• Un « Hold Up » de notre capacité d’agir : sur le film de Pierre Barnérias – Eunomia
    https://eunomia.media/2020/11/20/hold-up-de-notre-capacite-dagir

    #Neoclectic a totalement raison : le complotisme est le dernier allié des pouvoirs.

    La semaine passée a été marquée par la publication sur les réseaux sociaux de Hold Up, un film présenté par ses concepteurs comme un documentaire sur la crise du Covid 19 et sa gestion politique, notamment en France. Mélangeant images d’actualité, interviews et paroles d’anonymes, Hold Up a très vite rencontré un public massif parmi tous.tes les « antisystèmes » du pays, ce qui est somme toute logique dans notre période de sidération et de vide critique. Problème : le contenu du film délivre une lecture falsifiée et conspirationniste de la crise sanitaire, appelant avant tout à l’émotion et invisibilisant les sujets les plus urgents. Explications.

    « Il est abject, ce documentaire, Hold Up. Il exploite avec une rare perfection la détresse, la tristesse, les fantasmes et la peur des gens en superposant des images-choc et en leur racontant n’importe quoi. Sans rire, c’est extrêmement bien fait et extrêmement pervers. Et c’est assez flippant pour couper toute envie de se battre. Voilà un bâton entouré de fils barbelés. Une toile d’araignée bien utile pour occulter un danger bien réel : la crise économique qui arrivera après la pandémie et la politique d’austérité qui en découlera. Ce film porte bien son nom : c’est un hold-up de l’esprit critique. Rendez-nous Marx ! »

    Il est alors difficile, en tant que non-spécialiste, de démêler le vrai du faux, d’autant que la Macronie s’est faite elle-même experte en confusion, mixant allègrement propagande politique et discours scientifique depuis le début de la gestion de cette épidémie. Il en ressort une impression de chaos. Toutes ces images enchaînées font l’effet d’une drogue sur le cerveau, elles ne vont nulle part, n’expliquent rien mais fascinent, et finalement annihilent le sens critique. On se sent très vite démuni face à cette grosse machine qu’on nous présente, sorte de rouleau-compresseur que rien ne peut arrêter. De ce fait, nombreux.ses sont celles et ceux qui, après avoir vu Hold Up, tentent d’en sauver les meubles, c’est-à-dire d’affirmer que « tout n’y est pas à jeter ». Le problème de cette posture, c’est qu’elle oublie que le mélange du vrai et du faux ne peut produire que du faux. Or, mentir est dangereux, même si le but avoué est de faire se lever les foules. Surtout avec une conclusion annonçant l’arrivée d’un « gouvernement mondial », topos répandu de l’extrême droite antisémite converti dans la bouche de Marine Le Pen en « mondialisme ».

    Lorsqu’on doute de la crédibilité d’une source, le premier réflexe à mobiliser est de se demander qui parle et dans quel but. Pierre Barnérias, Nicolas Réoutsky et Christophe Cossé, les trois producteurs de Hold Up, on ainsi un CV pour le moins intrigant. Le premier est un journaliste proche de la Manif Pour Tous ayant réalisé plusieurs documentaires bidonnés, dont l’un (M et le 3ème secret, 2014) traite d’un complot mondial (encore un !) animé par les communistes et les francs-maçons.

    Il partage avec le second, Nicolas Réoutsky, une passion pour les expériences de mort imminente. Quant à Christophe Cossé, il est connu dans le civil pour être « maître praticien » en Hypnose Ericksonienne et en Programmation Neuro Linguistique (PNL). A priori, rien ne disposait ces trois hommes à s’adonner à l’épidémiologie, encore moins à la critique sociale. Hold Up ne vient pas de nulle part : pour le comprendre, il est nécessaire de replacer ce document dans le temps long. Dès le début de la pandémie de Covid 19, des voix se sont faites entendre pour remettre en question la véracité de la pandémie.

