petite revue de presse dans les quotidiens régionaux (L’Est républicain, Le Parisien, Le Progrès), permet de recueillir des indices suggestifs, sinon probants, sur le confinement à géométrie variable lors de cette première semaine. Sans surprise, le confinement a mis un peu de temps à se mettre en place et semble respecté de manière inégale.

    Selon les témoignages des directeurs de la #sécurité_publique ou des gendarmes, différents profils de « #déviants » à la #norme apparaissent, comme ici dans la région du Grand est particulièrement touchée. Le lieutenant de gendarmerie François qui coordonne le dispositif dans le sud du Territoire de Belfort fait le diagnostic suivant : « Une grande majorité les respecte… Mais une partie n’a pas compris l’#esprit_du_confinement et une autre n’est pas prête à le comprendre. » Le maire (et infirmier) de la ville ouvrière de Valentigney (proche de l’usine de Sochaux-Peugeot et avec une grande ZUS, les Buis), observe « dans le quartier mais également au centre-ville des comportements dangereux, irresponsables ». La journaliste de L’Est s’est donc rendue dans la cité des #Buis pour aller y voir de plus près et, là, elle a rencontré une dizaine de jeunes près d’une place, plutôt amènes.

    Pris en défaut

    Laissons la relater la scène et la manière dont ces jeunes pris en défaut de groupement non autorisé tentent de se justifier : « Chez nous, on ne tient pas en place », note l’un d’entre eux qui, comme ses potes, se sent à l’abri du virus. « On se lave les mains, on garde nos distances, c’est la base », souligne un deuxième. Un troisième Doubien montre son attestation : « On a le droit de sortir fumer une clope. Surtout que certains n’ont pas le droit de fumer chez eux… Et puis, on s’ennuie ici, il n’y a rien à faire ! Rester un mois enfermé, c’est inimaginable. » Jeudi soir, ils ont même organisé un barbecue : « Quand on a vu les policiers, on a couru pour leur échapper. Et vous savez ce qu’ils ont fait, Madame, ils ont gazé notre viande. C’est du gâchis. » (Est républicain, 21/03/2020). Dans un article du même jour, le directeur général de la compagnie des bus du Pays de Montbéliard livre des informations congruentes : « En cette période de grave #crise_sanitaire, certains jouent aux #malins. On a dû raccourcir une ligne, que nous sous-traitons, parce que des #jeunes montaient chaque jour dans le bus, à la même heure, pour le squatter ! » Enfin, à Bourg-en-Bresse, selon le commissaire de police, « Ce sont plutôt les plus jeunes et les plus anciens qui bravent l’interdiction. Malheureusement, on a verbalisé certains jeunes à tour de bras dans certains quartiers. Des jeunes disent qu’ils s’en fichent et que le coronavirus est une invention pour casser l’économie » (Le Progrès, 22/03/2020).

    Ces témoignages ne suffisent pas à baliser tout le terrain d’enquête. Loin de là. Ils ont pour principal intérêt de mieux faire entrevoir les raisons qui peuvent conduire certaines fractions de la population à ne pas vouloir – et surtout ne pas pouvoir – respecter le strict confinement désormais imposé en France. Le groupe des plus #réfractaires au confinement a de fortes chances de se retrouver dans une population plutôt jeune et masculine, soit en situation de #décrochage_scolaire, soit appartenant à la population « flottante » des quartiers. A lire entre les lignes ces articles de presse, on pressent quelques facteurs clés de leur penchant pour la #transgression de la règle du confinement : bien sûr, en tout premier lieu, « l’#ennui » et le besoin quasi vital de se retrouver « entre potes » mais aussi la difficulté de cohabiter harmonieusement avec leurs parents et de devoir respecter des interdits au domicile familial (l’exemple de « fumer »). Les divers types de #résistance qu’on voit surgir dans les quartiers déshérités de la République méritent examen et ne doivent pas être renvoyés trop facilement du côté de la #faute_morale.

    Sentiment de #marginalité

    Même s’il est incontestable que le non-respect des règles de confinement fait courir collectivement des #risques_sanitaires, il dit quand même beaucoup de choses sur le sentiment de marginalité (#outcast) qu’ont d’eux-mêmes ces individus. On pourrait à ce titre, se risquer à faire l’analogie avec le mouvement des gilets jaunes et la signification sociale des formes de violence (inusitée) qu’il a employées pour se faire entendre des « puissants ».

    La pratique de la lecture est distribuée de manière très inégale selon les groupes sociaux

    A partir de ces premières incursions en terre de confinement, faut-il déplorer comme notre historien national (autoproclamé) Stéphane Bern le fait dans Le Figaro (22/3/2020), « la perte du #sens_civique » dans notre vieille France ? Ne convient-il pas plutôt de rappeler que ce confinement constitue une très forte #contrainte qui est – et sera – vécue de manière très différente selon les #conditions_sociales de nos concitoyens. D’abord les conditions matérielles : on sait bien que ceux qui possèdent un grand logement, un jardin, qui peuvent sortir les enfants à la campagne, etc., souffrent moins du confinement. Ensuite, les #conditions_culturelles : le président Macron a dit à ses concitoyens : « Lisez ! » Mais la pratique de la #lecture est distribuée de manière très inégale selon les groupes sociaux.
    Ce long moment de confinement opère déjà comme un très grand amplificateur des #inégalités spatiales et sociales. C’est peu dire que les semaines qui s’annoncent vont constituer une véritable épreuve pour ceux qui appartiennent à la catégorie des « pauvres », définis aussi bien à partir de leur #capital_économique que de leur #capital_culturel.

    https://www.alternatives-economiques.fr/stephane-beaud/petites-considerations-sociologiques-confinement/00092259
    #sociologie #Stéphane_Beaud #classes_sociales

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    citations pour @davduf :

    Jeudi soir, ils ont même organisé un barbecue : « Quand on a vu les policiers, on a couru pour leur échapper. Et vous savez ce qu’ils ont fait, Madame, ils ont gazé notre viande. C’est du gâchis. » (Est républicain, 21/03/2020).

    Enfin, à Bourg-en-Bresse, selon le commissaire de police, « Ce sont plutôt les plus jeunes et les plus anciens qui bravent l’interdiction. Malheureusement, on a verbalisé certains jeunes à tour de bras dans certains quartiers. Des jeunes disent qu’ils s’en fichent et que le coronavirus est une invention pour casser l’économie » (Le Progrès, 22/03/2020).

  • Chronique d’un dimanche « télévisuel » :

    Européennes : Collard / Cohn-Bendit, le clash qui cache la forêt - Télévision - Télérama.fr
    https://www.telerama.fr/television/europeennes-collard-cohn-bendit,-le-clash-qui-cache-la-foret,n6270103.php

    Une participation “massive”, le RN en majesté, Bernard Tapie en expert européen, Daniel Cohn-Bendit en “grand témoin”… Récit d’une soirée électorale riche en élucubrations — pardon, en émotions.

    « Tremblement de terre », analyse Laurence Ferrari sitôt les résultats des européennes tombés sur CNews. « Tremblement de terre », juge Anne-Sophie Lapix clôturant la soirée électorale de France 2. « C’est un tremblement de terre », renchérit Alain Marschall sur BFMTV… Oups, pardon, je me suis trompé, cette dernière citation date du 6 décembre 2015, jour d’élections régionales. Il faut s’y faire : à chaque scrutin où le FN (puis le RN) arrive en tête, c’est un « tremblement de terre ». Tout avait pourtant bien commencé.

    #télévision #mise_en_scène
    #propagande #fabrique_du_consentement

  • #Violences sur les Champs-Élysées : « On était en mesure d’intervenir, on ne nous a pas autorisés à le faire », dénonce l’Unsa-Police
    https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/violences-sur-les-champs-elysees-on-etait-en-mesure-d-intervenir-on-ne-

    On savait que la manifestation de samedi allait être dure, difficile. Je reprécise que les policiers et les forces de l’ordre perdent toute initiative, c’est-à-dire qu’elles n’agissent que sur #ordre, elles n’interviennent que sur ordre. Donc quand on est en #manifestation, quand devant nous à 50-100 mètres, des casseurs sont en train de tout casser, les policiers se disent « Pourquoi on n’intervient pas ? » Parce qu’ils n’ont pas les ordres d’intervenir, ça il faut que la population le sache. C’est un choix, on a laissé casser un certain nombre de choses, je pense qu’il y a des responsabilités. Il y a beaucoup de collègues qui m’ont appelé, qui m’ont dit ce n’est pas normal ce qui s’est passé. On était en mesure d’intervenir, on ne nous a pas autorisés à le faire. Je mets en cause ceux qui ont décidé que ça se passe comme ça et qui n’ont pas donné les instructions pour que ça se passe autrement.

    #mise_en_scène

    • Le préfet et la hiérarchie n’auraient pas respecté les instructions du ministère de l’Intérieur.

      Fusibles ou occasion pour la maison poulaga et le corps préfectoral, où ça grince un peu quand même, de se couvrir et d’obliger Castaner à reconnaître et assumer seul ses instructions et leurs conséquences ? Parce qu’ils ne se font pas plus d’illusions que nous sur le jusqu’au-boutisme de l’exécutif aujourd’hui.

  • L’envers des friches culturelles | Mediapart
    https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/231218/l-envers-des-friches-culturelles

    Terrains vagues, bâtiments désaffectés, rails à l’abandon… Un peu partout en France, ces espaces qui faisaient auparavant l’objet d’occupations illégales sont convertis en lieux culturels par une poignée d’entrepreneurs ambitieux. Ces sites, souvent éphémères, se présentent comme « engagés » et « créatifs » et participant à la revalorisation de quartiers dépréciés. Mais cette « valorisation » semble avant tout financière. Une enquête parue dans le numéro 11 du Crieur, toujours en librairie.

    • C’est que Ground Control s’inscrit plus largement dans une politique foncière en pleine expansion au sein de la SNCF : l’urbanisme transitoire. « Cette démarche dite d’“urbanisme temporaire” ou transitoire est un levier essentiel de valorisation, avance Fadia Karam, directrice du développement de SNCF Immobilier. Cela permet d’intensifier l’usage de nos sites parfois vides et d’éluder des coûts de gardiennage, d’entretien et de sécurité, en limitant la détérioration et l’obsolescence de notre patrimoine. En dotant nos sites de nouveaux usages, nous développons la valeur de nos actifs. »

      icf-habitat

      La stratégie d’urbanisme transitoire du groupe ferroviaire prend naissance en 2013, quand une galerie de street art propose à ICF Habitat, filiale logement de la SNCF, d’investir provisoirement une de ses tours de logement destinée à la démolition. L’initiative, baptisée Tour Paris 13, est une telle réussite – trente mille visiteurs en un mois – que la SNCF entrevoit rapidement dans ce site culturel éphémère un formidable outil de communication sur la future HLM qui s’érigera en lieu et place de la tour. Et, par ricochet, d’augmentation de l’attractivité de ce quartier résidentiel grâce aux artistes graff les plus célèbres de la scène mondiale venus s’approprier l’immeuble en friche.

      Rapidement surnommée la « cathédrale du street art », la tour a été l’objet d’une grande attention médiatique, à l’image de Télérama, qui ira jusqu’à suivre en direct, avec trois caméras, la destruction du bâtiment en 2014. Trois ans plus tard, le même journal publiait un article élogieux sur le nouvel « immeuble HLM à l’architecture délirante » situé dans l’« eldorado parisien du street art ». Une opération de communication bénéficiant à la fois à l’acteur privé – la galerie Itinerrance – et à la SNCF, qui a pu aisément vendre ses logements flambant neufs à un prix lucratif.

