• « À partir de 50 ans, les femmes développent un super pouvoir : elles deviennent invisibles. Surtout à l’écran ! » - Théâtrices
    http://theatrices.wordpress.com/2014/06/22/travail-travail-travail

    Il est important pour moi par ailleurs de parler du tunnel que traversent les actrices entre 45 et 55 ans. Un sacré tunnel. Où les rôles se font plus rares. Je m’en sors en diversifiant, en écrivant mes propres sujets, en aidant les autres à réaliser leurs projets. Cependant la période 45-55 ans demeure un gros point d’interrogation pour chacune. Anne Le Ny dans une interview parue récemment m’a bien fait rire : « À partir de 50 ans, les femmes développent un super pouvoir : elles deviennent invisibles. Surtout à l’écran ! » Là je viens de tourner un film dans lequel j’ai le premier rôle. J’ai le premier rôle, parce que j’ai collaboré au scénario et parce que c’est un film autoproduit.

    Le Centre médical du Spectacle, où l’on doit se rendre annuellement pour les assurances, s’est livré à une enquête là-dessus. Un jour lors de ma visite annuelle, une femme médecin m’a demandé comment j’allais et si je travaillais. « On sait que l’approche de la cinquantaine est difficile », m’avait-elle confié. On en a discuté. Elle et ses collègues médecins avaient remarqué la disparition des comédiennes au seuil de cette décennie. « On ne voit plus les comédiennes de 50 ans au Centre médical du Spectacle, tandis que les hommes, eux, sont toujours là. De plus les femmes restantes perdent en salaire, tandis que les hommes, eux, gagnent en salaire. » C’était si flagrant que ces médecins ont décidé à l’époque de commanditer une enquête approfondie sur ce sujet. Ils ont pour ce faire travaillé en étroite collaboration avec une équipe de sociologues du Laboratoire de Changement social de l’université Paris-Diderot. L’enquête portait sur la santé physique et mentale, les effets de l’âge sur le métier… Très intéressant. La femme médecin m’a montré la plaquette éditée avec les résultats de cette enquête, j’ai été un peu abasourdie. Je lui ai demandé pourquoi je ne l’avais pas vu affichée sur les murs à l’instar des autres documents d’information habituels qui sont à notre disposition dans les couloirs où l’on attend. Elle m’a répondu : « Les responsables du CMS refusent que nous l’affichions sur les murs. » Là j’ai été carrément hallucinée et dans un "sauve qui peut" réactif, je lui ai demandé lesdites plaquettes. La médecin était ravie que tout ce travail sorte des tiroirs et serve à quelque chose. Je voulais le faire savoir, mais n’ai pas trop su comment m’y prendre. En me les donnant, elle m’a quand même suggéré de les "cacher" pour sortir du centre. Donc je suis sortie ce jour-là avec une grande quantité de plaquettes d’information mais sous le manteau…

    Plaquette téléchargeable ici (Word) :
    https://theatrices.files.wordpress.com/2014/06/retranscription-de-lenquc3aate-du-cms.docx

    Avoir 50 ans pour une femme est une étape délicate quel que soit le métier qu’on exerce, mais ça l’est d’autant plus pour les comédiennes. Car la question de l’image médiatique y est prépondérante et que dans cette médiatisation, le jeunisme y règne en maître. Je suis sortie avec des plaquettes dissimulées sous le manteau, comme une voleuse. Comme une voleuse de quoi au juste ? Une voleuse du droit à exister ? On ne va pas m’enfermer aux Madelonnettes !

    (...)

    Ce tunnel dans le métier d’actrice où la femme de 50 ans n’existe pas pourrait peut-être se traduire trivialement par ceci : on ne serait plus "baisable", donc plus désirable, donc plus filmable. Il existe en gros dans les scénarios que je reçois deux options pour les rôles de femmes après 50 ans, en attendant ceux des grand-mères… Soit le cliché de la "vieille fille aigrie, longue et sèche", soit celui de la "femme maternante, pêchue et très gironde". Deux stéréotypes qui sont bien sûr des clichés masculins et non pas des réalités féminines lesquelles sont toujours infiniment plus nuancées et moins simplexes. Pourtant, pour une femme, l’étape des 50 ans est formidable. La ménopause, on peut en parler ? Il faut en parler. La ménopause n’est pas une "maladie" mais une étape avec peut-être étonnamment moins de contraintes que de libérations. Elle peut, si elle est bien vécue, nous amener une paix et une sérénité intérieure très fortes. Sauf qu’on ne nous le dit pas car cela va à l’encontre du préjugé. Et comme dit si justement ce cher Albert : « Il est plus facile de briser un atome que de briser un préjugé. » Il s’agit pourtant de veiller à ne pas intégrer intimement le discours ambiant et de s’interroger justement sur cette éventuelle discordance entre leur "discours sur" et ma propre expérience à moi, de l’intérieur.