    Dans de nombreux médias, on a pu voir des journalistes, mais aussi des politiciens, des personnalités affirmer que le Covid 19 n’était qu’une « grippette » ou affirmer leur scepticisme quant à son existence. Sans connaître la suite et sans être spécialiste, ces doutes étaient de l’ordre du raisonnable. Or, à la mi-mars, après des gesticulations inconséquentes du gouvernement français, nous avons été confinés pour deux mois. Pour certains.nes, le confinement s’est déroulé sans trop de difficultés, mais pour d’autres, notamment celles et ceux qui n’ont pas l’habitude d’être mis au repos forcé si longtemps, il s’est vite transformé en calvaire. Je pense que des idéologues représentant un groupe d’intérêts particuliers s’en sont rendu compte très tôt et se sont engouffrés dans la brèche de la peur et du déni massifs qui se sont installés durant ces mois de solitude confinée.

    Toute crise débouche sur des situations de flottement intellectuel favorables à l’irruption de ce type d’énergumènes qui semblent apporter des réponses neuves et simples à des problématiques complexes. La popularité nouvelle de ces quatre beaux-parleurs a entraîné dans son sillage l’irruption dans le débat public de toute une horde d’ « alternatifs » plus ou moins sérieux résolus à mettre à bas la pensée rationnelle et les acquis originels de la médecine occidentale. De la défiance anti-laboratoire (légitime, au vu des nombreux scandales sanitaires comme celui du Mediator ou de la Dépakine), nous sommes alors rapidement passés à une défiance plus générale contre les médecins puis les soignant.tes, accusés de prendre part à des mensonges sanitaires comme s’il s’agissait d’un groupe homogène partageant les mêmes intérêts.

    On oublie les oppressions réelles, déjà existantes, la souffrance au travail, les licenciements, la pauvreté, les inégalités qui s’accroissent. Passées à la moulinette du « complot mondial », celles-ci passent pour quantité négligeable, elles paraissent secondaires, presque normales. On oublie que nous plongeons dans une crise économique effroyable qui a déjà causé la paupérisation d’un million de personnes en un an en Franceet des cas de détresse psychologique chez la moitié des travailleurs.euses du pays. On oublie la politique d’austérité qui s’en suivra, avec certainement de nouvelles attaques contre notre modèle social en lambeau, encore une fois contre les plus faibles. On oublie que désormais, occuper un bâtiment universitaire sera passible d’une peine de prison, que publier une photo non-floutée d’un flic ne sera plus possible pour un journaliste, que des réflexes d’obéissance absurdes sont en train d’être intériorisés par les populations subissant la gestion catastrophique de cette crise sanitaire avec un stress soutenu. On oublie que le lien social s’étiole, que le capitalisme s’étend, et avec lui les dominations sociales, patriarcales, raciales, écologiques et sexuelles. Et on oublie surtout de parler des solutions qu’il nous reste pour affronter cet avenir. Nous nous laissons paralyser, et nous en oublions nos principes, jusqu’à glisser vers des chemins que nous n’aurions jamais dû emprunter.

    Pour terminer, je pose une question qu’adorent poser ceux et celles que l’on appelle les conspirationnistes : à qui profite le crime ? Dans le cas de Hold Up, la réponse paraît désormais évidente : au gouvernement sur le court terme, et sur le long terme à des forces militantes qui ne sont pas les nôtres. Des personnes se lèvent aujourd’hui pour mettre à bas la pensée rationnelle en exploitant ses failles. Des forces issues du monde du privé, tout à fait compatibles avec le macronisme et ses vérités alternatives, qui pourraient tout à fait souscrire à une politique d’austérité, du moment que celle-ci s’attaquerait au régime de Sécurité Sociale et déboucherait sur une médecine à deux vitesses dans le cadre de laquelle ils pourraient se lancer dans de nouveaux marchés. Toute crise provoque du brouillard, surtout lorsque la défiance est au plus haut. Les exemples historiques sont nombreux. Pour rappel, les sociaux-démocrates de la République de Weimar avaient été si infâmes qu’ils ont permis à l’une des pires dictatures de l’Histoire de s’installer dans les années 30, après avoir écrasé les marxistes allemands et dans un bouillonnement intellectuel européen réactionnaire intense qu’on a appelé le fascisme. Camarades marxistes, anarchistes et révolutionnaires, nous n’avons désormais plus le droit à l’erreur et sommes placés face à une responsabilité écrasante. Grève, blocages, occupations, désobéissance civile : il devient urgent de nous ressaisir de tous les moyens de lutte à notre disposition. Vite, car il est minuit moins une.

    #Complotisme #Extrême-Droite #Hold_up