      En 2015, deux ans après Tour Paris 13, l’occupation temporaire du dépôt de train de la Chapelle par Ground Control est appréhendée par SNCF Immobilier comme un projet pilote en vue de mieux formaliser sa démarche d’urbanisme transitoire. Après cette expérience concluante de friche culturelle éphémère, la filiale lance en fin d’année un appel à manifestation d’intérêt afin que seize de ses espaces désaffectés soient reconvertis provisoirement en « sites artistiques temporaires ».

      En réinvestissant une deuxième fois le dépôt de la Chapelle en 2016, puis la Halle Charolais de la gare de Lyon, Denis Legat devient, avec son concept Ground Control, le fer de lance de l’urbanisme transitoire prôné par la société nationale des chemins de fer. Au plus grand bonheur de Marie Jorio, cadre développement au sein de SNCF Immobilier qui, à propos du site de la Chapelle, déclare sans ambages : « Avec Ground Control, nous avons fait exister cette adresse plus rapidement et avons créé de l’attractivité : les opérateurs ont envie d’y aller et d’innover ! »

      Aux yeux de la SNCF, la friche culturelle Ground Control a en effet servi d’outil marketing pour mieux promouvoir l’aménagement urbain qui prévoit la construction de cinq cents logements dans ce coin morne du XVIIIe arrondissement. Quant aux visiteurs, ils ont été les cobayes de la future identité urbaine de ce quartier dévitalisé, Ground Control constituant un showroom hype au service du complexe immobilier en devenir. « L’ADN ferroviaire du site du dépôt Chapelle est ressorti très fortement dans l’appétence et le succès du concept, révèle ainsi SNCF Immobilier. Le projet urbain en cours de définition fera revivre cet ADN et cette identité ferroviaire très forte qui constituent un actif immatériel et un capital fort. »

      Le recours aux occupations temporaires pour accroître la valeur financière d’un projet immobilier et préfigurer ses futurs usages est de plus en plus systématique. En janvier 2018, l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France avait recensé pas moins de soixante-dix-sept projets d’urbanisme transitoire en région francilienne depuis 2012 – dont plus de la moitié sont en cours. Quatre cinquièmes des propriétaires des sites sont des acteurs publics ( collectivités locales, établissements publics d’aménagement, SNCF, bailleurs sociaux ) et les occupations à dimension culturelle sont largement prédominantes.

      Les pouvoirs publics locaux ont par ailleurs décidé d’accompagner pleinement cette dynamique d’optimisation foncière. Le conseil municipal de Paris et le conseil métropolitain du Grand Paris ont tous deux récemment adopté le vœu qu’à l’avenir, tout projet d’aménagement urbain soit précédé d’une opération d’urbanisme transitoire. De plus, sur la quarantaine de projets d’urbanisme temporaire actuels, vingt-sept sont soutenus par la région Île-de-France dans le cadre de son appel à manifestations d’intérêt sur l’urbanisme transitoire lancé en 2016. Une enveloppe qui s’élève à 3,3 millions d’euros.

      Là encore, malgré les incantations à l’« innovation urbaine » et à la « transition écologique » de cet appel à projets, c’est avant tout l’argument économique qui fait mouche. « Il faut en moyenne douze ans pour qu’une ZAC [ zone d’aménagement concerté ] sorte de terre, avançait l’an dernier Chantal Jouanno, alors vice-présidente de la région. Durant ce laps de temps, les immeubles ne servent à personne, peuvent être squattés et perdre leur valeur. » La nature a horreur du vide. Les édiles parisiens également.
      Espace public, bénéfice privé

      Cultplace et La Lune rousse ne se contentent pas d’accaparer des friches. L’ensemble de leurs sites éphémères et établissements présentent en effet la particularité d’être des espaces hybrides, à la fois publics et privatisables, culturels et commerciaux. Des logiques tout autant artistico-festives que marchandes, qui ont permis aux entrepreneurs culturels de s’approprier une dénomination en vogue : celle de « tiers-lieu ».

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      Conceptualisé par le sociologue américain Ray Oldenburg dans un ouvrage intitulé The Great Good Place ( 1989 ), le tiers-lieu désigne à l’origine les espaces de sociabilité situés en dehors du domicile et du travail, comme les cafés ou les parcs publics. Cette expression aux contours flous a été employée afin de qualifier les premiers fablabs, les hackerspaces et autres jardins urbains partagés. Mais au grand dam des tenants de l’éthique open source et de l’esprit collectif de la débrouille, le terme de tiers-lieu s’est progressivement dénaturé jusqu’à qualifier de facto tout espace hébergeant des activités pluridisciplinaires, gratuites comme lucratives.

      « Je vois nos sites comme des écrins pour l’initiative, pour l’émergence d’envies, s’enflamme ainsi Renaud Barillet. Mais la réalité économique d’un tiers-lieu comme la friche 88 Ménilmontant fait qu’on a besoin de clients. Ce que l’on fabrique, ce sont des initiatives privées mais qui peuvent avoir une quote-part d’intérêt général. »

      Loïc Lorenzini, adjoint au maire du XVIIIe arrondissement chargé des entreprises culturelles, porte néanmoins un autre regard sur l’émergence de ces tiers-lieux. « Ground Control au dépôt de la Chapelle, cela n’a pas été évident avec eux au début, se souvient l’élu. Il y avait un service d’ordre avec des vigiles à l’entrée du lieu, ce qui n’a pas vraiment plu aux habitants du quartier. »

      Sa circonscription héberge actuellement deux sites artistiques temporaires de la SNCF : L’Aérosol – un hangar de fret reconverti en espace dédié au graffiti – et La Station-gare des mines – ancienne gare à charbon devenue salle de concert. Ces deux occupations de sites ferroviaires en friche préfigurent d’importants projets d’aménagement urbain comportant des logements, des bureaux ou encore l’Arena 2, une salle omnisports qui devrait être inaugurée en vue des Jeux olympiques de 2024.

      « Ces entreprises culturelles sont venues bousculer la vision classique de la culture, c’est-à-dire une vision subventionnée, avance Loïc Lorenzini. L’enjeu avec ces tiers-lieux, c’est qu’ils ne deviennent pas le cache-sexe de projets privés urbanistiques. Notre rôle est de rappeler que dans un arrondissement populaire comme le XVIIIe, il y a des enjeux locaux forts, telle la gentrification. »

    • Dernier avatar en date des tiers-lieux culturels qui foisonnent dans la capitale, La Recyclerie se présente comme « une start-up innovante qui réinvente le concept du tiers-lieu ( ni la maison ni le travail ) et fédère un large public sur le thème de l’écoresponsabilité ». Inauguré en 2014, cet établissement, composé d’un café-cantine, d’un atelier de réparation et d’une mini-ferme urbaine, est implanté au sein d’une station de train désaffectée de la Petite Ceinture, la gare Ornano, au nord du XVIIIe arrondissement.

      Les quais de la gare désaffectée du boulevard Ornano sur la ligne de Petite Ceinture. Les quais de la gare désaffectée du boulevard Ornano sur la ligne de Petite Ceinture.

      Un emplacement loin d’être anodin : la station à l’abandon se situe en effet porte de Clignancourt, à deux pas des échoppes discount des puces de Saint-Ouen, de la préfecture de police chargée des demandes d’asile de la capitale et d’un bidonville de Roms installé en contrebas de l’ancienne voie ferrée. Un carrefour où vendeurs à la sauvette, chiffonniers et migrants tentent de survivre par l’économie informelle.

      Malgré le fait qu’un tiers-lieu culturel ne soit pas de prime abord le projet urbain le plus pertinent en termes de besoins sociaux dans ce quartier populaire, « le maire de l’époque, Daniel Vaillant, a personnellement appuyé notre dossier, dévoile Marion Bocahut, présentée comme cheffe de projet écoculturel du lieu. La mairie du XVIIIe n’avait pas les moyens financiers d’acheter la gare Ornano, nous avons donc racheté l’intérieur du bâtiment ».

      La Recyclerie appartient à Sinny & Ooko, une société « créatrice de tiers-lieux et d’événements » dirigée par Stéphane Vatinel. Figure du milieu de la nuit, connu pour avoir fondé en 1992 le Glaz’art, un club électro emblématique installé dans un ancien dépôt de bus, l’entrepreneur a repris de 2003 à 2008 les rênes du Divan du monde, salle de spectacle historique de Pigalle.

      Par l’intermédiaire de son entreprise, ce quinquagénaire hyperactif est aujourd’hui l’exploitant de La Machine du Moulin rouge, l’incontournable discothèque techno du nord de la capitale, et du Pavillon des canaux, une bâtisse abandonnée sur les bords du bassin de la Villette réhabilitée en coffice – mi-café, mi-espace de travail.

      Quand il rachète la gare Ornano pour installer son tiers-lieu empreint « des valeurs collaboratives et du Do It Yoursef », Stéphane Vatinel fait appel à son ami Olivier Laffon, qui s’investit financièrement dans l’opération. Cet ancien magnat de l’immobilier devenu millionnaire a été le promoteur de mégacentres commerciaux, à l’instar de Bercy Village, Vélizy 2 ou Plan de campagne dans les Bouches-du-Rhône. Mais avec sa holding C Développement, Olivier Laffon s’est reconverti dans l’entreprenariat social.

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      Sa réalisation la plus célèbre demeure le Comptoir général, un ancien entrepôt au bord du canal Saint-Martin reconverti en 2009 en bar et « espace événementiel écosolidaire » à l’ambiance exotique. Devenu une référence quasi caricaturale du « Paris branché », le Comptoir général a fait appel jusqu’en 2013 aux services de Sinny & Ooko afin de développer et d’animer sa programmation. Une alliance pérenne entre les deux hommes d’affaires puisque C Développement avait précédemment investi dans le rachat du Divan du monde et dans La Machine du Moulin rouge, établissements gérés par Stéphane Vatinel…

      Pour les événements écoculturels de La Recyclerie, Sinny & Ooko a fait appel à un partenaire des plus édifiants : la fondation Veolia. L’entreprise du CAC 40, connue pour être le géant mondial de la privatisation de l’eau, finance en effet en grande partie la programmation du lieu et est partenaire de son cycle de conférences sur l’économie circulaire. La bibliothèque de La Recyclerie a de surcroît été ouverte avec des livres offerts par la multinationale. « Veolia nous accompagne aussi dans notre développement, notamment avec Scale up ( “changement d’échelle” ), un programme de l’Essec Business School qui nous a permis de savoir comment dupliquer un lieu comme La Recyclerie », détaille Marion Bocahut.

      Le concept de La Recyclerie a effectivement depuis peu changé d’échelle. Sinny & Ooko a inauguré en août dernier un nouveau tiers-lieu écoculturel baptisé la Cité fertile. Ici, comme pour Ground Control, SNCF Immobilier a fait signer à Sinny & Ooko, à l’aune de son appel à projets sur l’urbanisme transitoire, une convention d’occupation de trois ans de son ancienne gare de fret basée à Pantin. « Nous sommes là pour opérer une transition entre une gare de marchandises et le futur écoquartier de la ville de Pantin », assume Clémence Vazard, cheffe du projet de la Cité fertile.

      L’écoquartier prévoit mille cinq cents logements et près de cent mille mètres carrés de bureaux et de locaux commerciaux. Une opération foncière des plus rentables pour SNCF Immobilier et les promoteurs. Surnommée la « Brooklyn parisienne », Pantin constitue depuis peu un eldorado de la spéculation immobilière : l’ancienne cité industrielle a vu flamber de 15 % en cinq ans le prix du mètre carré, un record parmi les villes de la petite couronne parisienne.