    Corinne Klomp, une amie auteure et scénariste, a écrit Où sont les vieilles femmes ?, un texte qui m’a énormément plu. Les vieilles femmes en effet ne sont pas médiatisées. Les jeunes filles n’ont donc pas d’exemples, de modèles, d’images positives pour avancer vers la beauté, la sagesse, et le bonheur spécifiques à cet âge-ci. Lorsque l’on interviewe des grands penseurs, des "sages", ce sont presque toujours des hommes. Où sont nos vieilles sages ? Montrez-les-nous, qu’elles nous parlent ! Il y a quelques années d’après les médias l’homme le plus sexy du monde n’était autre que Clint Eastwood à 80 ans. L’homme le plus sexy du monde, un octogénaire ? Et les femmes octogénaires ? Je pense à Thérèse Clerc, fondatrice de la Maison des Babayagas de Montreuil, et à son magnifique portrait « Insoumise à nu » où elle pose, nue. Ce que Monsieur Clint n’a pas encore fait je crois… « Avec l’âge, les hommes mûrissent et les femmes vieillissent », disait Simone Signoret. C’est majoritairement toujours d’actualité. Chez les femmes, les plus sexys sont soit les plus jeunes soit des femmes « qui ne font pas leur âge », comme si c’était une victoire, comme s’il était "illégal" de correspondre à son âge, c’est absurde… C’est violent. Alors à la ménopause on nous engage à garder notre jeunesse, à prendre des hormones, des antirides, des gélules pour ventre plat, il faut tout faire pour paraître jeune ! On ne nous parle pas de cette révolution intérieure si intéressante à vivre. Je le dis aux jeunes filles : sachez que la ménopause n’est pas cette "horreur annoncée"…

    (Je précise que je suis loin de partager son enthousiasme pour « Reflets dans un œil d’homme » de Nancy Huston :
    http://www.peripheries.net/article331.html )

    #femmes #actrices

    • Dans La Vie matérielle, Marguerite Duras, qui est la première femme à avoir écrit au XXe siècle une pièce de théâtre, raconte, on est alors en 1965 : « Depuis 1900 on n’a pas joué une pièce de femme à la Comédie-Française, ni chez Vilar au TNP, ni à L’Odéon, ni à Villeurbanne, ni à la Schaubühne, ni au Piccolo Teatro de Strehler, pas un auteur femme ni un metteur en scène femme. […] Aucune pièce de femmes à Paris ni peut-être dans toute l’Europe. Je l’ai découvert. On ne me l’avait jamais dit. » À noter sa dernière phrase car elle est importante : « On ne me l’avait jamais dit. » Comme si cela n’avait justement aucune importance ! « Pourtant c’était là, autour de nous. […] Il a fallu attendre 1965 pour que ma pièce soit jouée. Le succès a été grand. Mais aucun critique n’a signalé que c’était la première pièce de théâtre écrite par une femme qui était jouée en France depuis près d’un siècle. » À noter de nouveau sa dernière phrase : « Mais aucun critique n’a signalé… » Et là on peut imaginer que le critique le sait pertinemment mais qu’il le passe sciemment sous silence car le dire serait donner à cette injustice de l’importance. Or la meilleure manière de maintenir l’injustice dans quelque domaine que ce soit c’est de pratiquer l’omerta… La situation a peu évolué depuis et surtout elle s’étend à la société tout entière. La place des femmes auteures est évidement la même que celle des femmes dans la société en général. Avec le même plafond de verre, les mêmes inégalités sociales, la même condescendance a priori pour ce qu’une femme crée, fait ou produit. Que vous soyez caissière, chercheuse au CNRS ou "théâtrice", c’est pareil. Alors ce qui est intéressant, c’est de réfléchir aux causes de cette limitation à la fois sur les plans physique, intellectuel, matériel, financier, et jusque dans le domaine de la création artistique. Comment se fait-il que notre parole sur le monde soit si peu représentée ?

      #non_dit

    • Au XVIIe siècle, en France un philosophe a dit que les femmes étaient naturellement bêtes et qu’il était inutile de les éduquer. Et plus récemment en 2005, le président de l’université américaine de Harvard, Lawrence Summers, a déclaré : « Le faible nombre de femmes dans les disciplines scientifiques s’explique par leur incapacité innée à réussir dans ces domaines. » Innées ! En 2005 ! Un président d’université… Ces propos ont provoqué un tollé général. Une étude statistique a été faite et a évidemment démontré le contraire. En 2006, Lawrence Summers a été révoqué et remplacé par une femme à la tête de Harvard.

      #crétin_abyssal

    • Giulietta #Masina (actrice) :
      « Le rughe non coprirle che ci ho messo una vita a farmele venire »
      –-> « Ne couvrez pas mes rides, cela m’a pris une vie pour les construire » (réponse à un maquilleur avant d’aller sur scène)

      Vous pouvez retrouver cette phrase dans le super documentaire « Il corpo delle donne », qui peut être vu online :
      http://www.ilcorpodelledonne.net/version-francaise

    • Marrant, j’avais balancé un truc comme ça à ma coiffeuse il y a quelques années, quand elle s’est proposé de me camoufler mes premiers cheveux blancs : « vous n’y pensez pas, il m’a fallut 40 ans pour les mériter ! »
      Depuis, elle me regarde de traviole... mais je pense que c’est plus pour des motifs économiques qu’esthétiques. Je crois que le camouflage du cheveux blanc est une industrie.