• « Les #mégabassines sont une mal-adaptation aux #sécheresses présentes et à venir »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/26/les-megabassines-sont-une-mal-adaptation-aux-secheresses-presentes-et-a-veni

    « Il est possible d’assurer un avenir durable et équitable dans le domaine de l’eau. Il faut pour cela changer radicalement la façon dont nous apprécions, gérons et utilisons l’eau. Cela commence par traiter l’eau comme notre bien collectif mondial le plus précieux, essentiel à la protection de tous les écosystèmes et de toutes les formes de vie. »

    Ces écrits ouvrent le rapport de synthèse sur l’économie de l’eau publié lors de la Conférence des Nations unies sur l’eau organisée du 22 au 24 mars, qui succède à un hiver exceptionnellement peu pluvieux en France. La crise qui s’installe et les restrictions associées soulignent l’importance de la gestion des stockages naturels fournissant une grande partie de l’eau dont nous dépendons.

    Car si l’eau est une ressource renouvelable, l’équilibre est en phase d’être rompu alors que les effets combinés du changement climatique et de la surconsommation d’eau s’accroissent. Que ce soit dans les lacs, les rivières, les sols ou les nappes phréatiques, les quantités d’eau se réduisent en France. Il est donc très probable que la compétition entre les principaux usages de l’eau (industrie, eau potable et sanitaire, refroidissement des centrales électriques, agriculture) s’amplifie.

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    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/26/les-megabassines-sont-une-mal-adaptation-aux-secheresses-presentes-et-a-veni

    Notre souveraineté alimentaire menacée
    L’agriculture utilise actuellement 45 % de l’eau consommée en France, principalement à travers l’irrigation, et représente plus de 90 % de la consommation estivale dans certaines régions. Dans un contexte de raréfaction de l’eau disponible, il est donc crucial de (re)penser notre système agricole. Une adaptation est indispensable, mais laquelle ?

    Les mégabassines, qui sont des retenues à ciel ouvert remplies en hiver par pompage des nappes phréatiques sont régulièrement présentées comme nécessaires pour « nourrir la France ». Les projets se multiplient en Nouvelle-Aquitaine, Pays de la Loire, Centre et Bretagne, entre autres. Sur le plan hydrologique et économique, les mégabassines menacent la préservation de l’eau et notre souveraineté alimentaire.

    Elles sont d’abord une mal-adaptation aux sécheresses présentes et à venir, qui vont augmenter notre vulnérabilité tout en fragilisant les écosystèmes. Ces réservoirs dépendent de la recharge souterraine et ne permettent pas de faire face à une sécheresse prolongée laissant les nappes à des niveaux trop bas. Un remplissage de mégabassines mise sur une recharge phréatique satisfaisante en hiver, alors que les prévisions hydrogéologiques ne peuvent dépasser six mois.

    Ces retenues « court-circuitent » une partie du transit lent des nappes phréatiques qui sont de véritables tampons hydrologiques dans les paysages, et peuvent créer des « sécheresses anthropiques » amplifiant l’impact des sécheresses météorologiques en aval des prélèvements d’eau, comme déjà observé dans la péninsule ibérique et au Chili.

    Un cercle vicieux
    Ces sécheresses d’origine humaine proviennent d’une dépendance accrue aux infrastructures d’approvisionnement en eau, et peuvent créer un cercle vicieux : les sécheresses alimentent une demande pour plus de dispositifs de stockage, accroissant les usages, qui causera de nouveaux déficits et ainsi d’autres dégâts socio-économiques.

    Les retenues ont aussi un impact sur la biodiversité des zones humides et des systèmes aquatiques avec des effets cumulés encore largement inconnus, alors que ces écosystèmes ont connu une régression massive en Europe et que la biodiversité aquatique a fortement décru.

    Face à ces risques, aucune étude ne permet d’affirmer un effet positif local des bassines sur la ressource en eau. Dans les Deux-Sèvres, une étude du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) en 2022 a modélisé l’effet régional du pompage de la nappe pour le remplissage hivernal de seize réservoirs à ciel ouvert.

    Une contre-expertise et plusieurs collègues ont relevé que la méthodologie utilisée ne décrit pas les dynamiques des nappes phréatiques et les effets de l’évaporation, et n’intègre pas les effets de sécheresses comme celles de la dernière décennie et encore moins celles – plus intenses et plus fréquentes – à venir. Nous ne mettons pas en cause nos collègues du BRGM, qui n’ont répondu qu’à une commande émise par la Coopérative de l’eau des Deux-Sèvres avec des scénarios précis sur une période 2000-2011 peu représentative du futur, comme admis dans un communiqué de presse récent.

    « Greenwashing hydrologique »
    Il est inacceptable que l’instrumentalisation de résultats scientifiques sortis de leur contexte, justifie des politiques de gestion de la ressource sourdes à l’intérêt collectif et à l’évaluation scientifique rigoureuse. En effet, le déploiement des mégabassines freine la transformation de notre modèle socio-économique et de nos modes de vie, nécessaire et urgente pour la préservation de la ressource en eau. La recherche doit contribuer à cette transformation, et non être mise au service de projets qui aggravent la situation ou détournent les efforts des véritables priorités.

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    Par ailleurs, les mégabassines alimenteront une minorité d’exploitations agricoles de taille importante pouvant réaliser les investissements nécessaires, en fragilisant l’accès à l’eau souterraine de tous les utilisateurs. Dans cette mise en concurrence, il s’agit alors d’engager le dialogue.

    Diverses dynamiques mettent les professions agricoles sous pression : baisse du nombre de #paysans, agrandissement des exploitations, et dépendance aux importations (engrais, pétrole) réduisent la souveraineté alimentaire et la résilience du système agricole. Nous conseillons de nouvelles orientations politiques et économiques pour l’agriculture​​​​​​​ afin de soutenir les paysans pratiquant une agriculture plus sobre en eau, plutôt que de subventionner des mégabassines (à hauteur de 70 % des 76 millions d’euros pour le projet dans les #Deux-Sèvres).

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    Quelle est donc l’utilité réelle des bassines, « #greenwashing hydrologique » où l’argent public bénéficie à un petit nombre au détriment de tous les autres ? L’éthique scientifique nous impose de susciter et d’éclairer un débat démocratique, pour que soient prises des décisions collectives à la hauteur des enjeux. Les mobilisations contre les projets de mégabassines nous paraissent légitimes, et les Scientifiques en rébellion estiment nécessaire d’agir pour replacer les débats scientifiques et la gestion des ressources au cœur d’une prise de décision égalitaire entre tous les acteurs.