D’un côté, nous avons le « mouvement social » dont on pense régulièrement qu’il a disparu mais qui revient toujours faute de mieux.
Ce sont des millions de travailleurs. Il s’agit, pour le dire avec une analyse de classe, de la classe ouvrière. Pour le moment, des manifestants souvent ni syndiqués ni attirés par les cortèges de la CFDT, des manifestants et de grévistes qui viennent d’entreprises petites ou moyennes, des milieux employés, techniciens, agents de maîtrise ou cadres, qui participent rarement aux journées nationales de grève. Dans les grandes entreprises où des syndicats pro-patronaux sont majoritaires, et pour lesquels appeler à la grève est un quasi-sacrilège, les syndicats ont appelé aux manifestations et y ont amené de nombreux travailleurs, mais il n’y a pas de grève.
En face, il y a Emmanuel Macron, son gouvernement et quelques fanatiques qui croient en lui.
Non, la Terre n’est pas plate. Il faut avoir une analyse de classe pour aller au-delà du ressenti dominant qui borne toutes choses aux apparences. En face, certes, il n’y a Macron et ses sbires – bref, l’État et ses moyens –, mais qu’accessoirement. Bien plus réellement, et sans doute moins spectaculaire, il y a en face la classe possédante, celle à laquelle appartient l’État et dont Macron – ni plus ni moins qu’un domestique en chef – n’est que le chien de garde, le serviteur. Personnaliser les enjeux en les réduisant à la personnalité misérable d’un serviteur politique de la bourgeoisie, c’est contribuer à dissimuler les vrais enjeux.
Pas étonnant, dès lors, que pour Lundimatin, l’enjeu soit une représentation de la valeur travail :
Mais que se cache-t-il réellement derrière cet affrontement et sa mise en scène ? Qu’est-ce qui serre les cœurs, donne du courage ou de la rage ? Ce qui se joue, c’est très certainement le rejet du travail.
D’un côté le travail comme participation singulière à la vie collective, à sa richesse et à sa créativité. De l’autre, le travail comme forme particulière de l’effort individuel dans l’organisation capitaliste de la vie, c’est-à-dire le travail comme peine et comme exploitation.
#mouarf. Non, ce qui se joue n’est pas une conception du travail, ce qui se joue et que l’on trouve dans la feuille de route de tous les gouvernements bourgeois, dans tous les pays, c’est comment réduire au maximum la part de richesses qui revient aux classes populaires, sous toutes les formes, pour augmenter la part versée directement aux capitalistes. Le grand patronat se contrefout de votre conception du travail, ce qui importe à ses yeux, c’est que son personnel politique mène la guerre au monde du travail, quitte à tailler davantage dans les retraites, dans le budget des écoles, des hôpitaux, quitte à réduire au maximum le pouvoir d’achat des familles populaires et l’indemnisation du chômage, etc.
En repoussant à 64 ans l’âge légal de départ à la retraite, et en accélérant le passage à 43 annuités requises pour une pension à taux plein, le gouvernement ne défend pas une idéologie, il attaque frontalement la condition ouvrière, et ce dans un seul but : amplifier la ponction sur le monde du travail pour gaver le monde du capital.
la forme qu’a pris l’effort commun et collectif dans cette société est invivable, humiliant, souvent dénué de sens et mutilant. Si on y réfléchit bien, on ne s’est jamais battu pour la retraite, toujours contre le travail.
Non, on se bat pour ne pas travailler 2, 3, 4 ans de plus, on se bat pour disposer d’une vraie retraite, et nous savons que ce n’est pas tant le travail qui pose problème que le travail exploité – qui le détourne des intérêts de l’humanité et nous pourrit l’existence.
Le capitalisme n’a jamais été autre chose que l’organisation objective et économique de l’humiliation et de la peine.
Oui, sans doute, en termes moraux. Mais c’est bien davantage un rapport social de production qui a eu sa nécessité historique. Ce qu’il organise, c’est la reproduction et l’accumulation du capital en tirant une plus-value sur chaque journée de travail de chaque travailleurs sur cette planète. La question n’est pas d’ordre moral, elle est sociale et historique.
Je passe les longues considérations sur la police pour n’en garder qu’une :
Répétons-le, on ne gagne jamais « militairement » contre la police. C’est un obstacle qu’il s’agit de tenir en respect, d’esquiver, d’épuiser, de désorganiser ou de démoraliser.