      En attendant, sur près d’un hectare, la Cité fertile veut « explorer et imaginer la ville de demain » en attirant un million de curieux par an avec ses ateliers, ses conférences et sa cantine approvisionnée en circuits courts. Clémence Vazard explique que l’équipe a consulté la municipalité de Pantin afin d’« identifier les acteurs locaux et demander leurs contacts ». Parmi la cinquantaine de personnes salariées sur le site, une seule pourtant se consacre à cette ouverture sur les Pantinois. « En tout cas, si on a un partenariat comme Veolia qui peut se présenter, ce serait le meilleur pour nous », souligne la cheffe de projet. Avant de préciser : « Sinny & Ooko possède l’agrément Entreprise solidaire d’utilité sociale ( Esus ), en aucun cas nous ne faisons du greenwashing. »

      L’originalité de cette friche éphémère réside cependant ailleurs. La Cité fertile héberge en effet depuis septembre le « campus des tiers-lieux », école de formation et incubateur d’entreprises dont le but est de développer les tiers-lieux culturels en tant que modèles économiques d’avenir. « Depuis l’an dernier, Sinny & Ooko est certifié comme organisme de formation. Nous proposons un module pour apprendre à être responsable de tiers-lieu culturel, détaille Clémence Vazard. Nous avons déjà formé une soixantaine de personnes, dont certaines ont récemment monté leur propre tiers-lieu à Montreuil – la Maison Montreau – ou à Niamey, au Niger – L’Oasis, un espace de coworking parrainé par Veolia. »

      Selon les formateurs Sinny & Ooko, le tiers-lieu culturel est un modèle démultipliable à souhait, telle une unité standardisée qui se résume, selon sa plaquette de présentation, à un « HCR [ hôtel café restaurant ] à portée culturelle », où une activité économique « socle » de bar-restauration permet de financer une programmation qui fait vivre le lieu.
      Friche partout, créativité nulle part

      En moins de cinq ans, Cultplace, La Lune rousse et Sinny & Ooko ont édifié un véritable petit empire économique en Île-de-France. Elles ont même l’ambition de s’implanter durablement à travers l’Hexagone en reproduisant des fac-similés de leurs tiers-lieux respectifs. Renaud Barillet a ainsi récemment remporté deux appels à projets à Bordeaux et un autre à Lyon afin d’édifier « des projets très proches en termes d’ADN et de ventilation des espaces de ce qu’est La Bellevilloise ».

      En Charente-Maritime, à Rochefort, Cultplace est en train de mettre sur pied Grand foin, « une déclinaison rurale de La Bellevilloise », aux dires de Renaud Barillet. Par ailleurs, depuis 2016, Denis Legat et son équipe débarquent chaque été aux Rencontres de la photographie d’Arles, où ils investissent un ancien hangar de la SNCF avec leur habituelle formule Ground Control.

      Stéphane Vatinel, quant à lui, doit ouvrir d’ici 2023 La Halle aux Cheminées, un tiers-lieu dans une ancienne friche militaire de Toulouse dont le concept n’est autre qu’un copier-coller de La Recyclerie. Autant de jalons d’une hégémonie économico-culturelle dont se défend du bout des lèvres Renaud Barillet : « C’est vrai que ceux qui ont commencé à réaliser des tiers-lieux arrivent aujourd’hui à se développer et je pense que pour un nouveau venu, ce n’est pas si simple. Les appels d’offres demeurent très économiques et orientés vers l’immobilier. »

      Ce business model des friches est si bien rodé et rencontre un tel succès qu’il en devient vecteur d’une certaine uniformisation. À Paris, en plus du Poinçon, la gare de Montrouge rénovée par Cultplace, et de La Recyclerie, ex-gare Ornano, la plupart des seize stations de la Petite Ceinture deviendront des tiers-lieux, à l’instar du Hasard ludique, « lieu culturel hybride » niché porte de Saint-Ouen, ou de La Gare-jazz à la Villette – en lieu et place de l’ancien squat artistique Gare aux gorilles.

      La gare Masséna vue depuis la rue Regnault. La gare Masséna vue depuis la rue Regnault.

      Dans le cadre de Réinventer Paris, l’ancienne gare Masséna sera quant à elle réhabilitée en « lieu de vie et de proximité » d’ici 2019 avec bar et cantine, ferme urbaine, boutiques bio, espaces artistico-culturels et bureaux. Enfin, Stéphane Vatinel a l’an dernier remporté l’exploitation de deux sites en friche grâce à Réinventer la Seine, un appel à projets visant à « la construction d’un territoire métropolitain évident et d’envergure internationale ». Une usine désaffectée à Ivry et l’ancien tribunal de Bobigny seront ainsi, à l’horizon 2022, reconvertis tous deux en tiers-lieux écoculturels estampillés Sinny & Ooko.

      À cette dynamique de duplication des tiers-lieux s’ajoutent les dizaines de terrasses temporaires qui essaiment chaque été dans les interstices urbains de la capitale, à l’image de la Base Filante, une friche éphémère de trois mille mètres carrés qui a ouvert ses portes en juillet dernier à deux pas du Père-Lachaise. L’initiative est portée par quatre collectifs, dont certains ont déjà pris part à la conception d’une autre terrasse temporaire, la friche Richard Lenoir, ou à l’aménagement de La Station-gare des mines.

      Au programme de la Base Filante, le sempiternel quatuor bières artisanales, cours de yoga, tables de ping-pong et musique électronique. « On assiste à une sorte de standardisation qui annihile toute créativité : tout espace en friche se voit devenir un lieu éphémère avec un bar et des transats, s’alarme Quentin, du collectif Droit à la ( Belle )ville. La créativité s’arrête dès qu’il y a une tireuse à bière artisanale… »

      Enfin, la mise en avant quasi généralisée de l’imaginaire « squat », via la scénographie récup’ et DIY, comme à travers la rhétorique de l’alternative et du collaboratif dans la communication de ces lieux festifs, participe également à cette uniformisation des sites culturels. « Ces friches font croire à une fausse occupation de l’espace alors qu’il y a des vigiles à l’entrée, fulmine Quentin. On vend de faux espaces de liberté où on dit aux gens ce qu’ils doivent consommer et où. »

      Pour les chercheuses Juliette Pinard et Elsa Vivant, « cette esthétique du squat […], donnant la part belle aux atmosphères brutes et industrielles, participe à la mise en scène de ces lieux temporaires en tant qu’“espaces alternatifs” et expérience singulière ». En institutionnalisant les occupations transitoires, les friches culturelles éphémères ont réussi le tour de force de neutraliser la portée subversive des squats artistiques, qui contestaient la propriété privée en privilégiant le droit d’usage, tout en s’appropriant leurs codes esthétiques.

      « Et le squat devient fréquentable », titrait ainsi Télérama en avril dernier à propos des occupations transitoires après que Libération eut publié sur son blog Enlarge Your Paris un entretien intitulé « Les friches font entrer les villes dans l’ère des squats légaux ».

      Dans le quartier Darwin. Dans le quartier Darwin.

      Le phénomène des friches culturelles se circonscrit de moins en moins à la région Île-de-France. À Bordeaux, les instigateurs du site culturel Darwin Écosystème, installé depuis 2009 dans l’ancienne caserne Niel et qui se présente comme un « lieu d’hybridation urbaine mêlant activités économiques et initiatives citoyennes », ne se sont jamais cachés de s’être inspirés directement de La Bellevilloise. Le promoteur immobilier Résiliance a de son côté mis à disposition un terrain vague de vingt hectares situé au nord de Marseille à Yes We Camp, un collectif de cinquante salariés spécialisé dans la création de friches culturelles éphémères, à Paris comme à Roubaix.

      Depuis cette année, la vaste parcelle en jachère accueille un « parc métropolitain d’un nouveau genre, à la fois lieu de vie, de mémoire, de pratiques culturelles et sportives ». Le site, baptisé Foresta, est inséré dans un projet d’aménagement porté par Résiliance et articulé autour d’un immense entrepôt commercial réservé aux grossistes du marché textile chinois.

      Quant aux anciens abattoirs de Rezé, dans l’agglomération nantaise, ils hébergent depuis juillet dernier Transfert, trois hectares de friche culturelle définie par ses concepteurs comme un « espace qui se mue en un lieu de transition où l’on imagine, invente et fabrique ensemble un lieu de vie qui questionne la ville de demain ». L’occupation provisoire durera cinq ans, le temps nécessaire à accroître l’attractivité et la valeur immobilière de ce no man’s land qui doit accueillir un gigantesque projet d’aménagement urbain prévoyant trois mille logements.

      Cette politique de l’éphémère à fin mercantile semble ainsi définitivement être sur les rails qui la conduiront à se pérenniser et à s’étendre à l’ensemble du territoire. « Nous avons désormais un vivier de porteurs de projets qui nous sollicitent, affirme Charlotte Girerd, de SNCF Immobilier. Depuis 2015, une vingtaine de projets d’urbanisme transitoire ont été mis en œuvre. Notre ambition est que d’ici 2019-2020, deux à trois sites répondant à la démarche d’urbanisme transitoire soient lancés chaque année, avec la volonté de travailler de plus en plus hors d’Île-de-France. »

      Une filiale de la SNCF à la manœuvre d’opérations immobilières spéculatives, des collectivités publiques au service du développement économique, des entreprises culturelles de plus en plus hégémoniques… Si les friches culturelles viennent « questionner la ville de demain », elles soulèvent aussi une tout autre question : comment faire exister une politique culturelle affranchie de toute logique économique ?

    • L’envers des friches culturelles | Mickaël Correia
      https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/231218/l-envers-des-friches-culturelles

      ( ai manqué publié un doublon ; j’ajoute ici pour mémoire l’ensemble de l’article et des #)

      MICKAËL CORREIA
      Terrains vagues, bâtiments désaffectés, rails à l’abandon… Un peu partout en France, ces espaces qui faisaient auparavant l’objet d’occupations illégales sont convertis en #lieux_culturels par une poignée d’#entrepreneurs ambitieux. Ces sites se présentent comme « engagés » et participant à la revalorisation de quartiers dépréciés. Mais cette « valorisation » semble avant tout financière. Une enquête parue dans le numéro 11 du Crieur, toujours en librairie.

      En haut de la rue de Ménilmontant, dans l’Est parisien, une palissade court le long du numéro 88. Pour les passants, impossible de deviner ce que cachent ces hautes planches de bois. Mais depuis l’an dernier, le 88 ouvre ses portes dès les prémices de l’été. Et il suffit de montrer patte blanche à un vigile nonchalant pour y découvrir une vaste friche réhabilitée en terrasse éphémère.

      Tables et chaises de guingois, mobilier en palettes de chantier et buvette en pin, décoration de bric et de broc, fresques street art… Tout respire l’esthétique récup’ et Do It Yourself. Sous la chaleur écrasante, certains sont avachis sur une chaise longue et sirotent une bière. D’autres s’adonnent paresseusement à une partie de ping-pong sur fond de musique électro.
      Durant tout l’été, dans cette scénographie naviguant entre squat urbain et guinguette, la #friche dénommée sobrement 88 Ménilmontant propose pêle-mêle initiations au yoga, ateliers de sophrologie ou performances artistiques. Entre deux palmiers en pot et une « fresque végétale collaborative », quelques rares graffitis semblent avoir été tracés bien avant la réhabilitation de cet espace en jachère. « Ce sont de vieux graffs qu’on pourrait presque qualifier d’historiques, assure une habitante du quartier. Avant, il y avait un squat d’artistes ici et tout a été rasé ! »

      À peine quatre ans auparavant, en lieu et place du 88 Ménilmontant, se dressaient d’anciens ateliers d’artisans miroitiers. Occupé depuis 1999 par un collectif libertaire, le bâtiment, rebaptisé La Miroiterie, était au fil des ans devenu un #squat incontournable de la scène musicale underground parisienne. Ses concerts éclectiques – hip-hop francilien, punk suédois, rap libanais, sans compter les interminables jam-sessions jazz du dimanche – attiraient chaque semaine un public bigarré.

