• Où va Michel Onfray ?

    Depuis longtemps maintenant, Michel Onfray s’est spécialisé dans l’anticommunisme et l’antisyndicalisme. Après avoir raillé « les vieilles scies militantes d’hier et d’avant-hier : cosmopolitisme des citoyens du monde, fraternité universelle, abolition des classes et des races, disparition du travail et du salariat, suppression du capitalisme, pulvérisation de toutes les aliénations, égalitarisme radical », il lance en 2008 une grande campagne nationale de diffamation à l’encontre de Guy Môquet, absurdités historiques à la clé. Le créateur de l’Université populaire de Caen se consacre ensuite au dénigrement médiatique du candidat du Front de gauche à l’élection présidentielle. Ce dernier, parce qu’il défend la figure de Robespierre, est dépeint comme l’incarnation contemporaine du totalitarisme – voter pour lui, c’est voter pour la réinstallation de la guillotine en place de Grève. Ainsi, faisant siennes sans barguigner les thèses de l’historiographie néolibérale, le philosophe, qui se réclamait parfois de l’antilibéralisme (de moins en moins souvent il est vrai), vire sa cuti pour entonner les refrains d’une plate philosophie des droits de l’homme empruntée à Bernard Henri-Lévy. Dans la foulée, il affirme sur le plateau d’un journal télévisé que Chavez a truqué sa réélection au moyen de machines électroniques (alors que même la Fondation Carter valide les résultats).

    Mais ces harangues douces aux oreilles de la droite n’étaient qu’un premier pas. Après tout, un philosophe qui fait si continûment profession de nietzschéisme a-t-il grand-chose d’autre à offrir à la gauche que des absurdités comme « Marx a contribué à nous faire penser de manière binaire : les méchants riches contre les bons pauvres » ? Or, si l’on observe sa trajectoire récente, Michel Onfray donne à voir ce qu’il faut bien appeler une radicalisation.

    La première étape s’opère sous le signe de son ralliement halluciné à Albert Camus. L’essai L’ordre libertaire, la vie philosophique d’Albert Camus, dithyrambe officiel, sert de prétexte au philosophe normand pour cracher sur Sartre, coupable – entre autres – d’avoir été compagnon de route du Parti communiste. Onfray pousse si loin sa vénération pour le « philosophe pour classes terminales » qu’il s’active à faire débarquer l’historien Benjamin Stora du projet d’une « Expo Camus » conduit par la municipalité d’Aix-en-Provence et les héritiers de l’auteur de La Peste. Cette éviction ne doit rien au hasard : Stora n’était pas dans la ligne pro-Algérie française du maire Maryse Joissains-Masini, membre de la Droite populaire et proche des milieux d’extrême droite sur ces thématiques. Albert Camus, partisan comme eux de l’assimilation, s’était en effet distingué par une franche hostilité à l’indépendance et à la décolonisation de l’Algérie, point auquel ses héritiers semblent tenir. Aussi Onfray se voit-il un temps comme l’ordonnateur rêvé d’une grand-messe exaltant « la pensée de midi » et une Algérie préservée du FLN. Si cette collaboration n’aura finalement pas lieu, cela n’a pas empêché Onfray de se répandre, dans les média, pour défendre une conception très camusienne de la question algérienne. Au point que le numéro deux du Front National, Bruno Gollsnisch, s’est fendu d’une note sur son blog pour féliciter Onfray de défendre une vision compatible avec la sienne selon laquelle « la France n’a pas à rougir de son œuvre civilisatrice en Algérie » !

    En mars, c’est au site proche de l’extrême droite nationaliste israélienne Dreuz.info que notre hédoniste en chef accorde une interview complaisante où il claironne que « le versant solaire de la Méditerranée se manifeste sur les plages de Tel-Aviv ».

    De fait, difficile de ne pas voir que le discours onfrayen résonne maintenant très favorablement aux oreilles de l’extrême droite. Ainsi, les attaques récurrentes du philosophe contre la religion musulmane et les musulmans lui valent désormais la sympathie des groupuscules satellites du FN comme Riposte laïque. Célèbres pour avoir organisé les « apéros saucisson-pinard », les membres de cette secte raciste se posent la question sur leur site  : « Michel Onfray serait-il une taupe de Riposte laïque ? ». Il faut dire qu’en plus de propos d’une rare violence contre l’islam, on trouve dans la bouche du « révolté » autoproclamé des sorties pour le moins flatteuses vis-à-vis de la présidente du Front national : « Si la gauche était moins conne, elle aurait le discours de Marine Le Pen sur la laïcité » ; « Marine Le Pen a raison ! ».

    Notons que cette focalisation sur la laïcité (utilisée avant tout contre l’Islam) correspond très exactement à l’approche de la droite « décomplexée » (celle d’un Jean-François Copé). Il s’agit de rallumer sans cesse la torche de la question religieuse pour faire écran au drame économique. Comme si les périls du monde actuel se résumaient, comme sous la Troisième République, à l’emprise des Églises et aux querelles de libre-penseurs ! Alors que la planète et des peuples entiers agonisent sous le boisseau d’un système économique affolé, Onfray, Copé et Le Pen pointent de concert les vrais problèmes : le Coran !

    Le 24 mai dernier a marqué l’ultime étape (jusqu’ici) de la triste route de Michel Onfray vers l’extrême droite. Invité pour la énième fois d’un plateau de télévision, le laudateur de Camus, en roue libre, s’est déchaîné contre la religion musulmane (violente et sanguinaire), déclarant voir l’islam comme une menace. Reprenant mot pour mot les arguments des idéologues de la haine antimusulmans, Onfray, devant un Jean-Jacques Bourdin conquis, outrepassa même la violence des diatribes d’une Marine Le Pen... Au moment de commenter le suicide de l’historien d’extrême droite Dominique Venner (païen antireligieux et nietzschéen vitaliste), Onfray lâche ces mots sibyllins : « N’est pas samouraï qui veut ». Une référence élogieuse à Mishima, autre suicidé de l’ultra-droite nationaliste. À croire que, dans l’esprit de Michel Onfray, l’ultime samouraï dans « l’Europe décadente », c’est lui.

    Ce qui l’a conduit, le 15 novembre dernier, à prophétiser, pour « dans cinquante ans », une « Europe islamisée. »

    Elias Duparc