Il faudra pourtant écraser la police pour mener la révolution sociale. Car je ne parle plus d’émeutes de rue, auxquelles, en effet, les CRS sont bien préparés, mais je parle d’occupation des usines, des dépots, des entrepôts, des bureaux par des millions de travailleurs, contre lesquels les Macron de demain enverront des milices et l’armée. Et alors il ne s’agira plus seulement d’esquiver « quelques charges et gaz lacrymogènes », de « contenir des dispositifs policier », mais, non seulement de sauver sa peau, mais de s’emparer des moyens de production et de neutraliser définitivement les forces de répression de la bourgeoisie.
Cette phrase étrange :
plus personne n’attendra indéfiniment la grève générale d’une classe ouvrière et d’un monde du travail émiettés par 30 années de néo-libéralisme, le geste politique le plus évident, spontané et efficace est désormais le blocage des flux économiques, l’interruption de l’écoulement normal des marchandises et des humains.
Or, qui et quoi, sinon la classe ouvrière en grève générale pourra bloquer les flux économiques, interrompre (j’ajoute la production) l’écoulement normal des marchandises et des humains ?
Des gilets-jaunes ? Dont lundimatin croit pouvoir penser, sans rire, que Macron les « craint par dessus tout » ? Eux qui précisément, en occupant des ronds-points et en manifestant tous les samedis après midi pendant des mois, sans jamais (ou trop rarement) tenter d’entrainer à leur suite les travailleurs des grandes entreprises, n’ont au final rien bloqué ni rien obtenu, sinon une démoralisation encore plus profonde et mortifère ?
En attendant, pour avoir une chance réelle de l’emporter, il faudra non seulement des manifestations massives, mais surtout des grèves frappant les capitalistes au portefeuille. Il faut que des secteurs importants de la classe ouvrière (notamment du secteur privé) se lancent dans le mouvement. C’est à cette condition, si celui-ci est suffisamment déterminé, que la bourgeoisie elle-même ira demander à son valet Macron de retirer sa réforme. Et ensuite, face à une classe ouvrière renforcée, mobilisée et consciente, il deviendra possible d’imposer d’autres reculs au pouvoir politique et au patronat.
Tout se joue donc maintenant, et au-delà. La gauche est en embuscade, prête à vendre un échappatoire électoral, une illusion référendaire, voire la construction de la 4e Internationale.
Mais où lundi matin va-t-il chercher tout ça ? Oui, la gauche – c’est du reste sa fonction – aura à coeur si le mouvement se renforce, de l’entrainer dans quelques impasses dont il ne se relèvera que difficilement. Mais quel rapport avec la 4e Internationale dont les plus jeunes députés de LFI ignorent probablement tout ?
Une manière un peu ridicule, je l’ai compris, de moquer en réalité l’extrême gauche communiste révolutionnaire qui maintient que le prolétariat n’obtiendra de victoire générale et définitive qu’à condition de s’organiser pour faire plier l’appareil d’État de la classe possédante. Mais « se confronter au plus vite à la question centrale de tout soulèvement », « se doter de points de repères et de retrouvailles », « des lieux pour construire la complicité et la solidarité », « des lieux où se retrouver et s’organiser », n’est-ce pas cela le rôle d’un parti ouvrier de masse ? En attendant de pouvoir apporter les moyens d’achever partout ce système ?
Je finis sur un accord :
Pour que le mouvement perdure et esquive la récupération autant que la répression, il lui faudra se confronter au plus vite à la question centrale de tout soulèvement : comment déployer les moyens de son auto-organisation ?
Précisément. « L’émancipation des travailleurs sera l’oeuvre des travailleurs eux-mêmes ». Mais pour cela, il leur faudra se construire, sur la base de leurs luttes, de leur expérience, d’une organisation de fer. Pas seulement des « discussions en air libre », ou une « Maison du Peuple », ou « une occupation de la Bourse du travail », ou encore « Nuit Debout, les Gilets Jaunes, les Soulèvements de la Terre », mais un outils de classe capable d’écraser physiquement l’État de la bourgeoisie et ses moyens de répression (dont il n’a jusqu’ici utilisé que l’essentiel).
Je ne conçois pas autrement le rôle du parti. Comme la seule manière pour les travailleurs eux-mêmes de se donner les moyens de liquider ce monde. Non pas seulement d’organiser « le blocage du pays », mais de renverser les rapports sociaux et de tout faire fonctionner selon leurs propres priorités en prenant le contrôle des moyens de production et d’échange.