      Certes, le lieu commençait à être insalubre, la qualité sonore n’était pas toujours au rendez-vous et les murs tagués sentaient la bière éventée. Mais comme le soulignent Emy Rojas et Gaspard Le Quiniou, qui y ont organisé une trentaine de concerts sous l’étiquette Arrache-toi un œil, « en passant le portail du squat, il y avait une sensation de liberté difficile à retrouver dans des lieux plus institutionnels ». Avec ses soirées à prix modiques, ses ateliers d’artistes indépendants et ses stands proposant fanzines et autres disques autoproduits, cet espace autogéré incarnait un îlot de #contre-culture mythique bien au-delà des frontières de la capitale.

      En avril 2014, l’effondrement d’un mur vétuste lors d’un concert sonne le glas de cette aventure singulière. Menacés d’expulsion depuis 2009 par un promoteur immobilier ayant acquis la parcelle, les occupants de La Miroiterie sont évacués sans ménagement ni projet de relogement, et ce malgré quinze années d’animation du quartier et le soutien de nombreux habitants.

      À deux pas de l’ex-Miroiterie siège l’imposante Bellevilloise. Fort de ses deux mille mètres carrés de salle de concert, d’espace d’exposition et de restaurant, cet établissement culturel est aujourd’hui l’un des repaires incontournables du Paris branché. Chaque année, le site accueille près de deux cent mille visiteurs qui viennent clubber ou applaudir des groupes estampillés « musique du monde ». À ces activités festives s’ajoutent des débats publics, avec parfois des invités de prestige comme Edgar Morin ou Hubert Reeves, et des soirées privées de grandes entreprises telles que Chanel et BNP Paribas.

      La façade de La Bellevilloise à Paris.

      Plus qu’un temple dédié à la #culture et aux grands événements parisiens, La Bellevilloise est aussi la figure de proue des friches urbaines reconverties en sites culturels. Ancienne coopérative ouvrière de consommation créée peu de temps après la Commune, bastion militant où Jean Jaurès tenait ses rassemblements, l’immeuble à l’abandon, qui hébergea après guerre une caisse de retraites, a été racheté au début des années 2000. À la manœuvre de cette opération immobilière, un trio de jeunes entrepreneurs issus du monde du spectacle et de la publicité. « Nous étions assez pionniers à l’époque. Mobiliser une surface aussi importante sur Paris pour des activités culturelles, c’était novateur », reconnaît Renaud Barillet, l’un des trois fondateurs et directeur général associé de La Bellevilloise.

      Quand le site est inauguré en 2006, le chef d’entreprise est pleinement dans l’air du temps. Motrice de nombreuses occupations illégales de friches industrielles, la vague techno qui a submergé l’Europe à la fin des années 1980 est alors en train de progressivement s’éteindre. Les warehouses berlinoises, ces entrepôts désaffectés investis le temps d’une soirée clandestine, se transforment en clubs électros commerciaux. À Paris, l’organisation en 2001 d’une fête techno sauvage dans l’ancienne piscine désaffectée Molitor, en plein XVIe arrondissement, marque le chant du cygne des free parties urbaines.

      La façade de La Condition publique à Roubaix.

      Le tournant des années 2000 voit dès lors les débuts de la réhabilitation des lieux industriels en #espaces_culturels. L’ancien marché couvert Sainte-Marie à Bruxelles est reconverti en 1997 en complexe culturel baptisé Les Halles de Schaerbeek. De son côté, la manifestation Lille 2004 Capitale européenne de la culture fait émerger nombre d’établissements dans des usines abandonnées par l’industrie textile locale. « Nous nous sommes inspirés de La Condition publique, un lieu culturel installé dans un ancien entrepôt de laine à Roubaix depuis Lille 2004, mais aussi de ce que fabriquait Fazette Bordage, la créatrice du Confort moderne à Poitiers, première friche culturelle en France », détaille Renaud Barillet.

      Du point de vue de l’équipe de La Bellevilloise, se pencher sur le 88 de la rue de Ménilmontant était une démarche des plus évidente. « Nous avons toujours été préoccupés par ce que La Miroiterie allait devenir, car un squat, par définition, c’est éphémère, explique l’entrepreneur. Comme elle est située juste derrière La Bellevilloise, nous nous sommes dit que si une opération immobilière se préparait, il fallait être attentif à l’ensemble architectural, aux problèmes de nuisances sonores, etc. »

      Ayant eu vent de ce que le récent propriétaire du lieu voulait édifier un immeuble d’un seul tenant, les dirigeants de La Bellevilloise interpellent Bertrand Delanoë, à l’époque maire de la capitale. À peine quelques mois plus tard, #Paris_Habitat, bailleur social de la ville de Paris, rachète le lot immobilier et un projet de réhabilitation est ficelé avec Renaud Barillet et ses comparses : côté rue, des logements étudiants avec, au rez-de-chaussée, sept ateliers-boutiques d’artistes design. En fond de cour, l’entrepreneur a prévu « une fabrique d’image et de son [ un studio de production et une salle de concert – ndlr ], des espaces de coworking, des bureaux et un spa à dimension artistique ».

      Bertrand Delanoë en 2010.

      Partant, l’ancienne Miroiterie est démolie. Afin de rentabiliser cette friche et d’engranger des recettes qui serviront à la construction du nouvel établissement (dont l’ouverture est prévue en 2021), l’équipe a mis sur pied une terrasse éphémère dès le printemps 2017. Bien éloigné des visées culturelles à but non lucratif de La Miroiterie, le 88 Ménilmontant n’est pas sans susciter l’ire des riverains et des anciens occupants du squat.

      Figure historique de La Miroiterie, Michel Ktu déclare ainsi par voie de presse : « Ils montent des salles en piquant nos idées parce qu’eux n’en ont pas. Ils récupèrent un décor de squat, mettent des câbles électriques apparents, des trous dans le mur, des canapés défoncés et des graffs, mais ils ne savent pas accueillir les gens ni les artistes. » « Il y a une surface vide, autant qu’elle soit utilisée, se défend Renaud Barillet. Quant à la forme “transat et tireuses à bière”, on ne va pas réinventer l’eau chaude : c’est un modèle basique et provisoire. »

      Faire du blé sur les friches

      Renaud Barillet n’en est pas à son galop d’essai. Avec son acolyte, Fabrice Martinez, également cofondateur de La Bellevilloise et ancien chef de publicité chez Nike et Canal+, il a récemment créé le groupe Cultplace, qui s’affiche comme une « fabrique de lieux de vie à dimension culturelle ». Les ambitieux entrepreneurs ont ainsi reconverti en 2013 un coin des halles de La Villette, anciens abattoirs aux portes de la capitale rénovés au début des années 2000. Dans cet écrin de métal et de verre appartenant au patrimoine public, ils ont conçu un restaurant-scène de jazz baptisé La Petite Halle.

      La rotonde du bassin de la Villette.

      Au sud du bassin de la Villette, La Rotonde, ex-barrière d’octroi du nord de Paris datant du XVIIIe siècle, a quant à elle été réhabilitée par ces businessmen en Grand Marché Stalingrad, hébergeant des « comptoirs food », un concept-store design et un club. Le bâtiment, alors à l’abandon, avait été restauré à l’initiative de la ville de Paris en 2007.

      Durant la seule année 2018, deux friches industrielles reconverties en site culturel ont ouvert sous la houlette de #Cultplace. L’ancienne gare désaffectée de Montrouge-Ceinture a été confiée par Paris Habitat et la mairie du XIVe arrondissement à Renaud Barillet afin d’être rénovée en café-restaurant culturel. Sur les bords du canal de l’Ourcq, à Pantin, les gigantesques Magasins généraux ont été quant à eux réhabilités en 2016. Longtemps surnommés le « grenier de Paris », ces entrepôts stockaient auparavant les grains, farines et charbons qui approvisionnaient la capitale.

      Si l’immeuble de béton accueille depuis peu le siège du géant de la publicité BETC, Cultplace y a niché à ses pieds Dock B – le B faisant référence à La Bellevilloise –, mille deux cents mètres carrés de cafés-comptoirs, scène artistique et terrasse qui devraient être inaugurés à la rentrée 2018. « Tous nos lieux sont indépendants, car nous ne sommes pas sous tutelle publique ni même subventionnés, insiste Renaud Barillet. Nous ne dépendons pas d’un grand groupe ou d’un seul investisseur. »

      Logo de CultPlace.

      Cultplace n’est cependant pas la seule entreprise partie à la conquête des friches industrielles de la métropole parisienne. En vue de concevoir et d’animer le Dock B, Renaud Barillet s’est associé à l’agence Allo Floride. Avec La Lune rousse, une société organisatrice d’événementiels, cette dernière a été à l’initiative de Ground Control, un bar temporaire inauguré en 2014 à la Cité de la mode et du design. Depuis cette première expérience lucrative, La Lune rousse s’est fait une spécialité : l’occupation provisoire, sous l’étiquette Ground Control, de sites désaffectés appartenant à la SNCF.

      Ainsi, en 2015, quatre mille mètres carrés du dépôt ferroviaire de la Chapelle, dans le XVIIIe arrondissement, ont été mis à disposition de l’entreprise le temps d’un été afin de le reconvertir en « bar éphémère, libre et curieux ». La manifestation s’est révélée si fructueuse en termes d’affluence qu’elle a été renouvelée l’année suivante par la SNCF, attirant quatre cent mille personnes en cinq mois.

      Espace insolite chargé d’histoire industrielle, musique électro, transats, ateliers de yoga, comptoirs food et esthétique récup’, le concept Ground Control utilise exactement les mêmes ficelles que Cultplace pour produire ses friches culturelles. Quitte à réemployer les mêmes éléments de langage. Se définissant ainsi comme un « lieu de vie pluridisciplinaire » ou comme une « fabrique de ville, fabrique de vie », Ground Control, couronné de son succès, a pris place depuis 2017 au sein de la Halle Charolais, un centre de tri postal de la SNCF situé près de la gare de Lyon. Un million de visiteurs annuels sont cette fois-ci attendus dans le hangar à l’abandon.

      Ouvertes en février, la « Halle à manger », qui peut servir trois cents couverts par jour, les boutiques et les galeries-ateliers de Ground Control se réclament toutes d’un commerce équitable ou bio. Et si, sur la cinquantaine de #salariés sur le site, quarante-deux sont employés en tant que #saisonniers, ce « laboratoire vivant d’utopie concrète », aux dires de ses créateurs, n’hésite pas à s’afficher comme un « lieu engagé » accueillant tous ceux qui sont en « mal de solidarité ».

      Toutefois, Denis Legat, directeur de La Lune rousse, ne s’est pas seulement attelé à la réhabilitation d’une jachère urbaine en friche culturelle « alternative et indépendante ». Depuis plus de vingt ans, cet homme d’affaires s’est solidement implanté dans le business de l’organisation des soirées d’entreprise. Sa société compte à son actif la mise en œuvre de la Nuit électro SFR (si_ c)_ au Grand Palais, afin de « célébrer l’arrivée de la 4G à Paris », ou encore la privatisation de la salle Wagram lors d’une soirée Bouygues Bâtiment.

