La Ville de Montréal vient d’être condamnée à verser des milliers de dollars aux personnes victimes de profilage racial qui ont été interpellées sans raison par des agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).
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Visée par une action collective, la Ville de Montréal devra verser 5000 $ à chaque personne victime de profilage racial interpellée par des policiers du SPVM entre 2017 et 2019.
Il y a eu près de 40 000 #interpellations de personnes racisées au cours de cette période.
Les Autochtones ont 6 fois plus de risques d’être interpellés que les Blancs, les populations noires, 3,5 fois plus, et les personnes arabes, 2,6 fois plus, selon un rapport de 2023.
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« Il s’avère indéniable que le phénomène du profilage racial se manifeste au sein du SPVM depuis nombre d’années. Des membres de groupes racisés en sont victimes et font ainsi l’objet, sans justification, d’#interventions_policières présentant un lien avec leur appartenance raciale ou ethnique », déclare sans ambages un #jugement de la Cour supérieure, rendu mardi.
La Ligue des Noirs du Québec menait une #action_collective contre la Ville de Montréal pour que chaque personne racisée interpellée sans motif entre 2017 et 2019 soit indemnisée à hauteur de 5000 $.
Selon des données transmises par la Ville de Montréal dans le cadre du procès, il y a eu près de 40 000 interpellations de personnes racisées au cours de cette période.
Un des avocats qui ont mené cette bataille, Jacky-Éric Salvant, estime qu’entre 10 000 et 30 000 victimes de profilage pourraient se manifester à la suite du jugement.
Au début de l’action collective, la Ligue des Noirs du Québec évaluait le montant de la poursuite à 170 millions. Elle visait particulièrement les personnes issues des communautés noires, arabes, latinos et autochtones.
5000 $ par personne
La juge Dominique Poulin oblige Montréal à verser 5000 $ à chaque personne « interpellée sans justification qui a subi du profilage racial », et 2500 $ aux personnes interpellées dont les données personnelles n’ont pas été enregistrées par les policiers.
Celles qui ont en plus été arrêtées et détenues sans raison devront établir les #dommages_moraux et matériels qu’elles ont subis, pour recevoir la somme appropriée.
Les parties vont retourner devant le juge pour discuter des modalités de versement des indemnités.
La mairesse de Montréal, Valérie Plante, avait témoigné dans le cadre de ce procès en février 2023.
La Ville a reconnu l’existence de profilage racial au sein de son service de police, ainsi que la présence de #biais_systémiques, mais elle affirmait que le profilage était loin d’être généralisé, rappelle le jugement.
Jugement historique
« La Ville contribue au phénomène du profilage racial en demandant à ses policiers de faire de la #prévention et de procéder à des interpellations, dans un contexte de #racisme_systémique, où les #prédictions de policiers sont nécessairement appelées à reposer sur des #biais conscients et inconscients, en appliquant des pratiques susceptibles de cibler de façon particulière les membres de groupes racisés », écrit la juge Poulin, dans sa décision, qui fait une centaine de pages.
Selon la Ligue des Noirs, il s’agit d’un jugement #historique.
« Ce jugement va marquer l’histoire parce que nous sommes la première organisation qui a poursuivi une ville pour profilage racial au Québec et on a obtenu un jugement favorable », souligne le président de l’organisme, Max Stanley Bazin.
Il s’agirait aussi du premier jugement au #Canada qui indemnise les victimes de profilage, ajoute Me Jacky-Éric Salvant, avocat d’Alexandre Lamontagne, celui qui représente les victimes dans le cadre de l’action collective.
Un genou sur le cou
M. Lamontagne, un homme noir, a été interpellé par des policiers en août 2017 alors qu’il marchait tout bonnement sur le trottoir dans le Vieux-Montréal, sortant d’un bar. « Hey, est-ce que je peux t’aider ? », lui aurait lancé un agent, sans raison, selon son témoignage rapporté dans le jugement.
Se sentant agressé, M. Lamontagne a une altercation avec les policiers et leur demande de s’identifier. Alors que la tension monte de part et d’autre, les policiers plaquent l’homme au sol, l’un d’eux lui met un genou sur le cou et ils lui passent les menottes, tandis que trois autres voitures de police arrivent en renfort.
M. Lamontagne passe le reste de la nuit en prison et reçoit trois constats d’infraction pour avoir fait du bruit, avoir continué un acte interdit et ne pas avoir emprunté le trottoir, accusations qui seront par la suite abandonnées.
Les policiers ont raconté en cour une version différente, mais la juge Poulin ne l’a pas retenue, s’appuyant notamment sur des images vidéo.
Alexandre Lamontagne a dû être soigné pour des spasmes musculaires à la suite de l’incident, en plus de se sentir humilié et dénigré. Le jugement lui accorde 5000 $ en indemnisation.
« Que les personnes responsables de l’application des lois et règlements ne respectent pas les droits et libertés qui sont garantis par les chartes, c’est un grave problème », fait remarquer Max Stanley Bazin, qui s’attend à d’importants changements de la part de la Ville de Montréal à la suite du jugement.
Risque plus grand pour les non-Blancs
La décision de la juge Poulin s’appuie en bonne partie sur le témoignage et le rapport de l’expert Victor Armony au sujet du profilage racial au SPVM.
Avec deux autres chercheurs, M. Armony a étudié la question à la demande du corps policier, et son rapport, rendu en 2023, concluait que les Autochtones avaient 6 fois plus de risques d’être interpellés que les Blancs, les populations noires, 3,5 fois plus, et les personnes arabes, 2,6 fois plus.
Malgré ce constat, le chef du SPVM, Fady Dagher, avait refusé de décréter un moratoire sur les interpellations, comme le recommandait le rapport.
« La Ville continuera de déployer des efforts sans précédent pour lutter contre le profilage racial. En tant que première administration à avoir reconnu l’existence du racisme systémique, nous continuerons de travailler, avec l’ensemble de nos partenaires et des organisations publiques de Montréal, afin que chaque citoyenne et citoyen se sente en sécurité et bénéficie des mêmes droits », a réagi le cabinet de la mairesse Valérie Plante, dans une communication écrite.
En réaction au jugement, la Ligue des droits et libertés (LDL) rappelle que les policiers n’ont pas le pouvoir au Québec de faire des interpellations en vertu de la loi ou de la common law. « Les interpellations policières bafouent les droits et libertés des personnes interpellées et sont une source connue et documentée de profilages racial et social systémiques », souligne Lynda Khelil, porte-parole de la LDL.
« La LDL exhorte la Ville de Montréal à ne pas faire appel de ce jugement et à y donner suite de façon urgente, notamment en interdisant aux policiers du SPVM de faire des interpellations, une bonne fois pour toutes. »