« Le Complexe d’Orphée », de Jean-Claude Michéa : Michéa, c’est tout bête - LeMonde.fr Luc Boltanski
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La pesante démonstration qui occupe l’essentiel du livre voudrait nous faire croire que l’on peut être « de gauche », voire - lâchons le mot - « anarchiste », tout en s’affirmant « conservateur » et même « réactionnaire ». Cela à condition de rompre avec le « nomadisme deleuzien », avec « l’amoralité constitutive » du libéralisme cupide, enfin avec l’individualisme « narcissique » qui entend s’affranchir des « montages symboliques » sur lesquels repose l’ordre social. Pourrait alors s’engager la vraie révolution (conservatrice ?) qui refondera la société sur les valeurs de la « décence commune », du « don », de la « gratuité », du « désintéressement », de la « dignité » et de la « loyauté ». Que l’on revienne donc, au plus vite, aux valeurs ancestrales, et « l’économie de marché » se trouvera d’un coup « abolie ». On croit rêver. Français, encore un effort pour devenir anarchistes.
Ces voeux pieux sont soutenus par des invocations récurrentes de saint Orwell (qui doit se retourner dans sa tombe !), objet, de la part de Jean-Claude Michéa d’une véritable entreprise de captation. Comme ses prédécesseurs, les anticonformistes des années 1930, l’auteur du Complexe d’Orphée entend prendre appui sur la « sensibilité populaire » et même sur la « colère du peuple » pour lutter contre « la police de la pensée ». Qu’il existe aujourd’hui une sorte de « police de la pensée » est plus que plausible. La question est de savoir dans quelle mesure la pensée de Jean-Claude Michéa n’en est pas elle aussi une expression particulièrement retorse.