      Récemment, La Lune rousse a conçu un « bar à cocktail domestique et connecté » pour le groupe Pernod Ricard, présenté lors d’un salon high-tech à Las Vegas, et scénographié la summer party de Wavestone, un cabinet de conseil en entreprise coté en bourse. Des clients et des événements bien éloignés des « initiatives citoyennes, écologiques et solidaires » brandies par Ground Control…

      Malgré l’ambivalence éthique de La Lune rousse, la SNCF s’est très bien accommodée de cette entreprise acoquinée avec les fleurons du secteur privé français pour occuper plusieurs de ses friches. « Ce sont des lieux qui nous appartiennent et que nous ne pouvons pas valoriser immédiatement, justifie Benoît Quignon, directeur général de SNCF Immobilier, la branche foncière du groupe. Nous choisissons donc de les mettre à disposition d’acteurs qui se chargent de les rendre vivants. »

      En faisant signer à La Lune rousse une convention d’occupation temporaire de la Halle Charolais jusque début 2020, l’objectif de SNCF Immobilier est assurément de rentabiliser financièrement cet espace vacant sur lequel un programme urbain dénommé « Gare de Lyon-Daumesnil » prévoit la création de six cents logements, de bureaux et d’équipements publics d’ici 2025.

      C’est que #Ground_Control s’inscrit plus largement dans une politique foncière en pleine expansion au sein de la SNCF : l’#urbanisme_transitoire. « Cette démarche dite d’“urbanisme temporaire” ou transitoire est un levier essentiel de valorisation, avance Fadia Karam, directrice du développement de SNCF Immobilier. Cela permet d’intensifier l’usage de nos sites parfois vides et d’éluder des coûts de #gardiennage, d’entretien et de #sécurité, en limitant la détérioration et l’obsolescence de notre patrimoine. En dotant nos sites de nouveaux usages, nous développons la valeur de nos actifs. »

      La stratégie d’urbanisme transitoire du groupe ferroviaire prend naissance en 2013, quand une galerie de street art propose à ICF Habitat, filiale logement de la SNCF, d’investir provisoirement une de ses tours de logement destinée à la démolition. L’initiative, baptisée Tour Paris 13, est une telle réussite – trente mille visiteurs en un mois – que la SNCF entrevoit rapidement dans ce site culturel éphémère un formidable outil de #communication sur la future HLM qui s’érigera en lieu et place de la tour. Et, par ricochet, d’augmentation de l’attractivité de ce quartier résidentiel grâce aux artistes graff les plus célèbres de la scène mondiale venus s’approprier l’immeuble en friche.

      Rapidement surnommée la « cathédrale du #street_art », la tour a été l’objet d’une grande attention médiatique, à l’image de Télérama, qui ira jusqu’à suivre en direct, avec trois caméras, la destruction du bâtiment en 2014. Trois ans plus tard, le même journal publiait un article élogieux sur le nouvel « immeuble HLM à l’architecture délirante » situé dans l’« #eldorado parisien du street art ». Une opération de communication bénéficiant à la fois à l’acteur privé – la galerie Itinerrance – et à la SNCF, qui a pu aisément vendre ses logements flambant neufs à un prix lucratif.

      En 2015, deux ans après Tour Paris 13, l’occupation temporaire du dépôt de train de la Chapelle par Ground Control est appréhendée par SNCF Immobilier comme un projet pilote en vue de mieux formaliser sa démarche d’urbanisme transitoire. Après cette expérience concluante de friche culturelle éphémère, la filiale lance en fin d’année un appel à manifestation d’intérêt afin que seize de ses espaces désaffectés soient reconvertis provisoirement en « sites artistiques temporaires ».

      En réinvestissant une deuxième fois le dépôt de la Chapelle en 2016, puis la Halle Charolais de la gare de Lyon, Denis Legat devient, avec son concept Ground Control, le fer de lance de l’urbanisme transitoire prôné par la société nationale des chemins de fer. Au plus grand bonheur de Marie Jorio, cadre développement au sein de SNCF Immobilier qui, à propos du site de la Chapelle, déclare sans ambages : « Avec Ground Control, nous avons fait exister cette adresse plus rapidement et avons créé de l’attractivité : les opérateurs ont envie d’y aller et d’innover ! »

      Aux yeux de la SNCF, la friche culturelle Ground Control a en effet servi d’outil #marketing pour mieux promouvoir l’#aménagement_urbain qui prévoit la construction de cinq cents logements dans ce coin morne du XVIIIe arrondissement. Quant aux visiteurs, ils ont été les cobayes de la future identité urbaine de ce quartier dévitalisé, Ground Control constituant un showroom hype au service du complexe immobilier en devenir. « L’ADN ferroviaire du site du dépôt Chapelle est ressorti très fortement dans l’appétence et le succès du concept, révèle ainsi SNCF Immobilier. Le projet urbain en cours de définition fera revivre cet ADN et cette identité ferroviaire très forte qui constituent un actif immatériel et un capital fort. »

      Le recours aux occupations temporaires pour accroître la valeur financière d’un projet immobilier et préfigurer ses futurs usages est de plus en plus systématique. En janvier 2018, l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France avait recensé pas moins de soixante-dix-sept projets d’urbanisme transitoire en région francilienne depuis 2012 – dont plus de la moitié sont en cours. Quatre cinquièmes des propriétaires des sites sont des acteurs publics ( collectivités locales, établissements publics d’aménagement, SNCF, bailleurs sociaux ) et les occupations à dimension culturelle sont largement prédominantes.

      Les pouvoirs publics locaux ont par ailleurs décidé d’accompagner pleinement cette dynamique d’optimisation foncière. Le conseil municipal de Paris et le conseil métropolitain du Grand Paris ont tous deux récemment adopté le vœu qu’à l’avenir, tout projet d’aménagement urbain soit précédé d’une opération d’urbanisme transitoire. De plus, sur la quarantaine de projets d’urbanisme temporaire actuels, vingt-sept sont soutenus par la région Île-de-France dans le cadre de son appel à manifestations d’intérêt sur l’urbanisme transitoire lancé en 2016. Une enveloppe qui s’élève à 3,3 millions d’euros.

      Là encore, malgré les incantations à l’« innovation urbaine » et à la « transition écologique » de cet appel à projets, c’est avant tout l’argument économique qui fait mouche. « Il faut en moyenne douze ans pour qu’une ZAC [ zone d’aménagement concerté ] sorte de terre, avançait l’an dernier Chantal Jouanno, alors vice-présidente de la région. Durant ce laps de temps, les immeubles ne servent à personne, peuvent être squattés et perdre leur valeur. » La nature a horreur du vide. Les édiles parisiens également.

      Espace public, bénéfice privé

      Cultplace et La Lune rousse ne se contentent pas d’accaparer des friches. L’ensemble de leurs sites éphémères et établissements présentent en effet la particularité d’être des espaces hybrides, à la fois publics et privatisables, culturels et commerciaux. Des logiques tout autant artistico-festives que marchandes, qui ont permis aux entrepreneurs culturels de s’approprier une dénomination en vogue : celle de « #tiers-lieu ».

      Conceptualisé par le sociologue américain Ray Oldenburg dans un ouvrage intitulé The Great Good Place ( 1989 ), le tiers-lieu désigne à l’origine les espaces de sociabilité situés en dehors du domicile et du travail, comme les cafés ou les parcs publics. Cette expression aux contours flous a été employée afin de qualifier les premiers fablabs, les hackerspaces et autres jardins urbains partagés. Mais au grand dam des tenants de l’éthique open source et de l’esprit collectif de la débrouille, le terme de tiers-lieu s’est progressivement dénaturé jusqu’à qualifier de facto tout espace hébergeant des activités pluridisciplinaires, gratuites comme lucratives.

      « Je vois nos sites comme des écrins pour l’initiative, pour l’émergence d’envies, s’enflamme ainsi Renaud Barillet. Mais la réalité économique d’un tiers-lieu comme la friche 88 Ménilmontant fait qu’on a besoin de clients. Ce que l’on fabrique, ce sont des initiatives privées mais qui peuvent avoir une quote-part d’intérêt général. »

      Loïc Lorenzini, adjoint au maire du XVIIIe arrondissement chargé des entreprises culturelles, porte néanmoins un autre regard sur l’émergence de ces tiers-lieux. « Ground Control au dépôt de la Chapelle, cela n’a pas été évident avec eux au début, se souvient l’élu. Il y avait un #service d’ordre avec des #vigiles à l’entrée du lieu, ce qui n’a pas vraiment plu aux habitants du quartier. »

      Sa circonscription héberge actuellement deux sites artistiques temporaires de la SNCF : L’Aérosol – un hangar de fret reconverti en espace dédié au graffiti – et La Station-gare des mines – ancienne gare à charbon devenue salle de concert. Ces deux occupations de sites ferroviaires en friche préfigurent d’importants projets d’aménagement urbain comportant des logements, des bureaux ou encore l’Arena 2, une salle omnisports qui devrait être inaugurée en vue des Jeux olympiques de 2024.

      « Ces entreprises culturelles sont venues bousculer la vision classique de la culture, c’est-à-dire une vision subventionnée, avance Loïc Lorenzini. L’enjeu avec ces tiers-lieux, c’est qu’ils ne deviennent pas le cache-sexe de projets privés urbanistiques. Notre rôle est de rappeler que dans un arrondissement populaire comme le XVIIIe, il y a des enjeux locaux forts, telle la gentrification. »

      Les friches culturelles, têtes de pont de la gentrification ? C’est justement ce que dénonce le collectif d’habitants Droit à la (Belle)ville, créé en 2015 dans l’est de Paris. « Ces tiers-lieux excluent symboliquement les #habitants les plus #précaires du quartier, fustige Claudio, l’un des membres de l’association. On autorise temporairement des occupations de friche par des acteurs privés mais en parallèle, dès qu’il y a une occupation informelle de l’espace public à Belleville, comme quand, encore récemment, des jeunes font un barbecue improvisé dans la rue ou des militants organisent un marché gratuit, la police est systématiquement envoyée. »
      Et Quentin, également du collectif, d’ajouter : « Pour ces entrepreneurs et pour les élus, les artistes ne sont que des créateurs de valeur. Les sites culturels qui les hébergent participent à changer l’image de notre quartier, à le rendre plus attractif pour les populations aisées. Ce sont des espaces qui sont pleinement inscrits dans la fabrication de la ville pilotée par le #Grand_Paris. »

      Ambitionnant de faire de la région Île-de-France une métropole compétitive et mondialisée, le projet d’aménagement territorial du Grand Paris entrevoit dans les tiers-lieux culturels un outil de promotion de son image de #ville_festive, innovante et écoresponsable à même d’attirer une « #classe_créative ». Une population de jeunes cadres qui serait, aux yeux des décideurs, vectrice de développement économique.

      Les futures friches estampillées La Bellevilloise sont ainsi pleinement ancrées dans la stratégie de développement urbain et de #marketing_territorial portée par les élus de la #métropole. Dans l’ancienne station électrique Voltaire, au cœur du XIe arrondissement, Renaud Barillet prévoit pour 2021 un cinéma et un « restaurant végétalisé et solidaire ». L’exploitation de ce bâtiment industriel a été remportée par l’entrepreneur dans le cadre de Réinventer Paris, un appel à projets urbains lancé fin 2014 par la mairie de Paris afin de développer « des modèles de la ville du futur en matière d’architecture, de nouveaux usages, d’innovation environnementale et d’écoconstruction ».

