Le grand-papi nazi de Chrystia Freeland Jean-François Nadeau - Le Devoir
« Il ne faut pas dix minutes, aux archives publiques, à Edmonton, pour obtenir le dossier de Mykhailo Chomiak, le grand-père de la vice-première ministre canadienne, Chrystia Freeland. Il est impossible de nier, devant les photographies et les documents, que cet homme était, en Ukraine, un nationaliste ethnique lié aux nazis », affirme Peter McFarlane au bout du fil.
Journaliste et éditeur, McFarlane vient de faire paraître Family Ties , une histoire des ultranationalistes ukrainiens réfugiés au Canada après la Seconde Guerre mondiale. Le livre est publié à Toronto chez James Lorimer & Co, une maison bien établie.
Alors quoi ? Nazi un jour, nazi toujours ? Pourquoi ce livre ? Pour faire le jeu du discours poutinesque qui voudrait faire de tous les Ukrainiens, au Canada comme ailleurs, d’hier comme aujourd’hui, des suppôts du nazisme ? « Pas du tout », dit-il doucement.
Au moment où Chrystia Freeland niait le fait que son grand-père était lié, durant la Seconde Guerre mondiale, à un courant nazi en son pays, Peter McFarlane se trouvait en Ukraine. Il y réalisait des entrevues au sujet d’un système de corruption lié au commerce international du blé. Il a cru bon de faire un pas de côté, piqué par la curiosité, histoire de vérifier ces faits allégués. Il a investigué en journaliste, dit-il, sur la base d’un principe simple et éprouvé : ne rien avoir contre la vérité.
Le journaliste le dit et l’écrit : « personne en société n’est responsable de ce que son grand-père a pu faire ou penser », considère Peter McFarlane. Mais nier les faits, c’est offenser la vérité. Or, c’est bien ce qui s’est produit. Un porte-parole de Chrystia Freeland, dans la foulée d’allégations du Globe and Mail, avait même avancé que les faits à l’encontre de ce grand-père étaient forgés de toutes pièces.
Considérez pourtant ceci : Mykhailo Chomiak, le grand-papi de la vice-première ministre, fut l’éditeur de Krakivski Visti , un journal farouchement nazi. Dans cet imprimé, on exaltait la politique hitlérienne et son programme d’extermination des Juifs. Chomiak avait été placé là à dessein.
Dans les papiers de Chomiak, montre McFarlane, se trouve même copie d’une lettre dans laquelle il écrit aux autorités nazies à propos du « juif Dr Finkelstein ».
L’appartement de ce dernier a été saisi afin d’être « aryanisé ». Chomiak demandait la permission aux autorités de s’approprier ses meubles, tout en sollicitant un remboursement pour les dépenses occasionnées par le « nettoyage » de l’appartement. Après la guerre, Chomiak continuera d’exposer de crapuleuses perspectives antisémites.
Si Mme Freeland avait tout bonnement admis le passé ignoble de son grand-père, ne serait-ce que par la voix d’un quelconque porte-parole, le dossier aurait été vite fermé, sauf pour des esprits volontiers bornés et malveillants.
Au lieu de cela, comme l’explique Peter McFarlane, ses défenseurs et elles se sont entêtés. Pour eux, il ne s’agissait que de diffamation, d’un salissage du passé voué à entacher le présent. Faudrait-il, selon cette perspective, en venir à considérer qu’il faut volontiers maquiller le passé pour que le présent nous apparaisse plus satisfaisant ?
Tout cela « est complexe », dit Peter McFarlane. Au Canada, d’anciens sympathisants nazis sortis d’Ukraine ont joué des rôles importants dans la société civile sans être inquiétés. Selon le journaliste, un triste nationalisme ethnique, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, s’est trouvé conservé bien au chaud dans le creuset d’associations d’immigrants ukrainiens. L’oncle même de Chrystia Freeland a écrit un livre là-dessus. « Ce n’est tout de même pas une observation critique qui vient des Russes de Poutine », note McFarlane, « mais de la famille même de la vice-première ministre ! »
Il apparaît d’ailleurs, dans la foulée, que Chrystia Freeland a longtemps défendu un nationalisme ukrainien tout à fait en phase avec le discours de ces associations.
Avant de devenir chef du Parti libéral du Canada, Michael Ignatieff avait publié Blood and Belonging , un livre controversé, en raison de ses conclusions parfois trop carrées. Il se trouve tout de même là-dedans une entrevue avec Chrystia Freeland, alors âgée de 26 ans. Un passage que McFarlane n’a pas manqué de relever : « il est courant que les Ukrainiens canadiens se considèrent comme les vrais Ukrainiens, ceux qui ont gardé la foi, alors que, parmi les Ukrainiens eux-mêmes, la contrainte et le fatalisme du système communiste s’insinuaient dans leurs os. » Pour elle, quand les Canadiens ukrainiens rentrent là-bas, « chez eux », ils s’attendent à trouver un peuple « fervent nationaliste et religieux », mais « trouvent à la place des âmes soviétiques flegmatiques, ironiques, sobres et fatalistes ». Et Freeland d’affirmer à Ignatieff que « l’indépendance nécessite un nouveau type humain ». Rien de moins.
Pour McFarlane, il ne fait aucun doute que le nationalisme qui émerge en Ukraine après l’effondrement du bloc soviétique puise dans les ferments conservés en dormance au Canada pour être ravivés dans le champ politique consécutif à l’effondrement de l’URSS. Le livre de McFarlane est dévastateur à force de montrer, preuves à l’appui, comment d’anciens soldats SS ont pu se fondre dans la société canadienne en toute impunité. Certains ont même été honorés par un imposant monument de granit dans un cimetière d’Oakville, en Ontario. Ce monument a été retiré en mars 2024.
Ignorer l’eau trouble dans laquelle les racines du nationalisme ukrainien ont trempé est l’un des facteurs qui permettent d’expliquer comment Yaroslav Hunka, un ancien soldat SS, a pu être ovationné en septembre 2023 au parlement canadien, devenu alors, pour un moment, la risée sur la scène internationale.
Les idées, bien sûr, ne sont pas transmissibles sexuellement. Le nazisme — pas plus que tous les autres « ismes » — n’est pas lié au sang. Sinon, comment expliquer que tant de jeunes esprits, à peine sortis de la puberté, trouvent aujourd’hui, dans pareille idéologie putride, de quoi se gargariser du fait d’exister ?
Reste qu’un chat doit être appelé un chat. Il n’y a pas de raison de nier des faits patents, exposés aussi clairement par McFarlane. Car c’est bien là le danger : dans une époque où des figures comme Donald Trump prospèrent en réécrivant l’histoire à leur guise, le mensonge devient une arme politique.
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Source : ▻https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/823872/chronique-grand-papi-nazi ?