Les observateurs redoutaient une explosion de la désinformation liée à l’utilisation d’algorithmes de génération d’images. Mais le camp trumpiste s’en sert surtout comme un instrument comique, capable de séduire la jeunesse.
Compilation d’images générées par intelligence artificielle par des supporteurs de Donald Trump, en référence à la rumeur xénophobe des migrants haïtiens mangeurs de chats.Donald Trump posant dans Air Force One (l’avion présidentiel), entouré de chats et de canards. Un félin vêtu d’une tenue militaire, arme d’assaut en main, casquette MAGA (« Make America Great Again ») sur la tête. Le 45e président, une portée de chatons dans les bras, qu’il protège derrière une épée de feu. Le candidat à la présidentielle, vêtu d’un costume de Superman, vole en portant un canari, ou qui chevauche fièrement un chat tigré géant devant le drapeau américain… Depuis le 8 septembre, et la diffusion dans les sphères pro-Trump de la rumeur d’Haïtiens mangeurs d’animaux domestiques, d’innombrables vidéos et images générées par intelligence artificielle (IA) sur ce thème ont déferlé sur les réseaux sociaux, parfois partagés par Elon Musk et Donald Trump en personne. Avec un point commun : au lieu de chercher à prouver les allégations, par exemple par des pseudophotos de migrants pris sur le fait, toutes mettent en scène Donald Trump dans des situations à l’évidence absurdes. Pour le plus grand régal des supporteurs du candidat républicain, exaltés par le ton irrévérencieux et décalé de la séquence.
Sur son réseau Truth Social, dans les cercles militants sur Facebook ou encore sur X, plate-forme aujourd’hui quasi acquise au trumpisme, les internautes ne cachaient pas leur plaisir : « Kamala tremble. Trump poste des mèmes de chat avant le débat », s’amuse un internaute. « Le prompt [la consigne à donner à un algorithme de génération d’image] est plus fort que l’épée », savoure un autre. « Plus Harris et les démocrates seront énervés, plus il y aura de ces images et mèmes faits par IA, estime un troisième. Pas besoin de payer pour que les gens remplissent Internet avec des images de chat drôles et positives ! »
Fierté de faux grossiers
De fait, la rumeur a donné lieu à une explosion visuelle aussi créative que déstabilisante. S’appuyant majoritairement sur #Grok, l’algorithme lancé par Elon #Musk, la démarche prend le contre-pied d’une des craintes que faisait peser la démocratisation des images générées par #IA en temps de campagne.
Inutile de chercher des productions destinées à tromper visuellement les internautes : ces #mèmes assument au contraire l’esthétique IA et en jouent, à l’image de certains ratés fièrement partagés. Ainsi de croisements loufoques entre la chevelure du candidat républicain et le pelage d’un félin, ou de pseudophotos montrant des canards à trois pattes – l’IA est réputée faillible quant au nombre de doigts des humains, elle l’est manifestement aussi pour l’anatomie des animaux, et la sphère trumpiste en joue. Elle ne dit pas : regardez, c’est vrai, à propos d’images fausses ; elle se vante de produire des images grotesquement fausses.
Les promoteurs de Trump l’associent aux mèmes d’Internet les plus célèbres, dans des montages musicaux foutraques remplis de clins d’œil pour initiés. Ce déchaînement de créations ubuesques, volontiers humoristiques et décalées, n’est pas sans rappeler l’appropriation par l’« alt-right » (une mouvance de l’#extrême droite américaine) du personnage de Pepe the Frog, en 2016 : déjà, les sphères militantes d’extrême droite, biberonnées à la culture irrévérencieuse du forum 4chan, s’étaient attelées à présenter Donald Trump comme un candidat à l’univers jeune, caustique et transgressif, loin de l’image jugée policée et castratrice des démocrates. Comme le dit un slogan trumpiste sur Internet : « The left can’t meme » (« La gauche ne sait pas faire de mème ), expression de cette #guerre_culturelle menée par l’extrême droite sur les réseaux sociaux, où le rire est perçu comme un rempart contre l’esprit de « censure » des démocrates.
Derrière l’humour, des stéréotypes colonialistes
Si, en pleine crise du Covid-19, la campagne de 2020 était marquée par un ton tragique et millénariste, l’écosystème de 2024 se prête idéalement au retour de l’humour carnassier. Sur X, depuis son rachat en 2022, son nouveau patron Elon Musk a fait revenir les comptes trumpistes les plus radicaux : il promeut un mélange de positions d’extrême droite, pro-Trump, avec un ton rigolard assumé, et cet été il a lancé Grok, l’algorithme de génération par IA présenté comme « anti-woke ». Ultime avatar du combat culturel de Musk, cet outil est censé pouvoir générer les images les plus radicales ou improbables possibles, comme Mickey Mouse une cigarette au bec, Elon Musk avec un fusil d’assaut dans une école, ou Kamala Harris et Donald Trump en couple sur une plage. Le patron de Tesla a donné le ton de la campagne en postant lui-même une vidéo volontairement décalée, le montrant en train de danser aux côtés du candidat républicain.
Cet usage essentiellement #comique et #transgressif de l’IA est pour Donald Trump l’occasion inespérée de reconquérir un électorat jeune bien plus attiré par Kamala Harris. Mais c’est aussi un véhicule beaucoup plus sournois pour la désinformation. L’œil attiré par les positions loufoques de Donald #Trump sur ces pseudophotos, ou les bizarreries anatomiques de ces animaux en apparence si mignons, combien d’internautes resteront vigilants concernant la violence et la fausseté du message véhiculé ? A l’image des caricatures antisémites d’antan, sous couvert d’#humour, ils font commerce de stéréotypes xénophobes déshumanisants, en montrant en arrière-plan des Haïtiens, toujours des hommes, menaçants, pieds nus, caricatures aux accents colonialistes. En 2016 comme en 2024, l’humour trumpiste demeure le faux nez d’un racisme décomplexé.