      Le dirigeant de La Bellevilloise vient même de réussir à faire main basse sur l’ancienne piscine municipale de Saint-Denis, via le concours Inventons la métropole du Grand Paris. Avec l’aide d’un investissement financier de la part de #Vinci Immobilier, la piscine dyonisienne à l’abandon sera « à la frontière entre l’hôtel, le gîte et l’auberge de jeunesse » et le relais d’« initiatives entrepreneuriales, culturelles, artistiques, sportives et citoyennes ».

      « On est conscient de notre impact dans un quartier mais la gentrification est un rouleau compresseur sociologique qui nous dépasse », assure pourtant Renaud Barillet. « Nous ne sommes pas dans un processus naturel mais bien dans un conflit de classes. À Paris, nous sommes dans une continuité d’expulsion des #classes_populaires qui a débuté depuis la Commune en 1871, analyse Chloé, du collectif Droit à la (Belle)ville. Dans ces friches, les entrepreneurs vont jusqu’à récupérer le nom, l’imaginaire politique, les anciens tags de ces espaces pour les transformer en valeur marchande. »

      La Bellevilloise n’hésite ainsi nullement à s’afficher sur ses supports de communication comme « Le Paris de la Liberté depuis 1877 » et, dans le futur projet du 88 de la rue Ménilmontant, le spa pourrait s’appeler « Les Thermes de La Miroiterie ». « Ils accaparent des ressources que les habitants ont créées, que ce soient les ouvriers qui ont mis sur pied La Bellevilloise à la fin du XIXe siècle ou les punks libertaires de La Miroiterie au début des années 2000, souligne Claudio. Ces tiers-lieux culturels transforment des valeurs d’usage en valeur d’échange… »

      Rien ne se perd, tout se transforme

      Dernier avatar en date des tiers-lieux culturels qui foisonnent dans la capitale, La Recyclerie se présente comme « une start-up innovante qui réinvente le concept du tiers-lieu ( ni la maison ni le travail ) et fédère un large public sur le thème de l’écoresponsabilité ». Inauguré en 2014, cet établissement, composé d’un café-cantine, d’un atelier de réparation et d’une mini-ferme urbaine, est implanté au sein d’une station de train désaffectée de la Petite Ceinture, la gare Ornano, au nord du XVIIIe arrondissement.

      Un emplacement loin d’être anodin : la station à l’abandon se situe en effet porte de Clignancourt, à deux pas des échoppes discount des puces de Saint-Ouen, de la préfecture de police chargée des demandes d’asile de la capitale et d’un bidonville de Roms installé en contrebas de l’ancienne voie ferrée. Un carrefour où vendeurs à la sauvette, chiffonniers et migrants tentent de survivre par l’économie informelle.
      Malgré le fait qu’un tiers-lieu culturel ne soit pas de prime abord le projet urbain le plus pertinent en termes de besoins sociaux dans ce quartier populaire, « le maire de l’époque, Daniel Vaillant, a personnellement appuyé notre dossier, dévoile Marion Bocahut, présentée comme cheffe de projet écoculturel du lieu. La mairie du XVIIIe n’avait pas les moyens financiers d’acheter la gare Ornano, nous avons donc racheté l’intérieur du bâtiment ».

      La Recyclerie appartient à #Sinny_&_Ooko, une société « créatrice de tiers-lieux et d’événements » dirigée par Stéphane Vatinel. Figure du milieu de la nuit, connu pour avoir fondé en 1992 le Glaz’art, un club électro emblématique installé dans un ancien dépôt de bus, l’entrepreneur a repris de 2003 à 2008 les rênes du Divan du monde, salle de spectacle historique de Pigalle.

      Par l’intermédiaire de son entreprise, ce quinquagénaire hyperactif est aujourd’hui l’exploitant de La Machine du Moulin rouge, l’incontournable discothèque techno du nord de la capitale, et du Pavillon des canaux, une bâtisse abandonnée sur les bords du bassin de la Villette réhabilitée en coffice – mi-café, mi-espace de travail.

      Quand il rachète la gare Ornano pour installer son tiers-lieu empreint « des valeurs collaboratives et du Do It Yoursef », Stéphane Vatinel fait appel à son ami #Olivier_Laffon, qui s’investit financièrement dans l’opération. Cet ancien magnat de l’immobilier devenu millionnaire a été le promoteur de mégacentres commerciaux, à l’instar de Bercy Village, Vélizy 2 ou Plan de campagne dans les Bouches-du-Rhône. Mais avec sa holding C Développement, Olivier Laffon s’est reconverti dans l’#entreprenariat_social.

      Sa réalisation la plus célèbre demeure le Comptoir général, un ancien entrepôt au bord du canal Saint-Martin reconverti en 2009 en bar et « espace événementiel écosolidaire » à l’ambiance exotique. Devenu une référence quasi caricaturale du « Paris branché », le Comptoir général a fait appel jusqu’en 2013 aux services de Sinny & Ooko afin de développer et d’animer sa programmation. Une alliance pérenne entre les deux hommes d’affaires puisque C Développement avait précédemment investi dans le rachat du Divan du monde et dans La Machine du Moulin rouge, établissements gérés par Stéphane Vatinel…

      Pour les événements écoculturels de La Recyclerie, Sinny & Ooko a fait appel à un partenaire des plus édifiants : la fondation Veolia. L’entreprise du #CAC_40, connue pour être le géant mondial de la privatisation de l’eau, finance en effet en grande partie la programmation du lieu et est partenaire de son cycle de conférences sur l’économie circulaire. La bibliothèque de La Recyclerie a de surcroît été ouverte avec des livres offerts par la multinationale. « Veolia nous accompagne aussi dans notre développement, notamment avec Scale up ( “changement d’échelle” ), un programme de l’Essec Business School qui nous a permis de savoir comment dupliquer un lieu comme La Recyclerie », détaille Marion Bocahut.

      Le concept de La Recyclerie a effectivement depuis peu changé d’échelle. Sinny & Ooko a inauguré en août dernier un nouveau tiers-lieu écoculturel baptisé la Cité fertile. Ici, comme pour Ground Control, SNCF Immobilier a fait signer à Sinny & Ooko, à l’aune de son appel à projets sur l’urbanisme transitoire, une convention d’occupation de trois ans de son ancienne gare de fret basée à Pantin. « Nous sommes là pour opérer une transition entre une gare de marchandises et le futur #écoquartier de la ville de Pantin », assume Clémence Vazard, cheffe du projet de la Cité fertile.

      L’écoquartier prévoit mille cinq cents logements et près de cent mille mètres carrés de bureaux et de locaux commerciaux. Une opération foncière des plus rentables pour SNCF Immobilier et les promoteurs. Surnommée la « Brooklyn parisienne », Pantin constitue depuis peu un eldorado de la spéculation immobilière : l’ancienne cité industrielle a vu flamber de 15 % en cinq ans le prix du mètre carré, un record parmi les villes de la petite couronne parisienne.

      En attendant, sur près d’un hectare, la Cité fertile veut « explorer et imaginer la ville de demain » en attirant un million de curieux par an avec ses ateliers, ses conférences et sa cantine approvisionnée en circuits courts. Clémence Vazard explique que l’équipe a consulté la municipalité de Pantin afin d’« identifier les acteurs locaux et demander leurs contacts ». Parmi la cinquantaine de personnes salariées sur le site, une seule pourtant se consacre à cette ouverture sur les Pantinois. « En tout cas, si on a un partenariat comme Veolia qui peut se présenter, ce serait le meilleur pour nous », souligne la cheffe de projet. Avant de préciser : « Sinny & Ooko possède l’agrément Entreprise solidaire d’utilité sociale ( Esus ), en aucun cas nous ne faisons du greenwashing. »

      L’originalité de cette friche éphémère réside cependant ailleurs. La Cité fertile héberge en effet depuis septembre le « campus des tiers-lieux », école de formation et incubateur d’entreprises dont le but est de développer les tiers-lieux culturels en tant que modèles économiques d’avenir. « Depuis l’an dernier, Sinny & Ooko est certifié comme organisme de formation. Nous proposons un module pour apprendre à être responsable de tiers-lieu culturel, détaille Clémence Vazard. Nous avons déjà formé une soixantaine de personnes, dont certaines ont récemment monté leur propre tiers-lieu à Montreuil – la Maison Montreau – ou à Niamey, au Niger – L’Oasis, un espace de coworking parrainé par Veolia. »

      Selon les formateurs Sinny & Ooko, le tiers-lieu culturel est un modèle démultipliable à souhait, telle une unité standardisée qui se résume, selon sa plaquette de présentation, à un « HCR [ hôtel café restaurant ] à portée culturelle », où une activité économique « socle » de bar-restauration permet de financer une programmation qui fait vivre le lieu.

      Friche partout, créativité nulle part

      En moins de cinq ans, Cultplace, La Lune rousse et Sinny & Ooko ont édifié un véritable petit empire économique en Île-de-France. Elles ont même l’ambition de s’implanter durablement à travers l’Hexagone en reproduisant des fac-similés de leurs tiers-lieux respectifs. Renaud Barillet a ainsi récemment remporté deux appels à projets à Bordeaux et un autre à Lyon afin d’édifier « des projets très proches en termes d’ADN et de ventilation des espaces de ce qu’est La Bellevilloise ».

      En Charente-Maritime, à Rochefort, Cultplace est en train de mettre sur pied Grand foin, « une déclinaison rurale de La Bellevilloise », aux dires de Renaud Barillet. Par ailleurs, depuis 2016, Denis Legat et son équipe débarquent chaque été aux Rencontres de la photographie d’Arles, où ils investissent un ancien hangar de la SNCF avec leur habituelle formule Ground Control.

      Stéphane Vatinel, quant à lui, doit ouvrir d’ici 2023 La Halle aux Cheminées, un tiers-lieu dans une ancienne friche militaire de Toulouse dont le concept n’est autre qu’un copier-coller de La Recyclerie. Autant de jalons d’une hégémonie économico-culturelle dont se défend du bout des lèvres Renaud Barillet : « C’est vrai que ceux qui ont commencé à réaliser des tiers-lieux arrivent aujourd’hui à se développer et je pense que pour un nouveau venu, ce n’est pas si simple. Les appels d’offres demeurent très économiques et orientés vers l’immobilier. »

      Ce business model des friches est si bien rodé et rencontre un tel succès qu’il en devient vecteur d’une certaine uniformisation. À Paris, en plus du Poinçon, la gare de Montrouge rénovée par Cultplace, et de La Recyclerie, ex-gare Ornano, la plupart des seize stations de la #Petite_Ceinture deviendront des tiers-lieux, à l’instar du Hasard ludique, « lieu culturel hybride » niché porte de Saint-Ouen, ou de La Gare-jazz à la Villette – en lieu et place de l’ancien squat artistique Gare aux gorilles.

      La gare Masséna vue depuis la rue Regnault.

      Dans le cadre de Réinventer Paris, l’ancienne gare Masséna sera quant à elle réhabilitée en « lieu de vie et de proximité » d’ici 2019 avec bar et cantine, ferme urbaine, boutiques bio, espaces artistico-culturels et bureaux. Enfin, Stéphane Vatinel a l’an dernier remporté l’exploitation de deux sites en friche grâce à Réinventer la Seine, un appel à projets visant à « la construction d’un territoire métropolitain évident et d’envergure internationale ». Une usine désaffectée à Ivry et l’ancien tribunal de Bobigny seront ainsi, à l’horizon 2022, reconvertis tous deux en tiers-lieux écoculturels estampillés Sinny & Ooko.

      À cette dynamique de duplication des tiers-lieux s’ajoutent les dizaines de #terrasses_temporaires qui essaiment chaque été dans les interstices urbains de la capitale, à l’image de la Base Filante, une friche éphémère de trois mille mètres carrés qui a ouvert ses portes en juillet dernier à deux pas du Père-Lachaise. L’initiative est portée par quatre collectifs, dont certains ont déjà pris part à la conception d’une autre terrasse temporaire, la friche Richard Lenoir, ou à l’aménagement de La Station-gare des mines.

      Au programme de la Base Filante, le sempiternel quatuor bières artisanales, cours de yoga, tables de ping-pong et musique électronique. « On assiste à une sorte de standardisation qui annihile toute créativité : tout espace en friche se voit devenir un lieu éphémère avec un bar et des transats, s’alarme Quentin, du collectif Droit à la ( Belle )ville. La créativité s’arrête dès qu’il y a une tireuse à bière artisanale… »

      Enfin, la mise en avant quasi généralisée de l’imaginaire « squat », via la scénographie récup’ et DIY, comme à travers la rhétorique de l’alternative et du collaboratif dans la communication de ces lieux festifs, participe également à cette uniformisation des sites culturels. « Ces friches font croire à une fausse occupation de l’espace alors qu’il y a des vigiles à l’entrée, fulmine Quentin. On vend de faux espaces de liberté où on dit aux gens ce qu’ils doivent consommer et où. »

      Pour les chercheuses Juliette Pinard et Elsa Vivant, « cette #esthétique_du_squat […], donnant la part belle aux atmosphères brutes et industrielles, participe à la #mise_en_scène de ces lieux temporaires en tant qu’“espaces alternatifs” et expérience singulière ». En institutionnalisant les occupations transitoires, les friches culturelles éphémères ont réussi le tour de force de neutraliser la portée subversive des squats artistiques, qui contestaient la propriété privée en privilégiant le droit d’usage, tout en s’appropriant leurs codes esthétiques.

      « Et le squat devient fréquentable », titrait ainsi Télérama en avril dernier à propos des occupations transitoires après que Libération eut publié sur son blog Enlarge Your Paris un entretien intitulé « Les friches font entrer les villes dans l’ère des squats légaux ».

      Dans le quartier Darwin.

      Le phénomène des friches culturelles se circonscrit de moins en moins à la région Île-de-France. À Bordeaux, les instigateurs du site culturel Darwin Écosystème, installé depuis 2009 dans l’ancienne caserne Niel et qui se présente comme un « lieu d’hybridation urbaine mêlant activités économiques et initiatives citoyennes », ne se sont jamais cachés de s’être inspirés directement de La Bellevilloise. Le promoteur immobilier Résiliance a de son côté mis à disposition un terrain vague de vingt hectares situé au nord de Marseille à Yes We Camp, un collectif de cinquante salariés spécialisé dans la création de friches culturelles éphémères, à Paris comme à Roubaix.
      Depuis cette année, la vaste parcelle en jachère accueille un « parc métropolitain d’un nouveau genre, à la fois lieu de vie, de mémoire, de pratiques culturelles et sportives ». Le site, baptisé Foresta, est inséré dans un projet d’aménagement porté par Résiliance et articulé autour d’un immense entrepôt commercial réservé aux grossistes du marché textile chinois.

      Quant aux anciens abattoirs de Rezé, dans l’agglomération nantaise, ils hébergent depuis juillet dernier Transfert, trois hectares de friche culturelle définie par ses concepteurs comme un « espace qui se mue en un lieu de transition où l’on imagine, invente et fabrique ensemble un lieu de vie qui questionne la ville de demain ». L’occupation provisoire durera cinq ans, le temps nécessaire à accroître l’attractivité et la valeur immobilière de ce no man’s land qui doit accueillir un gigantesque projet d’aménagement urbain prévoyant trois mille logements.

      Cette politique de l’éphémère à fin mercantile semble ainsi définitivement être sur les rails qui la conduiront à se pérenniser et à s’étendre à l’ensemble du territoire. « Nous avons désormais un vivier de porteurs de projets qui nous sollicitent, affirme Charlotte Girerd, de SNCF Immobilier. Depuis 2015, une vingtaine de projets d’urbanisme transitoire ont été mis en œuvre. Notre ambition est que d’ici 2019-2020, deux à trois sites répondant à la démarche d’urbanisme transitoire soient lancés chaque année, avec la volonté de travailler de plus en plus hors d’Île-de-France. »

      Une filiale de la SNCF à la manœuvre d’opérations immobilières spéculatives, des collectivités publiques au service du développement économique, des entreprises culturelles de plus en plus hégémoniques… Si les friches culturelles viennent « questionner la ville de demain », elles soulèvent aussi une tout autre question : comment faire exister une politique culturelle affranchie de toute logique économique ?

  • Dans l’avion pour Paris avec les réfugiés du « Lifeline »
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/07/05/dans-l-avion-pour-paris-avec-les-refugies-du-lifeline_5326288_3224.html

    Sans même le savoir, les réfugiés du Lifeline participaient d’une mise en scène de l’accueil français, et écrivaient à leur tour une page de la crise européenne autour des migrants.

    Pendant ce temps, le navire était toujours placé sous séquestre à Malte, empêché de repartir.

    les 2 phrases de la fin de l’article…
    #mise_en_scène_de_l'accueil
    et
    #blocage_des_moyens_de_secours des ONG
    … bon résumé de la politique dite " d’accueil "…

  • Et si le Moyen-Orient ressemblait à ça ? La carte du #Moyen-Orient idéal pour l’armée américaine en 2006 (PHOTOS)

    Si vous pouviez réorganiser les frontières du Moyen-Orient à votre guise, comment procéderiez-vous ? En 2006, l’armée américaine s’est posée précisément cette question.
    Le projet impliquerait une forme de chaos constructif. « L’administration Bush prendrait la destruction créatrice pour décrire le processus par lequel elle souhaite voir émerger le nouvel ordre mondial », analysait alors le professeur #Mark_Levine pour le #think-tank #Global_Research. Il faudrait donc passer par une #tabula_rasa (et ce qu’une telle expression implique en terme de pertes humaines et infrastructurelles) pour pouvoir reconstruire sur des bases différentes. « Et suivant les intérêts et les besoins » américains et israéliens, précisait #Mahdi_Darius_Nazemroaya, également chercheur à Global Research.
    Le Lieutenant-Colonel américain #Ralph_Peters, retraité et enseignant à l’Académie Militaire des Etats-Unis, avait conçu une carte idéale, redessinant les frontières pour un « Nouveau Moyen-Orient ».

    http://www.huffpostmaghreb.com/2013/10/25/moyen-orient-armee-americ_n_4157849.html
    #frontières #USA #Etats-Unis #cartographie #visualisation #morcellement #histoire

    –-> pour archivage

  • Campagne norvégienne pour une consommation (modérée) d’alcool

    Le site s’appelle « de temps en temps » et présente une série de vidéo et de photos très convaincantes. C’est subtil, il y a de la distance dans le regard, et les scènes ne sont pas spécialement spectaculaires, mais l’effet est sur-puissant, spécialement dans ce petit film de 58 secondes :

    https://www.youtube.com/watch?v=BqUJDVoEnW0

    –- Combien de verres votre enfant supporte-il ?

    –- Papa chéri, joyeux noël, bisous, Malin (prénom norvégien)

    La petite Malin chuchote, elle compte les verres les uns après les autres. Un, deux... quatre...

    –- Bienvenue à table, on peut commencer !

    –- six...

    La maman dit quelque chose, le père déjà imbibé répond « ferme ta gueule » (mais pas fort)

    La petite fille chuchotant pour elle-même en regardant sa petite sœur :

    –- Tout va bien, tout va bien, tout va bien...

    –- neuf, dix... Onze...

    La dernière image : le père endormi sur sa chaise à table, et cette phrase « Pensez juste à la quantité d’alcool que vous allez boire à Noël »

    Pas de violence physique dans ce film, mais une énorme violence morale, une situation dans laquelle on peut toutes et tous se retrouver sans même vraiment y penser quand on voit de l’alcool en présence des enfants

    AV·OG·TIL – Slik kan barna oppleve voksnes drikking i julen
    http://avogtil.no/julevett/slik-kan-barna-oppleve-voksnes-drikking-i-julen.html

    Forstod ikke

    Hun mistet aldri tellingen. Fra han tok den første ølen i kjøleskapet på formiddagen. Via aperitiff og så øl og akevitt til maten. Gaveåpningen overvar han med en whisky i hånden. Elleve enheter. Kvelden var ennå ung for de voksne.

    –—> Elle ne s’est jamais trompée en comptant : depuis la première bière qu’il a prit dans le réfrigérateur, puis l’apéritif, et puis à nouveau la bière et l’aquavit pendant le repas, puis les cadeaux qu’on ouvre avec un verre de whisky à la main. Onze [verres]. Et la nuit ne faisait que commencer...

    #alcoolisme #enfance #vidéo #image #mise_en_scène #sémiologie #sémantique #norvège #campagne #alcool

  • Frontières / 4. Autour de #Laetitia_Tura

    Depuis une dizaine d’années, la photographe Laetitia Tura mène un projet photographique et audiovisuel autour de la mise en scène des frontières, l’invisibilité et la mémoire des parcours migratoires.

    En présence de l’artiste et de Michel Lussault.

    Projection-débat avec #Michel_Lussault, géographe, président du Conseil supérieur des programmes, directeur de l’Institut français de l’éducation (Lyon), professeur des universités à l’École Normale Supérieure de Lyon et #Chowra_Makaremi, docteure en anthropologie, chargée de recherche au CNRS.

    Laetitia Tura présente notamment trois séries de photographies

    « Linewatch », consacré au dispositif frontalier entre le Mexique et les États-Unis (2004-2006), où elle s’interroge sur la mise en scène de la frontière.
    « Je ne suis pas mort, je suis là », travail consacré à la frontière Maroc / Melilla, où elle s’intéresse à la mise à l’écart et la disparition de migrants (2007-2012).
    « Ils me laissent l’exil », série réalisée autour de la Retirada des Républicains Espagnols en 1939, où elle pose la question de la mémoire de cet exode.

    Laetitia Tura appartient au collectif photographique « Le bar Floréal ».

    http://www.dailymotion.com/video/x2v2gnn

    #spectacle #mise_en_scène #visibilité #invisibilité #lumière #ombre #photographie #murs #barrières_frontalières #frontières #San_Diego #Tijuana #Mexique #USA #Etats-Unis #dispositif_frontalier #traces #Maroc #Melilla #Espagne #blocage #zone_de_transit #disparition #mourir_aux_frontières #mise_à_l'écart #campement #tranquilo #mort #corps #fosse_commune #Tunisie #tombe #cimetière #dueil #Mauritanie #déshumanisation #monument #migrations #asile #réfugiés
    #guerre_d'Espagne #guerre_civile_espagnole #camp_d'internement #franquisme #Retirada #mémoire #loi_de_mémoire_historique #Espagne #déni

    Quelques extraits qui me semblent particulièrement intéressants dans ce débat fort passionnant....

    Michel Lussault : « Autant la frontière se voit, autant le passage se masque. La #traque en revanche se documente, se montre. (...) Le mur est partout, le passage nulle part » (minute 31’00)

    Michel Lussault : « Le spectacle de la puissance que la frontière montre est toujours hanté par le spectre de l’impuissance. Et ce fantôme est le migrant »

    Chowra Makaremi : Il faut parler de « drames du contrôle migratoire » et non pas de « drames de la migration »

    Chowra Makaremi : « L’humanitaire est devenu une façon de regarder le monde, donc la mort est devenue une limite : la mort est devenue une limite : on ne peut pas supporter que des gens meurent, c’est publiquement insupportable. Et le sécuritaire aussi est devenu une façon de regarder le monde : on ne peut pas accepter que nos frontières s’ouvrent. On ne peut ni supporter de les voir mourir, ni supporter qu’ils circulent. Les frontières sont une ligne de #front politique, parce qu’il y a le risque de mourir, mais ’on le prend quand même’. L’enjeu est donc entre la vie et la mort, ce qui ramène à un enjeu révolutionnaire : risquer sa vie pour avoir une vie meilleure. C’est éminemment politique. C’est très rare que dans nos démocraties qu’on arrive sur des lignes de front pareil. La migration est une ligne de front de ce genre-là ».

    La question du #monument aux morts aux frontières... 1’’19’00
    Laetitia Tura fait un parallèle entre un éventuel monument aux morts aux frontières et l’Arc de Triomphe pour le #soldat_inconnu et elle dit : « On en est pas là, puisque la guerre, cette guerre qui n’est pas dite, a encore lieu. Personne, à part quelques rares individus dans des endroits donnés, par leur propre initiative, n’est en mesure de porter et de faire cet acte symbolique du monument »

    La question de la guerre d’Espagne débute à 1’’22’00 —> « Ils me laissent l’exil »

    (merci à @odilon de m’avoir signalé la vidéo)

    @albertocampiphoto @marty @daphne : je vous conseille de le voir...

  • Autour de Kim Jung Un, on prend des notes sur des petits carnets : mais que peuvent-ils bien écrire ?

    #corée_du_nord #kim_jung_un #mise_en_scène #propagande

    http://d.ibtimes.co.uk/en/full/1394566/kim-jong-un-looks-through-binoculars.jpg http://d.ibtimes.co.uk/en/full/1394567/kim-jong-un-pyongyang-textile-mill.jpg http://d.ibtimes.co.uk/en/full/1394568/kim-jong-un-designing-institute-korean-peoples-army.jpg http://d.ibtimes.co.uk/en/full/1394574/kim-jong-un-rocket-force-meeting.jpg http://i.telegraph.co.uk/multimedia/archive/03421/kimjongun-privatej_3421328b.jpg http://d.ibtimes.co.uk/en/full/1403566/north-koreas-kim-jong-un-coup.jpg http://i4.mirror.co.uk/incoming/article5801888.ece/ALTERNATES/s1227b/Kim-Jong-Un.jpg http://i3.mirror.co.uk/incoming/article5801887.ece/ALTERNATES/s1227b/Kim-Jong-Un.jpg http://i2.mirror.co.uk/incoming/article5801891.ece/ALTERNATES/s1227b/Kim-Jong-Un.jpg http://i.telegraph.co.uk/multimedia/archive/03353/potd-kim-jong-un-a_3353147k.jpg http://i.telegraph.co.uk/multimedia/archive/03316/Kim-Jong-Un-Salmon_3316207k.jpg http://i.telegraph.co.uk/multimedia/archive/03309/kim-jong-un-terrap_3309940k.jpg http://i.telegraph.co.uk/multimedia/archive/03172/jong-boot_3172007k.jpg http://i.telegraph.co.uk/multimedia/archive/03172/jong-shoes-2_3172009k.jpg http://i.telegraph.co.uk/multimedia/archive/02995/potd-north-korea-j_2995338k.jpg http://i.telegraph.co.uk/multimedia/archive/02506/0811-guitar_2506923k.jpg http://i.telegraph.co.uk/multimedia/archive/02642/northkorea_phone_f_2642053k.jpg http://i.cbc.ca/1.2625270.1398752579!/fileImage/httpImage/image.jpg_gen/derivatives/16x9_620/north-korea-kim-jong-un.jpg http://i.telegraph.co.uk/multimedia/archive/02506/kim-tank_2506937k.jpg

  • Parque #EcoAlberto : Home of the Illegal Border-Crossing Tourism Experience

    Next month, Mexican eco-tourism site Parque EcoAlberto celebrates the tenth anniversary of one of its star attractions. It’s not the ziplining, kayaking, or water slides that are being celebrated. It’s an experience called Caminata Nocturna, or night walk, during which participants wearing ski masks pay an admission fee to be chased, shot at, and verbally abused.

    http://www.slate.com/blogs/atlas_obscura/2014/06/20/caminata_nocturna_at_parque_ecoalberto_is_an_illegal_border_crossing_experien

    #Caminata_nocturna #Alberto #mise_en_scène #tourisme #jeu_de_rôle #Mexique #migration #frontière #éco-tourisme

    Le site officiel du village semble être celui-ci :


    http://www.ecoalberto.com.mx/CAMINATA.php

    cc @reka @albertocampiphoto

    • Film sur arte sur cela (le film « bof », mais la réflexion que ce projet amène, intéressante) :

      Night replay

      Au Mexique, un saisissant jeu de rôles où des migrants illégaux mettent en scène pour les touristes le passage clandestin vers les États-Unis. Un jeu de rôle grandeur nature qui se présente en partie comme un scénario de film d’action, avec du suspense et un dénouement plus ou moins violent.

      http://www.arte.tv/guide/fr/044398-000/night-replay?autoplay=1
      #film #documentaire

    • Autre vidéo:
      Archivo VICE: El Alberto y su frontera imaginaria

      La Caminata Nocturna consiste en realizar una actividad extrema en la que vamos a aprender cómo es que una persona vive situaciones de dificultad extrema para cruzar a Estados Unidos. Lo más fácil para un turista es adquirir un todo pagado. Todos los servicios que tiene el parque, como las albercas, tirolesa, paseo en lancha y la caminata, usted los puede convertir en un paquete con un precio único de 250 pesos, que le está incluyendo dos días y una noche para quedarse a acampar en el parque.

      http://www.vice.com/es_mx/video/illegal-border-crossing-park

  • Meet the people who hold the keys to worldwide internet security via @stephane
    The Guardian | James Ball 28/02/2014
    http://www.theguardian.com/technology/2014/feb/28/seven-people-keys-worldwide-internet-security-web

    Voilà la cérémonie qui a lieu tous les trois mois, pour s’assurer de l’intégrité du #DNS ; apparemment l’#Icann prépare un nouveau système de vérification (d’ici trois à cinq ans), qui rendra la perte ou la corruption de la « clé maître » beaucoup plus dangereuse pour la #sécurité de l’#Internet.

    It might be a fairly typical office scene, were it not for the extraordinary security procedures that everyone in this room has had to complete just to get here, the sort of measures normally reserved for nuclear launch codes or presidential visits. The reason we are all here sounds like the stuff of science fiction, or the plot of a new Tom Cruise franchise: the ceremony we are about to witness sees the coming together of a group of people, from all over the world, who each hold a key to the internet. Together, their keys create a master key, which in turn controls one of the central security measures at the core of the web. Rumours about the power of these keyholders abound: could their key switch off the internet? Or, if someone somehow managed to bring the whole system down, could they turn it on again?


    The keyholders have been meeting four times a year, twice on the east coast of the US and twice here on the west, since 2010. Gaining access to their inner sanctum isn’t easy, but last month I was invited along to watch the ceremony and meet some of the keyholders – a select group of security experts from around the world. All have long backgrounds in internet security and work for various international institutions. They were chosen for their geographical spread as well as their experience – no one country is allowed to have too many keyholders. They travel to the ceremony at their own, or their employer’s, expense.

    What these men and women control is the system at the heart of the web: the domain name system, or DNS.

    #cybersécurité surtout donc (et #spectacle de... dixit Bruce Schneier : « This process is both technical and political, which makes it extra complicated… ») un peu de #NSA et de #gouvernance_internet aussi.

    Hier j’ai écrit un truc sur la #résilience (que j’ajouterai ici quand il sera en ligne), mais cet article m’avait échappé, too bad.

    The east and west coast ceremonies each have seven keyholders, with a further seven people around the world who could access a last-resort measure to reconstruct the system if something calamitous were to happen. Each of the 14 primary keyholders owns a traditional metal key to a safety deposit box, which in turn contains a smartcard, which in turn activates a machine that creates a new master key. The backup keyholders have something a bit different: smartcards that contain a fragment of code needed to build a replacement key-generating machine. Once a year, these shadow holders send the organisation that runs the system – the Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (#Icann) – a photograph of themselves with that day’s newspaper and their key, to verify that all is well.

    Le Point avait rencontré l’une de ces personnes clés, si j’ose dire, de l’#Internet :
    http://seenthis.net/messages/143108

    Elles sont 21 en tout, trois groupes de sept, avec un minimum de trois personnes d’un même groupe réunies physiquement pour chaque « cérémonie » :

    All but one of the 21 keyholders has been with the organisation since the very first ceremony. The initial selection process was surprisingly low-key: there was an advertisement on Icann’s site, which generated just 40 applications for 21 positions. Since then, only one keyholder has resigned: Vint Cerf

    • #mascarade #mise_en_scène et ça me fait penser au livre de Régis Debray L’État séducteur que je lisais quand je préparais « Arrêt sur Image » avant que l’émission ne me soit piquée : les révolutions médiologiques du pouvoir, Gallimard, 1993 (ISBN 978-2-070-73640-9) ou il raconte très bien l’incapacité à filmer le travail de la diplomatie et donc sa nécessaire mise en scène médiatique.

    • Oui, je bossais comme technicienne depuis 6 ans déjà pour un réalisateur télé qui s’est avéré proche de Schneidermann, je lui ai proposé de monter spécifiquement une boite de prod pour l’émission de décryptage avec des personnalités invitées qui commenteraient l’actualité télé. C’était mon idée, je l’avais nommée « Arrêt sur images » en souvenir du temps où je travaillais chez Ex-Nihilo qui produisait « Avance sur Image » pour « l’oeil du cyclone » sur Canal+…
      Je me suis fâchée avec ce rélaisateur quand j’ai vu que 3 mois plus tard l’émission sortait sans mon nom car il a seulement rigolé en disant que l’idée était dans l’air.
      J’en garde une haine féroce de tous ces mecs adultes et bien installés qui piquent les idées des jeunes et les cantonnent à des rôles de grouillots techniciens en se gardant tous les lauriers. D’autant que tous les deux, et la bande qu’ils cotoyaient dans le showbiz télé étaient de la même génération de 68.

  • Humour :-) :-) :-)
    À mourir de rire. Je vous encourage vivement à aller lire le rapport sur lequel il veut nous envoyer mourir et aussi assassiner femmes et enfants syriens.

    http://www.elysee.fr/actualites/article/note-de-renseignement-declassifiee-programme-chimique-syrien

    Ça se confirme donc, il n’a rien, K-dal, du vent, c’est vraiment à gerber :-( La vie humaine n’a plus aucune valeur pour la gôôôche socialiste.

    Où est la #presse d’investigation ? Où sont ceux acheter par les vendeurs d’armes et de prêts pour nous maintenir dans le #sommeil ? Faudrait p’têtre demander au mec de Conspiracy watch (j’ai appris qu’il était tout seul derrière ce truc, comme le mec de l’ODSH).

    Peuple de gauche réveille-toi et regarde ce que nos maîtres ont fait de nous.
    #guerre

  • Fake Border Crossing Is Amusement Park Attraction

    An unusual amusement park attraction in the central Mexican state of Hidalgo offers visitors the thrills and chills of an illegal border crossing. The attraction takes visitors through a fake United States-Mexico border, complete with fake smugglers and fake threatening border patrol agents.

    http://www.fronterasdesk.org/news/2013/jun/18/fake-border-crossing-amusement-park-attraction

    #parc_de_divertissement #tourisme #frontière #USA #Mexique #fiction #mise_en_scène